• Chapitre 62


    Pendant la dizaine de jours qui suivit le tournoi interne, les journées passèrent et ressemblèrent toutes l'une à l'autre. Rentarou et ses amis allaient en cours comme leurs condisciples et étudiaient plus ou moins sérieusement. Tyro passait son temps soit à dormir en classe soit à jouer à un jeu vidéo, Kou lisait des mangas, Takaishi dormait sur sa table et Raphael profitait de ces larges temps libres pour continuer à apprendre les kanjis. Shintarou se révélait être le pire de tous. Il se plaisait à faire toutes sortes de grimaces, que le professeur ait le dos tourné ou non. Seuls, Rentarou et Seiichi ne modifièrent rien à leur comportement. Tous deux continuèrent à prendre des notes et faire leurs devoirs avec le même sérieux qui était le leur, même en Anglais, ce qui s'avérait un réel exploit pour le lycéen géant quand on connaissait sa sépulsion pour les langues.


    Après les cours, ils se rendaient toujours au club de tennis. Seiichi et Raphael continuaient toujours à entrainer les membres. Cela permettait à leurs équipiers de s'entrainer librement. Souvent, Takaishi et Kou passaient la séance à s'exercer sur une machine à balles. Quant à Rentarou, Tyro et Shintarou, ils préféraient jouer des matches entre eux. D'ailleurs, le petit rouquin surprenait sans cesse ses amis. Malgré le bandeau noir à son œil gauche, il demeurait capable de voir aussi bien et conservait son style de jeu habituel. Seiichi avait alors supposé que son enfance l'avait probablement aidé à s'adapter à tous types de situation. En grandissant au contact de la nature, le singe humanoïde avait appris à réagir vite et à développer tous les membres de son corps pour les utiliser dans de multiples possibilités.


    A la fin de chaque séance, les titulaires restaient très tard pour poursuivre leur entrainement. Ils disputaient encore et toujours des matches. A part quand il affrontait Seiichi, Rentarou gagnait toujours même si c'était toujours long et difficile. En fait, tous deux s'étaient résignés à ne plus livrer de matches entre eux jusqu'au lendemain de la finale. Comme le lycéen géant était incapable de marquer un seul point contre lui et que son meilleur ami était incapable de terminer un match, ils avaient décidé d'économiser leurs forces pour se concentrer sur leur objectif commun.


    Raphael parvenait à battre pratiquement tout le monde, sauf les Sanonis. De temps en temps, il gagnait aussi contre Shintarou mais celui-ci l'emportait souvent lui aussi. D'ailleurs, ils adoraient tous deux jouer ensemble, que ce soit en double ou l'un contre l'autre.


    Shintarou avait également réussi à se distinguer en battant Seiichi. Par sa technique de multiplier les ombres de sa balle, le rouquin avait mis à mal à sa stratégie. Le jeune ninja se servait principalement des formes sur le sol et des sons pour deviner où les balles allaient. Cette défaite n'avait guère fait plaisir à l'adolescent aux cheveux ébènes. Il essayait depuis de lui renvoyer la pareille.


    Kou et Takaishi se montraient beaucoup moins bons. Ils perdaient souvent face à leurs amis dont les talents en tennis n'étaient plus à prouver. Cependant tous deux ne se décourageaient pas et persévéraient en espérant s'améliorer jour après jour.


    Il faisait toujours très noir quand la bande quittait le club. La nuit était souvent tombée depuis au moins deux heures. Heureusement, Rentarou avait enfin fait changer les ampoules usées des projecteurs. Plutôt que demander à un homme de l'entretien de le faire, il avait utilisé les capacités de Shintarou. Le rouquin avait été ravi d'être utile. Sans éprouver la moindre peur, le singe avait grimpé le long des poteaux de dix mètres de haut pour démonter les parties usées et en mettre des neuves. Cela leur permettait ainsi de jouer en toute impunité.


    Cependant à cause de l'heure tardive, les externes se retrouvaient bien souvent prisonniers de l'enceinte du lycée. Le portail par lequel les élèves entraient et sortaient était fermé chaque jour à dix-huit heures précises. Il ne restait ouvert sans interruption que du Vendredi matin au Lundi soir.
    Après s'être concertés, les Sanonis avaient décidé de montrer la porte secrète au reste de leur bande. Au début, cela ne les avait pas du tout enthousiasmé. Le trio avait envie de garder leurs secrets pour eux. Ils avaient ensuite réfléchi et conclu que c'était l'unique possibilité pour leurs amis de continuer à jouer avec eux. Par contre, il était exclus de leur confier la clé. C'était Tyro qui les menait chaque soir à la sortie et ouvrait la porte.


    Également Tyro avait trouvé un moyen pour resserrer leurs liens et affirmer leur appartenance à la même équipe. Il avait rapporté la boite contenant des bandeaux de couleur. Ces fameux bandeaux que les Sanonis portaient en permanence à leurs poignets. Excepté pour dormir, se laver et aller se baigner, ils ne les retiraient jamais. Tous les trois les gardaient même sous les manches de leur chemise quand ils étaient en uniforme. Parmi lex choix qu'il restait, Takaishi et Shintarou avaient pris respectivement, d'un geste spontané, le rose et le vert. Un peu plus hésitants, Raphael avait fini par opter pour la couleur marron et Kou le violet.


    Pendant les trois jours normalement consacrés aux examens, l'équipe se voua totalement au tennis. Ils s'arrêtèrent de temps à autre pour faire des pauses et passer un moment agréable à discuter ensemble.


    Lors de cette période, Rentarou ne participa pas aux entrainements de ses amis lors d'une journée. Il se contenta de s'adosser contre le mur des vestiaires et d'observer le style et le jeu de chacun d'eux. Il évalua leur niveau à tous et ne cessa d'établir des combinaisons dans sa tête.


    Seiichi remarqua cette attitude étrange de la part de son meilleur ami et le rejoignit.


    - Il y a quelque chose qui ne va pas, Rentarou ?


    - Je réfléchis, répondit-il d'un ton soucieux.


    - Puis-je savoir à quoi ? Je pourrais peut-être t'aider.


    - En tant que buchou, je dois établir l'ordre des matches. Cependant je n'arrive pas à me décider qui mettre en double.


    - Ce n'est pas très difficile, rit le jeune ninja. Raphael-han et Shin sont parfaits pour jouer en double. Ils peuvent gagner contre n'importe qui.


    - Je le sais ça. Je n'ai pas de souci avec eux. C'est le second double qui m'ennuie. Je pense à te mettre avec Tyro mais ça m'embête aussi … Si nos adversaires sont excellents en doubles alors il n'y aura personne pour assurer correctement les simples à part moi. Il faut aussi déterminer dans ce cas où je me place. En simple trois ou un. En sachant que si je laisse Kou-kun et Taka-chan jouer avant moi, on risque de perdre sans que je puisse faire quelque chose.


    - Alors pourquoi ne fais-tu pas jouer Kou-han et Taka-han en double ? suggéra Seiichi. De cette manière, les Sanonis assureront les trois simples.


    - Ce pourrait être une bonne idée, approuva Rentarou.


    - Allez ! Viens jouer avec nous maintenant, s'exclama t-il en le tirant par le bras.


    Le Dimanche 26 Février, le jour tant attendue de la finale du tournoi national sur lequel tous les tennismen lycéens de ce pays fondaient leurs espoirs et leurs rêves. Malheureusement seuls peu d'élus accédaient à la consécration de leur désir pourtant si ardemment souhaité.


    Ce jour-là, Rentarou et ses amis s'étaient levés de bonne heure et s'étaient retrouvés aux alentours du Colyseum d'Ariake où se déroulait leur rencontre entre leur lycée et celui d'Osaka. Tyro et Shintarou bouillonnaient tellement d'impatience que Seiichi et Raphael ne parvenaient plus à contrôler leurs ardeurs. Kou et Takaishi demeuraient plus réservés. En fait, ils s'inquiétaient beaucoup des futurs événements sans oser l'avouer à voix haute.


    Lorsque Rentarou décida d'y aller, ils avancèrent en file indienne vers le stade. Cependant le groupe s'arrêta peu avant l'entrée. Le jeune buchou venait d'avoir une vision qui le surprit.


    Adossé contre le mur attendait un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans. Très grand, élancé et très musclé, son visage présentait des traits marqués. Ses yeux aux iris violets étaient très étroits et renforçait l'impression de dureté qui émanait de lui. Il portait un pullover noir sous un manteau beige, un jean et des baskets blanches. Cependant un détail de son habillement permettait de l'identifier facilement : une casquette blanche où les kanjis des mots arbre et village étaient cousus.


    - Kimura-san, que fais-tu ici ? demanda Rentarou.


    - Je viens regarder la finale, répondit celui-ci en venant vers eux.


    Kimura Dan était le buchou du club de tennis du lycée de Saint-Christophe. Jusqu'à présent, son école n'avait jamais pris part aux compétitions officielles. En moins d'une année, il était parvenu à monter une excellente équipe qui avait dominé toutes les autres lors du tournoi préfectoral de la ville de Tokyo. Sa route avait alors croisé celle de Satsuma Rentarou. Au début, le jeune homme n'avait pas apprécié ce nouvel arrivant. Il avait pensé que son soi-disant immense talent avait été gonflé par la presse. L'adolescent s'était donc mis en tête de démontrer que ce garçon n'était pas si fort que l'on pensait. Au cours d'un match mémorable, il avait alors découvert que son potentiel rivalisait avec le sien et avait depuis sympathisé avec lui. Ils s'appelaient de temps à autre et discutaient ensemble.


    - L'entrée pour les spectateurs est de l'autre côté, répliqua Seiichi avec ironie.


    - J'avais aussi envie de rencontrer mes compatriotes. Puisque nous sommes de Tokyo, autant se serrer les coudes et se soutenir, non ?


    - Nos deux équipes appartiennent toutes les deux à Tokyo mais la nôtre est meilleure que celle de Saint-Christophe, s'exclama Shintarou. Après tout, on est en finale, nous !


    - Saint-Christophe n'a pas cessé de progresser depuis notre dernière rencontre.


    - Eh bien, on verra ça l'année prochaine, répliqua Tyro avec un brin d'impatience.


    - En attendant l'année prochaine, concentrez sur le match d'aujourd'hui et ne baissez pas votre garde, dit Seiichi d'une voix ferme et forte. Nous affrontons ceux qui sont toujours champions ou vice-champions depuis douze ans.


    Rentarou approuva les conseils de prudence et de méfiance de son fukubuchou. Il se tourna ensuite vers Kimura.


    - Dis, veux-tu nous accompagner et voir nos matches à nos côtés ?


    - Vraiment ? s'exclama-il, le visage rayonnant alors de bonheur. Génial !


    Ils entrèrent finalement à l'intérieur du stade. Ils se dirigèrent vers le court où se déroulerait bientôt la rencontre. Après avoir posé leurs affaires, Rentarou donna l'ordre à ses joueurs de double, soit Raphael, Shintarou, Kou et Takaishi, de s'échauffer.


    Pendant leurs échauffements, un jeune homme aux cheveux noirs et très courts, légèrement bleutés, d'une stature moyenne s'approcha d'eux. Il portait une longue veste violette et blanche avec le blason d'une fleur du lys cousu sur le haut de la partie droite, un caleçon de couleur sombre et des baskets noires. Il s'avança directement vers Rentarou.


    - Bonjour, dit-il d'un ton particulièrement bourru.


    Le lycéen géant répondit à sa salutation. A côté de lui, Kimura lui glissa discrètement un mot sur l'identité de cette personne.


    - C'est Takahashi, le buchou du club du lycée Fuji à Osaka.


    - Faisons une rencontre agréable, ajouta le jeune homme.


    En disant ces paroles, Takahahi s'inclina du buste. Rentarou imita son homologue. Le buchou repartit sans rien ajouter de plus comme il était venu.


    - Incroyable ! Il existe des gens qui font plus peur que Rentarou, s'exclama Tyro quand Takahashi fut suffisamment éloigné.


    - C'est sensé vouloir dire quoi ça ? marmonna Rentarou.


    - Ne le prends pas mal mais, vois-tu, quand on te voit la première fois, tu fais très peur. Tu es grand et tu as un visage qui ne montre jamais d'expressions. En plus, tes lunettes cachent tes yeux. Mais une fois que tu ouvres la bouche, ça s'oublie vite par rapport à lui. Tu te montres souvent hésitant et tu parles timidement. Ca devient très mignon alors.


    Rentarou grogna. Il n'appréciait pas beaucoup la description que Tyro faisait de lui. Il savait que son apparence pouvait faire peur. Les gens se fiaient toujours à l'aspect physique pour établir une première impression sur une personne et la juger. Cependant cela le mettait toujours mal à l'aise quand on le lui faisait remarquer. Il n'avait pas demandé à naître dans un tel corps.


    Quand commença la rencontre, les deux buchou s'avancèrent pour se serrer la main et se souhaiter une bonne chance. Comme à l'accoutumée, on débuta par les matches en double. Rentarou avait décidé de placer sa confiance en Raphael et Shintarou pour le commencement. Il connaissait le potentiel individuel des deux joueurs et les résultats que donnaient leurs styles de jeu combinés. Le lycéen géant misait donc sur eux leur première victoire. De cette manière, cela donnerait le sentiment à tout le monde de croire en leur chance de gagner la finale. Pourvus de ce nouvel espoir, leur motivation et leur force décupleraient.


    En pénétrant sur le court, le jeune français et le petit japonais avaient à peine échangé un regard. Ils communiquaient sans mot dès qu'ils avaient une raquette à la main. Tous deux s'adressaient l'un à l'autre au moyen de codes établis préalablement avec leurs doigts. Leurs yeux regardaient parfois la position de l'autre dans un moment de répit puis revenaient immédiatement sur le match.


    Le sort désigna les deux joueurs d'Osaka pour commencer. Leurs adversaires se trouvaient être deux solides gaillards aussi bien charpentés que leur buchou, comme tous les membres de leur équipe. Shintarou eut une pensée qui l'amusa particulièrement mais se garda bien de l'exprimer à voix haute. Il avait remarqué ces derniers jours un changement dans l'humeur de Rentarou quand on évoquait cette finale et le petit rouquin n'était pas assez stupide pour risquer de l'énerver davantage.


    Le duo se débrouilla merveilleusement bien. Raphael et Shintarou se complétaient. Il suffisait qu'un d'eux parte en direction du filet, passant à l'attaque pour que l'autre reste au fond du filet et le couvre.

     

    Le match dura longtemps. Ils gagnèrent pas à pas leurs points. S'ils réussirent à marquer au premier jeu, ils perdirent le second, gagnèrent le troisième et ainsi de suite. Ils donnèrent tout ce qu'ils avaient d'énergie pour saisir les balles et obtenir des points. Finalement, ils se retrouvèrent à jouer un Tie-Break pour départager leur score avec celui de leurs adversaires.


    - C'est mauvais, dit Kimura en plissant le front. Il y aurait mieux fallu pour eux perdre directement que d'aller jusqu'au Tie-Break.


    - Pourquoi ? Ils ont encore une chance ainsi de gagner, protesta Kou.


    - Tu as raison. Cependant pour aller jusque-là, ils ont du se battre pour atteindre le score de 6-6. Ils n'ont certainement plus beaucoup d'énergie en réserve. A présent, la seule chose qui peut les faire gagner, c'est leur mental.


    - Tu penses qu'on va perdre ? s'indigna Tyro. C'est sympa !


    - Je n'ai pas dit ça, Sakumai, reprit Kimura en conservant son calme bien que l'allusion de Tyro l'eut beaucoup vexé. Je souligne seulement que les deux équipes sont maintenant fatigués. Je pense que pour être le vainqueur de ce match, il ne faudra pas de technique, seulement le mental. Seulement ceux qui sont vraiment forts dans leur tête peuvent surmonter cette épreuve.


    Kimura avait raison. Sur le court, les deux équipes, qu'elles soient du lycée de Ryoko Gakuen ou de celui de Fuji, étaient très fatiguées. Raphael et Shintarou burent beaucoup avant de retourner à leur affrontement. Le Tie Break ne dura guère longtemps. Malgré le fait qu'ils étaient eux aussi épuisés, leurs adversaires l'emportèrent en moins de quinze minutes.


    - C'est pas juste !


    Tombant à genoux, le jeune rouquin était désolé d'avoir perdu lors de son premier match officiel avec son nouveau partenaire. Le visage n'exprimant aucune émotion, Raphael se tint derrière lui et s'accroupit pour être sa hauteur et placer ses bras autour de sa taille.


    - Allons, Shintarou, ce n'est qu'une défaite. Nous nous rattraperons.


    - Mais je suis dégoûté, Raphael ! Dégoûté ! Je voulais gagner !


    - En plus, n'oublie pas notre pari, lui murmura à l'oreille le jeune français si bas que Seiichi lui-même aurait été incapable de l'entendre.


    - Je te déteste, marmonna le rouquin en se recroquevillant sur lui-même.


    Lorsque les deux partenaires se présentèrent ensuite à Rentarou avant de sortir du court, celui ci ne les accueillit pas bien du tout.


    - J'avais une autre idée de votre niveau, dit-il avec une froideur qui n'était pas la sienne. Shin, tu as laissé passer au moins trois balles près de toi. Je ne compte même pas celles que tu pouvais avoir avec tes capacités. Tu ne sais donc plus sauter ?


    Raphael se fâcha sans laisser à son ami le temps de répondre.


    - Shintarou est blessé à un œil ! Il évalue plus difficilement les trajectoires des balles comme il le faisait avant ! Laisse lui le temps de s'habituer à sa nouvelle vision !


    - S'il n'est pas capable d'avoir un jeu parfait alors il n'a qu'à abandonner. Les adversaires auxquels nous ne cessons de nous confronter sont tous des gens extrêmement forts. Il n'y a pas de place pour la faiblesse !


    Raphael s'apprêta à lui répondre mais Shintarou, la mine basse, lui prit la main et l'entraina vers la sortie pour l'en empêcher.


    - Kou-kun, Taka-chan, à vous ! Tyro, tu vas te préparer ! ordonna Rentarou d'un ton sec.


    - Tu te souviens encore du mot, s'il te plaît ?


    Tyro avait répliqué cette phrase sur un ton très peu aimable. Il était ensuite parti immédiatement. L'adolescent se connaissait. Si Rentarou lui avait répondu quelque chose, il aurait réplique sans savoir où cela irait. Le jeune homme n'avait pas du tout d'envenimer les choses dans leur relation. D'habitude, le tennisman comprenait toujours les sentiments de son ami.


    Mais aujourd'hui …


    Se déconnectant de ces événements, Tyro fit rapidement le vide dans son esprit et se concentra uniquement sur le tennis. Il s'échauffa longuement et prépara avec soin ses muscles. Au milieu de ses exercices, Seiichi vint le trouver.


    - Il y a un problème ? demanda t-il en s'arrêtant.


    - Je voulais seulement te parler, Tyro, répondit le jeune ninja en le rejoignant.


    - De quoi ?


    - Rentarou. Essaie de ne pas trop t'énerver après lui, s'il te plaît.


    - Ca va être dur, grommela l'adolescent. Tout à l'heure, s'il n'y avait pas eu ce grillage, je lui aurai probablement mis un coup de poing !


    Seiichi rit. Il ne douta pas une seule seconde que son meilleur ami puisse le faire. Tyro se montrait si souvent impulsif que plus rien ne l'étonnait venant de sa part.


    - Je pense que Rentarou est sous pression, expliqua Seiichi. Il veut tellement bien faire et montrer qu'il est digne de diriger notre équipe


    - En nous criant dessus comme à des chiens ? Quoique … Même à Yuuki, je n'oserais jamais parler de cette manière.


    - Je sais. Cela n'excuse rien. Cependant je le vois ces derniers jours qu'il se préoccupe beaucoup au sujet de cette finale. Je suppose que dans sa petite tête, il doit s'imaginer que gagner cette finale voudra dire qu'il mérite son poste.


    - C'est stupide ! Si on gagne, c'est grâce aux efforts combinés de nous tous si on gagne !


    - Je ne suis pas d'accord avec toi, Tyro. Certes, ceux sont les victoires des matches qui font gagner mais le moral est l'arme de guerre la plus efficace.


    - Qu'est-ce que tu veux dire ?


    - Ceux sont les chefs d'un groupe qui motivent leurs subordonnés à se battre et à agir pour eux et leurs intérêts.


    Tyro soupira, peu inspiré par ces bavardages racontés par son compagnon.


    - Je m'en fous de tout ça, en fait. Dis, tu t'échauffes avec moi ?


    Pendant la conversation entre les deux meilleurs amis, le match de Kou et Takaishi contre le second double de l'équipe d'Osaka s'était déroulé presque intégralement. Ils avaient perdu 6-0 sans se révéler capables de prendre un seul point.


    - Désolé, murmurèrent-ils en passant devant Rentarou.


    - Ce n'est pas important, leur répondit-il. Je ne m'attendais pas à grand chose avec vous deux.
    En sortant, les deux adolescents furent blessés de ses paroles. Cela leur fit très mal de constater que leur ami n'avait pas eu confiance en eux.


    Cependant ce manque de confiance s'avérait malheureusement justifié en raison de leurs faibles niveaux de jeu et de leur manque d'expérience.


    - Tyro est là ? Ca va être à lui, aboya t-il.


    Le jeune homme appelé avec tant de rudoiement se contint difficilement de ne pas mal lui répondre. Il resta concentré sur son match imminent et s'efforça de contrôler ses inspirations et expirations pour s'empêcher de penser.


    Après avoir salué et serré la main de son adversaire, Tyro commença. Il utilisa sur son premier service une technique nouvelle préparée tout le long de l'année et n'avait encore jamais montré à personne. Après avoir été frappé, la trajectoire de sa balle donna l'impression de ressembler au déplacement d'un cyclone. Son adversaire réussit à la frapper sans difficulté mais une surprise l'attendit ensuite. Dès que la balle fut tapée, elle tomba net au sol.


    - Qu'est-ce qui s'est passé ? Elle aurait du filer de l'autre côté !


    Très fier de lui, Tyro rit.


    - C'est impossible pour toi de faire ça, annonça t-il. Ma Cyclone Ball est produite avec de si bons effets qu'elle tombe dès l'instant que l'adversaire la frappe, qu'importe la puissance exercée dessus.


    Il dirigea un regard amusé à son ami assis sur le banc et sourit. C'était grâce à Rentarou que le tennisman avait décidé de créer une technique qui empêchait l'adversaire de retourner une balle même si celui-ci utilisait toute sa force. Il s'était tellement entrainé en prenant l'Invisible Server comme référence qu'il était convaincu de n'exister aucun coup capable de briser sa stratégie.


    - Tyro est vraiment fort, s'exclama Takaishi sidéré. Il a dû s'entrainer des heures !


    - C'est comme ça que doit être un véritable titulaire, répliqua Rentarou qui était assis devant eux.
    - Il est plutôt bon ce petit, dit Kimura d'un léger sourire malicieux.


    Grâce à cette nouvelle technique, Tyro n'eut aucun mal à l'emporter sur son adversaire. Il gagna tous ses services et réussit à prendre les points de son opposant pendant les siens.


    A la suite de cette première victoire, ce fut le tour de Seiichi. Cette fois, le sort le désigna pour commencer le match en second. Lors des trois premiers jeux, il se servit de son extraordinaire vitesse pour retourner les balles adverse ce qui époustoufla tout le monde, à l'exception de ses amis, habitués depuis longtemps maintenant à ses prouesses. Le jeune ninja utilisait soit Fuu soit Rin, issue de sa technique spéciale du Fuurinkazan. Cela rendait soit la balle si rapide que son adversaire, et le public avec, ne la distinguait pas, soit en supprimant le son produit pour l'empêcher d'être perçue par le sens de l'ouïe.


    Cependant au jeu suivant, Seiichi révéla une nouvelle partie de sa technique fétiche.


    Sur son premier service, son adversaire avait lancé sa balle dans une trajectoire oblique montante. Seiichi l'intercepta à mi-chemin avant de la laisser s'élever de trop. Il leva son bras et sa raquette le plus haut qu'il put et la frappa avec un élan et une force que ses amis ne soupçonnaient pas. La petite sphère jaune repartit dans le sens inverse mais sans changer de trajectoire et s'écrasa sur le sol.


    - Zan to Ka, murmura t-il. La solidité de la montagne associée à la férocité du feu.


