• Chapitre 1

    Chapitre 1

    Ce matin-là, ils s’étaient levés très tôt pour quitter Yokohama, leur ville natale, à bord de la vieille voiture de Yushima. Au contraire de Nobu qui ne laissait aucun regret derrière lui et se sentait réellement soulagé de commencer une nouvelle existence, Rentarou éprouva un pincement au cœur. Malgré le fait que son existence ici lui avait fait vivre beaucoup de mauvaises choses, ressenti une quantité infinie de tristesse et versé de nombreuses larmes, il avait aussi connu pendant une courte période le bonheur d’appartenir à une famille.


    En quittant cet endroit, l'adolescent tentait de se rappeler de la chaleur des souvenirs qui concernait sa mère et sa petite soeur. Ceux-ci remontaient à la surface de sa mémoire et le rendaient nostalgiques.


    A présent, la voiture avait pénétré dans la ville de Tokyo depuis au moins une demi-heure. Elle avait déjà traversé l’arrondissement d’Adachi et se situait actuellement quelque part au milieu celui de Kita, bloquée dans cet océan de véhicules.


    Dans le silence de l'habitacle, Rentarou et Nobu observaient tous deux, chacun d’un côté du siège arrière, le paysage de leur nouvelle ville. Malheureusement, ils ne purent distinguer grand chose. Les hauts immeubles d'habitation leur bouchaient la vue.


    Jetant un rapide coup d’œil à ses deux protégés, Yushima comprenait combien ceux-ci devaient être angoissés par la rentrée et se décida de profiter du contretemps qu’occasionnait cet embouteillage afin de détendre l’atmosphère.


    - Si je ne mettais pas la radio, je jurerais de conduire un corbillard au cimetière plutôt que de mener deux jeunes à l'école, plaisanta Yushima.


    - Je suis désolé, Yushima-sempai, s’excusa Rentarou d’une voix basse, mais je me sens étrange. Pour dire la vérité, je me demande en ce moment si c’était une si bonne idée.


    - Et moi j’ai peur, avoua Nobu en se recroquevillant dans le fond de son siège. Au collège, je vais être tout seul. Comment je peux me défendre ? Je ne sais pas faire ça !


    Jetant un regard vers son ami, Rentarou posa un instant sa main sur sa cuisse ce qui calma un peu le garçon à la chevelure brune emmêlée.


    - Si tu te souviens, Rentarou-kun, je t'avais expliqué que ce serait difficile. Tu n'as pas fréquenté l'école depuis que tu as sept ans. Quant à Nobu-kun, il ne s'y est jamais rendu. Comme je l'avais déjà dit, s'intégrer risque d'être dur. Ainsi si tu souhaites renoncer, il est encore temps. Je peux vous garder tous les deux aussi longtemps que vous le désirez.


    Comme si le conducteur du véhicule avait lâché un odieux juron, le futur lycéen réagit vivement :


    - Je ne renonce jamais ! Quand j'ai décidé un truc, je m'y tiens !

    Yushima laissa échapper un faible soupir avant de sourire ensuite. Il s'était attendu à une telle réaction de la part de Rentarou. Il décida de les rassurer.


    - De toute manière, cessez de vous faire du souci. Vous entrez aux meilleures écoles du Japon. Les jeunes que vous fréquenterez savent se tenir. La plupart ont des parents importants sur le dos. cela les dissuadent souvent de faire de grosses bêtises.


    Comme si leur mentor venait de dire une énormité, le visage de Nobu prit un air sérieux, voire moralisateur.


    - Mais c'est pas possible ça !


    - Quoi donc ? s'intrigua Rentarou.


    - Des parents, c'est des adultes, hein ? Alors imagine un adulte sur le dos d'un enfant ! Il serait complètement écrasé, expliqua Nobu.


    En pensant au nombre d’heures qu’il lui avait consacré afin de lui enseigner un niveau correct en Japonais et en Mathématiques, Rentarou se retint difficilement de pousser un profond soupir de désespoir. Avec beaucoup de patience et de persévérance, il était parvenu à permettre à son petit protégé de rentrer dans un des meilleurs collèges de la capitale nippone en seconde année. Néanmoins, en constatant les lacunes que celui-ci possédait actuellement, le jeune homme aux cheveux de jais estimait qu’il serait plus à sa place de rejoindre les écoliers d’une classe de primaire. Cependant l'adolescent ne dirait jamais cela devant lui. Le futur collègien en ressentirait une si profonde douleur qu’il serait le pire des monstres à la provoquer.


