• Chapitre 20

    Chapitre 20


    En sortant de la salle de bains où il venait de prendre une rapide douche, Rentarou croisa la masse d'internes tout juste émergés du sommeil, les yeux à demi fermés, et la fendit en deux énergiquement pour descendre au réfectoire. Là, il attendit une dizaine de minutes avant de recevoir un bol de riz, une soupe miso et une orange. Le lycéen géant se chercha ensuite une place.


    Comme chaque matin, vers sept heures, les lieux étaient quasiment déserts. Il retrouva Seiichi dans le fond de la salle et s'installa à sa table après l'avoir salué et demandait la permission de manger en face de lui. Ses yeux détaillèrent brièvement le plateau de son condisciple qui débordait de denrées. Le jeune homme aux cheveux de jais comptabilisa quatre parts de gâteaux, deux pâtisseries, une assiette de soupe miso, un bol de riz et cinq fruits.


    - Même Tyro ne mange pas autant.


    - Quand de bonnes choses sont disponibles, il faut en profiter, sourit Seiichi avant d'avaler un éclair au chocolat en une seule fois.


    Rentarou se tût et joignit ses mains l'une contre l'autre. Sa tête se courba légèrement, les yeux dirigés vers la nourriture, pour réciter mentalement la prière du Notre Père suivi du Bénédicité. Au début, l'adolescent aux cheveux ébènes ne s'en préoccupa nullement. Il s'attelait déjà à sa mission d'engloutir son petit-déjeuner à la vitesse du Shinkansen. En prenant sa banane, le jeune ninja remarqua que son camarade ne touchait pas à son repas.


    - Satsuma-han ? l'appela t-il dans un murmure.


    Concentré sur son rituel, le lycéen géant ne répondit pas et continua sa récitation. Une fois cette tâche achevée, il se redressa et se saisit des baguettes pour consommer le riz.


    - Puis-je savoir ce que tu faisais ?


    - Une prière de remerciement pour le repas, répondit Rentarou quelque peu gêné.


    La tête penchée, le lycéen géant espéra que son condisciple ne chercherait pas à en savoir davantage sur le sujet et se concentra à vider son bol. Seiichi maintint un regard interrogatif sur lui quelques minutes en avalant sa banane puis se décida à oublier l'incident. Du moins, temporairement. Car le jeune ninja n'était absolument pas le genre de personne à abandonner. Quand il ne comprenait pas quelque chose, celui-ci avait le besoin de réfléchir au problème et de l'analyser dans les sens afin d'entrevoir la solution.


    La matinée se déroula sans heurt jusqu'au moment du déjeuner. Comme tous les Mercredi, Rentarou se ridiculisa dans le gymnase en s'étalant sur le sol au moins une dizaine de fois. A cette humiliation hebdomadaire s'ajouta la retenue que lui donna Noda, le professeur de Japonais, pour avoir oublié le livre étudié actuellement lors de ses cours dans sa chambre. Le lycéen géant ressentit de l'irritation suite à cette punition qu'il considéra d'injuste. C'était la première fois qu'il oubliait de prendre une affaire ! L'enseignante l'interrogea ensuite une demie-heure afin de tester ses connaissances sur cet ouvrage omis mais Rentarou sut triompher de cette épreuve.


    En retrouvant sa bande, l'adolescent vociféra sa mauvaise humeur :


    - Je déteste le Mercredi !


    - L'année prochaine, ce sera le Vendredi. Et celle d'après, le Lundi.


    A l'exception de Seiichi, ses camarades rirent de la boutade de Tyro.


    - En plus, la journée n'est pas finie, ajouta Seiichi en en entamant son troisième sandwich.


    - Je suis sûr que Rentarou a bien révisé pour le contrôle d'Anglais, rétorqua Shintarou en toisant son rival aux cheveux ébènes d'un sombre regard.


    - Do you think to achieve the test ? demanda le jeune ninja, les yeux bleus océan brillant de malice, à Rentarou.


    Paniqué, le lycéen géant tenta de garder son calme et analysa mot par mot la phrase. Il les reconnut plus ou moins sauf celui du milieu.


    - Ca veut dire quoi achieve déjà, Shiromiya-kun ?


