• Chapitre 42


    Les deux jours qui suivirent cette pénible nuit où leur mission avait échoué, Rentarou et ses amis ne revinrent pas en classe. Leur maladie prétextée était censée durer jusqu'au Lundi matin. D'ailleurs, ils se sentaient vraiment malades. La perfidie de Noguchi les dégoûtait.


    Pour passer le temps jusqu'à leur reprise des cours, la petite bande essayait de reprendre une vie normale et de ne pas penser à cette sombre histoire. Rentarou s'entrainait à mieux maîtriser les effets sur ses balles grâce aux judicieux conseils de ses amis. Seiichi lisait un roman par jour. Tyro s'acharnait à pulvériser le plus possible d'extraterrestres avec sa console. Shintarou s'était replié dans sa chambre et regardait une énième fois tous ses coffrets DVD de dessins animés. Kou profitait d'être seul à l'appartement pour regarder la télévision sans contraintes. Il ne cessait de zapper pour trouver une émission l'intéressant. Enfin Takaishi était parti rendre visite à ses parents. le jeune homme ne leur avait rien dit sur son vrai motif prétextant avoir eu une permission. Trop heureux de revoir leur fils, ceux-ci s'en réjouissaient et lui consacraient tout leur temps.


    Ignorant tout des événements s'étant déroulés au lycée depuis la semaine dernière, Murakami Mari s'éveilla de très bonne heure pour un Samedi matin. Après être sorti de son profond lit à baldaquin aux longs rideaux roses tombant sur le parquet ciré, la jeune fille s'assit devant sa coiffeuse. Elle démêla un minimum ses cheveux blonds comme les blés et les laissa retomber dans le creux de ses frêles épaules. L'adolescente se leva ensuite et s'avança vers une penderie couvrant tout le pan du mur gauche de la pièce. Sa main fit glisser l'une des portes, prit quelques affaires et enfila sa robe de chambre.


    Ayant terminé de se préparer, Mari sortit de sa chambre et arriva dans la petite antichambre. Néanmoins, l'adjectif petit s'avérait très relatif. La jeune fille aurait probablement pu inviter tous ses camarades de classe sans craindre un manque d'espace. Cependant elle ne faisait jamais rien ici, à part ses devoirs sur la table ronde au centre de la pièce sur laquelle était posée un bouquet de splendides roses blanches. Le reste du temps, la métisse préférait souvent se réfugier dans la chambre réservée à Yoko même si sa meilleure amie n'était pas là.


    Après avoir traversé l'antichambre, l'adolescente se retrouva dans un couloir aux murs jaunes pâles. Un épais tapis rouge reposait sur le parquet lui permettant de marcher à pieds nus sans craindre le froid. Mari remonta ce couloir et tourna à un angle, poursuivit sur quelques mètres et s'arrêta devant l'une des portes. Elle ouvrit et franchit son seuil.


    Derrière se trouvait la salle de bains. L'une des douze salles de bains du manoir familial.
    Pendant que l'eau coula, Mari retira sa robe de chambre, défit sa chemise de nuit et les plia avec soi. Elle entra ensuite dans son bain.


    La baignoire était immense. Elle prenait la moitié de la pièce. Celle-ci devait donc avoir la même taille que la moitié d'un court de tennis. Pour agrémenter davantage les bains, de l'eau savonneuse et parfumée à la fleur d'oranger coulait du robinet.


    A la fin de ses ablutions, Mari s'habilla. Elle passa un joli chemisier blanc mettant légèrement en valeur sa poitrine, dont les formes commençaient à naître, une courte jupe bleue marine plissée s'arrêtant un peu avant les genoux, de très fins collants et des ballerines d'un blanc immaculé.


    Avant d'aller déjeuner, elle retourna à sa chambre remettre les affaires portées pour venir ici. La jeune fille aurait pu laisser cette tâche à un domestique. C'était leur rôle de tenir les lieux en ordre et de ranger à place les objets qui ne l'étaient pas. Cependant la vie au collège l'avait amené à prendre ce pli. A force de s'être occupée de sa personne pendant quatre ans, l'adolescente continuait.


    En ressortant, Mari prit à gauche cette fois et arriva à un escalier aux marches fait de marbre blanc si longues et hautes qu'il aurait été possible de s'allonger sur l'une d'elles pour faire une sieste. Elle en descendit une dizaine et atteignit un palier intermédiaire. En face montait un autre escalier donnant sur une autre aile. La jeune fille se contenta de tourner et descendit encore une vingtaine de marches avant de se retrouver dans l'immense hall d'entrée.

     

    L'adolescente le traversa et passa une porte vitrée derrière laquelle se trouvait la petite salle à manger, celle réservée exclusivement à sa famille et aux intimes.


    Après un copieux petit-déjeuner où elle avait avalé trois croissants avec son chocolat chaud, Mari remonta au premier étage et se rendit à une pièce très importante pour elle.


    Autrefois, sa salle de jeux où elle s'amusait des heures avec ses poupées, Mari avait exilé depuis longtemps tous les jouets contenu dedans. A la place, l'adolescente avait placardé des posters de danseurs partout sur les murs. D'autres affiches, des pages arrachées de magazines ou de livres en fait, décrivaient des techniques de danse.


    La jeune fille alla jusqu'à un petit meuble devant lequel s'agenouilla et ouvrit une des portes pour sortir un justaucorps, un tutu et des ballerines avec une ferveur quasiment religieuse. Elle enfouit son visage dedans durant de longues minutes et renouvela sa promesse de porter à nouveau cette tenue qui faisait sa fierté un jour.


    Quand elle eut rangé son précieux trésor, Mari se plaça au centre de la pièce et commença par se masser avec délicatesse ses chevilles. Elle se releva et pratiqua quelques échauffements puis réalisa quelques exercices de pointes. La jeune fille se concentra à son heure toute la matinée jusqu'au moment où sa mère vint la chercher peu avant le déjeuner.


    - Mari, ma chérie, va passer ton manteau. Nous mangerons en ville, toi et moi, avant de nous rendre à la vente de charité.


    Là dessus, la jeune et superbe femme blonde qui était apparue sur le seuil de la porte disparut. La jeune fille soupira. Elle n'avait guère d'entrain de partir avec sa mère. Depuis son accident, leurs relations s'étaient dégradées. Mari lui en voulait terriblement d'avoir refusé son opération.


    Quelques instants plus tard, elle rejoignit sa mère dans le hall vêtue d'un simple trent noir. Comme toujours, sa mère s'était décidée de porter une de ses nombreuses tenues excentriques. Aujourd'hui, elle avait mis une longue robe rouge à crinoline décorée de multiples petits volants et de nœuds puis avait enfilé un boléro noir par dessus, mis une veste de tailleur beige et avait choisi une paire de chaussures rouges très brillantes avec des talons mesurant au minimum cinq centimètres.


    La mère et la fille quittèrent leur demeure et allèrent déjeuner dans un restaurant de haut luxe de Ginza, à quelques mètres non loin de leur majestueux manoir. L'adolescente se régala d'un repas composé de fruits de mer, d'un poulet accompagné de légumes, d'un morceau de fromage et d'une part de tarte aux fruits confits.


    En sortant du restaurant, elles prirent un taxi, préalablement appelé par la mère de Mari lorsque toutes deux attendaient le désert, qui patientait en face de la porte d'entrée. Le chauffeur descendit pour ouvrir la portière à ses passagères qui prirent place sur la banquette arrière. La voiture circula dans les embouteillages routiers de la capitale nippone et les mena dans l'arrondissement de Bunkyo devant un immeuble où devait se dérouler la vente de charité.


    Après avoir réglé la course, elles s'apprêtèrent à entrer lorsque Madame Murakami aperçut une longue limousine se garer. Elle sourit et décida d'attendre. Quelques instants plus tard, une femme aux longs cheveux bruns coiffés en un long chignon en descendit. Mari la regarda en silence. Sa tenue était moins extravagante que celle de sa mère. Celle-ci portait une robe noire d'allure très sage lui tombant sur les pieds et empêchait de les distinguer.

    Plusieurs colliers de perles ornait son cou. Un jeune homme de l'âge de Mari la suivait. La jeune fille sourit en l'apercevant.


    - Ma chère Louise, comment allez-vous ? demanda la nouvelle arrivante.


    - Mais je vais très bien, Thérèse, répondit la mère de Mari. Je suis tellement impatiente d'assister à cette vente de charité !


    - Maman, excuse-moi, intervint Mari.


    - Qu'est qu'il y a ma chérie ? fit celle-ci d'un ton reproche. Je n'apprécie pas beaucoup que tu m'interrompes au milieu d'une conversation importante.


    En se retenant de lever un sourcil, Mari évita de dire ce qu'elle pensait de cette conversation d'une si grande importance.


    - Je voulais te demander la permission d'aller me promener avec Raphael. Il y a longtemps que nous ne sommes pas vus tous les deux. Nous avons certainement beaucoup de choses à raconter.


    - C'est vrai, confirma, l'adolescent brun aux lunettes carrées.


    Inquiète, la mère de Raphael se tourna vers son fils.


    - Tu es sur que cela ira, mon Fafa ? Tu n'as pas l'habitude de marcher seul dans les rues.


    - Je vais au lycée à pied, maman, rappela Raphael en luttant dur pour ne pas lever ses sourcils.


    - Oui, mais je te suis avec la voiture, insista sa mère. Tu sais que maman reste derrière toi alors cela te donne confiance.


    - Je me débrouillerait à merveille, maman.


    - Allons, Thérèse, il faut savoir lâcher un peu ses enfants, vous savez, la rassura la mère de Mari.


    Profitant de cette diversion, les deux adolescents se dépêchèrent de filer et d'échapper ainsi à leurs mères. Ils coururent comme des dératés jusqu'au bout de l'avenue. En s'arrêtant, essoufflés, les jeunes gens s'assirent sur un muret pour récupérer.


    - Enfin la liberté ! soupira de soulagement Raphael en défaisant sa cravate.


    - Ta mère t'a forcé à venir toi aussi ?


    - Oui. Elle m'a dit que ce serait bien pour mon développement sociologique d'assister à la vente.
    - Tu avais d'autres projets ?


    - Je comptais m'entrainer.


    - Tu ne t'intéresses vraiment qu'au tennis, soupira Mari.


    - Le tennis est la seule chose qu'il me reste, murmura Raphael. Et puis je dois préparer mon avenir.


    Mari resta silencieuse à la suite de cette réponse. Elle regarda le trottoir sous ses pieds. Leurs chemins respectifs se ressemblaient tellement. Comme elle-même, il avait déjà décidé de quitter sa maison une fois l'âge de la majorité atteint. Cependant, contrairement à son amie qui possédait un compte bloqué depuis sa naissance jusqu'à la fin de sa minorité, son compagnon ne possédait rien. Pour y remédier, Raphael visait à devenir un grand champion de tennis et à gagner sa vie dans le circuit professionnel.


    - Les cours se passent bien pour toi à l'école ?


    - Je ne m'en sors toujours pas avec le japonais. Je galère complètement avec les kanjis.


    - Les profs te le reprochent ?


    - Plutôt. Ils disent qu'après un an et demi, je devrais mieux me débrouiller.


    La jeune fille compatissait pour son malheureux ami. Celui-ci ne cessait de changer sans cesse d'établissements scolaires. Il avait raconté quelques uns de ses séjours à l'étranger. Cela l'avait étonné d'apprendre qu'il parlait couramment l'espagnol, le portugais, l'arabe et l'hébreu. Sans parler de l'anglais bien sur ! Le jeune homme lui avait expliqué en souriant qu'il était naturel de retenir mieux une langue lorsque l'on se retrouvait totalement immergé dans un pays qui la parlait.


    - Et toi, ça va avec ta mère ?


    - On ne se parle presque pas, répondit Mari. A part les domestiques, je ne vois jamais personne chez moi. Les seules fois où je vois mes parents c'est pour les réceptions.


    La jeune fille n'avait pas envie de parler de sa condition familiale. Cela l'avait toujours fait beaucoup souffrir. Ses parents la délaissaient toujours en délectant leurs obligations à leur escadron de domestiques. Son père, le président de la société la plus importante et célèbre d'informatique au Japon, travaillait beaucoup. Elle ne le voyait presque jamais. Il partait très tôt le matin et rentrait très tard le soir. Quant à sa mère, celle-ci vaguait à toutes sortes d'occupations mondaines.


    Raphael et elle partageaient cette même histoire douloureuse. Ils s'étaient rencontrés un an et demi plus tôt, peu après l'arrivée du nouvel ambassadeur de France au Japon. Leurs mères respectives étant toutes deux françaises, elles se voyaient fréquemment pour parler de leur pays natal. Au début, Raphael ne s'était pas montré très amical. Il était même repoussant. Cependant elle avait appris à gagner sa confiance peu à peu. D'abord, en l'aidant à apprendre le japonais. Progressivement, ils en étaient venus à se confier l'un à l'autre.


    A chaque fois qu'elle y pensait, Mari se sentait très fière et importante. Depuis la mort de sa grand-mère, Raphael ne s'était plus jamais confié à quelqu'un. Sauf à elle.


    Né seize années plus tôt, en France, ses parents s'étaient trouvés embarrassés par l'arrivée du bébé. Le père, étant un haut diplomate qui voyageait de par le monde, suivi de son épouse, ne pouvait pas l'emmener. Il fut donc remis aux parents de la jeune mère.


    Raphael lui avait décrit avec de très nombreux détails une minuscule ville campagnarde sur les bords de la Saône dans lequel il avait grandi pendant sept ans. Il lui avait parlé de sa grand-mère si gentille et attentionnée qui s'occupait de lui à chaque instant. Jusqu'à l'entrée en maternelle, le garçon n'avait jamais su ce qu'était une maman, un papa ou des parents. Les siens ne lui donnaient jamais un signe de leur existence. Seule sa grand-mère existait dans son tout petit monde.

    En découvrant l'existence de sa mère, il l'avait ignoré. Sa grand-mère avait essayé de lui en parler à plusieurs reprises mais son petit-fils faisait la sourde oreille.
    Le drame était arrivé l'année de ses sept ans. Le petit Raphael avait découvert le corps de sa grand-mère sans vie en rentrant le soir de l'école. D'après ce qu'il lui avait dit, elle aurait fait un malaise cardiaque. Mari devinait, au son de sa voix quand il parlait, que son ami culpabilisait encore pour sa mort.


    Depuis ce jour, Raphael vivait avec ses parents et les accompagnaient dans leurs déplacements. Il les détestait. Celui-ci ne leur pardonnait pas de l'avoir abandonné à sa naissance et de n'avoir jamais pris de ses nouvelles. Son père, naturellement absent, n'entretenait aucune relation avec son fils. Par contre, sa mère compensait cela au grand malheur de Raphael en l'infantilisant toujours. Elle le réveillait chaque matin en lui annonçant le programme de sa journée, lui parlait constamment à travers la porte de la salle de bains pour savoir s'il était toujours en vie et ne s'était pas noyé dans la baignoire ou électrocuté avec le sèche-cheveu, l'envoyait à l'école du pays où ils résidaient actuellement pour lui permettre d'avoir une vie sociale épanouie mais lui interdisait de faire ses devoirs, lui payait une perceptrice pour lui inculquer une instruction comme elle le serait en France mais aussi une étudiante pour faire les devoirs donnés par ses professeurs.


    Une mère aussi envahissante … Pour Mari, c'était un véritable cauchemar. Elle comprenait parfaitement l'envie de son ami de quitter sa famille le jour de ses dix-huit ans.

    - J'ai froid, dit Mari en mimant un frisson.


    La jeune fille n'avait pas réellement froid. Elle faisait semblant pour aborder un nouveau sujet de conversation pour ne pas blesser davantage son compagnon.


    - Eh bien, bougeons, résolut Raphael en se levant.


    - Où veux-tu aller ? demanda t-elle en l'imitant. Tu as une idée ce que tu veux faire ?


    - Nous pourrions y aller au cinéma. Il y fait chaud et nous passerions un bon moment.


    La jeune fille accepta. Les deux adolescents marchèrent dans les rues jusqu'à un cinéma multiplex. C'était Mari qui dirigeait son ami. Née dans cette ville, elle en connaissait le moindre endroit. Ils prirent deux places pour un film comique. Raphael les aimait beaucoup. Il n'avait pas la possibilité de rire tous les jours.


    Après deux heures à avoir beaucoup ri, les deux jeunes gens quittèrent le cinéma. Ils se retrouvèrent à la sortie sur le trottoir à l'écart du monde entrant et sortant de ce lieu de distraction.


    - On devrait peut-être revenir à la vente, suggéra Raphael inquiet. Il commence à être tard.


    - Il est seulement quatre heures et demie, réfuta Mari. Tu sais très bien comment ça se passe là-bas.
    Avec amusement, la jeune fille fit la révérence et prit la main de Raphael.


    - Ma chère madame, comment allez-vous ? Mon cher monsieur, vos affaires vont bien ? Et vous, madame, votre petit dernier ne vous tourmente pas trop ? Monsieur …


    Les imitations de la jeune fille qui rappelaient les attitudes bourgeoises et aristocrates que fréquentaient leurs familles déclencha un fou rire à Raphael. Elle n'arriva pas à poursuivre son jeu bien longtemps et se mit à rire comme une folle, les mains sur son ventre, pliée en deux.