    Quand la voiture s'immobilisa aux abords d'une large grille en fer forgée, dont les deux battants étaient ouverts, le lycéen s'attarda à la contemplation du portail. De loin, Rentarou remarqua que la tête d’un animal était ciselée au bout de chacune des pointes.
    Descendant sur le trottoir, les deux garçons demeurèrent un long instant sans être capable de prononcer la moindre parole puis Rentarou finit par se courber afin de parler à Yushima.


    - Yushima-sempai …. Merci … , marmonna Rentarou en évitant de croiser le regard de son mentor.

     

    Après avoir présenté ses salutations pour dire au revoir, le jeune homme se redressa et s’écarta peu à peu de la voiture. Il se tourna vers Nobu et lui expliqua deux ou trois choses importantes avant de le laisser partir seul à son collège qui se situait un peu plus loin dans la descente, de l’autre côté de la rue.


    A présent qu'il se retrouvait seul au milieu de ce trottoir où les lycéens passaient près de lui, le frôlant presque, Rentarou pensa à la manière froide et directe dont il avait gratifié son mentor et se promit qu’à la fin de ses études, il retournerait le voir et lui présenterait des paroles de remerciement bien plus décentes.


    - Tu voulais que ton papa te donne la main pour entrer ? railla une voix toute proche.

     

    Intrigué par cette phrase, Rentarou se retourna et découvrit face à lui un malicieux garçon très moqueur. En posant son regard sur ses cheveux châtains très clairs dressés sur sa tête en de multiples longues piques dont les deux plus évidentes semblaient former chacune une corne sur le sommet de son crâne, il eut l'impression que ce garçon devait confondre le jour de la rentrée avec le celui d'un carnaval.


    Observant le garçon encore un instant, Rentarou comprit qu’il devait se montrer ferme afin d’être respecté. Cependant il ne fallait pas non plus l’humilier.


    - Je suis interne, révéla Rentarou en s’efforçant de parler d’une voix calme mais forte. C’est la première fois que je quitte ma ville natale pour vivre tout seul.

     

    En son for intérieur, le jeune colosse réalisa que cette affirmation était en fait un demi-mensonge. Certes, il n’avait jamais quitté Yokohama jusqu’à présent mais avait l’habitude depuis très longtemps de vivre seul sans réclamer l’aide de personne.

     

    - Tu es interne ? s’écria le garçon dont le visage s’éclaira. Génial !

     

    Arquant un sourcil, Rentarou ne comprenait pas en quoi le fait d’être interne enthousiasmait tant cette personne. Etre séparé de sa famille était une chose tellement dure à vivre et à supporter.

     

    - Tu le penses vraiment ?


    - D’abord, tu n’as pas tes parents pour te rappeler sans cesse d’étudier. Ensuite, tu n'as pas d'aînés pour prendre ta place car tu es plus petit qu'eux. Enfin, tu n’as pas à surveiller les plus petits sous prétexte que tu es plus grand qu'eux, énuméra t-il en comptant sur ses doigts.

     

    Fixant ce garçon attentivement, Rentarou se demanda si tous les adolescents de son âge partageaient ce même état d’esprit. Il rêvait tant de faire encore partie d’une famille et ne comprenait pas comment on pouvait déclarer vouloir s’en tenir le plus loin possible.


    - Au fait, je m’appelle Sakumai Takahiro, reprit le garçon qui n’aimait pas les blancs dans une conversation. Cependant la plupart des gens m’appellent Tyro !


    - Moi, c'est Satsuma Rentarou.


    Pour bien montrer qu’il connaissait les règles d’usage, Rentarou tendit sa main vers Tyro pour se saluer officiellement entre camarades d’écoles quand il reçut un violent coup dans le dos qui manqua de le faire tomber sur les pavés du trottoir mais il parvint à rétablir son équilibre à temps.


    - Quel abruti, s’offusqua Tyro d’une voix furieuse. Eh toi ! Tu ne pouvais pas attendre une minute avant de descendre ? Tu aurais pu blesser quelqu’un !


    Rentarou grimaça. La douleur ressentie par cet impact lui donnait l'impression que quelqu'un avait essayé d'entailler une partie de son dos. Soucieux de connaitre l'identité de la personne responsable de son état, le lycéen géant se retourna et découvrit un jeune homme de leur âge qui venait de refermer la porte d’une limousine noire. Son regard bleuté paraissait littéralement glacial. La coupe de ses cheveux ébènes était soigneusement équilibrée et ne dépassait que d'un centimètre ses oreilles. Il portait son uniforme de manière très formelle. A savoir : la veste fermée et boutonnée jusqu'au col, la chemise correctement rentrée dans le pantalon et des chaussures de cuir cirées.