    Affligé par le niveau de son ami, Shintarou se couvrit le visage de sa main droite et poussa un long soupir de désespoir.


    - A quoi ça sert que je te fasse des fiches super précises ? s'agaça t-il.


    - Mais je m'en sers. Je fais plein d'exos. Ca ne veut pas rentrer !


    Brusquement, une idée lui traversa l'esprit et se retourna vivement vers Seiichi. Les mains jointes, il s'aplatit totalement dans l'herbe face à lui.


    - Shiromiya-kun, s'il te plait aide-moi ! C'est un service super important d'homme à homme que je ne te demanderais qu'une seule fois dans ma vie !


    - Non, refusa Seiichi d'une voix sèche et définitive.


    - Allez ! On est juste à côté, insista Rentarou en se redressant. Personne ne verra rien.


    - Si je t'aide aux contrôles, tu ne pourras jamais progresser.


    - Ca m'ennuie de le dire, intervint Shintarou, mais pour une fois, je suis d'accord avec Shiromiya.


    - Pourquoi personne ne veut m'aider ?


    - Moi, je suis étonné que tu sois si mauvais en Anglais, dit Tyro en se joignant à la conversation. Tu retiens le moindre truc sans effort alors ça ne devrait pas être si difficile.


    - C'est pas pareil, bougonna Rentarou.


    - Tu te souviens pas de la fois où ma mère essayait de faire apprendre à ma petite sœur sa poésie ? Tu l'as entendu une seule fois et tu l'as retenu.


    - Rentarou a toujours fait ça, ajouta Kou. En primaire, il étonnait tout le monde à retenir plein de kanjis alors qu'on galérait à en mémoriser trois.


    - Tu apprends vraiment si vite ? s'interloqua Shintarou bluffé.


    - Ce n'est pas difficile, protesta Rentarou. Quand je lis un texte ou j'écoute quelqu'un, mon cerveau imagine ce qu'il veut dire et ça permet de le graver dans ma mémoire.


    - C'est pas mal comme capacité, reconnut Takaishi. Mais pourquoi tu l'utilises pas pour l'anglais ?
    - Je ne peux pas. Ca ne marche que si j'ai vraiment envie d'apprendre. Même en me forçant, je retiens toujours très difficilement si je ne suis pas motivé.


    - Comme un enfant, conclut Seiichi en s'arrêtant de manger son cinquième sandwich.


    - Je ne suis plus un enfant, se vexa Rentarou.


    - Je n'ai pas dit cela, reprit Seiichi à la manière d'un professeur. Tu possèdes simplement une intelligence et des capacités de travail différentes de celles de pairs. Généralement, cela traduit le signe d'un enfant précoce. Certains enfants précoces sont attirés vers la réussite et visent le plus haut sommet pour dépasser n'importe qui alors tandis que la seconde partie se sert de ses facilités pour se maintenir au niveau de ses camarades normaux. Egalement ils sont dotés d'une grande hypersensibilité ce qui les pousse à se croire responsables de beaucoup d'événements pourtant non liés à eux et à se préoccuper du sort des autres.


    Durant ce long monologue explicatif du frêle adolescent aux cheveux ébènes, personne ne broncha et écouta sagement ses propos, visiblement impressionnés par ses connaissances sur le sujet et sa propension à s'exprimer aussi aisément.


    Rentarou se révéla le seul à ne pas aimer pas cette analyse. Elle décrivait un portrait beaucoup trop ressemblant de sa personnalité. En aucun cas, il ne souhaitait être un enfant plus doué que les autres. Le jeune homme aux cheveux de jais voulait seulement se tenir au même niveau que ses condisciples.


    - Vous êtes au courant de la sortie pour Vendredi de la semaine prochaine ? demanda t-il afin d'orienter la conversation sur un autre sujet.


    - Le projet le plus nul qui soit, bougonna Tyro en bougeant afin de ranger, ou plus exactement fourrer, son bento quelque part au fond de son sac.


    - Moi, je trouve ça cool les excursions dans la nature, intervint Takaishi. J'aurais bien aimé participer à celle que notre collège avait organisé en seconde année. Mes parents ont refusé que je participe de peur que je puisse me blesser.