    - Seiichi est si fort ? s'étonna Shintarou qui ne parvenait plus à décrocher plus son regard de la silhouette de son ami.


    - J'avais déjà vu son Zan. C'est un coup qui renvoie la balle dans ma même trajectoire et avec le même effet sauf que l'adversaire ne sait plus la toucher. J'ai aussi vu Ka. Ce coup là permet de retourner avec force une balle, révéla Tyro. Cependant j'ignorais qu'il pouvait faire des combinaisons avec ses différents coups.


    - Il y a certainement beaucoup de choses que nous ignorons du potentiel de Seiichi, dit Rentarou.


    - Mais pourquoi il n'a pas utilisé ce genre de choses contre moi ? s'enquit Shintarou.


    - Parce que tu utilises une technique qui neutralise la sienne, répondit le lycéen géant. Seiichi se sert principalement des ombres au sol pour lire le jeu adverse, comme je me sers des sons pour lire le sien. En utilisant ta Phantom Ball, tu l'empêches de lire ton jeu et de retourner tes balles.


    - Oh ! Je vois ! s'exclama le jeune rouquin dont le visage s'éclaira comme celui d'un jeune enfant qui venait d'avoir la réponse à une importante question.


    - Tu es bien aimable là, répliqua avidement Raphael. C'est parce que c'est un de tes proches amis qui joue en ce moment ?


    Tyro se couvrit le visage de sa main. Et dire que Seiichi le traitait toujours en gamin et lui faisait constamment la morale sur sa manière de se comporter ! Lui n'aurait jamais agi ainsi à la place de Raphael.


    - Je ne suis pas aimable, Raphael-san, répliqua Rentarou toujours froid. Je réponds aux questions que mes équipiers se posent.


    Tyro soupira. Il pensa que les relations entre Rentarou et Raphael n'allaient pas s'arranger à ce rythme-là. Pour le moment, ils en étaient restés à un cessez-le-feu tacite pour l'entende de leur groupe mais cela n'évoluerait jamais si tous deux ne faisaient pas des efforts chacun de leur côté.


    Sur le court, Seiichi avait conclu admirablement les jeux qui lui restaient à marquer et remporta le match avec le même score au finale que celui fait par Tyro.


    Rentarou sortit en même temps que Seiichi du court et laissa ses équipiers pour aller s'échauffer et se préparer. A présent, c'était son tour. Encore une fois, le sort de ses amis et du club de tennis reposait sur ses épaules. Il devrait bientôt tout donner pour atteindre son but.

     

    Pendant ses préparatifs, ses équipiers discutèrent avec enthousiasme et passion :


    - C'était génial, Seiichi ! s'écria Shintarou.


    - Grâce à vous deux, nous avons une chance encore de gagner, ajouta Kou.


    - Évidemment ! Les Sanonis sont les meilleurs joueurs du Japon !


    - Tu n'arrêtes jamais de te vanter, Tyro, soupira Takaishi réprobateur.


    - Ce n'est pas de la vantardise. Au collège, j'étais le n°1 du circuit collégien au niveau national. Et Seiichi s'est classé dans les meilleurs dès l'école primaire. Il était si bon qu'il a intégré la ligue Senior du Kansai dont le niveau se situe au-delà de celui d'un collégien mais aussi d'un lycéen moyen. Quant à Rentarou, il est déjà connu pour être invincible !


    - J'avoue que les Sanonis sont très impressionnants, intervint Kimura. Je ne pensais pas que le club de Ryogaku possèdait autant de si bons joueurs. L'année prochaine va vraiment être amusante !


    - En attendant, ne baissons pas notre garde, recommanda Seiichi avec la même froideur dont Rentarou faisait preuve aujourd'hui. Aucun match ne se finit avant la fin.


    - Tu es aussi sympa que Satsuma, lui reprocha Raphael sur un ton peu aimable.


    - Je partage les mêmes sentiments que Rentarou sur les politiques du club, reprit le jeune ninja sur le même ton. Si cela ne vous convient pas, vous êtes libres de démissionner. Il y a de nombreuses personnes qui attendent certainement de prendre votre place.


    Raphael s'apprêta à répondre mais n'eut pas le temps. Rentarou parut au même moment. Il sembla beaucoup plus décontracté et serein qu'il ne l'avait été jusque-là.


    - Mon match va bientôt commencer, dit-il de son habituelle voix calme. Kimura-san, est-ce que tu veux le voir depuis le banc ?


    Passablement surpris par cette demande, l'intéressé arqua un sourcil.


    - Moi ? Mais ce ne serait pas mieux que ce se soit un de tes équipiers ? Après tout, toi et moi sommes des rivaux.


    - Je le sais. Cependant je ne peux pas me décider qui choisir, avoua le lycéen géant. C 'est impossible de décider entre Seiichi et Tyro. Ils ont tous la même place dans mon coeur. Quant aux autres, ils comptent tous aussi beaucoup. Je ne peux pas en choisir un seul. Alors j'ai pensé laisser cet honneur à notre invité de Saint-Christophe.


    En prononçant ces paroles, il avait d'abord éviter de regarder ses amis, légèrement gêné par la confession qu'il venait de leur faire, puis avait conclu en souriant à Kimura.


    - Puisque c'est ainsi, j'accepte, dit Kimura avec calme avant de devenir totalement excité. Super ! Je vais voir le match au premier plan ! C'est génial !


    Quand les buchou des deux clubs furent pénétrés dans le court, ils s'avancèrent vers le filet et se serrèrent la main dans le respect de l'esprit sportif. Ils déterminèrent ensuite celui qui débuterait les hostilités avec leur raquette. Le sort désigna Takahashi.


    Se plaçant derrière la ligne de fond, Rentarou attendit en observant les mouvements de son adversaire. Celui-ci jeta et frappa avec force la balle. Dès qu'il eut repéré sa trajectoire, son ennemi bondit pour l'attraper et tendit sa raquette. Le lycéen géant sentit que son rival avait exercé une grande puissance dessus mais ne considérait pas cela comme un problème. Il la retourna sans difficulté. Takahashi la renvoya lui aussi.


    Durant tout le premier jeu, ils réalisèrent de longs échanges aux frappes très puissantes. Il fallait compter plus de vingt minutes de séparation entre chaque point. Les deux rivaux les prenaient alternativement. Le premier avait été pris par Takahashi, le second par Rentarou, le troisième par Takahashi et ainsi de suite jusqu'à arriver au moment où l'arbitre annonça une deuce pour les départager. Celle-ci prit un long moment également mais Rentarou réussit à s'imposer pour marquer le premier jeu du match.


    - Tu es un adversaire de valeur qui a le mérite pour être comparé à moi Satsuma, reconnut Takahashi en s'essuyant le front avec un mouchoir.


    - Merci. Je te retourne le compliment, Takahashi-san, répliqua t-il en avalant prestement une grosse gorgée de sa bouteille d'eau.


    A présent, c'était le tour de Rentarou de servir. Il se plaça sur la ligne prévue à cet usage. Ie lycéen géant se concentra et se prépara à lancer son Invisible Server. Il laissa rebondir longuement sa balle puis la jeta en l'air. Le jeune homme la frappa de toute sa force mais celle-ci partit différemment et tomba dans le filet.


    Rentarou étouffa un juron. Il ne comprit pas pourquoi sa meilleure et favorite technique ne fonctionnait pas. L'adolescent n'avait jamais échoué à l'utiliser. C'était sa fierté et sa joie. Il adorait voir l'expression ahurie de ses adversaires d'être incapables de voir la balle mise en jeu.


    Renonçant temporairement à comprendre, il reprit une balle et retenta son service. Cette fois, la balle tomba à ses pieds à peine l'eut-il frappée avec sa raquette.


    - Satsuma ! cria Kimura qui s'était levé du banc. Regarde ta raquette !


    Intrigué, l'adolescent ramena sa raquette vers lui et l'examina. Cela lui sauta alors aux yeux. Au milieu du cadre, le cordage était troué.


    Rendu muet par l'horreur de sa découverte, Rentarou tâta longuement les cordes sectionnées, hagard. Il se sentit totalement vide et démuni. En cet instant, le jeune colosse ressemblait au pauvre soldat en plein milieu d'un dangereux conflit qui se trouvait subitement privé de son arme.


    - Comment est-ce possible ? Rentarou est un spécialiste des jeux de force, s'exclama Shintarou.


    - Il joue depuis trois heures avec le même rythme, nota Raphael. En temps normal, il n'échange pas si longtemps. Il mélange sa force au milieu de styles plus lents.


    - Punaise, lâcha Tyro. Ca en dit long de la force de ces deux-là !


    Sur le court, l'arbitre s'adressa à Rentarou du haut de sa chaise :


    - Vas changer de raquette. Nous reprendrons sur ton premier service.


    Rentarou resta sur place, la tête baissée. Il était incapable ni de faire un geste ni de prononcer un mot.


    - Tu m'as entendu ? tonna l'arbitre agacé de son manque de réaction. Si tu ne te dépêche pas, j'annule ce match en faveur de ton adversaire !


    Les poings de Rentarou étaient serrés si forts autour de son grip que le sang ne circulait presque plus jusqu'à ses jointures de doigts. Il redressa lentement la tête.


    - Je n'ai pas de raquette de rechange, avoua t-il péniblement, rouge de honte.


    - Évidemment, dit Seiichi avec contrariété. Rentarou ne participe à des compétitions que depuis cette année et il n'a jamais pris part aux activités scolaires puisqu'il a cessé de fréquenter l'école après l'âge de sept ans. Il n'a donc jamais pu expérimenter l'utilité de posséder des affaires de rechange.


    - C'est mauvais, soupira Tyro. L'arbitre va déclarer le club de Fuji vainqueur par forfait. On ne peut même pas lui passer une raquette. Une fois, sur le court, personne ne peut entrer.


    - Si seulement il avait choisi un de vous à ma place, regretta Kimura, sincèrement désolé par ce qui arrivait à son rival.


    - Eh bien, puisque les choses se présentent ainsi ...


    - Attendez !


    Takahashi venait d'interrompre d'un puissant cri l'arbitre. Il s'était avancé en même temps temps vers Rentarou, une raquette dans chaque main, et lui tendit celle tenue par sa main gauche.


    - Je détesterais gagner aussi facilement, dit-il.


    Rentarou sourit timidement en acceptant le présent de son adversaire. Il le remercia chaleureusement et s'inclina aussi bas qu'il lui fut possible. Au fond de lui-même, le lycéen géant détestait l'acte de son adversaire. Il ne supportait ni la pitié des autres ni d'être redevable auprès de quelqu'un.


    Au moins, le match pouvait continuer.


    Pour cette reprise, Rentarou exécuta magistralement son Invisible Server qui impressionna considérablement son adversaire. Il se demanda mentalement avec amusement si celui-ci ne regrettait maintenant de lui avoir prêté sa raquette de rechange.


    Le troisième jeu ressembla beaucoup au premier au début. Cependant Rentarou apprenait très rapidement à lire dans le jeu adversaire. Il brisa facilement la défense de son opposant. Quand ce dernier envoyait ses balles vers son terrain, le buchou de Ryko Gakuen plaçait sa raquette à l'horizontale sous la balle et la frappait pour la faire s'élever sur une trajectoire verticale. Il la refrappait ensuite en appliquant un effet dessus pour la retourner à son adversaire. Souvent, ceux-ci consistaient à l'empêcher de taper normalement la balle. Après une de ses frappes, Takahashi voyait sa balle partir dans l'autre sens qu'il l'avait souhaité ou tombait dans le filet.


    Au terme de ce jeu, Rentarou remporta aussi le quatrième en utilisant encore son Invisible Server.
    Dès le début du cinquième, le lycéen géant se concentra au maximum. Il souhaita être capable de gagner son match comme ses deux meilleurs amis. C'est à dire sans permettre à son adversaire de marquer un seul jeu.


    N'ayant plus rien à perdre, Takahashi décida de déployer toute la force dont il était capable de faire appel sur l'un de ses retours. Le jeune homme frappa si fort la balle qu'elle repartit à une vitesse incroyable vers le terrain adversaire.


    Conscient de la difficulté, Rentarou saisit sa raquette à deux mains et se campa solidement sur ses deux pieds pour être capable de résister à une telle puissance.


    Mais il ne put rien faire.


    La balle atteignit rapidement sa raquette et traversa le cadre, transperçant le cordage comme si il n'y avait jamais eu.


    En sentant tout le cordage de sa raquette se déchirer, Rentarou la lâcha et tomba à genoux.
    Les mains posées sur le sol, il retint ses larmes. Le lycéen géant n'aurait jamais su se regarder à nouveau dans un miroir s'il avait pleuré en public. Il se sentait blessé, anéanti. Tout le long du match, il se pensait suffisamment fort pour dominer et écraser son adversaire. L'adolescent s'était imaginé déjà marquer la balle de match qui aurait permis à son équipe de remporter la coupe des Nationales.


    C'était comme dans l'histoire que lui avait raconté sa mère dans sa petite enfance. En essayant courageusement de s'élever dans le ciel pour conquérir chaque victoire, il avait fini par s'approcher trop près du soleil. Ses ailes avaient désormais disparu. L'adolescent était retombé brutalement sur la terre en éprouvant la même sensation qu'au moment où l'on s'éveillait d'un terrifiant cauchemar.
    Pendant ce temps, l'arbitre était descendu de sa chaise, avait marché jusqu'à lui et examiné sa raquette avant de prononcer l'arrêt du match en faveur de Takahashi.


    Lorsque Rentarou réussit à remettre debout, il quitta le court, la tête basse, sans prendre ses affaires. Il se détourna de ses amis, incapable de soutenir leur regard, et s'éloigna. Tyro et Shintarou voulurent le suivre pour le réconforter mais Seiichi les en empêcha.


    - Laissez-le seul, conseilla t-il. Il ne supportera pas de nous voir tout de suite. De plus, nous devons rester ici jusqu'à la cloture du tournoi national.


    - On n'en a plus rien à foutre de ça maintenant, bougonna le rouquin.


    - C'est une question de respect et d'honneur, trancha Seiichi inébranlable.


    Pendant plus de deux heures, l'équipe de Ryoko Gakuen demeura aligné près de l'un des murs qui séparait le terrain des gradins. Ils regardèrent leurs adversaires être félicités pour leurs mérites et leurs exploits par les différentes et nombreuses personnalités politiques venues assister à la rencontre. Finalement le ministre s'occupant des affaires liées au sport et à la jeunesse s'avança vers Takahashi pour lui remettre la fameuse coupe mais celui-ci la refusa.


    - Je regrette, Monsieur, mais c'est une chose que nous ne pouvons pas nous permettre d'accepter.


    - Pour quelle raison ? s'enquit le ministre troublé. Vous êtes les vainqueurs de cette année.


    - Je n'ai pas mérité de gagner mon match, reprit avec humilité Takahashi. Je n'ai pas su prendre un seul point à Satsuma. Je ne pourrais jamais appeler victoire un match gagné uniquement par la chance. Je ne peux donc pas une récompense pour un mérite qui n'est pas le mien.


    - Eh bien, c'est un sacré rebondissement, commenta l'homme politique en essayant de masquer l'embarras que lui procurait cette situation.


    - Super, murmura Shintarou à Tyro. Grâce à ça, on …


    Il n'eut pas le temps de finir que son interlocuteur lui décocha un coup de pied à la cheville gauche pour l'obliger à se taire.


    A cet instant, le ministre arriva à la hauteur de leur équipe. Il annonça exceptionnellement la coupe serait décernée à ceux arrivés en seconde place. Il eut à peine terminé de parler que Seiichi ouvrit la bouche.


    - Je suis désolé de vous l'apprendre, Monsieur, dit-il très poliment, mais nous refusons cet honneur que vous nous faites. Nous ne le méritons pas. Nous avons perdu, point final. Il serait inacceptable de recevoir une récompense.

     

    Quand la cérémonie de cloture se termina enfin, l'équipe de Ryoko Gakuen se retrouva aux abords du stade à l'extérieur. Kimura les avait quitté en sortant, préférant les laisser entre eux.


    - Tu es nul, Seiichi, s'exclama Shintarou. On avait encore une chance !


    - C'est toi qui est nul, répliqua Tyro dont le visage parut, pour une fois, plus sévère que celui de Seiichi. Les compétitions sportives se gagnent seulement par ce qu'on l'emporte sur l'autre ! Il n'y a aucun utilité à recevoir un trophée pour quelque chose qui n'a pas été fait ! Ca ne flatte que ton ego !


    En cet instant, Tyro comprit les sentiments éprouvés par Rentarou depuis le commencement de la finale. Il souhaitait très probablement refouler les désirs peu luisants de leurs équipiers et les inciter à donner le meilleur d'eux-même que ce soit pour aujourd'hui ou pour l'avenir.


    - En tous les cas, ça ne donne pas envie de faire la fête, soupira Kou.


    Le visage de Tyro se contracta et devint similaire à celui de Seiichi.


    - Si vous avez de l'énergie pour faire la fête alors utilisez-la pour vous entrainer ! Autrement, vous risquez de ne pas rester titulaires longtemps !


    - Vous êtes aussi durs que Satsuma, maugréa Raphael.


    - Nous évoluons au niveau national, rappela Seiichi avec fermeté. Les joueurs que nous sommes amenés à rencontrer rêvent de devenir pros. Ils s'entrainent beaucoup plus durs que nous et sont prêts à tout pour progresser. Si vous souhaitez être un défi pour eux, renforcez votre esprit et devenez plus forts.


    Ses arguments clouèrent la bouche de Raphael. Celui-ci détourna la tête, le regard fuyant.
    En se séparant de leurs amis, Seiichi et Tyro partirent à la recherche de Rentarou. Tous deux s'inquiétèrent fortement pour lui et craignirent que cette sombre défaite lui ait causé une crise d'hyperventilation. Ils le cherchèrent dans les lieux déserts près du stade, connaissant son goût pour l'isolement lorsqu'il se sentait déprimé.


    Seiichi et Tyro le découvrirent dans un parc en train de se défouler. Le lycéen géant ne cessait de frapper avec ses poings le tronc d'un arbre de toute sa rage contenue en lui.


    - Il se reconvertit en bûcheron ? fit Tyro sans rire de sa plaisanterie.


    - Dépêchons-nous de l'arrêter ou il va se faire embarquer au poste si un agent de police passe.


    Utilisant sa vitesse prodigieuse, Seiichi disparut et réapparut près de Rentarou. Il posa doucement sa main gauche sur son torse et le poussa avec force au sol. Ébahi, Tyro déglutit en observant la scène. Quant à Rentarou, il ne comprit rien à ce qui lui était arrivé.


    - Un coup de main ? proposa Seiichi en lui tendant sa main pour l'aider à se relever.


    Rentarou accepta l'aide de son ami et se remit sur ses jambes. Sur cette entrefaite, Tyro les rejoignit.
    - C'était stupéfiant ! Comment tu as fait ça, Seiichi ?


    - Les arts martiaux possèdent beaucoup de secrets, mon petit Tyro, répondit-il mystérieusement, ses yeux bleus océan pétillant de malice.


    Rentarou s'assit sur le sol.


    - Je suis désolé, murmura t-il.


    - Pourquoi ? Tu as fait quelque chose de grave ? Cambriolé une banque ? Tapé un gamin ? Abattu un professeur ? Violé une fille ?


    Malgré lui, Rentarou s'esclaffa aux propositions saugrenues de l'adolescent aux cheveux ébènes. Il sentit que ce rire lui faisait mal. Tyro s'assit à ses côtés.


    - Bon, on va éviter t'écouter le fou ninja qui est venu avec moi, d'accord ? Écoute, Rentarou, tu n'as rien à te reprocher. Tu as joué un match génial comme j'adore en jouer !


    - Peut-être mais je l'ai perdu ce match si génial que ça, dit-il dépité.


    - Gagner ou perdre n'est pas important, répliqua Tyro. Pour moi, n'importe quel match est amusant du moment qu'on le joue avec toute l'énergie et la passion qui fait battre ton cœur. Aussi longtemps que tu joues sans en avoir le moindre regret, avec toutes tes capacités, alors c'est bien.


    - Je trouve un raisonnement bien étrange, déclara Seiichi.


    - Ah oui ? Et tu aurais dit quoi, toi ?


    - En fait, je cherchais encore, avoua le jeune ninja un peu gêné. Je ne trouve pas facilement des mots pour réconforter quelqu'un d'une défaite à part lui dire de s'entrainer.


    Tyro se couvrit le visage de ses deux mains et soupira bruyamment. Ses deux meilleurs amis se montraient aussi bourrins l'un que l'autre en ce qui concernait le sujet de la défaite.


    - Rentarou, reprit Tyro. Ton joueur préféré c'est bien Rafael Nadal, hein ?


    - Oui. C'est le meilleur au monde, même de ceux qui jouent actuellement !


    - Personnellement, je dis qu'Uminaka Shou est bien meilleur. Enfin chacun ses goûts.


    - Tyro, soupira Seiichi. Tu ne voulais pas dire autre chose ?


    - Ah oui ! Désolé, s'excusa t-il en riant. Rentarou, tu te souviens que ton idole a perdu plusieurs reprises dans les années 2003 et 2004. Cependant il a tenu bon et ne s'est pas découragé. Tu dois juste l'imiter et tenir bon comme lui jusqu'à obtenir enfin la fameuse coupe dont on rêve.


    Rentarou apprécia cette comparaison faite par le jeune tennisman.


    - C'est à dire continuer en donnant le meilleur de moi-même comme je fais maintenant ?


    - C'est ça ! Tu as compris !


    Les Sanonis restèrent un long moment ensemble dans ce parc. Seiichi avait fini par s'asseoir lui aussi. Ils conversèrent principalement sur la finale, parlèrent beaucoup de comment ils pourraient aider leurs amis à progresser et devenir plus forts que ceux-ci ne l'étaient actuellement et se complimentèrent aussi sur leurs prouesses individuelles. Tyro détailla comment il avait mis au point sa technique Cyclone Ball et déclara à Rentarou qu'il serait incapable de la contrer. Celui-ci lui apprécia beaucoup ce nouveau défi à relever et lui promit de lui faire regretter d'avoir prononcé ces paroles.


    Soudain, au milieu de leurs conversations, un garçon parut et s'immobilisa à leur hauteur. Il paraissait avoir treize ou quatorze ans. Pas plus. L'adolescent était légèrement plus petit que Tyro. De longues mèches brunes éparses tombaient de chaque côté de son crâne. Son visage avait une étrange forme triangulaire qui le rendait très reconnaissable. Mais le plus inquiétant, c'était son regard. Il observait avec dédain les trois adolescents en face de lui.


    - Que veux-tu ? lui demanda Seiichi de son air le plus glacial.


    - Juste dire que vous étiez des nuls, rétorqua le garçon.


    Immédiatement, Tyro bondit sur ses pieds, prêt à se jeter sur lui. Rentarou se leva aussi pour attraper son ami et le retenir dans ses bras.


    - Si c'est ça la puissance des Sanonis, profitez bien de votre court règne ! Bientôt, le véritable roi du tennis japonais, ce sera moi !


    Après ces troublantes paroles, le mystérieux adolescent mystérieux sans attendre de voir leurs réactions. Quand il estima qu'il n'y avait plus de danger, Rentarou relâcha Tyro.


    - Je vais tuer ce sale gamin ! hurla t-il.


    - Je me demande qui il est, songea Seiichi soucieux. C'est vraiment étrange.


    - Surtout que nos matches ont été bons, ajouta Rentarou en se rasseyant. Il n'y a pas beaucoup de monde capable de nous égaler. Vous croyez que ce sont des paroles en l'air ou qu'il est vraiment très fort ?


    L'adolescent aux cheveux ébènes haussa les épaules.


    - Aucune idée. Nous verrons bien ce qui arrivera. Cela ne sert à rien de s'angoisser. Si cela se trouve, ce n'est qu'un gosse qui se plait à raconter des mensonges pour faire mal à son entourage.

     

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  • Chapitre 61


    Puisque cette semaine, il était dispensé en raison de sa convalescence et qu'il avait réussi à rattraper tout son retard, Rentarou paressait dans son lit jusqu'à huit ou neuf heures le matin. Dans trois jours, le lycéen géant reprendrait un rythme scolaire normal.