    - Tu as raison, dit finalement Raphael en riant encore un peu. Ca va probablement finir après le coucher du soleil !


    Il n'obtint pas de réponse de sa compagne. Celle-ci riait encore très bruyamment et avait du mal à reprendre sa respiration. Lorsqu'elle se fut calmée, il se répéta.


    - Alors on fait quoi ?


    - Allons boire déjà un chocolat chaud.


    Très gourmande, l'adolescente se rallia spontanément à cette invitation. Ils se rendirent à un petit bistrot à deux rues du cinéma, s'attablèrent à une table dans le fond de la salle et commandèrent chacun une tasse de chocolat chaud et deux croissants. Les adolescents les mangèrent avec bon appétit, les trempant dans le succulent liquide puis jouèrent avec le flipper installé à l'entrée, près du comptoir. Le jeune homme ridiculisa une fois de plus son amie. Celle-ci prétexta ne pas être en grande forme aujourd'hui. Malgré le fait qu'ils s'amusèrent beaucoup, tous deux se décidèrent à partir quand ils aperçurent un vieil ivrogne passer le seuil du bistrot. Aucun d'eux ne désira n'avoir d'ennuis avec.


    - Si on allait se promener au parc ? proposa Mari.


    - Mais ceux sont les amoureux qui vont se promener dans un parc, protesta Raphael peu emballé.


    - On peut très bien aller dans un parc entre amis, soupira Mari. Allez, viens !


    Malheureusement pour l'adolescent, elle s'était déjà élancée. Il se résigna donc à la suivre.
    L'endroit dont Mari parlait n'était pas un parc. Elle avait repris ce terme générique pour faciliter la compréhension de son ami étranger. En vérité, il s'agissait d'un de ces magnifiques jardins de promenade typiquement japonais. Celui-ci se nommait Koishikawa Kouraku-en. Sa construction remontait à l'époque, en l'an de grâce 1629, date à laquelle régnait l'empereur Tokugawa. A l'origine, beaucoup plus étendue, sa taille s'était réduite progressivement dû au développement de l'urbanisme de la capitale nippone.


    Le cadre offert était magnifique à tous points de vue. En son centre était creusé un vaste lac aux eaux calmes et paisibles. Dessus, une ile se dressait fièrement. Celle ci se divisait en deux. La première partie était boisée et l'autre un ensemble de pierre fréquenté par des canards.


    En l'observant par le côté Sud, il devenait possible de d'apercevoir dans le reflet de l'eau la partie boisée. Toujours par cette même direction, une petite rivière, la Tatsuta, alimentait le lac.


    Autour de ce lac, de petites collines étaient aménagées sur lesquels on se promenait sur des allées. De nombreux arbres et fleurs égayaient normalement ce lieu majestueux, tels que des cerisiers, des ume, une sorte d'abricotier, des momiji et des glycines. Cependant en cette saison automnale, il ne restait aucune trace de leurs belles couleurs.


    Plus à l'écart se trouvait un lac plus petit. Divisé également en deux par une digue de bois, il se couvrait d'innombrables lotus blancs. Au Nord coulait une chute d'eau. Non loin était érigé un superbe pont de pierres qui se révélait être l'unique élément originel du lieu depuis sa création. Son arche était en tout point remarquable. Formée en un demi-cercle, avec la réflexion de l'eau, on obtenait un parfait cercle rappelant la pleine lune.


    Parmi d'autres éléments impressionnants, on pouvait aussi citer un petit pont de bois de couleur vermilion enjambant une gorge, bordés par des momiji.


    Pleine de vie, Mari marchait gaiement sur les allées, montrait à son compagnon les choses devant lesquels ils passaient et lui en expliquait l'origine et l'utilité. Raphael, les mains dans les poches de son pantalon, écoutait par politesse mais aurait été bien incapable de répéter si on lui avait demandé tant il n'était pas intéressé.


    A un moment donné, ils s'arrêtèrent sur le pont de pierres. Le jeune français s'assit sur la rambarde tandis que la métisse contemplait la vue de l'autre côté.


    - N'est-ce pas magnifique, Raphael ?


    - Tout à fait.


    Le jeune homme se garda bien de répondre que les seuls vrais paysages qu'il appréciait étaient soit un court de tennis soit un gymnase.


    - Il y a des gens qui se baladent sur l'allée là-bas ! s'écria t-elle joyeusement.


    - Eh bien, les gens viennent ici pour se promener. Il n'y a pas à t'étonner.


    - Je disais ça histoire de parler, répliqua Mari qui n'aimait pas se faire reprendre.


    Alors que la jeune fille continua à admirer la beauté du sublime paysage devant elle, les promeneurs qu'elle venait de voir se rapprochèrent peu à peu. Il s'agissait d'un très jeune couple. Ils avaient approximativement le même âge que Raphael et Mari. Ceux-ci s'approchèrent de plus en plus du pont. Ils finirent par monter dessus.


    Lorsque les deux nouveaux venus passèrent près d'eux, Mari se figea totalement et éprouva en même temps une forte colère l'enflammer de tout son être. La jeune fille serra les poings pour la réprimer. Autrement, elle se jetterait sur ce sale traitre et le giflerait ! Au minimum …


    - Mari, ça va ? demanda Raphael.


    Il venait de remarquer le trouble de son amie et s'en inquiéta. Celle-ci ne répondit pas. Elle ne perdit pas par contre le couple de vue qui se trouvait déjà de l'autre côté du pont.
    - Mari ? Mari ! Est-ce que ça va ?


    - J'ai un truc à faire !


    Sans prendre le temps de donner des explications à son compagnon, l'adolescente partit sur les traces du couple qui venait de passer devant eux. Raphael passa la main dans ses cheveux et se gratta la tête. Il se demanda sérieusement ce qui lui arrivait et se résolut à la suivre.


    Le couple d'amoureux poursuivit sa promenade quelques mètres sur l'allée puis en sortit. Il s'aventura au milieu des cerisiers. Le jeune homme finit par aider sa compagne à s'asseoir puis s'adossa contre un arbre et posa le corps de la jeune fille contre son torse. Les suivant toujours, Mari se cacha derrière le tronc d'un cerisier, rejointe par Raphael. La métisse lui intima à voix basse de s'accroupir pour ne pas se faire repérer en raison de sa haute taille.


    - Keigo-san, je suis contente que tu es trouvé du temps pour moi, murmura la jeune fille.


    - J'ai beaucoup à faire avec mes études, rapporter de l'argent à la maison, aider ma mère dans ses soins et gérer les problèmes domestique, avoua le dénommé Keigo, mais j'ai besoin de te voir. J'ai besoin de me ressourcer et d'oublier mes problèmes l'espace d'un instant.


    - Je suis ravie de t'être utile à ce point.


    - Tu n'es pas juste utile. Tu es infiniment précieuse à mes yeux, déclara Keigo.


    Le teint de sa compagne dans ses bras rougit légèrement. Non loin de là, une autre jeune fille devenait aussi très rouge mais de colère.


    - Je vais le tuer ! fulmina Mari en luttant dur pour ne pas parler trop fort.


    - Qui ça ?


    Depuis qu'il ne cessait de réclamer des explications et n'obtenait toujours pas de réponse, Raphael n'espérait plus en avoir. Il posait maintenant ses questions pour la forme.


    - Cet enfoiré qui est devant moi !


    - Dis Keigo-san, tes études se passent bien ? Tu vas réussir l'entrée à l'université ?


    - Je ne sais pas. Cependant je vais établir le meilleur dossier scolaire avec les meilleurs résultats dans toutes les matières. Ainsi si j'échoue aux examens d'entrée à l'université, je vais m'inscrire à la meilleure école de prépa et je réussirait ensuite.


    - Je l'espère pour toi. Tu travailles si dur, Keigo-san, et endure tant.


    Dissimulée derrière son tronc d'arbre, Mari paraissait prête à exploser. Son sang devait bouillonner à plein régime. Raphael le voyait monter à ses tempes et ses yeux s'étaient incroyablement durcis. Il ne connaissait pas l'identité de ce garçon mais présumait que celui-ci devait avoir fait une chose terrible pour obtenir une telle réaction de son amie.


    Après un long moment de confidences et de légères caresses, les deux amoureux se relevèrent. Keigo aida sa compagne à marcher pour revenir vers le sentier. Derrière, leurs suiveurs ne les perdirent pas de vue. Ils sortirent du jardin d'un pas léger et non pressé. Le couple remonta la rue, tourna à droite. Passa à nouveau devant le cinéma et s'arrêta devant un immeuble. Keigo demanda quelque chose à sa compagne dans un murmure. Celle-ci lui répondit sur le même ton. Ils entrèrent ensuite dans le bâtiment devant lequel tous deux s'étaient immobilisés.


    - Je vais le tuer ! cria Mari de toute sa puissance vocale.


    Raphael ne dit rien. Il la laissa se calmer en la regardant crier en pleine rue et taper du pied et du poing contre un mur. Toutefois, le jeune homme s'en écarta de quelques mètres et s'adossa avec nonchalance. Il ne voulait pas être vu en compagnie d'une jeune sauvage.
    Après plusieurs longues minutes, la jeune fille se calma et fut à bout de souffle. Il revint alors dans sa direction.


    - Tu es calmée ?


    - Ne me fais pas de leçon de morale … C'est pas le moment …


    Suite à la crise de nerfs et de la colère, le sentiment de déprime s'installait maintenant à l'intérieur de la jeune fille.


    - Alors ? Qui c'était ce type ?


    - C'est le copain de ma meilleure amie ! assena furieusement Mari.


    - Tu veux dire Matsuda ? La fille du secrétariat, c'est ça ?


    - Ce type s'appelle Noguchi Keigo … Yoko-chan sort avec depuis fin Septembre …


    - Et il a déjà une copine, fit Raphael. Je comprends maintenant.


    - Et tu as vu où ils sont entrés ?


    Levant la tête, il scruta l'immeuble où le couple venait d'entrer. Pas très haut par rapport aux autres donnant l'impression de toucher le ciel à côté, mais ne voyait pas ce qui choquait sa compagne. Il remarquait aussi une pancarte sur le haut de la porte mais ne sut pas la lire. L'inscription était écrite avec des kataganas et le jeune français n'arrivait pas les lire sans le tableau de ces syllabaires sous ses yeux.


    - Ils sont rentrés à leur maison, non ?


    - C'est un Love Hôtel, Raphael !


    - Qu'est-ce que c'est ?


    En se souvenant que son ami ne connaissait absolument rien des coutumes et de la vie au Japon, l'adolescente se radoucit.


    - Vois-tu, Raphael, au Japon, pour faire l'amour, les couples adultères et adolescents, comme ils n'ont pas de chez eux, se rendent à l'hôtel pour faire l'amour.


    - Et il y a des hôtel spéciaux pour ça ? s'exclama Raphael sidéré.


    - Oh oui ! Il y a même beaucoup ! C'est un vrai commerce le sexe au Japon !


    - OK … On change de sujet, réclama Raphael assez mal à l'aise. Que vas-tu faire ?


    - Je vais tout raconter à Yoko-chan évidemment !


    - Ca va lui faire beaucoup de peine, songea Raphael.


    - Peut-être. Mais je ne cache rien à ma meilleure amie ! Jamais !


    En coupant court à la discussion, la jeune fille se saisit de son téléphone cellulaire de la poche de son manteau et composa un court message à l'intention de sa meilleure amie pour la convier à venir chez elle pour la soirée.


    Par la suite, les deux adolescents optèrent pour retourner à la vente de charité et rejoindre leurs mères. Il commençait à être tard.

     

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  • Chapitre 41


    - Comment te sens-tu, Rentarou-kun ?


    Assis sur le bord d'un lit de l'infirmerie, Rentarou laissa Haruko lui faire un check-up complet sans rien dire. Prise de tension. Auscultation du cœur et des poumons. La batterie traditionnel de tests s'accomplit sans en oublier un.


    Non loin de là se tenait Tyro, visiblement très inquiet. Le jeune homme se remettait à peine de la panique qui l'avait envahi en apercevant son meilleur ami tomber sur le sol et avoir des difficultés à respirer. Malgré les recommandations faites par Shintarou, l'adolescent s'était révélé incapable de ramasser les feuilles de la cour sans se soucier de l'état de santé de son camarade. Il s'était empressé d'aller chercher l'infirmière. Celle-ci était venue rapidement et avait aidé Rentarou à rester calme et à évacuer son taux de dioxide de carbone.


    Une fois la crise passée, le lycéen géant avait détesté se retrouver dans les bras de la jeune femme rousse. Il s'était douté que celle-ci ne le relâcherait pas avant d'avoir procédé à une consultation complète. Cela commençait à l'exaspèrer sérieusement de passer tout son temps à l'infirmerie.


    - Tout est OK, annonça t-elle en remettant son stéthoscope dans une poche de sa blouse.


    - Évidemment. Ca ne laisse aucune séquelle, vous avez dit, marmonna Rentarou.


    - Ce n'est pas une raison pour ne pas vérifier, riposta l'infirmière.


    Elle lui adressa en même temps un regard lui laissant sous-entendre qu'il n'avait pas son mot à dire.
    - Tu sais, Rentarou-kun, il y a peut-être un moyen pour éviter que tu fasses des crises.


    - Vraiment ? Vous m'aviez dit qu'elles sont imprévisibles.


    - Elles le sont. Cependant elles sont aussi causées par ton état mental. Je pense que tu devrais consulter un psychologue pour parler de tes problèmes, Rentarou-kun. Cela te soulagerait de toutes les angoisses que tu peux ressentir. Ainsi si tes angoisses sont canalisées, tes crises devraient diminuer.


    La réaction de Rentarou fut sans appel. Il se leva vivement et s'écria :


    - Je ne suis pas fou !


    Celle d'Haruko se fit beaucoup plus douce. Elle rit doucement et ajouta :


    - Tous les gens qui vont voir un psychologue ne sont pas fous, Rentarou-kun. Ils ont juste un problème et ont besoin d'aide pour le surmonter. Tu sais, il est parfois bon de se confier à un inconnu. C'est même plus facile.


    - Eh bien, pas moi ! tonna t-il.


    Sur ces paroles, l'adolescent partit sans dire au revoir, ni même un mot à son camarade, et claqua la porte derrière lui. Cela ne fit absolument pas réagir Haruko habituée depuis longtemps aux mouvements d'humeurs des adolescents. Claquer la porte lorsqu'ils étaient colère se révélait être un véritable mode d'expression.


    - Désolé, Haruko-sensei, s'excusa Tyro pour son ami, mais Rentarou déteste recevoir de l'aide. Il a déjà du mal à demander à ses copains.


    - J'avais bien compris, lui sourit Haruko. Je me doutais qu'il n'apprécierait pas ma proposition. La majorité des gens ne réagissent jamais très bien quand on la suggère.


    - Mais ne vous inquiétez pas, reprit Tyro en lui faisant un clin d'œil. Seiichi et moi, on s'occupe bien de lui. Vous pouvez compter sur Seiichi pour lui tirer les vers du nez.


    - Eh bien, je m'en remets à vous deux, rit l'infirmière.


    Une fois sorti de l'infirmerie, Rentarou se décida à passer à l'action. Durant tout le temps qu'Haruko l'avait examiné, il n'avait cessé de penser à l'interaction récente entre Noguchi, Yoko et lui de tout à l'heure.


    Le lycéen géant ne pardonnait pas à ce faux-jeton de Noguchi sa duplicité et était aussi en colère envers Yoko. Elle le connaissait depuis six mois maintenant. Il ne mentait jamais et aurait été incapable d'inventer une pareille histoire pour coincer l'autre abruti. Sa droiture et son honnêteté l'en empêchaient. Comme l'amour portée à sa mère. Elle lui avait enseigné toutes ces valeurs et cela lui était impossible de ne pas les respecter.


    Pour l'heure, Rentarou ne souciait plus de ses relations avec la jeune fille. Il voulait lever le voile sur ce mystère, clarifier les incompréhensions et laver son nom.


    Pour cela, l'adolescent courut dans les sens à travers le campus pour rassembler ses amis. Il apostropha Shintarou, Kou et Takaishi à la sortie du laboratoire de Chimie et leur ordonna de monter rapidement dans sa chambre. Sans leur laisser le temps de poser la moindre question, le lycéen géant partit en trombe à la recherche de Seiichi. Conformément à ses habitudes, celui-ci se trouvait dans la bibliothèque. Le jeune ninja venait de terminer le nettoyage du réfectoire et commençait à sortir ses affaires de sa serviette lorsque ses yeux aperçurent Rentarou apparaitre devant lui. Son meilleur ami lui répéta en vitesse le même message qu'à ses camarades et disparut aussitôt le laissant perplexe. Enfin le jeune colosse courut au club de tennis où Tyro s'habillait dans les vestiaires. Malgré son torse nu et son pantalon d'uniforme à moitié défait, il le traina sur tout le campus jusqu'à sa chambre.


    - Alors là, ça vaut le coup d'œil ! rigola Shintarou.