    Depuis qu'il était descendu de voiture, Rentarou avait un peu observé les jeunes autour de lui et notait qu'aucun ne s'était habillé ainsi. Comme lui, ils s'étaient contentés de mettre simplement le blazer noir au-dessus de leur chemise verte. Certains aussi, comme Tyro, avaient seulement mis la chemise. D'ailleurs, en parlant de ce dernier, la sienne dépassait grossièrement de son pantalon.


    - Tu as manqué de blesser Satsuma ! Présente tes excuses, s’insurgea Tyro.


    - Je ne vois aucune raison d’accéder à ta requête, répondit le jeune homme d’une voix froide. A présent, me laisserez-vous afin que je puisse accèder à ma salle de classe ?


    Face à un comportement aussi narquois et insolent, Tyro bouillit littéralement. Il détestait plus que tout ce genre de personnes, imbues d'elles-mêmes et pensant être supérieures au commun des mortels plutôt que de s'excuser.


    Il s’apprêta déjà à s’approcher de lui quand le bras gauche de Rentarou lui barra la route et le contraignit à demeurer où il se trouvait tandis que le garçon aux cheveux d'ébène pénétrait à l’intérieur de l’établissement.


    - Tu aurais dû me laisser faire, grommela Tyro en s’écartant.


    - La violence n’est pas une solution, affirma Rentarou d’un ton posé. En plus, ce ne serait pas malin du tout d'avoir des ennuis dès le premier jour.


    Conversant encore un peu avec lui, Tyro s’éloigna ensuite rapidement car il s’était souvenu qu’il devait s’inscrire au club de tennis du lycée.

     

    Rentarou fut à nouveau seul devant cette immense entrée qui aurait permis l'accès à un camion de livraison. Il prit une rapide inspiration afin de rassembler tout son courage et passa le seuil à son tour. La vue du bâtiment quand il eut avancé sur le chemin pavé le cloua littéralement sur place.


    Face à lui, la construction pouvait ressembler à un de ces temples shintoïstes où se rendaient les pieux japonais pour prier les Dieux en raison son toit fortement pentu et couvert de tuiles noires épaisses. toutefois, il nota que l'édifice était assemblé avec des briques et percé de multiples fenêtres.


    Se retenant de siffler, il songea malgré lui qu'une construction de cette taille pourrait abriter au moins cent familles de son quartier natal avant de se remettre à marcher le long de cette majestueuse allée sous les cerisiers en fleur plantés des deux côtés. En parvenant à la grande porte d'entrée taillée dans du chêne massif, il apprit, par une feuille affichée sur la grande porte d'entrée, que les élèves devaient se rendre au bâtiment administratif afin de prendre connaissance de la classe qui leur était attribuée.


    Suivant le flot de ses pairs, il longea les murs et déboucha dans une large cour carrée encastrée par trois épais blocs dont la taille de ceux du fond était plus réduite. Ces deux derniers ne comportaient aucun effet de style d'architecture japonaise. Il s'agissait de simples préfabriqués au toit parfaitement plat.


    En voyant de nombreux jeunes agglutinés autour de panneaux plantés aux abords du plus petit bâtiment, il comprit que c'était l'endroit qu'il cherchait.


    Rapidement, Rentarou traversa la cour et alla lire son nom dans une des différentes feuilles épinglées. Parmi la foule de lycéens dans laquelle il évoluait, ses yeux remarquèrent plusieurs d'entre eux qui parlaient ensemble, commentant les répartitions, se racontant leurs vacances ou se réjouissant ou pleurant presque s'ils apprenaient qu'ils étaient séparés de camarades proches.


    Ne se sentant pas du tout à sa place au milieu de tout ce brouhaha et ne parvenant à comprendre comment on pouvait évoquer des affaires personnelles devant autant de monde, Rentarou se dépêcha de partir pour rejoindre sa classe.


    Se souvenant des informations obtenues grâce aux brochures sur son nouvel établissement scolaire, l'adolescent se souvint qu'une entrée existait dans cette partie du campus. Cela l'empêcherait de refaire le chemin jusqu'à l'allée principale. Ses pas se dirigèrent vers le bâtiment réservé aux cours, le seul pourvu d'un toit pentu. Il s'étonna de découvrir une simple porte taillée dans un bois ordinaire. Elle ne comportait même pas d'ornementation. Quelle différence par rapport à celle du devant !


    En s'aventurant à l'intérieur, Rentarou se sentit perdu au milieu de tous ces couloirs et surtout de toutes ces portes. Chacune menait à une salle de classe différente. Le jeune homme aux cheveux de jais n'avait vraiment aucune expérience dans la fréquentation d'une école.