    Se trouvant entre la limite du sommeil et de la somnolence, le jeune homme vivait les sensations de son corps comme celles d'un rêve. Il sentait de douces et agréables caresses sur son visage. Son esprit lui faisait revivre parallèlement celles que lui donnaient sa mère. Quand il était petit, le garçon dormait toujours contre elle, blottie contre son étreinte, humant son parfum et appréciant d'être serré très fort dans ses bras. Ces émotions étaient les meilleures.


    En ouvrant les yeux, Rentarou eut alors la surprise de croiser le regard vert foncé de Yoko.


    - Tu es réveillé ? lui demanda t-elle en parlant à mi-voix.


    Encore l'esprit embrumé par ses rêves et souvenirs, l'adolescent émergea lentement. Il sentit en même temps la main de la jeune fille lui toucher la joue gauche. De l'autre, elle utilisa un doigt pour caresser légèrement l'autre partie de son partie. Bien que cela le surprit beaucoup, le jeune homme ne trouva pas le geste désagréable. Au contraire, il savoura avec délice ce tendre moment.


    - Est ce que je rêve encore ?


    - Non, rit Yoko. Je suis parfaitement réelle.


    Baissant rapidement la tête, elle se concentra nerveusement sur les caresses données à son petit ami. La jeune fille hésita encore. Elle détourna son regard avant de prendre la parole.
    - Tu m'as beaucoup manqué le mois dernier, avoua t-elle. Je ne pensais pas que je tenais autant à toi. J'ai eu très peur de te perdre.


    Rentarou écouta la complainte de sa petite amie et se désola de l'avoir forcé à connaître des sentiments aussi douloureux. Toutefois, il y avait dedans quelque chose qui le réjouissait. Dans cet aveu, cela signifiait qu'elle l'aimait. Tout au moins qu'il comptait beaucoup pour elle.


    - Je suis là à présent. Je vais éviter de te faire des frayeurs comme ça maintenant.


    Yoko sourit timidement en le regardant à nouveau dans les yeux. Ce désir se fit encore ressentir. La jeune fille ne se retint plus. Elle se coucha sur le puissant torse du jeune homme. Seules ses jambes dépassèrent du lit. Les mains posées sur son large cou, l'adolescente pencha doucement sa tête. Ses lèvres se posèrent délicatement sur les siennes. Elle commença à l'embrasser très doucement.


    Ce baiser enflamma tous les sens de Rentarou. D'abord surpris, il se laissa griser rapidement par les délicieuses sensations qu'il lui procura. Il répondit très vite et ouvrit lentement sa bouche. Le lycéen géant plaça instinctivement un bras autour de la taille de la jeune fille. De sa main libre, ses doigts jouèrent avec les cheveux de celle-ci, les glissant dedans et enroulant ses mèches de son index ou de son majeur.


    Ils restèrent un long moment à s'enlacer de cette manière et à s'embrasser. Soudain Yoko arrêta pour reprendre son souffle et blottit sa tête contre la poitrine de l'adolescent. Celui-ci, déjà insatiable de ce plaisant échange entre eux, déposa un court baiser sur le haut du crâne de sa petite amie. Il passa ensuite ses mains sous la veste de son uniforme et caressa tendrement son dos par dessus son chemisier.


    Mais il existait dans l'existence, une règle immuable. Tout commençait avec un début et se terminait par une fin. Et malheureusement pour les deux amoureux, la fin de ce câlin arriva bien vite, beaucoup trop vite pour eux.


    - Il va être bientôt neuf heures !


    S'étant légèrement tournée, les yeux de la jeune fille s'étaient alors dirigés vers le cadran du réveil de Rentarou. Celui-ci affichait qu'il serait prochainement neuf heures dans moins de quinze minutes. Autrement dit, il lui fallait filer très rapidement en cours.


    Immédiatement, elle se défit de l'étreinte du géant et s'affaira à défroisser ses vêtements. Yoko n'éprouvait aucune honte d'avoir partagé ce tendre moment avec son petit ami. Cependant l'adolescente ne voulait pas propager une rumeur disant qu'elle était une fille facile à cause de sa tenue toute chiffonnée indiquant clairement que la vice-présidente du conseil des étudiants, toujours si obstinée avec le règlement, s'était retrouvée dans les bras d'un garçon.


    Elle porta ensuite machinalement sa main à ses cheveux et réalisa que ceux-ci étaient détachés.


    - Tu as détaché toutes mes tresses !


    - Ben oui. Tu es beaucoup plus belle comme ça, avoua Rentarou. En plus, j'ai toujours eu envie de glisser mes doigts dedans.


    - Mais je n'aurais jamais le temps de les refaire, soupira t-elle. Comment je vais faire ?


    - C'est quoi le problème ? Tu es magnifique comme ça.


    - Ma mère m'a toujours recommandé de sortir coiffée avec mes tresses, dit Yoko d'un ton sévère.


    Rentarou aurait bien aimé lui dire que sa petite amie n'était pas obligé d'obéir à toutes les demandes de sa mère, surtout si elle était loin d'elle. Cependant il connaissait l'histoire de la jeune fille. Ile lycéen géant devinait que sa compagne devait être prête à tout accepter pour ne pas déplaire à la femme qui l'avait mise au monde.


    - Je vais devoir me contenter d'une queue de cheval, se résigna t-elle. Mais toi, tu n'as plus intérêt à détacher mes cheveux comme ça.


    - Ne compte pas là dessus. J'ai bien l'intention de remettre mes doigts dans tes doux cheveux aussi souvent que j'en aurais envie, répliqua Rentarou d'un espiègle sourire.


    Yoko rassembla énergiquement ses cheveux et les attacha au moyen d'un élastique bleu ciel. Sa queue de cheval tomba de sa nuque jusqu'au bas de ses omoplates. Elle dit au revoir ensuite à Rentarou, sans s'approcher pour autant. La jeune fille craignit, sans doute à raison, que celui-ci n'essaye de s'amuser avec elle en la retenant un peu plus de temps en sa compagnie.


    Restant tout seul après son départ, Rentarou avait contemplé longuement le plafond au-dessus de son lit avec un air béat. Il avait repensé à ce tendre instant. Un doigt posé sur sa lèvre inférieure, son esprit s'était remémoré de la sensation du baiser. Le lycéen géant avait aussi tâté longuement son torse à l'endroit où la tête de Yoko s'était appuyée.


    Quand il interrompit ses douces rêveries, l'adolescent se leva enfin. Il alla se doucher, s'habilla et descendit prendre son petit-déjeuner.


    En remontant dans sa chambre, il s'assit directement à son bureau et prit du papier et un stylo. Le buchou du club de tennid commença à former des combinaisons avec les membres du club de tennis. Ayant appris qu'il ne restait plus de titulaires, excepté Raphael et lui, Rentarou avait décidé d'organiser des sélections pour former une nouvelle équipe. Le temps pressait. Dans moins deux semaines, ils devaient affronter l'équipe d'Osaka qui s'était qualifiée, comme eux, pour la finale du tournoi national. Le lycéen géant essayait de répartir trente-huit joueurs aux niveaux très différents en composant des groupes hétérogènes. Par exemple, il s'arrangea pour éviter de mettre Tyro et Shintarou ou Raphael et Seiichi ensemble. Certes, de pareils matches seraient géniaux, tennistiquement parlant, mais cela n'apporterait rien au club. Au contraire, cela le priverait de la possibilité de faire appel aux éléments les plus forts. Il lui fallait donc bien évaluer le potentiel de chacun, se servant des rapports que Seiichi avait récemment instaurés, pour créer des groupes mélangeant forts et faibles.


    Lorsqu'il eut terminé sa tâche, midi allait bientôt sonner. Rentarou se hâta de quitter l'internat et se rendit au bâtiment administratif. Comme le jeune homme aux cheveux de jais connaissait mal l'endroit, n'y venant que très rarement, il lut le nom des plaques sur les portes. Le garçon passa en premier devant le bureau de la comptabilité. D'après Yoko, c'était l'unique tâche qui n'était pas assurée par un élève. Il continua en avançant devant ceux de Kawamura, un des condisciples de sa classe, et d'un autre étudiant dont il n'avait jamais entendu parler. L'adolescent poursuivit son chemin devant la salle de réunion et se retrouva finalement au bout du couloir. Sur sa gauche se trouvait la pièce aux téléphones mais elle ne l'intéressait pas aujourd'hui.


    Son intérêt était stimulé par la porte en face. Épaisse et solide, elle paraissait beaucoup plus difficile à casser que toutes celles se trouvant dans le lycée.


    L'adolescent n'avait toujours pas oublié la fois où il s'était retrouvé avec la porte de la salle de Japonais dans les mains. Depuis le jeune homme faisait très attention à la manière dont il les ouvrait et les fermait. Souvent, Rentarou veillait à laisser cette tâche à ses amis quand il n'était pas seul.
    Mais cette porte, même en faisant appel à toute sa force, il n'aurait pas été capable de l'enfoncer.
    Sur la petite plaque dorée, qui était apposée sur le haut, était écrit en grosses lettres d'imprimerie : Taniguchi Bunichiro et en dessous, en plus petit, proviseur.


    Sans hésiter, le jeune homme aux cheveux de jais frappa.


    Une fois inviter à pénétrer derrière cette porte, l'adolescent l'ouvrit et la referma à la suite de son passage. En contemplant le lieu dans lequel il venait de pénétrer, Rentarou fut stupéfait. Il n'avait encore jamais vu une telle pièce. Elle était complètement sphérique. Ses murs étaient garnis de rayonnages emplis de livres sans interruption du sol jusqu'au plafond sur plusieurs mètres de hauteur. Les seuls espaces vides avaient été aménagés pour l'unique fenêtre de la salle et la porte.
    En son for intérieur, le lycéen géant songea avec amusement à son meilleur ami. Seiichi aurait adoré être ici. Il aurait regardé partout autour de lui, se serait précipité vers les étagères, aurait examiné attentivement chaque livre avant d'en prendre finalement un.


    Le reste de la pièce lui parut beaucoup plus réduit. Derrière la fenêtre à battant se dressait le bureau du proviseur. Il nota que celui-ci était dépourvu de la présence d'un ordinateur.


    Au milieu de la salle était installé deux canapés blancs, sur un épais tapis aux couleurs chatoyantes, pouvant permettre à deux ou trois personnes de s'y asseoir, placés dans une parfaite symétrie. Ils étaient séparés par la présence d'une table basse.


    En apercevant son étudiant, Taniguchi se leva de son fauteuil et alla à sa rencontre. Après s'être salué, il lui proposa de s'asseoir dans un de ces confortables sièges. Rentarou accepta. Le proviseur s'installa en face de son interlocuteur.


    - A présent, que puis-je faire pour toi, Rentarou-kun ?


    - Comme vous le savez évidemment, il ne reste plus un seul troisième année au club de tennis.


    - Oui, c'est moi qui ait pris cette décision. Puisque la majorité des troisièmes années s'est montrée aussi servile et manipulable, j'ai exclu tous ceux qui avaient accepté d'aider Kurata ou qui avaient eu connaissance de ses manigances. C'est très triste et dommageable mais je ne peux pas pardonner un tel comportement. Je tolère de très nombreuses choses, que beaucoup d'autres proviseurs ne font pas l'occurrence, mais je ne saurais jamais excuser la lâcheté ou l'ignorance.


    - Je comprends. Je ne suis pas certain de partager complètement votre point de vue mais il s'agit de votre établissement. Je n'ai donc pas à me prononcer sur sa gestion.


    Taniguchi porta sa main à son menton, dissimulé dans sa barbe drue, et cacha le sourire qui se dessinait sur son visage. Il appréciait beaucoup les passionnantes et riches conversations avec des personnes à l'avis éclairé.


    - Cependant l'objet de ma visite n'est pas là, reprit Rentarou. Cette semaine, j'ai décidé de reformer donc une nouvelle équipe en vue de la finale contre Osaka. Je vais organiser en début de semaine prochaine une sélection pour choisir les sept meilleurs joueurs du club.


    - Et en quoi as-tu besoin de moi ? Les buchou font ce qu'ils veulent pour désigner ceux qu'ils veulent dans leur équipe.


    - Je sais. Cependant il y a autre chose qui m'ennuie. La semaine prochaine, nous avons des examens de Mercredi à Vendredi.


    - Je t'avais pourtant proposé de t'en dispenser si je me rappelle bien, se moqua le proviseur sans esquisser le moindre sourire.


    - Je le sais. Je ne le demande pas pour moi, monsieur. Je voudrais, s'il vous plait, que vous accordiez à ceux qui seront désignés comme titulaires Mardi soir une dispense exceptionnelle pour ne pas passer les examens de ce trimestre.


    En formulant sa demande, il se courba le plus possible et se plaqua la tête contre ses jambes.


    - Également, monsieur, reprit-il en se redressant, pensez au prestige de notre lycée. Cela fait vingt-six que nous n'avons pas gagné les Nationales. Si nous la remportons cette année, malgré tous les ennuis que nous avons traversé, ce serait génial. Je suis sûr que ça encourageait plein de futurs élèves à s'inscrire ici et à rejoindre le club.


    - Je vois que tu as préparé d'excellents arguments, constata Taniguchi. Tu serais un bon avocat.


    Raté, pensa Rentarou. Je veux faire l'inverse.


    - Et en y réfléchissant, je ne vois aucun faille dans ceux-ci, ajouta le vieil homme barbu. J'accède donc à ta requête. Quand tu auras les noms de ceux que tu as choisi, transmets-les moi.


    Rentarou remercia très poliment son proviseur en s'inclinant du buste. Il prit ensuite congé après l'avoir salué respectueusement.

     

    Le week-end s'écoula tranquillement. Les Sanonis le passèrent ensemble à la maison de Tyro. Cependant en raison des examens prévus pour la semaine prochaine, ils ne purent pas s'amuser beaucoup. Tyro et Seiichi passèrent la quasi totalité de leur temps à feuilleter un livre, à relire des notes ou à refaire un exercice.


    Dans un pur souci de justice et d'équité envers ses équipiers du club de tennis, Rentarou ne leur avait pas parlé de l'accord conclu avec le proviseur. Il ne comptait le dire qu'une fois les sélections passées. Le lycéen géant souhaitait avoir des joueurs motivés par la seule idée de jouer des matches de tennis et de les gagner plutôt que par la promesse d'une dispense d'examens. En plus, cela ne faisait de mal à personne d'étudier. Les fruits d'un dur travail ne se perdait jamais.


    Pour ne pas éveiller les soupçons de ses deux meilleurs amis, il prétendait avoir étudié toute la semaine et en avoir assez d'avoir le nez plongé dans les cours. D'ailleurs, ce n'était pas un mensonge. Il passait son temps à jouer avec sa Gameboy allongé ou accroupi sur le lit de Tyro. Quand il commençait à s'ennuyer de ses jeux, Rentarou descendait voir les autres enfants de la famille.


    Dans le salon, Kenichi faisait une fois de plus la morale à la plus grande de ses deux sœurs, assise à côté de lui sur le canapé. Elle n'écoutait visiblement pas et préférait reporter son attention sur la série diffusée actuellement par la télévision. Assise en seiza, la jeune Ai jouait avec sa poupée préférée pendant que Susumu lisait un manga dans l'un des fauteuils.


    - Ainsi Junko, je pense qu'il serait bien que tu décides à murir davantage et à prendre conscience de ta situation. Tu vas avoir vingt ans. Tu es majeure depuis trois semaines déjà. Tu dois comprendre qu'il est temps de réfléchir à ton avenir.


    - Keniichan use toujours sa salive pour rien, dit Susumu à Rentarou en relevant la tête de son livre.


    - Laisse-moi tranquille, Keniichan, soupira Junko agacée. Je cherche du travail si tu te souviens. Ce n'est pas ma faute si je ne trouve rien.


    - J'ai entendu dire par kaasan que tu n'allais jamais aux rendez-vous que Keniichan te trouve. J'ai aussi entendu dire que quand tu avais en entretien, tu n'y allais pas, rapporta Ai.


    Bien qu'il désapprouvait la conduite peu responsable de Junko, Rentarou décida de lui donner un coup de main. Il n'appréciait pas beaucoup d'assister à une lutte inégale. Son intuition devinait que Susumu risquait bientôt de mêler son grain de sel à la conversation.


    - Dites, vous n'avez pas des examens à réviser vous aussi ? demanda t-il de son air très poli.


    - Pas cette année, répondit Kenichi. Ce sera pour l'année prochaine.


    - Et l'année prochaine, il sortira de l'école de police, clama fièrement Ai en se levant et en battant des mains. Notre grand frère sera devenu un vrai policier !


    - Ca veut dire qu'il pourra te mettre en prison si tu fais une bêtise, s'esclaffa Susumu.


    - Si je devais mettre un de vous en prison, ce serait Takahiro ou toi, plaisanta Kenichi.


    - Sinon moi, j'ai terminé mes examens la semaine dernière, Rentarou-niichan. Et ma maitresse me les a rendu ce Vendredi-ci ! Et tu sais quoi ? J'ai tout réussi ! J'ai obtenu l'appréciation «excellent travail» partout !


    - C'est génial, Ai-chan, la félicita Rentarou.


    Jaloux, Susumu se rappela à leur bon souvenir.


    - Eh bien, j'ai passé mes examens mi-Janvier moi ! J'ai eu aussi mes résultats la semaine dernière. Ma moyenne générale est de 85% mais j'ai réussi à obtenir un 95% en Maths et en Chimie !


    - Tu travailles très bien aussi, Susumu-kun.


    - Mais il me semble que tu as aussi des examens, Rentarou-kun, intervint Kenichi. Pourquoi ne révises-tu pas avec Takahiro et Seiichi-kun ?


    - J'ai étudié toute la semaine sur mes cours alors j'en ai marre. Je n'ai pas envie de travailler ce week-end. De toute manière, j'ai déjà tout retenu.


    - Rentarou-niichan est vraiment impressionnant, s'exclama Ai radieuse.


    - Ouais. C'est pas comme comme une certaine fille de notre connaissance qui a raté sa troisième année de lycée deux fois et qui ne fout plus rien de ses journées depuis, rétorqua Susumu.


    Kenichi s'apprêta à faire la leçon à son jeune frère mais n'eut pas le temps.


    - C'est très incorrect que tu dis là, Susumu-kun, dit Rentarou d'un lourd ton de reproche. Il ne faut jamais rappeler les échecs et leurs faiblesses aux gens car cela leur cause beaucoup de mal. Dis-moi, ça te plairait si un tes frères racontait un jour un des matches de basket que tu as perdu ?


    Le jeune garçon baissa la tête.


    - Non. Je me sentirais vraiment embarrassé.


    - Si tu ne veux pas qu'on fasse ce que tu ne veux pas alors ne le fais pas aux autres. Compris ?
    Le dernier fils de la famille Sakumai hocha timidement de la tête afin de donner une réponse affirmative.


    - A présent, vas t'excuser auprès de ta sœur.


    Susumu s'avança vers son aînée et s'inclina légèrement et murmura un vague mot d'excuse. Celle-ci le fit languir un moment avant de les accepter.


    - Tu es génial, Rentarou-niichan, dit Ai épatée. On dirait Keniichan !


    - Ce n'est rien, assura dit-il en rougissant un peu. C'est probablement parce que je suis un grand frère moi aussi.


    Surpris, l'ainé de la famille arqua un sourcil.


    - Tu as des frères et sœurs ?


    En pensant à ce sujet épineux, le cœur de Rentarou se serra. Il ne dit rien et s'avança vers la porte-fenêtre du salon qui donnait sur la rue.


    - Une petite sœur. Elle a onze ans demain.


    - Super ! Je parie que tu vas lui offrir un cadeau génial pour elle !


    - Je ne peux pas malheureusement, soupira t-il. Nous ne vivons plus ensemble depuis longtemps et je ne sais pas où elle se trouve en ce moment. Je pourrais la croiser dans la rue tous les jours, je ne la reconnaitrai pas.


    Ai baissa la tête. Elle se sentait terriblement triste pour le meilleur ami de son frère. Elle décida de le réjouir. La fillette tira sur la jambe de son pantalon pour attirer son attention. Il se retourna.


    - Tout ira bien, Rentarou-niichan. Tu sais, même si tu ne sais pas où ta petite sœur se trouve ni ce qu'elle fait, je suis sûre qu'elle t'aime toujours très fort et pense à toi. Parce que les frères et sœurs, ça ne peut pas se détester. Jamais.


    Touché par la sollicitude de cette enfant, Rentarou lui sourit et la remercia en lui caressant ses cheveux roux.


    Lors de sa reprise des cours, Rentarou se leva vers six heures et rejoignit Seiichi et Shintarou à la douche. Conformément à leurs habitudes, ceux-ci avaient repris leurs jeux d'eau consistant à s'arroser l'un et l'autre avec le pommeau de leur douche. Le lycéen géant ne dit rien et se lava comme si cela semblait normal, ce qui était le cas pour eux.


    En sortant de la salle de bain, ils descendirent au rez-de-chaussée. Rentarou et Seiichi s'arrêtèrent à l'infirmerie. A présent, il devait suivre le même protocole que son meilleur ami le matin. Désormais, Haruko ne lui faisait plus confiance pour gérer sa santé. Elle examina ses deux patients et posa plusieurs questions au jeune colosse, notamment sur ses heures de sommeil.

     

    Ils allèrent finalement prendre leur petit-déjeuner. Shintarou les attendait à une table libre et avait déjà terminé son repas. Rentarou n'avala qu'un bol de riz et une omelette roulée contrairement à Seiichi qui mangea au moins pour trois personnes.


    - La dernière fois que j'ai vu quelqu'un manger autant, persifla Rentarou, c'était kaasan quand elle attendait ma petite sœur.


    - Je ne grossis pas, rappela l'adolescent aux cheveux ébènes en ingérant un croissant.


    - Il paraît que certaines femmes ne prennent pas de poids avant le troisième ou quatrième mois, parfois même au cinquième seulement. D'ailleurs, je me souviens que kaasan n'avait pas pris beaucoup de poids.


    Shintarou manqua de s'étrangler tellement il riait des suggestions de son ami aux lunettes sombres. Le jeune ninja demeura imperturbable et ne dit rien pour se défendre de ces insinuations.


    Après le petit-déjeuner, les trois amis se rendirent directement à la salle des casiers. Ils prirent leurs affaires en attendant le reste de la bande, discutèrent un moment ensemble puis se décidèrent à aller en cours.

     

    Lorsque Rentarou passa le seuil de la classe de Japonais où débutait son premier cours de la matinée, ses camarades lui firent un excellent accueil. D'abord, ils le félicitèrent pour avoir réussi à vaincre Kurata dans un match et avoir eu le courage de l'affronter. Tout le monde voulut aussi savoir pourquoi il avait passé autant de temps avec la police et ce qu'il pouvait leur dire à ce sujet.


    Incapable de mentir, Rentarou avait raconté l'entière vérité. Il leur dit qu'il s'agissait d'un mensonge pour ne pas créer de panique supplémentaire et inutile dans le lycée. Le jeune homme aux cheveux de jais expliqua qu'il était resté dans le coma trois semaines, cita le dévouement de ses amis à être venu souvent le voir et rester avec lui. Il mentionna aussi le courage et la volonté de Seiichi pour avoir remis sur pied le club de tennis dans ces dures conditions. Cependant l'intéressé se réfugia dans un de ses livres et prétendit n'avoir rien fait d'autre que son devoir.


    - Tu veux toujours avoir l'air cool, Shiromiya, lança Sawamura.


    - Puis-je savoir ce qui se passe ici ? demanda soudainement une voix forte et sévère.


    Les lycéens se retournèrent. C'était le professeur Noda qui venait d'entrer à l'instant. Elle n'était visiblement pas contente de trouver ses élèves aussi agités. D'ordinaire, l'enseignante préférait arriver dans une classe calme et studieuse, prête à se mettre au travail.


    - Satsuma-kun est enfin revenu, Noda-sensei, intervint Osakawa en s'avançant. Nous étions heureux de le revoir et …


    - Et vous avez décidé de vous comporter comme des écoliers ! N'avez-vous pas compris que vous étiez au lycée désormais ? Il est terminé le temps des jeux et des rires !


    Le silence s'abattit rapidement sur la classe. Elle s'avança parmi ses étudiants et s'arrêta devant Rentarou. L'adolescent ne pouvait s'empêcher de trouver amusant les moments où les professeurs s'approcher de lui. Ils étaient toujours plus petits ce qui diminuait la crainte que l'on pouvait ressentir. Le professeur Noda n'échappait pas à cette règle.