    Complètement hilare, le rouquin se tordit de rire de voir son ami dans une tenue aussi débraillée. Kou et Takaishi s'esclaffèrent eux aussi. Seul Seiichi ne les imita pas, inquiet pour Rentarou. Soucieux de la santé de Tyro, il se leva et alla prendre un tee-shirt et un chandail dans l'armoire pour les tendre à son meilleur ami.


    Malgré son impatience à commencer son allocution, Rentarou rongit aussi patiemment que ses nerfs lui permirent son frein et laissa ses amis reprendre leur sérieux et s'asseoir. Ses mains derrière son dos trahirent l'envie qui le démanger de ne pas débuter immédiatement.


    - Une grave menace est apparue aujourd'hui. Noguchi Keigo n'est pas ce qu'il prétend être et …


    - Noguchi ? Celui qui sort avec Yoko-chan ? le coupa Kou en levant ses yeux au plafond.


    - Ne me dis pas que tu as inventé une histoire pour le discréditer, s'inquiéta Takaishi.


    - Rentarou ne ferait jamais ça, protesta vivement Shintarou.


    Rentarou sourit faiblement. La confiance que lui portait le petit rouquin lui réchauffa le cœur. Il entreprit de raconter les événements s'étant déroulés à la suite de sa punition infligée par Onita jusqu'à sa crise d'hyperventilation.


    - C'est vraiment un sale tour ce qu'il a fait, s'exclama Takaishi scandalisé.


    - J'avais bien dit que Noguchi n'était pas une bonne personne, rappela Seiichi s'en faisant un petit triomphe personnel, assis sur l'unique chaise de la pièce.


    - Je crois, Rentarou, enchaina Tyro dont l'expression s'était contrariée, mais quelque chose me gêne. Yoko-chan et moi sommes dans la classe de Noguchi Keiko. J'étais dans la cour à balayer les feuilles alors je ne me souviens pas du tout de les avoir vu. Ni elle ni son frère.


    - C'est bien la preuve qu'ils sont venus avant, s'insurgea Shintarou en claquant son poing droit dans sa paume gauche. Ils devaient être dans le bâtiment administratif !


    - Par contre, la fille que Keiko-chan ne supporte pas, je la connais aussi, poursuivit Tyro sans tenir compte de l'interruption. Elle s'appelle Sato Fumiko. Je confirme qu'aucune des deux ne peuvent se tenir ensemble. Je me demande même qui peut rester aux côtés de cette peste de Sato … Yoko-chan me paraît être un ange de douceur par rapport à elle !


    La comparaison fit rit l'ensemble du groupe. Excepté Rentarou. Il n'avait ni le cœur à rire ni à entendre le nom de Yoko.


    - Au fait, Tyro ! aboya t-il.


    Celui-ci déglutit difficilement en percevant le cri de son meilleur ami. Rentarou ne lui avait jamais parlé d'une telle manière. Il se dépêcha de poursuivre son récit sans faire de commentaires.


    - Pendant que je balayais, j'ai vu cette Sato sur l'escalier qui mène au bâtiment administratif. Elle révisait je crois. Elle était seule. Elle m'a apostrophé à deux heures pile, c'est pour ça que je l'ai remarqué. L'horloge du lycée a sonné juste au moment où elle m'a crié dessus pour me dire que j'envoyais des poussières sur elle avec mon balai.


    - Je suis sorti du bureau d'Onita entre 2h10 et 2h15, précisa Rentarou.


    - Et Yoko-chan a du venir te rejoindre à 2h30, ajouta Tyro. Elle m'a embêté en passant. D'ailleurs, Sato est venu me demander l'heure à ce moment-là. En plus, elle m'a hélé pour me faire venir à l'escalier ! Et à ce moment, Keiko-chan était là.


    - Tout cela est vraiment une mise en scène pitoyable, déclara Seiichi impassiblement.


    - Tu pourrais en apporter la preuve ? s'enquit Rentarou.


    - Je comprends le mécanisme du piège. Malheureusement, il n'y a aucune preuve physique à présenter pour établir leur culpabilité.


    - Explique-nous déjà ton raisonnement, Seiichi, réclama Takaishi. Nous, on le croira.


    - D'abord la cour représente un lieu idéal. Il y a un certain nombre d'élèves qui s'y rendent pour étudier en plein air pendant d'une heure libre. Cependant personne ne fait attention aux autres qui évoluent autour de lui. Si Tyro ne s'était pas fait punir, Sato aurait choisi n'importe qui d'autre.


    - Choisi pour quoi faire ? demanda Kou.


    - Elle a signalé sa présence à Tyro au moment où l'horloge sonnait, reprit Seiichi. Tyro l'a vu et il a vu l'escalier vide. Seule Sato était assise dessus.


    L'adolescent aux cheveux ébènes se tut quelques instants pour laisser les cerveaux de ses camarades enregistrer ces informations et poursuivit :


    - Ensuite dès qu'elle a vu Yoko-chan, Sato a appelé aussitôt Tyro pour lui faire constater l'arrivée de Keiko. En vérité, elle devait être à l'intérieur du bâtiment et en est sortie après quatorze heures.


    - Putain ! Ils m'ont complètement utilisé alors !


    - C'est une magnifique théorie, Seiichi, reconnut Rentarou. Cependant nous ne possédons pas la moindre preuve pour l'étayer. Aucun prof ne nous croira.


    Les six adolescents se murèrent dans un mutisme total. Aucun d'eux ne supporta l'injustice de cette situation. Ils tentèrent d'imaginer vainement des plans pour retourner le scénario ennemi.


    - Je me demande pourquoi Noguchi a copié les clé, dit finalement Kou.


    - Elles ouvrent les bureaux des profs, Rentarou a dit. Il doit probablement espérer soutirer des infos sur ses devoirs. Peut-être même améliorer ses notes.


    - Tu crois vraiment que c'est possible, Tyro ? s'alarma Takaishi.


    - C'est dégueulasse s'il fait ça, décréta Shintarou furieux. On abat des heures de boulot pour espérer réussir nos devoirs et lui, ça tomberait tout cuit dans le bec ! Enfoiré !


    Pendant que ses amis débattaient sur le sujet, Rentarou se souvenait alors de ces fameuses clés. Il se rappelait aussi de la pâte utilisée pour les copier. Le lycéen géant connaissait lui-même ce genre de préparation résineuse. Autrefois, il en avait fait lui-même pour créer des clés que des délinquants, comme lui à l'époque, réclamaient et lui achetaient.


    - Il y a peut-être bien une preuve, énonça Rentarou. Je vais revenir. En attendant, priez pour que Noguchi ne soit pas expert en crochetage.


    L'adolescent sortit de sa chambre, remonta en vitesse le couloir, heureusement désert, de l'internat, descendit l'escalier, traversa la cour en quelques foulées, passa la porte du bâtiment administratif et s'arrêta devant la porte au fond du couloir de gauche
    Hésitant, Rentarou craignit les réactions de la personne à l'intérieur de ce bureau. En se souvenant que celle-ci représentait son unique espoir d'être cru, il rassembla son courage, poussa la cliche et entra.


    - Tu es encore là ? grogna Onita en l'accueillant peu aimablement.


    - Je suis désolé, Onita-san, mais il y a un gros problème …


    Encore une fois, Rentarou rapporta l'ensemble de la scène vécue plus tôt dans la journée et la compléta avec les déductions de Seiichi. Il commença à en avoir assez de redire sans cesse cette histoire. A la fin de son récit, le surveillant ne dit rien, se leva de son fauteuil et quitta la pièce. Intrigué, l'étudiant le suivit. Ils se rendirent trois portes plus loin, au bureau de Yoko.


    A sa surprise, l'endroit était désert. D'ordinaire, la jeune fille travaillait ici tous les Vendredis après-midi les six heures suivant le déjeuner.


    - C'est vide, s'étonna Rentarou.


    - Yoko-kun m'a dit qu'elle ne travaillerait pas aujourd'hui, révéla Onita en se dirigeant vers l'armoire. Son copain l'a invité pour le week-end, elle m'a dit.


    En fronçant les sourcils, Rentarou assembla les dernières pièces du puzzle mentalement : Noguchi l'avait invité pour l'empêcher d'être à son bureau.


    Pendant ce temps, Onita ouvrit l'armoire et prit le bocal à clés situé sur l'étagère la plus haute. Il le posa sur le bureau et l'ouvrit. Ses mains se saisirent d'une des clés, l'examina et la renifla.


    - Tu as raison. Il reste de petits fragments de pâte dans les trous.


    - C'est une preuve, n'est ce pas ?


    - Une preuve que quelqu'un a crée des doubles illicites, réfuta Onita. Cela incrimine autant Noguchi que toi puisque vous étiez dans cette pièce quand Yoko-kun est entrée.


    - Et les déductions de Seiichi ?


    - De mon avis personnel, je te crois, Satsuma. Je t'ai déjà observé. Tu es un gamin droit et incapable de commettre une malveillance.


    Le visage de Rentarou s'illumina de bonheur en entendant le surveillant croire son histoire. Cependant celui-ci ternit aussitôt sa joie.


    - Mais de mon point de vue professionnel, les théories de ton ami, mêmes si elles sont crédibles et méritent d'être retenues, ne peuvent pas se vérifier.


    - Alors Noguchi va s'en sortir … , murmura Rentarou dépité.


    - Non ! Je ne le laisserais pas faire ! résolut Onita avant de se tourner vers son interlocuteur en adoptant un ton moins bougon. Il y a une signification précise à ce geste.


    - Comme quoi ?


    - Vous autres, étudiants, ne le savez pas, mais les professeurs sont tenus de rendre les sujets des examens du second trimestre le 31 Octobre.


    - On est le 13, songea Rentarou.


    - Exactement. Ca m'étonnerait beaucoup que ce Noguchi n'ait pas choisi volontairement ce moment de l'année pour tenter son coup.


    - Mais, Onita-san, pourquoi ne l'a t-il pas fait au premier trimestre ? Ou même les deux années précédentes ? Après tout, il est troisième année.


    - Jusqu'à la fin de l'année dernière, c'était un garçon qui occupait le poste de Yoko-kun.


    Malgré lui, Rentarou éclata de rire. Il imagina mal en effet son ennemi flirter avec un autre garçon de son âge, même pour parvenir à ses fins. En tous les cas, la perspective l'amusa beaucoup.


    - Il me faut un plan pour coincer ce tricheur, dit Onita dans un de ses grognements habituels.
    En demeurant silencieux quelques instants, Rentarou se remémora des propos du surveillant : Noguchi emmenait Yoko en week-end. Par conséquent, son ennemi ne viendrait récupérer les sujets d'examens les deux prochains jours. Son esprit réfléchit à toute vitesse et une idée finit par germer.


    - J'en ai un, moi ! claironna t-il.


    Onita l'écouta. Il sourit narquoisement aussi.


    Pendant ce temps, dans la chambre de Rentarou, ses amis commencèrent à trouver le temps plutôt long. Soudain la porte se rouvrit à nouveau. Quelle ne fut pas leur surprise en découvrant l'invité que leur ramenait l'adolescent aux lunettes sombres !


    - Les cours sont finis ! On a le droit de monter à l'internat !


    - Je suis externe, je sais ! Je ne dois pas monter à l'internat ! Mais mes copains m'ont invité !


    Les plus nerveux étaient évidemment Shintarou et Tyro. Habitués aux constantes remontrances et punitions de cet homme, et ne faisant rien pour les éviter, leur premier réflexe était de se protéger.


    - Aujourd'hui je ne suis pas là pour vous deux, leur lança Onita dans un grognement.


    - J'ai ramené de l'aide, annonça Rentarou en refermant la porte derrière lui.


    - Réussir à t'allier au surveillant général qui terrorise tout le lycée, dit Seiichi malicieux. Tu es vraiment quelqu'un d'incroyable.


    D'un geste de la main, Rentarou calma l'agitation naissante pendant que son invité s'assit sur sa commode. Il rapporta ensuite les révélations faites par Onita.


    - Noguchi voudrait voler les sujets d'examens alors, s'écria Takaishi. Quelle honte !


    - Il n'a vraiment aucun honneur et ne recule devant aucune bassesse, s'énerva Shintarou.


    - Et on ne peut rien faire, soupira Kou. On n'a pas de preuve pour étayer nos soupçons.


    - C'est pas de simples soupçons, rétorqua Tyro avec véhémence. C'est de l'évidence ! Il faut prévenir les profs ! Il faut faire quelque chose !


    - Nos professeurs ne bougeront pas pour de simples présomptions, réfuta Seiichi impassible. Ils voudront des preuves concrètes.


    - Je l'avais bien dit, trancha Kou fataliste en haussant les épaules.


    - Mais on ne peut pas laisser faire, protesta Shintarou qui ne cessait de remuer. C'est pas juste !


    En voyant ses amis s'agiter à nouveau, Rentarou les rappela à l'ordre en tapant dans ses mains.


    - J'ai imaginé un plan pour coincer Noguchi.

     

    - Vraiment ? fit Shintarou dont le visage rayonna grâce ce nouvel espoir.


    - Mais pourquoi on s'en mêlerait au fait ? Les examens, la discipline, ça ne nous concerne pas. On est juste des élèves et …


    En écoutant le discours pessimiste et fataliste de Kou, Rentarou se courrouça. Tous les traits de son visage déjà si sévères habituellement se durcirent davantage. Son poing gauche se serra et cogna violemment la commode. Perché dessus, Onita sursauta du choc.


    - Tricher aux examens est injuste et impardonnable ! Il n'y a personne qui devrait le tolérer ! C'est une insulte à tous ceux qui travaillent dur pour réussir !


    Il se tourna vers Seiichi qui observait la réunion en silence du haut de sa chaise à roulettes.


    - Seiichi, quand tu obtenu 45% en Maths à l'examen du premier trimestre car tu as bossé à fond pour améliorer tes résultats, tu n'en étais pas satisfait ?


    Comprenant la technique utilisée par son meilleur ami, tout en devinant que son ami l'employait inconsciemment, pour convaincre les membres réticents de leur bande, Seiichi sourit un très court instant et hocha positivement de la tête.


    - Tyro, tu as échoué aux examens mais tu as travaillé dur pour réussir ceux de rattrapage. Malgré tous les efforts fournis, tu n'en as pas été heureux ?


    - Si ! C'était génial de passer de 32% à 75% !


    - Et toi, Shin, comment es-tu devenu cinquième du classement des premières années ?


    - J'ai travaillé à fond, lu des livres, révisé mes cours et fait des tonnes d'exos !


    - Et toi, Taka-chan, n'as-tu pas surmonté ton blocage pour la Chimie en Juillet pour réussir l'évaluation continue du mois de Juillet ? Tu en étais malade à chaque cours, chaque fois que tu prenais une éprouvette ou sentait une odeur, mais tu t'es as accroché !


    - Je voulais aussi que Kou-kun n'ait pas une mauvaise note à cause de moi …


    - Et quant à toi, Kou-kun, tu a réussi sur le fil du rasoir tes examens. Tu t'es donné beaucoup de mal pour y parvenir, non ?


    - C'est vrai … J'ai bossé dur tous les soirs jusqu'à minuit, voir une heure du matin. Et je devais partir à six heures pour aller au lycée …


    - Pensez à tous ces efforts et ces sacrifices que vous avez consenti. Que beaucoup d'autres ont fait eux aussi. Vous trouvez ça juste de permettre à quelqu'un qui ne prend pas la peine d'étudier de réussir ? On ne peut pas le laisser s'en sortir !


    - Rentarou-kun a raison, dit Takaishi. On doit faire quelque chose.


    - Moi, j'étais déjà d'accord, rappela Shintarou d'un ton ferme et résolu.


    - On va donner une bonne leçon à ce Noguchi, s'exclama Tyro en levant haut son poing droit.


    - Eh bien, si tout le monde est d'accord, je vous suis aussi, se décida Kou.


    - Dans ce cas, je vais vous parler de mon plan, reprit Rentarou qui s'était radouci. Lundi matin, Onita-san va faire une demande pour changer les serrures des bureaux des profs. Cependant ce ne sera pas possible avant Vendredi.


    - Pourquoi ça ? Les techniciens les auraient posés en fin de journée, s'étonna Kou.


    - Parce que c'est un leurre pour attirer Noguchi, révéla Onita en prenant la parole pour la première fois. Puisqu'il travaille au secretariat, il entendra parler de cette info et déduira qu'il devra venir voler les sujets entre Lundi et Jeudi.


    - Je vois. Vous voulez organiser une souricière dans le bâtiment des cours, comprit Tyro.


    - Et vous avez besoin de monde pour patrouiller aux quatre niveaux, ajouta Seiichi.


    - C'est exact, confirma Onita. Cependant à part deux à rester en bas près des entrées, on se contentera de surveiller principalement les accès par l'escalier.


    - Ca va être amusant !


    - Ce n'est pas un jeu, Shin, soupira Kou.


    La réunion se continua par des explications précises sur le rodage de leur opération. Chacun écouta attentivement et enregistra son propre rôle. Le week-end se déroula normalement. Ils le passèrent à travailler sur leurs études. Également, Shintarou donna sa première leçon à Rentarou.


