• Chapitre 38


    Malgré ses bonnes résolutions, Rentarou avait nourri beaucoup de doutes et d'appréhension à se lever le lendemain. Il craignait les réactions de ses camarades. Cependant Seiichi était venu le rejoindre. Celui-ci avait utilisé la plaisanterie en lui demandant si son réveil avait sonné. Cependant le lycéen géant n'était pas dupe et avait deviné que son meilleur ami avait compris sa difficulté à trouver le courage de quitter seul sa chambre et était venu le soutenir.


    Les deux lycéens allèrent se doucher et revêtirent leur uniforme avant de descendre au réfectoire prendre leur petit-déjeuner où ils retrouvèrent Shintarou.


    Après le repas, les trois adolescents gagnèrent le bâtiment des cours sous une pluie aussi torrentielle que les jours précédents. Dans la salle des casiers, ils prirent leurs affaires pour la matinée mais surtout revêtirent une blouse blanche par dessus leurs vêtements. Aujourd'hui, leur classe avait un double cours de Chimie dès la première heure de la journée.
    Cette reprise s'annonça de mauvaise augure. Le professeur Masami interpela Rentarou quand il entra dans sa classe tandis que ses condisciples rejoignirent docilement leur place.


    - Satsuma-kun, puis-je vous demander ce qui vous ait arrivé ?


    - J'étais malade, Masami-sensei, mentit Rentarou. Haruko-sensei m'a dit qu'elle préviendrait Hashimoto-sensei que je n'irais pas en cours.


    Le regard soucieux, l'enseignant remonta son monocle de quelques centimètres sur son nez. Il fixa si intensément son élève que Rentarou se demanda si celui-ci n'essayait pas de lire dans ses pensées afin de deviner son mensonge.


    - Le professeur Hashimoto m'a rapporté que tu devais revenir en cours à partir d'hier matin. Or, celui-ci m'a informé que tu as été absent hier toute la journée. Une explication ?


    - Ce n'est pas à Hashimoto-sensei de me demander ça ?


    Nerveux, Rentarou n'aima pas du tout cet interrogatoire. Il ne possédait pas non plus de réponse convaincante à dire pour se sentir rassuré. Malgré sa réticence, le jeune homme se résigna à mentir à nouveau.


    - Il me semble naturel qu'un professeur s'inquiète pour son élève.


    C'est sympa de sentir que vous inquiétez, Masami-sensei … Mais c'est un peu agaçant … Qu'est que je vais bien pouvoir inventer ? Il me faut un truc et vite !


    - Je ne voulais pas venir en cours hier, avoua t-il en baissant la tête.


    - Eh bien, de mieux en mieux, s'exclama Masami avec indignation. Vous pensez peut-être que nous, professeurs, acceptons que nos élèves étudient à la carte ? Que vous ayez envie ou non, c'est votre devoir de venir en cours !


    - Ce n'est pas ce que vous croyez, protesta Rentarou en relevant la tête.


    - Et que dois-je penser de votre réponse alors ?


    - En fait, j'ai étudié les cours que j'ai raté toute la journée. Je ne voulais pas retourner en cours sans les avoir travaillé afin de ne pas perturber la classe car je ne saurais pas où nous en sommes.
    L'enseignant sourit de cette tournure inattendue mais demeura sur ses gardes.


    - Dans ce cas, que diriez-vous de vérifier si vous avez compris ce que vous avez étudié hier ? Je vais vous interroger sur le cours que nous avons eu Vendredi dernier.


    Rentarou ressentit un profond abattement à cette nouvelle. Sa mémoire lui rappela un enseignement de sa mère en cet instant précis. Cette expérience lui permit de comprendre pourquoi le mensonge devait être considéré comme un pêché. Les conséquences finissaient fatalement par vous retomber toujours sur la tête et à vous écraser !


    A contrecœur, il suivit son bourreau jusqu'au tableau. Naturellement, le regard de tous les élèves convergèrent automatiquement vers lui. Pour rajouter davantage de pression, sa mémoire lui rappela que ce cours était constitué de l'ensemble des étudiants de première année ayant choisi cette option. Autrement dit, soixante-quinze adolescents l'observaient et se tenaient prêts à répandre à travers tout le lycée sa ridicule performance.


    Fataliste, Rentarou se résigna à son triste sort et attendit la première question de son professeur. Sa surprise fut incroyablement grande en réalisant savoir la réponse. Il avait occulté cet épisode mais le mois précédent les examens trimestriels, le lycéen géant avait aidé Matsuda à réviser ses leçons de chimie de première année. Cependant son ami d'enfance avait été si lent à intérioriser toutes ces notions que Rentarou avait lu au moins vingt fois chacune d'elles. Il avait ainsi retenu très facilement l'ensemble du programme.


    A la fin de l'interrogation qui se solda par une excellente note, le professeur Masami autorisa son élève à rejoindre sa table. Kou lui adressa la première question.


    - Tu as vraiment potassé tous les cours ?


    - Ca ne va pas la tête ? Il me faut au moins deux jours pour rattraper tout le retard que j'ai accumulé la semaine dernière.


    - Alors comment tu as fait pour savoir ce qu'on a étudié Vendredi ? fit Takaishi en cessant de recopier les instructions au tableau. On a commencé justement un nouveau thème ce jour là.


    - Je ne sais pas, avoua Rentarou en versant quelques gouttes d'une potion dans une éprouvette. Je sais juste que je pouvais répondre.


    - Eh ? Tu as vraiment la science infuse en toi alors ? s'émerveilla Kou. C'est cool !


    - Mais non ! C'est certainement un Dieu, une Déesse ou un ange qui a remarqué ta détresse et tenu à t'aider, réfuta Takaishi.


    En arquant un sourcil, Seiichi se retint difficilement de ne pas émettre un de ses commentaires acerbes dont il avait le secret tant cette dernière phrase provoqua chez lui une forte irritation.


    - Arrêtez donc de raconter n'importe quelle fadaise, dit-il avec impassibilité.


    - Tu as une meilleure explication ? riposta Takaishi. Je maintiens que c'est un miracle !


    - Il s'agit juste de sa mémoire prodigieuse, énonça calmement le jeune ninja. Il a aidé Matsuda en Juin à revoir son programme de Physique-Chimie de première année. A faire réciter son ami trois heures et demie à la bibliothèque, il a dû enregistrer ce qu'il lisait.


    - Ah oui ? J'ai fait ça ? s'étonna Rentarou. Je ne me souviens pas de cette séance de révisions.


    - Alors même les gens dotés d'une super mémoire oublient ? s'amusa son meilleur ami.


    A présent que Seiichi lui avait rappelé ce moment, Rentarou se le remémorait. Il se souvenait de la demande de son ami d'enfance. Néanmoins, un détail le troubla. La requête remontait à la semaine précédant le premier week-end dans la famille de Tyro. A cette époque, Seiichi et lui n'étaient pas amis. Au contraire, l'adolescent aux cheveux ébènes le fuyait comme si Rentarou souffrait d'une terrible maladie contagieuse.


    - Seiichi, comment tu sais ça ? Tu n'étais pas à la bibliothèque ce jour-là. Je me souviens clairement que nous étions seuls, excepté la bibliothécaire.


    Embêté par cette question, le jeune ninja ne répondit rien. Il se contenta de baisser la tête et se concentra à écrire les détails du cours et de leur expérience. Rentarou ne lui dit rien non plus mais ne put s'empêcher de sourire.


    Pendant une demie-heure, le lycéen géant se consacra à la réalisation de son expérience. De l'autre côté, face à lui, ses deux camarades faisaient de même. Du moins, c'était Kou qui réalisait les manipulations pendant que son binôme réalisait le même travail que Seiichi.


    - Kou-kun, tu veux que je fasse le mélange suivant ?


    Mais le regard noir du jeune homme aux cheveux ras le dissuada d'essayer.


    - En tous cas, je suis content que tu sois revenu, Rentarou-kun, dit Kou en restant concentré sur son tube à essai sous un bec bunsen. Tu ne peux pas savoir ce que c'est de surveiller ces deux-là quand on est tout seul !


    - J'imagine, sourit Rentarou qui connaissait le faible niveau de ses deux amis.


    - Pourtant Taka-chan est excellent en cuisine et en pâtisserie, songea Kou. Il devrait essayer de se dire que c'est comme une recette à suivre tout ça.


    - En cuisine, il y a des odeurs plus délicates, réfuta maussadement Takaishi en levant son nez de son écritoire. Ici, les odeurs me rappellent toutes l'hôpital. Sans parler de la blouse …


    - Tu es allé à l'hôpital ? s'enquit Seiichi en se redressant.


    - Ouais, il y a longtemps …


    Sachant que son meilleur ami ne supportait ni se souvenir ni évoquer ses trop nombreux souvenirs à l'hôpital, Kou changea de sujet en prenant la première idée qui lui passa par la tête.


    - En fait, la chimie me fait penser aux cours d'économie domestique qu'on a en primaire et au collège. D'ailleurs, je trouvais ces cours sympa. Enfin à part quand on nous demandait de coudre.


    - Des cours d'économie domestique ? C'est quoi ça ?


    - Tu as dû connaître pourtant, fit Seiichi intrigué. Tu es allé deux années à l'école élémentaire.


    - Ca ne me dit rien du tout, nia toujours Rentarou en secouant la tête.


    - Tu ne te souviens pas de Yagami-san ? s'exclama Kou pantois. On l'appelait miss Airbag à cause de sa grosse poitrine !


    - Yagami-san ? Celle qui avait des cheveux châtains clairs et deux couettes ? Elle collait aussi des photos de chats dans sa classe, non ?


    - Oui, tu ne trompes pas, confirma Takaishi.


    - Je comprends mieux, soupira Rentarou. La première semaine que je suis entrée en première année de primaire, j'ai repéré sa salle qui ressemblait à une cuisine. Je me suis faufilé dedans car je voulais faire un gâteau pour kaasan. J'avais commencé à rassembler des ingrédients comme elle faisait toujours. Sauf que j'ai trouvé un truc que je ne connaissais pas. J'ai goûté et j'ai trouvé ça bon alors j'ai mis toutes les boites de ce truc dans ma pâte. En fait, c'était de la levure et j'ai du mettre l'équivalent d'un kilo.


    - Oh non ! lâcha Takaishi qui devina la suite et fin de l'expérience.


    - Et quand je l'ai mis au four, ça a gonflé puis ça a pété si fort que le four a été détruit.


    - Je comprends pourquoi j'ai entendu une explosion un jour à l'école, s'exclama Kou en riant.


    - Et il ose nous faire la leçon, Taka-chan, se lamenta faussement Seiichi.


    - J'avais six ans, bouda Rentarou. Je ne savais pas ce que je faisais.


    L'adolescent se concentra alors sur son travail pour ignorer les commentaires moqueurs de ses amis et s'efforça à ne pas les écouter en pilant en poudre son chlorate de soude. Néanmoins, sa poigne se révéla si forte qu'il n'eut pas longtemps à les écraser.


    Pendant son travail, son esprit réfléchissait. Il trouvait la vie réellement étrange. Fukuda Kou, l'enfant qui le maltraitait et le martyrisait à longueur de journée, était devenu un proche camarade. Rentarou se surprenait encore d'un pareil revirement. En comparaison, Matsuda Katsuo, son ami d'enfance et le seul à l'avoir jamais défendu et soutenu, avait fini par le rejeter. Cela l'étonnait de voir ces deux situations totalement opposées s'interchanger. Cela l'amenait à croire en la leçon enseignée par Yushima pendant leur sept mois de vie commune. Aucune situation ne restait éternellement inchangée. Avec une volontée suffisament forte et un déploiement de ses efforts, la concréatisation de ses ambitions devenait réalisable.


    Même devenir ami avec Kou et lui pardonner …


    A la fin du double cours de Chimie, Rentarou et Seiichi quittèrent leurs deux camarades et descendirent pour rejoindre la salle d'Aizawa. Durant le trajet, l'adolescent aux cheveux ébènes s'amusa à ennuyer Rentarou sur les nouvelles tentatives de l'enseignante pour lui créer des ennuis ce qui agaça fortement celui-ci.


    En arrivant en classe, La professeur Aizawa l'accueillit si gentiment que Rentarou se demanda si elle ne couvait pas une grave maladie. Cependant cette douceur inhabituelle le changea agréablement de sa routine quotidienne. L'enseignante lui annonça même qu'aujourd'hui elle ne l'interrogerait pas car il venait seulement de revenir. Rentarou se sentit le cœur si léger et heureux de cette pensée et alla s'asseoir gaiement. Néanmoins, Aizawa ne compta pas le ménager pour autant.


    D'ordinaire, Aizawa faisait son cours en commentant longuement le texte sans se soucier si ses étudiants se montraient attentifs ou non et ne les faisaient pas participer.


    Ce matin-là, elle demanda à Rentarou de lire le texte abordé dans son intégralité. A sa grande horreur, le jeune homme découvrit que le document en question remplissait trois pages de son manuel. Il poussa un profond soupir en pensant à son anglais parlé à la japonaise. Résigné, le condamné se leva et commença sa lecture. Le lycéen géant buta sur chacun des mots, hésita sur les prononciations et se trompa de multiples fois. A chaque erreur, sa tortionnaire l'obligea à recommencer depuis le début.


    A la fin de cette heure désastreuse où il avait lu de l'anglais durant toute la séance, Rentarou regretta de ne pas avoir à boire. Sa gorge lui brûla à force d'avoir autant utilisé sa voix. Le dernier cours se déroula beaucoup mieux étant naturellement à l'aise avec les mathématiques. A la sortie, Hashimoto tint à le voir seul et lui demanda des explications sur pla raison de son absence de la veille. Il répéta alors son mensonge dit plus tôt à Masami. Son professeur titulaire s'en satisfit et le laissa partir.

     

    Etant sorti plus tard que les autres étudiants, Rentarou arriva le dernier à la salle de Droit où se réunissaient ses amis. Avant de s'asseoir avec eux, il alla se placer face à la fenêtre, ferma les yeux et entreprit un exercice de respiration pendant cinq minutes. L'adolescent mit ensuite sa main contre sa bouche pour inspirer et expirer plusieurs fois de l'air dedans.


    - Qu'est que tu fais ? lui demanda sans cesse Tyro.


    - Tu t'es senti mal à un moment ce matin ? s'inquiéta Seiichi.


    - Non, tout était normal. Cependant Haruko-sensei m'a appris à mieux respirer. Elle m'a conseillé de faire fréquemment des exercices pour contrôler ma respiration. De plus, respirer souvent en couvrant ma bouche et mon nez aide à diminuer le taux de dioxide.


    - Mais arrêtez de m'ignorer ! De quoi vous parlez ? Je veux savoir !


    - Tu as l'air d'un gosse, Tyro, soupira Kou.


    - Ils parlent du syndrome Da Costa, énonça gravement Shintarou. Rentarou, tu en es atteint ?


    Surpris, Tyro se tut et instant et tourna la tête vers le petit rouquin à sa droite puis reprit de plus belle :


    - Et c'est quoi le syndrome de Coza ? Dis-moi ! Dis-moi, Shintarou !


    Lassé d'entendre les supplications de Tyro, Takaishi lui attribua une forte claque sur l'arrière du crâne et le poussa contre le sol pour l'obliger à se taire. Tout le monde eut un regard de reconnaissance pour le jeune fan de base-ball.

    Shintarou commença alors son explication :


    - Le syndrome de Da Costa, appelé ainsi en référence au premier auteur à avoir étudié ce cas en 1871, se nomme plus couramment hyperventilation. Il s'agit d'une maladie fréquente touchant environ 10% de la population mondiale mais reste malheureusement très peu diagnostiquée. Il s'agit pourtant d'une pathologie grave et lourde. Le corps produit beaucoup de dioxide de carbone d'où une hypocapnie et alcalose respiratoire. En d'autres termes, la personne croit mourir d'étouffement. De plus, tout le corps réagit lors d'une crise. Au niveau du cerveau voit son alimentation diminuer et cause des vertiges, des troubles visuels et même des syncopes. Le débit sanguin diminue, la peau se refroidit et des douleurs musculaires ainsi que digestives peuvent apparaitre.


    Tout le long du discours de l'aspirant vétérinaire, les adolescents écoutèrent très mal à l'aise par ces explications. Sans comprendre la majorité des termes utilisés, on sentait la gravité de la maladie.


    - Tu … tu as vraiment ça, Rentarou ? s'étrangla Tyro qui avait pâli.


    Rentarou jeta un regard de mépris à Shintarou. Il n'avait vraiment pas besoin de voir ses amis inquiets. Cela augmenterait à coup sûr son stress.


    - Heureusement qu'Haruko-sensei est plus diplomate et rassurante. Parce que si j'avais entendu ça quand je suis allé la voir juste après une crise, je me serais probablement évanoui.


    - En tous les cas, tu devrais arrêter le tennis, conseilla Shintarou. Une crise d'hyperventilation peut se déclencher en cas d'intenses efforts physique. Or, tu t'entraines toujours si intensivement que cela est trop dangereux pour toi.


    - Arrêter le tennis ? Tu as envie que je t'écrase la figure dans le bento que tu manges, toi !


    - Tu devrais ne pas trop forcer quand même, se risqua Takaishi.


    - Haruko-sensei m'a emmené faire des tests à l'hôpital. Tout est OK chez moi. Le médecin qui m'a examiné m'a même dit qu'avec un corps pareil, je vivrais jusqu'à cent cinquante ans.


    - Cent cinquante ans ? Impossible ! s'écria Kou avec conviction.


    - Pourquoi pas ? rétorqua Takaishi en haussant les épaules. En 2032, le japonais Okiayu Junichi s'est éteint à 138 ans. En 2035, le français Jean Moreau avait atteint les 135 ans et en 2042 la française Juliette Garin est décédée à 143 ans.


    - C'est quand même des exceptions, émit Kou.


    - En y réfléchissant, pas vraiment, songea Tyro. Si je me souviens de mes cours de Géo, l'espérance de vie de notre pays est comprise entre 120 et 130 ans.


    - Celle des États-Unis et de l'Europe de l'Ouest est de 125 à 130, ajouta Takaishi.


    - Ca suffit ! s'exclama Kou avec exaspération. Pas la peine de disserter là dessus trois heures !
    - Je me demande ce qui crée les crises de Rentarou, se demanda Shintarou qui ne cessait de réfléchir depuis qu'il avait entendu le diagnostic du médecin.


    - Rentarou ne réagit qu'au stress et aux angoisses, intervint Seiichi qui avait continué à manger tout au long de la conversation. Si vous voulez vraiment une technique efficace pour l'aider, ce serait qu'il parle davantage de ce qui l'ennuie.


    - Seiichi … , murmura Rentarou embarrassé par la seconde phrase.