    Très petite, l'enseignante ne dépassait Shintarou que de deux centimètres. Elle nouait ses cheveux gris pour réaliser un chignon qui renforçait la sévérité de son expression. L'adulte portait en permanence des lunettes aux verres carrées sur ses étroits yeux gris. Son visage avait presque la forme de celui du tortue et elle semblait n'avoir pas de cou. D'ailleurs, entre eux, ses élèves la surnommaient Kame Nonin en référence à l'un des célèbres personnages personnages de Dragonball. Cette femme d'un certain âge portait toujours un tailleur vert foncé très stylé.


    - Je suis ravie de vous revoir, Satsuma-kun, dit-elle avec froideur. J'espère que vous ne trouverez plus le moyen de vous faire remarquer.


    Rentarou poussa un grognement qu'il étouffa à moitié et serra ses poings. Ce n'était vraiment pas le jour à choisir pour l'énerver ou lui taper sur les nerfs.


    - Si vous aviez fait votre travail, ce ne serait jamais arrivé, répliqua t-il d'un ton aussi froid que le sien.


    - Je vous demande pardon ?


    L'enseignante parut si scandalisée par cette attitude qu'elle donna l'impression de s'étouffer.


    - Kurata était un élève sous votre responsabilité, Noda-sensei. Vous l'avez eu trois ans. Je pense que vous auriez dû mieux vous occuper de votre classe. Cela aurait peut-être éviter les ennuis que notre lycée traverse aujourd'hui. Il faut mieux gérer les problèmes en amont plutôt de les laisser et de devoir ensuite réfléchir à un moyen de réparer les dégâts causés.


    - Ma pédagogie en tant que professeur titulaire ne vous regarde pas, riposta t-elle. Cependant je tiens à signaler, pour votre gouverne, que vous êtes au lycée. Vous êtes sensés vous assumer et gérer vos problèmes seuls. Vos professeurs n'ont pas s'immiscer avec vous.


    - Hashimoto-sensei le fait, intervint Abe, une rare fille de la classe, connue pour sa timidité maladive. Il nous écoute, il nous observe et s'inquiète s'il voit qu'un de nous ne va bien.


    Noda écouta la complainte de la jeune fille en se tournant légèrement vers elle et toussota en portant sa main gauche à sa bouche.


    - J'ai beaucoup d'admiration et de respect pour Hashimoto-sensei. Il est une personne très compétente dans la matière qu'il enseigne. Malheureusement, il se montre très faible avec les élèves dont il s'occupe et …


    - Ce n'est pas vrai, s'écria Rentarou. Hashimoto-sensei est le meilleur prof que je n'ai jamais eu !


    - Eh bien, c'est que vous contentez de bien peu, Satsuma-kun.


    Rentarou reprit sa respiration et se calma un minimum. Il posa ensuite la question suivante :


    - Noda-sensei, lorsqu'une canalisation fuit et crée une inondation, c'est très grave, non ?


    - Je ne vois pas le rapport avec notre discussion.


    - Pour éviter qu'il y ait des fuites, on vérifie toujours les canalisations pour éviter les fuites. Sinon ça inonde tout un bâtiment rapidement et crée une immense panique. Sans parler des dégâts ensuite. Pourquoi la pédagogie et l'éducation ne peuvent pas être pareilles ? Ne pensez-vous pas que c'est mieux de régler un problème avant qu'il ne grossisse plutôt qu'il ne crée une immense panique ?


    Coincée par l'argumentaire de son élève, le professeur Noda ne voyait pas comment lui répondre sans perdre sa dignité. Elle fit donc ce que tout professeur avait autorité à faire.


    - Ca suffit maintenant, ordonna t-elle d'une voix ferme. Nous perdons du temps précieux. A vos places, tous ! Et aussi sortez une feuille ! Interrogation !


    Les lycéens regagnèrent en vitesse leurs sièges respectifs, peu motivés à la perspective d'une interrogation surprise. L'enseignante avait justement choisi l'un des premiers textes étudiés en début d'année comme thème. Rentarou s'en sortit très facilement en faisant appel à sa mémoire mais il culpabilisa pour ses camarades.


    Quand ils eurent quitté ce cours et se rendaient à celui de leur professeur titulaire, Rentarou s'excusa auprès d'eux.


    - Je suis désolé tout le monde. Je me suis un peu énervé après Noda-sensei. Je ne voulais pas vous causer de torts.


    - Ne t'en fais pas pour ça ! Avec les révisions de nos examens, ce n'était pas vraiment une vrai interro surprise, le rassura Tachibana.


    - Je me demande seulement ce qui t'a pris, dit Seiichi soucieux. C'est la première fois que tu réponds à un professeur. Tu ne te défends jamais normalement, pas même avec Aizawa-sensei.


    - Et pourtant, il serait en droit de le faire, approuva le petit Miura.


    - Ce n'est pas important, éluda Rentarou. Allez, dépêchons ! On va être en retard !


    En arrivant dans la salle de Mathématiques ils trouvèrent celle-ci déserte. Ils s'installèrent rapidement et attendirent leur professeur. Hashimoto arriva quelques instants après eux, arborant un air de découragement sur le visage.


    - Bon, soupira t-il. Qu'avez-vous fait encore ?


    - De quoi parlez-vous, Hashimoto-sensei ? demanda Arai, un élève couvert de boutons, au premier rang.


    - Je viens d'avoir Noda-sensei au téléphone. Elle souhaite m'entretenir à votre sujet à la pause de midi. Puis-je avoir un aperçu auparavant ?


    Osakawa Masako, la jeune fille assise devant Seiichi, se leva et fit un récit clair et concis de la scène telle qu'elle s'était déroulée. Elle n'effectua aucun commentaire ni jugement. A sa conclusion, Hashimoto lui permit de se rasseoir et s'avança vers le quatrième rang, et plus précisément vers la table de Rentarou.


    - Tu reviens à peine et tu crées déjà des ennuis, Satsuma-kun. Ce n'est très correct.


    - Je suis désolé, Hashimoto-sensei. Je n'ai pas su me retenir.


    - Satsuma n'a rien dit de mal, protesta Sawamura. Il est resté toujours correct et calme.


    - N'empêche qu'il avait raison quand il disait qu'Hashimoto-sensei, c'est le meilleur prof qu'on puisse avoir, intervint Hayashi, un élève situé au second rang.


    Les joues de Rentarou rosirent quelque peu. Il s'était senti soulagé en constant qu'Osakawa n'avait pas rapporté ce détail à leur professeur. Le lycéen géant se sentit très mal à l'aise et baissa les yeux pour ne pas croiser ceux d'Hashimoto.


    En entendant la réflexion spontanée de son élève et l'approbation générale de sa classe, le regard de l'enseignant se voila. Il courba la tête et leva la main pour ramener le silence.


    - Vous avez tort, murmura t-il. Si j'étais un si bon professeur que vous le pensez, j'aurais dû voir et comprendre mieux mes élèves. J'aurais dû voir que les élèves que je suis depuis trois ans étaient victimes de Kurata. J'aurais dû comprendre la véritable personnalité de celui-ci.


    Le ton morose de son professeur aida Rentarou à sortir de sa réserve.


    - Ce n'est pas vrai. C'est parce que vous ressentez ces sentiments pour vos élèves que vous êtes un bon prof, Hashimoto-sensei. Vous nous dites souvent que c'est normal de faire des erreurs, d'échouer ou de ne pas comprendre. Vous répétez constamment que le principal est de continuer à essayer. Vous ne croyiez pas que ça s'adapte à votre enseignement ? Vous avez peut-être commis des erreurs en ce qui concerne Kurata mais il y a sûrement des tas de choses à en apprendre.


    Hashimoto sourit en écoutant l'exposé de son étudiant. L'enseignant avait rarement eu l'occasion des éloges sortant de la bouche de ses élèves, surtout qu'il n'avait pas encore dix ans de carrière. D'ordinaire, ils critiquaient, avec raison ou non, leurs professeurs. Cela lui procurait un plaisir incommensurable et lui donnait la sensation de servir réellement à quelque chose.


    - Il me semble que nous commençons à nous attarder, dit-il subitement en posant son index sur ses lunettes pour les remonter. Si nous faisions quelques exercices sur nos chers vecteurs ?


    Le reste de la matinée se passa beaucoup plus tranquillement. Durant le cours d'Economie, Rentarou ne s'embêta pas à prendre des notes. Comme il savait qu'il ne passerait pas l'examen et qu'il abandonnerait cette matière l'année prochaine, le lycéen géant n'en voyait pas l'intérêt. Il se concentra donc à réaliser les devoirs qu'Hashimoto leur avait donné pour le lendemain. En Anglais, il s'était aplati sur sa table pendant toute la durée du cours lui permettant de ne pas être vu par Aizawa. Elle partait toujours dans son bureau lors des intercours ce qui l'empêchait de voir ses élèves entrer dans sa salle. Celle-ci avait donc interrogé, comme elle le faisait depuis un mois maintenant, le petit Miura dont le niveau dans cette langue se rapprochait de celui de Rentarou.
    Lors de la pause du déjeuner, la petite bande avait enfin pu manger comme elle le faisait auparavant depuis le second trimestre. La salle de Droit avait résonné toute l'heure de rires et de cris.


    Après les cours de l'après-midi, Rentarou et ses amis se rendirent au club. La majorité de leurs membres étaient déjà présents en train de se changer. En sortant des vestiaires, vêtu de sa tenue de titulaire, Rentarou interrompit Seiichi qui s'apprêtait à choisir son groupe. Il se tourna ensuite à la masse agglutinée et correctement alignée face à lui.


    - Aujourd'hui, nous n'aurons pas d'entrainement, annonça t-il en allant droit au but. Comme vous le savez, Dimanche, nous allons affronter Osaka. Nous avons donc besoin d'une équipe pour prendre part à ce match. Je doute fortement que Raphael-san et moi puissent le faire seuls.


    - On peut toujours essayer, dit Raphael qui était adossé avec nonchalance contre le murs des vestiaires, les bras ballants dans le dos.


    - Pour remédier à cela, j'ai décidé d'organiser une sélection qui aura lieu normalement sur deux jours, c'est à dire aujourd'hui et demain, reprit Rentarou. Tout le monde peut participer et peut devenir un titulaire s'il remplit les conditions de cette sélection.


    - Vraiment tout le monde ? Même les premières années ? fit Namikawa.


    - A partir de maintenant, seule compte la force pour être titulaire.


    - La force ? Ca veut dire qu'il va organiser un combat de boxe pour déterminer qui est le plus costaud ? railla Tyro. Mais on le sait déjà : c'est Rentarou !


    Le petit plaisantin reçut immédiatement une claque derrière la tête donnée par Seiichi avant de pouvoir rire de sa blague.


    - Cette sélection, que j'appelle le tournoi interne, repose sur sept groupes. C'est le nombre de titulaires qu'il nous faut. Vous serez chacun dans un groupe et vous affronterez normalement tous les membres qui le composent. Pour avoir la chance d'être titulaire, il faut remporter trois matches. Par contre, si vous en perdez un seul, vous serez disqualifié.


    - C'est un moyen très juste de désigner des titulaires, songea Shintarou. Si on ne fait pas partie de l'équipe, on n'a qu'à s'en prendre à nous-même.


    - Cependant il se peut que les titulaires puissent changer très souvent, reprit Rentarou d'un petit sourire mystérieux. Le tournoi interne aurait lieu à chaque fin de mois. A chaque fois, les titulaires actuels remettront en jeu leur poste et ceux qui ne le sont pas auront l'occasion de prendre la place qu'ils rêvent. Des questions ?


    - C'est aussi un bon moyen d'entrainement, dit Seiichi. En mettant comme enjeu chaque mois la possibilité de devenir titulaire, cela les motive.


    - Et cela motivera aussi les titulaires, ajouta Takaishi. En connaissant cette règles, ils seront incités à s'entrainer et à progresser pour garder leur place.


    - En résumé, grâce à cette méthode, notre équipe va devenir très forte, conclut Kou.

     

    - Puisque vous n'avez pas de questions, commençons, décida Rentarou après avoir attendu quelques instants. Veuillez consulter les feuilles que je vais faire passer pour savoir dans quel groupe vous êtes.


    En raison du nombre réduit des courts de tennis de leur club, Rentarou avait décidé de n'autoriser que deux groupes seulement de participer en même temps. Cela permettait aussi aux autres d'observer les matches et d'apprendre.


    Les différents matches du groupe A se déroulèrent très vite. En fait, Seiichi se trouvait dedans. Il avait terminé chacun de ses matches en moins d'un quart d'heure. Ceux du groupe B se passèrent plus normalement et avec un peu plus de suspense. Lorsque le dernier match du groupe A se termina, le fukubuchou fut naturellement désigné pour être le premier titulaire. Aussitôt Rentarou fit enchainer la suite en donnant le signal au groupe C de commencer. Les groupes B et C jouèrent à peu près au même rythme l'un que l'autre. Ils terminèrent ensemble, à quelques minutes d'intervalle. Ce fut Takaishi et Shintarou qui en sortirent vainqueurs.


    Rentarou inspecta l'heure avant de se décider à poursuivre. Étant donné que Kurata n'avait jamais fait changer les ampoules des lampes situées au-dessus de chaque court et qui permettaient de jouer dans l'obscurité, il ne fallait pas risquer d'être surpris par la nuit. Le lycéen géant ne s'imaginait pas demander à tout le monde d'éclairer à la torche électrique les courts. Cependant il jugea qu'il était encore possible pour deux groupes de prendre leur tour.


    Les groupes D et E n'offrirent guère de long spectacle. Raphael et Tyro étaient chacun dans l'un d'eux et leurs adversaires ne représentaient pas un défi pour leur niveau. Ils remportèrent chacun leur qualification facilement.


    A la suite de ces deux rencontre, le nouveau buchou annonça la fin temporaire du tournoi interne et suggéra à ses équipiers de venir demain le plus tôt possible pour la suite. Il demanda ensuite de remettre le club en ordre et de ramasser les balles.


    Le lendemain matin, tout se déroula comme cela devait se produire jusqu'à la fin des cours. A la sortie du laboratoire de Chimie, Seiichi était venu attendre ses condisciples pour les informer que leur professeur d'Anglais était absente ce matin au grand plaisir de Rentarou. Ils se rendirent ensemble à la salle de leur professeur titulaire où il devait avoir cours plus tard.


    En s'installant à sa table, Rentarou remarqua trois cartons sous la table à sa droite.


    - Seiichi, c'est quoi ces cartons ?


    - Tu devrais le savoir, répondit-il très tranquillement, toujours debout. Tu en as un.


    - Ne me dis pas que ceux sont des filles qui t'ont donné tout ça !


    En clamant son étonnement, Sawamura s'était approché et agenouillé pour regarder sous la table de l'adolescent aux cheveux ébènes. Il découvrit des plaquettes et des bonbons en chocolat dans les deux premiers et la moitié du troisième.


    - C'est l'objectif de la Saint-Valentin, non ? fit Seiichi d'un air faussement blasé. J'adore cette journée.


    Il se pencha et examina l'intérieur du carton au pied de la table de Rentarou.


    - Tu as besoin d'un carton pour en transporter si peu ? rit-il.


    - C'est parce qu'il en a distribué à toute la classe au fur et à mesure, expliqua Shintarou narquois. Autrement, je suis sûr qu'il aurait moins rempli tout ce carton.


    - Cela ne se fait vraiment pas, Rentarou, le réprimanda Seiichi.


    - Pourquoi ? Je ne mange pas de sucreries. Ca fait grossir, ca donne des caries et ça endommage à terme ton corps. Je préfère les donner à des gens qui en profitent vraiment.


    - Rentarou, Rentarou, Rentarou, soupira le jeune ninja. Tu ne comprends rien au caractère sacré des chocolats de la Saint-Valentin !


    - Tu n'as pas l'impression d'en faire un peu trop ? fit Tachibana en riant.


    - Absolument pas. La Saint-Valentin est un jour important dans la vie d'un homme.


    - Et c'est quoi au juste la Saint-Valentin ? demanda Rentarou qui s'était assis entretemps et cherchait un moyen pour faire taire son meilleur ami.


    - C'est le jour où les filles offrent du chocolat au garçon dont elle est amoureuse. Également, elles en donnent pour remercier un garçon ou une fille pour un service rendu, expliqua Shintarou.


    - Alors pas étonnant que Seiichi reçoit tant de chocolats, dit Rentarou d'un ton las. Toutes les filles du lycée sont sous son charme.


    - Eh oui, s'exclama Seiichi très enjoué. J'ai toujours adoré cette journée. Toutes les filles qui viennent à ma rencontre pour donner du chocolat. C'est vraiment la plus belle fête de l'année.


    - Finalement, c'est peut-être pas plus mal quand il ne parle pas et donne l'impression de faire la tête toute la journée, songea Sawamura en se tenant le front du plat de la main.


    Le peu de cours qui resta se déroula normalement. L'après-midi, la petite bande se rendit au club de tennis à la fin des cours. Ils se changèrent tout en discutant de leur journée.


    - J'ai eu des chocolats de Yoko-chan, annonça soudainement Rentarou avec fierté en retirant en même temps son pantalon.


    - C'est vrai ? Moi aussi, dit Tyro. Ils sont drôlement bons, hein ?


    - Quoi ? Tu ne peux pas avoir ! C'est moi qui sort avec elle !


    - Ne te fâche pas, tempéra Shintarou. J'en ai eu moi aussi et je suis sur que le reste de la bande en a eu aussi. Lors de la Saint-Valentin, les filles en offrent au garçon qu'elle aime mais aussi à leurs amis, garçons ou filles, dont elles sont proches ou apprécient.


    Kou, Takaishi et Raphael confirmèrent avoir reçu des chocolats de la part de la vice-présidente du conseil des étudiants.


    - Si c'est ça, ça va, accepta Rentarou en détournant la tête, jaloux ne pas être le seul à recevoir des chocolat préparés des mains de sa petite amie.


    - Attendez ! Moi, je n'en ai pas eu, se plaignit Seiichi.


    - En fait, elle m'a dit qu'elle ne voulait pas t'en donner à toi, avoua Tyro gêné.


    - Mais j'ai toujours été son ami. Je l'ai écouté tout le temps depuis le début de l'année, je l'ai conseillé et soutenu. Pourquoi ?


    - Parce qu'elle désapprouve ta vie sentimentale. Selon elle, c'est une pratique injuste de changer de filles comme de chemise. Comme elle savait que tu recevrais des tas de chocolats de toutes les filles du lycée, elle ne voulait pas te soutenir dans tes idées de conquêtes. Désolé. Ceux sont ses propres termes.


    Quand Tyro eut terminé l'explication, Rentarou et Shintarou partirent dans un grand fou rire. Pour eux qui avaient dû supporter, comme tout leur classe, le discours de leur ami pendant une heure, cela sonnait comme une douce et agréable revanche à leurs oreilles.


    - La vie est tellement injuste, soupira l'adolescent aux cheveux ébènes.


    En disant cette réplique, il réfléchit rapidement à des vers pour traduire les émotions de ce moment et les récita à ses amis avec lyrisme.

    Ô rage ! Ô désespoir !
    Comme le temps se montre être un ennemi cruel et implacable.
    Ce matin, je croyais être si admirable
    Mais je me découvre si détestable au soir.


    - Pitié avec la poésie ! râla Rentarou en se redressant. On en bave assez avec Noda-sensei !


    - Moi, je trouve ça beau, dit Kou.


    - Ne l'encourage pas, s'il te plaît, supplia Takaishi. Quand il est en inspiration, il est capable de réciter des vers pendant des heures. Ou alors tu le prends chez toi cette nuit !


    - Bon à présent, ça suffit les bêtises, tonna la voix de Rentarou. Il est temps de sortir !


    Lorsqu'ils sortirent finalement des vestiaires, le buchou du club annonça à ses membres la reprise du tournoi interne. Comme il ne resta plus que deux groupes, il choisit de laisser tout le monde regarder les matches qui se jouaient. Le groupe F était composé d'individus au niveau moyen et Rentarou se demanda sérieusement qui serait qualifié. A sa grande surprise, et celle de tout le monde également, ce fut Kou.


    Le dernier groupe n'apporta aucun étonnement ni suspense puisque c'était celui dans lequel s'était placé Rentarou. Il remporta rapidement chacun de ses matches et confirma sa place de titulaire.
    Pour une rare fois, la séance fut levée avant dix-sept heures. Avant cela, le buchou réunit l'ensemble des membres de son club et les félicita pour les matches que chacun avait pu jouer pendant ce tournoi et les encouragea à s'entrainer davantage pour progresser s'ils rêvaient toujours de devenir titulaires.


    La bande sortit du lycée et se rendit dans café non loin de là pour fêter l'événement.


    - Ce n'est pas génial ça ? Nous sommes tous titulaires, s'écria vivement Tyro en levant le plus haut qu'il put son grand verre de coca.


    - Je suis sûr qu'il y a eu une certaine triche, dit Seiichi moqueur en toisant Rentarou.


    - Je n'ai triché en rien du tout, protesta t-il. Il aurait été idiot de ma part de mettre des gens forts, comme toi, Tyro ou Raphael-san dans un même groupe.


    - C'est vrai, approuva Shintarou. Il fallait un gagnant par groupe.


    - Merci, Shin, soupira le lycéen géant. Par contre, je suis agréablement surpris que Kou-kun et Taka-chan ait réussi eux aussi.


    - Je suis très étonné moi aussi, avoua Kou.


    - En tous les cas, je vais travailler très dur pour le mériter et faire honneur au club, ajouta Takaishi.


    - Il y a aussi autre chose que je dois vous dire, annonça Rentarou. Le proviseur et moi avons décidé pour permettre à l'équipe de s'entrainer de dispenser d'examens à ce trimestre les titulaires.


    - Tu veux dire qu'on n'a pas d'examens ? s'extasia Tyro. Mega super trop génial !


    - Oh non ! J'ai terminé mon programme de révisions moi, se lamenta Shintarou.


    Seiichi écouta en souriant les réactions de ses compagnons en buvant sa tasse de thé. Il la reposa ensuite calmement.


    - Dans ce cas, il ne nous reste plus qu'à remporter les Nationales désormais, conclut-il.

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  • Chapitre 60


    Dès qu'ils avaient quitté leurs amis, Rentarou et Seiichi s'étaient rendus en vélo à la maison de Tyro. Durant tout le trajet, l'adolescent aux cheveux ébènes s'était accroché à la taille de son meilleur ami, assis sur le porte-bagage qui lui meurtrissait les fesses. En arrivant, le lycéen géant accrocha son vélo à une barre du portail d'entrée. Ils allèrent ensuite tirer la sonnette de la porte d'entrée.
    Ce fut la jeune Ai qui leur ouvrit, radieuse.


    - Rentarou-niichan ! Seiichi-niichan ! Ca fait si longtemps !


    Seiichi avait souri en apercevant la benjamine. Au moins, avec elle, ils étaient certains d'entrer dans la maison. Depuis quelques temps, si c'était la mère ou les aînés de Tyro, le jeune ninja se faisait systématiquement rembarrer et on lui fermait la porte au nez.


    - Taniichan n'est pas rentré. Il rentre toujours très tard ces derniers temps. Mais vous voulez rester un peu ici ? J'ai presque fini mes devoirs. On pourrait jouer ensemble ensuite.


    - Une autre fois, Ai-chan, répondit Rentarou en passant sa main dans les cheveux roux de la fillette. Nous avons besoin de voir ton frère. On veut savoir où il se trouve.


    - Tu sais, je ne suis pas sûre que kaasan et Keniichan le savent eux-mêmes.


    Les deux adolescents pénétrèrent dans la maison. Ils s'assirent sur la petite marche de l'entrée où Rentarou défit ses baskets et Seiichi ses chaussures. Ai leur tendit en même temps des chaussons. Le petit groupe se dirigea ensuite vers la cuisine. Dans son antre, mère de famille s'affairait à préparer le diner.


    - Nous avons des invités, kaasan.


    Sayuri se retourna et aperçut les deux meilleurs amis de son fils cadet. Ceux-ci la saluèrent et s'inclinèrent poliment devant elle. Pendant ce temps, la petite Ai se pressa de gagner un plan de travail et de couper des oranges en deux parties égales.


    - Sayuri-san, nous voulons parler à Tyro, dit Rentarou.