    Dès le début de la semaine, aucun de la bande n'alla en cours. Onita avait rempli un faux formulaire indiquant que les six lycéens étaient malades jusqu'au Lundi suivant. Étant donné qu'ils passeraient les prochaines nuits dans les couloirs de leur lycée à veiller, les adolescents souhaitaient pouvoir se reposer en journée. Seul Rentarou se plaignit de ce choix. Personne ne l'écouta évidemment. Se suffire de deux heures de sommeil se révélait être un exploit, ou une folie, qu'aucun d'eux ne voulait réaliser.


    Lors des nuits de veille, l'organisation était très bien établie. En raison de leurs réflexes fulgurants et de leur vélocité, Seiichi et Shintarou s'étaient retrouvés de garde au rez-de-chaussée. Le petit rouquin se cachait derrière l'une des deux statues d'ange. Il surveillait attentivement la porte majestueuse de l'entrée principale. Habitué à évoluer dans le noir depuis sa petite enfance, le jeune homme distinguait les lieux comme en plein jour sans avoir besoin de lumière.


    Au contraire, Seiichi tremblait dans cet environnement ténébreux. Dissimulé derrière l'angle du couloir, il épiait la petite porte de derrière. Le jeune homme détestait l'obscurité. Toutes ses craintes, toutes ses peurs remontaient en lui et l'étouffaient. Il ne cessait d'éclairer le sol avec sa torche électrique. Seule cette faible lueur le rassurait.


    Quant au reste du groupe, ils s'étaient partagés les étages en tirant à la courte paille.

     

    Rentarou et Kou le premier, Onita et Tyro le second et Takaishi le troisième. Tyro avait fait une belle grimace en réalisant qu'il devait faire équipe avec son pire ennemi. Cela n'avait pas manqué de faire rire l'ensemble de ses amis. Sans parler, des habituelles taquineries de Seiichi et de Shintarou.


    Pendant trois nuits, rien d'anormal ne se passa. Au début, les veilleurs essayèrent de rester de debout mais, au fil des heures qui s'écoulèrent, ils se décidèrent à s'asseoir sur les marches de l'escalier attendant d'entendre un quelconque bruit.


    La quatrième nuit parut ressembler aux précédentes. A minuit passé, il ne se passa toujours rien. Soudain un bruit sourd retentit depuis une salle du fond du troisième étage.

     

    Spontanément, ceux de garde dans les escaliers se précipitèrent à cet étage. En les attendant, Takaishi essaya d'allumer les lumières mais aucun bouton ne répondit à sa stupéfaction.


    En arrivant sur le palier, Onita s'élança, imité par les jeunes qui le talonnaient de près. Ils se dispersèrent à travers les couloirs pour couvrir le plus de surface. Seul Takaishi demeura à l'entrée des escaliers pour garder le passage.


    Toutes les portes de classes et de bureaux étant fermées, Le groupe se réunirt devant celui du professeur de Biologie. Grande ouverte, elle semblait indiquer que le rôdeur devait encore être à l'intérieur. Onita y pénétra le premier. Du seuil de la porte, il inspecta avec sa lampe la pièces et ses recoins mais n'aperçut pas âme qui vive.


    - C'est de la sorcellerie ! balbutia t-il effaré.


    - Il a fait tombé un des cailloux de Tsukiyo-sensei, nota Kou.


    En éclairant le bas du bureau de sa torche, le jeune homme révéla une lourde et ronde roche sur le sol. Ils en approchèrent et Tyro le saisit dans ses mains.


    - Noguchi l'a probablement fait tomber ! Quel balourd !


    - Ce n'est pas une pierre de Tsukiyo-sensei, répliqua Rentarou. Elle nous a montré sa collection en cours. Celle-là, c'est juste une pierre ordinaire que tu ramasses n'importe où.


    - C'est vrai ?


    - Je sais ! s'écria Tyro en lâchant le caillou qui s'écrasa au sol. Celui qui est venu a lancé la pierre depuis la porte et a fui immédiatement !


    - Mais par où il serait parti ?


    - On a vérifié les couloirs, un de nous l'aurait croisé, ajouta Rentarou. De plus, même si nous l'avons manqué, Taka-chan aurait crié s'il était passé par le palier.


    Brusquement, Onita se frappa très fort le front du plat de sa main droite et jura :


    - Mais quels cons !


    Le surveillant quitta précipitamment la pièce mais n'alla pas loin. Il s'arrêta trois mètres plus loin face à une porte couvre-feu éclairée par une veilleuse à son sommet.


    - C'est bloqué ! rugit-il en frappant son poing contre le mur.


    - La sortie de secours, lâcha Kou, le teint blafard. Voilà comment il est entré et sorti si facilement.


    - Et il a du bloquer la porte de l'extérieur, ajouta Tyro. Il faut redescendre !


    Sans hésiter, Rentarou se rua sur la porte. Pour une fois, sa musculature hors du commun lui servirait à autre chose qu'à épater la galerie. Laissant libre cours à toute sa force, il donna de puissants coups d'épaule. Onita vint l'aider et à deux, ils parvinrent à faire sauter la porte de ses gonds. Celle-ci tomba alors sur le palier en métal de l'escalier de secours.


    - Rappelez-moi de ne jamais mettre Rentarou en colère, dit Tyro impressionné.


    - A présent, en avant ! ordonna Onita. Il faut retrouver ce fuyard !


    Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, Seiichi et Shintarou s'étaient retrouvés dans une situation que personne n'avait imaginé possible.
    En entendant le bruit de la pierre tombant au sol, les deux garçons s'étaient rejoints à l'escalier. Ils savaient que l'intrus sortirait par là et attendaient donc sa venue.


    - Si seulement je pouvais être dans mon lit … , murmura Seiichi en serrant très fort sa torche entre ses mains.


    - Dès qu'on attrape Noguchi, on ira au lit ! T'en fais pas, s'esclaffa Shintarou confiant.


    Plusieurs minutes s'écoulèrent lorsqu'ils sentirent subitement d'importantes rafales de vent. Intrigués, les deux adolescents se demandèrent ce qui se passait. Les guetteurs suivirent le sens contraire du vent et remontèrent jusqu'à la salle des casiers des troisièmes années.


    A leur surprise la plus totale, sur la petite estrade située sur la fenêtre la plus à droite de la pièce se tenait Noguchi Keigo.


    - Que fais-tu là ? s'écria Shintarou.


    - Je trouvais ça dommage de voir vos efforts se gâcher pour rien du tout, répondit-il malicieux.


    - Que veux-tu dire ? s'enquit Seiichi.


    - Eh bien, je n'ai jamais eu besoin de venir cette semaine voler les sujets d'examens. Je les ait en ma possession depuis deux semaines.


    - Quoi ?


    - Mais pourquoi tu as copié les clés dans ce cas ? s'intrigua Seiichi.


    - Pour avoir un coupable à faire accuser à ma place, dit Noguchi simplement. A l'origine, j'avais prévu d'appeler quelqu'un dans le bureau de Yoko peu avant son arrivée et de laisser les clés et les copies en évidence.


    - Et pourquoi tu ne l'as pas fait ?


    - Parce que votre copain est venu une heure avant pensant saluer Yoko. En me souvenant de sa nature idéaliste et de ses rapports avec Yoko, je me suis dit qu'il serait le meilleur coupable pour me blanchir. Ainsi j'ai changé mes plans.


    - Tu t'es servi de Rentarou ! Tu es horrible ! lança Shintarou méprisant.


    Seiichi ne réagit pas aux propos de Noguchi. Il s'intéressa à comprendre ses manigances.


    - Et comment savais-tu pour notre plan ?


    - J'ai envoyé un texto à Keiko pour surveiller Satsuma quand il sortirait. Je me doutais qu'il ne resterait pas tranquille.


    - Mais pourquoi tu fais ça ? s'insurgea Shintarou. Si tu veux réussir tes examens, étudie ! Comme n'importe qui !


    Pour la première fois depuis le début de la conversation, le regard de Noguchi s'attrista. Il se ressaisit vivement et toisa de haut ses interlocuteurs.


    - Je n'ai pas de temps à perdre ! Je dois obtenir les meilleurs résultats qui soient pour intégrer une prépa qui me permettra de me préparer à la fac de médecine ! Je dois le faire !


    - Tu sais, je veux aussi intégrer une fac de médecine. C'est très dur, je sais. Mais personne ne t'en voudras si tu rates un an.


    - Je ne peux pas attendre ! Je dois devenir un médecin ! Je dois sauver ma mère !


    - Ta mère ? répéta Seiichi en arquant un sourcil.


    Noguchi se mordit les lèvres. Il jeta un autre regard de mépris aux deux garçons en face de lui et poursuivit avec autorité :


    - Ma mère se meurt, mon père est alcoolique et ma sœur et moi devons travailler tout en suivant nos études ! Voilà pourquoi je dois réussir mes études rapidement et à n'importe quel prix !


    - Je pense que ta mère apprécie que tu commettes de mauvaises actions pour elle, émit Shintarou.


    - Je m'en fiche Je ne le fais pas pour elle ! Je fais ça pour survivre ! Je ne veux pas finir dans un orphelinat ! Pas plus que Keiko !


    Brusquement, le jeune homme dressa l'oreille. Il entendit des voix se rapprocher.


    - Je dois y aller, dit-il d'un ton suffisant. Et n'oubliez pas que cette conversation n'est pas une preuve. Comme vous êtes amis avec Satsuma, il n'y aura personne pour vous croire !


    L'adolescent enjamba la fenêtre et sauta de l'autre côté. Immédiatement, Shintarou le suivit sans hésiter. Cependant dans l'action, son pied arracha la lampe que Seiichi tenait dans ses mains et l'objet se fracassa sur le carrelage. A peine la lumière eut disparu, le jeune ninja perdit tous ses moyens. Il tomba à genoux, frissonna et trembla de tous ses membres. Sa terreur dura un temps indéfini qui lui sembla s'éterniser.


    Pendant ce temps, le groupe de Rentarou était arrivé à la fenêtre ouverte quelques minutes après que Noguchi soit sorti. Ils remarquèrent la silhouette de Shintarou courir après lui et s'élancèrent eux aussi. Ils traversèrent tout le campus en passant devant le club de tennis et en longeant le bâtiment de l'internat, la forêt et le terrain du club de football. Noguchi se rendit jusqu'au mur d'enceinte, grimpa lestement au lierre fixé à cet endroit et sauta de l'autre côté. Shintarou fut le premier à le suivre mais resta sur la faite du mur.


    - Merde !


    - Shin ! cria Rentarou. Pourquoi tu ne le suis pas ?


    - Une voiture l'attendait. Désolé … Mais je ne sais pas suivre ça …


    - Et merde ! répéta l'adolescent aux lunettes sombres en frappant le mur avec son poing.


    Dépités et amers, la troupe revint vers le bâtiment des cours. Onita ouvrit la porte d'entrée principale puis se rendit au boitier de commandes électriques remettre le courant. Pendant ce temps, Kou partit chercher Takaishi resté au troisième étage.


    - Seiichi et moi, on sait tout ce que Noguchi a fait …


    Totalement déprimé, Shintarou s'était laissé choir sur les longues marches de l'escalier.


    - Où est Seiichi, au fait ? s'inquiéta Tyro.


    - Je suis là.


    Apparaissant du couloir de gauche, le jeune ninja avait repris son air impassible. Il se sentit totalement inutile et faible d'avoir échoué dans sa mission. Surtout à cause d'une peur si puérile.


    - Où étais-tu ? demanda Rentarou soucieux.


    - Je suis désolé. Je me suis foulé la cheville en m'élançant pour suivre Noguchi.


    Terriblement honteux, le jeune ninja murmura ce mensonge. Heureusement pour lui, Onita revint. Seiichi et Shintarou firent le témoignage du récit que leur avait conté Noguchi.


    - Alors il nous a complètement manipulé, comprit Kou qui venait de revenir.


    - Et il a déjà les sujets, soupira Shintarou. Tout est perdu !


    - Je vais demander aux professeurs de préparer de nouveaux sujets, résolut Onita. Il ne pourra utiliser les fruits de son larcin.


    - Et vous pouvez le confondre ? demanda Rentarou anxieux.


    - Comme Noguchi l'a dit : Shiromiya et Fujita sont tes amis. Si je prends leur témoignage, ce ne sera pas retenu.


    - Alors je reste suspect …


    Onita secoua négativement la tête et répondit gravement :


    - Je n'ébruiterais pas l'affaire. Je dirais que les sujets d'examens ont été volés mais on ne sait pas par qui. Je ne prendrais pas le risque que tu sois accusé à tort si je ne peux coincer Noguchi.


    - C'est nul, se lamenta Shintarou. C'est vraiment nul.


    - Qui a dit que nous vivions dans un monde juste ? soupira Tyro. Félicitons-nous d'abord si Rentarou ne soit pas inquiété dans cette histoire.


    La mort dans l'âme, les cinq adolescents durent se résigner à accepter cette triste conclusion. Ils partirent se coucher sans échanger un mot, avec l'impression de porter un sac de cent kilos sur leurs épaules.

     


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  • Chapitre 40


    En revenant au lycée le Lundi suivant, Rentarou eut du mal à retrouver ses marques. Tout le monde ne parla que la victoire au tournoi régional pendant toute la semaine. Pourtant, il n'estima pas mériter de telles ovations.


    Malgré le fait d'avoir gagné ses trois derniers matches, le lycéen géant ressentait encore le contrecoup de sa défaite et n'en aimait vraiment pas son goût amer. Il se souvenait encore de ce moment où ses genoux s'étaient écrasés sur le sol quand son adversaire, quelques jours plus tôt, avait pris le dernier point lui permettant de remporter la victoire avec un score de 6-2. Le jeune homme prenait conscience de compter trop sur ses capacités innées. Il lui fallait progresser afin de devenir plus fort et ne plus jamais perdre.


    En y réfléchissant, Rentarou reconnaissait que seul son orgueil l'avait conduit là. Ce défaut lui interdisait de suivre les conseils des autres s'il n'était pas décidé à leur demander. Ce qui n'arrivait pas souvent. Tyro et Seiichi auraient pu lui expliquer dans le moindre détail comment mettre de l'effet dans ses balles. Ils lui auraient détaillé avec précisions leurs connaissances. Rentarou le savait et leur faisait pleinement confiance. Cependant il éprouvait ce besoin d'apprendre par lui-même et de se satisfaire de n'avoir eu besoin de personne pour y être parvenu.


    Apparemment, il lui fallait surtout apprendre à demander de l'aide …


    Après l'appel téléphonique de Seiichi lors de la semaine dernière, Rentarou avait commencé à se remettre en question progressivement. Il s'était souvenu des émotions ressenties au cours du mois de Juillet et de sa résolution à faire gagner son équipe et de son implication. Le lycéen géant avait réuni ses équipiers dans ce but et avait accepté d'avoir besoin de leurs forces. Ses souvenirs lui avaient montré avoir accepté les leçons proposées par Raphael avec humilité. Toute la passion ressentie tout le long du match qui l'avait opposé à Kimura lui était revenue en mémoire. Jamais, à ce moment là, il ne s'était jamais senti aussi complet, ni aussi vivant.


    Le jeune homme aux lunettes sombres se sentait plus apaisé actuellement. La brume qui recouvrait son chemin venait enfin de se dissiper. Il souhaitait revivre des sensations aussi fortes et intenses que durant la finale contre Saint-Christophe.


    Venir à bout à de ses réticences n'était pas une simple tâche. Il côtoyait chaque jour ses deux meilleurs amis et pouvait demander leur aide à n'importe quel moment. Cependant le lycéen géant devait aussi rassembler son courage et prononcer ces fameux mots.


    Un midi, en déjeunant avec sa bande, Rentarou se décida à ne plus fuir.


    - J'ai quelque chose à vous demander … , dit-il, le regard fuyant.


    Il abaissa ensuite son dos vers le sol, les mains sur ses genoux. Son visage collé contre le carrelage froid. Au fond, le respect de la tradition japonaise l'arrangea bien. Éviter le contact visuel lui rendrait les choses un peu plus faciles.


    - Est-ce que … est que vous pourriez m'enseigner les effets au tennis ?


    L'adolescent eut du mal à démarrer sa phrase. Cependant dès que son cerveau trouva les mots à dire, il la prononça rapidement, comme on se débarrassait d'une corvée qu'on ne voulait pas. Il resta courbé vers le sol ne pouvant pas regarder encore ses interlocuteurs. Connaissant sa nature indépendante, ses amis sourirent de cet effort.


    - Rentarou, on dirait que ça te prend toute ton énergie ta demande, rigola Shintarou.


    - Moi, je ne l'ai jamais vu demander d'aide à quelqu'un, dit Kou. Il a toujours préféré se cacher et régler seul ses problèmes. Comme les chats, quoi !


    - J'ai atteint mes limites, confessa Rentarou en pestant intérieurement. J'ai besoin d'aide pour aller plus loin et progresser.


    - Le grand Tyro-sama va t'enseigner tout ce qu'il sait, s'exclama Tyro, en bombant fièrement le torse, les bras croisés.


    - Cela signifie qu'il va continuer à perdre ? Après tout, il n'y a qu'une personne pour t'enseigner les meilleurs effets qui soient. Une personne qui n'a jamais perdu un match, par exemple.