    - Je vois, fit Shintarou dont les traits se froncèrent. Une grande souffrance psychologique ou physiologique ou les deux peut être la cause principale des crises dans 90% des cas.


    - Et que doit-on faire, nous, si tu as une crise ? s'enquit Kou avec anxiété.


    - Continuer à agir comme si rien ne se passait et le laisser mourir, dit froidement Seiichi.


    - Seiichi !!!


    - Je regrette mais il s'agit de la réalité, Rentarou.


    - Seiichi …


    - Rentarou, s'il te plaît, dis-nous ce qu'il en est réellement, s'exclama Tyro inquiet.


    - Si jamais j'ai une crise devant vous, vous devez faire comme s'il ne se passait rien et continuez ce que vous faisiez. Cela me permet de garder mon calme et de m'en sortir plus rapidement.


    - Autrement la victime panique si elle entend les gens autour d'elle s'inquiéter et réagir. Ainsi même si c'est dur, il faut faire semblant qu'il ne se passe rien pour son propre bien, ajouta Shintarou.


    - C'est ce que je disais, non ? Il faut agir comme si rien ne se passe pendant que Rentarou est en train de mourir, reprit Seiichi très amusé.


    - Seiichi, c'est une formulation très choquante, soupira Rentarou.


    - Moi, je pense qu'elle est très juste, corrigea Shintarou d'un regard triste. Quand une victime d'hyperventilation fait une crise, elle croit mourir toutes les trois secondes. Par conséquent, pour elle, c'est comme si elle agonisait et sa souffrance est visible de l'extérieur.


    - Même Shin est d'accord avec moi, claironna Seiichi en leur adressant un sourire de triomphe.


    Afin de changer de sujet, les adolescents se décidèrent à entamer leurs provisions. L'heure tournant rapidement, aucun ne voulut retourner en cours sans rien avoir dans l'estomac.
    A la suite du déjeuner, la bande se sépara pour une heure de cours. Japonais pour Rentarou, Seiichi et Shintarou, Mathématiques pour Kou et Takaishi et Anglais pour Tyro. Après avoir assisté à la séance du professeur Noda, le trio de la 1D partit à la bibliothèque pour permettre à Rentarou de rattraper son retard. Quant à Kou et Takaishi, ils s'étaient sagement assis sur les marches de l'escalier du troisième et dernier étage et s'échangeaient des objets sur leur console.


    Pendant ce temps, Tyro était parti s'entrainer au tennis à l'extérieur. A travers la fenêtre, en classe, il avait remarqué que la pluie avait cessé de tomber et s'était donc empressé d'en profiter.


    Debout sur un des courts, le jeune homme pratiquait ses services. A un moment donné, il lança la balle beaucoup trop fort. Celle-ci monta haut, dépassa le grillage et tomba plus loin, du côté du baraquement où se réunissaient les titulaires.


    Rapidement, Tyro déposa sa raquette sur le banc et sortit du court. Il courut jusqu'à sa balle lorsque ses oreilles entendirent du bruit venant du bâtiment tout proche. Très curieux, le jeune homme repéra une planche descellée et alla écouter.


    - Tout le monde est là ? demanda Kurata.


    Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée.


    - Alors laissez-moi vous dire que je suis mécontent de vous, tonna t-il. Je n'apprécie pas ce qui s'est passé au tournoi préfectoral.


    - Mais on a gagné, Kurata-san, protesta faiblement Nagai.


    - Vous saviez comment j'avais prévu la victoire ! Je voulais remporter chaque match qui clot les rencontres ! Or, cela n'est arrivé qu'une fois !


    - Nous avons fait de notre mieux, exposa Raphael. Autrement, tu pouvais demander à tes deux amis de perdre leurs matches.


    - Ichi souhaite devenir professionnel. Par conséquent, je ne peux pas lui imposer un pareil sacrifice, répliqua Kurata. Donc c'était au premier double de renoncer à gagner !


    A l'extérieur, Tyro s'était paralysé. Il réalisait la signification derrière ces mots. Cela le mettait en colère mais s'efforça de retenir son irritation pour écouter la suite.


    - Nagai, Motoguchi, je vous interdis donc de refaire des coups d'éclat !


    Les deux concernés approuvèrent apparemment en silence. De là où il se trouvait, Tyro éprouva de la tristesse et de compassion pour eux deux. Ils s'étaient tellement entrainés pour progresser. Leur interdire de montrer leurs prouesses était horrible.


    C'est criminel, pensa Tyro avec colère. Kurata, espèce de …


    - A toi maintenant, Raphael.


    - Je joue en simple deux et si Satsuma gagne, je dois perdre, c'est ça ?


    Le jeune français parla d'une voix tranchante et nette, nullement impressionné par son buchou.


    - Tu as parfaitement compris, approuva Kurata.


    L'adolescent se leva vivement en réaction.


    - Je suis désolé pour toi, Kurata-buchou, mais je ne compte pas perdre pour toi et tes potes !


    - Tu seras démis de l'équipe des titulaires en ce cas, le menaça Kurata.


    - Fais ça, Kurata-buchou, et je le rapporte à mon père. En sa qualité d'ambassadeur de France, il stoppera toutes transactions entre notre pays et l'entreprise de ton père.


    Un très long silence s'installa entre les deux. Tyro trépigna dans sa cachette. Il aurait payé cher pour voir la tête de Kurata.


    Brusquement, la porte claqua. Raphael quitta la réunion et s'éloigna en silence. Toutefois, il repéra la silhouette de Tyro dissimulée dans l'herbe et s'approcha rapidement sans produire le moindre bruit. Le jeune homme plaqua le corps du garçon contre son torse et le maintint suffisamment haut pour éviter à ses jambes de toucher le sol. En même temps, il bloqua sa bouche de sa main gauche pour l'empêcher de parler.


    Incapable de se défendre ou d'appeler à l'aide, Tyro enragea. Il s'interrogea sur l'identité de son agresseur et de ses intentions. Celui-ci ci trimballa à l'autre bout du campus et le lâcha à terre sans ménagement. Libéré de cette emprise, le jeune tenniman se retourna immédiatement.


    - Raphael-sempai ! cria t-il avec indignation.


    - Ne dis à personne ce que tu viens t'entendre, Sakumai, recommanda Raphael.


    - Hors de question ! Je vais tout dire à Rentarou et Seiichi !


    - Si tu le dis à Satsuma, il interviendra. Kurata-buchou lui causera des ennuis très important. Si tu te soucies de ton ami, préserve-le.


    - Tu as fait peur à Kurata-buchou tout à l'heure. Tu n'as qu'à nous protéger, suggéra Tyro.


    - Je l'ai fait car il s'en prenait en moi. Cependant je n'ai rien à voir avec le club. Si ça se trouve, je serais parti avant la fin de l'année.


    - C'est dégueulasse ! Tu n'es qu'un égoïste !


    N'ayant pas envie de dialoguer avec une personne qui l'écœurait autant, Tyro partit rapidement. Il courut à toute hâte et traversa le campus à nouveau pour sortir du lycée. Le garçon laissa un message sur le répondeur de Rentarou et lui demanda de venir chez lui avec Seiichi en sautant l'entrainement.


    Vers seize heures, les Sanonis se retrouvèrent dans la chambre de Tyro pour une réunion exceptionnelle. Le maître des lieux s'était perché sur son lit, les jambes passées à travers la barrière et pendant dans le vide. Rentarou s'était allongé à plat ventre sur un des profonds poufs, la tête relevée vers ses amis, et Seiichi était assis à en sens inverse sur l'unique chaise de la pièce.


    Tyro exposa avec calme sa découverte.


    - C'est donc ainsi que cela se passe, conclut Seiichi.


    - Katsuo-sempai m'en avait parlé, se souvint Rentarou tristement.


    - Comment ça ? Explique-toi mieux, réclama Tyro un peu brutalement.


    - Il ne m'a pas dit grand chose. Il a dit juste que j'ai été choisi comme titulaire à cause de ma personnalité. Il m'a révélé que buchou savait que Tyro était un excellent tennisman. Il avait évalué notre niveau à la même équivalence.


    - C'est vraiment impardonnable d'avoir ignoré Tyro sans cesse, s'insurgea Seiichi révolté.


    - Je le savais déjà, Seiichi, l'informa Tyro d'un ton anormalement calme.


    - Tu as vraiment joué contre buchou ?


    - Quand j'étais en première année de collège, confirma Tyro d'un sourire rayonnant de fierté. La première fois lors d'un match de préliminaires. Ensuite la seconde fois lors de la finale du tournoi préfectoral des collégiens.


    - Voilà pourquoi il te traite aussi mal quand il te voit, comprit Seiichi.


    - En tous les cas, Raphael-sempai est vraiment lâche et égoïste. Il préfère nous abandonner face à un buchou autoritaire et même totalitaire alors qu'il pourrait nous aider !


    - Ouais ! Je suis trop dégoûté moi aussi, approuva Tyro.


    - Moi, je comprends les sentiments de Raphael-sempai.


    Surpris de cette affirmation, Rentarou et Tyro tournèrent la tête pour apercevoir leur meilleur ami qui arborait un visage triste.


    - Raphael-sempai est le fils de l'ambassadeur de France, dit Seiichi. Il suit ses parents depuis qu'il est petit où qu'ils aillent … Ne pas s'attacher aux gens pour éviter de souffrir est quelque chose que je comprends parfaitement. J'agissais de cette manière avant de vous rencontrer.


    - Les ambassadeurs restent plus d'un an normalement, protesta Tyro. J'ai déjà lu quelque part que certains restaient à leur poste jusqu'à la retraite.


    - Cela dépend de leur affectation et des ordres de leur pays, reprit Seiichi. Selon mes informations, la famille de Raphael-sempai a vécu dans de nombreux pays africains, arabes ou d'Amérique du Sud.


    - Autrement dit, des états dangereux, réalisa Rentarou.


    - Je ne sais pas ce qui s'est passé évidement dans sa vie mais depuis ses sept ans, il a changé quinze fois d'école élémentaire, dix fois de collège et trois fois de lycée.


    - Ca ne doit vraiment pas évident de se lier aux autres quand on sait qu'on peut partir à n'importe quel moment.


    - Mais le Japon est un pays sûr, s'exclama Tyro. Il n'y a plus de raison pour lui d'avoir peur.


    - Les habitudes prises à causes de traumatismes sont très difficiles à perdre.


    - D'ailleurs souviens-toi comment était Seiichi avant ! Certains moments, j'avais l'impression qu'il m'aurait tué si ses yeux en avaient le pouvoir, rigola Rentarou.


    Un silence envahit la pièce. Les trois Sanonis restèrent plongés dans leurs réflexions intérieures. Rentarou le rompit brusquement.


    - Alors qu'est qu'on fait ?


    - A propos de quoi ? fit Tyro.


    - Buchou ! Il faut faire quelque chose pour l'empêcher de nuire à tout le monde au club !


    - Il n'y a rien que nous puissions faire, Rentarou, déplora Seiichi. A part attendre.


    - Attendre ? Mais attendre ne changera rien du tout !


    - Si. Dans cinq mois, les troisièmes années, et donc Kurata-buchou, seront diplômés. Nous aurons donc le champ libre au club, exposa Tyro.


    En se redressant, Rentarou regarda alternativement ses deux amis plusieurs fois puis frappa avec force son poing contre le plancher sans se soucier si le frère aîné de Tyro travaillait ou non à l'étage inférieur.


    - Il n'y a pas moyen que j'attende jusque là sans rien faire ! Je ne peux pas supporter cette pensée qu'il empêche les autres de s'épanouir pour son profit personnel !


    - Rentarou, l'interpela Seiichi. Même si tu parles à Yoko-han de notre problème, elle ne pourra rien faire. L'administration du lycée non plus. Kurata-buchou doit probablement utiliser l'influence de son père pour rester à la tête du club.


    - Ce que tu dis me rends encore plus furieux !


    - Concentre-toi sur tes matches plutôt, conseilla Tyro. Ca ne sert à rien de s'énerver actuellement.
    - Si on ne peut pas avoir de recours auprès de quelqu'un alors il faut le régler seul, annonça Rentarou d'une voix forte et résolue.


    - Qu'est que tu veux dire ?


    - Je vais défier buchou et le battre. Pour le club.


    - Kurata-buchou est très fort et il a vu chacun de tes matches, rappela Seiichi inquiet. Tu prends une décision très lourde. Si tu perds, il peut t'imposer n'importe quelle condition.


    - Je m'en doute, répondit Rentarou. Je vais m'entrainer encore plus dur et quand je me sentirais prêt, je le défierai.


    En s'écartant du dossier de la chaise sur laquelle il s'était avachi, Seiichi resta silencieux, sa main droite sous son menton se frottant la joue gauche, et évalua la situation.


    - Il est vrai qu'il s'agit de notre unique chance, convint-il après mure réflexion. D'ailleurs, si tu n'y parviens pas, je l'affronterais à mon tour.


    - Désolé mais je ne te laisserais pas ce plaisir, rétorqua Rentarou narquois.


    Au même moment, Tyro sauta de son perchoir. Les fesses sur le plancher, sans se soucier le moins du monde de s'être fait mal, et se releva immédiatement.


    - S'il vous plaît, ne faites pas ça ! Surtout pas !


    Intrigués, ses deux camarades pivotèrent la tête vers leur ami. Celui-ci arborait un visage défait, tourmenté et agité. Ils ne l'avaient jamais vu dans un tel état.


    - Vous ne savez pas de quoi est capable Kurata-buchou dans un match …


    - Il est très fort, on l'a bien vu, dit Rentarou soucieux de l'attitude de son ami.


    - Vous n'avez vu que ses capacités quand il est en position de force. Aucun de vous deux ne l'a vu se transformer quand il réalise qu'il perd.


    - Il se transforme ? répéta Seiichi en arquant un sourcil.


    Tyro opina faiblement de la tête. Il ne prononça pas une seule parole et déboutonna ensuite sa chemise et la jeta au sol. L'adolescent avait oublié d'enlever son uniforme en rentrant aujourd'hui tellement il était perturbé. Le jeune homme retira ensuite le sous-vêtement en dessous puis posa alors son index gauche sur un point de sa clavicule droite. A cet emplacement, on pouvait apercevoir une très fine cicatrice.


    - Lors du premier match, Kurata-buchou a été très surpris que je l'emporte si vite. Il ne s'était pas méfié d'un première année et a baissé sa garde, dit-il d'une voix dénuée d'émotion.


    - Il s'est passé quelque chose au second ? interrogea Seiichi.


    - Kurata-buchou a été hargneux dès le départ. Son style de jeu a changé. Normalement, il joue de manière que ses balles évitent l'adversaire. Là, ses balles touchaient l'adversaire.


    - Eh ? Qu'est que tu veux dire ? s'exclama Rentarou qui ne comprenait pas.


    - Au lieu de viser le terrain, il me visait moi. Je devais donc éviter ses tirs mais les rattraper aussi pour ne pas perdre de points.


    - Attends ! Il te visait ? Mais et l'arbitre ? Il aurait du le signaler ! s'offusqua Rentarou.


    - Au tennis, il est autorisé de toucher le joueur si l'intention ne peut pas être prouvée. Ainsi même si un joueur blesse plusieurs fois son adversaire, il peut toujours prétendre avoir mal contrôlé sa balle ou dire qu'il a mal interprété les mouvements de l'adversaire, expliqua Seiichi.


    - C'est vraiment nul !


    - Alors je me prenais des coups sans arrêts à recevoir la balle sur moi quand je ne savais pas éviter. J'ai même manqué de la recevoir sur la tête. Heureusement, mes équipiers m'ont averti du danger … Mais pour l'éviter, je me suis pris les pieds dans les filets et j'ai tombé sur cette foutue clavicule … Cependant je n'ai rien dit et j'ai continué et terminé le match comme ça …


    - Attends ! Tu es droitier, Tyro, glapit Seiichi. Tu …


    - Ouais … Je me suis cassé la clavicule droite et avoir joué avec dans cet état n'a rien arrangé. J'ai été opéré et on m'a posé une broche pendant dix mois. Je n'ai plus rejoué un vrai match avant le lycée à cause de ça.


    - Et tu as des séquelles ? s'inquiéta Seiichi.


    - Non, je suis totalement opérationnel, répondit Tyro avant de regarder ses deux amis. Alors s'il vous plaît, ne faites pas ça ! Kurata-buchou est dangereux ! Souvenez-vous de notre promesse d'être titulaires et de gagner ensemble les Nationales ! S'il vous plaît !


    - Je comprends, dit finalement Seiichi en mettant sa main droite sur son cœur. Je te promets que je ne ferais rien contre Kurata-buchou avant notre seconde année.


    A présent, les deux adolescents tournèrent la tête vers le troisième de leur bande. Celui-ci ne sembla guère convaincu par les supplications de Tyro. D'ailleurs, il se mit à à rire bruyamment.


    - Rentarou ?


    - Tyro, je comprends tes sentiments. Cependant faire une telle promesse est au-dessus de mes forces. Ce que tu viens de me dire me donne encore plus envie de le vaincre.


    Rentarou se tut un instant et redressa la tête.


    - Par ailleurs, je n'ai pas l'intention de perdre. Je vais gagner ce match comme je compte gagner ce match de l'année prochaine.


    - Quel match tu parles ? s'intrigua Tyro.


    - Il a l'intention de battre Matsuda l'année prochaine lorsque nous rencontrerons son équipe, rapporta Seiichi.


    - Je ne perdrais pas, répéta Rentarou avec résolution. C'est hors de question !

     

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  • Chapitre 37


    Après un week-end où il n'avait absolument rien fait, à part dormir, Seiichi se réveilla le Lundi matin en retrouvant toute son énergie. Depuis Jeudi, l'adolescent aux cheveux ébènes était alité. Sa discussion avec Shintarou sous la pluie battante avait aggravé son rhume.


    En vérifiant l'heure de son réveil, son beau visage grimaça en constatant que les aiguilles indiquaient six heures et demie. Sa tranche horaire pour ses ablutions était largement dépassée et se résolut à prendre sa douche au soir.


    Seiichi se maudait d'être aussi faible. Sa constitution fragile lui causait bien des soucis, notamment pour rattraper le retard dans ses cours et devoirs.


    Il prépara ses affaires pour se rendre en classe et enfila un nouvel uniforme. Par mesure de précaution, le jeune ninja mit un épais pullover au-dessus de sa chemise et sous le blazer de laine. Cela le grossissait et le gênait pour se mouvoir mais ce dispositif s'imposait. Seiichi ne tenait absolument pas à amplifier sa pathologie. Autrement, la prochaine fois, l'infirmière appelerait une ambulance et le condamnerait à rester toute une semaine à l'hôpital. Haruko avait formulé cette menace Mercredi soir lors de sa consultation. De toute manière, même sans cette intimitation, le jeune ninja ne voulait pas de complications. Il avait suffisament souffert de maladies non soignées au cours de son enfance qui avaient manqué à chaque fois de le tuer pour ne pas prendre à la légère le moindre signe d'un rhume.