    - C'est pas cool ! s'écria Tyro avec rage. On te force à te lever à six heures, à prendre un bus qui t'emmène à une forêt super loin, tu te blesses avec des tas de ronces et tu reviens plus crevé que si tu avais joué un match de six heures !


    - On a compris, dit calmement Kou. C'est pas ton truc les sorties natures.


    - Moi, j'ai trop hâte d'y être, s'exclama Shintarou en se levant tant il frémissait sous le coup de l'excitation. Je me demande quels animaux on pourra voir là-bas ! Je ne connais pas du tout les forêts de Honshu ! Y a t-il des différences avec Hokkaido ?


    Depuis qu'ils fréquentaient le petit rouquin, ses amis ne s'étonnaient plus de ses multiples crises d'excitation. Cela devenait coutumier. Néanmoins, celle du moment battait tous les records.


    - Pourquoi tu adores tant la nature, Shintarou ? s'informa Rentarou.


    - J'ai grandi avec, répondit-il simplement avec un large sourire. Et puis je veux devenir vétérinaire et soigner tous les animaux qui ont besoin d'aide alors je dois apprendre à savoir tout sur eux et leur environnement pour leur rendre service.


    - Vétérinaire … , murmura Takaishi dans un souffle. Ca demande de longues années d'études.


    - Shintarou ne doit pas être effrayé. C'est le meilleur en sciences et en maths, claironna Rentarou.


    - En tous les cas, c'est un beau rêve, déclara Kou. J'espère pour toi que tu le réaliseras.


    Au cours de la conversation, la tension survoltée du jeune homme baissa progressivement et celui-ci se rassit sagement sur le sol.


    - Mais vous, vous avez des rêves comme ça ? demanda Shintarou curieux.


    - Eh bien, ce n'est pas une surprise, répondit spontanément Tyro. Je veux devenir le meilleur joueur de tennis au monde ! Number one !


    En parlant, se vantant surtout, Tyro ne put s'empêcher de rire un peu bêtement. Brusquement, le jeune tennisman réalisa que son attitude risqua de le discréditer aux yeux de ses amis. Légèrement embarrassé, il passa sa main derrière sa nuque et reprit la parole avec une voix plus calme.


    - Enfin c'est juste un rêve. Dans la réalité, je me doute que devenir pro sera très dur, encore plus que je ne le pense actuellement. M'imposer dans le circuit encore plus.


    Il marqua un court temps de pause pour rassembler ses pensées et poser les mots justes dessus.


    - Cependant je veux voir jusqu'où je suis capable d'aller. Surpasser mes faiblesses peu à peu est le truc que j'adore le plus au tennis.


    - C'est une manière de vivre originale, estima Takaishi.


    - A toi, Taka-chan, répliqua Tyro en se tournant vers lui. C'est quoi ton rêve à toi ?


    Les joues du jeune homme rosirent un peu de cette question. Il abaissa la visière de sa casquette, jusqu'à ses yeux avant de répondre.


    - Je … j'aimerais devenir pâtissier, avoua t-il très embarrassé.


    - C'est vrai ? s'exclama Tyro en salivant à cette pensée. Tu me feras plein de gâteaux gratuits, hein ?
    - Tu es bon en cuisine ?


    Nerveux, le petit rouquin se remémora les explosions fréquentes en cours de chimie à la table de ses amis. A chaque fois que cela se produisait, le responsable se révélait être soit Seiichi soit Takaishi.


    - Je ne cuisine pas souvent mais je me débrouille bien, répondit t-il encore gêné. A l'hôpital, une aide-soignante s'occupait de me distraire en cuisinant quelques fois avec moi. Mais à la maison, je ne peux plus m'exercer. Mes parents sont trop effrayés que je puisse me blesser.


    - Tes parents pensent que tu as encore cinq ans ? s'étonna Tyro qui essayait toujours en vain d'échapper aux corvées que sa mère voulait lui donner.


    - Mes parents sont très inquiets pour moi depuis que je suis tombé malade.


    - C'est en cuisinant à l'hôpital que tu as eu envie de devenir pâtissier ? s'intéressa Kou.