    En entendant la réplique immédiate de Seiichi, Rentarou redressa la tête et sourit. Ses deux meilleurs amis lui étaient vraiment précieux. Ils ne lui posaient jamais de questions quand ils sentaient qu'il ne voulait pas répondre. Excepté quand Seiichi comprenait la néccesité de s'entêter à le faire parler pour son propre bien. Autrement, tous deux le laissaient libre de dire ou ne pas dire ses sentiments et ne se moquaient pas de ses faiblesses ou de ses décisions. Les Sanonis pouvaient être en désaccord parfois. Toutefois, aucun d'eux ne cachait le fond de sa pensée et l'exprimait clairement puis n'y revenait plus. A part si l'intérréssé le demandait. Naturellement, les autres ne lui jetaient pas la pierre. D'abord, ils le consolaient puis l'aidaient à tirer des conclusions de ses erreurs.


    - Vous n'avez qu'à lui apprendre tous deux ce que vous savez, conseilla Takaishi. Ainsi il pourra trier et prendre ce qu'il préfère. Il y aura également des trucs qu'il ne maitrisera peut être pas.


    - Rentarou maitrise n'importe quoi en sport en moins d'une journée de pratique.


    - C'est vrai. Pendant les vacances d'été, il a appris à lancer des balles comme un lanceur au base-ball pour contourner l'obligation d'apprendre des effets, rapporta Tyro. C'était impressionnant !


    - Enfin c'était juste des balles rapides, reprit le jeune fan de base-ball. Ceux sont celles réservées pour les débutants et les enfants. On les maitrise facilement.


    - Rapides, changeantes, cassantes et glissantes, dit Rentarou d'un discret sourire narquois.


    Rendu muet de cette énumération, Takaishi demeura incapable de prononcer un seul mot.


    - C'est quoi ça ? demanda Kou ne connaissant pas grand chose à la terminologie sportive.


    - Les quatre types de lancers principaux au base-ball, expliqua Tyro qui s'amusait du manque de réaction de son ami à casquette.


    - Tu t'y connait en base-ball ? s'étonna Shintarou en se retournant vers Tyro.


    - Avec mes frères et sœurs, j'y joue depuis que je suis gosse et on va voir des matches ensemble. Je suis aussi très calé en foot, en kendo, en karaté, en basket, en volley et en danse.


    Le sourire moqueur sur les lèvres, tout le monde apprécia la remarque sur la danse en se retenant difficilement de rire ou d'émettre un commentaire, spécialement en ce qui concerna l'adolescent aux cheveux ébènes et le petit rouquin.


    - Sinon Rentarou, je peux t'apprendre, si tu le veux, ma technique secrète.


    La conversation se réorientant vers lui, Rentarou tendit l'oreille. Il chercha qui lui parla et reconnut alors la stridente voix de Shintarou. Le lycéen géant tourna la tête vers lui.


    - C'est quoi ta technique secrète ?


    - Eh bien, c'est une technique qui est secrète, comme son nom l'indique. Alors si tu connais la signification de ce mot, tu te doutes que je ne peux pas l'expliquer ici.


    - Excellente réplique, Shin !


    - On n'a jamais dit qu'il nous fallait un second Seiichi, soupira Tyro.


    Rentarou soupira aussi. Il adorait ses amis. Vraiment. Mais parfois ils avaient tous le don prodigieux de l'agacer. Le jeune homme reprit, d'un ton pincé :


    - Shin, tu as l'intention de me l'apprendre, oui ou non ?


    - Je t'apprendrais si nous sommes seuls, résolut le rouquin imperturbable. De toute manière, peu de gens peuvent recevoir cet enseignement.


    - Tu penses que Seiichi et moi ne saurions pas maitriser ta technique ? se vexa Tyro.


    Les yeux du rouquin brillèrent étrangement suite à cette réflexion. Rentarou y lut beaucoup d'amusement ainsi que la présence d'un autre sentiment luisant dans ses pupilles vertes. De la fierté ? Il n'en était absolument pas sûr. De plus, Shintarou n'était pas le genre de personne à agir par fierté.


    - Étant donné que je suis certain de vous battre si j'utilisais la totalité de mon potentiel, je pense, en effet, que vous ne pouvez pas la maitriser.


    - Tu penses que je ne peux pas te battre ? Eh bien, on va régler ça rapidement dès ce soir !


    - Calme-toi, Tyro, s'opposa Takaishi en bloquant la poitrine de son ami pour retenir ses gestes d'agressivité et d'énervement.


    - Pas motivé … , marmonna Shintarou. J'ai plus envie de jouer avec mon vrai niveau …


    En observant en silence la silhouette du jeune rouquin, Seiichi réfléchit à ses propos et se souvint de leur conversation sous la pluie. Il devina la probable raison l'empêchant de jouer en utilisant son potentiel maximal. Contrairement à Tyro, le jeune ninja n'éprouvait pas de doutes sur ses redoutables capacités. La preuve résidait en le fait que le rouquin remarquait toujours les plus infimes détails au cours d'un jeu. Sans parler de voir distinctement les balles de Rentarou quand celui-ci avait recours à l'Invisible Server. Pour cette simple raison, Seiichi comprenait que Fujita Shintarou devait être un formidable et impressionant adversaire.


    Malgré son impatience à découvrir le véritable style de jeu de Shintarou, il se résolut à attendre patiemment. Un jour prochain, son ami se déciderait, sans le moindre doute, à l'utiliser.


    - Suffit, Tyro, trancha Seiichi. Il ne veut pas jouer. Cela ne sert à rien de le forcer.


    - Mais … , bouda Tyro comme un gamin. Je voulais jouer contre lui !


    Pendant ses jérémiades, Rentarou convint d'un arrangement avec Shintarou pour pratiquer ses entrainements. Celui-ci choisit chaque Samedi matin comme rendez-vous mais ne dit pas le lieu. Il insista pour conduire à chaque fois son ami sur un court public différent de Tokyo.

     

    Le lycéen géant trouva tout ce dispositif à la limite de la paranoia et se demanda sérieusement quelles techniques maitrisaient Shintarou. Il accepta aussi pour les autres jours de la semaine que ses deux meilleurs amis lui enseignent toutes leurs connaissances sur les effets.


    Le reste de la semaine se déroula sans la moindre anicroche. En Anglais, Aizawa avait rendu à Rentarou son statut de victime officielle au grand soulagement du petit Miura. Les autres professeurs ne se soucièrent pas de sa présence donnant cours comme la dernière fois où il les avait vu. Seul le professeur Hashimoto se distingua de ses collègues et félicita chaleureusement son élève pour avoir étudié sérieusement, malgré sa participation au tournoi régional du Kanto, et d'être resté au même niveau niveau que ses condisciples. Le compliment toucha beaucoup Rentarou dont les joues avaient rougi quand l'enseignant l'avait formulé. Il avait essayé de le remercier de manière convenable mais n'avait réussi qu'à bafouiller un très bref merci à peine audible, la tête penchée vers sa table.

     

    Un jour que la classe 1D attendait devant la porte fermée de la salle d'Anglais que le professeur libéra une des classes de seconde année pour entrer à leur tour, il se produisit un événement aux conséquences fâcheuses.


    Peu pressé d'entrer en cours, Rentarou s'était adossé contre le mur du couloir et regardait droit devant lui.


    En face de lui se tenait un seul étudiant, dans la même position que lui, près de la porte de la salle de Japonais. Il s'étonna de sa solitude. D'ordinaire, un lycéen restait avec ses amis ou, au moins, ses camarades de classe. Le jeune colosse supposa donc que ce garçon avait une question à poser au professeur Noda. Sur le revers droit de son blazer était épinglé trois petites étoiles dorés. Ces étoiles indiquaient l'année d'un étudiant. Se souvenant qu'une des classes de troisième année avait pour professeur titulaire Noda, il ne jugea pas sa présence incongrue.


    Malheureusement, Seiichi l'avait vu lui aussi et ne pensa pas comme lui.


    - Tu attends quelqu'un, Noguchi ?


    Avec surprise, Rentarou tourna la tête vers son meilleur ami. L'adolescent se demanda pourquoi celui-ci parlait avec ce ton impassible et sévère utilisé essentiellement pendant le premier trimestre.


    - Seulement ma copine, répondit simplement Noguchi. J'ai le droit, non ?


    Le jeune homme se redressa et s'avança vers Rentarou. Il lui sourit et tendit sa main.


    - Tu es le fameux Rentarou, hein ? Celui qui joue au tennis avec les titulaires malgré que tu sois en première année ! Je suis très impressionné et enchanté de te rencontrer enfin !


    Embarrassé, l'adolescent aux lunettes sombres n'apprécia pas beaucoup qu'on lui rappela sa célébrité. Il s'apprêta toutefois à serrer la main de son interlocuteur lorsque Seiichi écarta violemment la large paume de son ami.


    - Rentarou n'a pas envie d'être ton ami.


    - Seiichi ! C'est très impoli ce que tu as fait, dit Rentarou réprobateur. Et puis …


    - Tu es toujours aussi mauvais on dirait, rétorqua Noguchi en souriant toujours. Tu défends ton petit ami peut-être … J'ai raison ?


    L'allusion ne plus pas du tout à Seiichi. Cela lui remémora davantage leur dernière entrevue et toisa son interlocuteur d'un regard menaçant. Rentarou ne comprit absolument rien aux événements se déroulant devant lui. Toutefois, il devina que les deux garçons se détestaient mais s'interrogea sur la raison qui les poussaient à se haïr.


    A ce moment, la porte de la salle de Japonais s'ouvrit. Les élèves de 1B en sortirent au compte-goutte. Ils passèrent devant les deux adolescents qui se disputaient sans réagir. Une seule personne du groupe s'immobilisa à leur hauteur.


    - Décidément, vous ne vous aimez pas tous les deux, soupira Yoko.


    - C'est lui qui a commencé, Yoko, accusa Noguchi en se tournant vers elle. Je t'attendais juste pour te dire bonjour quand il m'est tombé dessus.


    - Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas afficher notre relation, rappela la jeune fille réprobatrice.


    - Tu sais, Yoko-chan, intervint Rentarou qui craignait ses réactions pour son ami, il …


    - Bonjour Rentarou-kun, le coupa t-elle avec un sourire radieux. Cela fait longtemps que nous ne sommes pas vus. Félicitations pour avoir gagné le tournoi régional !


    Rentarou sourit et apprécia les compliments de cette jeune fille qui l'avait détesté durant tout le premier trimestre. Leur relation semblait évoluer de manière positive. Prenant confiance, l'adolescent se décida à oublier ses appréhensions naturelles et à écouter les conseils de ses amis.


    - Yoko-chan, comme ça fait un moment qu'on ne s'est pas vus, cela te plairait si on passait un peu de temps ensemble ce week-end ?


    - Fais attention, Rentarou. Quelqu'un ne va pas du tout apprécier ta demande.


    Le lycéen géant tourna la tête vers Seiichi et se demanda ce qui arrivait aujourd'hui à son meilleur ami. Se tenant aux côtés de Yoko, Tyro décida d'intervenir afin de limiter les dégats.


    - Bon, ce n'est pas tout mais on devrait y aller. Vous n'êtes pas au courant mais Seiichi doit prendre un traitement le matin. Quand il ne le prend pas, ça le rend irritable. Alors je pense qu'il l'a oublié ce matin. C'est ça, Rentarou, hein ? Vous n'êtes pas allés à l'infirmerie ce matin, n'est-ce pas ?


    Rentarou savait très bien que son meilleur ami ne suivait aucun traitement. D'ailleurs, son rhume s'était terminé une dizaine de jours plus tôt. Toutefois, il avait compris le message de Tyro au travers de ce mensonge. Celui-ci venait d'aménager une porte de sortie. Le lycéen géant s'empressa de sauter dessus et donna au passage un discret coup de pied dans la cheville de Seiichi pour le dissuader d'ouvrir la bouche.


    - Oh ! C'est vrai ça ! Alors on va y aller tout de suite !


    - Je vais y aller aussi, annonça Tyro. Ca m'inquiète tout ça.


    Les Sanonis se dépêchèrent de décamper le plus rapidement possible tout en adoptant une attitude naturelle. Aucun d'eux n'était véritablement certain d'avoir su duper leur amie.
    En les regardant s'éloigner, Yoko secoua la tête négativement. Ces trois-là se montraient toujours si synchrones, organisés et précis qu'elle ne parvenait jamais à dire si leur excuse était vraie ou non. Haruko elle-même ne pouvait pas l'aider. L'infirmière refusait de parler de ses patients.


    Pendant ce temps, les Sanonis avaient filé derrière le bâtiment administratif. Malgré le froid, c'était le lieu le plus sûr du campus. De plus, ils portaient tous trois des vêtements assez chauds pour être protégé du vent glacial qui soufflait en permanence depuis le début du mois.
    S'étant assis sur la marche la plus haute, Rentarou réclama des explications :


    - Je peux savoir ce qui se passe ?


    - Noguchi n'est pas une personne que tu aimes, dit Seiichi aussi tranquillement que s'il aurait parlé de la météo.


    - Ce n'est pas à toi de décider, protesta Rentarou. Il a l'air sympa, en plus.


    Tyro n'était vraiment pas de nature patiente. Et rester debout face à ses compagnons assis sur l'escalier diminua encore plus son bas taux de patience. Peu enclin à rester là jusqu'au déjeuner, il décida d'accélerer le rythme de la conversation.


    - Il sort avec Yoko-chan !


    La nouvelle passa évidemment très mal. Rentarou leva ses yeux vers son meilleur ami et se demanda s'il ne plaisanta pas. C'était tout à fait son genre de dire n'importe quoi pour s'amuser de la tête de la personne ciblée.


    - Il dit la vérité, confirma Seiichi. Nous les avons vu s'embrasser la semaine dernière. Yoko-chan a alors fait les présentations.


    - Et alors ? Je m'en moque ! mentit Rentarou en haussant les épaules et en détournant son regard vers une partie du mur d'enceinte. Elle fait ce qu'elle veut !


    - Rentarou … , soupira Seiichi. Nous savons que cela t'affecte. Au cas où tu aurais oublié, nous t'avons fait avouer tes sentiments.


    Rentarou pouvait difficilement oublier un tel moment. Tout le Samedi du week-end précédant la rentrée, ses deux meilleurs amis, aidés par Nobu, l'avaient littéralement harcelé pour tirer au clair les sentiments ambiguës nourris à l'égard de Yoko. Las de se défendre perpétuellement, il avait cédé.


    - J'ai pas envie d'en parler, déclara Rentarou en maintenant son regard loin de celui de ses amis.
    - Moi, je vais te dire ce que j'en pense, décida Tyro.


    Les yeux posés sur une pierre descellée du mur d'enceinte, Rentarou manqua de soupirer de soulagement. Au moins, les paroles de Tyro étaient toujours mieux à entendre que les leçons de morale que prodiguait toujours Seiichi.


    - Je comprends que Seiichi veuille de te protéger. C'est un truc dur. Cependant c'est entièrement de ta faute. C'était ton droit de ne rien dire de tes sentiments à Yoko-chan. Mais ne sachant rien à ce sujet, elle peut donc sortir avec tous les garçons du lycée si elle en a envie. Donc même si tu es malheureux en ce moment, souviens-toi que le seul qui t'a blessé c'est toi.


    Surpris d'entendre un sermon sortir de la bouche de Tyro, Rentarou tourna rapidement sa tête. Il observa attentivement son ami.


    - Moi qui me réjouissait de ne pas entendre de leçon de Seiichi.


    Malgré la situation sérieuse, l'adolescent aux cheveux ébènes éclata de rire de voir son ami si dépité suite au discours de Tyro. Malheureusement, le trio se fit remarquer à cause de cela. Un instant plus tard, la porte derrière eux coulissa et s'ouvrit. Sur le seuil apparut le redoutable Onita.


    - On a des ennuis, les gars, prédit Tyro.


    Immédiatement, Rentarou et Seiichi se retournèrent. Ils grimacèrent tous deux de cette apparition et se relevèrent pour rejoindre leur ami déjà debout.


    - Eh bien, que faites-vous ici ? Dans l'emploi du temps des premières années, je ne me souviens pas qu'il y a un trou le Vendredi matin.


    - Notre prof est absent, dit spontanément Tyro.


    Stupéfait par cette nouvelle bêtise, Seiichi leva le bras et le frappa à l'arrière du crâne. Il n'arriva pas à croire que celui-ci pouvait raconter un tel mensonge à la personne qui établissait chaque emploi du temps.


    - Vraiment, Sakumai ? Et il s'est passé quoi ? Il a eu un malaise ? Il est tombé subitement dans les pommes et s'est cassé la figure dans les escaliers ? Il est parti en ambulance ?


    Brusquement, le ton de la surprise et de la curiosité se transforma en une immense explosion de colère :


    - MAIS TU VAS ARRÊTER DE ME PRENDRE POUR UN ABRUTI, ANDOUILLE ?


    - Excusez-le, Onita-san, fit Seiichi en se massant les tempes, mais ce n'est pas la faute de Tyro. Il a oublié son cerveau dans le ventre de sa mère et ne peut donc pas comprendre le sens de ses paroles.