    Une fois ses vetêments enfilés, il s'approcha de son bureau. Son attention fut attirée par la présence de nombreux documents posés dessus. Cela l'intrigua. Il rangeait toujours cet espace à la fin de son utilisation et ne laissait jamais rien trainer.


    Fixant les deux piles sous yeux, Seiichi prit un des feuillets de la seconde et lut les premières lignes du haut de la page. Il s'agissait d'exercices de mathématiques corrigés, détaillés et expliquant les erreurs et les théorèmes à utiliser. Les autres comportaient des notes respectivement sur le livre étudié en cours de Japonais, la présentation du Canada, le compte-rendu d'un travail sur les différences d'environnements, de l'anglais, une sorte de dialecte incompréhensible de chimiste et la seconde guerre mondiale en Occident.


    Se grattant la tête, Seiichi ne comprenait pas. Toutes ces notes lui rappelaient les cours manqués à cause de sa maladie. Néanmoins, le principe de rater un cours consistait justement à ne pas en avoir de traces. Des pages annotées n'apparaissaient pas miraculeusement.


    Tout en essayant de réfléchir à une réponse possible, il se saisit du second paquet. Dedans se trouvait plusieurs copies des dissertations d'Histoire, de Géographie et de Japonais à rendre pour aujourd'hui. Certes, l'adolescent aux cheveux ébènes appréciait particulièrement les légendes et toutes sortes de récits où se mélangeaient aventures et magie mais conservait toujours un esprit rationnel et logique. Il savait pertinemment que les devoirs ne se rédigeaient pas tous seuls. Ses stylos ne s'étaient pas non plus ouverts et n'avaient pas copié d'eux-mêmes les cours de ses professeurs.


    Sans se souvenir tout de suite que son meilleur ami séchait les cours, son esprit pensa à Rentarou. Cela lui ressemblait assez de passer tout son temps libre pour aider un ami. Il reporta à nouveau son attention sur l'une des pages mais réalisa son erreur. Cette écriture droite, fine et stylée n'était absolument pas celle du lycéen géant. Celui-ci, comme Tyro, écrivait lisiblement s'il s'appliquait mais le reste du temps, les tracés de leurs kanjis étaient très mal fait. Un sourire s'esquissa sur son visage en se souvenant du jour où le jeune ninja leur avait proposé de leur acheter un cahier d'écriture réservé pour les écoliers.


    Face à ce mystère insoluble, Seiichi se décida à l'éclaircir plus tard ou il serait en retard. Le jeune homme prit ses affaires, quitta sa chambre et s'arrêta à la porte voisine. Il frappa. Shintarou vint lui ouvrir.


    - Seiichi, tu te sens mieux ?


    - Oui, je n'ai plus du tout fièvre. Et Rentarou ?


    - J'ai beau frapper, il ne répond pas, soupira le petit rouquin. Je dois être à ma douzième retenue qu'Onita me donne depuis Mercredi.


    - Seulement ? Te connaissant, j'aurais pensé que tu avais déjà dépassé la vingtaine.


    - J'ai eu pas mal de boulot ce week-end, éluda t-il. Si on allait manger ?


    Après avoir jeté un regard triste à la porte fermée, Seiichi acquiesça. Les deux adolescents descendirent en silence au réfectoire. En chemin, le jeune ninja médita sur la dernière réponse de son compagnon.


    Après avoir fait la queue presque une demie-heure et obtenu un plateau petit-déjeuner aussi chargé l'un que l'autre, ils allèrent s'installer à une table dans le fond de la pièce et à l'écart des autres.


    - Shin, tu m'as passé des notes des cours que j'ai manqué ?


    Le petit rouquin ne répondit pas. Il était beaucoup trop occupé à mastiquer les pâtisseries mises dans sa bouche.


    - A part Rentarou, tu es le seul élève de la classe à faire un tel travail, reprit Seiichi. Quoique … Rentarou se contenterait d'aller au secretariat photocopier ses notes …


    - Je recopie toujours mes notes au propre, révéla Shintarou après avoir bu un verre d'eau. Je préfère l'écriture avec de l'encre et un pinceau.


    Seiichi s'étonna légèrement de cette remarque mais n'en montra rien. Il avait un peu du mal à imaginer le bouillant et impatient Shintarou tracer avec délicatesse les lettres et symboles sur son papier. Lui-même détestait cela.


    - Pourquoi tu as fait cela ? Je pouvais rattraper mes cours moi-même.


    - C'est de ma faute si tu es tombé malade, rappela le rouquin en repoussant momentanément le pancake de sa bouche. Tu as pris le risque de me chercher sous la pluie alors tu es faible et déjà malade. Je ne pouvais pas faire autrement que de rembourser cette dette.


    Il engloutit ensuite rapidement le pancake puis ajouta avec son riz. Seiichi accepta cette remarque d'un petit signe de tête puis entreprit à son tour de manger.


    A la fin du repas, les deux lycéens rapportèrent leurs plateaux et quittèrent le réfectoire. Se couvrant la tête avec leur serviette, ils coururent en hâte et passèrent enfin la porte d'entrée du bâtiment des cours noyés. La traversée leur sembla plus longue qu'à l'accoutumée.


    Dans la salle des casiers, le jeune ninja prit soin de rajuster correctement sa coiffure. Il aimait que ses mèches ne tombent pas sur son front et voulait que ses cheveux ne dépassent pas ses oreilles.


    - Seiichi est vraiment une fille, se moqua Tyro qui arriva à ce moment-là.


    - La présentation est très importante, Tyro, dit fermement Seiichi. Les gens te jugent toujours par l'aspect que tu dégages. Ils se souviennent davantage de ton apparence que tes paroles.


    Tout en parlant, l'adolescent aux cheveux ébènes songea que son sermon équivalait à prêcher en plein désert avec Tyro. Depuis la rentrée, le jeune homme venait tous les jours vêtu d'un anorak vétuste et hideux. Il était si usé que ses amis n'arrivaient pas à en deviner la couleur. En fait, Tyro non plus ne la connaissait pas. Le garçon avait récupéré cette vieillerie dans le grenier au moment de son changement de chambre. Cependant la tenue s'empirait davantage, si cela pouvait être possible, lorsqu'il rabattait la capuche sur sa tête pour protéger sa précieuse coiffure.


    - Seiichi, allons en cours, proposa Shintarou en rejoignant les deux Sanonis. Il nous reste seulement quinze minutes pour monter l'escalier et traverser l'étage.


    Le jeune ninja approuva cette requête. Ils saluèrent leur camarade avant de partir. Seiichi ne put s'empêcher de lui souhaiter une bonne sieste puisque Tyro avait cours de Géographie en première heure. Ils montèrent donc au second étage et se rendirent à la classe de Japonais. Tous deux frôlèrent de peu le retard : Noda passa le seuil de la porte moins de cinq minutes plus tard.


    Pour une rare fois, Seiichi ne suivit rien au cours. Il pensa continuellement à son meilleur ami et essaya d'imaginer divers moyens de lui parler. L'idée de défoncer la porte lui traversa même l'esprit avant de se rappeler qu'Onita serait très en colère après un pareil coup.


    A la fin du cours, la classe de 1D rangea ses affaires et monta au troisième étage rejoindre la salle de leur professeur titulaire. Seiichi n'écouta pas plus qu'au précédent cours. Toutefois, Hashimoto s'en rendit compte et se fâcha.


    - Shiromiya-san, je veux bien que tu ais des difficultés. Cependant si tu ne fais pas davantage d'efforts tes résultats ne grimperont pas tous seuls.


    Cette phrase fit l'effet d'un électrochoc à Seiichi. Rapidement, il porta sa main droite contre son front et releva lentement la tête.


    - Je ne me sens pas, Hashimoto-sensei … J'ai mal à la tête … La fièvre …


    - Tu ne vas pas bien ? s'inquiéta l'enseignant. Tu devrais aller à l'infirmerie.


    - Non, Haruko-sensei m'a donné des médicaments pour ma fièvre.


    - Eh bien, vas vite les prendre et repose-toi.


    - Cependant je ne sais pas où ils sont, reprit Seiichi un peu penaud. Ce week-end, je n'étais pas bien du tout … C'est Shin qui me donnait mes médicaments.


    - Je comprends, s'exclama Hashimoto en se retournant vivement. Fujita-kun, accompagne Shiromiya-san rapidement et donne-lui ses médicaments !


    Shintarou ne comprit absolument rien à cette scène mais accepta de faire confiance à Seiichi. Son ami devait avoir une excellente raison pour cette comédie. Il détestait sécher les cours. Une fois dans le couloir, le jeune ninja cessa d'avoir l'air malade et lui murmura rapidement qu'il lui expliquerait bientôt. Ils quittèrent le bâtiment des cours, traversèrent le campus sous la pluie battante et s'arrêtèrent finalement à l'arrière du bâtiment de l'internat.


    - Si je ne me trompe pas, sa chambre est juste au-dessus.


    - Ce qui ne trompe pas, c'est qu'on est juste en face de la grande baie vitrée de l'infirmerie. Si Haruko-sensei nous voit, on est morts, marmonna Shintarou.


    - Tu as raison. Écartons-nous pour parler.


    Les deux lycéens tournèrent à l'angle du mur pour s'éloigner de ce danger.


    - Shin, tu sais bien grimper à n'importe quelle hauteur ?


    - Évidemment. Je monte au moins une fois par jour sur les toits du bahut sans passer par l'escalier.


    - Dans ce cas, tu peux grimper ce mur et accéder à la chambre de Rentarou !


    - Tu es sérieux ou cinglé ?


    - Très sérieux ! Puisque la porte est fermée, passons par la fenêtre !


    - N'y pense même pas.


    - Pourquoi ? Tu ne veux pas aider Rentarou ?


    - Bien sur que si. Cependant à cette période de l'année, je ne peux pas faire ça. Avec cette pluie, les murs sont glissants. Si je grimpe là-dessus, je suis sûr de tomber.


    Le visage de Seiichi s'assombrit fortement de cette révélation. Il réfléchit à nouveau à un autre moyen de réaliser sa première idée. Son cerveau ne tarda pas à trouver quand sa tête se leva en direction du sommet du bâtiment.


    - Et si tu descendais en rappel attaché par un harnais ? Cela fonctionnerait ?


    En levant à son tour la tête, Shintarou recula de quelques pas et estima la pertinence de la question posée par son ami. Il se souvenait parallèlement de ses visites ponctuelles sur les toits. Ceux-ci étaient entièrement plats, excepté celui du bâtiment des cours qui ressemblait à temple shintoïste. Sur celui de l'internat comportait aussi quatre petites cheminées d'où s'échappaient les fumées de la cuisine.


    - Si on attache les cordes aux cheminées, ça irait, approuva t-il. Mais il nous faut au moins trois cordes. Il faudrait aussi deux personnes pour descendre la corde avec moi avec.


    - Et il ne faut pas compter sur moi, ajouta Seiichi en fixant toujours le bord du toit. J'ai une peur maladive du vide.


    - Il faut juste trouver maintenant un plan pour sortir Tyro, Taka-chan et Kou de classe.


    - Oublie Tyro, répliqua Seiichi en reportant son attention vers son compagnon. Si nous allons le chercher, autant prendre le risque d'appeler un orchestre.


    - Tyro n'est pas si bête que ça. Il sait que …


    - Je sais qu'il serait d'une grande aide, le coupa le jeune ninja. Malheureusement, il est dans la même classe que Yoko-han. Or, tu sais bien qu'il y a pas plus fouille-merde que cette fille.


    A cause de la pluie qui ne cessait de tomber sur eux et de les refroidir, surtout Seiichi, les deux lycéens se replièrent en vitesse dans la chambre de l'adolescent aux cheveux ébènes en passant par l'escalier de secours de l'internat.

     

    Pendant que Seiichi cherchait quelque chose dans ses documents, Shintarou admira, légèrement moqueur, la collection de peluches du propriétaire des lieux. En effet, quelques jours avant la rentrée, celui-ci avait réussi à accepter ses passions contre-nature aux yeux de la société.


    Depuis tout petit, le jeune ninja adorait les animaux en peluche. Jusqu'à présent, il mettait dans son sac ceux ramassés en ville et les cachait dans son armoire. A présent, celles-ci étaient soigneusement exposées sur les deux étagères à la place de ses précieux livres. Ces derniers s'étaient alors retrouvés en plusieurs tas entre sa commode et le mur, classés par auteur dans l'ordre alphabétique.


    - J'ai trouvé, annonça Seiichi en refermant un tiroir du bureau. Fukuda-han et Taka-chan ont Anglais à cette heure.


    - Et Aizawa nous déteste, soupira Shintarou.


    - De toute manière, je ne peux pas t'aider, songea Seiichi. Puisque je suis sorti de cours malade, je ne peux pas réapparaitre dans les couloirs.


    - Sauf que tu mens beaucoup mieux que moi, rappela Shintarou. Tu pourrais me souffler ce que je dois dire. Je vais mettre l'oreillette de mon portable et tu me diras d'ici quoi dire.


    - Je n'ai pas de téléphone cellulaire, le contredit Seiichi. Rentarou me prête parfois un des siens.


    - Eh bien, utilise les téléphones qui sont mis à disposition pour les internes !


    - Sauf qu'il faut mettre un Yen dans un appareil pour obtenir une minute de communication. Cela donne une somme de 1.700 Yens pour un quart d'heure.


    Shintarou sourit très amusé par la déduction de son ami. Sans rien expliquer, il partit en courant dans sa chambre et revint quelques instants plus tard en tenant une boite métallique contre sa poitrine qui tintait.


    - Ma mère vient de m'envoyer mon argent de poche, claironna t-il. J'ai 6.000 yens en monnaie. Je demande toujours de l'avoir en pièces car je joue pas mal aux jeux vidéos. Comme ça, j'ai toujours beaucoup de pièces sur moi sans avoir à utiliser un changeur de monnaie.


    Seiichi ne commenta pas cette réponse et pensa tout de même que son ami était un sacré drôle d'oiseau. Toutefois, comme cela servait bien leurs intérêts, il se promit désormais de faire attention à ses critiques à l'avenir. Parfois, les fous s'avéraient utiles.


    Après leur séparation, le jeune ninja se faufila dans le bâtiment administratif. Puisque seuls une faible poignée d'étudiants y travaillaient, il ne croisa personne. Tout le monde suivait ses cours. L'adolescent traversa le long couloir blanc sans prêter attention aux coupes et récompenses gagnées par les différents clubs du lycée ou aux bureaux. Derrière la dernière porte à droite se trouvait la salle recherchée.


    Très vaste, on ne trouvait strictement rien dans cette pièce à part des téléphones. Ceux-ci étaient fixés au mur et semblaient attendre de servir. En contemplant le niveau de vétusté de ces engins, Seiichi songea que ceux-ci avaient dû naître au même moment que son grand-père, peut-être même son arrière grand-père.


    Pendant ce temps, son complice retourna dans le bâtiment des cours et monta les escaliers jusqu'au troisième étage puis se dissimula à l'angle d'un mur. Il prit son téléphone cellulaire et le régla en position main libre, sortit une fine oreillette et la mit dans son oreille.

     

    Shintarou attendit ensuite de recevoir l'appel de Seiichi. Une fois l'appel capté, il appuya sur le bouton pour prendre l'appel et remit l'appareil dans sa poche.


    A présent que les préparatifs du plan étaient achevés, le rouquin s'empressa de se rendre à la salle d'Anglais. Il frappa et patienta le temps d'être invité à entrer. Cela se produisit en moins d'une minute. En pénétrant dans la classe, son regard chercha Kou et Takaishi et leur adressa un clin d'œil.


    - Aizawa-sensei, j'ai une communication importante pour Fukuda-kun, annonça t-il.


    En même temps, il adressa un message à Takaishi avec sa main gauche posée près de sa jambe comme Seiichi lui conseilla dans son oreille.


    - Qu'est que c'est ? s'enquit Aizawa méfiante.


    - Ses parents et sa petite sœur ont eu accident. Il faut absolument qu'il vienne. Les médécins qui s'occupent d'eux ont besoin de lui poser des questions.


    Shintarou avait parlé d'un ton énergique, son naturel, mais d'une voix basse, répétant les mots que lui soufflait Seiichi. En même temps, il adressa à ses deux camarades le signe de mensonge.


    - Il ira après mon cours, résolut l'enseignante d'un ton ferme.


    - Mais Aizawa-sensei, vous n'avez pas le droit, protesta une jeune fille au premier rang qui se leva. Laissez donc Fukuda-kun sortir ! Il va s'inquiéter autrement ! C'est horrible de votre part de le laisser souffrir si longtemps !


    - Eh bien, soit ! céda t-elle en soupirant d'agacement. Fukuda, prenez votre sac et disparaissez !


    Alors que Kou rangea rapidement ses affaires, Takaishi se leva :


    - Aizawa-sensei, puis-je sortir moi aussi ? Kou-kun est mon ami d'enfance et je veux le soutenir. Je veux aussi savoir comment va sa famille.


    - Très bien. Allez-y aussi, Yamamoto, siffla Aizawa. Mais disparaissez en vitesse avant je ne change d'avis soudainement !


    Les deux jeunes gens ne se le firent pas dire deux fois. Ils fourrèrent vite livres et cahiers dans le sac et emboitèrent le pas à Shintarou. En chemin, celui-ci leur expliqua le plan mis au point avec Seiichi. Ils retrouvèrent le jeune ninja en bas des escaliers de l'internat.


    - La première partie du plan est faite, dit Seiichi.


    - A présent, on doit monter sur le toit, c'est ça ? fit Kou.


    - Non, on doit aller chercher des cordes à la cave, corrigea Shintarou. Mais il y a Haruko-sensei qui peut sortir à tout moment et les femmes de service qui font le ménage du réfectoire et des salles de détente. Autant de risques de se faire griller.


    - Il suffit de faire le guet, proposa Takaishi.


    - Pour entrer, cela ne pose pas de problème, reprit Seiichi. Cependant pour sortir, il faudra être sûr que personne ne soit dans le couloir sauf un de nous. Comment faire ?


    - Utilisons les portables, suggéra Kou. Quand celui qui est en bas remonte, il nous appelle pour savoir s'il peut sortir.


    - Et avec la sonnerie, on se fait griller en moins de trente secondes, réfuta Takaishi.


    - Il suffit de couper le son de tous nos portables, résolut Shintarou. De plus, on communiquera seulement par textos.


    - De toute manière, c'est moi qui descend, décréta Seiichi. Je suis sans conteste le plus rapide. Même si quelqu'un arrive au moment où je sors, il ne saura pas me voir.