    Contrairement aux collèges et lycées traditionnels du Japon où les étudiants avaient une salle réservée pour leur classe où ils attendaient leurs professeurs, le lycée de Ryoko Gakuen avait innové. Ici, c'était aux élèves de se déplacer de salle en salle.


    Il venait de monter au second étage après avoir inspecté tout le premier étage mais n'avait trouvé que des classes concernant les arts.


    - Es-tu perdu ? lui demanda subitement une voix calme et maîtrisée.


    Alors qu'il avait seulement posé le pied sur le palier du second étage, Rentarou découvrit devant lui la présence d'une jeune fille sensiblement du même âge que le sien. Malgré ses nombreuses tresses lui tombant sur son chemisier blanc qui aurait pu la faire passer pour une gamine, elle constrastait cette impression avec un air posé et un regard ferme qui renvoyaient sa maturité. Sa condisciple portait également une longue jupe bleue tombant sur ses genoux bien plus bas que celles dont Rentarou se souvenait avoir vu parmi les filles qu'il avait aperçues dans la cour.


    - Je peux m'en sortir tout seul, riposta Rentarou qui ne supportait pas une aide extérieure.


    - Il est presque neuf heures, rappela la jeune fille d'une voix réprobatrice. Si tu continues seul, tu seras en retard. De plus, je serais forcée de signaler que tu as refusé l'aide d'un responsable.


    - Mais je n'ai croisé aucun professeur ou surveillant, protesta Rentarou.


    - Mon nom est Matsuda Yoko, vice-présidente du conseil des élèves, révéla la jeune fille. Je suis aussi responsable de patrouiller dans les couloirs pour accompagner les étudiants perdus vers leur salle en ce jour de rentrée.


    L'adolescent retint une grimace. Décidément, il commençait très mal sa nouvelle existence en se mettant à dos cette fille. Il fallait mieux dans son intérêt placer son orgueil de côté et accepter l'aide qu'elle lui offrait.


    - Je te prie de m'excuser, concéda Rentarou en s'inclinant du buste. J'ignorais tout de tes fonctions.


    Face à ce repentir, Yoko sourit et changea d'attitude bien qu'elle demeurât toujours aussi réservée.


    - Ce n'est rien, assura Yoko. A présent, où as tu cours ?


    - Je cherche la classe de Maths.


    - Tu as cours avec le professeur Hashimoto donc tu es en première année classe D, déduisit Yoko. Ainsi tu es … oui, tu es Satsuma Rentarou-kun, n'est-ce pas ?


    Désarçonné, le jeune homme fixa longuement son interlocutrice. Il était réellement impressionné par une telle rapidité de déduction et d'associations de divers éléments.


    - Tu sais tout sur les élèves ? interrogea Rentarou inquiet que son passé puisse refaire surface.


    - Je sais juste à quoi ressemble chaque étudiant, la classe où il étudie, ses options et les écoles qu'il a fréquentées précédemment, répondit Yoko. A présent, allons-y. Je ne veux pas être en retard.


    Rentarou acquiesça. Il suivit en silence la jeune fille qui le conduisit au troisième étage et le mena au fond du couloir.


    - Ta classe est la porte de droite, l'informa-t-elle. Au revoir.


    Là dessus, elle s'inclina du buste pour le saluer et s'éloigna si rapidement qu'il n'eut pas le temps de lui adresser un mot de remerciement. En lui-même, il songea toutefois que cette fille lui plaisait beaucoup contrairement aux autres qu'il avait entendu jacasser dans la cour. Tandis qu'un sourire illumina son visage, il jugea qu'elle était très mignonne.


    J'ai dit mignonne ? Depuis quand j'utilise ce mot ? On dirait Mayu-chan !


    Il secoua vivement la tête pour chasser ce genre des pensées étranges de son esprit et entra finalement dans sa salle de classe.


    A l'instant où il eut franchi le seuil de la porte, le jeune homme éprouva un sentiment étrange qu'il assimila à de la nostalgie. Autour de lui évoluaient différents petits groupes de deux ou trois occupés à discuter. D'après les bribes qu'il percevait, la majorité des conversations permettaient de se présenter et d'expliquer d'où ils venaient. Il n'y avait qu'un seul élève qui s'était installé à sa place.


    Rentarou se revit quand il était entré à l'école primaire. Tous les enfants discutaient et jouaient ensemble; ils se connaissaient depuis la maternelle; tandis que lui était allé s'asseoir en silence à attendre le début des cours.


    Allant s'asseoir à la place qui lui correspondait, Rentarou tira la chaise en face de la petite table et s'y installa.