    - Absolument pas, nia Takaishi en retrouvant un visage plus serein. C'est en me souvenant combien je me sentais heureux chaque fois que je mangeais un gâteau à l'hôpital. J'avais toujours peur de ce qui allait arriver mais dès que je mordais juste un bout, je me sentais mieux. C'est pourquoi je veux moi aussi cuisiner plein de gâteaux pour aider les gens à se sentir mieux.


    - C'est un projet génial, s'exclama Rentarou enthousiaste.


    - Mais il ne faudra pas oublier d'envoyer une boite par mois à tes copains, plaisanta Shintarou.


    - Moi, je pensais plutôt à une par semaine, soupira Tyro.


    - Kou-kun, c'est à ton tour, annonça Takaishi afin de faire oublier leurs illusions à ses deux amis.


    Un peu ennuyé, Kou passa la main sur ses cheveux ras en faisant la moue. Il se laissa ensuite lourdement tomber sur l'herbe.


    - Je ne sais pas du tout ce que je veux être, confessa t-il en soupirant. Il y a plein de trucs chouettes que j'aime mais rien qui m'attire spécialement.


    - Je suis sur que tu trouveras un jour, le rassura Tyro compatissant.


    - Au pire, tu seras un salaryman. Au moins, tu gagneras bien ta vie, émit Shintarou. C'est déjà ça.


    Vexé par la proposition du rouquin, Kou se releva vivement.


    - C'est bien la dernière chose que je veux être ! tempêta t-il avec fureur.


    - Passons à la suite, proposa Takaishi pour ne pas créer d'incident. Shiromiya-kun ?


    Depuis le moment où la conversation s'était orientée vers ce thème, Seiichi avait craint de voir son tour arriver. Son visage s'était fermé, redevenu totalement impassible, et évitait d'esquisser le moindre commencement d'un sourire.


    - Que se passe t-il, Taka-han ? demanda t-il très poliment.


    - Arrête un peu, Shiromiya, râla Shintarou toujours agacé par la présence de son ennemi. On se raconte nos rêves et nos projets ! T'en as forcément un !


    - Au regret de te contredire, je n'en ai aucun, exposa Seiichi d'un ton froid et sec. Dans ma famille, les enfants sont à disposition de leurs parents. Quand je terminerai le lycée, je rentrerai chez moi et je devrais obéir aux desseins que ceux-ci ont pour moi. Puisque je ne peux pas choisir ce que je peux faire de ma vie, il est donc inutile de penser à des choses aussi futiles que des rêves.


    L'assistance accueillit son propos avec un véritable choc. Aucun d'eux ne put imaginer une vie pour laquelle il ne pouvait pas décider un minimum de choses. Détestant apitoyer les autres sur son sort, l'adolescent aux cheveux ébènes se tourna vers Rentarou.

    - Satsuma-han, as-tu une idée de comment tu veux vivre ?


    - Je veux être policier, révéla Rentarou d'un ton très grave et sérieux.


    Il ne voulut rien ajouter de plus à ce sujet. La majeure partie du temps, ses amis se moquaient assez de lui pour ses réactions puériles ou exagérées. En racontant la motivation de sa vocation, il eut peur de s'attirer davantage leurs plaisanteries.


    - Policier ? Comme Keniichan alors ! s'exclama Tyro. C'est cool !


    - Toi ? Tu veux être policier ? s'étonna Kou d'une moue explicite.


    Rentarou serra fort les dents et s'obligea à enfoncer ses poings dans l'herbe. Ce commentaire acide déclencha une envie très forte de décocher un coup de poing dans la mâchoire ou le torse de Kou. Rien qu'à l'intonation de sa voix, il devina que celui-ci faisait allusion à son passé. A cette époque où le garçon trainait dans les rues et prenait un féroce plaisir à provoquer les policiers. Plusieurs fois, son insolence avait poussé le vice à les narguer devant un koban ou au commissariat de la ville. Il ne tolérait pas ce genre de remarques de Kou. Rentarou commençait seulement à lui pardonner et à apprécier de se trouver en sa compagnie mais n'acceptait toujours pas de l'entendre évoquer le passé.


    - C'est ma vie et je fais ce que j'en veux, lui répliqua t-il d'une voix très sèche qui surprit le reste de la bande.


    Un oppressant silence suivit cette intervention musclée. Tyro la rompit avec l'habituel dynamisme qui le caractérisait.