    Rentarou dissimula un petit rire dans sa main en simulant une quinte de toux. Quant à Tyro, il foudroya du regard le jeune ninja qui sembla beaucoup apprécier sa plaisanterie.


    - Vous n'avez pas envie d'aller en cours, c'est bien ça ? demanda Onita en regardant chacun des trois adolescents avec une grande attention.


    - On va y retourner tout de suite, enchaina rapidement Rentarou. On faisait juste une petite pause !
    - Non, non, non ! Je vous donne l'autorisation de ne pas y retourner.


    - C'est vrai ? Trop cool !


    Très réalistes, Rentarou et Seiichi se doutèrent que cette annonce était trop belle pour être vraie. Connaissant la personnalité du surveillant, il devait avoir imaginé une alternative pire.


    - Je vais vous donner seulement un travail à faire et vous serez libres, poursuivit-il.

     

    Shiromiya, puisque tu en as l'habitude, tu nettoieras le réfectoire. Sakumai, tu ramasseras les feuilles qui tombent dans la cour.


    - Mais avec ce vent, je vais en avoir pour des heures !


    - Et quant à Satsuma, tu nettoieras mon bureau. Il y a longtemps qu'il que ça n'a pas été fait.


    Aucun des Sanonis ne s'enthousiasma de sa tâche. Si les deux premiers ne se plaignirent pas, Tyro ne cessa de râler avant de se séparer pour se mettre au travail.


    En accompagnant Onita à son bureau, Rentarou soupira, déjà découragé par l'aspect de la pièce. En apparence, elle était très bien rangée. Cependant elle comptait un nombre impressionnant de bibelots à astiquer.


    En premier, le lycéen géant débuta par la tâche la plus longue : la vitrine en verre dans laquelle était exposée de nombreux trophées. L'adolescent ouvrit les portes du meubles et s'impressionna du nombre de coupes dedans. Chacun pour une victoire dans un art martial, en boxe et en gymnastique. Les années gravées dessus remontaient essentiellement aux années entre 2020 et 2030. Il commença à frotter chacun d'eux, un par un.


    - C'est vous qui avez gagné tout ça ? se risqua t-il à un moment.


    Assis derrière son bureau, les pieds dessus, Onita surveilla avec une attention particulière Rentarou. La question posée ne lui procura aucune expression nouvelle sur le visage.


    - Pourquoi ? Ca t'étonne tant que ça ?


    - Non ! Je suis juste très impressionné. Malgré votre petite taille, vous ne vous êtes pas laissé abattre et vous êtes devenu très fort. C'est génial comme attitude !


    Rentarou continua à astiquer la coupe de karaté entre ses mains. Cette réponse surprit le surveillant bien mais n'en manifesta aucun signe extérieur. Les quelques étudiants qui avaient nettoyé son bureau au cours d'une punition n'avaient jamais réagi ainsi. Souvent, ils se moquaient de lui en disant qu'avec un ventre aussi gras, il lui était impossible de pratiquer sérieusement un sport. Son embonpoint n'était pourtant pas si important. D'autres se contentaient de qualifier son palmarès de cool.


    Après l'astiquage des trophées, Rentarou se redressa et referma la vitrine. Il dépoussiéra ensuite les autres objets de la pièce. A savoir le porte-manteau où pendait éternellement le vieil imperméable gris d'Onita, le diplôme d'éducateur accroché au mur et une étagère pleine de romans d'amour. Ce dernier détail amusa beaucoup Rentarou mais sa politesse et sa bonne éducation l'empêchèrent de le montrer.


    L'adolescent passa ensuite au mur derrière le surveillant général où était suspendu les chaines, martinets et autres instruments servant à administrer un châtiment corporel. Un léger frisson parcourut son corps en touchant ces objets avant de remarquer un étrange détail.


    - Vous êtes très intelligent, Onita-san, s'exclama t-il en se retournant.


    - Hein ? fit celui-ci en pivotant son siège vers son interlocuteur.


    - Vous ne vous êtes jamais servis de ces objets, poursuivit Rentarou. Il s'agit d'une mise en scène pour impressionner les élèves et les obliger à vous craindre. C'est ça, hein ?


    - Comment peux-tu dire ça ? persifla Onita en élevant la voix.


    - Parce qu'aucune des lanières n'est abimé. Vous avez dit de nombreuses fois que vous pratiquiez les châtiments corporels dans les écoles où vous avez travaillé qui les autorisait. Mais si vous n'utilisiez qu'un seul de ces martinets ou de ces fouets, l'un d'eux serait forcément défectueux. Le cuir s'use quand il frotte une peau.


    Le regard fuyant, Onita tourna vivement son fauteuil dans l'autre sens.


    - Tu vas probablement le dire à tout le monde, marmonna le surveillant d'un ton aigri.


    - Je ne dirais rien du tout. Je le promets, s'engagea Rentarou. Car je pense que vous êtes important. Les règles sont indispensables à la vie en société et pour leur respect, il faut malheureusement insuffler la crainte dans le cœur des gens.


    Tout e jetant un regard en biais à l'étudiant derrière lui, Onita sourit très brièvement puis somma celui-ci de reprendre son ouvrage. Rentarou obéit docilement. Il termina rapidement puis balaya et lava le plancher.


    En sortant du bureau d'Onita, l'adolescent consulta sa montre. Elle indiqua quatorze heures avec quelques minutes derrière. Il se décida à aller travailler à la bibliothèque en attendant la fin des cours et surtout la fin de la punition de ses deux meilleurs amis.


    Avant de quitter le bâtiment administratif, il voulut passer au bureau de Yoko la saluer. Celle-ci n'étudiait pas la Chimie. Elle n'avait donc pas cours cet après-midi.


    Comme à chaque fois où il lui rendait visite, Rentarou entra sans s'annoncer ni frapper. L'adolescent adorait la surprendre. Il adorait encore plus quand elle prenait son air fâché, la trouvant terriblement mignonne dans ce moments-là. Un jour, le lycéen géant l'avait rapporté à ses amis. Tyro avait alors manqué de s'étrangler avant de tomber de son lit.


    Mais ce jour-là, derrière la porte, une mauvaise surprise attendait Rentarou.


    En ouvrant la porte, il découvrit derrière le bureau une autre personne que Yoko. Celle-ci avait laissé les portes de l'armoire dans le fond grandes ouvertes. Le dessus du meuble, où s'accumulait normalement plusieurs piles de documents, était vide.


    Sur cet espace, désormais vide, était posé un bocal avec des dizaines et des dizaines de clés dedans. D'autres reposaient à côtés mais elles paraissaient différentes. Celles-ci semblaient être faite en une étrange pâte et non en métal. La personne derrière le bureau prenait justement une des clés du bocal et étalait une mixture bizarre dessus.


    - Qu'est-ce que tu fais, Noguchi-san ? demanda Rentarou intrigué.


    - Satsuma ? Que fais-tu là ? Les étudiants qui ne travaillent pas ici n'ont pas à venir.


    - Eh bien, je venais voir …


    L'adolescent se tut en plein milieu de sa phrase. Il remarqua subitement l'inscription inscrite sur l'étiquette du bocal.


    - Ceux sont les doubles des clés des bureaux des profs, s'exclama Rentarou. Est ce que … tu les copies ?


    - Je n'ai pas à te rendre de comptes sur mes activités, Satsuma, répliqua Noguchi. A présent, pars !


    - Dis-moi la vérité ! exigea Rentarou en fronçant les sourcils. Que fais-tu ?


    L'élève de troisième année ne lui répondit pas et continua son ouvrage pendant que Rentarou le harcela de questions. Lorsqu'il eut fini, Noguchi rangea les copies dans sa poche et remit le bocal dans l'armoire avant de la refermer à double tour.


    - Tu devrais partir, conseilla Noguchi d'un ton sifflant.


    - Pas question ! Je veux savoir ce que tu vas faire !


    Brusquement, la porte de la pièce s'ouvrit. Yoko parut sur le seuil et la referma aussitôt.


    - Il y a du monde ici, constata d'elle avec amusement.


    Décidé à obtenir des aveux de son suspect, Rentarou se tourna immédiatement vers elle. Il lui rapporta minutieusement toute la scène aperçue quelques minutes plus tôt.


    - C'est vrai, Keigo ? voulut-elle savoir à la fin du récit.


    - Ma version à moi est différente, répondit Noguchi avec embarras. Je viens d'arriver il y a environ dix minutes. Je suis entré ici pour t'attendre et j'ai trouvé Satsuma ici.


    - Tu as un témoin que tu n'es là depuis dix minutes seulement ? demanda Rentarou avec un sourire de carnassier.


    - Il y a ma petite sœur qui attend à l'entrée, informa Noguchi. Nous étions rentrés à la maison et je l'ai aidé à faire ses devoirs.


    Yoko quitta la pièce en se mettant en devoir de vérifier la vérité. Dès qu'elle fut partie, Noguchi se tourna vers Rentarou. Il regarda celui-ci beaucoup plus méchamment.


    - Tu aurais du partir depuis longtemps, tu sais. Quand elle reviendra, tu seras complètement discrédité à ses yeux.


    Extérieurement, l'adolescent ne manifesta aucun signe d'inquiétude mais se demanda ce qu'il avait pu imaginer pour annuler son témoignage. D'ailleurs quand Yoko revint, le lycéen géant n'aima pas du tout sa manière de le regarder. Elle sembla l'avoir condamnée.


    - Keiko-chan m'a dit qu'elle avait accompagné Keigo jusqu'ici, annonça Yoko.


    - C'est sa sœur. Elle peut mentir pour lui, protesta Rentarou.


    - Avec elle se tenait une fille de notre classe, à Keiko-chan et moi. D'ailleurs, elles ne s'entendent pas. Or, elle m'a affirmé que Keigo et Keiko-chan sont arrivés il y a dix minutes.


    Se sentant vaincu, Rentarou réalisa dans quel piège machiavélique il venait de tomber. Avec des preuves aussi évidentes, mais fausses, personne ne pouvait croire sa propre histoire.

     

    Ravalant autant que possible sa colère, le lycéen géant quitta la pièce et claqua le plus fort possible la porte. Cette impression d'étouffement revint lui comprimer la poitrine. Il courut en hâte pour sortir du bâtiment administratif et donna un grand coup de pied dans le tas que feuilles que venait de ramasser Tyro.


    - Rentarou ! Non ! Je fais devoir tout recommencer !


    N'entendant pas du tout les cris de reproche de son meilleur ami, Rentarou tomba à genoux au sol et ne contrôla plus sa respiration. A nouveau, il faisait une crise d'hyperventilation.

     


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  • Chapitre 39


    Les jours avaient défilé rapidement depuis la réunion exceptionnelle des Sanonis. Depuis ce moment, Rentarou avait durci son entrainement et ne relâchait pas ses efforts. Seiichi et Tyro l'épaulaient, le conseillaient et lui suggéraient toutes sortes d'idées pour progresser. Souvent, ils restaient très tard le soir au club. Après le départ des titulaires, le trio investissait un court et jouait un match ou deux.


    Parallèlement, les Sanonis devaient suivre leurs études. Pour compenser les heures absorbées par leur pratique du tennis, ils s'organisaient. Le week-end, le trio essayait de faire tous leurs devoirs donnés à l'avance par leurs professeurs, étudiaient leurs leçons et se fabriquaient des fiches de révisions pour mémoriser mieux les nombreuses notions à retenir. D'ailleurs, Seiichi avait réussi l'exploit de convaincre Tyro du bienfait de passer du temps à en créer au terme d'une très longue négociation durant laquelle Rentarou avait eu le temps de rédiger totalement une dissertation de Géographie de cinq pages.


    En semaine, ils n'avaient donc qu'à effectuer les devoirs donnés du jour au lendemain. Souvent, le trio s'acquittait de cette tâche lors d'une heure de libre entre deux cours ou avant de se rendre à la séance quotidienne d'entrainement au club.


    Les soirs de la semaine s'avéraient donc relativement tranquilles. A part recopier les brouillons du travail écrits dans la journée, leurs études n'occupaient qu'une à deux heures de leur temps. Ils se relaxaient ensuite avant d'aller dormir. Tyro ne cessait de massacrer des ennemis sur sa console tandis que Rentarou se plaisait à étudier une affaire criminelle dans un ses livres. Seiichi inspectait l'état sa collection de peluches et réparait celle qui avait un accroc avant de plonger dans un roman.


    Le mois d'Octobre était finalement arrivé. Le soleil était revenu mais la température restait encore fraîche. De plus, le vent qui ne cessait de souffler très fort et la refroidissait davantage.


    Au début de ce mois, les compétitions reprenaient. Au premier trimestre, les quarante-sept préfectures que comptaient l'archipel nippon avaient toutes déterminé l'équipe qui la représenterait cette année. A partir de là s'ouvrait, dans chaque région, un tournoi rassemblant les vainqueurs de chaque préfecture. Au terme de celui-ci, l'équipe championne obtenait le droit de participer au tournoi national et de se confronter aux sept autres équipes qualifiées pour cet événement.


    Cette année, le tournoi s'étendait sur toute la semaine du deux au huit. Les huit équipes sélectionnées au niveau de la région du Kanto devaient se rassembler à Kanagawa, la capitale régionale de la préfecture du même nom.


    Les sept titulaires de Ryoko Gakuen se préparaient donc à partir pour la durée totale du tournoi régional. Dans ses affaires, Rentarou avait emmené uniquement un change et un pyjama. Il comptait seulement porter dans sa tenue de titulaire là-bas. Seul Tyro boudait car son ami ratait une semaine totale de cours. Seiichi avait beau lui expliquer que le professeur titulaire de chaque élève leur enverrait chaque jour les cours manqués et les devoir à faire, cela ne le calmait pas.


    Malgré le départ de l'équipe du club de tennis, le campus resta profondément inchangé. La semaine débuta comme tous les autres par le Lundi. Cela donna une très mauvaise impression à Seiichi de ne pas voir son meilleur ami assis à la table à sa gauche. Il n'aimait pas du tout cette chaise vide.


    Lors de la troisième heure de la matinée, le jeune ninja avait l'habitude d'être seul à cette tranche horaire. Celle-ci était libre pour ceux de sa classe n'ayant pas cours d'Economie. Il la passait habituellement à étudier à la bibliothèque. Aujourd'hui, cette envie ne s'imposa pas à lui. Le jeune homme resta donc assis sur une marche de l'escalier menant au second étage à écouter la musique de son lecteur MPX.


    Le reste de la journée se déroula de manière aussi routinière. A part en cours d'Anglais où le professeur Aizawa interrogea un autre élève pour remplacer Rentarou. Elle choisit le petit Miura, un élève aux cheveux bruns, particulièrement timide et chétif, possédant une aptitude similaire au meilleur ami de Seiichi avec la langue de Shakespeare.


    A la fin de la journée, Seiichi et ses amis se rendirent au club. Celui-ci connut d'ailleurs quelques changements au cours de la semaine. Puisqu'aucun titulaire n'était présent pour surveiller les entrainements, les membres en profitèrent pour jouer sur les courts.
    Arrivant généralement dans les premiers, la petite bande se rua vers un court de libre. D'abord, Seiichi et Tyro jouèrent un match qui s'acheva bien vite par la défaite du second au grand désespoir de celui-ci. Shintarou proposa ensuite de réaliser un match en double. Il décida de faire équipe avec Seiichi contre Tyro et Takaishi pendant que Kou arbitrerait le jeu.


    Le lendemain se déroula sans grande surprise non plus. Comme à l'accoutumée, Kou râlait de supporter seul Seiichi et Takaishi en cours de Chimie. Il devait sans cesse avoir les yeux sur son expérience et celle d'en face. Il devait expliquer aussi au moins dix fois les choses à faire, vingt fois celles à ne surtout pas faire, montrer les produits à utiliser et surveiller s'ils ne se trompaient pas.


    Les deux cours suivant se déroulèrent sans encombre. Sauf pour Seiichi qui fut justement interrogé par le professeur Hashimoto pour exposer au tableau comment il fallait étudier une fonction affine. Celui-ci passa une vingtaine de minutes à griffonner toutes sortes de chiffres, tirés de sa propre fantaisie plutôt que trouvés par raisonnement, et à tenter d'appliquer les quelques théorèmes retenus de ses cours. Finalement, désespéré, Hashimoto le renvoya à sa place et demanda à Osakawa, l'étudiante aux cheveux noirs assise devant Seiichi de résoudre le problème à sa place.


    Lors du déjeuner, la petite bande se réunit comme d'habitude. Un seul sujet monopolisa la conversation : les matches de la phase préliminaire.


    - Ryogaku a gagné ses trois matches, s'exclama Kou. On va se qualifier, c'est sûr !


    - Pas si sûr, le contredit Tyro en reposant le bento qu'il mangeait. On doit encore rencontrer Yokohama, la meilleure des équipes. Ils se qualifient chaque année pour ce tournoi.


    - Ce qui est très rare, ajouta Shintarou. Peu d'équipes se qualifient plusieurs années d'affilé.
    - En plus, Yokohama a déjà quatre points, rappela Takaishi soucieux. Pour le moment, ils font un parcours sans faute !