    Les choses ne changent pas, pensa Rentarou avec amertume.


    Il remarqua que c'était au bureau à sa droite qu'était assis l'autre étudiant qui ne se tenait pas avec leurs autres condisciples. Ce garçon avait peut-être des ressemblances avec lui pour s'isoler ainsi. Il se devait d'essayer d'engager la communication.


    D'abord, il pivota d'un quart de tour son large corps afin de voir à quoi il ressemblait. Il fut alors frappé de stupeur : c'était le garçon sorti de la limousine tout à l'heure et qui l'avait frappé dans le dos.


    Portant sa main à sa bouche pour se gratter, Rentarou ne sut plus quoi faire. Comment parlait-on à une personne avec laquelle vous n'aviez pas eu un bon échange précédemment ? C'était terriblement compliqué. Pouvait-il lui parler d'ailleurs ?


    Rassemblant tout son courage, Rentarou décida de se jeter à l'eau et osa ouvrir la bouche :


    - Excuse-moi, murmura Rentarou d'une voix faible.


    Il se gifla mentalement. C'était l'interpellation la plus nulle à faire ! Pourquoi s'excusait-il ? D'avoir pris une portière dans le dos ? Il se rendait complètement ridicule.


    Ayant entendu une voix proche de lui, le jeune homme aux cheveux ébènes tourna la tête de quelques millimètres et l'aperçut. Celui-ci garda un visage dépourvu de la moindre once d'un sentiment. Il n'était pas possible de lire s'il se souvenait de lui et encore moins ce qu'il pensait.


    - Nous sommes-nous déjà rencontrés ? fit-il d'une voix totalement neutre.


    Rentarou tressaillit un peu. Il avait déjà oublié l'incident de tout à l'heure ? Ou alors il le feignait pour ne pas discuter avec lui.


    - Je m'appelle Satsuma Rentarou, annonça Rentarou de manière très calme.


    Ayant relevé la tête, Rentarou essayait de se comporter aussi normalement que possible. Il avait adopté un ton et une attitude calme mais à la vérité, le jeune homme était incroyablement nerveux. L'adolescent espérait secrètement que ce garçon ne lui fasse pas un mauvais accueil et que celui-ci puisse devenir son premier ami.


    C'était la première fois, la toute première fois, qu'il tentait d'établir le contact avec quelqu'un. Les jeunes de son âge ressentaient-ils toujours cela ? Cette forte nervosité, l'attente insoutenable le temps que l'autre réponde, l'inquiétude de ne pas avoir fait bonne impression …. Il se sentait chaque minute un peu plus mal à l'aise.


    - Et pourquoi m'adresses-tu donc la parole ? voulut savoir le garçon au visage très pâle.


    - Je voulais juste parler un peu avec toi, répondit Rentarou en retenant sa colère.


    - Je n'ai aucune envie de parler, répliqua son interlocuteur en se replaçant comme avant. Je suis en classe pour suivre les cours et non perdre mon temps avec mes condisciples.


    Cette violente répartie sonna comme un uppercut pour Rentarou. Ses mains posées sur la table se crispèrent. Il avait bien envie de lui dire ce qu'il pensait de cette manière de repousser les autres. Cependant l'adolescent se rappela le serment qu'il avait fait avant d'entrer au lycée et contint sa colère. Il se décida même à faire un gros effort sur lui-même et à continuer le dialogue.


    - Attends, s'écria Rentarou. Dis-moi au moins ton nom !


    - Je n'en vois pas l'intérêt, rétorqua le frêle adolescent qui continuait à fixer le tableau.


    - Je t'ai dit mon nom tout à l'heure, rappela Rentarou d'une voix beaucoup plus sèche. Alors la politesse te recommande au moins de me révéler le tien.


    - Shiromiya Seiichi, lâcha-t-il après un court instant de silence.


    Malgré l'éducation donnée par sa mère lui recommandant de remercier toute personne répondant à la faveur qu'il lui demandait, Rentarou s'en s'abstint, décidé à montrer à son camarade qu'il n'appréciait pas son attitude.


    Plaçant ses mains pour soutenir sa tête, le jeune homme se demanda s'il réussirait vraiment à s'intégrer ici. Sa première expérience lui laissait un goût amer dans la bouche.


    Le professeur Hashimoto finit par arriver dans la classe et immédiatement tous les élèves se précipitèrent pour retourner à leur place et le saluer ensemble.


    Le professeur Hashimoto était un homme relativement jeune aux cheveux bruns coupés très nets et paraissait très sympathique. Il alla se mettre devant le bureau mais resta debout pour saluer ses nouveaux étudiants.