    - Tu as raison, Rentarou. Mais qu'est qui te motive dans ton choix ?


    - Je n'ai pas envie d'en parler, rétorqua t-il.


    - Allez, Rentarou, le pressa Shintarou en lui tirant la manche de sa chemise. On a tous parlé de nos rêves ! Explique-nous le tien !


    - Il a dit qu'il ne voulait pas en parler alors laissez le donc, ordonna Seiichi d'un ton aussi tranchant qu'une lame de rasoir. Un rêve est la chose la plus précieuse, personnelle et secrète d'un individu. Lui seul a tout pouvoir d'en user comme il le désire. Il peut le raconter mais peut très bien ne pas le faire. Et celui qui le force à en parler commet un acte impardonnable.


    - Je ne pensais pas à mal, bredouilla le rouquin. Désolé si ça t'a blessé, Rentarou.


    - Ce n'est rien du tout, Shintarou, lui pardonna le lycéen géant avec un sourire.


    - En tous les cas, Seiichi est vraiment cool, s'exclama Tyro.


    - Je ne suis pas cool du tout, Tyro, réfuta Seiichi en reprenant son air impassible.


    - Si. Je trouve vraiment ça cool la manière dont tu interviens dans une discussion quand il y a un truc qui te convient pas, insista Tyro.


    - Et bizarrement quand il s'agit d'une certaine personne à lunettes, ricana Shintarou.


    - On dit que tout le monde a un ange gardien, ajouta Taka-chan en fermant les yeux. Quelqu'un qui nous protège contre tous les dangers qu'on rencontre.


    Baissant la tête, Rentarou se sentit complètement démoralisé à entendre cette dernière phrase. Il se laissa tomber brutalement en arrière et contempla longuement le magnifique ciel bleu qui s'offrit à sa vue. Croisant ses bras derrière sa tête, l'adolescent fixa un nuage parmi tant d'autres, le regard voilé.


    - Il n'existe pas de chose comme les anges, murmura t-il.


    Intrigué par cette subite déclaration, Seiichi le dévisagea en arquant un sourcil. Il se rappela les scènes fugaces entrevues à l'heure des repas où son compagnon priait.


    - N'es-tu pas croyant ?


    S'aidant de ses mains, le lycéen géant se redressa et pivota légèrement vers son interlocuteur.
    - Je crois en les humains et au fait qu'ils soient capables de bonté et de générosité. Je crois en le fait qu'il n'est jamais impossible d'atteindre un objectif si on le désire réellement. Mais je ne crois pas en un Dieu ou toutes sortes d'esprits qui régiraient notre monde.


    - Je trouve en effet ça absurde, approuva Tyro en levant la tête un court instant. Il y a trop de monde sur Terre pour pouvoir tous nous surveiller.


    - Mais les esprits qui nous protègent sont partout. Il suffit juste de les imaginer et de penser fort à eux pour s'en rendre compte, dit Takaishi très détendu.


    - Pour parler franchement, je ne suis pas convaincu mais je garde l'esprit ouvert, intervint Shintarou. Si j'ai une preuve de leur existence alors j'y croirais.


    - Il n'y a jamais preuves, juste des doutes et des interrogations, ajouta Seiichi dont le regard sembla se perdre dans la contemplation des nuages blancs.


    Les yeux toujours rivés vers le ciel bleu, il continua sans se rendre compte réellement qu'il livra des détails importants de son existence à des personnes qu'il connaissait à peine.


    - Je ne sais toujours pas si je crois ou je ne crois pas. Pourtant quand mon grand-père est mort, je ne voulais plus croire. J'avais tant prié pour qu'ils permettent à quelqu'un de le sauver mais personne n'a rien fait. J'étais si triste et déprimé que je voulais mourir. J'ai essayé. J'avais attendu que les enfants de ma classe soient sortis et j'ai ouvert la fenêtre. Il pleuvait depuis le matin. Cependant la pluie s'est arrêtée à ce moment et un arc-en-ciel est apparu. J'ai regardé puis j'ai pris des pinceaux et j'ai peint. Souvent, je me demande s'il s'agit d'un simple hasard ou le moyen de sauver ma vie.


    Pendant son long exposé, personne n'osa l'interrompre, et après, personne n'osa rien dire non plus. Ils ne surent qu'ajouter à la suite d'une histoire si émouvante.