    Convaincus par ce plan, tous tombèrent d'accord. D'abord, il fallut envoyer quelqu'un pour marcher dans le couloir pour repérer combien de membres du personnel étaient présents. Évidemment personne ne voulut être volontaire. Ils jouèrent au jan-ken-pon pour désigner celui-ci. Le sort choisit donc Kou.


    Peu emballé par cette mission de reconnaissance, l'adolescent l'accomplit malgré lui. Il nota la présence d'une femme de ménage par salle de détente et trois dans le réfectoire ce qui faisait au total quatre personnes, sans compter l'infirmière.


    Dans la seconde partie, Seiichi profita de leurs préoccupations pour se rendre devant la porte de la cave, l'ouvrir et passer derrière. Immédiatement, il alluma sa torche électrique en remarquant l'obscurité régnant à l'intérieur. Il frissonna. Le jeune homme détestait être dans le noir.


    Rassemblant son courage, Seiichi descendit une à une les marches de l'escalier de pierres et vérifia au passage qu'aucune bête ne se dissimulait pas quelque part dans cette obscure noirceur. Parvenu en bas, il marcha d'un pas lent et peu rassuré. Pour s'encourager, le jeune ninja pensa à Rentarou. Il fouilla plusieurs coffres, retourna ou bougea des pots, de lourds engins avant de découvrir de longues et solides cordes pendues à un clou au mur.


    Une fois passées en bandoulière, Seiichi parcourut le chemin en sens inverse. Il éteignit à contrecœur sa lampe en haut de l'escalier et prit rapidement le téléphone cellulaire prêté par Shintarou. Le jeune ninja envoya un bref message indiquant que sa mission était accomplie. Le temps d'obtenir une réponse, il ne cessa d'ouvrir et de fermer le clapet de l'appareil afin d'avoir toujours une petite lumière.


    Quand l'équipe fut finalement réunie, ils montèrent sur le toit. Là-haut, Shintarou interdit de toucher à n'importe quoi. Ses amis le regardèrent donc œuvrer en silence. L'aspirant vétérinaire noua une des cordes à une des quatre petites cheminées rondes métalliques et la laissa pendre dans le vide. Il passa ensuite une autre corde à une autre et demanda à Kou et Takaishi de la tenir puis recommanda de la laisser défiler quand il descendrait avec sans jamais la lâcher. Le rouquin s'attacha ensuite à l'autre bout.


    En montant sur le rebord du toit, le rouquin se retourna et s'agrippa à la corde qui pendait. Sans se soucier d'être retenu ou non par le harnais de fortune confectionné, il se laissa glisser jusqu'au premier étage.


    Pendant ce temps, Seiichi n'avait pas accompagné le reste de son groupe. Il avait rejoint directement la porte de Rentarou et attendait d'entendre la réaction de surprise de son meilleur ami en apercevant la tête rousse du singe à sa fenêtre.


    Pour meubler l'ennui, l'adolescent s'adossa nonchalamment contre la porte et se retint d'allumer son MPX. Son bras s'appuya accidentellement sur la poignée qui s'ouvrit à cet instant et fit basculer le jeune ninja au sol en moins de trente secondes.


    Déstabilisé par la chute, toujours sur le plancher, ses yeux regardèrent autour de lui. Apparemment, il venait d'entrer dans la chambre de son meilleur ami. Seiichi se releva un peu douloureusement et se frotta l'arrière du crâne, en observant l'environnement. Le propriétaire des lieux avait disparu de ces lieux.


    C'est génial ! Nous venons de passer trois heures à construire et à réaliser un plan pour accéder à cette maudite chambre en enfreignant au passage plus de la moitié du règlement de l'école … J'arrive à entrer finalement …. Et il n'est pas là !!! Il va m'entendre !

     

    Plongé dans ses pensées intérieures, Seiichi ne perçut le toquement répété sur le carreau de la fenêtre qu'au bout de la troisième fois. Il tourna alors la tête et vit la tête rousse de Shintarou à travers. Le jeune homme alla lui ouvrir et l'aida à s'introduire dans la pièce.
    - Tu es entré comment ?


    - Par hasard, soupira son interlocuteur. La porte était ouverte.


    Shintarou se demanda si son compagnon n'avait pas tombé en faisant cette découverte. Son camarade était décoiffé et portait une petite marque dans le cou. Le petit rouquin dut faire de gros efforts pour ne pas rire car son imagination lui permettait déjà de visualiser son ami en pleine chute.


    Lorsque son camarade s'en alla, Seiichi s'assit sur le lit et attendit le retour de Rentarou. Il espéra en même temps que celui-ci reviendrait. Au fond de lui existait la craindre de perdre définitivement son meilleur ami mais n'osait pas se l'avouer.


    Au bout d'une demie-heure, Rentarou revint à sa chambre en tenant un paquet de chips sous le bras. Celui-ci s'immobilisa en découvrant sa porte ouverte.


    - Je croyais que ta mère t'avait dit que manger des chips n'était pas bien.


    En relevant immédiatement la tête, Rentarou aperçut l'adolescent aux cheveux ébènes sur son lit. Celui-ci arborait un visage très sévère et parlait avec un ton très sec.


    - Seiichi ? Que fais-tu là ?


    - Oh rien du tout ! ironisa t-il d'une voix tranchante. Depuis Mercredi, je m'inquiète, comme le reste de la bande, et j'ai même consolé Shin en restant plus d'une heure sous la pluie. Du coup, j'ai passé quatre jours au lit avec une forte fièvre car mon rhume s'est empiré. Ce matin, nous avons organisé un plan génial pour parler à notre copain. Shin et moi avons réussi à sortir de classe, nous avons dépensé plus de 4.600 yens de téléphone pour raconter un mensonge convenable à Aizawa-sensei pour libérer Fukuda-kun et Taka-chan. J'ai ensuite dû affronter ma peur du noir pour trouver de fichues cordes à la cave. Shin a descendu en rappel jusqu'à ta fenêtre. Et pendant ce temps, j'attendais devant la porte de ta chambre …. Cette porte qui était bien sur ouverte ! Mais à part tout cela, tout va très bien !


    Sans comprendre la totalité du long monologue de Seiichi, car certains passages restèrent assez incompréhensibles, Rentarou prit subitement conscience qu'il avait toujours des amis auprès de lui. Ces derniers jours, son esprit avait essayé de ne pas y penser. Seuls ses souvenirs concernant Matsuda et de sa blessure causée à son cœur avaient de l'importance.


    - Je suis désolé … , murmura Rentarou en venant s'asseoir près de son meilleur ami, mais j'ai peur.


    - C'est au sujet de Matsuda, n'est-ce pas ?


    La mention de ce nom était encore très douloureuse pour Rentarou. Celui-ci se gela en l'entendant. Il s'étonna aussi que son ami soit au courant.


    - Comment le sais-tu ?


    - Tout le monde sait maintenant qu'il est parti. En sachant qu'il était ton ami d'enfance, il n'était donc pas dur d'imaginer que tu te sentais affaibli par ce choc.


    Rentarou garda le silence un long instant. Certes, au début, il n'avait pas compris ce départ. A présent, avec du recul, il commençait à l'accepter. Le lycéen géant savait que son ami d'enfance rêvait de devenir un joueur professionnel. C'était naturel de vouloir les meilleures choses pour réaliser ses objectifs. Mais la douleur des mots que celui-ci lui avait dite résonnait toujours en lui.


    - Ce n'est pas vraiment ça …


    Lentement et difficilement, le jeune homme réussit à raconter son histoire. Il répéta les phrases que lui avaient dites Matsuda et lui parla aussi de ses crises d'hyperventilation.


    - J'ai peur, Seiichi … Si je continue comme ça … Si je rencontre des gens et je deviens ami avec eux et finissent par me tourner le dos … J'ai peur …. J'ai peur d'en mourir !


    Depuis le début de la conversation, Seiichi était rester à écouter son meilleur ami. En le voyant si agité et déprimé, le jeune ninja posa sa main sur son épaule.


    - Tu ne mourras pas ainsi, Rentarou. Et si cela peut te rassurer, je ne te lâcherais jamais moi !


    - Je sais qu'on ne meurt pas de ça, reprit Rentarou. Mais tu n'as jamais ressenti une crise d'hyperventilation. Chaque fois, tu crois que tu vas y passer. C'est horrible ! Ca fait mal à en mourir, pendant des heures tu as l'impression, mais tu n'en meurs jamais !


    - L'hyperventilation se déclenche avec le stress et l'angoisse, n'est-ce pas ?


    - Dans mon cas, oui.


    - Eh bien, tu dois justement sortir de cette chambre, Rentarou, et recommencer à vivre. Si tu restes focalisé sur tes souvenirs actuels, tu ne ressentiras que l'angoisse de tes crises et du rejet. Par contre, à l'extérieur, il y a tout un monde qui t'attend pour te faire de bons souvenirs avec tes amis.


    L'adolescent aux cheveux ébènes marqua une courte pause et reprit de suite :


    - La tristesse, le désespoir et le sentiment d'abandon ne disparaissent pas. Je le sais. Cependant tu peux les mélanger avec la joie, l'espoir et la confiance. Quand tu as envie de pleurer, ris. Ce n'est peut être pas la meilleure solution mais cela soulage assez bien les blessures morales.


    - C'est ce que tu fais, Seiichi ?


    - J'essaie, répondit-il, mais Shin est beaucoup plus doué que moi.


    Rentarou fronça les sourcils. Il avait déjà entendu son ami mentionner ce nom plusieurs fois par son ami et se demanda de qui il s'agissait.


    - Qui est Shin ?


    - Shintarou, bien sur.


    Pour le lycéen géant, il n'existait qu'un seul élève portant ce prénom. Cependant la probabilité de voir son meilleur ami et le rouquin s'entendre lui paraissait aussi forte que de gagner au loto sans acheter de ticket.


    - Le Shintarou qu'on connait ? Un rouquin petit qui grimpe aux murs comme un singe et mange avec ses mains ?


    - Évidemment. Il n'en existe pas cinquante.


    - On dirait qu'il s'est passé vraiment beaucoup de choses à l'extérieur, soupira Rentarou.
    Les deux garçons restèrent silencieusement plusieurs minutes. Seiichi rompit ce silence.


    - J'ai pris enfin ma décision, Rentarou.


    - Comment ça ?


    - A propos de ma famille. Je suis décidé à partir. Je vais utiliser le temps que je suis au lycée, payé par mes parents, pour gagner de l'argent. Je vais essayer d'économiser pour être indépendant et si je peux pour aller à l'université.


    - Eh ? C'est vrai ? C'est génial !


    - Ce n'est pas encore fait, Rentarou, dit Seiichi. C'est un chemin très long et difficile. Cependant à te voir toujours si déterminé par tes objectifs et à donner tout pour les réaliser, je veux aussi faire pareil et réaliser les miens.


    En entendant la répartie de son meilleur ami, un déclic s'enclencha dans l'esprit de Rentarou. Celui-ci se souvint être un garçon toujours combattif allant jusqu'au bout d'une tâche quand il l'entreprenait. Le jeune homme se remémora de ses propres rêves de justice et égalité, de de ce puissant désir en lui de transformer la société nippone en empêchant n'importe quel citoyen de mourir de faim, de solitude et de désespoir. Des souvenirs du plan de carrière dans la police qui se traçait dans sa tête pour réaliser son rêve apparurent aussi. Il se rappela aussi de tous ces efforts consentis pour arriver au lycée.


    - Je ne suis pas un enfant, murmura t-il à lui-même.


    Les enfants n'avaient aucune conscience de la faisabilité des choses. Ils pensaient uniquement à obtenir les choses selon leurs désirs.


    Son état d'esprit différait de cette description. Rentarou savait que les choses auxquelles il aspirait étaient très lointaines et cela lui serait très difficile de les obtenir. Parfois, le jeune colosse pensait même que c'était impossible.


    Mais l'adolescent croyait en lui et en son potentiel. Il croyait en sa réussite. Même si c'était très dur et pénible, le jeune homme ne renonçait pas et ne se décourageait pas.


    Pour toujours, Rentarou continuerait à croire en lui.


    En se levant du lit, le lycéen géant marcha dans la pièce jusqu'à la caisse où reposait ses affaires de tennis. Il s'accroupit, reprit en main sa raquette et se releva.


    - Je ne suis plus un enfant.


    Frénétiquement, Rentarou gratta les cordes de sa raquette.


    - Et je vais apprendre cette leçon à Katsuo-sempai la prochaine fois que nous nous verrons.


    Resté sur le bord du lit, Seiichi observa son meilleur ami retrouver sa confiance en lui et sourit.

     

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  • Chapitre 36


    Lors de la matinée du lendemain, Shintarou suivait ses camarades de classe en silence derrière eux en revenant de leur séance d'Education Physique. Il ne se comportait pas normalement et demeurait parfaitement silencieux, la tête baissée, le regard balayant les carrelages sous ses baskets.


    Lors des exercices de gymnastique, le petit rouquin ne s'était pas distingué une seule fois. En fait, si. Malheureusement de manière négative. Il n'avait cessé de s'emmêler dans ses figures et positions et s'était cassé la figure à chaque tentative.


    Malgré les rires et les plaisanteries qui fusaient autour de lui, il ne s'en souciait pas. Une chose plus importante occupait toute sa place dans son esprit et l'empêchait de de se concentrer sur ses activités quotidiennes et d'être aussi jovial qu'à l'accoutumée.


    Quand Shintarou arriva à la salle de classe de Japonais, il s'installa à sa place et sortit ses affaires en pilote automatique mais n'écouta pas le cours. Le jeune homme ne prit même pas la peine d'ouvrir son manuel, son bloc-note ou son livre d'étude et se contenta d'attendre avec ennui la fin du cours en soutenant sa tête avec ses mains.


    Comme le rouquin se trouvait au second rang, la professeur Noda repéra son manège et se fâcha après lui. Il ne lâcha aucun trait d'humour et obtempéra docilement. Le garçon ouvrit son livre et prit son stylo pour écrire. Toutefois, il n'écrivit jamais rien sur son bloc.


    A l'heure du déjeuner, Shintarou évita Seiichi en sortant rapidement de la salle et alla au réfectoire. Après avoir attendu une vingtaine de minutes pour ne pas prendre qu'un bol de riz, il partit s'asseoir à une table isolée. D'habitude très gourmand, le garçon ne se jeta pas sur sa nourriture et demeura extrêmement pensif à la contempler, les mains entre sa tête.


    - Puis-je m'asseoir ?


    Levant à peine les yeux, Shintarou vit la silhouette de l'adolescent aux cheveux ébènes poser un plateau très chargé sur la table puis tirer la chaise devant lui et s'y asseoir.


    - Pourquoi demander ? Tu le fais de toi-même.


    Seiichi tiqua. Le ton utilisé par son condisciple pour sa répartie était si faible et peu convaincant que son inquiétude se renforça.


    - Qu'est qui ne va pas ?


    - Ca va … , marmonna son interlocuteur.


    En disant ces deux mots, il posa ses bras sur la table et lova sa tête à l'intérieur pour empêcher Seiichi d'observer son visage et d'analyser ses émotions.


    - Fujita, tu ne vas pas bien du tout, insista Seiichi. Tu as échoué à tous les exercices ce matin, tu n'as pas plaisanté une fois, tu n'as rien écouté des cours et tu fuis jusqu'ici tes amis.

     

    - Pourquoi ?


    Shintarou ne prononça pas une seule parole en retour. Il conserva sa tête enfouie. Les seuls bruits que Seiichi perçut et qui l'alerta, ce fut des reniflements et des sanglots étouffés.


    - Shin … , tu pleures ?


    Brusquement, le rouquin redressa la tête lentement. Son visage n'était pas beau à voir. Ses yeux avaient rougis à cause de ses larmes. Son nez gouttait aussi. Il pleurait encore un peu.


    - Shi … Shiromiya … Tu en penses quoi, toi ?


    - Dis-moi déjà ce qui te met dans un tel état et je te répondrais.


    - Le départ de Rentarou …


    - Attends ! Rentarou n'est pas parti ! Il n'est pas mort non plus que je sache !


    Sans s'en rendre compte, l'adolescent aux cheveux ébènes cria cette réplique tant cette idée le révulsait. Les autres étudiants mangeant dans le réfectoire se retournèrent pour les suivre momentanément du regard mais aucun des deux garçons n'y prêta attention.


    - Tu n'as pas compris encore ?


    - Rentarou n'abandonne pas ses amis ! Il ne nous lâcherait jamais !


    - Et comment tu expliques le carton qui était devant sa porte ?


    Seiichi ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Il se souvint lui aussi de ce carton et des affaires que celui-ci contenait.


    - Sa porte était fermée …


    Il n'ajouta toujours rien. Le jeune ninja se rappela parfaitement avoir frappé longtemps à cette fameuse porte. Assez longtemps pour faire venir Onita et récolter une retenue.


    - Et il n'est pas venu en cours ….


    Seiichi resta toujours silencieux. Toutes ces choses inhabituelles relevées par Shintarou le troublaient aussi. Cependant il gardait confiance en son meilleur ami. Le jeune ninja savait à quel type de personne était Satsuma Rentarou. Jamais celui-ci partirait en laissant ses amis derrière, surtout sans rien dire auparavant.


    - Je pense qu'il est plutôt blessé.


    En y réfléchissant attentivement, Seiichi était convaincu de la validité de son argument. Son meilleur ami gardait toujours tout en lui, surtout ce qui lui faisait mal. Se replier dans sa chambre ou dans un lieu inaccesible des autres se révélait son habitude la plus courante quand il souffrait.


    - Blessé ? répéta Shintarou en arquant un sourcil. Il faut aller à l'infirmerie alors !


    - Ce n'est pas physique, soupira Seiichi. Je pense qu'il a subi un coup moral hier soir. J'ignore malheureusement de quoi il s'agit.


    Contractant ses poings, Shintarou se fâcha et se releva :


    - Tu dis n'importe quoi ! Je dis qu'il est parti ! Il ne reviendra pas, idiot !


    Aveuglé par la colère, le petit rouquin ne laissa pas le temps à son condisciple de l'apaiser ou de le contredire, il partit en courant. Seiichi l'observa s'éloigna, le regard triste. Il se demanda à nouveau ce qui était arrivé à Rentarou.


    - Tu déjeunes seul, Seiichi-kun ? C'est devenu rare.


    Émergeant de ses pensées, il leva la tête et aperçut Yoko tenant son plateau près de lui. Après lui avoir demandé la permission de s'installer à sa table, elle s'assit.


    - Satsuma-kun va bien ? demanda t-elle inquiète.


    - Aucune idée. Il n'est pas venu en cours ce matin.


    - Je vois. C'est sans doute lié à ce qui s'est passé hier.