    - Bonjour à vous tous, commença Hashimoto. Je suis Hashimoto-sensei, et je vous enseignerai les mathématiques. Je suis également votre professeur titulaire.


    Le professeur fit une courte pause et en profita pour s'asseoir.


    - Si un d'entre vous aviez un problème cette année, il peut venir me trouver et je m'efforcerais de trouver la solution la plus adaptée à son cas.
     

     

    Durant l'allocution, les étudiants avaient tous adopté une posture susceptible de ne pas alerler la vigilance d'un enseignant. Néanmoins, ils écoutaient seulement par politesse. La majorité se tenait la tête à l'aide de leurs mains ou s'était couchés sur la table, surtout ceux au fond de la salle. Quelques uns jetaient des regards autour d'eux à leurs nouveaux camarades et profitaient de cette séance pour les examiner discrètement.


    Rentarou appartenait à cette seconde catégorie. Même s'il se rendait compte que ce n'était pas poli du tout; c'était même très irrespectueux, de ne pas écouter avec attention une personne en train de prodiguer des explications, le lycéen géant ne pouvait pas se retenir d'examiner avec soin les attitudes des adolescents de son âge.


    Discrètement, Rentarou jetait des coups d'œil autour de lui et compta rapidement l'effectif de sa classe. Avec lui, il l'estima à une vingtaine dont deux filles. Le jeune homme aux cheveux de jais s'interrogea sur les pensées de chacun sur ce premier cours. Quel était l'état d'esprit d'un adolescent le jour de la rentrée ? Il se doutait bien qu'aucun ne devait ressentir ni ses doutes ni ses questionnements. Ces jeunes là ne connaissaient pas les difficultés qu'engendraient la vie. Le lycéen géant se sentait jaloux d'eux. Pour entrer dans ce lycée, il avait dû travailler très dur tandis qu'eux avaient simplement eu la chance de naître dans une famille aisée. Dès leur naissance, ils n'avaient jamais été privés de quoique se soit. Leurs parents leur avaient toujours offert ce qu'il y avait de mieux pour eux : les plus beaux jouets en premier, un excellent professeur de soutien ensuite, une entrée aux meilleures écoles … Comment une personne issue d'un milieu aussi défavorisé de celui d'où provenait Rentarou allait-il arriver à comprendre cette caste ?


    A sa droite, il remarqua que Shiromiya était le seul de la classe à adopter une position parfaite, le dos droit, les mains seulement posées la table, et l'admira. Le lycéen géant ne supportait pas d'être assis sur une chaise sans rien faire et devait vraiment prendre sur lui pour y passer plusieurs heures.


    Fronçant les sourcils, Rentarou fixa encore Shiromiya et eut l'impression de le voir vaciller. Il tourna alors un peu plus sa tête et se concentra attentivement. Son regard se fixa sur le dos du jeune homme et remarqua que celui-ci partait vers la gauche mais il réussissait à se stabiliser et à se remettre droit.


    Rentarou était impressionné par la force mentale de ce garçon. Il n'existait pas beaucoup de personnes à travers ce monde capables de contrôler un évanouissement. A part sa propre mère, bien sur, mais c'était une autre histoire.

    ***


    Rentarou avait six ans. Il faisait ses devoirs, assis à la table de la cuisine. Près de lui, Asuka, une magnifique femme aux longs et soyeux cheveux noirs, s'affairait à préparer le dîner.


    Alors qu'il complétait ses exercices, le petit garçon donnait en même temps de petits regards à la jeune mère. Soudain il remarqua que celle-ci paraissait fatiguée. Elle vacillait fréquemment de gauche à droite mais finissait par récupérer son équilibre et à continuer ses tâches


    Nerveux et inquiet, l'enfant se demanda si sa mère allait bien. Il ne pouvait même pas l'interroger. Chaque fois, elle lui répondait que tout allait pour le mieux et lui cachait toutes ses douleurs.


    Il fut arraché brutalement à ces sombres pensées en percevant un bruit sourd : sa mère venait de s'évanouir sur le carrelage de la cuisine.


    -
    Kaasan ! hurla Rentarou en se précipitant vers elle.

     

     

    ***


    Ses mains posées sur sa table s'étaient mises à trembler à l'évocation de ce souvenir. Rentarou s'était toujours reproché de n'avoir jamais deviné le malaise de sa mère ni rien fait pour l'empêcher de tomber. A présent qu'il était devenu grand et fort, l'adolescent pouvait protéger ceux qui en avaient besoin.


    Reportant totalement son attention sur Shiromiya, Rentarou le fixa davantage décelant ses légers vacillements. Ce garçon était-il malade ? Cela expliquerait son visage si pâle. Les seules fois où le jeune homme aux cheveux de jais avait vu des personnes aussi blanches venaient du fait qu'elles étaient décédées.