    - Ca peut être bon pour nous, intervint Shintarou confiant. Hier soir, les six équipes ont joué trois matches. Seule notre équipe n'en a joué que deux. Cela veut dire qu'ils ont pu se reposer hier soir et se détendre. Le corps de nos titulaires doit donc être en pleine forme.


    - Parce que Rentarou-kun sait se détendre ? ironisa Kou avec lassitude.


    Ce petit commentaire déclencha un léger éclat de rire répété plusieurs fois par l'adolescent aux cheveux ébènes qui sembla beaucoup s'en amuser.


    - Faites-moi confiance. Il ne touchera pas à sa raquette en dehors des matches.


    - Pourquoi ? Tu lui as jeté un sort ?


    - La magie, ça n'existe pas, Tyro, soupira le rouquin qui se tenait juste à côté du garçon hilare de sa petite plaisanterie.


    - En fait, je lui ait demandé de faire ses devoirs et étudier ses leçons quand il aurait un moment de libre, raconta Seiichi. Je lui ait si bien expliqué l'intérêt qu'il va le faire sans aucun doute.


    - Seiichi est terriblement futé, s'enthousiasma Shintarou impressionné.


    Le reste de la seconde journée de la semaine se déroula conformément à celle de la veille. Le troisième jour débuta par les deux heures d'Education Physique rassemblant tous les étudiants de première année.


    Comme à chaque séance, Shintarou se distinguait par sa souplesse et son agilité naturelles. Seiichi et Tyro se débrouillaient très bien aussi. Les entrainements intensifs, aux martiaux pour l'un et au tennis pour l'autre, avaient considérablement développés leurs corps. Seuls Kou et Takaishi éprouvaient parfois plus de difficultés. Dans leurs écoles différentes, lors de ces mêmes heures, leurs professeurs leur enseignaient le basketball, le volleyball et la course. Ils ne possédaient donc guère beaucoup d'expériences dans la gymnastique.


    A la fin du cours, la bande se sépara à la sortie des vestiaires du gymnase. Le singe et le ninja allèrent en cours de Japonais et les deux amis d'enfance à celui de Mathématiques. Tyro partit seul avec sa classe pour assister à celui d'Anglais.


    Installé dans le fond de la salle, le jeune tennisman s'ennuyait profondément. Il détestait ce cours ! Et encore plus Aizawa ! Les étudiants parlant anglais correctement ne l'intérressaient pas.


    L'adolescent s'était rendu six années consécutives à New York. Il accompagnait son frère ainé trois semaines lors des vacances d'été pour rendre visite à son correspondant. Leur mère trouvait ces voyages enrichissants pour son fils cadet dont le seul centre d'intérêt se focalisait sur le tennis. Tyro parlait donc l'anglais aussi bien que s'il était né et avait toujours vécu dans un pays anglophone.


    Pour tromper son ennui, le jeune homme jouait avec son téléphone cellulaire. Après avoir pris le soin de désactiver le son, il se connectait sur Internet et surfait au hasard sur les sites que l'appareil était capable d'ouvrir. Il consultait tout : l'actualité, même si cela l'ennuyait considérablement, les sports, son domaine de prédilection, des jeux ou sur le sexe. Un message lui demandant confirmation de sa majorité s'affichait régulièrement. Malgré son entêtement à sélectionner le bouton oui afin d'attester avoir vingt ans au minimum, le site refusait toujours de s'ouvrir et l'obligeait à consulter autre chose.


    Très malins, les parents de l'adolescent avaient donné très tôt un téléphone à leurs enfants. Le jour de leur rentrée à l'école primaire pour être précis. Cependant ils avaient pris soin d'activer un puissant contrôle parental dessus. Si ses deux aînés avaient compris assez tôt ce principe, Tyro ne l'avait toujours pas deviné.


    En relevant lentement la tête, son attention remarqua la pendule qui indiquait onze et demie. Un sourire passa sur son visage. Il ferma toutes les applications ouvertes et établit une nouvelle connexion. Ses doigts pianotèrent rapidement pour lancer une recherche destinée à trouver les résultats récents, très récents, en tennis.


    - SUPER !!!!!!!


    Le dernier match de l'équipe de leur lycée venait de s'achever une dizaine de minutes plus tôt. Elle avait gagné à 3-2. La nouvelle avait tellement enthousiasmé Tyro que celui-ci avait perdu toute prudence et donné libre cours à sa liesse. Il s'était levé énergiquement, les bras en triomphe, en hurlant.


    - Mon cours vous plait-il à ce point ? demanda Aizawa qui arriva aussitôt vers lui.


    En reprenant ses esprits, Tyro se reprocha cet excès. Il devina qu'une nouvelle retenue lui serait incombée. En se rasseyant, ses yeux remarquèrent la tête de Yoko, comme toutes celles des autres élèves, tournée vers lui, recouverte de sa main.


    - Désolé, Aizawa-sensei, j'ai du m'endormir, inventa Tyro en lui souriant de manière idiote. J'ai dû faire un rêve très réaliste.


    - Vous avez fait un rêve ? Quel dommage de vous êtes réveillé, mon pauvre ami ! Car vous allez vivre bientôt un cauchemar le jour où je pourrais vous donner deux heures de retenue.


    L'enseignante parla d'une voix très douce, presque mielleuse. Elle donna une réelle impression d'être navrée pour Tyro. Cependant son ton devint beaucoup plus rude par la suite.


    - Je serais ravi de venir vous consacrer deux heures de mon temps qui m'est pourtant si précieux, Aizawa-sensei, dit Tyro qui ne se laissait jamais intimider par un professeur. Malheureusement, je ne serais pas disponible avant le 2 Novembre. Cela vous conviendra t-il ?


    La professeur d'Anglais marmonna quelque chose entre ses dents mais personne n'entendit distinctement son propos. Elle annonça ensuite à Tyro l'attendre à la fin de la journée de la date précédemment mentionnée.
    A la sortie du cours, Tyro rassembla ses affaires en vitesse et s'apprêta à filer. Il fut arrêté par Yoko en passant devant sa table. Celle-ci lui barra le chemin en étendant son bras.


    - Tu veux me faire la leçon ? bougonna t-il.


    - Je voulais seulement savoir s'il avait gagné.


    - Qui ça a gagné ?


    Yoko leva ses yeux vers le plafond. Ce garçon ne comprenait décidément rien. Elle garda son calme et reprit :


    - Satsuma-kun. Tu as bien regardé les résultats du tournoi tout à l'heure, non ?


    - Ah ça ! s'exclama Tyro en redevenant tout de suite guilleret. Oui ! On vient de gagner notre cinquième match de préliminaires !


    - Et ils vont accéder au phase finale alors ?


    - Sans aucun doute ! Ils n'ont plus qu'un match à jouer cet après-midi ! C'est déjà gagné d'avance !


    - Tant mieux, sourit-elle. Ce serait génial pour le lycée de remporter le tournoi régional.


    Tyro était agréablement surpris de l'attitude de son amie. D'ordinaire, elle ne s'intérressait pas du tout au sport et aux résultats des clubs sportifs. Une envie de se moquer de sa rivale le titilla mais il se retint. Les Sanonis avaient mis assez de temps pour établir une relation amicale avec la vice-présidente du conseil des étudiants. Pas question de tout gâcher ! En plus, il aurait le droit à une longue leçon de morale de la part de ses deux meilleurs amis. Or, le jeune homme détestait cela !


    - Yoko-chan, tu veux venir manger avec nous ? On parlera plus en détail du tournoi !


    - Oh non, Tyro ! Seule dans la même pièce que cinq autres garçons, c'est une épreuve trop dure à supporter, rit Yoko. De plus, j'ai du travail qui m'attend au secrétariat.

     

    Sur cette entrefaite, Tyro prit congé. Il monta à l'étage supérieur pour rejoindre la salle où l'attendaient ses amis. Seuls Kou et Takaishi se trouvaient déjà dans la pièce. En patientant, les trois garçons commencèrent à partager leurs provisions en cinq. Seiichi et Shintarou arrivèrent quelques minutes plus tard et le groupe se mit à manger.


    - J'ai une nouvelle géniale, claironna Tyro qui n'en pouvait plus de se retenir. On a gagné le cinquième match ! On va vraiment aller à la phase finale !


    - Ce n'est pas particulièrement réjouissant, déclara Shintarou sur un ton très sérieux.


    - Bon sang ! Shin, tu es encore plus déprimant que Seiichi, s'exclama Tyro dans un soupir.


    Le commentaire amusa particulièrement le concerné qui poussa un léger éclat de rire.


    - Tu as consulté entièrement les résultats ?


    - Eh bien, je n'ai pas vraiment eu le temps.


    Tyro n'ajouta rien de plus, n'ayant guère envie de raconter à ses camarades comment il avait hurlé sa joie en classe et obtenu une énième retenue de cette manière.


    - Ceux sont les simples 2 et 1 qui ont gagné le match de ce matin, annonça le petit rouquin.


    - Attends ! Rentarou joue en simple 3 ! s'écria Kou interdit.


    - Cela veut dire que Rentarou-kun …


    - Il a perdu, Taka-chan, acheva à sa place Seiichi. Il n'y a pas matière à faire un drame.


    - Ca ne t'émeut pas plus que ça ? s'étonna Kou. Tu es vraiment sinistre comme mec, toi !


    Laissant ses amis réagir à ce comportement, Seiichi continua de manger. Il nota toutefois les réactions de chacun d'eux. Shintarou était fataliste et se résignait à l'évidence, Kou n'appréciait pas de parler ainsi de leur ami commun et Takaishi s'inquiétait pour celui-ci. Seul Tyro ne semblait pas affecté par cette nouvelle.


    - Cette défaite fera beaucoup de bien à Rentarou, énonça Seiichi en posant son plat au sol. Ces derniers temps, il prenait trop d'assurance en lui par rapport au tennis.


    - Ca pourrait produire l'effet inverse, suggéra Shintarou.


    - On parle de Rentarou, répliqua Tyro en riant. Il sera incapable d'abandonner tant qu'il n'aura pas prouvé aux autres, et surtout à lui-même, qu'il peut le faire.


    - Exactement, confirma Seiichi. Depuis la finale du tournoi préfectoral, même s'il continue à s'entrainer dur, il donne l'impression de penser être le meilleur.


    - Et il se sent prêt à défier n'importe qui, ajouta Tyro. Or, il existe beaucoup de joueurs très talentueux au sein de ce pays. Kimura de Saint-Christophe n'est qu'un parmi une centaine.


    - Je vois, fit Takaishi en baissant la tête. On ne peut pas progresser avec un tel raisonnement.


    - D'ailleurs, tu pourras me prêter ton téléphone, Tyro ? J'appellerais Rentarou après les cours quand le match sera fini.


    - Quoi ? Mais j'ai absolument besoin de mon portable moi !


    - Mais tu es en cours, Tyro, rappela Kou. Tu n'en as pas besoin.


    - Si. Pour surfer sur le Net, devina Shintarou en envoyant une bourrade à son voisin qui rougit jusqu'à la racine de ses cheveux.


    Le reste du groupe éclata de rire tandis que les joues de Tyro rosirent davantage. Celui-ci finit par consentir à prêter son précieux bien à Seiichi mais tint absolument à le récupérer avant la fin de la journée.


    Après avoir passé une heure à prendre les phrases anglaises en note sur son cahier que leur disait le professeur Aizawa, Seiichi termina ses cours pour aujourd'hui. Il laissa Shintarou se rendre où celui-ci désirait. Le garçon roux ne voulut rien lui dire. Le jeune ninja paria pour les cuisines et l'imagina voler de la nourriture pour satisfaire les besoins du trou sans fond que représentait son estomac.


    En consultant sa montre à gousset, il conclut à son impossibilité d'appeler son meilleur ami. A la place, l'adolescent décida de se rendre à la bibliothèque. Pour demain, le professeur Hashimoto leur avait donné une longue série d'exercices compliqués. Un rictus défigura son visage à cette perspective peu réjouissante. En l'absence de Rentarou, ses médiocres capacités en cette matière l'obligeaient à avoir besoin de trois heures pour effectuer ses devoirs de Mathématiques.


    Quand la bibliothécaire commença à allumer les lampes, vers dix-sept heures, Seiichi réalisa le temps passé. Trois heures penché sur ces stupides fonctions ! Et il n'avait fini que deux exercices !


    En maugréant intérieurement contre l'inutilité des Mathématiques, le jeune homme se souvint de son désir d'appeler son meilleur ami. Laissant ses affaires sur place, il quitta la pièce, traversa le couloir du rez-de-chaussée du bâtiment de vie scolaire et passa la porte menant à l'internat. L'adolescent s'assit sur les marches de l'escalier et sortit le téléphone prêté par Tyro.


    - Rentarou ?


    - Seiichi ? Tu vas bien ? Tout va bien ici aussi !


    Levant ses yeux vers le plafond, Seiichi se retint de soupirer. Il devina simplement à sa voix que son ami n'allait pas bien du tout.


    - Tu vas bien quand tu perds un match dans la journée ?


    Un long silence suivit cette réplique. Seiichi ne dit rien non plus. Il le laissa réfléchir.


    - On a perdu …


    - Tu veux dire … Le match de cet après-midi ?


    - Ouais. On a donné tout ce qu'on avait … Nagai-sempai et Motoguchi-sempai ont perdu en dix minutes … Uegami-fukubuchou et Ogawa-sempai ont perdu en une demie-heure … Raphael-sempai a perdu en quarante minutes …


    - Tu n'as pas joué ? s'inquiéta Seiichi.


    - J'ai gagné mon match … On a lutté jusqu'au bout jusqu'au Tie-Break …


    - Mais c'est génial ! Au moins, tu as gagné ton match, dit Seiichi en prenant un timbre de voix réjoui.


    - Nous sommes qualifiés pour la phase finale. Yokohama aussi. Midori aussi. Yuki aussi. Ces trois équipes sont super fortes ! Comment on peut gagner contre elles ?


    Seiichi fronça les sourcils. La défaite personnelle de son ami de ce matin et celle de son équipe de l'après-midi avaient grandement secoué son égo.


    - Ne pense pas à la victoire, Rentarou. Joue comme un match sans enjeu et amuse-toi !


    - Vraiment ? fit Rentarou décontenancé par cette proposition.


    - Rentarou, ne vas pas t'entrainer ce soir, d'accord ? Par contre, allonges-toi sur ton lit et souviens-toi. Souviens-toi de ton match contre Kimura-han et des émotions ressenties ce jour là. Mémorise-les et utilise-les pour jouer à partir de maintenant.


    Durant un quart d'heure, le silence régna. Seiichi comprit que son meilleur ami utilisait déjà ses conseils. Il espéra que celui-ci se sentirait mieux.


    - Merci, Seiichi, de tes conseils, dit-il finalement. Je vais essayer et me donner à fond de nouveau.


    - Génial ! Tu veux parler d'autre chose ? Tu sais, Aizawa-sensei t'a trouvé un remplaçant !


    - J'espère qu'elle va le garder, marmonna Rentarou avant d'ajouter inquiet. Mais tu es ûur que ça ira de continuer à parler ? Tu appelles depuis longtemps … Le portable que tu utilise va finir par vider tout le forfait qu'il lui reste.


    - Ne t'en fais pas. Il appartient à Tyro. Il ne s'en formalisera si je lui rends vide.


    - Super ! Tyro est vraiment un ami sur qui peut compter, hein ?


    Seiichi acquiesça d'une réponse monosyllabique. Il sourit narquoisement en même temps. Vider le forfait de son autre meilleur ami serait une bonne leçon. Cela lui apprendrait à lui faire toutes sortes de recommandations inutiles pendant une heure.


    Le lendemain matin, la petite bande se retrouva inhabituellement à la salle des casiers à huit heures. Le professeur de Calligraphie étant absent ce jour-là, Tyro, Kou et Takaishi, qui suivaient ce cours, décidèrent de rester avec leurs deux amis jusqu'à la prochaine heure.


    - Seiichi, tu aurais pu économiser un peu de crédit, rouspéta encore Tyro.


    - Désolé, Tyro, s'excusa Seiichi avec hypocrisie, mais Rentarou avait vraiment besoin de parler.


    - Vraiment ? Si c'est ça, je comprends … Je rechargerais plus tard mon portable !


    - C'est bizarre, fit Shintarou en claquant la porte de son casier. Hier soir, quand je suis passé devant toi dans l'escalier, tu parlais du repas de Lundi soir. Tu racontais même tout ce que tu avais avalé. Ca m'a pas mal surpris comme sujet de conversation.


    Malgré le fait d'avoir terminé de prendre ses affaires pour la matinée, Seiichi n'osa pas refermer son casier et se retourner. Il devina que son meilleur ami derrière lui était en train de comprendre la signification des propos de Shintarou.


    - SEIICHI !!!! explosa Tyro. MENTEUR !!!!


    Seiichi s'apprêta à répliquer quelque chose lorsqu'ils entendirent un coup dans une des portes en bois de l'autre côté. Plusieurs coups suivirent. Intrigués, les adolescents quittèrent la dernière rangée et se rendirent de l'autre côté. Ils ne furent pas déçus du spectacle. Face à eux se tenaient la vice-présidente du conseil des étudiants, si soucieuse habituellement du règlement, et un autre élève, qu'aucun d'eux ne reconnurent, en train de s'embrasser.