    Seiichi se figea complètement en entendant cette phrase. Il se souvint que Rentarou était très gai la dernière fois qu'il l'avait vu à la bibliothèque. Cela signifiait qu'un événement grave s'était produit ensuite. Un événement dont la jeune fille avait eu connaissance.


    - Yoko-chan, que s'est-il passé exactement ?


    Seiichi ne le remarqua pas mais sa voix tremblait.


    - Il est venu à mon bureau hier soir. Il était très nerveux et agité. Il n'était vraiment pas dans son état normal. Il m'a demandé des informations sur un étudiant qui vient de changer d'école : Matsuda Katsuo. En lui confirmant cette nouvelle, il semblait encore plus mal.


    Quand il entendit le nom de Matsuda, l'adolescent aux cheveux ébènes crut sentir son cœur s'arrêter. Sa bouche resta entrouverte quelques instants.


    - Cela explique tout … , murmura t-il d'un air sombre.


    - Qu'est qui arrive à Satsuma-kun ? exigea Yoko.


    - Il n'est pas venu en cours ce matin. Personne ne l'a vu.


    - Il est peut-être à l'infirmerie ? Tu es allé voir ?


    - Il n'y sera pas. Je suis convaincu qu'il est dans sa chambre.


    Repliant la tête comme s'il voulait la rentrer dans son cou comme les tortues, Seiichi ressentit une profonde tristesse pour son ami. C'était tellement injuste ! Rentarou était la personne vivant le plus purement et croyant pieusement en des mots tels que justice ou égalité en ce monde égoïste. Il ne méritait un pareil sort.


    - Pourquoi penses tu ça ? Seiichi-kun, dis-moi la vérité !


    Par son éducation rigide, le jeune ninja avait appris à ne rien craindre et surtout à ne pas manifester sa peur. Cependant il pensa, à ce moment précis, que son amie en colère représentait une menace aussi effrayante que les épreuves de son père.


    - Matsuda Katsuo est l'ami d'enfance de Rentarou. Ils ont grandi et joué ensemble jusqu'à ce que Rentarou quitte l'école. Il lui a aussi appris le tennis.


    Yoko écouta silencieusement les informations que lui donnait son ami. Son visage exprima la tristesse et la compassion ressenties pour le lycéen géant.


    - Je pense même qu'il a été le seul ami que Rentarou n'ait jamais eu avant de venir dans ce lycée et de nous rencontrer.


    - Je comprends mieux pourquoi il était ainsi, admit Yoko avant de lever ses yeux vers Seiichi. Et toi, comment te sens-tu ?


    - Je vais bien, répondit-il d'un ton acerbe. C'est Rentarou qui ne va pas bien ! Pas moi !


    - Non, tu ne vas pas bien, Seiichi-kun, réfuta t-elle. Je me sens moi-même un peu abattu … Mais toi, tu es son meilleur ami ! Tu es forcément beaucoup plus touché, surtout que tu ne peux rien faire du tout pour l'aider.


    Le regard de Seiichi se durcit en entendant ces dernières paroles. Le jeune homme abattit ses poings serrés sur la table et fit sauter le plateau posé dessus.


    - Merci de me rappeler que je suis inutile !


    A cet instant, le jeune ninja avait adopté son intonation masculine la plus véhémente. Il se leva ensuite promptement et quitta le réfectoire. Yoko le regarda s'éloigner d'un regard triste. Elle posa sa main contre sa tête et maudit très fort son besoin constant de faire la leçon aux autres.


    Je suis une idiote. La dernière chose que Seiichi-kun a besoin en ce moment est de le lui rappeler son impuissance. Après tout, Satsuma-kun passe son temps à aider tout le monde. Ce doit être horriblement frustrant de ne pas pouvoir l'aider quand lui en a besoin. Quelle idiote !

     

    ***



    En premier, les cils de ses paupières se relevèrent. Celles-ci s'ouvrirent progressivement et aperçurent un plafond blanc au-dessus de lui. l'espace instant, il chercha à se souvenir de sa locvalisation. En pivotant sa tête d'un quart de tour, le jeune homme aux cheveux de jais découvrit qu'il se trouvait dans sa chambre.


    En s'asseyant au bord du lit, Rentarou se rappelait difficilement comment il était rentré. Vaguement, très vaguement, des réminiscences, de courts flashs, s'imposaient dans son esprit, où il se voyait marcher sans but dans la ville sous une forte pluie. La main posée sur son crâne, l'adolescent éprouvait une sensation similaire à celles que procuraient un excès de boissons alcoolisées.


    Ses yeux balayèrent rapidement l'ensemble de la pièce. Il remarqua que les tiroirs de sa commode étaient ouverts. Deux étaient vides. Également, les différents posters collés sur les murs représentant des tennismen célèbres avaient été arraché sauvageusement.


    En pivotant vers la tête de lit, ses souvenirs revinrent brutalement d'un coup. Il se souvint, à cet emplacement, avoir punaisé une affiche de Rafael Nadal, le joueur qu'il admirait le plus. Rentarou pensa immédiatement au tennis. Aussitôt, le souvenir d'avoir jeté toutes ses affaires liées à ce sport le submergea.


    En remontant sur son lit, l'adolescent se recroquevilla en boule. Il serra ses mains autour de ses jambes très fort. Le jeune homme ne voulait plus jamais jouer au tennis. Ni en entendre parler. Plus jamais !


    Son corps entier trembla. Penser au tennis lui remettait en mémoire sa conversation d'hier avec Matsuda. Il se sentait tellement trahi et humilié. Rentarou admettait parfois se comporter comme un enfant. Ses amis le lui faisaient remarquer. Mais son cerveau était particulièrement curieux. Tout ce que l'adolescent ne connaissait pas encore, il voulait le découvrir et posait sans cesse des questions jusqu'à comprendre parfaitement sur le sujet qui l'intéressait. Le jeune colosse savait aussi que ses idées sur la justice étaient très controversées. Peu de personne les approuvait. En fait, tout le monde s'en moquait. Il lui semblait agir de manière juste et normale. Néanmoins, les autres pensaient que ses agissements ne correspondaient pas à la normalité telle qu'ils la concevaient. Ils s'interrogeaient alors longtemps sur les raisons le poussant à commettre telle action.


    Comme un enfant …


    Cette phrase … Ces trois petits mots … Ils provoquaient un chamboulement sans pareil dans son esprit. Était-ce si mal d'agir comme un enfant ? A ses yeux, Rentarou trouvait cela magnifique de rester fidèle aux idées et valeurs reçues au cours de son enfance et de les porter avec fierté.


    Mais peut-être se trompait-il ? Peut-être sa manière de pensée était-elle trop enfantine …
    Vers sept heures, plusieurs coups frappèrent contre le bois de la porte. Il perçut aussi la voix de son ami roux au-delà mais ne lui répondit pas. Le lycéen géant demeura parfaitement silencieux et laissa penser avoir quitté sa chambre.


    Lorsque Shintarou cessa de cogner, grâce à l'intervention d'Onita qui en avait assez d'entendre un tel raffut selon ses propres termes, Rentarou se laissa retomber sur son matelas sans amortir sa chute.


    Autrefois, le jeune colosse aurait accouru pour répondre à un de ses amis. A présent, le jeune homme n'avait plus envie de voir personne. Son esprit restait obnubilé par Matsuda et ses paroles. Si LUI le trahissait et LUI causait une douleur aussi importante, il ne voulait plus voir personne. Rentarou ne voulait plus prendre le risque de souffrir encore. Cela faisait beaucoup trop mal.


    Fermant les yeux, sa mémoire le ramena en arrière. Dix années plus tôt …

     

     

    ***

     

    Pour la première fois de sa courte vie, Rentarou ne passait pas les vacances d'été avec sa mère en ville. Cette année, son école avait organisé un séjour de trois semaines. Sur la brochure distribuée aux parents, la proposition était très alléchante. Le concept consistait à envoyer les enfants au bord de la mer au lieu de les laisser s'ennuyer un mois complet sur le macadam de leur quartier ou devant la télévision.


    Cependant Rentarou était différent. Il aurait préféré rester en ville. S'amuser était exclu pour lui. Il n'avait, bien sur, rien dit à sa mère pour ne pas la peiner, ni l'inquiéter.


    Il restait donc tranquillement assis dans un coin de la cour et lisait sagement un gros livre de contes que sa mère lui avait offert. Évidemment, l'ouvrage était écrit avec des hiraganas et non avec les si difficiles kanjis. L'enfant se passionnait pour les récits lus et plongeait dedans avec avidité.


    Le troisième jour du séjour, une voix aiguë et forte le tira de la lecture :


    - Hey, toi !


    Redressant la tête, le petit aperçut en face de lui un garçon beaucoup plus grand et âgé que lui. Il le reconnaissait. C'était un élève appartenant à la cour de l'autre côté du mur. C'est à dire de l'école élémentaire. Comme beaucoup d'enfants de sa maternelle, il grimpait parfois dessus, quand les institutrices se trouvaient ailleurs, et observait ces grands enfants.


    Rentarou avait déjà remarqué que ce garçon-là était l'un des plus jeunes de l'école mais cela ne l'empêchait pas de se faire respecter. Il se plaisait aussi à intervenir si un élève était maltraité par un plus fort que lui. Parfois, ce jeune héros escaladait aussi le mur et passait dans la cour de la maternelle quand ses oreilles entendaient des cris venant de cette direction. Il défendait ceux qui pleuraient, les consolait et faisait la leçon à leur bourreau.


    Pour toutes ces raisons, Rentarou admirait ce garçon. Il rêvait de devenir un jour aussi grand, fort, généreux et attentionné que son héros.


    - Qui y a t-il ? demanda t-il d'une petite voix.


    - Je me demandais pourquoi tu étais tout seul. Tu ne vas pas jouer ?


    - On ne va dans l'eau que trois heures dans l'après-midi. Le reste du temps, on doit rester ici et jouer bien sagement.


    - Mais tu ne joues pas ! Pourquoi tu vas pas jouer au ballon ou à la balançoire ?


    - C'est pas marrant de faire de la balançoire toute la matinée, marmonna Rentarou. Je préfère lire.
    - Vas jouer avec les autres enfants. Là, tu t'amuseras.


    En lui parlant, l'enfant adressa un sourire magnifique à son interlocuteur. Il sembla au petit garçon que son visage resplendissait et s'illuminait.


    - Je ne peux pas faire ça …


    - Bien sur que tu peux !


    Rentarou secoua négativement la tête. Un regard triste s'alluma dans ses yeux.


    - Non … Kou-kun interdit aux autres de jouer avec moi …. Personne ne désobéit à Kou-kun … Et puis j'aime bien être tout seul. J'ai pas d'ennuis.


    - Moi, je jouerais avec toi, décida son ainé.


    En disant cette phrase, il tendit sa main droite en direction du petit garçon à terre.


    - Je m'appelle Matsuda Katsuo, première année classe C !


    Surpris, Rentarou observa longuement cette main tendue. Il fréquentait l'école depuis un an maintenant. Personne ne l'avait traité aussi gentiment. Le petit garçon sourit en retour et tendit la sienne. Katsuo l'attrapa et l'aida à se relever.


    - On est vraiment amis, Katsuo-sempai ? Je peux vraiment être avec toi ?


    - Je te le promets. Je serais toujours avec toi, Rentarou-kun. Toujours de ton côté. Je te protègerais si tu te fais attaquer et je te soutiendrais si tu as des ennuis un jour.


    Rentarou se tut et sourit de ravissement. Il n'avait jamais encore expérimenté un tel bonheur.


    - Allez viens, Rentarou-kun ! Je vais t'enseigner un jeu génial !


    - J'arrive !

    ***



    Des larmes coulaient le long de ses joues. Se souvenir de sa première rencontre avec Matsuda était horriblement douloureux. Le sentiment de trahison qui s'immisçait dans son être lui causait davantage de souffrances qu'un coup de poing pris à la mâchoire ou à l'estomac.


    Son corps réagissait étrangement. Il tremblait de plus en plus. Sa poitrine le brûlait. Sa respiration s'accélérait et montait en crescendo. Elle se faisait ensuite de manière saccadée. Toutes les trois secondes, ses poumons refusaient de s'ouvrir. L'impression qui s'imposait à son esprit était d'étouffer. Comme s'il se noyait.


    Pour la seconde fois, l'adolescent pensa qu'il était en train de mourir.


    Même s'il était très déçu par la vie, Rentarou se refusait de mourir. Naturellement, le jeune homme savait qu'un jour, inéluctablement, sa vie viendrait à son terme. Cependant il voulait que ce soit le plus tard possible et souhaitait voir jusqu'où il était capable d'aller avant cette échéance.


    Au début, il essaya de lutter et de reprendre le contrôle de son corps et de sa respiration. La sensation d'étouffement lui sembla empirer encore plus. Ses souvenirs lui rappelèrent alors avoir déjà ressenti ces symptômes hier soir.


    Rentarou fit alors ce qu'il avait fait la première fois instinctivement. Sa main se plaqua contre sa bouche. Il mit en position de repos tout le reste de son corps et essaya de reprendre son calme le plus possible en inspirant et expirant dans le creux de sa main. Déphasé, toute notion du temps se perdit.


    Lorsque son malaise s'arrêta, Rentarou demeura un bon quart d'heure sans rien faire, ni bouger un seul muscle. Il reposa le bras utilisé pour recouvrir sa bouche et son nez sur son matelas. Finalement, le jeune homme s'assura que tout était revenu à la normale.


    En se redressant finalement, le jeune colosse s'inquiéta. Non seulement, cette crise était foudroyante mais elle se révélait aussi récurrente. Deux fois en moins de douze heures d'écart, cela faisait beaucoup. Crise cardiaque ? Infarctus ? Il avait lu une fois que certaines victimes souffraient plusieurs fois de très fortes douleurs dans la poitrine.


    De plus en plus inquiet, Rentarou se décida à consulter l'infirmière. Il tourna la tête vers son réveil. Celui-ci afficha neuf heures et vingt minutes. Par conséquent, plus personne ne circulait dans les couloirs du bâtiment de vie scolaire.


    Il quitta sa chambre, descendit au rez-de-chaussée et pénétra dans l'infirmerie. Ses yeux cherchèrent la maîtresse des lieux et remarquèrent, avec soulagement, que celle-ci n'avait pas d'autre patient. Elle arriva rapidement dès qu'elle entendit les pas de son visiteur.


    - Rentarou-kun ? Que fais-tu habillé ainsi ? s'étonna Haruko. Tu vas avoir froid avec ce short !


    Ne comprenant pas la question, l'adolescent se regarda. Il aperçut qu'il portait toujours sa tenue de titulaire. La seule chose ayant échappé à son ménage.


    - On dirait que j'ai oublié de le jeter, marmonna t-il.


    - Le jeter ? Tu veux dire le mettre à laver ? s'amusa l'infirmière.


    - Non. Je jette toutes mes affaires de tennis et j'abandonne cette activité stupide.


    A présent, Haruko s'inquiéta. Il n'était absolument pas naturel d'entendre de tels propos. Elle devinait qu'un drame affectif s'était déroulé dans la vie de l'adolescent et l'avait poussé à prendre cette décision sous le coup d'une émotion impulsive.


    Néanmoins, la jeune femme ne formula pas la moindre critique ni question sur le sujet. Elle se contenta de le prier de s'asseoir sur l'un des lits et lui demanda pourquoi il venait la consulter. Son patient rapporta ses deux malaises depuis hier soir. Sans rentrer dans les détails des circonstances, Rentarou décrivit uniquement les différents symptômes ressentis. Très attentive, Haruko suivit ce récit et décida de l'examiner. Elle prit son stéthoscope d'une poche de sa tunique blanche et l'ausculta. La praticienne écouta les battements du cœur et le rythme respiratoire avant de prendre sa tension, ses pulsations et d'autres constances vitales.


    - Tout est normal, conclut-elle en laissant son stéthoscope reposer sur sa poitrine.


    - C'est pas possible ! J'ai rien inventé ! J'avais vraiment mal ! J'ai cru mourir !


    - Je te crois, Rentarou-kun, assura Haruko pour calmer l'irritabilité de l'adolescent. Cependant il se peut que ton malaise s'explique par une cause non physique.


    - Je ne comprends pas. Si j'ai mal dans la poitrine, c'est physique.


    - Dans le corps humain, il y a deux choses, Rentarou-kun. D'abord ton corps physique. Ensuite vient ce qu'on appelle le mental ou le psychisme, détailla l'infirmière. Il arrive dans certains cas, quand l'esprit va mal, il traduit son mal-être sur le corps.


    Rentarou garda sa tête basse. Il écouta en silence ses explications. Le propos était plutôt fondé. Il allait très mal. Mais pas question de le dire !


    - Tu peux faire le dur, Rentarou-kun, mais j'avais déjà deviné quand tu es rentré que tu souffrais psychologiquement, reprit-elle un peu plus sévère.


    - A quoi vous pouvez voir ça ? répliqua t-il en haussant les épaules.


    - Lundi après-midi, il faisait beau. Tu t'entrainais dehors au club avec tes copains. A un moment, une balle ait atterri près de la vitre de l'infirmerie et tu es venu la chercher. Tu aimais toujours le tennis à ce moment-là, énonça Haruko. Pour changer d'opinion en moins d'une journée, il faut un sacré déclencheur. Or, un tel déclencheur expliquerait tes crises.


    Regrettant d'être venu, Rentarou se demanda comment se sortir de là. Il n'avait pas besoin d'y réfléchir. Quand Haruko décidait d'interroger quelqu'un, celle-ci ne le lâchait pas avant d'avoir obtenu ce qu'elle cherchait.


    - Katsuo-sempai, mon ami d'enfance … m'a trahi, murmura t-il après une longue hésitation. Il m'avait promis d'être toujours mon ami et de me soutenir … Mais il m'a trahi et m'a dit des choses horribles … Il me répétait que je n'étais qu'un enfant …


    En pensant à tous ces mots dits la veille, Rentarou sentit son chagrin revenir. Il lutta fermement pour résister aux larmes naissantes dans ses yeux. Ses mains serrèrent le drap sur le lit pour s'aider à se contrôler.


    - Tu peux pleurer, lui dit gentiment Haruko en posant sa main sur l'épaule.


    - Ceux sont les faibles et les enfants qui pleurent, rétorqua Rentarou. Je veux être adulte. Je veux être fort, très fort. Alors je ne pleurerais pas.


    - Être adulte et ne pas pleurer, cela ne veut pas dire que tu sois fort, le contredit Haruko. Je pense au contraire qu'il faut posséder une très grande force pour avouer sa faiblesse et pleurer.


    - Il faut être fort en étant faible ? Ca n'a pas sens, protesta Rentarou confus.