    En réalisant qu'il venait de divulguer son histoire la plus précieuse et intime, Seiichi n'arriva pas à le croire. Il n'en revint pas d'avoir confessé si facilement son secret le plus important. Cet émoi demeura intérieur. Son visage conserva toujours une absence totale d'émotion. Son esprit inventa ensuite un moyen pour se dépêtrer de cette dangereuse situation.


    De sa main droite, il détacha une montre à gousset de son pantalon et l'ouvrit pour lire l'heure puis redressa la tête vivement vers ses compagnons et se leva ensuite.


    - Il est temps de rentrer, annonça t-il gravement. Il reste environ un quart d'heure pour prendre nos affaires à la salle aux casiers et aller en cours.


    - C'est vrai que Rentarou serait fâché d'arriver en retard, songea Shintarou en éclatant de rire.


    - J'y pensais justement, confirma Seiichi avec une lueur de malice dans son regard bleu océan. Il a hâte de commencer l'interrogation d'Anglais.


    - JE VOUS DETESTE LES GARS !!!


    L'après-midi fila très vite même si la première heure sembla s'écouler très lentement aux yeux de Rentarou. Les yeux rivés sur la pendule au-dessus du tableau, il ne cessa d'espérer que les aiguilles atteignent vite les chiffres deux et quatre salvateurs. Au cours de la séance, le lycéen géant eut de la chance car le professeur Aizawa avait décidé de tester le niveau de connaissances orale de ses étudiants et ne l'interrogea jamais. Toutefois, elle le rendit extrêmement anxieux car à chaque question posée, ses yeux se posèrent sur le jeune colosse ce qui lui donna la désagréable impression qu'il allait être nommé avant d'appeler un autre élève une minute plus tard.

    A la fin de ce supplice, Rentarou s'empressa de prendre son sac et partit dans les premiers pour une rare fois. Il fut trop effrayé que son professeur puisse trouver un moyen de le retenir. L'adolescent se rendit à son cours de Droit et étudia durant une heure avec quatre autres garçons et une fille de nouvelles notions du droit civil. Depuis trois semaines, le sujet portait sur la famille.


    Quand l'heure s'acheva, Rentarou et ses condisciples parlèrent encore un quart d'heure avec le professeur Yamaguchi pour terminer leur leçon. Le lycéen géant rassembla ensuite ses affaires et descendit au rez-de-chaussée pour aller à son casier.


    - Je t'attendais, dit Seiichi adossé nonchalamment contre le mur.


    - Tu pouvais m'attendre au club, fit Rentarou en ouvrant son casier.


    - Tu n'as pas remarqué que nous sommes de corvée apparemment.


    - Encore ? s'exclama Rentarou en lâchant son sac sous le coup de la surprise. Mais j'étais déjà de corvée la semaine dernière ! Normalement, ça doit tourner entre tous les élèves d'une même année.


    - Dans ce cas, celui qui était à ta place normalement aujourd'hui a du effacer son nom et inscrit le tien à sa place.


    - On peut vraiment faire ça ? demanda t-il en se retournant vers son camarade.


    - C'est une simple ardoise devant la porte d'entrée du lycée. N'importe quel étudiant est capable d'effacer un nom et d'en rajouter un autre, expliqua Seiichi en soupirant de sa naiveté.


    - Et on doit nettoyer quel étage ?


    - Les deux responsables de troisième année ont choisi le rez-de-chaussé et les deux de seconde année le troisième étage.


    - Super ! On doit donc se taper le nettoyage de deux étages ! En plus, le second étage comporte tant de salles … Et les élèves collent toujours plein de chewing-gun sous les tables …


    Maugréant un peu, il fourra son sac dans son casier et referma plus brutalement qu'à l'accoutumée la porte. Les deux garçons quittèrent la pièce et montèrent au premier étage. Ils commencèrent à nettoyer tous les tableaux des différentes classes puis se résignèrent à gratter les vieux chewing-gun oubliés sous les tables.


    - Shiromiya-kun, le nettoyage est fait tous les jours après les cours, hein ? fit Rentarou en rampant pour sortir de sous une table.