    - Taka-chan ne veut voir personne. Ken-chan m'a dit de le laisser et de ne pas m'inquiéter pour lui. Par conséquent, je ne vous dirais rien. De toute manière, je ne le pourrais pas.


    - Mais il sèche le lycée, intervint Seiichi en fronçant ses fins sourcils. Ne souhaitiez-vous pas que vos enfants terminent au minimum leur scolarité en obtenant leur diplôme de lycée ?


    - C'est exact. Mais Ken-chan m'a dit qu'il s'était passé quelque chose dans la vie de Taka-chan. Il m'a dit que ce serait mieux pour lui de le laisser faire ce qu'il veut sans lui poser de questions.
    - Mais vous n'êtes pas curieuse de savoir ce qu'il a ? s'étonna Rentarou.


    - Je mentirais si je disais le contraire. Cependant je n'ai pas à le faire. Bien que j'ai donné la vie à mes enfants, cela ne me donne pas le droit de m'immiscer dans leurs affaires personnelles. S'ils veulent me parler, je suis prête à tout entendre mais s'ils veulent ne rien dire, c'est leur droit. Et ce n'est pas la nature de Taka-chan de se confier. C'est un enfant terriblement solitaire et renfermé sur lui-même.


    Rentarou et Seiichi échangèrent un regard de surprise. Ils n'avaient jamais eu l'impression que leur ami puisse être replié sur lui-même. Il se montrait toujours si expansif et expressif.


    - Il n'y a qu'avec Ken-chan qu'il arrive à se confier. Je ne vais donc pas demander à mon fils aîné de trahir leurs secrets pour connaître les pensées de Taka-chan. Ce serait totalement irrespectueux et impardonnable.


    - Nous comprenons, Sayuri-san, dit Rentarou. Dans ce cas, pouvons-voir Kenichi-san ? Peut-être que si nous nous expliquons directement avec lui, il acceptera de nous parler.


    - Je veux bien vous le permettre. Cependant ne vous faites pas de vains espoirs. Ken-chan est terriblement protecteur avec ses frères et sœurs.


    Rentarou et Seiichi la remercièrent pour avoir accepté de répondre à leurs interrogations bien qu'elle ne les avait guère aidé. Ils se tournèrent pour quitter la pièce quand Ai les interpela. Les deux compères se retournèrent et découvrirent la fillette qui portait un petit plateau rond sur lequel était posé deux verres de jus d'orange fraichement pressé.


    - Voulez-vous des rafraichissements ? demanda t-elle poliment en courbant la tête comme sa mère lui avait appris à recevoir un invité.


    Pour ne pas décevoir la petite fille, ils acceptèrent sa boisson et la remercièrent pour sa peine. Tous deux la burent d'un trait et la félicitèrent en lui disant que le breuvage était délicieuse ce qui ravit l'enfant.


    En quittant la cuisine pour prendre l'escalier qui accédait aux étages de la maison, le duo retraversa le couloir où ils croisèrent Yuuki. Seiichi, qui adorait les animaux, et tout ce qui était considéré comme mignon, s'agenouilla auprès de lui et le caressa jusqu'à ce que Rentarou, excédé d'attendre, lui rappela le but de leur visite.


    En arrivant sur le palier du second étage, ils n'eurent pas de mal à deviner laquelle des deux chambres était celle de Kenichi. De la musique réglée à fort volume s'échappait de l'une des deux pièces indiquant clairement laquelle appartenait à la fille ainée des Sakumai.


    Rentarou s'approcha de la fameuse porte derrière laquelle se cachait peut-être les réponses à leurs interrogations et frappa.


    - Qu'est-ce que c'est ?


    Peu habitué d'entendre frapper à sa porte, Kenichi se leva pour ouvrir. D'ordinaire, seuls ses frères et sœurs venaient ici et aucun d'eux ne prenaient la peine de toquer.


    - Vous êtes les amis de Takahiro. Il n'est pas là.


    - On le sait très bien, répliqua Rentarou. On veut savoir ce qu'il a et où il est.


    - Vous devez le savoir très bien vous-même. Il m'a informé qu'un de ses très proches amis était tombé dans le coma. Il ne voulait plus retourner à l'école et oublier les sentiments que ce dramatique événement lui a procuré, révéla Kenichi d'une voix sévère et ferme.


    - Justement cet ami, c'est moi et je suis réveillé.


    Imperturbable, le jeune adulte se montra implacable.


    - Ne dis pas de mensonges, Rentarou-kun ! C'est un acte très grave. Les gens ne se réveillent pas avant longtemps d'un coma. Bien souvent, ils ne se réveillent pas du tout.


    - Je ne mens jamais !


    Kenichi demeura perplexe et soucieux. Il lui fallait avouer que l'aîné de la fratrie Sakumai avait toujours eu une image extrêmement positive des deux meilleurs amis de son frère. Le jeune adulte se souvenait des fois où il l'avait vu interagir avec eux. D'après ses observations, le garçon avait établi que Rentarou était très droit, strict envers les autres et encore plus avec lui-même et un ami fidèle et loyal à toutes épreuves. Ce n'était pas du tout le genre à raconter des mensonges.


    - Est-ce vraiment la vérité ?


    - Tu n'as qu'à appeler notre lycée. Haruko-sensei se fera une joie de décrire mon état. Tu peux même interroger tous mes profs et les copains de notre bande. Ils te le confirmeront.


    Kenichi réfléchit un long moment. Il ne cessa de fixer très sévèrement les deux adolescents sur le seuil de sa porte derrière les verres de ses lunettes. Le jeune homme ne croyait pas facilement en les gens. Il avait besoin de preuves et d'en établir leur authenticité avant d'accepter de faire confiance à quelqu'un. C'était la raison pour laquelle le garçon n'avait pas vraiment d'amis. L'étudiant se faisait beaucoup de relations grâce à ses résultats toujours si parfaits. Beaucoup le fréquentaient seulement pour cette simple raison. Le futur policier acceptait de donner un coup de main pour les aider à progresser mais jamais rien de plus. Il n'avait jamais fréquenté beaucoup de filles également, effrayé d'avoir une relation suivie et n'aimant pas l'idée d'un simple flirt.


    Kenichi examina scrupuleusement les données en sa possession. La version de l'histoire que lui proposait Rentarou paraissait étonnante. Cependant en lui proposant directement d'appeler son lycée, l'ami de son frère cadet s'exposait à être découvert immédiatement. Il était donc clair que son interlocuteur ne pouvait pas mentir.


    - Je vous crois, finit-il par admettre. Malheureusement, je ne peux pas vous aider. Takahiro part s'entrainer toute la journée et rentre chaque soir tard, bien après le diner.


    - Où s'entraine t-il ? s'enquit Seiichi.


    - Je n'en ai pas la moindre idée.


    Rentarou et Seiichi le remercièrent de ses renseignements. Ils redescendirent et sortirent de la maison. Tous deux s'assirent sur la marche de l'entrée, abattus.


    - Que faisons-nous ? Attendre Tyro là jusqu'au soir ?


    Rentarou détestait cette idée. Il ne supportait pas de rester assis sans rien faire. Le lycéen géant en serait devenu fou de passer trois ou quatre heures là à attendre bêtement.


    - Allons inspecter tous les lieux où on peut s'entrainer dans le coin, décida t-il en se levant.


    Seiichi dressa la tête et se demanda si son ami était réellement sérieux. Avait-il conscience du nombre de parcs, de squares, d'entrepôts ou de cours désertes dans un seul quartier de l'arrondissement de Shinjuku ? Le jeune ninja n'avait pas une idée précise du nombre en tête mais la perspective lui en donnait le vertige.


    - Tu es fou, soupira t-il.


    - C'est toujours mieux que de ne rien faire !


    - Tyro reviendra forcément ici puisque c'est sa maison. Par contre, partir à l'aventure sans le moindre indice est de la folie pure. Il pourrait être n'importe où.


    Rentarou baissa la tête. Son meilleur ami n'avait pas tort. Il fouilla dans sa mémoire à la recherche d'un quelconque indice que Tyro aurait pu parler par inadvertance, un lieu que son ami appréciait et où celui-ci se rendrait pour s'entrainer.


    - Je sais, s'exclama t-il bruyamment. Le square !


    - Le square ? De quel square parles-tu ?


    - Il y a longtemps, c'était avant que nous soyions amis tous les trois, nous revenions d'une compétition. Sur le chemin du retour, nous sommes passés dans un des quartiers de Nakano. Plus précisément, nous avons traversé un square où des enfants viennent jouer.


    - Ce qui est absolument normal pour un square.


    - Et Tyro m'a dit ce jour là qu'il venait tous les jours ici, quand il était écolier, pour s'entrainer.
    Cette fois, l'adolescent aux cheveux ébènes abandonna son humeur maussade.


    - Alors il y a peut-être une chance …


    - Oui. Ca vaut le coup de le tenter, non ?


    Ils remontèrent sur le vélo. Rentarou traversa le plus vite que cela fut possible la ville pour atteindre l'arrondissement de Nakano, qui était juste à côté de celui de Shinjuku. En raison de l'heure tardive, le trajet ne fut pas facile. Il se retrouva au milieu des immenses embouteillages des fins de journée. Le lycéen géant dut slalomer comme il put entre les nombreux véhicules.


    En arrivant dans le quartier traversé autrefois en compagnie de Tyro, il ralentit. Rentarou se concentra à regarder autour de lui et à repérer le le lieu que lui avait montré son ami en inspectant scrupuleusement tous les espaces vides entre les immeubles et les magasins.


    Quand il fut certain de l'avoir trouvé, le jeune colosse s'arrêta et attacha son vélo à un réverbere puis rejoignit Seiichi qui s'était déjà avancé vers l'entrée.


    - Es-tu certain que ce soit bien ici, Rentarou ?


    Le square dans lequel ils venaient de pénétrer était minuscule. Il comportait une seule balançoire, un toboggan et un petit bac à sable sur une dizaine de mètres carrées. A l'arrière avaient été plantés de très hauts arbres.


    - C'est bien ici. Il y a la boulangerie à gauche où on a acheté des pâtisseries et à droite la poissonnerie où Tyro a acheté du poisson pour sa mère.


    - Il y a de nombreuses boulangeries et poissonneries dans Tokyo. Et il doit en en avoir un certain nombre près d'un square, soupira Seiichi.


    - Peut-être ! Mais c'est le seul qui soit à Nakano !


    - Nous n'avons pas fait les autres quartiers de cet arrondissement.


    - Ce n'est pas possible. On est partis du quartier d'Odaiba et traversé tout l'arrondissement de Koto. Ensuite on a traversé tout Chuo, on a traversé aussi Minato et sommes passés devant la tour. Après on a pris la grande rue de Shibuya et avons coupé pour aller à Nakano. Là-bas, on a pris que ce quartier avant d'aller à Shinjuku.


    - Il y aurait matière à rire d'une telle pérégrination mais je ne suis malheureusement pas d'humeur à le faire.


    - Je vais demander, décida Rentarou qui supportait de moins en moins le pessimisme de Seiichi.
     

    - A qui et à quoi ?


    Sans attendre une réplique supplémentaire de l'adolescent aux cheveux ébènes, il s'approcha de deux enfants de sept ou huit ans qui s'amusaient sur le toboggan.


    - Excusez-moi, les enfants, les interrompit-il dans leurs jeux. Savez-vous où on peut s'entrainer au tennis, s'il vous plait ?


    - C'est quoi le tennis ? fit l'un des gamins en haussant les épaules.


    - Oh l'autre ! Il ne sait même pas ça ! se moqua le second en pouffant.


    - S'il vous plaît, les enfants, répondez-moi.


    - C'est simple, dit le second petit garçon. Il y a un court abandonné de l'autre côté de ce square. Il suffit de passer les arbres. Toochan m'y a emmené un jour.


    - Je vous remercie de votre sollicitude.


    Conformément à ses principes, Rentarou s'inclina du buste pour accompagner son remerciement. Il rejoignit Seiichi qui avait suivi de loin la conversation.


    - Tu sais, ces gamins ne connaissent sans doute pas le mot sollicitude, fit remarquer Seiichi amusé.


    - Et alors ? Ca enrichirera leur vocabulaire comme ça, bougonna Rentarou.


    - Sans compter qu'ils n'ont pas l'habitude de voir les grands s'incliner devant eux.


    - Ce n'est pas parce que tu t'adresses à un enfant que tu dois oublier te faire preuve de respect. Petit, je trouvais ça même scandaleux quand les adultes faisaient preuve de politesse entre eux et qu'ils rudoyaient un enfant.


    - Ce n'est pas faux, admit le jeune ninja.


    Les deux adolescents traversèrent le terrain de jeux et dépassèrent les arbres. Derrière ce rideau de verdure, ils découvrirent un grand terrain de tennis sans grillage autour, comme les courts publics que l'on trouvait un peu partout dans la vaste ville de Tokyo, très mal entretenu, ou plutôt laissé à l'abandon le plus total.


    - Si tu me demandes mon avis, j'ai envie de faire demi-tour en voyant un tel spectacle. Aucune personne sensée ne voudra s'entrainer ou jouer ici.


    - Tu n'entends pas quelque chose ? dit en même temps Rentarou.


    - Si, approuva son compagnon en se concentrant sur le bruit. Cela ressemble à une balle contre un mur.


    - Quelqu'un est vraiment là, Seiichi !


    - En même temps, nous savons tous deux que notre Tyro n'est pas une personne sensée.


    Ils progressèrent sur ce terrain inconnu, contournèrent le court et se rapprochèrent. Auprès d'un haut et long mur très solide qui faisait le tour de la seconde moitié du square, les deux compères découvrirent Tyro en train de s'exercer.


    Ne résistant pas à lui faire une blague, Seiichi utilisa sa capacité ninja et disparut. Il réapparut l'espace d'une seconde pour prendre la balle que Tyro avait lancé. Le jeune homme revint ensuite aux côtés de Rentarou en faisant tourner son trophée sur son index droit.


    - Où est passé ma balle ? s'écria furieusement Tyro. Elle n'a pas encore touché le mur !


    - Tu es un insupportable gosse, Seiichi, soupira le lycéen géant.


    Mais ce commentaire résonnait comme un compliment dans les oreilles du jeune ninja.


    Cherchant désespérément sa balle, Tyro se tourna. Il se figea instantanément en apercevant ses deux meilleurs amis à quelques mètres de lui. Le tennisman ne sut plus prononcer un seul mot. Complètement hagard, l'adolescent marcha lentement et difficilement, tel un automate, jusqu'à eux.
    En arrivant à leur portée, le garçon se dirigea spontanément vers Rentarou. Le visage inquiet et tendu, ses mains se posèrent sur le torse de son meilleur ami. Il le toucha longtemps. Ses doigts frottèrent aussi ses bras et ses épaules en les tâtant précautionneusement.


    - A mon avis, il croit que tu es un fantôme, rit Seiichi.


    - Ca me fait penser à Thomas dans le passage de la Bible où Jésus apparaît à ses disciples, l'évangile selon Jean chapitre 20 verset 24.


    - Rentarou .. , murmura Tyro d'une voix étouffée et étranglée. Tu es vraiment là !


    - Évidemment. Je ne compte pas vous lâcher comme ça.


    Les mains encore tremblantes, Tyro les ramena sur sur le haut de la poitrine de son ami et enfouit son visage contre sa veste. Brusquement, sans que Rentarou ou Seiichi puisse s'y attendre, il fondit en larmes. Le jeune homme pleura hystériquement sans pouvoir s'arrêter.


    Les sourcils froncés, Seiichi avait essayé d'intervenir mais d'un geste de sa main gauche, Rentarou lui avait fait comprendre de ne rien dire et rien faire non plus. Il plaça son autre main dans le dos de Tyro et ne prononça pas une seule parole laissant son ami évacuer son chagrin.


    Lorsqu'il s'arrêta de pleurer, épuisé, le garçon resta encore accroché à son ami.


    - Tyro, murmura Rentarou. Ne veux-tu pas nous parler ?


    En percevant la voix de son camarade, Tyro se décrocha finalement de lui et se retourna vivement.


    - Il y a quelqu'un que tu as vu mourir ou tomber dans le coma, n'est ce pas ? ajouta Rentarou.


    Tyro ne répondit rien. Il plongea ses mains dans les poches de son jean, se tassa le plus possible, comme s'il essayait de se rétrécir, et resta silencieux.


    - Oui … Lors des vacances d'été de ma quatrième année …


    ***


    Dès que la sonnerie de la fin des cours retentissait, le jeune Takahiro rassemblait ses affaires et quittait vite l'école. Malgré son sac rempli de lourds livres et sa raquette sur le dos, il courait. Cela faisait partie de son entrainement pour améliorer son endurance et renforcer sa masse musculaire. Le garçon rejoignait le quartier de Nakano où il avait ses habitudes et s'arrêtait en chemin à un convinience store pour acheter des barres de céréales et une boisson énergétique avant de poursuivre jusqu'au petit square. L'enfant passait ensuite derrière le rideau d'arbres. Il abandonnait en plein milieu du passage son sac et prenait sa raquette pour s'entrainer.


    Normalement, les enfants scolarisés à l'école élémentaire aimaient se rassembler et rentrer ensemble. Ils s'arrêtaient en chemin pour s'amuser dans le parc, regarder les vitrines des magasins ou aller jouer à des jeux vidéos. Certains restaient aussi dans l'enceinte de leur établissement scolaire et fréquentaient un club. Avant de partir, l'ensemble d'une classe nettoyait sa salle.


    Takahiro était différent. Il ne faisait jamais toutes ces choses. L'écolier partait toujours très tôt car il voulait s'entrainer le plus longtemps possible chaque jour. Le garçon possédait un corps si faible que ses compétences sportives étaient très médiocres. Mais son esprit refusait la fatalité. L'élève de seconde année rêvait depuis son plus jeune âge de devenir un champion de tennis professionnel. Il désirait plus que tout progresser, augmenter peu à peu ses capacités pour devenir un jour très fort, invincible, peut-être.


    Cette passion et ce rêve qu'il nourrissait rendait Takahiro encore plus différent qu'il ne l'était. Les autres enfants de sa classe ne comprenaient pas cette obsession qu'il avait pour le tennis. Dans le quartier où il vivait, peu d'entre eux connaissaient ce sport. Et quand ils connaissaient, ceux-ci le méprisaient. Au Japon, seuls le base-ball et le football étaient très populaires. Les autres disciplines restaient souvent méconnus, exceptés par les passionnés.


    Takahiro détestait l'école. Les autres enfants se moquaient toujours de lui à cause de sa passion dévorante. Il restait alors assis dans la journée à sa table et étudiait pendant que ses camarades se rassemblaient par petits groupes lors des pauses et discutaient ou jouaient ensemble. Le garçon aurait aimé participer mais craignait les ennuis. Il connaissait son tempérament. Dès que l'un d'eux dirait une critique ou une plaisanterie sur le tennis, l'écolier se fâcherait. Il pouvait aller jusqu'à se battre si cela prenait de trop grandes proportions. Ses parents et son grand frère lui avaient toujours répété que se battre et se disputer avec les autres était mal. Ainsi il avait choisi de s'isoler pour respecter les enseignements prônés par sa famille.


    Un jour, quelque chose avait changé. Ce jour-là, Takahiro s'entrainait très dur à répéter des retours contre le mur d'enceinte, comme il le faisait chaque jour. A la fin d'une série d'exercices, l'apprenti tennisman s'arrêta et alla boire un peu et manger une barre de céréales. Le garçon découvrit avec surprise un autre enfant près de l'endroit où il avait laissé son sac.


    - Bonjour, dit celui-ci.


    Le nouveau venu était plus grand que Takahiro. Il devait avoir au moins une année, voir deux, de plus que lui. Son large visage ovale semblait lumineux. Ses yeux noirs et étirés dégageaient une aura de sympathie et de convivialité comme l'élève de seconde année n'avait encore jamais vu. Ses lèvres étaient petites et fines mais il souriait si intensément qu'elles paraissaient plus étendues qu'elles ne l'étaient réellement. Takahiro n'avait jamais encore vu une expression aussi radieuse et agréable à regarder. Ses longues mèches brunes tombaient équitablement sur son front et ses cheveux couraient le long de sa nuque jusqu'à toucher le bas de son cou.


    - Que fais-tu ici ? demanda Takahiro sur la défensive.


    - Je rentrais chez moi. Cependant en passant derrière ce mur, je t'ai entendu. Dès que j'entends ce bruit de balle, je cours tout de suite vers lui.


    - Tu t'intéresses au tennis ? fit Takahiro surpris.


    - J'adore le tennis, confirma le garçon. Je l'aime tellement que je veux devenir pro !


    - Eh ? Moi aussi !


    - Vraiment ? Génial ! Que dirais-tu te disputer un match tous les deux ?


    Enchanté, Takahiro accepta immédiatement. Il n'avait jamais livré un seul match de toute sa vie mais avait beaucoup lu et étudié. L'apprenti avait énormément travaillé pour développer son corps. A présent, c'était le moment de mettre en pratique son savoir.


    Le match avait duré une longue heure qu'aucun des deux enfants n'avaient vu réellement passer. Takahiro s'était tellement donné à fond et avait rivalisé d'adresse et de techniques qu'il avait remporté la victoire.


    - Félicitations, dit le plus vieux des enfants. Tu es sacrément doué.


    - Merci.


    - Tu es pourtant jeune. Quel âge as-tu ? Et tu joues au tennis depuis quand ?


    - J'ai eu sept ans il y a deux mois. Je m'intéresse au tennis depuis que j'ai trois ans mais j'ai seulement décidé de jouer et de devenir le meilleur joueur au monde à quatre ans.


    - Si tôt ? Moi à quatre ans, je jouais encore dans les bacs à sable, rit son ainé. Pourquoi ?


    - Tu connais Uminaka Shou ? demanda Takahiro.


    Son interlocuteur prit un air vexé.


    - Évidemment ! Uminaka Shou est le meilleur tennisman que le Japon n'ait jamais connu ! Mais quand même …, soupira t-il. Quel dommage qu'il ait abandonné sa carrière à vingt-deux à peine ! Il devait participer à l'US Open pour la première fois une semaine après avoir annoncé qu'il prenait sa retraite ! C'est une honte !


    - Eh moi, je l'ai rencontré moi, affirma Takahiro en gonflant sa poitrine de fierté.


    - N'importe quoi !


    Takahiro retourna sa raquette et présenta le bout du manche à son aîné.


    - SU, ce sont ses initiales gravés là. Comme il a grandi en France, il a l'habitude de placer les prénoms avant les noms contrairement à l'usage normal japonais.


    - Attends ! Il t'a donné sa raquette ?


    A présent, l'écolier de quatrième année était éberlué.


    - Ouais. Je voulais le voir encore une fois. Je suis allé à son dernier tournoi qu'il a participé à Tokyo. J'ai fait tout pour le trouver. Je l'ai supplié de continuer à jouer. Mais il a refusé. Il m'a dit que même s'il adorait le tennis et voulait continuer à jouer toute sa vie, il arrivait parfois certains obstacles dans la vie d'un homme qui l'empêchait de réaliser ses rêves.


    - C'est étrange de dire ce genre de mots.


    - Et il m'a ensuite donné sa raquette. Il m'a dit de la prendre et d'écrire la suite de l'histoire si j'en étais capable. Depuis je ne rêve qu'à ça. Je veux vraiment devenir pro et le meilleur joueur au monde ! Je vais dépasser le niveau d'Uminaka Shou !


    - C'est trop cool !


    L'enfant examina encore la longue raquette en bois puis la rendit à Takahiro.


    - Au fait, je m'appelle Tomoya. Et toi ?


    - Je suis Sakumai Takahiro, en seconde année à l'école élémentaire de Shinjuku classe B, se présenta t-il en s'inclinant. Enchanté de faire ta connaissance.


    Tomoya rit de cette présentation formelle.


    - Moi, je suis en quatrième année à l'école élémentaire de Nakano classe C.


    Il observa un instant le visage de Takahiro.


    - Ton nom n'est pas cool du tout, dit Tomoya. Tu sais, Takahiro, tu devrais changer d'apparence et de comportement si tu veux te faire des amis.


    - Comment peux-tu savoir si j'ai des amis et non ? marmonna le garçon de seconde année.


    - C'est évident malheureusement, Takahiro. Les enfants si respectueux des règles et obsédés par une passion se retrouvent toujours seuls. Les autres enfants ne les comprennent pas. Pire, ils se moquent souvent d'eux


    - Tu en connais des choses !