    - Pourquoi j'ai pas d'appareil-photo sur ce foutu portable ? rumina Tyro.


    - Y en a qui se refusent rien, dit Kou.


    - Bah ! Tout le monde le fait, non ? répliqua Takaishi en haussant les épaules.


    Ce spectacle dérangea réellement un d'eux. D'ailleurs, il s'avança d'un mètre et toussa fortement. Yoko les remarqua alors et rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. Elle repoussa doucement le garçon qui l'étreignait toujours et s'écarta rapidement.


    - Je suis désolée, murmura t-elle avec honte en s'inclinant du buste le plus bas possible.


    - Qui est-ce ?


    Seiichi venait d'employer une intonation masculine sévère et froide. Son visage s'était recouvert du masque qui effaçait ses émotions. Ses amis eurent l'impression de revenir au début de l'année scolaire.


    - Il s'appelle Noguchi Keigo et est en troisième année classe G, les informa Yoko. Il travaille avec moi au secrétariat de temps en temps et m'a demandé il y a dix jours de sortir avec lui.


    Conscient d'être le centre d'attention de tous, le dénommé Noguchi Keigo n'ajouta pas un mot sur cette présentation. C'était un beau jeune homme de dix-sept ans. Mesurant une tête de plus que sa petite amie, ses cheveux courts étaient aussi noirs que ceux d'un corbeau. Ses yeux allongés et ouverts avaient aussi cette même couleur. Malgré le froid à l'extérieur, il ne portait toujours pas le blazer blanc de laine mais le noir en tweed.


    - Et vous êtes informés qu'il est strictement interdit de s'embrasser en pleine bouche en public ? Il s'agit d'un acte privé se limitant aux individus concernés.


    - C'est bon, Seiichi, soupira Tyro. C'est juste un baiser.


    - Je comprends qu'il soit choqué, dit Noguchi en mettant ses mains dans les poches. Certains gays ont parfois du mal à voir des hétéros ensemble.


    - Qu'est que tu veux dire ?


    L'intonation masculine de Seiichi venait de monter et traduisait désormais de l'agressivité.


    - J'ai entendu dire que tu sortais avec pas mal de filles au bahut. Par contre, elles se plaignent toutes que tu ne fais jamais rien. C'est pour ça qu'elles te quittent. Or, ne rien faire, ne rien tenter, quand on est avec une jolie fille, soit on est encore un gamin, soit on est gay.


    En entendant cette réplique cassante, Tyro se masqua le visage de sa main. Sans savoir pourquoi, Seiichi n'appréciait pas Noguchi ... Mais là, il allait le détester !


    - C'est vraiment nul comme réflexion, Keigo, soupira Yoko. Parfois, c'est bien d'attendre et d'essayer de prendre en considération de la fille en question.


    - C'était pour rire, se défendit l'adolescent. Et puis, il m'a attaqué le premier.


    - Seiichi-kun vient d'une famille qui est encore très attachée aux valeurs traditionnelles alors …


    - Alors c'est pour ça qu'il est aussi coincé …


    On pouvait dire beaucoup de choses de Tyro mais l'adolescent gardait toutefois la tête sur les épaules. En ce moment, il réfléchissait à toute vitesse à un moyen de couper court à cette conversation avant que Seiichi et le nouveau petit ami de Yoko ne puissent déclencher la troisième guerre mondiale.


    - Les gars, il est tard ! Il est grand temps d'aller en cours ! Il faut pas rater le début !


    En temps ordinaire, Tyro trainait des pieds et attendait toujours la dernière limite pour se rendre en classe. Il fallait vraiment que celui-ci soit au bord du désespoir pour avoir recours à une telle extrémité. Shintarou le soutint aussitôt.


    - Il a raison, Seiichi. On a trois étages à monter, toi et moi !

     

    L'adolescent aux cheveux ébènes répondit d'un bref signe de tête. Sans perdre du regard Noguchi, il quitta la pièce le dernier en compagnie de ses amis. Durant toute la matinée, le jeune ninja n'adressa la parole à personne. Les écouteurs de son lecteur MPX dans le creux de ses oreilles, l'adolescent aux cheveux ébènes donna l'impression de rien suivre autour de lui ce qui s'avérait totalement faux. Au contraire, son attention était redoublée.


    Shintarou essaya en vain de communiquer avec lui mais il ne répondit jamais. Pourtant, le rouquin insista. Durant l'intégralité de la troisième heure qui était libre, celui-ci passa son temps à parler à son ami sans rien obtenir. D'ailleurs, il s'inquiétait pour lui. Après le double cours de Mathématiques qu'ils venaient d'avoir, l'adolescent aux cheveux ébènes faisait les devoirs donnés par Hashimoto alors que ceux-ci pouvaient attendre jusqu'au week-end.


    A l'heure du déjeuner, Seiichi coupa son lecteur et le remisa dans la poche de sa veste qu'à partir du moment où Shintarou et lui entrèrent dans la salle de Droit. Étant les premiers aujourd'hui, ils entreprirent de déballer les baguettes et les serviettes et de partager de la nourriture.


    - C'était super chiant ce matin, se plaignit Tyro après avoir avalé un onigiri. Deux trous sans rien faire ! Si j'avais su, je serais venu pour neuf heures déjà !


    Kou soupira en buvant son verre de limonade. Il préféra ne rien dire car lui aussi était venu tôt ce matin pour rien. De plus, Tyro habitait beaucoup plus près que lui du lycée.


    - Qu'est que vous pensez de Noguchi ?


    - Tu penses encore à lui, Seiichi ? s'étonna Takaishi.


    - Alors tu ne disais rien à cause de ça … , comprit Shintarou désabusé.


    - Ce garçon n'est pas une bonne personne pour Yoko-chan, énonça Seiichi.


    - Yoko-chan fait ce qu'elle veut, dit Tyro en haussant les épaules. Pourquoi tu t'en mêles ?


    - Parce que nous avons un devoir de réserve.


    - Trois heures de Maths, ça lui a complètement retourné la cervelle, commenta Shintarou qui se demanda ce qui se passait par la tête de leur ami.


    - Rentarou aime Yoko-chan, rappela Seiichi. En tant qu'amis, nous ne pouvons pas soutenir qu'un autre soit avec elle.


    - Si tu veux mon avis, Seiichi, répliqua Tyro en continuant de prendre son riz avec ses baguettes. Il n'a que ce qu'il mérite.


    - Tyro, tu es dur là, lui reprocha Kou.


    - Il n'a qu'à savoir ce qu'il veut, reprit Tyro. S'il aime vraiment Yoko-chan alors il lui dit. Mais en ne lui disant rien, il prend ce genre de risques de la voir sortir avec d'autres mecs.


    - Rentarou-kun avouer ses sentiments … , songea Takaishi rêveur. Je payerais cher pour voir une telle scène !


    - Ce n'est pas juste ce que tu dis, Tyro. Il ne mérite pas de connaître une nouvelle douleur. En plus, cela pourrait lui causer une nouvelle crise.


    - Pas faux, approuva Shintarou. Je crois que tous deux avez raison sur deux points différents. Si vous me demandez mon avis, je pense qu'il n'y a pas d'autre choix de le laisser expérimenter cette douleur et de le soutenir. De toute manière, que voulez faire ? Repérer où est Yoko-chan et son copain et s'arranger pour que Rentarou ne passe pas où ils sont ?


    - C'est clair, rigola Kou. On ne tiendrait pas deux jours à faire ça !


    - Après tout, les Sanonis sont toujours ensemble, ajouta Takaishi. Vous êtes les seuls tous les deux à être le mieux placer pour l'épauler.


    Durant le reste des délibérations, Seiichi ne rien, se contentant uniquement d'écouter et détestant cette position de faiblesse. Pourquoi n'était-il pas capable de protéger une seule chose ou une seule personne ? L'adolescent aux cheveux ébènes avait cette horrible impression que tout ce que ses mains tenaient se cassait subitement. Il souhaitait seulement posséder davantage de force et de courage … le jeune ninja voulait devenir quelqu'un protégeant les autres. Comme son meilleur ami.


    Durant toute l'après-midi, Seiichi pensa amèrement à cette situation. Les explications sur la forêt amazonienne de Monsieur Tanaka, le professeur d'Histoire-Géographie, avaient du mal à être entendu. Il nota même très peu de phrases sur son cahier.


    Le lendemain matin, le dernier jour d'une semaine d'école, Seiichi prit son déjeuner beaucoup plus tôt et se rendit immédiatement au bâtiment des cours prendre ses affaires. Il ne voulut pas rencontrer Yoko avec son nouveau petit ami comme la veille. Il n'appréciait déjà pas ce garçon, surtout à cause des réflexions faites à son égard. De toute manière, même sans ce détail, le jeune ninja l'avait déjà jugé et condamné bien avant.


    Comme il lui resta une heure et demie à patienter, Seiichi partit à la bibliothèque dans l'intention de commencer sa dissertation de Géographie et retrouva là-bas son condisciple roux. Celui-ci étudiait et approfondissait minutieusement une partie ultérieure au programme de Chimie de première année.


    - Tu ne viens jamais ici le matin, s'étonna Shintarou en levant les yeux de son livre.


    - Je préfère être ici jusqu'au début des cours. Au moins, je ne verrais pas ce Noguchi.


    - C'est étrange, tu sais. Auparavant, tu te contentais d'ignorer tout le monde, surtout ceux que tu n'aimes pas. Pourquoi ne fais-tu pas pareil ?


    - J'ai changé, Shin, murmura le jeune ninja. Jusqu'à présent, j'ai agi pour moi. Je voulais me protéger. A présent, je veux protéger les autres. Je voudrais être aussi fort que Rentarou.


    L'adolescent aux cheveux ébènes se tut quelques instants. Il regarda la page blanche posée devant lui sur la table.


    - Cependant je reste toujours aussi faible. Je n'arrive pas à protéger et à aider quand je décide de le faire. J'ai beau essayer du mieux que je peux, je ne peux pas le faire.


    - Mais tu es d'une grande aide, Seiichi. Quand Rentarou n'est pas là, c'est toi qui le remplace.


    - Ne dis pas de bêtises, Shin, soupira Seiichi. Je suis à des années-lumières de Rentarou.


    - Souviens-toi quand Rentarou déprimait dans sa chambre, c'est toi qui nous a tous soutenu. Tu es venu vers moi et tu m'as réconforté. Tu as même attrapé un rhume sérieux à cause de ça. C'est toi qui nous a permis de nous rassembler pour aller parler à Rentarou. Tu aides tes copains quand ils ont des problèmes dans leurs devoirs. De manière générale, c'est toujours toi qui nous écoute souvent parler et devine ce qui ne va pas. Même Rentarou ne sait pas le faire ça.


    En écoutant l'exposé de Shintarou, Seiichi lui sourit. Il n'était pas entièrement convaincu par ses paroles mais celles-ci lui remontèrent le moral.


    Lorsque Shintarou quitta son ami peu avant huit heures et demie pour se rendre à son cours d'Economie, Seiichi poursuivit et termina sa dissertation de Géographie. Il eut même le temps de la recopier au propre avant de la ranger pour aller à son cours de Biologie.


    La journée se déroula sans le moindre incident à signaler. Rien d'inhabituel ne se déroula. Le cours de Biologie fut très actif mais surtout très écœurant. Le professeur Tsukiyo leur fit disséquer une souris pour étudier le système respiratoire. Avant de débuter l'opération, Shintarou surprit Seiichi en récitant une courte prière pour l'animal. Durant l'Anglais, Aizawa s'acharna à nouveau à interroger son nouveau exutoire et le cours d'Histoire fut aussi rasant qu'à l'accoutumée car leur professeur appréciait de décortiquer le moindre détail de ses explications. Seul le cours de Chimie sauva la journée. Là, la petite bande pouvait discuter à loisir sans avoir d'ennuis.


    Le Samedi, Seiichi se réveilla vers sept heures. Il avait commencé à apprendre à dormir plus longtemps même si les habitudes restaient dures à perdre. Après une rapide douche, le jeune homme se vêtit. Il enfila une chemise et un tee-shirt sous un épais chandail de laine. Son métabolisme ne lui permettait pas de s'habiller légèrement. Malgré son incapacité à souffrir du froid, son corps tombait malade au moindre microbe.


    Après avoir pris son petit-déjeuner où il retrouva Shintarou et Takaishi, les trois adolescents descendirent de sortir. Ils devaient retrouver leurs amis externes chez Kou. Avant de partir, le trio fit un crochet par la salle des casiers pour prendre leur manteau. Seiichi en revêtit un bleu foncé très long descendant jusqu'aux pieds et noua une écharpe noire autour de son cou. Takaishi mit seulement un blouson violet quelque peu élimé. Seul Shintarou demeura en tee-shirt et en short.


    Après le parcours en métro jusqu'à l'arrondissement de Shinigawa, ils se rendirent à pied jusqu'à l'appartement où logeait la famille de Kou. Dans le vestibule, les adolescents constatèrent que Tyro était déjà là. Ses baskets oranges et crottées le prouvaient

     

    Rapidement, deux paires de baskets et une paire de chaussures en cuir s'alignèrent contre celles-ci. Ils saluèrent les parents de leur camarade puis le rejoignirent dans sa chambre.
    La chambre de Kou, comme l'appartement en fait, était minuscule. De plus, il la partageait avec sa petite sœur. Les deux lits, d'une taille moyenne, occupaient la majeure partie de l'espace. Au pied de chacun d'eux était posé un lourd et profond coffre où le frère et la sœur entreposaient leurs affaires personnelles. Dans un coin de la pièce, près de la porte, se dressait une grande armoire et la coiffeuse de Yuki.


    Faire tenir cinq adolescents là dedans relevait de l'exploit. Toutefois, ils y parvinrent. Seiichi s'assit en seiza sur la moquette, les jambes pliées sous son corps. Kou se cala contre la tête de son propre lit et Takaishi s'allongea sur le second. Tyro se mit près de lui sur le bord. Enfin Shintarou s'installa sur le coffre de Yuki.


    - Vous avez regardé la télé hier soir ? demanda Tyro sans le moindre préambule.


    - Pour regarder la télé à l'internat, il faut au moins réserver une semaine avant, soupira Takaishi.


    - Mes parents ont regardé un documentaire sur les ours, rapporta Kou un brin moqueur. Tu l'as trouvé aussi bonne que ça cette émission ?


    Pour toute réponse, Tyro lui adressa un regard noir alors que le reste de la bande éclata de rire.
    - Hier soir et Jeudi soir aussi, ils ont rediffusé les matches du Kanto !


    - Ah oui ? Et de quel sport s'agissait-il ?


    En posant cette question, Seiichi n'arriva pas à garder son sérieux et son calme. Il rit, imité immédiatement par ses camarades.


    - Yokohama a perdu contre Midori, annonça brutalement Tyro, agacé.


    - Eh ? glapit Shintarou. Mais Midori est une équipe qui participe pour la première fois au tournoi régional ! Et ils ont battu ceux qui se qualifient chaque année !


    - Et Ryogaku ? Ryogaku a gagné ? voulut savoir Kou avec impatience.


    - Nos trois simples ont remporté la victoire contre Yuki, confirma Tyro en retrouvant son excitation du départ. Vous auriez vu ça ! C'était génial ! Ils étaient tous les trois cools !


    - Kurata-buchou ne peut pas vraiment être désigné par cool, dit sombrement Seiichi.


    - Je déteste l'homme qu'il est. Par contre, je respecte totalement le joueur, répliqua Tyro.


    Seiichi ne répondit rien. Il songea que quelques fois son meilleur ami réagissait beaucoup plus murement que lui-même. Néanmoins, ce genre d'exploits ne se produisait que très rarement. Pour se moquer, le jeune ninja pensa que cela devait relever du miracle : une connexion de synapses se faisant au moment opportun.


    - Moi, Dimanche, je vais voir la finale, résolut Tyro. Keniichan a promis de m'y emmener !


    - Quelle chance, soupira Shintarou. Nous, on va se contenter de la télévision ! Mes parents n'accepterons jamais de m'acheter un billet pour ça !


    - Je pourrais y aller, songea à regret Takaishi. Cependant en me rendant à Kanagawa, je serais forcé de rester à Yokohama jusqu'à Lundi matin …


    - Et moi, je ne pourrais rien voir des matches, se plaignit Kou. Ma mère a organisé un diner avec les parents d'Eiji-san. Elle interdit d'allumer la télé pendant que des invités sont là.


    En écoutant en silence les plaintes et les reproches que ses amis adressaient à leur famille, Seiichi ressentit malgré lui un élan de solitude qui lui comprima le cœur. Aucun d'eux ne réalisait la chance d'avoir des parents aimants et soucieux de leur progéniture, malgré l'imposition de règles les brimant dans leur liberté.


    Baissant légèrement la tête, l'adolescent aux cheveux ébènes souhaita revoir bientôt son meilleur ami. A ses côtés, il se sentait beaucoup moins seul car celui-ci connaissait aussi le lourd poids de ne pas avoir de famille.

     


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