    Haruko sourit. Elle se retint aussi de secouer la tête. Décidément, les adolescents ressemblaient tous. Ils pensaient tous les mêmes choses, ressentaient les mêmes émotions, se prétendaient être unique au monde et affirmaient aussi que personne d'autre qu'eux ne connaissait un tel tourment.


    - Force et faiblesse sont un état d'esprit. Si tu penses être fort alors tu te sens bien. Au contraire, si tu crois être faible, tu te dévalues. Cependant la véritable force est d'oublier ces deux extrêmes. Il y aura toujours des moments dans ta vie où tu iras bien et d'autres très mal. Tu dois l'accepter et continuer à avancer en faisant de ton mieux pour changer le mal en bien.


    Rentarou releva légèrement la tête. Il approuva les paroles qui sortaient de la bouche de l'infirmière. Avancer sur son chemin sans se soucier des critiques des autres lui plaisait. Le jeune homme imaginait aussi dans cette idée continuer seul sans se préoccuper des autres.


    - Pour en revenir à ton malaise, Rentarou-kun, j'avais déjà prévu que tu puisses un jour faire une telle crise.


    - Comment ça ? Vous êtes magicienne ? s'écria Rentarou, bluffé.


    - J'étudie les dossiers médicaux de tous les élèves avant la rentrée, révéla Haruko. Dans le tien, une chose m'a intrigué. Tu n'as jamais été malade depuis tes deux ans et demi après avoir fait toutes les maladies infantiles. Par contre, tu as fait un étrange malaise à l'âge de huit ans. Malheureusement, je déplore que les médecins qui se sont occupés de toi n'ont pas tenu à approfondir ton cas.


    Le corps de Rentarou se figea. Il ne voulut pas se souvenir de ce jour-là.


    - Avec ce qui ait arrivé à ta mère, je comprends ce qui s'est passé. Cependant je …


    - JE NE VEUX PAS PARLER DE CA !!!


    En posant le regard sur son jeune patient, Haruko remarqua tout de suite que sa respiration siffla et s'accéléra. Son visage exprima une douleur si effroyable qu'elle s'apitoya de sa triste histoire.


    - Ce qui s'est passé ce jour-là est le déclencheur de tes crises, Rentarou-kun.


    - Quel est le rapport ? demanda t-il d'un ton encore agressif.


    - La séparation avec ta mère, ajouté au stress accumulé auparavant, a produit beaucoup d'angoisse. Cela s'est transmis à ton corps. Ensuite hier, tu as revécu cet état d'angoisse, d'abandon et de solitude quand ton ami t'a annoncé qu'il quittait le lycée et ne voulait plus être ton ami.


    - Mon esprit a voulu me tuer ? Je ne veux pourtant pas mourir !


    - On ne meurt jamais de cette crise. C'est incroyablement douloureux. On croit mourir à chacune d'elle, à chaque fois qu'on essaie de respirer, mais on ne meurt jamais, dit Haruko tristement.


    - Vous savez ce que c'est alors ?


    Malgré l'agitation et la nervosité de l'adolescent, l'infirmière résuma son diagnostic en un seul mot d'une voix calme et posée :


    - Hyperventilation.


    - Qu'est que c'est ?


    - Il s'agit d'une accélération et amplification de la respiration. Elle résulte de nombreux facteurs comme l'effort physique, les angoisses, le stress et dans le cadre de maladies respiratoires. Dans ton propre cas, tu dois réagir au stress et aux angoisses.


    - Mon corps me donne l'impression de mourir pour refléter mon état d'esprit ?


    - C'est un peu plus compliqué mais je ne t'ennuierais pas avec les détails, reprit Haruko. Je vais t'enseigner ce dont tu as besoin savoir quand tu as une crise. Également, tu m'accompagneras Samedi matin à l'hôpital. Tu dois passer quelques examens pour confirmer mes hypothèses.


    Rentarou opina de la tête. Il espéra aussi être dispensé assez longtemps de se rendre en cours mais ne se rattacha pas beaucoup à ce mince espoir.


    - Et Lundi matin, tu retournes en classe, décida t-elle d'un ton impérieux. Il n'est pas bon pour toi de rester isolé à ruminer tes pensées.

     

    ***

     

    Au cours de l'après-midi, Shintarou s'était ennuyé ferme. Peu motivé par le cours d'Anglais, il avait séché et était resté plus de deux heures adossé contre la façade de l'entrée du lycée sous une pluie orageuse à se perdre dans ses pensées.


    Le petit rouquin se souvenait de sa toute première rencontre avec Rentarou. Cela s'était passé la première semaine de la rentrée du premier trimestre. Comme à l'accoutumée, des élèves plus vieux l'avaient brutalisé. Il était alors intervenu, quitte à perdre sa place dans la file d'attente pour obtenir son petit-déjeuner, et l'avait protégé. Shintarou l'avait tout de suite jugé terriblement cool mais n'avait pas osé lui parler. Cependant, à l'époque, personne de leur classe, n'appréciait véritablement Rentarou, tout comme Seiichi, même s'ils n'avaient rien contre lui non plus. Le garçon avait craint de perdre leur amitié et s'était ainsi retenu de remercier son sauveur.


    En y repensant aujourd'hui à tête reposée, Shintarou se reprochait cette attitude passive. Au contact de Rentarou, il avait découvert le véritable sens de l'amitié. Être ami avec quelqu'un ne consistait pas à s'amuser et prendre du bon temps ensemble. Quoiqu'il arrivait, un ami se devait être toujours présent dans n'importe quelles circonstances.


    Lorsque Rentarou était entré au club de tennis, Shintarou avait décidé d'être ami avec lui pour se pardonner de sa propre lâcheté. Le petit rouquin avait prétendu vouloir l'appeler directement par son prénom à cause de son habitude. C'était un mensonge. Il lui fallait un peu de temps avant de se décider à utiliser le prénom d'un camarade au lieu de son nom de famille. Avant l'arrivée de Rentarou, le jeune homme employait toujours celui de Kou pour désigner celui-ci.


    En réfléchissant, il songea que Rentarou représentait le pilier de leur bande. Au début de l'année, Shintarou restait souvent seul. Malgré son caractère extraverti qui lui permettait de divertir toute sa classe, il ne s'était lié avec personne en particulier. Le petit rouquin avait un peu fréquenté Tyro au club mais cela était resté sur une entente neutre. En réalité, une réelle camaraderie s'était installée à partir du moment où Rentarou les avait rejoint. Attiré par son jeu, Tyro s'était approché, puis Kou et Takaishi étaient venus car ils se connaissaient du cours de Chimie. C'était ensuite Seiichi qui avait intégré la bande.


    Si Rentarou partait …. Le cœur de Shintarou battit plus fort en songeant à cette désagréable perspective … S'il partait, leur bande pourrait-elle survivre ?


    Découragé, le corps de l'adolescent tomba lentement le long du mur. Ses fesses s'écrasèrent sur le sol dans une large flaque d'eau qui l'éclaboussa complètement.


    Je ne veux pas être seul … Je voulais ne plus jamais ressentir cette douleur …


    Vers quinze ou seize heures, au moment où la majeure partie des étudiants quittèrent le bâtiment des cours et passèrent devant le petit rouquin mouillé, celui-ci prit conscience de l'avancement tardif de la journée. Il se releva, les mains dans les poches de son short, et partit en direction du club.


    Parvenu auprès des courts, Shintarou s'apprêta à se diriger vers les vestiaires. Il repéra au même instant la présence de Raphael de l'autre côté. Malgré les intempéries, l'adolescent s'entrainait dehors en utilisant une partie du mur d'enceinte pour ses exercices. Immédiatement, il changea de direction et courut vers son sempai.


    - Raphael !


    Concentré sur sa pratique, le jeune français ne répondit pas à l'interpellation et ne montra aucun signe indiquant de l'avoir entendu. Shintarou ne prêta nullement attention à cela et s'adossa contre le mur sans craindre de recevoir accidentellement la balle.


    - Tu as parlé à Kurata-buchou ?


    Gardant ses mains dans ses poches, Shintarou attendit patiemment la réponse sans perdre son calme. Il admira en même temps la technique du jeune homme. Son entrainement achevé, Raphael attrapa sa balle dans sa main droite et posa sa raquette sur sa clavicule.


    - Non.


    - Pourquoi ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?


    - Je pense que tu n'es encore pas prêt, Shintarou.


    La nature impulsive du rouquin se réveilla suite à cette réponse. Il se redressa vivement, les poings serrés, le regard empli de fureur.


    - Pourquoi ? Pendant les vacances, nous nous sommes entrainés avec Motoguchi-sempai et Nagai-sempai ! Tu as dit que nous étions prêts ! Pourquoi as-tu changé d'avis ?


    - Je pense avoir mal évalué tes compétences, exposa Raphael. Tu devrais, au moins, patienter d'être en seconde année.


    - Ah ouais ? Et pourquoi ? Donne-moi une raison ! Tu étais satisfait de tout ! On a même bossé la coordination et des combos !


    Raphael resta longuement silencieux. Il se retourna et fixa son attention sur un couple de pigeons perchés sur un banc d'un des courts.


    - Je ne veux plus jouer avec toi. C'est comme ça. Ca se passe de commentaires. Maintenant file.


    Toute la colère contenue dans l'âme de Shintarou retomba comme un soufflé. Ces quelques mots lui transmirent une douleur beaucoup plus forte que celle d'une lame de poignard. Il chancela presque ne savant plus dire un mot.


    Peu à peu, le petit rouquin assimila la signification de ces paroles et ressentit une colère sourde et aveugle. Il voulut lui causer aussi une douleur similaire à Raphael. Mais son désir de lui faire mal ne pourrait jamais se réaliser. Sa taille le dissuadait de chercher la bagarre, surtout face à un gaillard comme le jeune français.


    - Je te déteste ! s'entendit-il crier avant de s'enfuir au pas de course.


    Pendant ce temps, un témoin avait remarqué l'échange entre les deux interlocuteurs sans que ceux-ci en aient conscience. Arrivé en retard pour l'entrainement journalier car il s'était plongé dans sa dissertation de Japonais pour fuir ses soucis, Seiichi s'était dépêché de rejoindre le club et de se changer. En sortant des vestiaires, l'adolescent aux cheveux ébènes avait aperçu son condisciple roux accourir en direction de Raphael. Intrigué, son attention s'était concentré à observer la scène se déroulant sous ses yeux.


    Après le départ de Shintarou, il s'empressa de gagner la salle où s'exerçait Tyro, Kou et Takaishi. Seiichi les avertit de ne pas pouvoir s'entrainer aujourd'hui et s'en excusa. Cela parut tout de même étrange au fan de base-ball car le jeune ninja avait déjà revêtu sa tenue de sport.


    Aussitôt cela fait, il partit sur les traces de Shintarou. Le jeune homme parcourut le campus dans son intégralité sans trouver la moindre piste avant de se décider à interroger des membres du club de football. L'un d'eux lui apprit justement avoir aperçu un petit rouquin se précipiter dans la petite forêt quand il était parti rechercher un ballon.


    D'un pas rapide, Seiichi fit marche arrière et se dirigea vers la partie boisée. Il frissonna brusquement à cause du froid et de la pluie. Vêtu seulement d'un fin polo à manches courtes et d'un pantalon de toile, une personne aussi fragile que l'adolescent aux cheveux ébènes risquait une infection respiratoire très grave. Cependant celui-ci ne pensa pas une fois à son bien-être. La détresse de Shintarou l'avait interpelé. Son sens moral lui commandait d'aller à sa recherche et de le soutenir. Malgré leurs fréquents différents, c'était un de ses amis et il lui devait assistance.


    Après avoir erré longtemps dans cette obscure forêt au sol jonché de racines, Seiichi retrouva son camarade sous un sapin, en larmes, replié sur lui-même. Il s'avança et s'agenouilla à ses côtés.


    - Shintarou, que t-arrive t-il ? demanda t-il d'une voix soucieuse.


    - Tu es venu te moquer ? l'agressa celui-ci qui voulait rester seul.


    - Il faut être lâche pour se moquer de quelqu'un qui pleure et qui souffre. Shin, je sais que nos relations sont assez tendues mais je ne veux pas te laisser souffrir.


    Malgré la tristesse lui rongeant le cœur, le rouquin sourit. Il leva doucement la tête.


    - Tu essaies de remplacer Rentarou ?


    En disant son nom, l'adolescent se souvint alors de l'absence non justifiée de son ami. Sa peine revint. Les larmes coulèrent de nouveau et sa tête s'effondra sur ses genoux.


    - J'ai appris la vérité, Shin, déclara Seiichi. Rentarou ne nous a jamais trahi. Il souffre davantage que nous, tu sais.


    - Et de quoi ? Et pourquoi il a jeté ses affaires de tennis ? répliqua le rouquin passant des larmes à la colère. Il n'y a qu'une raison !


    - Es-tu au courant que Matsuda-sempai a quitté notre lycée ?


    - Quoi ? Il est parti ? Quel dommage, soupira Shintarou. Il nous défendait, lui. Mais quel rapport ?


    - C'est l'ami d'enfance de Rentarou. Ils se sont connus en maternelle. Matsuda a appris beaucoup de choses à Rentarou. De plus, à cette époque, il était son unique ami et la seule personne sur laquelle il pouvait compter.


    En silence, Shintarou écouta ces révélations avec surprise. Il n'aurait jamais imaginé une histoire si triste concernant son héros.


    - Mais même s'il part, ils peuvent rester amis, non ?


    - Rentarou a réagi très extrêmement, nota Seiichi. Je ne crois pas qu'ils se soient quittés en bons termes. Comme tu le sais, notre Rentarou a gardé ses idéaux intacts. Malheureusement peu de personnes sont ainsi. Je crains que Matsuda ait changé et ait fini par le rejeter.


    - Ca n'a pas de sens ! Rentarou et Matsuda-sempai s'entendaient bien !


    - Je ne sais pas comment cela se passait auparavant. Cependant en entrant au club, j'ai souvent ressenti une tension émanant de Matsuda, révéla Seiichi. Surtout lorsqu'il regardait Rentarou jouer.


    - Mais tout ça c'est juste des hypothèses ! Tu n'as rien de concret !


    - Je suis d'accord, approuva Seiichi. Cependant si cela est vrai, Rentarou doit se sentir horriblement mal. Le poids d'une telle trahison doit faire très mal.


    - Ouais … Vraiment très mal … , murmura Shintarou en se repliant davantage sur lui-même.


    - Shin ?


    L'adolescent ne sut jamais pourquoi il se décida à raconter son histoire à Seiichi. Cela lui sortit presque naturellement de sa bouche sans avoir à faire d'effort.


    - Quand j'étais au collège, j'avais un meilleur ami. Il m'a appris le tennis et nous jouions en double. Mais en dernière année, il n'a plus voulu de moi. On s'est disputés. Moi, je voulais continuer à jouer ensemble mais lui voulait jouer en simple …


    - Je comprends maintenant pourquoi tu es si affecté par ce qui arrive.


    - Ca fait un an, cinq mois et treize jours que ça s'est passé … Je n'arrive toujours pas à oublier … Ca me fait toujours si mal … Parfois, je n'y pense pas du tout mais souvent, à des moments de la journée, je ris … Je ris et je pense aux rires que j'ai partagé avec mon copain … Alors je veux pleurer … Mais je me retiens … Je ne veux pas être traité de gamin pleurnichard … Je continue à rire alors et j'attends d'être seul pour pleurer …


    La tête baissée, Seiichi compatit en silence au malheur de son compagnon. Celui-ci se laissa aller. En parlant, son corps entier trembla et ses yeux versèrent des larmes en abondance.


    - Seiichi … , annôna t-il au milieu de son chagrin. Comment on fait pour oublier sa tristesse ?


    - Je souhaite être capable de le savoir, soupira son interlocuteur.


    Si cela avait pu être possible, le jeune ninja aurait accepté n'importe quel échange pour effacer tous les horribles souvenirs et sentiments qui s'accumulaient dans son esprit depuis sa naissance. Malheureusement, c'était impossible. La mémoire du corps humain différait de celle d'un ordinateur. Dans cette machine, on choisissait de supprimer les éléments indésirables et on n'en conservait aucune trace, comme s'ils n'avaient jamais existé. Au contraire, le corps humain était pourvue d'une mémoire fonctionnant inversement. Les bons souvenirs s'oubliaient facilement mais ceux relevant de traumatismes restaient en permanence.


    Incapable d'aider son ami à surmonter sa crise, comme il se révélait incapable d'aider Rentarou, l'adolescent aux cheveux ébènes posa la main sur l'épaule du petit rouquin et le laissa pleurer de tout son soul.


    En face d'eux, à une cinquantaine de mètres de distance, derrière l'épais tronc d'un chêne majestueux se cachait un individu de haute taille qui les observait. Le regard triste, Raphael coupa le contact visuel et s'aplatit contre l'arbre.

     

     

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  • Chapitre 35


    Malgré un mois complet de vacances, les habitudes scolaires ne s'oubliaient pas si facilement. Pour soutenir Seiichi le matin, Rentarou se levait vers cinq heures. De cette manière, les deux adolescents pouvaient se doucher sans crainte d'être surpris par un élève. Ils repartaient ensuite dans la chambre de l'un d'eux pour travailler sur un devoir.


    Au niveau des cours, la difficulté avait augmenté et le rythme imposé par les professeurs s'était s'intensifié. Le professeur d'Histoire-Géographie leur donnait deux dissertations à traiter chaque semaine. La nouvelle enseignante de Biologie les poussait à effectuer toutes sortes de recherches par eux-même en laissant planer le doute à la fin de chaque séance sur une possible interrogation sur un thème si peu défini que ses étudiants devaient tout retenir ce qui s'y rapportait pour être certain de ne pas échouer au contrôle. Noda, le professeur de Japonais, exigeait de ses élèves la lecture d'un livre par mois parmi la liste des références distribuée au début de l'année et de lui remettre un compte-rendu analysant et résumant l'œuvre étudiée. Heureusement pour Rentarou et Tyro, ce travail-là se révélait salutaire pour eux. Puisque Seiichi avait lu, et relu plusieurs fois, chacun des ouvrages figurant sur cette liste, celui-ci acceptait d'expliquer à ses deux amis le résumé et la structure de chacun d'eux. Ainsi là où leurs condisciples se plaignaient d'être toujours en retard pour ce maudit devoir à la fin de chaque mois, les Sanonis en rendaient un tous les quinze jours. En Mathématiques, ils abordaient l'étude des fonctions et Hashimoto leur demandait chaque jour de réaliser un exercice complet sur ce thème. Cependant Aizawa surpassait tous ses collègues en imposant à ses étudiants de rédiger un commentaire d'un long texte de deux pages minimum pour chacun de ses cours.


    Avec tous ces devoirs à faire, la bande n'avait plus le loisir de quitter ensemble le lycée à la sortie et de vagabonder quelque part en ville. Les seuls moments où ils voyaient restaient lors du déjeuner, au club de tennis et à la bibliothèque. Il fallait donc attendre le week-end pour se retrouver et s'amuser après une dure semaine.