    - C'est parce que je suis un ainé, s'exclama t-il en riant.


    - Raconte-moi, s'il te plaît !


    - D'abord, quand tu es avec d'autres enfants, agis contrairement à ce que tu es. C'est malheureux mais la vie en société, ce n'est que de l'hypocrisie. Il faut toujours prétendre être ce qu'on n'est pas. Si tu as envie de pleurer, ris. Si tu veux rester assis, lève-toi. Si tu veux être seul, avance vers un groupe. Si tu te sens en colère, moque-toi.


    - Ca marche vraiment ? s'enquit Takahiro d'un air soucieux.


    - Malheureusement, ceux sont les règles de la vie, soupira Tomoya, toujours souriant.


    - Et il y a autre chose ?


    - Eh bien, je te conseillerais de te laisser pousser les cheveux. Tu dois créer un look original, Takahiro. Quelque chose qui donne envie aux autres de se retourner sur toi et de te regarder.
    Le petit garçon resta silencieux. Ce principe là, il l'avait appris depuis bien longtemps déjà. En classe, ses condisciples faisaient tout pour se mettre en valeur et brillaient aux yeux des autres.


    - Et puis tu devrais avoir un surnom, songea Tomoya. Après tout, tu as un nom si commun et ordinaire que ça ne permet pas de le retenir.


    - Mais quel genre de surnom ? Ce n'est pas très facile à inventer !


    - Il y a un surnom qui s'impose très facilement avec ton nom, Takahiro, rit Tomoya.


    - C'est quoi ?


    - Le mot japonais hiro se traduit hero en anglais. Tu le savais ?


    - Je n'ai pas encore étudié l'anglais. Mais c'est le même mot dans les deux langues, on dirait.


    - C'est amusant, non ? Ils se prononcent pareil et signifient la même chose mais ils appartiennent à des langues différentes.


    - C'est quoi le rapport avec mon nom ? s'impatienta Takahiro.


    Sans se départir de sa bonne humeur et de son radieux sourire, son ainé poursuivit ses explications.


    - Laisse-moi y venir. En anglais, la lettre T se prononce avec le son ti. A présent, essaie d'associer la première lettre de ton prénom avec ses deux dernières syllabes.


    - T et hiro … avec les sons anglais, ça fait tiro … tiro …


    Brusquement, le visage de Takahiro s'illumina et l'enfant devint tout excité.


    - Tyro ! Comme le plus puissant de tous les dinosaures !

    ***

     

    - Ainsi c'est ce Tomoya qui a crée ton surnom, dit Seiichi.


    Pendant le récit des souvenirs d'enfance de Tyro, les Sanonis avaient quitté le square et marchaient dans la rue. Rentarou et Seiichi avaient écouté en silence jusque-là.


    - Oui. J'ai commencé à changer à partir de ce moment. Je me suis ouvert aux autres en suivant ses conseils et je me suis intégré en classe.


    - Ce Tomoya a l'air d'être une bonne personne, ajouta Rentarou.


    En son for intérieur, il pensa que ce garçon ressemblait beaucoup à Matsuda Katsuo. Comme Tyro, il était toujours seul dans sa petite enfance. Seule sa présence avait rendu sa vie à l'école à peu près supportable.


    - Oui. Tomoya était un garçon génial, généreux et serviable. Il adorait rendre service aux autres et aider. En fait, il ressemble beaucoup à Rentarou sauf qu'il n'a le visage renfrogné.


    Seiichi éclata de rire suite à cette remarque.


    - Désolé d'avoir le visage renfrogné, marmonna le lycéen géant un peu vexé.


    - Je ne voulais pas dire ça comme ça, dit Tyro confus. C'est juste que Tomoya avait toujours le visage si souriant. Il riait souvent. En fait, je ne l'ai jamais vu en colère. Comme si rien au monde n'existait pour l'énerver. Il prenait tout à la légère en riant de ses propres ennuis. Même quand il perdait contre moi, il riait. Moi, quand je perds, je râle contre moi.


    - Qu'est-il arrivé à Tomoya ? demanda finalement Seiichi.


    Le visage de Tyro s'assombrit en entendant cette question. Il ne répondit pas tout de suite. Les Sanonis marchèrent pendant plusieurs centaines de mètres en silence. L'adolescent aux cheveux aux multiples piques s'arrêta au milieu d'un trottoir, près d'un feu tricolore.


    Rentarou pensa que son ami souhaitait traverser la rue comme il se trouvait devant les lignes blanches d'un passage protégé. La route était vide. Seule une voiture était passée quelques minutes plus tôt. Son regard remarqua également le feu rouge à l'intention des piétons.


    - C'est ici, murmura Tyro.


    La tête basse, les yeux perdus dans le vague, le jeune homme attendit encore plusieurs minutes avant de poursuivre son récit.


    - Il y a six ans et demi, à peu près à la même heure …

    ***


    Depuis sa rencontre avec Tomoya, Tyro avait beaucoup évolué. D'abord, il avait suivi ses conseils pour s'intégrer en classe. Tout le long de sa seconde année, cela n'avait pas été facile pour lui. Mais Tomoya avait été là chaque soir dans ce petit square et l'avait encouragé à poursuivre ses efforts. Sa situation n'avait véritablement changé qu'à son passage au niveau supérieur. Lors de sa troisième année, tous les élèves avaient été dispatchées dans les trois classes de l'école. Cela lui avait permis de prendre un nouveau départ avec ses camarades. Il avait réussi à faire admettre sa passion pour le tennis sans essuyer de constantes moqueries en retour.


    Le physique du jeune garçon avait changé aussi. Il avait beaucoup grandi en deux ans et avait aussi commencé à laisser pousser ses cheveux. Auparavant, ceux-ci étaient toujours coupés extrêmement courts. A présent, ils touchaient ses oreilles et s'arrêtaient au commencement de son cou.


    Et en ce qui concernait le tennis, le point le plus important aux yeux de Tyro, il avait beaucoup progressé aussi. Ses muscles s'étaient considérés renforcés grâce aux durs entrainements que le garçon s'imposait. Son endurance et sa vitesse avaient considérablement augmenté. Il pouvait maintenant courir dix kilomètres en moins d'une heure sans être essoufflé. Quant à la pratique en elle-même du tennis, l'apprenti maitrisait désormais les grandes techniques incontournables de ce sport.


    Malgré tous les matches que Tomoya et Tyro avaient pu livrer depuis le temps qu'ils se connaissaient, son aîné n'avait toujours pas su en gagner un seul.


    Pendant les vacances et les jours de congés, ils sortaient tous deux tôt le matin et rentraient tard le soir. Les deux garçons passaient leurs journées ensemble à s'entrainer et à jouer des matches.


    Un soir, au terme d'une de leur séance, ils quittèrent le square pour rentrer. Il faisait nuit.


    - Il est tard, Tomoya, dit Tyro. Je vais rentrer seul.


    - Je regrette mais je ne peux pas t'y autoriser. C'est ma responsabilité en tant qu'ainé que de te ramener devant la porte de la maison de tes parents pour le diner.


    - Tu vas être en retard à ton propre diner. Tes parents seront inquiets et furieux.


    - Je leur expliquerais que je t'ai raccompagné. Ils comprendront et me féliciteront.


    Tyro sourit. En fait, il n'avait jamais eu l'intention de faire le trajet seul. Certes, la distance qui le séparait de sa maison était mince. Cependant cela l'effrayait de se déplacer dans l'obscurité. L'élève de quatrième année était content d'avoir un ami aussi gentil et compréhensif.


    - Dis, Tomoya, dit Tyro alors qu'ils marchaient.


    - Qu'est-ce qu'il y a ?


    - Que va t-il se passer l'année prochaine ? Tu vas aller au collège. Tu m'as dit que tes parents espéraient que tu ailles à un collège privé à Ueno.


    - Je sais. On n'aura plus le temps de se voir. Mais ce n'est pas grave.


    - Comment tu arrives à être si heureux et insouciant en parlant de ça, Tomoya ?


    - Parce que je sais que pendant ce temps, tu vas travailler encore plus dur pour progresser et augmenter ton niveau. Moi aussi j'ai l'intention de faire pareil. Je compte aussi m'inscrire au club de tennis du collège et je vais affronter des joueurs de niveau national.


    - Il faudra déjà que ton club passe les préfectorales et les régionales, rappela Tyro narquois.


    - Alors tu vois, Tyro, même si nous sommes séparés désormais, nous nous reverrons toujours l'un l'autre pour confronter nos techniques.


    - Mais quand je serai au collège, toi tu seras au lycée !


    Tomoya rit du visage dépité de son ami.


    - Ce n'est pas drôle !


    - Non, je serais en dernière année quand tu entreras au collège, sourit Tomoya. Même si nous n'aurons l'occasion de nous affronter une seule année au collège et au lycée, il restera ensuite de longues années dans le monde pro.


    - Cela veut dire qu'on se verra encore très souvent ?


    - Bien sur ! N'as-tu pas l'intention de devenir pro, Tyro ?


    - Pas seulement pro ! Je veux être le meilleur tennisman au monde !


    - Il te faudra me battre avant ça. Moi, je compte être au minimum le meilleur du Japon.


    La tête pleine de rêves, les deux enfants continuèrent à parler tout en avançant dans le noir. A un moment, ils s'arrêtèrent afin de traverser une rue. Tomoya regarda rapidement à droite puis à gauche puis s'engagea. Tyro ne le suivit pas.


    Quand il s'en rendit compte, l'écolier de sixième année était au milieu de la chaussée. Le garçon se retourna aussitôt.


    - Tyro ! Qu'attends-tu ? Tu vas être en retard pour ton diner !


    - Ce n'est pas bien de traverser maintenant, Tomoya, dit sévèrement Tyro. Le petit feu pour les piétons est rouge et le grand pour les voitures est vert. C'est dangereux. Il ne faut jamais traverser dans ces moments-là.


    - Tyro, il n'y a personne. Regarde. Tu vois du danger ?


    Tomoya avait raison. La rue était totalement déserte. Il n'y avait ni voiture circulant sur la chaussée ni piéton marchant sur le trottoir. Les deux enfants étaient seuls.


    - Non, ce n'est pas bien, insista Tyro. On ne peut pas faire ça !


    - Allons, dépêche-toi ! Je te dis qu'il n'y a aucun danger ! Viens !


    Tyro hésita encore. Il ne voulut pas désobéir aux recommandations de ses parents et de ses deux ainés. Mais il ne voulut pas décevoir non plus son ami. Finalement, le garçon céda.


    Posant le pied sur la route, il avança jusqu'à la première bande blanche. Ses yeux aperçurent à ce moment une lumière jaunâtre éblouissante.


    Une voiture arrivait et roulait très vite !


    - Tyro, bouge ! hurla Tomoya.


    Mais l'enfant ne pouvait plus bouger. Tous les muscles de son corps s'étaient tétanisés. Ses yeux fixaient les phares de la voiture qui se rapprochait à une vitesse vertigineuse.


    - TYRO !!!!


    Sans que Tyro puisse comprendre réellement ce qui se passa, Tomoya courut et plongea vers son ami. Il l'attrapa par la taille et le jeta sur le trottoir. L'aîné s'apprêta à le rejoindre lorsque la voiture le heurta. Le garçon tomba à la renverse et s'écrasa au sol tandis que sa tête cogna contre l'asphalte de la chaussée.

    ***

     


    - Il t'a sauvé la vie … , murmura Seiichi, soufflé.


    - Je pense souvent à ce moment, avoua tristement Tyro. Et je me dis à chaque fois que si j'avais respecté ma décision première, il n'aurait pas eu agir ainsi.


    - Et il s'est retrouvé dans le coma suite au choc, comprit Seiichi. Ainsi quand tu as entendu que Rentarou était dans le coma, tu as tout de suite pensé à ton ami.


    - Désolé de ne pas avoir su de le dire à ce moment, s'excusa Tyro.


    - Il est resté longtemps sous une machine ? demanda Rentarou.


    - Comment peux-tu savoir qu'il avait besoin de machines ? s'enquit Seiichi en arquant un sourcil.


    - Le coup classique du piéton qui se fait renverser est de cogner la tête. Comme il venait de sauver Tyro, j'ai déduit qu'il a dû tomber en arrière et s'est cogné à l'arrière du crâne. C'est malheureusement à cet emplacement que se trouve les points vitaux du cerveau qui permettent de contrôler le corps. Dans les cas où un piéton se fait renverser de cette manière, il meurt soit instantanément soit il tombe dans le coma car son système nerveux est endommagé. Il arrive même qu'il ne sache plus respirer seul.


    - Wah ! Tu es impressionnant, Rentarou, s'exclama Tyro stupéfait.


    - Je veux être policier. Il est normal pour moi d'apprendre de nombreuses choses très utiles mais qui paraissent étranges aux autres ados de mon âge.


    - Dis-nous ce qui est arrivé réellement, intervint Seiichi.


    - C'est comme Rentarou a dit. Moi, je ne me souviens pas. J'étais à terre sur le trottoir et je ne comprenais rien à ce qui s'était passé. Même quand l'ambulance l'a emmené, je suis resté là sans savoir ce qui arrivait.


    - C'est souvent classique aussi, ajouta Rentarou. Celui qui accompagne la victime est si choqué qu'il ne parvient pas à bouger bien souvent.


    Cette fois, sa connaissance ne venait pas de faits appris dans des livres. L'adolescent avait personnellement expérimenté ce douloureux et lancinant sentiment. Petit, sa mère avait fait souvent des malaises. A chaque fois, le garçon avait eu très peur sans jamais savoir quoi faire. Il restait à côté d'elle, tremblant, et essayait de la réveiller comme un jeune enfant pouvait le faire. Une fois, cela était arrivé en pleine rue. Elle avait perdu connaissance et avait dévalé un escalier. Lorsque l'ambulance était venue la chercher, un passant avait dû le prendre dans ses bras pour le faire monter lui aussi tant il demeurait paralysé par le choc.


    - D'après ce que j'ai entendu des adultes, Tomoya a subi un traumatisme crânien sévère. Je ne me souviens plus bien des termes employés après. Ils parlaient d'un traumatisme au cou qui influe sur les poumons.


    - En quoi, un coup sur le cou influe sur les poumons ? demanda Seiichi.


    - Ca s'appelle un traumatisme cervical, expliqua Rentarou. Dans le cerveau, il y a une partie qui gère l'appareil respiratoire. Parfois, il arrive que le crane reçoive un coup un qui cause une lésion et perturbe cette partie. Cela induit que la personne ne peut plus respirer seule et a besoin d'une assistance respiratoire afin de continuer à vivre.


    - Oui, c'est ça ! Tomoya a tout plein de tuyaux pour respirer, approuva Tyro.


    - Tu es vraiment très cultivé sur le sujet, reconnut Seiichi impressionné.


    - C'est surtout vous qui n'en avez aucune connaissance, se moqua t-il avant de reprendre son sérieux. Il y a quelque chose d'autre sur son état ?


    - C'est déjà pas mal … Ah si ! Il y a un autre terme que je n'ai pas su comprendre. Les docteurs ont parlé de mort céréale.


    Malgré lui, Rentarou s'esclaffa en entendant le lapsus que son ami avait commis.


    - Rentarou, ce n'est pas drôle, lui reprocha Seiichi sévèrement.


    - Désolé, s'exclama Rentarou qui riait encore. C'est …


    Une nouvelle crise l'interrompit et l'empêcha de poursuivre.


    - Excusez-moi, dit-il après avoir réussi à se reprendre. Ce que tu as dit c'est le terme de mort cérébrale. Il s'emploie toujours dans le cadre d'un coma grave de niveau quatre. Cela signifie que le cerveau du malade est définitivement mort même si ses organes vitaux fonctionnent encore.


    - Et quand ils parlaient de débrancher …


    - S'il a été déclaré en état de mort cérébrale et vu qu'il ne pouvait pas se passer d'une machine pour respirer, les docteurs ont proposé à sa famille de le débrancher. C'est à dire couper tous les appareils qui le maintiennent en vie.


    - Mais cela veut dire le tuer, s'exclama vivement Seiichi.


    - C'est un très grand débat, soupira Rentarou. Il y a quantités d'arguments qui se valent sur le fait de prendre le droit de débrancher les personnes en état de mort cérébrale. Personnellement, je suis pour. Je soutiens la vie et je suis partisan de toujours tout faire jusqu'à la fin mais là, c'est différent. Il n'y a pratiquement aucun espoir que ces personnes se réveillent un jour. Quand bien même, elles se réveilleraient, elles seraient certainement des légumes. Et si elles ne savent plus respirer par elles-mêmes ou perdu l'usage de leurs membres dans l'accident qui les a plongé dans le coma, elles vont devoir passer le reste de leur vie dans un lit sous assistance médicale. Je pense alors que c'est bien pour ces personnes, comme pour leurs familles et leurs proches, de mourir.


    - Je crois que je suis d'accord avec ça, dit Tyro après resté un long moment à écouter et à réfléchir aux paroles de Rentarou.


    - Tu ne voudrais pas que ton ami revienne alors ? s'étonna Seiichi.


    - Jusque là si, je l'ai toujours souhaité. Cependant puisqu'il a besoin d'une machine pour respirer, il serait malheureux. Il ne pourrait plus jouer au tennis. Je préfère le savoir mort en ayant le souvenir de son visage toujours si souriant plutôt que de le voir vivant et triste.


    Tyro releva la tête et gonfla la poitrine.


    - Je crois que je vais essayer d'en parler avec ses parents.


    - Tu devrais réfléchir avant, conseilla Rentarou. Il ne faut pas prendre ce genre de décisions à la légère. Tu dois le faire en étant sûr de ne rien regretter.


    Pendant que ses deux amis discutaient, Seiichi s'approcha d'une barrière placée sur la bordure du trottoir et s'appuya nonchalamment dessus.


    - Je ne l'avais jamais réalisé.


    - Quoi donc ? fit Tyro en se retournant vers lui.


    - J'ai toujours pensé que la vie se déroulait comme un long film jusqu'à la fin sans obstacles. J'ai toujours pensé que je vivrais jusqu'à moins cinquante ans, peut-être cent. Cela m'angoissait jusqu'à cette année car je devrais supporter ma famille autant de temps. Pour cette raison, j'ai souvent pensé à me suicider sans jamais oser le faire. Je n'ai jamais pensé que la vie pouvait s'interrompre dans un accident.


    - C'est vrai, approuva Tyro. La vie est très fragile mais on l'oublie bien souvent.


    - C'est pourquoi on doit la chérir plus que tout et tout faire pour la prolonger le plus longtemps possible, ajouta Rentarou. On a beaucoup trop souvent tendance à l'oublier mais la vie est un miracle. Il y a des millions et des millions de miracles qui se déplacent sur cette planète. La naissance d'une vie est un miracle. D'abord, il y a deux personnes qui doivent se rencontrer. C'est quelque chose qu'aucun ne s'attend mais qui arrive. Moi, si mes parents avaient choisi d'aller dans lycées différents, je n'existerais. Si ton père, Tyro, avait choisi une autre femme à épouser, tu n'existerais pas non plus. Et si ta mère avait été promise à un autre, Seiichi, tu n'existerais pas non plus. Passé la rencontre, quand ils décident de faire un enfant, il y a une chance sur un million de le concevoir. Il faut un autre miracle pour qu'un spermatozoïde et un ovule se fécondent. En tant que miracle, nous devrions être reconnaissants et tout faire pour conserver cette vie qui nous a été donné, profiter d'elle autant qu'il en est possible et la prolonger aussi longtemps qu'on peut.


    Rentarou pensa à chacun des mots qu'il venait de prononcer. Ceux-ci sortaient de sa bouche mais ils ne lui appartenaient pas. C'était les précieux mots enseignés par sa mère.


    - C'est pourquoi on doit vivre notre vie à fond sans penser au lendemain, ajouta Tyro.


    - Ce n'est pas mal de penser à demain parfois aussi, songea Seiichi avec amusement. Si nous continuons à trainer si tard, nous ne pourrons pas faire nos devoirs pour demain.

     

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  • Chapitre 59


    En entendant entendu cette voix, Seiichi se leva si vivement que sa chaise se renversa. Au même moment, Haruko s'approcha du lit pour en avoir le cœur net.


    Rentarou était bel et bien réveillé.


    Avec quelques difficultés, il avait réusssi à s'asseoir. Toutefois, ne sachant pas que son bras gauche était attaché à une perfuion pour l'alimenter, l'adolescent avait fait tomber celle-ci. Tout le liquide contenu dans le lourd flacon se répandit sur le carrelage.


    - Toujours aussi maladroit, commenta le jeune ninja dun malicieux sourire.


    Malgré ce commentaire qui se voulait détendu, Seiichi était effrayé, en fait. La silhouette de son meilleur ami avait changé pendant ces trois semaines d'inactivité. Jusque-là, il n'y avait pas prêté attention. Son corps avait toujours été caché par les couvertures. Son regard fixe ne quittait pas la forme massive de son camarade. Ses épaules et ses bras étaient décharnés, comme si ses muscles avaint fondu. Il avait désormais une apparence plus normale si l'on excluait sa taille.


    Avant d'aller chercher une serpillière pour nettoyer les dégâts, Haruko alluma la lampe de chevet ce qui éclaira tout cet espace confiné. Jusqu'à présent, elle n'avait autorisé que les torches électriques pour rester près du jeune colosse inconscient la nuit afin de ne pas déranger les autres patients de son infirmerie.


    - Qu'est-ce qui m'est arrivé ? demanda Rentarou perdu, se tenant la gorge. Oh, ce que j'ai soif ! J'ai l'impression d'avoir la langue sèche !


    - Je suis désolé mais je ne sais pas si Haruko te permet de boire, s'excusa Seiichi.


    - Qu'est-ce qui m'est arrivé, Seiichi ? Et puis pourquoi tu pleurais ?


    - Je ne pleure pas du tout, riposta le jeune ninja.


    Mais il ne pouvait pas le cacher. Ses yeux et son nez présentaient encore des marques rouges, même si l'adolescent aux cheveux ébènes avait essuyé promptement ses larmes quand ses yeux avaient vu Rentarou se redresser dans son lit. Ses oreilles avaient aussi entendu des pleurs et la voix de son meilleur ami.


    - Tu étais dans le coma, rapporta Seiichi pour changer de sujet. Tu es resté trois semaines inconscient sans que nous savions ce qui t'arrivait vraiment.


    Rentarou plissa le front. Il posa sa main contre le haut de sa tête et tenta de rassembler ses souvenirs. Le dernier remontait au jour de sa confrontation l'opposant à Kurata dans un redoutable match. Le lycéen géant se rappelait ce qui avait suivi : l'envoi de ses amis à l'infirmerie, la demande aux autres membres de remettre le club en ordre, les soins de ses équipiers, la vérification du nettoyage, être remonté dans sa chambre … Après plus rien. C'était comme si un grand noir s'était ouvert dans sa mémoire entre ce jour et celui de son réveil.


    Pourtant son esprit se souvenait de sensations étranges. Pendant son inconscience, il s'était parfois réveillé. Mais son corps n'avait pas su bouger ou se lever. Ses bras et ses jambes étaient si lourds qu'ils lui avaient donné l'impression de peser cent kilos. Il avait également la tête totalement embrumée et ne savait plus du tout où il se trouvait et ce qui se passait autour de lui. A chaque fois que ses yeux s'étaient ouverts, l'obscurité avait accentué son sentiment de perdition. Ses oreilles avaient entendu parfois la voix de ses amis mais n'étaient jamais arrivé à distinguer ce que ceux-ci disaient clairement. Il avait essayé de les appeler, de crier même, mais aucun son n'était parvenu à sortir de sa gorge à part des grognements. Le lycéen géant s'était souvent demandé s'il n'était pas mort et cette pensée l'avait inquiété. Rentarou se sentait maintenant soulagé d'être de retour parmi les vivants.


    - Comment va tout le monde ? Shin ?


    - Tu t'inquiètes pour lui en premier ? s'étonna Seiichi.


    - Il a un œil blessé. Je veux savoir s'il a pu être sauvé.


    - Non, répondit le jeune ninja. Shin refuse d'être opéré. Pourtant, l'opération sauverait son œil et restaurait à moitié sa vision. Cependant il ne veut pas sacrifier les projets de son père pour lui. Il préfère vivre avec un seul œil plutô que de trahir sa famille.