    Le lycéen géant s'arracha brusquement à ces réflexions quand il vit que Seiichi tombait beaucoup plus fort et ne semblait pas se redresser.


    Sa force mentale est à sa limite, comprit Rentarou.


    Immédiatement, il se leva et n'eut qu'à ouvrir les bras pour rattraper son condisciple avant que ce dernier ne s'écroule sur le sol. Rentarou espéra secrètement que cela lui permettrait de parler avec lui mais le regard sévère que celui-ci lui décocha lui enleva tous ses espoirs. Il se défit des larges bras de son sauveur et se remit sur ses jambes comme si rien ne s'était passé.


    - Shiromiya-san, est-ce que tout va bien ? interrogea le professeur Hashimoto qui venait d'arriver à la hauteur du quatrième rang.


    - Je vais bien,
    sensei, assura Shiromiya d'une voix très douce, presque mélodieuse. Vous pouvez reprendre votre cours et je vous prie d'excuser ce désagrément.


    - C'est hors de question, Shiromiya-san, rétorqua Hashimoto. Je veux que tu ailles à l'infirmerie pour être sur que tu n'as rien de grave.


    Tournant alors la tête vers Rentarou, le professeur l'observa un court laps de temps avant de reprendre :


    - Comment te nommes-tu déjà ?


    - Satsuma, Satsuma Rentarou, répondit Rentarou inquiet de ce que lui voulait son professeur.


    - Satsuma-kun, pourrais-tu conduire Shiromiya-san à l'infirmerie ? Avec un grand gaillard comme toi, je me sentirais beaucoup plus rassuré, continua Hashimoto en lui souriant.


    - Ce sera un plaisir, Hashimoto-sensei.


    Scrupuleux de se conformer aux bonnes règles de politesse, Rentarou récita une des formules les plus utilisées en effectuant une légère inclination de son buste.
    Quand Rentarou et Shiromiya furent sortis de la classe, l’adolescent aux cheveux ébènes jeta un vif regard sec à son compagnon.


    - Shiromiya-kun, qu’est qui ne va pas ? demanda Rentarou qui essayait de masquer son incompréhension.


    - Cesse de te mêler de mes affaires, lui intima Shiromiya d’une voix très basse et froide.


    Décontenancé, Rentarou ne comprenait absolument plus rien. Il n’avait strictement rien fait de mal. Le jeune homme avait uniquement rattrapé son voisin quand celui-ci s’était évanoui puis accepté de l’accompagner à l’infirmerie. Il ne voyait pas la moindre erreur dans son comportement.


    - Pourquoi dis-tu ça ?


    - Je n’aime pas les gens qui restent avec moi. Je peux m’occuper de moi seul.


    - Si tu ne veux pas parler avec moi, je comprends et j’accepte. Tout le monde ne peut pas s’entendre avec tout le monde, reprit Rentarou. Cependant même si nous ne pouvons pas devenir amis ni camarades, je ne te laisserai pas tomber si tu as un problème !


    Pour la première fois depuis le début de cette journée, il avait parlé avec conviction, sans se soucier du jugement d'autrui ou de faire une bonne impression.


    - Parce que je pense que nous pouvons tous aider si quelqu’un a un problème. Selon moi, c’est même notre responsabilité. Alors si je suis avec toi maintenant, ce n’est pas simplement parce que c'est toi car j’aurais agi pareil pour n’importe qui ! Je ne peux pas tourner mon dos aux gens qui ont des problèmes !


    Un ange passa. Shiromiya finit par mettre ses mains dans les poches de son pantalon et se retourna pour commencer à avancer avec lenteur. Rentarou se décida à le suivre mais s’interrogea intérieurement sur ce que son compagnon pensait de lui à cet instant. Lui-même, il ne savait bien comment interpréter le comportement et l’attitude de son condisciple.


    Lorsqu’ils atteignirent les escaliers, ce fut Shiromiya qui brisa le silence entre eux. Posant sa main droite sur la rampe, il se retourna vers le colosse adolescent aux lunettes de soleil :


    - Tu n’es pas un garçon ordinaire, déclara t-il d'une voix tranquille.


    - C’est …. C’est mal ? voulut savoir Rentarou, très ennuyé puisqu’il essayait d’être aussi normal que possible.


    Toisant son interlocuteur de la tête aux pieds, le visage de l'adolescent aux cheveux ébènes se détendit pour la première fois. Il arbora même un petit sourire avant de se retourner.