    Au moins, ils se satisfaisaient d'être capables de manger ensemble à l'heure du déjeuner. Après avoir demandé à Yoko, Seiichi avait appris que la salle de libre à ce moment précis de la journée se révélait être la salle de Droit. Les six amis se réunissaient donc à l'intérieur et partageaient bentos et sandwiches. Tyro et Kou avaient même demandé à leur mère d'en préparer un de plus en expliquant qu'ils avaient encore faim autrement.


    A part à l'heure du midi, ils se retrouvaient aussi au club de tennis. Les activités avaient reprises le lendemain de la rentrée. En raison des averses diluviennes, les entrainements extérieurs et les matches s'étaient interrompus. Pour compenser, les membres se rendaient au gymnase du lycée, située quelques mètres après la cour, proche du terrain de football, ou dans une des six salles adossées aux vestiaires du club pour perfectionner son style de jeu avec sa raquette.


    Soucieuse d'être libre, la petite bande avait opté pour les entrainements avec la machine à balles. Ils pouvaient être seulement six dans la pièce de cette manière et agir selon leur bon entendement. Au contraire, au gymnase, les membres en troisième année supervisaient les exercices de leurs kouhai. Dans cette pièce, sans la surveillance de quiconque, les six amis pouvaient parfois s'arrêter et simplement parler entre eux. En vérité, seuls trois d'entre eux le faisaient. Pour les Sanonis, il paraissait inenvisageable de stopper ses exercices pour une telle raison.


    Deux semaines s'étaient écoulées. La vie au lycée se déroulait sans la moindre anicroche. Malgré la lourde charge de travail et les contraintes qui en découlaient, Rentarou se sentait heureux. Il avait enfin l'impression de voir le bonheur lui sourire.


    Malgré les efforts consentis par le jeune homme aux cheveux de jais pour en arriver à ce résultat, le destin, ce personnage sinistre et cruel, revint s'acharner à nouveau sur lui.
    Pourtant, le début de la matinée avait plutôt bien commencé. Elle avait débuté par un cours de Chimie durant lequel il avait conversé à mi-voix avec Seiichi, Kou et Takaishi tout en déjouant les tentatives de sabordages involontaires de leur expérience de son binôme.


    Après cela s'enchaina un cours d'Anglais. Il s'installa comme ses autres condisciples et écouta un minimum l'enseignante expliquant le texte étudié. Rentarou préféra se concentrer à déchiffrer celui-ci et à en comprendre le sens pour être capable de répondre aux questions.
    Car, évidemment, Aizawa l'interrogea, apparemment soucieuse de conserver sa réputation de paratonnerre à poisse. Cependant elle changea ses habitudes aujourd'hui. Au lieu de lui demander un résumé et une analyse du texte vu aujourd'hui, l'enseignante réclama celui étudié hier.


    Dans n'importe quelle autre matière, Rentarou aurait été capable de se souvenir, au mot près, d'un long texte même s'il avait été abordé une semaine auparavant. Par contre, dans celle-ci, le lycéen géant se rappelait très vaguement des thèmes traités et se souvenait uniquement du sujet principal abordé par le document.


    En réalisant que son meilleur ami se trouvait en difficulté, Seiichi baissa la tête. Ils avaient déjà élaboré un plan adapté à ce type de scénario. Moralement, l'action qu'il comptait entreprendre n'était pas du tout approuvable mais cela ne le gêna pas du tout.


    Discrètement, le jeune ninja sortit le téléphone cellulaire emprunté à son camarade actuellement au tableau de sa poche. Il s'assura de l'avoir bien laissé en mode silencieux puis tapa rapidement un message. A trois rangées de lui, Shintarou remarqua que le sien, caché dans sa trousse, recevait un message. Il fit alors semblant de chercher une référence dans son manuel pour le dissimuler et lut les instructions de l'adolescent aux cheveux ébènes.


    Sa lecture terminée, le petit rouquin posa sa main gauche sur le bois de sa table. Son majeur tapa dessus trois faibles coups longs indiquant à ses complices que l'opération commençait. Il laissa son téléphone contre le bas de son livre de manière à pouvoir toujours lire l'écran. Ensuite, à l'aide des leçons enseignées le soir à l'internat par le ninja de leur bande, Shintarou plaça ses mains très bas sur la table et transcrivit la leçon de la veille en langue des signes.


    Malgré sa réprobation contre les tricheries et les actes de malveillance, Rentarou ne se sentit pas mal à l'aise de réussir correctement à son interrogation sans avoir étudié par lui-même. La solidarité qui l'unissait à ses deux camarades lui permettait d'oublier ce sentiment. De plus, l'idée de voir la tête d'Aizawa quand il aurait terminé le stimula davantage.


    Au milieu de sa récitation, l'enseignante se leva et s'avança dans l'une des rangées. Personne ne s'en préoccupa car elle appréciait de circuler entre chaque table en donnant son cours tout en interrogeant un élève. La femme alla jusqu'au fond de la salle et remonta par une autre rangée avant de s'immobiliser brusquement derrière un de ses étudiants. Un étudiant pourvu de cheveux ébènes qui tombaient dans le haut de son cou.


    - Vous permettez, Shiromiya ?


    Sans laisser le temps à l'adolescent de réagir, l'enseignante s'empara du téléphone sur lequel il tapait justement un message. Seiichi s'inquiéta. Pouvait-elle découvrir leur astuce ?


    - Vous êtes très malin, Shiromiya, persiffla t-elle sans regarder encore le téléphone. Donner des instructions à un complice qui accomplit la besogne, c'est très ingénieux.


    - Je ne vois pas à quoi vous faites allusion, dit Seiichi impassible.


    Si le ton du jeune ninja resta égal à celui adopté en temps normal, il trembla intérieurement.


    - J'ai remarqué que Fujita parlait en langue des signes, lui révéla Aizawa en parlant lentement. Il ne me restait qu'à observer vous autres et découvrir qui communiquait avec lui.


    - Vous ne pouvez pas le prouver, objecta Seiichi en gardant son calme. Pour ma part, j'envoyais un message à un ami dans un autre lycée. Il se peut que Fujita ait juste bougé et vous avez mal interprété ses gestes.


    Ne disant rien suite aux propos de son élève, le professeur regarda l'écran du téléphone cellulaire qu'elle venait de confisquer. Un sourire narquois se dessina sur son visage en lisant le début du message qui avait tapé. Elle annula son écriture puis alla dans la boite de réception.


    - C'est très intéressant tout ceci, constata Aizawa. Vous avez envoyé seize messages à un dénommé Shin. Le premier commence à 10h56 et le dernier à 11h03.


    Seiichi ne dit rien. Il ne bougea même pas un seul des membres de son corps. A quoi bon ? En lisant tous les messages, elle découvrirait le pot aux roses.


    - Sur le premier, vous traduisez les hiraganas en langue des signes puis dans les autres, vous résumez les points à dire du sujet que j'ai demandé à Satsuma.


    Depuis le commencement de la scène, les autres élèves avaient tourné la tête pour la suivre. Quant à Rentarou et Shintarou, ils faisaient pareil mais certainement pas pour assouvir leur curiosité.


    - Satsuma, retournez à votre place ! ordonna t-elle. Évidemment cela vous fera un zéro. Il y avait si longtemps que cela ne vous étiez pas arrivé.


    Rentarou ne répondit pas. Par contre, il eut l'impression que son professeur jubilait de lui attribuer enfin la mauvaise note suprême.


    - Ah oui ! Prenez le portable de Fujita en passant !


    Lentement, l'adolescent remonta l'allée. Il échangea un regard douloureux avec son ami quand celui-ci lui confia son bien en arborant une sombre grimace. Cependant le lycéen géant n'eut pas l'intention de le remettre à Aizawa. Il fourra l'objet dans une poche arrière de son pantalon et détacha un autre téléphone de sa ceinture.


    En arrivant près de sa place, il s'avança vers l'enseignante qui attendait, peu patiente, et tendit l'appareil. Elle s'en empara vivement et consulta rapidement les messages contenus dessus. Son visage pâlit alors de plus en plus.


    - Il a effacé les messages prouvant sa culpabilité !


    - Il reste des messages dessus, Aizawa-sensei ? demanda Rentarou candidement.


    Seiichi tourna la tête en percevant l'étrange voix de son camarade. Rentarou ne s'adressait jamais comme un enfant. Il donnait toujours l'impression d'être un adulte dans ses actes et paroles.


    - Au moins une vingtaine, rétorqua Aizawa peu aimable. Il a effacé les derniers pendant que je parlais avec son complice !


    - Mais ce n'est pas possible, objecta Rentarou en conservant toujours une voix d'innocence. Je me suis servi une journée du portable de Shintarou quand le mien était cassé. Il n'efface pas un seul message. Il faut tous les supprimer.


    - Si ce que tu dis est vrai, cela signifie qu'aucun message n'a été supprimé avec ?


    Immédiatement, l'enseignante se hâta d'essayer d'effacer un message mais n'y parvint pas. Elle sélectionna alors l'ensemble avant de confirmer leur suppression.


    - Alors il n'a reçu aucun message depuis hier soir ….


    - Vous voyez, j'ai appris tout seul ma leçon et je l'ai récité tout seul, s'exclama t-il.


    En son for intérieur, Rentarou trouva encore plus agréable de démonter les arguments du professeur qu'il détestait le plus que de réussir seulement son interrogation orale.


    - Pour moi, vous êtes coupables même si je ne peux pas le prouver !


    - Dans ce cas, nous irons voir Hashimoto-sensei. Il sera très intéressé.


    Cette fois, son ton était redevenu aussi grave qu'à l'accoutumée et plus sévère. La mention du nom de son collège ennuya Aizawa. En temps ordinaire, celui-ci ne la gênait pas mais s'il devait apprendre qu'elle accusait de tricherie des élèves sans la moindre preuve concrète, son confrère deviendrait un adversaire implacable.


    - Soit ! Dans ce cas, je vous punis tous trois d'une semaine de retenue pour avoir causé du chahut dans ma classe et dérangé le cours !


    Au moment où elle délivra son verdict, la sonnerie indiquant la fin du cours retentit. Celle-ci était encore si perturbée et énervée qu'elle en oublia de donner un devoir à ses élèves. Naturellement, personne ne se chargea de le lui rappeler.


    Le cours de Mathématiques se déroula le plus normalement qui soit. Hashimoto s'occupa de tracer plusieurs courbes aux tableaux et expliqua à ses élèves la différences entres selon les types de fonctions auxquelles elles appartenaient. Ceux-ci suivirent attentivement en prenant des notes.


    A la fin du cours, Rentarou, Seiichi et Shintarou quittèrent la classe pour aller déjeuner et commentèrent leur mésaventure survenue en Anglais. En fait, ils voulaient surtout savoir comment Rentarou s'était débrouillé pour effacer les preuves.


    - Je n'ai effacé aucun message.


    - La prof ne les a pas vu ! Tu les as forcément effacé après avoir pris mon portable !


    Rentarou sourit. Il s'arrêta de marcher. Sa main passa derrière son dos et prit le téléphone situé dans sa poche arrière avant de le donner à Shintarou.


    - C'est bien le tien ?


    Sans rien dire, le rouquin ouvrit le claquet de l'appareil et consulta rapidement sa messagerie.


    - C'est dingue ! Ils sont tous là !


    - Cette fois, explique-nous, Rentarou !


    Le sourire du lycéen géant s'accentua davantage. Il releva le bas de sa veste pour dévoiler sa ceinture. A celle-ci était attachée quatre téléphones cellulaires.


    - Tu possèdes plusieurs téléphones ? s'étonna Seiichi.


    - C'est plus pratique comme ça pour savoir qui m'appelle. Le violet, c'est les filles qui me demandent mon numéro pour pouvoir sortir avec toi. Alors s'il sonne, je ne réponds pas.


    - Et il me le prête à moi, grimaça le jeune ninja.


    - Le bleu, c'est pour les copains, le vert pour le club de tennis et enfin le rouge, ça ne concerne que notre bande.


    - Tu sais, on peut aussi différencier ses contacts avec des sonneries différentes, fit Shintarou.


    - J'ai horreur de télécharger des sonneries, répliqua Rentarou. Ca bouffe tout ton crédit.


    A ce moment, Seiichi interrompit la discussion d'un léger éclat de rire.


    - Tu ressembles à un vrai ado maintenant, Rentarou !


    L'adolescent sourit timidement à ce commentaire. Il se sentit heureux aussi d'avoir réussi à apprendre à se conduire comme n'importe quel jeune de son âge. Moins de six mois plus tôt, l'idée lui paraissait impossible.


    - Et si tu poursuivais ton récit ?


    - Alors j'ai donné mon portable bleu à la prof. Il contient plein de messages. De plus, au contraire du rouge et du vert, ils ne peuvent pas s'effacer un par un.


    - Pourquoi ça ? s'étonna Shintarou


    - Parce le rouge et le vert contiennent des messages plus précieux, sourit Rentarou en lui faisant un clin d'œil derrière ses lunettes noires.


    - Je vois ! Tu as ainsi attrapé Aizawa-sensei, comprit Seiichi. C'est très intelligent.


    - N'empêche on va quand même se taper une semaine de retenue, bougonna le rouquin.


    - Je préfère cette punition légère par rapport à celle que nous aurions subi si elle avait obtenu la preuve de notre malfaisance.


    - On verra ça la semaine prochaine si tu dis toujours ça, Shiromiya !


    - C'est vrai que tu as été déjà plusieurs fois collé par Aizawa-sensei, se souvint le lycéen géant.


    - Tous les professeurs l'ont au moins mis une fois en retenue, répliqua narquoisement l'adolescent aux cheveux ébènes.


    - Tout faux ! claironna Shintarou triomphant. Masami-sensei, Hoshino-sensei et Tsukiyo-sensei ne m'ont jamais donné une seule retenue !


    - Évidemment ! Ceux sont des matières qui te plaisent et où tu peux bouger.


    Rentarou soupira. Il se décida à jouer une nouvelle fois l'arbitre pour stopper les hostilités.


    - Shintarou, explique-nous pourquoi la retenue d'Aizawa-sensei sera dure.


    S'apprêtant à lancer une autre réplique à son rival, le rouquin avait ouvert la bouche puis la referma. Il réfléchit un instant et ouvrit à nouveau sa bouche.


    - Elle va nous donner un tas de travail à faire dans son bureau …


    - De l'anglais ? s'effraya Rentarou.


    - Non, elle fait nettoyer son bureau, classer des documents … Le seul truc qu'elle ne te laisse pas faire, c'est corriger les copies.


    - Quel dommage pour Rentarou !


    Plongeant les mains dans les poches de son pantalon, le concerné ne dit rien de la moquerie de son meilleur ami. Tout en parlant, le trio avait presque atteint la salle où la petite bande se réunissait le midi lorsqu'ils croisèrent Kurata.


    - Ah, Satsuma ! Je te cherchais, s'exclama celui-ci, agréablement surpris.


    - Vraiment ? Que me veux-tu, buchou ?


    - J'ai prévu une réunion pour les titulaires ce soir, l'informa Kurata. Je souhaiterais la commencer vers seize heures. Tu finis quand tes cours cet après-midi ?


    - J'ai seulement une heure de Japonais.


    - Parfait ! se réjouit Kurata en passant sa main dans ses cheveux pour les replacer en arrière. Alors tu n'oublies pas venir !


    - Mais buchou, je suis toujours un première année …


    - Et alors ? fit le buchou en fixant l'adolescent devant lui sans comprendre son hésitation.


    - Tu as dit que même si j'étais titulaire, je possédais toujours les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres premières années. Cela voulait dire que je ne devais pas assister aux réunions.


    Kurata parut un instant embarrassé par ce souvenir puis reprit plus décontracté :


    - Ah oui … Je suis très formel sur les règles. Cependant tu nous as beaucoup aidé, non ? Sans toi, nous n'aurions probablement pas remporté le tournoi préfectoral alors cela paraît tout à fait mérité que tu participes à nos réunions.


    En entendant les explications de Kurata, le visage de Rentarou rayonna de plaisir et de satisfaction.


    - Vraiment ? C'est génial !


    - Eh bien, ne sois pas en retard, recommanda Kurata pour clore leur conversation.


    Rentarou approuva d'un signe de tête puis s'inclina très respectueusement pour remercier son buchou de sa sollicitude à son égard. Toutefois, son dos se pencha si fort qu'il manqua presque de perdre l'équilibre et de s'étaler sur le carrelage froid. Cela ne manqua pas d'amuser ses deux camarades derrière lui.


    Dans la salle de Droit, leurs amis attendaient depuis une dizaine de minutes. Peu patient, Tyro avait essayé de commencer à manger mais Takaishi l'en avait empêché. Après avoir vidé son sac, il avait placé toutes les denrées alimentaires dedans et le conservait précieusement contre sa poitrine. Le dernier du trio eut à peine refermé la porte que le tennisman réclama tout de suite de passer à table. Ils s'assirent en cercle au centre de la pièce et partagèrent la nourriture.

     

    - Ah ! Fa fait fu fien ! s'écria Tyro en parlant en même temps qu'il croquait une boulette de riz.


    Habitués à cet incompréhensible dialecte et aux postillons alimentaires, ses amis ne lui répliquèrent rien. Même pas Seiichi. Il ne le tapa pas derrière le crâne comme chaque fois que Tyro disait ou faisait une bêtise, soit entre trois et dix fois par jour. Son habitude ne s'était pas du tout perdue. En fait, il ne voulait pas se lever. Tyro choisissait toujours de s'asseoir entre Takaishi et Shintarou. Tout le monde connaissaisait les raisons de ce choix. Le jeune homme espèrait ainsi échapper aux corrections de Seiichi.


    - On devrait mettre Shintarou et Tyro au fond de la pièce, songea Kou avec lassitude.


    Rentarou regarda à sa droite où mangeait le petit rouquin. Assis sur ses jambes, celui-ci penchait son buste pour prendre la nourriture avec ses mains et l'avalait bruyamment.


    - Ce n'est pas faux, reconnut Seiichi. Après tout, les animaux n'ont pas à manger avec les humains.


    - Je ne suis pas un animal ! s'énerva Tyro.


    - Je me demande si on pourrait avoir un repas tranquille un jour, soupira Rentarou en prenant des baguettes pour avaler sa portion de riz.


    - Eh bien, vas au réfectoire, lui répliqua gentiment Shintarou en relevant la tête.


    Le déjeuner se poursuivit dans une humeur aussi gaie et détendue qu'il avait commencé. Lorsqu'il ne resta plus rien des provisions que chacun avait apporté, à part quelques miettes tombées au sol, ils nettoyèrent la salle, jetèrent les emballages dans la corbeille et balayèrent pour enlever les miettes. Enfin Kou et Tyro rangèrent leurs boites désormais vides dans leur sac.