    - Il est vraiment têtu, déplora Rentarou. Tyro ?


    Le visage de Seiichi s'assombrit quand ce nom fut prononcé. Le jeune ninja confia alors à son meilleur ami tout ce qu'il ressentait vis à vis de l'éloignement de Tyro.


    - Ca ne ressemble pourtant pas à Tyro d'abandonner ses amis, songea Rentarou soucieux.


    - Je sais. Le plus étrange, c'est que sa mère ne veut rien me dire et cela ne semble pas l'inquiéter qu'il n'aille plus en cours. Je croyais que ses parents voulaient que leurs enfants terminent au moins le lycée avant d'arrêter leurs études.


    - On ira le chercher à deux, résolut Rentarou.


    En prononçant ces paroles, sa main se porta sur son estomac. Il se sentait terriblement affamé et avait toujours aussi soif. Tournant péniblement la tête vers la gauche, à l'endroit où Haruko, agenouillée sur le sol, épongeait l'eau sucrée de la perfusion.


    - Haruko-sensei, je peux avoir à manger et à boire ? J'ai faim !


    - Comment peux-tu avoir faim ? s'enquit Seiichi en arquant un sourcil. Tu étais nourri par perfusion. Mama Haruko la changeait toutes les trois heures.


    Comme elle venait de terminer son ouvrage, la jeune femme se releva et expliqua :


    - Une perfusion nourrit la personne en injectant les nutriments dont elle a besoin pour vivre directement dans son sang. Si aucun aliment ne passe par le système digestif, l'estomac se retrouve vide. La personne ressent donc les effets de la faim.


    - C'est psychologique donc, conclut Seiichi.


    - Non, physiologique, corrigea t-elle avant de s'adresser à Rentarou. Cependant je ne peux pas te nourrir tout de suite, Rentarou-kun. Je dois t'examiner complètement. Ensuite seulement je te donnais quelque chose de mes réserves personnelles. D'accord ?


    - C'est pas juste, marmonna t-il. Je ne peux même pas avoir un verre d'eau ?


    - Non. Rien qu'un peu d'eau peut changer ta condition.


    Rentarou se mit à bouder comme un enfant, et tourna la tête vers Seiichi pour discuter avec lui pendant que l'infirmière commença à l'examiner. L'adolescent aux cheveux ébènes lui détailla les changements apportés au club de tennis et raconta les évolutions spectaculaires pour chacun des membres. Ces nouvelles procurèrent beaucoup de plaisir au lycéen géant. Grâce à son entêtement et à son implication personnelle, il avait réussi à changer les choses en influant sur le destin et à le modifier pour le transformer en un avenir plus positif que celui-ci ne s'annonçait préalablement.


    - Eh bien, tout est OK, déclara Haruko avec un sourire de satisfaction.


    - Je peux avoir à manger alors ? Ou je dois continuer à dépérir, rongé par la faim ?


    Sans rien ajouter, l'infirmière s'éloigna en levant les yeux au ciel. Décidément, les adolescents se montraient toujours si exigeants et ingrats. Elle revint rapidement en tenant un plateau sur lequel était posé un bol de riz et un verre de lait. Pour une rare fois de sa vie, Rentarou se jeta sur la nourriture et l'avala à la vitesse d'une locomotive lancée à très grande vitesse.


    - C'est tout ? s'exclama Seiichi en écarquillant les yeux. Un seul bol de riz ?


    - C'est largement suffisant, Seiichi-kun, le reprit Haruko avec sévérité. Un bol de riz contient suffisamment d'éléments nutritifs pour calmer la faim et se nourrir pour une journée. Ne sais-tu pas qu'autrefois, les japonais ne mangeaient qu'un seul bol de riz par jour ?


    Seiichi le savait très bien. D'ailleurs, cela existait encore à leur époque. Dans sa famille, on se nourrissait uniquement le matin d'un bol de riz. On n'avait pas le droit de prendre autre chose de la journée, excepté de l'eau. Encore fallait-il aller la chercher soi-même au puits qui se trouvait tout au fond de l'immense jardin de la propriété familiale ou à la pompe située sur la place publique du du plus vieux quartier de Kyoto où résidait le clan Shiromiya.


    L'adolescent se souvenait bien avoir manqué plusieurs fois de basculer au fond du puits car il devait monter sur la margelle pour remonter le seau. Des souvenirs de s'être fait très mal en se prinçant tous les doigts de sa main droite en essayant de faire fonctionner la pompe. Cet incident l'avait fait jurer de ne plus toucher à nouveau à cet objet maléfique. Pendant une semaine, l'écolier n'avait plus su écrire et surtout n'avait pas pu dessiner non plus ce qui lui avait affreusement manqué. A cette époque, le dessin était la seule chose qui le maintenait en vie. Sans compter que son père lui avait donné quinze coups de fouet pour la forme afin de lui apprendre à être plus attentif.


    Ainsi il ne comprenait pas pourquoi Haruko était toujours si soucieuse de de restreindre les quantités de nourriture. Lui, qui n'avait jamais mangé à sa faim durant son enfance et le début de son adolescence, avait besoin de se rassurer en avalant autant d'aliments que son estomac était capable d'engloutir. De toute manière, tant que la nourriture était à profusion, il trouvait cela bête de la gâcher en se rationnant inutilement.


    - C'était délicieux, s'exclama Rentarou en repoussant son bol. Merci beaucoup.


    - A présent, c'est l'heure de dormir, annonça Haruko avec autorité.


    - Ca ne va pas la tête ? protesta Rentarou. J'ai dormi trois semaines alors je suis en pleine forme ! Je n'ai pas besoin de dormir !


    Il reçut une claque sur la tête de la part de l'infirmière.


    - Ce que tu as fait est un état comateux, Rentarou-kun ! dit-elle très sévèrement. Ce n'est pas un sommeil. Tu dois donc reprendre un rythme de sommeil régulier maintenant et puisque la nuit vient de tomber, il est temps de commencer.


    - Mais j'ai pas sommeil ! Vous allez faire quoi ? Me donner un coup de marteau sur la tête ?


    Seiichi éclata de rire. Il trouva désopilant le spectacle de son meilleur ami. Celui-ci se comportait comme un gamin qui refusait d'aller se coucher. Haruko lui jeta un regard de travers de s'amuser de ses malheurs.


    - Je vais te donner un somnifère pour que tu puisses dormir paisiblement.


    Haruko plongea sa main dans une poche de sa blouse et en retira un minuscule cachet orange qu'elle posa sur le plateau sur les jambes de Rentarou. l'infirmière prit ensuite un pichet d'eau rempli à sa moitié sur la moitié et en versa dans le verre.


    - Et vous êtes sûre que ce truc est bon ? demanda le lycéen géant qui chercha à gagner du temps. Il a vraiment été bien testé ?


    - Je ne me sers jamais de produits dont je suis pas sure à 100%, assura t-elle. J'analyse moi-même leur structure avant de les utiliser.


    Rentarou sentit qu'il perdait la bataille. Il devrait bientôt renoncer et accepter son sort. Pourtant, l'adolescent n'avait pas envie de dormir et aurait bien aimé rester éveillé toute la nuit afin de parler avec Seiichi.


    Avec désinvolture, son meilleur ami croisa ses bras derrière sa tête et dit :


    - Tu sais, Mama Haruko, tu ne devrais pas le forcer ! Rentarou ne le montre jamais mais il est toujours effrayé parce ce qu'il ne connait pas alors il recule le plus possible les choses !


    En entendant ces paroles, Rentarou attrapa en vitesse le cachet et l'avala en buvant le verre d'eau.


    - Toujours aussi facilement manipulable, rit le jeune ninja.


    - En tous les cas, c'est très bien, constata Haruko. A présent, Seiichi-kun, tu peux retourner dans ta chambre et dormir toi aussi.


    L'adolescent aux cheveux ébènes adopta un air stupéfait ce qui ne déplut pas à Rentarou.


    - Quoi ? Mais je peux rester normalement toute la nuit ici !


    - C'était valable jusqu'au réveil de Rentarou-kun. A présent qu'il est sorti de son état comateux, il n'y a plus de raison de le veiller. Donc tu vas te coucher toi aussi.


    - Mais ce n'est pas juste !


    - La malhonnêteté ne paie pas, répliqua Rentarou en lui tirant la langue.


    Haruko secoua la tête, mi-amusée mi-réprobatrice. Décidément, les adolescents avaient beau essayer de se grandir le plus possible, de paraitre plus murs que leur âge et de se comporter comme des adultes, ils n'en demeuraient pas moins des enfants.


    Le médicament qu'Haruko avait donné à son jeune patient était efficace. Rentarou s'était endormi une vingtaine de minutes après l'avoir absorbé et avait dormi jusqu'à neuf heures du matin. En se réveillant, il garda les yeux fermés et tendit son bras gauche pour prendre ses lunettes et les poser sur son nez.


    - J'aurais dû me mettre à ta place, Yoko-han !


    Rentarou n'avait pas besoin de voir pour reconnaître la voix de l'adolescent aux cheveux ébènes. Par contre, son meilleur ami lui avait donné une information qui l'avait intéressé : Yoko était là ! Il se dépêcha de s'asseoir dans son lit et d'ouvrir les yeux.


    Durant son sommeil forcé, l'infirmière avait remis son lit dans l'alignement des autres et fait disparaître les rideaux noirs qu'il avait aperçu la veille. Seiichi et Yoko se trouvaient chacun d'un côté. Apparemment, aucun autre de ses amis n'était présent.


    - Comment te sens-tu, Rentarou ? demanda Yoko soucieuse.


    - Je vais bien, répondit-il puis ajouta moqueur, mais toi tu dois te sentir mal toi, non ? Tu dis toujours que c'est mal de sécher les cours !

     

    - J'étais inquiète pour toi, protesta t-elle en fronçant ses sourcils, fâchée. Tu ne le comprends pas ?


    Rentarou sourit. Il était peut-être fou comme le disait Tyro mais il adorait la voir en colère. Son visage prenait des traits si magnifiques qui illustraient parfaitement les sentiments qu'elle ressentait.


    - Par pitié, soupira Seiichi. Vous pourriez éviter de faire vos scènes de ménages quand je suis là ?


    En entendant sa voix, Rentarou réalisa que son meilleur ami était là. Il était tellement occupé à flirter avec sa petite amie que son esprit en avait totalement oublié son existence. Le jeune homme redevint aussitôt sérieux.


    - Comment vont les autres ?


    - En fait, je ne les ait pas encore vu, dit Seiichi. Yoko-han est la première que j'ai vu ce matin car elle se lève tôt. Shin et Taka-chan dormaient encore. Quant à Raphael-han et Kou-han, ils n'étaient évidemment pas encore au venus au lycée.


    - Vous auriez pu leur dire au lieu d'attendre, leur reprocha le lycéen géant. Ils doivent s'inquiéter pour rien à mon sujet.


    - Tu as encore sauté aux conclusions, sourit malicieusement le jeune ninja. Je t'ai dit que je ne les ait pas vu, pas que je ne les ait pas informé.


    Confus, Rentarou ne parvenait plus à suivre le discours du jeune homme.


    - Je ne comprends pas …


    Seiichi sortit alors son téléphone cellulaire d'une poche de son pantalon et le brandit devant le nez de Rentarou.


    - Tu sais à quoi sert cet objet ? fit-il comme s'il parlait à débile profond. Vois-tu, cet étrange objet s'appelle un téléphone. Plus précisément, il s'agit d'un téléphone cellulaire, appelé plus couramment téléphone portable, et raccourci bien souvent au simple mot de portable. Ainsi vois-tu, grâce à cet objet, il est possible de transmettre des informations à une personne sans la voir directement. Vois-tu cet appareil peut envoyer des messages avec, un texte, la voix ou aussi des photos, de la musiques et des vidéos.


    Fatigué du monologue de son ami, Rentarou le regarda de travers, agacé d'être traité comme le dernier imbécile. Par contre, Yoko s'amusa beaucoup du spectacle offert par Seiichi. En plus de dire son texte, il l'animait par une gestuelle rendant son effet encore plus drôle.


    - Dites, Haruko-sensei, vous a dit quand je sortais ?


    Certes, sa question était un prétexte pour changer de sujet. Cependant il était très intéressé par la réponse. Le lycéen géant détestait être à l'infirmerie. Rester enfermer dans une pièce sans rien faire contribuait à le rendre fou.


    - Rentarou, soupira Yoko. Tu ne peux pas sortir si tôt.


    - Pourquoi ? Je vais bien. Je peux donc sortir et reprendre ma vie où elle en était.


    - Tu ne peux pas continuer à agir comme tu le fais toujours, le réprimanda t-elle. Tu dois apprendre à en faire moins et à respecter ton corps. Tu n'as toujours pas réalisé que c'est parce que tu veux toujours en faire plus que tu t'es retrouvé dans cet état. Si tu ne commences pas à faire attention, tu pourrais risquer des problèmes de santé graves, voire pire. Tu pourrais mourir.


    Les arguments de la jeune fille touchèrent l'adolescent. Il les comprenait parfaitement. En aucun cas, le jeune homme ne voulait mourir. La mort était inéluctable pour chaque être vivant qui naissait et évoluait sur cette planète. Le lycéen géant ne se voilait pas la face. Mais Rentarou refusait de mourir sans avoir essayé de réaliser tous les rêves, tous les projets imaginés dans sa tête. Depuis son enfance, le garçon s'était voué à vivre le plus longtemps possible. Le jeune colosse comptait prolonger sa vie jusqu'au maximum dont il était capable. Par conséquent, prendre soin de lui et ménager son corps était indispensable.


    Cependant Rentarou ne pouvait pas facilement accepter de suivre docilement ce raisonnement. Sa personnalité était faite de manière à ce qu'il soit incapable de tourner le dos aux autres. Dès que son attention remarquait qu'une personne avait des ennuis, le lycéen géant se précipitait et faisait ce dont il était capable de faire pour l'aider.


    C'était impossible de passer son chemin tant que le problème n'était pas résolu et n'arrivait plus à prendre de temps de repos tant que les ennuis de cette personne n'avaient pas disparu. Il ne pouvait pas changer sa personnalité ni la nier. Rentarou était comme cela et en retirait même une certaine fierté. Le lycéen géant appréciait d'apporter son aide à tout le monde, sans même les connaître parfois.


    La perspective que cet obstinément à protéger tout le monde puisse lui causer des problèmes de santé ou même lui coûter sa vie, cela l'ennuyait beaucoup. Mais il refusait de sacrifier ses convictions pour son propre bien. Le lycéen géant préférait avoir une vie plus réduite qu'à celle qu'il espérait initialement mais en restant fidèle aux principes en lesquels il croyait.


    Toutefois, Rentarou ne désirait pas inquiéter ses amis et décida de les rassurer. Il se tourna vers Yoko et prit délicatement les mains de la jeune fille dans les siennes.


    - Je vais essayer de faire un effort. Je ne te promets de réussir à me contrôler mais je vais quand même essayer.


    Yoko parut satisfaite d'entendre ces paroles et lui sourit de reconnaissance. De l'autre côté du lit, Seiichi, assis sur sa chaise, avait croisé les bras contre la poitrine, devinait les véritables sentiments de son meilleur ami. D'avance, il préssentait son mensonge à sa petite amie pour la protéger et l'empêcher de se faire du souci. Rentarou était ainsi. Il était impossible de lui faire la morale sur son comportement, son meilleur ami ne le changerait pas. Au premier cri de détresse que ses oreilles entendraient, à la première larme que ses yeux verraient, son camarade se lèverait à nouveau et se précipiterait pour apporter son aide. En même temps, c'était cette attitude de dévouement pur, dépourvu de la moindre arrière-pensée, qui impressionnait toujours Seiichi et le rendait fier d'être son ami.


    Rentarou se plaignit ensuite d'avoir faim. Son estomac cria bruyamment sa détresse. Seiichi se proposa d'aller chercher un petit-déjeuner pour lui.


    Par ses manières toujours polies et aimables ainsi que son air de jeune homme adulte, il était toujours très apprécié par la gente féminine, même chez les femmes plus âgées que celles de sa propre génération, comme les cantinières qui servaient les repas. Quand il s'introduisit dans les cuisines pour demander de la nourriture, celles-ci le servirent généreusement.


    En découvrant le plateau que son meilleur ami lui avait ramené, Rentarou n'en crut pas ses yeux. cela lui était impossible d'avaler autant de choses. Il y avait un grand bol de riz, une assiette de patates douces, une omelette, des pancakes, de nombreuses pâtisseries et un assortiment complet de fruits.


    - Tu m'a confondu avec un ours ou quoi ?


    - C'est un petit-déjeuner normal, se défendit Seiichi. Je mange cela chaque matin.


    - Tu vas grossir avec un tel régime, s'inquiéta Yoko.


    L'adolescent sourit narquoisement en se frottant le ventre.


    - Je pèse cinquante-quatre kilos depuis quatre mois. Je ne prends pas un gramme de plus.


    - Comment on peut manger autant sans grossir ? se lamenta t-elle. C'est pas juste ! Dès que je fais le moindre excès, je prends un kilo de trop moi !


    Rentarou choisit de ne toucher qu'aux aliments qu'il consommait habituellement, à savoir le riz et les pommes de terres. Le reste, il le laissa à ses deux compagnons. Yoko se coupa quelques tranches de pancake, prit une pâtisserie, une banane et une orange. Seiichi engloutit ensuite tout ce qu'ils laissèrent en quelques instants.


    A la suite de ce repas, les jeux gens discutèrent. Yoko parla de tout ce qu'elle avait entendu dans le lycée. Comme les dernières rumeurs, surtout celles concernant la nouvelle popularité de Rentarou montée en flèche suite à ce qui s'était passé au club de tennis. Seiichi se concentra davantage sur les cours et les anecdotes qu'il pouvait raconter sur leurs professeurs.


    Vers midi, Haruko chassa Seiichi et Yoko pour leur rappeler de se nourrir et apporta son déjeuner à Rentarou. Il fut beaucoup moins impressionnant que celui de la matinée mais plus équilibré. En entrée, du natto était servi, un plat souvent servi en accompagnement, fait à base haricots fermentés et gluants dont l'odeur rappelait celle d'un camembert avec du riz chaud. Bien que ce soit très nutritif et renforçait les défenses immunitaires de l'organisme, c'était aussi répugnant à avaler qu'une cuillière d'huile de foie de morue. A cela s'ajoutait une soupe miso traditionnelle. Le suivant fit très plaisir à Rentarou. Il s'agissait d'un katsudon, l'un de ses plats préférés. Cette préparation se constituait d'une tranche de porc cuite et panée avec du riz et un œuf battu. Enfin une simple pomme complétait ce repas.


    En achèvant ce déjeuner, il s'essuya la bouche avec sa serviette puis se leva pour aller reposer son plateau sur la longue table près de la porte d'entrée. Le lycéen géant alla ensuite se rasseoir dans son lit et prit un livre qui trainait sur sa table de chevet afin de passer le temps. Il n'eut pas le temps de lire beaucoup car Seiichi et Yoko revinrent le voir.


    - Vous vous ennuyez à ce point de moi ? se moqua t-il gentiment.


    - C'est surtout que nous savons que toi, tu t'ennuies à l'infirmerie, répliqua Seiichi. D'ailleurs, je t'ai apporté quelqu'un de tes livres.


    Yoko leva les yeux au ciel. Elle désapprouvait totalement la conduite de son ami et ne se retint pas de lui dire.


    - Seiichi-kun, les internes n'ont pas le droit d'aller dans les chambres en période de cours.


    Indifférent, le jeune ninja haussa les épaules.


    - Et alors ? Personne ne m'a vu et je n'ai pas commis de bêtises. Où est le problème ?


    - Je devrais te sanctionner normalement, soupira t-elle.


    - Eh bien, vas-y, dit Seiichi provocateur.


    - Je ne suis pas en service pour le moment, rétorqua Yoko en détournant la tête. En plus, Rentarou n'a pas besoin d'occupations. Il doit étudier pour rattraper le retard qu'il a pris.


    - Il peut souffler cinq minutes. Il vient seulement de se réveiller.


    - Il a trois semaines de retard, Seiichi ! C'est très dur de rattraper autant !


    - Il a su rattraper huit années scolaires en moins de sept mois alors sincèrement, trois semaines, c'est un jeu d'enfant pour lui.


    Situé entre les deux amis, Rentarou se sentait bien seul sur son lit. Il avait bien essayé d'intervenir pour donner son avis mais ceux-ci ne voulaient pas entendre. Ils étaient trop plongés dans leur dispute pour cela. Finalement, il se résolut à utiliser encore une fois son arme secrète :


    - JE PEUX PARLER ?


    Comme toujours, son cri figea ceux qui l'entendaient et les obligea à se boucher les oreilles.


    - J'ai le droit de donner mon avis, il me semble, siffla t-il ironique. Après tout, c'est quand même moi que ça concerne vos histoires.


    - Désolé, s'excusa Yoko en rougissant. Que veux-tu faire alors ?


    - Eh bien, je préfère étudier. Comme ça, une fois que j'aurais terminé de rattraper mon retard, je serais libre de faire ce que je veux.


    - Rentarou est vraiment un enfant, soupira Seiichi en simulant le désespoir.


    En ce début d'après-midi, Rentarou étudia les cours que lui avaient apporté ses deux camarades. Il reconnut sans mal que les notes avaient été prises par Shintarou. C'était le seul étudiant de l'établissement à copier chaque mot dit par son professeur puis à recopier plus tard ses notes au propre en y intercalant toutes les définitions et détails néccesaires pour comprendre le cours et souligner les notions importantes à retenir.


    - Il faut espérer que Shin ne soit jamais absent, songea Rentarou en parcourant la première page d'un cours de Géographie.


    - Ou alors il faudra qu'aucun de nous ne soit absent ce jour-là, ajouta Seiichi.


    Pendant que Rentarou commença à lire les leçons sur les différents pays de l'Amérique du Sud, ses deux compagnons décidèrent de réviser eux aussi. Les examens du troisième trimestre tombaient à la fin du mois. Seiichi se plongeait dans son manuel de Biologie pour revoir toutes les notions compliquées que son cerveau refusait de comprendre. Il n'avait jamais eu l'esprit scientifique et se désintéressait même totalement des matières qui s'en rattachaient. Si le jeune homme faisait l'effort de s'y consacrer, c'était seulement pour ne pas échouer à ses examens. Quant à Yoko, elle relut les cours de Japonais apportés à son petit ami.


    L'ambiance de l'infirmerie était si studieuse et les adolescents étaient si concentrés sur leur ouvrage qu'ils n'entendirent ni la porte s'ouvrir ni des pas se rapprocher d'eux.


    - J'ai beau avoir de nombreuses années d'enseignement à mon actif à présent, Haruko-chan, mais je suis toujours ému quand j'aperçois de jeunes gens étudier aussi sérieusement.


    Cette fois, le trio se rendit compte qu'ils n'étaient plus seuls. Ils relevèrent la tête et aperçurent Haruko en compagnie de Taniguchi Bunichirou, le proviseur de l'établissement. Aussitôt Seiichi et Yoko se levèrent en vitesse et s'inclinèrent très respectueusement pour le saluer.

     

    C'était la seconde fois que Rentarou rencontrait cet homme. En y repensant, le lycéen géant réalisa que ce n'était pas vraiment un signe positif. La dernière fois, l'adolescent avait frôlé de peu la mort et cette fois ci, il s'était retrouvé plongé dans le coma. Ce n'était pas si mal de ne pas le voir souvent finalement. En observant son visage, le jeune homme remarqua que le proviseur ne souriait toujours pas. D'après ce que Yoko lui avait raconté un jour, il ne le faisait jamais et conservait en permanence un visage strict.


    - Vous pouvez vous asseoir, autorisa Taniguchi.


    Seule Yoko obéit. Seiichi céda sa place à son proviseur et alla s'asseoir auprès de son amie sur le lit à côté de celui de Rentarou.


    - Vous êtes venus me voir ? fit Rentarou étonné.


    - Bien sur. J'avais très envie de discuter avec le nouvel héros de notre lycée.


    Immédiatement, Rentarou passa sur le mode défensif.


    - Je ne suis pas un héros. Je fais juste ce qui me semble important pour moi.


    Taniguchi Bunichiro passa sa main dans sa barbe et la lissa. Pour Yoko, qui le connaissait bien, c'était là un signe d'appréciation de la conversation à laquelle il participait.