    - Je croyais simplement que les gens comme toi n’existaient plus depuis longtemps. Excepté dans un film ou dans un livre.


    Sans attendre la réaction de Rentarou, il descendit l’escalier et son camarade fut forcé de le suivre. Toutefois, le lycéen géant ne saisissait pas le sens de cette phrase qu’il venait de lui dire. Était-ce un compliment ou une critique ? Devait-il modifier son attitude ?


    Les deux jeunes gens finirent par sortir du bâtiment où se déroulait les cours puis Shiromiya guida Rentarou vers le second bâtiment faisant angle avec celui qu’il venait de quitter puis à l’intérieur.


    - Ici c’est le bâtiment de la vie scolaire. Au rez-de-chaussée, tu trouves le réfectoire pour les internes, l’infirmerie, la bibliothèque et les salles communes réservées aux internes. Aux étages, c’est l’internat.


    - Je le savais, mentit Rentarou qui détestait passer pour un idiot.


    - Lorsqu'une personne arrive dix minutes avant le début d'un cours alors qu’elle se trouve sur les lieux depuis au moins une heure, soit elle a décidé de faire du tourisme et de visiter l'école dans les moindres détails soit elle s’est perdue, répliqua Shiromiya d’une voix neutre.


    Les joues de Rentarou s’empourprèrent face à la pertinence de cet argument qui démontait totalement son mensonge. Il marmonna un vague mot d’excuse trop honteux pour ajouter autre chose en détournant la tête.


    Tous deux marchèrent encore un peu dans le couloir jusqu’à ce que Shiromiya se soit arrêté face à une porte sur laquelle était apposé la plaquette où l’on lisait le mot infirmerie.


    - J’y vais, déclara Shiromiya en posant sa main sur la porte. Reste là.


    - Tu es vraiment sur ? l’interrogea Rentarou. Ca ira ?


    - Tu veux me voir nu peut être ? lança t-il en utilisant à nouveau sa voix froide. Alors laisse-moi !


    N’insistant pas davantage, Rentarou recula de quelques pas tandis que son condisciple pénétra à l’intérieur de l’infirmerie.
    S’adossant au mur, le jeune homme se laissant glisser contre le mur jusqu’à se retrouver à terre. Il se sentait totalement vidé et découragé et la matinée n’était même pas encore terminée.


    Je crois que j’ai commis une erreur en m’inscrivant ici. Cependant je me suis résolu à entrer au lycée et à y rester donc je ne peux pas abandonner. D'ailleurs je ne le veux pas. Je n'abandonne jamais. Je veux toujours lutter jusqu'à réussir.


    Plongeant ses mains et emmêlant ses cheveux, Rentarou n’arrivait toujours pas à se relever malgré les encouragements et les ordres qu'il se donnait à lui-même.


    J’aimerai juste comprendre ce qui se passe autour de moi. J’aimerais juste que les autres me parlent. J’aimerais bien être normal aussi. Mais ça, ça ne se fera jamais.


    Pourtant Rentarou savait déjà qu’il ne serait jamais un individu normal. Il était différent des autres, différent des jeunes, différents des adultes. Tellement différent qu’il n’appartenait à nulle part.


    J’ai pas demandé à être différent. Je voulais juste une vie normale et heureuse. Pourquoi moi ? Je ne demande pourtant pas grand chose … 


    Brusquement, Rentarou s'arracha à cet état de déprime dans lequel il commençait peu à peu à tomber et se releva d'un seul bloc. Il s'était fixé un but et devait s'y tenir.
    Sur cette décision, l'adolescent retourna en classe pour apprendre à se comporter comme n'importe quel lycéen.

     

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  • Commentaires

    1
    ExhibitionLitteraire
    Mercredi 21 Décembre 2011 à 10:54

    Yep yep, c'est plus lisible comme ça, cependant je ne vois toujours pas le texte aligné, doit y avoir un bug vu qu'hier déjà tu pensais que ça l'était.

     

    Zoubi de Carmi ~

    2
    Caïus Ceasar Profil de Caïus Ceasar
    Mercredi 21 Décembre 2011 à 10:58

    O ! Mon premier commentaire ! Merci ma Carmi ^^

    Hum .. j'essaierais de revérifier au niveau de l'alignement. Enfin, je ne me fierais pas à mon sens de l'observation pour dire si c'est aligné ou non. Mes yeux sont incapables de distinguer ça -_-

    Enfin merci de ton passage :)

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    3
    Dimanche 4 Novembre 2012 à 20:15

    Je lirai ça ! Oui, et je laissera mon avis !

    Cependant y a trop d'espaces et on ne remarque pas les paragraphes.

     



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