    - Quelle heure est-il ? demanda Kou quand ils se rassirent.


    - Treize heures et une minute, répondit immédiatement Seiichi après avoir consulté sa montre.


    Brusquement, le corps de Rentarou s'agita de frissons.


    - Il fait vraiment froid, se plaignit-il. Quand ils se décident à mettre du chauffage ?


    - Les écoles mettent généralement le chauffage vers Octobre, voir début Novembre.


    - Pas possible ! Ils veulent nous tuer !


    - Arrête de te plaindre, Rentarou, soupira Seiichi. Tu ressembles à Tyro.


    Naturellement, l'adolescent aux cheveux ébènes eut le droit à un regard noir de ce dernier.


    - Et puis il ne fait pas froid du tout, objecta Shintarou. C'est un climat tempéré en ce moment.


    - Tempéré ? Ce n'est pas tempéré du tout ! C'est super froid !


    - Viens avec moi sur Hokkaido un jour, répliqua Shintarou. Là-bas, il fait froid. Enfin je suppose. Je ne ressens plus le froid là-bas. Je passe toute l'année en tee-shirt et short quand je suis là-bas !


    Rentarou savait que le climat de la région la plus septentrionale du Japon était extrêmement froide. L'hiver, elle était toujours recouverte par neige et les températures restaient très basses.
    En se souvenant de ces connaissances, il frissonna par réflexe machinal à imaginer son ami vêtu d'un simple tee-shirt et d'un short au milieu d'une large étendue de neige.


    - Je n'irais jamais sur Hokkaido ! résolut-il boudeur.


    Le reste du groupe rit de cette déclaration puis le temps passa bien vite. Il fut l'heure de se séparer pour retourner en classe. Le professeur Noda reprit là où elle était restée lors de son cours précédent d'hier matin et continua d'expliquer différents extraits passages tirés Buke mono, écrit par Ihara Saikaku, un ouvrage racontant de nombreux récits guerriers de l'ancien Japon.


    Adorant réellement cette époque, Rentarou se promit d'étudier ce livre-là et d'écrire lui-même son résumé. En attendant, il se contenta d'écouter ses condisciples lire à voix haute les extraits demandés par l'enseignante et d'imaginer leurs représentations dans son esprit.


    - C'était un cours génial ! s'exclama le lycéen géant quand ils furent sortis.


    - Normalement, tu t'ennuies en cours de Japonais et tu finis par me demander mes notes.


    - Sauf que c'était trop passionnant pour s'ennuyer, Seiichi. Ca me rappelle en Histoire quand Tanaka-sensei nous parle des samouraïs ! C'est cool !


    - Les ninjas sont beaucoup plus cools que les samouraïs, réfuta Seiichi impassiblement.


    - Les samouraïs se battent pour l'honneur et la justice. Les ninjas agissent juste pour eux et leur famille. Il n'y a rien d'autre qui les motive que le gain.


    En entendant ces paroles, le visage de Seiichi afficha un petit sourire narquois.


    - Les samouraïs sont-ils capables de courir si vite qu'ils disparaissent de la vue des autres ? Voici la raison qui rend les ninjas supérieurs.


    - C'est parce que les ninjas sont lâches. Ils préfèrent fuir devant le danger plutôt de l'affronter. Les samouraïs n'ont pas peur, eux, et affrontent courageusement n'importe quel danger.


    - Les samouraïs sont inconscients. Au contraire, les ninjas sont beaucoup plus réfléchis et s'adaptent à la situation. Si un combat peut être évité, pourquoi ne pas le faire ?


    Marchant derrière ses deux amis qui se chamaillaient, Shintarou se demanda un court instant si Seiichi et lui se montraient aussi ridicules quand ils s'envoyaient mutuellement des piques. Il se décida à les calmer rapidement.


    - En parlant de samouraïs, Tanaka-sensei nous a donné une dissert sur le sujet. On doit décrire la naissance de leur caste, leur développement et leur déclin.


    Rentarou se retourna immédiatemment en souriant :


    - C'est vrai ? Enfin un devoir intéressant !


    - Tu es vraiment un enfant, soupira Seiichi en dissimulant son amusement.


    Le trio rejoignit vite la bibliothèque et s'installa à une table au milieu de la pièce. Ils commencèrent par faire des recherches pour ce fameux devoir que Shintarou venait de mentionner. En seconde étape, les lycéens entreprirent de sélectionner leurs documents en vue de n'avoir que le travail de rédaction à faire. Le trio adopta cette même démarche pour traiter leur dissertation en Géographie sur les différents problèmes du continent africain et leurs possibles solutions.


    Lorsque Seiichi proposa d'effectuer leurs recherches sur les différents types d'environnement dans le département de Kyuushu, Rentarou réalisa qu'il devait partir ou serait en retard à sa réunion. Il salua ses amis et monta dans sa chambre pour revêtir sa tenue de titulaire.


    En sortant dehors, le lycéen géant regretta d'avoir coupé son pantalon. La pluie qui dégoulinait le long de ses jambes nues le trempait jusqu'aux os et le glaçait. Il se mit à courir pour traverser tout le campus et gagner le club de tennis.


    Parvenu sur place, Rentarou longea les vestiaires et les bâtiments à côtés dans lesquels s'entrainaient les membres du club et passa la dizaine de courts avant d'atteindre un préfabriqué isolé. Il poussa la porte avec précipitation et entra.

     

    A l'intérieur se tenait ses équipiers. Nagai et Motoguchi étaient assis tous deux sur un banc contre le mur. Il nota que le second avait beaucoup maigri au cours des vacances et s'en réjouit pour lui. Ils se levèrent pour l'accueillir et le saluèrent chaleureusement. Dans un coin de la pièce s'était réfugié Raphael sur un tabouret. Uegami et Ogawa s'étaient chacun installés d'un côté de Kurata qui trônait au bout de table dans un large fauteuil rouge.


    - Tu es enfin là, Satsuma, dit Kurata. Parfait ! Commençons !


    - Mais Katsuo-sempai …


    Rentarou s'apprêta à signaler que Matsuda n'était pas encore arrivé mais Uegami l'empêcha d'achever sa phrase.


    - Matsuda ne vient pas donc il ne sert à rien de l'attendre. Assis-toi.


    - Mais Katsuo-sempai est aussi un titulaire, ajouta Rentarou en s'asseyant sur un tabouret.


    - Matsuda est parti, révéla Kurata d'un ton sans appel. Commençons !


    Rentarou n'ajouta rien. Il resta silencieux durant toute la réunion écoutant à peine son buchou leur parler. Son esprit ne cessa de penser à la révélation qu'Uegami venait de lui délivrer et ne parvint pas à croire que son ami d'enfance avait pu partir. Comme son père travaillait dans une entreprise avec des filiales ouvertes dans tout le Japon, il pensa que celui-ci avait été muté ailleurs. Cependant cette pensée le désola. Pourquoi ne l'avait-il pas appelé ? Rentarou aurait compris et accepté.


    Pendant qu'il était plongé dans ces sombres réflexions, Kurata annonça que le tournoi régional du Kanto aurait lieu la première semaine d'Octobre. Les trois premiers jours, toutes les équipes s'affrontaient pendant deux jours. Le lendemain, les sportifs se reposaient. Le quatrième jour, celles qui avaient obtenu les plus mauvais scores jouaient l'une contre l'autre pour ne déterminer qu'un seul vainqueur. Celui-ci obtenait ainsi le droit de participer aux quart de finale du lendemain. Le Samedi se déroulait les demie-finales et le Dimanche la finale.


    A la conclusion de cet ultime match, l'équipe lauréate recevait le droit de participer au tournoi national.


    Pour terminer son discours, Kurata encouragea ses équipiers à s'entrainer et à ne pas faire honte à leur lycée aux yeux de la nation japonaise. Il finalisa la réunion sur ce dernier point.
    La séance se termina à peine que Rentarou ne laissa aucun de ses équipiers lui parler et sprinta jusqu'au bâtiment administratif. Il entra précipitamment et ouvrit la porte du bureau sans frapper ni faire attention s'il mettait de l'eau ou de la boue partout.


    - D'après ce que tu as déjà dit sur toi, je croyais que ta mère t'avait mieux éduqué, fit Yoko qui n'appréciait pas du tout une telle interruption.


    - Je suis désolé ! Je dois absolument savoir quelque chose !


    En temps normal, la jeune fille aurait déjà explosé et renvoyé celui qui l'importunait plus vite qu'il n'était entré. Toutefois, elle s'en s'abstint. Sur le visage de Rentarou se lisait un véritable chamboulement de ses sentiments. Il semblait terriblement désemparé.
    - Qu'est qu'il y a ? demanda t-elle en s'adoucissant.


    - Katsuo-sempai … Il est parti ?


    - Satsuma-kun … , soupira t-elle. Tu dois me donner un nom complet si tu veux espérer un renseignement de ma part.


    - Matsuda Katsuo en 2B.


    Yoko hocha légèrement la tête en entendant ce nom. Elle venait justement de traiter un dossier concernant cet élève. En se souvenant de sa conclusion, la jeune fille commença à comprendre pourquoi son ami était si bouleversé.


    - Tu veux savoir pourquoi il est parti ? fit Yoko gentiment.


    Incapable de répondre vocalement, l'adolescent hocha faiblement de la tête.


    - Son père est venu un jour après la rentrée pour dire que son fils était désormais à un lycée sur Kyuushu. Je m'apprêtais à leur transmettre son dossier scolaire.


    - Il a donné une raison ?


    - Il a juste dit qu'il faisait ça pour le bien de son fils.


    - Il est déjà parti bien sur …


    - En fait, non. D'après les renseignements que j'ai pris, il a passé l'examen d'entrée de leur lycée fin Août et le conseil des étudiants devait ensuite se décider pour son entrée. Sa rentrée était donc prévue Lundi prochain.


    En entendant cette nouvelle, Rentarou sentit son cœur s'alléger.


    - Alors il doit être encore là ! J'y vais, Yoko-chan ! Merci !


    Sans attendre après une réaction de sa part, Rentarou ressortit aussi vite qu'il était entré et courut sous la pluie froide et humide. Il traversa ainsi de nombreux quartiers, plusieurs arrondissements même, avant de parvenir à l'immeuble où habitait la famille Matsuda. Le jeune homme aux cheveux de jais se précipita par les escaliers, sans voir les cabines d'ascenseurs, à l'étage de leur appartement et appuya sur la sonnette.


    - Que voulez-vous, monsieur ? demanda la mère de son camarade en ouvrant.


    - Non, je suis seulement un camarade d'étude de Katsuo-sempai, la détrompa Rentarou. Pourrais-je le voir, s'il vous plait, okusan ?


    La femme répondit positivement puis lui demanda d'attendre un instant. Quelques minutes s'écoulèrent durant lesquels il ne sut pas bouger et Matsuda apparut sur le seuil de la porte. En découvrant l'identité de son visiteur, celui-ci voulut refermer rapidement. Rentarou fut plus rapide : son pied bloqua la fermeture de la porte et de ses puissants bras, il la contraignit à rester ouverte.


    - Katsuo-sempai, je veux savoir !


    - Je n'appartiens plus au lycée de Ryoko Gakuen alors je ne suis plus ton sempai. Par conséquent, je n'ai plus rien à te dire, dit Matsuda d'une voix froide.


    - Pourquoi ? Explique-moi pourquoi tu pars !


    - Ce médiocre lycée ne remplit plus mes critères de satisfaction pour mon développement personnel. Pour progresser, il est vital pour moi de changer.


    - Mais notre école a une excellence réputation. Nos cours sont très bons, émit Rentarou.


    - Je me moque des cours ! s'énerva Matsuda. Je ne vais pas au lycée pour ça !


    Sur le seuil de la porte, l'adolescent serrait ses poings et son regard fusillait son interlocuteur.


    - Depuis que je suis petit, je vise à devenir joueur pro de tennis ! Je m'entraîne dur pour ça ! J'ai donc besoin d'un environnement qui me permette de développer mes capacités.


    - Nous avons été vainqueurs du tournoi préfectoral, rappela Rentarou. Le mois prochain, on va participer aux Régionales dans le but d'aller aux Nationales.


    - J'en ai rien à battre de ces histoires, rétorqua t-il. Même si un club connait des victoires, comment un joueur peut s'épanouir dans une ambiance pareille ? C'est la guerre !


    - Il est vrai qu'au début, je trouvais le club étrange. Sans parler des relations entre titulaires. Mais ca s'est dégelé. Nagai-sempai et Motoguchi-sempai sont devenus très proches de nous et même Raphael-sempai accepte de nous parler maintenant.


    - Tu n'es toujours qu'un gosse, Satsuma !


    Cette phrase fit très mal à Rentarou. Ce ne fut pas le contenu qui le blessa. Il avait l'habitude de se faire traiter de gamin. Ses amis le faisaient souvent. Ce qui le choquait … C'était ... Matsuda venait d'utiliser son nom de famille au lieu de son prénom.


    - Les relations dans la vie ne servent à rien. Les autres ne servent qu'à te ralentir. Tu découvriras un jour que tes soi-disant amis te laisseront tomber et tu te retrouveras comme tu es vraiment, comme tout le monde est vraiment : seul.


    Rentarou voulut ajouter quelque chose pour se défendre et protester mais il n'eut pas le temps.


    - Après tout, tu l'as déjà fait aussi ! Quand tu as quitté l'école primaire, tu es parti sans jamais revenir, sans dire au revoir !


    - Ca n'a rien à voir ! En primaire, j'étais malheureux ! Kou-kun me maltraitait et j'étais le bouc émissaire des autres ! J'étais plus heureux sans venir ! Pourquoi tu ne comprends pas ?


    - Et moi ? Je ne méritais pas un au revoir ?


    Rentarou se tut. Il n'avait jamais pensé à son ami à l'époque et se souciait seulement de rapporter de l'argent pour aider sa mère. En y réfléchissant, il s'était montré égoïste.


    - Je suis désolé … , murmura t-il faiblement.


    Amusé de cette réaction, Matsuda pouffa.


    - Tu es vraiment un gamin.


    - J'essaie de m'excuser pour la peine que je t'ai faite, dit timidement Rentarou.


    - Mais tu n'en as pas besoin. Tout le monde sait qu'un enfant est irréfléchi. C'était naturel pour toi d'aider ta mère sans penser aux autres. Tu es un gamin pour t'excuser comme ça. Seuls les enfants s'excusent pour le moindre pas de travers qu'ils croient avoir commis.


    En baissant la tête, Rentarou contempla le sol sous lui et n'osa pas soutenir le regard de son interlocuteur.


    - Et seul un enfant baisse la tête comme ça. Quand on devient adulte, on lève tout le temps la tête et on ne s'excuse pas.


    - Devenir adulte ne veut pas dire devenir malpoli, réussit à formuler Rentarou.


    - Tais-toi ! Au fait, tu sais pourquoi tu es un titulaire ?


    Intrigué par une telle question, Rentarou releva la tête.


    - Toujours aussi curieux. Comme un gamin, répliqua Matsuda. C'est moi qui ait proposé ton nom à Kurata. Je t'ai reconnu bien avant de voir la photo de ta mère. Dès que je t'ai vu avec ces lunettes et entendu ton nom, j'ai compris. J'ai confirmé mon hypothèse et je me suis dit que tu étais parfait.


    - En quoi j'étais parfait ?


    - Tu étais parfait pour me mettre en valeur. Comme Laurel et Hardy perdaient toujours leur match et le second double le gagnait, il fallait quelqu'un au troisième simple pour gagner le second match puis moi je clos la rencontre en remportant le troisième match.


    Chancelant, Rentarou n'arriva pas à croire ce que ses oreilles entendaient. Il ne pouvait pas s'imaginer Matsuda aussi machiavélique et retors. L'adolescent se souvenait encore du petit garçon qui veillait sur lui, l'amusait et le protégeait.


    Que se passait-il donc ici ? Il rêvait ! Il faisait un horrible cauchemar ! Rien de cette scène ne pouvait être réel !


    - Évidemment Kurata a accepté. Avec ta personnalité, c'était absolument parfait. Tu possédais des capacités qui te mettaient au même niveau que Sakumai.


    - Buchou sait que Tyro est un excellent joueur ? s'écria Rentarou.


    - Évidemment puisqu'il l'a battu quand il n'était qu'un première année au

    collège. Kurata n'a jamais cessé de suivre sa progression. Cependant Sakumai est une grande gueule contrairement à toi. Il n'aurait pas accepté de faire gentiment ce qu'on lui demandait.


    - Alors vous m'avez choisi pour ma personnalité et non pour mes compétences …


    - Cependant tu es devenu ennuyeux. A cause de ton idée de rendre forte l'équipe, tu as permis à Laurel et Hardy de gagner leurs matches ! A cause de toi, je ne peux plus jouer !


    - Tu m'en veux juste pour ça ?


    - Ce n'est pas juste pour ça ! Pour mon développement, je dois terminer chaque rencontre en gagnant mon match ! Ne sais-tu pas que les sélectionneurs du monde pro regardent avec attention les tournois lycéens ? Je veux être remarqué !


    - Si tu étais venu m'en parler, j'aurai compris, dit Rentarou. J'aurais accepté d'inverser nos places si c'était si important pour toi, Katsuo-sempai.


    - Je ne m'abaisse pas à une telle pratique, résolut-il avec fermeté. A présent, je vais à Kyuushu dans un environnement où la croissance des sportifs est vraiment pris en compte. Si par hasard, nous nous revoyons sur un court de tennis, j'aurais le plaisir de t'écraser !


    - Katsuo-sempai !


    Rentarou essaya d'implorer une nouvelle fois son interlocuteur. Celui-ci rompit brusquement la conversation et referma brutalement la porte. Il resta devant celle-ci de longues minutes, les bras ballants le long de son corps, sans rien dire, avant de repartir.


    Quand Rentarou atteignit le palier, son corps craqua. Il tomba à terre, le dos voûté, et se recroquevilla sur lui-même. Sa respiration sifflante lui donna l'horrible impression d'étouffer et de se noyer. Enfin, il sanglota comme un bébé.

     


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    fiche personnage - Thomas Heinz

    • Fiche d'identité :

     

    nom :         Thomas Heintz

    date de naissance :       le 7 Septembre 2013

    signe astrologique :      la Vierge

    ville natale :       Numberg, en Allemagne

    groupe sanguin :        A

    taille :      1m88

    poids :            68 kg

    main dominante :     droitière

    fonction :      professeur d'Allemand à Ryoko Gakuen

    famille :        Frank Heintz (père) - Ellen Heintz (mère) et Karl Heintz (frère cadet de trois ans) 

     

     

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