    - Mais Taniguchi-sensei, il y a quelque chose que je n'ai pas encore osé demandé à mes amis mais j'ai envie de savoir.


    - De quoi s'agit-il, mon garçon ?


    - Que va t-il arriver à Kurata ? Il va être exclu du lycée, ça je l'ai compris. Cependant que va t-il lui arriver ensuite ? Il va étudier alors ? Ou la police va le convoquer ?


    Le proviseur resta silencieux un long instant. Il inclina légèrement sa tête vers le bras, baissant son regard, et répondit à la question de son étudiant.


    - Je dois te révéler, Rentarou-kun, que le jeune Kurata Akihito est malheureusement décédé le Dimanche 15 Janvier. Il s'est suicidé dans sa chambre.


    Rentarou accusa mal cette nouvelle dramatique. Un instant, l'adolescent crut que son cœur avait raté un battement dans sa poitrine. Le lycéen géant avait beau avoir détesté et méprisé Kurata, il ne souhaitait pas sa mort.


    - Il ne méritait pas mieux, rétorqua Seiichi avec indifférence. Personne n'ira pleurer ce type.


    - Il n'y a personne qui mérite de mourir, murmura Rentarou. Kurata ne méritait pas ça. Vouloir mourir est vraiment le pire sentiment qui soit. Réaliser que sa propre vie n'a pas de valeur est simplement horrible. Ca me brise le cœur quand je pense à ce qu'il a du ressentir. Se dire qu'il n'y a plus personne qui vous aime, que vous êtes tout seul …


    - Shin et nos équipiers du club ne méritaient pas eux non plus ce qu'il leur a fait, répliqua Seiichi.


    - Je le sais parfaitement et je ne l'en excuse pas. Je ne pourrais jamais. Ce qu'il a fait est impardonnable. Cependant ce n'est pas une raison de se montrer réjoui de la mort de quelqu'un. La mort d'une personne nous touche tous et même si on pense n'avoir rien à se reprocher, on a toujours quelque chose à se reprocher.


    - Ne me dis pas que tu t'en veux, soupira Yoko. Tu n'y est pour rien.


    Rentarou baissa la tête. Elle avait tort. Il était en partie responsable du suicide de Kurata. Lors de la fin de leur match, lors de la découverte de la blessure de Shintarou et de voir que l'ancien buchou du club de tennis n'éprouvait aucun regret, le lycéen géant s'était enervé. Il s'était alors défoulé en le soulevant de terre puis l'avait abandonné à son sort. Peu avant, l'adolescent lui avait promis de rester à ses côtés et de le soutenir si son ennemi se décidait à changer. Certes, celui-ci n'avait pas voulu changer mais rien ne disait qu'il ne serait jamais parvenu à le convaincre du contraire. Mais le jeune homme aux cheveux de jais lui avait tourné le dos. Cela lui faisait mal de réaliser qu'il avait négligé ses principes.


    Brusquement, la voix de Taniguchi Bunichiro l'arracha à ses pensées.


    - Tu possèdes vraiment un don merveilleux, Rentarou-kun.


    - Je n'ai pas vraiment de talent spécial, se défendit-il. Je suis juste un peu doué que les autres mais je reste normal.


    - Je ne te parle pas de tes facultés intellectuelles, de ta mémoire ou de tes capacités sportives. Non, tout cela c'est très ordinaire même si elles paraissent exceptionnelles, répliqua le proviseur. Non, c'est le don le plus précieux que tu possèdes qui me plaît le plus chez toi.


    - Mon don le plus précieux ? Qu'est-ce que c'est ?


    - Ton empathie, révéla l'homme à la longue barbe brune.


    - Empathie ? Qu'est-ce que c'est ?


    - L'empathie est une qualité très rare possédée par peu de personnes. Je devrais dire peu de personnes savent l'utiliser. Elle permet de se mettre à la place d'une personne, de ressentir ses émotions, sans s'impliquer personnellement et sans la juger. Une telle capacité peut se révéler bien dangereuse. Dans les mains d'un homme avide de pouvoir ou sadique, il s'en servirait pour venir à bout de ses adversaires, dominer ses victimes et répandre le mal autour de lui. Cependant pour quelqu'un comme toi, avec une merveilleuse personnalité comme la tienne, elle peut devenir ton arme la plus importante.


    Rentarou resta silencieux en écoutant les explications de son proviseur. il ne lui avait jamais semblé posséder un tel don. C'était vrai qu'il aimait se mettre à la place des autres pour ressentir leurs souffrances et en comprendre les causes. Mais le lycéen géant se blessait aussi dans le procédé. Il lui paraissait impossible de ne pas s'impliquer dans la douleur de ses semblables. Pour les comprendre, ne fallait-il pas expérimenter les mêmes choses qu'eux afin de trouver les mots justes à leur dire ?


    - Tu es bien silencieux, jeune homme, nota Taniguchi Bunichiro.


    - Je réfléchissais, Taniguchi-sensei, répondit Rentarou.


    - Je vois. De toute manière, je devais te laisser. Mais avant il y a autre chose que je dois t'annoncer.
    - Quoi donc ?


    - Nous, l'équipe professorale, nous sommes mis d'accord. En raison de ton exploit, du fait que tu sois resté inconscient trois semaines et de tes résultats toujours excellents, nous avons décidé de te dispenser des examens.


    Rapidement, il ajouta en remontant ses lunettes, le regard beaucoup plus sévère :


    - Mais cela n'est évidemment valable pour les examens du troisième trimestre de cette année.


    - Je refuse, décréta Rentarou avec fermeté. Lorsque j'agis, je le fais pour le bien d'autrui et pour la justice. Je ne veux pas de récompense. De plus, celle que vous me proposez est injuste envers mes condisciples. Ils travaillent dur pour réussir leurs examens et passer en classe supérieure. Je ne peux pas passer en seconde année comme ça.


    - Tu plaisantes ou tu es fou, Rentarou ?


    Seiichi venait de parler, stupéfait de constater le refus de cette proposition de son meilleur ami. Les examens étaient tellement durs et stressants qu'il lui paraissait impossible de décliner une telle offre aussi inespérée, même de la part de Rentarou.


    Taniguchi, une main sous son menton dissimulé quelque part sous son épaisse barbe, réfléchissait aux paroles de cet étrange et surprenant adolescent. Il ne s'était pas attendu lui non plus à essuyer un refus si net.


    - Tu te bats au nom de la justice, dit-il d'un ton énigmatique. Tu es vraiment intéressant, Rentarou-kun.


    Le proviseur prit ensuite congé des trois étudiants.


    - Tu es vraiment unique, Rentarou, dit Seiichi en s'effondrant dans le lit derrière lui. Manquer une occasion pareille, personne ne le ferait.


    - Je ne suis pas d'accord, intervint Yoko. J'aurais refusé moi aussi. Les examens sont faits pour tester tes limites et de voir jusqu'où tu as été capable d'aller. Obtenir la validation de ses acquis par sympathie n'a aucun sens. C'est comme si tu remettais la coupe de l'US Open à un nouveau du circuit car tu trouves qu'il a fait beaucoup d'efforts.


    - Merci de me soutenir, Yoko-chan, la remercia Rentarou en lui souriant.


    - Vous êtes de grands malades tous les deux, soupira le jeune ninja. Vous devriez vraiment envisager de vous faire soigner.


    - Sinon pourriez-vous me laisser tous les deux ? demanda Rentarou en baissant la tête. J'ai besoin d'être un peu seul pour réfléchir.


    - Il y a quelque chose qui ne va pas, Rentarou ? s'inquiéta tout de suite Yoko.


    Seiichi se redressa et se mit debout.


    - Il pense certainement à ce que le proviseur vient de lui dire et il veut analyser ce qu'il lui a raconté et savoir s'il avait raison ou non de lui dire tout cela.


    Rentarou sourit faiblement. Encore une fois, son meilleur ami avait deviné ses intentions.


    Quand il se retrouva finalement seul avec lui-même et ses pensées, Rentarou se remémora des mots que son proviseur venait de lui dire à l'instant.


    Un nouveau don ? Quand il l'avait entendu, le lycéen géant s'était senti perplexe et ennuyé. Il possédait déjà tellement de talents particuliers. D'abord, sa haute taille et sa musculaire très développée. Son incroyable force qui lui permettait de déplacer deux adultes de taille moyenne. En ce moment, celle-ci était diminuée mais elle allait lui revenir avec un peu d'entrainement. Haruko le lui avait certifié. Il y avait aussi sa phénoménale mémoire qui retenait tous les détails, même les plus minuscules, quand il le lui demandait ainsi que sa puissante voix qui le rendait capable de produire de très forts hurlements qui s'entendaient sur de longues distances. C'était la seule capacité dont le jeune homme avait tout de suite été fier d'avoir. Et enfin il avait découvert cette année une capacité d'adaptation impressionnante lui permettant d'assimiler rapidement et facilement une technique sportive.


    Mais cette nouvelle faculté l'intéressait beaucoup plus que celles précédemment citées. Être capable de comprendre les autres et de ressentir leurs émotions, c'était ce qu'il souhaitait.


    Depuis sa plus tendre enfance, il fonctionnait de cette manière. Rentarou cherchait toujours à comprendre ce qui se passait autour de lui. Le garçon ne cessait jamais de poser des questions quand son esprit logique ne parvenait pas à trouver la réponse lui-même. Souvent, ses institutrices l'avaient puni car il n'arrêtait pas de demander pourquoi. A l'époque, l'écolier ne pensait pas qu'il les embêtait. Sa mère lui avait expliqué qu'elles étaient là pour apprendre aux enfants tout ce qu'ils ne savaient pas. Dans sa petite tête, cela lui paraissait donc cohérent de leur poser des questions. Quelques fois aussi, Miyu, sa babysitteuse, le rouspétait quand il devenait trop insistant et le mettait dans la télévision pour avoir la paix. Par contre, sa mère restait toujours calme et patiente avec lui. Elle répondait à toutes ses interrogations et l'écoutait parler. Cela pouvait durer plusieurs heures, la jeune femme aux brillants yeux émeraude se montrait toujours calme et réjouie d'entendre la voix de son fils.


    En se souvenant de sa mère, il se rappelait qu'elle se comportait de la même manière que lui. Celle-ci s'arrêtait toujours sur son chemin pour aider une personne en difficulté sans rien exiger en retour. Il lui suffisait de converser quelques mots avec elle et la jeune femme parvenait à comprendre ses sentiments et à trouver les formules pour l'apaiser. Celle-ci répétait ensuite à son fils qu'il était du devoir de tout être humain d'aider son prochain. Il ne fallait jamais tourner son dos aux malheurs des autres, qu'importent les soucis que l'on avait soi-même.


    Se redressant dans son lit, Rentarou réalisa qu'il avait presque oublié ces souvenirs-là. Ou plutôt son esprit les avait recouvert progressivement avec d'autres. Néanmoins, sa mémoire ne les avait complètement oublié. Cette expression favorite qu'il avait pour exprimer son besoin irrépressible de vouloir aider les autres venait de sa mère. « Je ne peux pas tourner mon dos ! » criait-il avec fierté. Il se sentait soudainement très proche de sa mère.


    En repensant au comportement de Satsuma Asuka quand elle venait en aide de quelqu'un, il réalisa que celle-ci possédait elle aussi ce don que son proviseur lui avait parlé. L'empathie. Il se demanda s'il était né avec cette capacité ou s'il l'avait appris en observant cette merveilleuse jeune femme.
    Peu lui importait finalement. Puisqu'il avait ce don à lui, Rentarou comptait s'en servir comme sa mère l'avait fait avant lui. Grâce à cette merveilleuse capacité, l'adolescent aiderait autant de personnes qu'il le pourrait en comprenant leurs problèmes et en leur proposant des idées pour les résoudre.


    Rentarou passa encore trois jours à l'infirmerie. Il ne fut pas autorisé à recevoir d'autres visites que celles de Seiichi et Yoko. L'infirmière ne connaissait que trop bien les membres de sa petite bande et craignait que ceux-ci ne causent du désordre dans son domaine. Les deux élus avaient apporté des cadeaux de la part de leurs camarades. Le lycéen géant avait reçu un tas de chocolat et de bonbons qu'il ne mangerait pas. Ses cadeaux feraient au moins plaisir à ses deux meilleurs amis.

     

    Le Lundi matin, Rentarou sortit donc enfin de sa prison forcée. Avant de partir, Haruko lui fit avaler un copieux petit-déjeuner, l'examina sous toutes les coutures et lui recommanda qu'à partir de maintenant il devait venir chaque matin la voir, comme Seiichi, puisque l'adolescent n'était pas capable de prendre soin de lui-même.


    En quittant l'infirmerie, Rentarou monta dans sa chambre. Au nom de sa convalescence, et surtout de l'insistance dont elle avait preuve, Haruko avait réussi à obtenir de son professeur titulaire l'autorisation pour lui de recommencer les cours la semaine suivante.


    En poussant la porte, le jeune homme s'étonna de la propreté des lieux. Il n'avait pas mis les pieds ici en trois semaines et retrouvait la pièce impeccable. Les draps et couvertures du lit étaient changés. Aucune trace de poussière ne subsistait. Le seul détail qui lui fit comprendre les dessous de l'affaire fut le bureau. Son espace de travail était parfaitement rangé. A part lors des vacances, ce meuble servait à comprendre le mécanisme du mouvement perpétuel.


    - Ils ont du s'amuser à ranger tout mon bordel, songea t-il en riant.


    Rentarou se décida ensuite de se mettre au travail. Il lui restait encore à étudier beaucoup des cours manqués à cause de son coma. Durant son séjour à l'infirmerie, le lycéen géant avait lu avec attention ceux d'Histoire et de Géographie puis les recopié dans ses cahiers respectifs. Néanmoins, le jeune homme n'avait pas réalisé de fiches récapitulatives dessus. Il s'y attela donc.


    Une fois cette tâche accomplie, Rentarou prit la grosse pochette qui contenait l'ensemble des feuillets de Shintarou avait donné pour lui et en choisit une au hasard. Il tomba évidemment sur la matière détestée par l'adolescent : l'Anglais. Au moins, le jeune homme en serait débarrassé. Contrairement à ses autres cours, le lycéen géant ne les lut pas mais les recopia directement dans son cahier. Il le rangea aussitôt ensuite et préféra attendre de voir Seiichi afin ravailler dessus étant donné son faible niveau en langues.


    Durant le reste de la matinée, il étudia ensuite toutes les formes de poésie que le professeur Noda avait pu parler. A chaque vers lu, Rentarou se demanda quelle beauté son meilleur ami voyait dans ces textes aux tournures excentriques. Sans compter que pour la plupart, elles n'avaient aucun sens. A moins que leur auteur avait cherché à dire qu'il était fou.


    Rentarou descendit vers treize heures, soit après la pause déjeuner. Quand Hashimoto était venu le voir, il avait bien formellement interdit de quitter l'internat durant toute la période des cours pour ne pas troubler le travail de ses condisciples. Le lycéen géant devait donc attendre que ceux-ci aient fini de manger pour prendre lui aussi son repas.


    En passant les portes du réfectoire, le lycéen géant ressentit une étrange impression. D'abord, la salle était déserte et silencieuse. A chaque fois que Rentarou s'y rendait, il était accompagné de ses amis et beaucoup d'animation régnait dans la pièce. Cela le ramena huit mois en arrière quand le jeune homme venait de débarquer au lycée. Il se sentait toujours horriblement seul. Les choses avaient tellement changé en l'espace d'une seule année. Le monde, sombre et triste, s'était finalement transformé et illuminé pour devenir un endroit d'espoir et de plaisir.


    Tout en réfléchissant, l'adolescent avait pris un plateau et s'était avancé vers les grilles sur lesquelles étaient posés les plats. Il n'en restait pas beaucoup dessus. Derrière attendait une seule cantinière.


    - Je suis désolée, Rentarou-kun, mais il ne reste plus grand choix, lui dit-elle d'un sourire embarrassé. Si tu veux, à partir de ce soir, j'essaierais d'en mettre de côté.


    - Ne vous dérangez pas pour moi. Ce que vous avez m'ira très bien.


    - Allons, ne sois pas timide, Rentarou-kun. Il y a forcément des plats qui te feraient plaisir.


    - Tant qu'il y a du riz et du porc, ça m'ira assez bien. Et des œufs aussi.


    - Seulement ? fit-elle un peu déçue puis reprit sa bonne humeur. Alors que désires-tu ?


    - Je vais prendre ce bol de riz là et le morceau de bœuf là-bas. Je pourrais avoir un fruit aussi ?


    La cantinière lui donna ce qu'il avait demandé puis alla lui chercher une orange. Ce n'était pas du tout un fruit que le lycéen géant appréciait. Rentarou préférait de très loin les pommes, surtout si elles étaient juteuses. Mais sous l'effet de sa bonne éducation, il ne le fit pas savoir et alla s'asseoir pour manger.


    Après le déjeuner, Rentarou remonta dans sa chambre et se remit au travail. Cependant il ne sentit nullement l'envie de poursuivre avec la poésie et ses diableries. Le lycéen géant décida de s'attaquer aux Mathématiques. Il réalisa les nombreux exercices que son professeur avait donné à sa classe pendant son absence. Le jeune homme s'en sortit très bien et les réussit tous.


    En achevant le dernier problème, il se rendit compte l'heure de la séance d'entrainement du club de tennis avait débuté. Rentarou se leva et se changea. Il enfila prestement sa tenue de titulaire : le pantalon, le polo et la veste. Le jeune homme mit également sa casquette noire sur le haut de sa tête. Cela ne faisait pas partie de son uniforme mais se plaisait à la porter.


    Il descendit par l'escalier de secours dont la sortie donnait devant la bibliothèque. Le lycéen géant ressentit une légère bouffée de honte en apercevant la planche de bois qui remplaçait provisoirement la vitre qu'il avait brisé. Rentarou traversa d'un pas rapide l'espace qui le sépara du club et entra dans être vu dans l'un des courts où se trouvait Seiichi en compagnie de six membres de première et seconde années. Un d'eux se tenait devant les autres et apprenait les positions correctes pour utiliser sa raquette.


    - Tu devrais lever un peu plus ta raquette et l'incliner, Chiba-kun.


    Surpris, ses équipiers détournèrent la tête et découvrirent leur buchou.
    - Satsuma-buchou !


    Ils voulurent se précipiter mais Rentarou les stoppa.


    - Ca suffit ! Vous êtes au milieu d'un entrainement et par respect pour celui qui accepte de vous apprendre à vous améliorer, veuillez vous calmer.


    Moqueur, Seiichi laissa retomber ses bras contre son corps et dit avec fatalisme :


    - Ah ! Il vient pour la première fois à un entrainement et il trouve moyen de disputer ses membres dès les premières minutes.


    - Ca ne nous change pas beaucoup, Shiromiya, répliqua insolemment un élève de seconde année. Tu nous fait des reproches toute la séance !


    Rentarou rit et laissa ce groupe tranquille. Il se rendit plus loin où se trouvait celui de Raphael. Le jeune français faisait travailler ses élèves en leur faisant jouer des matches. Ils occupaient deux courts. Placé entre les deux, le lycéen géant observait leur déroulement et évaluaient les qualités et défauts de chaque jeu. Deux élèves se tenaient à ses côtés mais n'osèrent pas lui parler.


    - Ils s'en sortent bien ces petits, s'exclama Rentarou.


    - Ces petits sont en première année comme toi, rappela Raphael qui ne semblait pas du tout surpris de le voir apparaître si soudainement.


    Connaissant la nature peu bavarde de son ami, Rentarou le laissa gérer son entrainement comme il l'entendit. Le lycéen géant se dirigea ensuite vers la salle où était stockée les machines à balles sur lesquelles s'exerçaient seuls une douzaine de ses équipiers.


    Comme ceux ci étaient livrés à eux-mêmes, il en profita pour rester plus longtemps et les observa. Rentarou analysa leurs postures et leurs gestes. Le buchou en corrigea certains et en conseilla d'autres, surtout en proposant de baisser le niveau de difficulté de sa machine.


    Quand il se jugea satisfait de ses observations, Rentarou les laissa poursuivre sans lui. Il alla inspecter le quatrième et dernier groupe. l'adolescent quitta l'enceinte du club, passa devant l'entrée principale du lycée et déboucha dans la cour. Il bifurqua sur la gauche et entra dans le gymnase.
    A l'intérieur, une douzaine d'élèves de première et seconde années s'entrainaient tous seuls. Le lycéen géant remarqua que les exercices les plus fréquents étaient ceux avec les barres parallèles, le cheval d'arçon et ceux au sol.


    Étant donné sa nullité en gymnastique, principalement du à un manque évident de souplesse de son corps, il ne s'attarda dans ces lieux. Le buchou encouragea ses équipiers et les incita à poursuivre leurs efforts avant de s'en aller.


    Vers dix-heures, la séance s'arrêta. L'ensemble des groupes revint devant les vestiaires et s'aligna en rang de cinq personnes, les premières années sur le devant, les secondes dans le fond. Avant le retour aux vestiaires pour se changer et d'écrire le rapport de son entrainement de la journée, Rentarou leur parla.


    - D'abord je vous félicite tous pour les efforts que vous déployez pour améliorer vos capacités. Je vous encourage à continuer et progresser toujours plus. A présent, je dois vous dire …


    Rentarou marqua une pause. Il baissa un instant son regard puis se redressa et reprit.


    - Je dois vous dire que je ne peux pas continuer à être votre buchou.


    Un tolet d'exclamations houleuses se fit entendre. Rentarou eut beaucoup de mal à rétablir le calme avant de poursuivre.


    - Je comprends votre incompréhension. Cependant je ne mérite pas cette place. Celui qui en moins d'un mois a permis au club de prendre un nouveau départ, ce n'est pas moi. C'est Seiichi. Pas moi.


    Se trouvant derrière Rentarou, comme ses autres amis, l'adolescent aux cheveux ébènes ne manifesta pas la moindre réaction à cette nouvelle.


    - Je te remercie d'avoir pensé à moi.


    - C'est normal de rendre justice à ceux qui le méritent.


    Soudain un sourire narquois illumina le visage de Seiichi.


    - Mais je refuse cette promotion.


    - Quoi ?


    - Celui qui a initié ce changement, Rentarou, c'est toi, reprit le jeune ninja. C'est parce que tu as agi le premier, que tu t'es battu contre Kurata, qu'ils ont voulu progresser. C'est de voir tes efforts pour atteindre le niveau que tu avais lors de ton dernier match qui les a motivé. Sans toi, je ne suis pas convaincu que j'aurais pu faire quelque chose. Pour cette seule raison, tu mérites d'être le buchou de ce club.


    - Avant, on avait un buchou qui ne lâchait pas son pouvoir et à présent, notre nouveau buchou veut le rendre mais son successeur n'en veut pas, s'amusa Shintarou. Quelle histoire !


    Sans tenir compte de ce qui se disait derrière lui, Rentarou réfléchit rapidement à la situation. Il trouva une idée pouvant les arranger tous les deux.


    - Dans ce cas, puisque tu refuses ma proposition, j'aimerais que tu deviennes mon fukubuchou.


    - Fukubuchou ? fit Seiichi avec intérêt. Cela signifie que je peux faire beaucoup de choses au club mais celui qui a les ennuis quand il y a des problèmes, c'est le buchou !


    Rentarou sourit.


    Pour conclure leur pacte, les deux meilleurs amis tapèrent leurs mains l'une dans l'autre.


    - Buchou !


    - Fukubuchou !


    Après cette scène, les membres du club partirent dans les vestiaires pour remplir leur rapport et se rhabiller La bande alla elle aussi changer. Ils partirent ensuite ensemble jusqu'au portail.


    - Que faites-vous ce soir ? demanda Takaishi. On sort ensemble ?


    - Pas ce soir, soupira Shintarou. Je vais encore essayer d'apprendre à cette tête de pioche les rudiments des Maths et des kanjis !


    - Tu sais ce qu'elle te dit la tête de pioche ? maugréa Raphael en fusillant le rouquin du regard.


    - Rentarou, Seiichi, vous sortez vous aussi ? s'informa Kou.


    - Nous avons un important truc à faire tous les deux, répondit Seiichi.


    - C'est quoi ? fit Shintarou. On peut savoir ?


    - On part à la chasse au Tyro, s'exclama Rentarou. Souhaitez-nous bonne chance !

     

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