    - Bien sur. C'est l'une des valeurs essentielles du Japon qui nous enseigne la modestie et l'humilité. Il est impensable qu'il ne soit pas accompli, exposa Seiichi d'un ton impérieux.


    - Mais alors pourquoi le dessous des tables est sale ? Si c'est fait chaque jour, il ne devrait pas avoir tant de chewing-gun à gratter.


    - Malheureusement les citoyens et futurs citoyens de ce pays deviennent paresseux et n'ont plus le goût de l'effort, soupira Seiichi. Ils se contentent de nettoyer les parties visibles.


    - Alors pourquoi on le fait nous ?


    - Parce que nous remplissons correctement notre devoir.


    Se pinçant légèrement les lèvres, Rentarou ne fut pas pleinement satisfait de ces réponses mais ne protesta pas. Il se contenta de ramper sur le dos sous une autre table et de tendre ses bras pour gratter à nouveau. Les deux adolescents consacrèrent trois heures à polir le dessous de la vingtaine de tables que comptaient chacune des dix salles de classe de chaque étage. Au sortir cette épreuve, leurs bras semblaient s'être alourdis de plusieurs kilos à cause de la fatigue.


    Pour en terminer avec la corvée de ménage, ils se séparèrent et mirent toutes les chaises sur les tables. Les garçons balayèrent ensuite pour laver le sol des classes et des couloirs.
    Quand ils descendirent pour retourner à la salle des casiers prendre leurs affaires, Seiichi prononça un mot qui étonna son camarade.


    - Satsuma-han ?


    - Shiromiya-kun, qu'est-ce qu'il y a ?


    - En ce qui concerne Tyro, je me demandais si nous devrions lui parler de la porte.


    - La porte ?


    - Celle qui tu as trouvé une semaine après la rentrée.


    - Mais elle ne lui sera pas utile, objecta Rentarou. Il est externe et peut sortir quand il veut.


    - Tu oublies qu'il est déjà resté plusieurs enfermé dans l'enceinte du campus. Si nous lui parlions de la porte, cela lui sera aussi utile qu'à nous deux.


    - C'est vrai. J'oubliais ce détail. En plus, Tyro est quelqu'un en qui on peut avoir confiance.


    A la fin de cet échange, tous deux ne s'adressèrent plus la parole. Pendant ce temps, ils terminaient de descendre les dernières marches qui les conduisaient au rez-de-chaussée. Seiichi brisa le silence, quelque peu nerveux.


    - Satsuma-han ?


    - Qu'est-ce qu'il y a, Shiromiya-kun ?


    Le teint de Seiichi était devenu subitement rouge. Malgré son aisance naturelle à s'exprimer, il avait du mal à rassembler ses mots.


    - Je ... Si tu veux, tu peux m'appeler Seiichi.


    Rentarou fut stupéfait d'entendre cette permission. Cela faisait un long moment qu'il avait renoncé à l'espoir de dévelloper une relation normale avec Seiichi.


    - Vraiment ?


    - Oui. Tyro m'appelle Seiichi. Et moi, je l'appele Tyro. Alors tu peux aussi m'appeler Seiichi.


    Le lycéen géant rit doucement.


    - Super, Seiichi ! Seiichi ? Tu peux m'appeler Rentarou, toi !


    Tout en parlant, les garçons avaient continué à marcher. Ils se tenaient maintenant dans le fond de la salle des casiers et s'occupaient de prendre leurs affaires pour leur travail de ce soir.


    - As-tu des projets pour ce soir ?


    - A part résoudre les équations d'Hashimoto, pas vraiment.


    Seiichi garda le silence un court instant puis ouvrit à nouveau la bouche.


    - Rentarou, pourras-tu m'aider à résoudre ces équations ?


    Malgré la surprise que lui procura cette requête, le lycéen géant fut enchanté de partager un autre moment avec son condisciple.


    Rentarou n'était pas encore capable de comprendre comment fonctionnait son nouvel ami. Le sourire aux lèvres, il se sentit merveilleusement bien. De toute sa vie, l'adolescent ne rappela pas d'avoir été aussi heureux qu'au cours de cette semaine. Chaque jour se révélait plus magnifique que le précédent. Son esprit pensa au week-end qui approchait et souhaitait y être rapidement.

     


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