• Chapitre 32

    Chapitre 32


    - A nous les joies de la plage ! s’époumona Tyro.


    Échangeant un regard entre eux, Rentarou et Seiichi eurent la nette impression de se tenir au côté d’un écolier de troisième année plutôt qu’avec un camarade de classe de leur âge. Se tenant à leurs côtés, Yoko se contenta de sourire. Elle se baissa ensuite pour ramasser une poignée de sable et le jeter dans le dos de son rival. Immédiatement, celui-ci se retourna et décida de plaquer au sol son agresseuse. Cependant la jeune fille, pourvue d’un savant mélange d’intelligence et de vivacité d’esprit, avait déjà anticipé le coup en plongeant sur le côté et en se roulant sur le sable chaud si bien que le garçon avait atterri tête première enfoncée dans le sol.


    - Tyro est un véritable bélier, s’exclama Seiichi avec son petit sourire habituel.


    - Yoko-chan, tu vas bien ? demanda Rentarou d’un ton inquiet.


    En posant cette question, il venait de tourner sa tête vers la jeune fille qui était assise bien confortablement à terre et se plaisait à admirer la déconfiture du garçon passionné de tennis qui montrait ses jambes nues à toutes les personnes se trouvant sur cette portion de la plage.


    Ne se souciant toujours pas des problèmes de son meilleur ami, Rentarou continua à fixer avec une attention particulière la vice-présidente du conseil des étudiants qui entreprit de retirer un à un ses vêtements. Elle défit en premier son chemisier blanc et le posa soigneusement sur une serviette de couleur bleue après l’avoir plié. La jeune fille enleva ensuite ses sandales et son jean avant de les mettre sous son habit.


    Lors que le corps de la caucasienne se retrouva épuré de toute trace de vetêment, un maillot de bain d'une seule pièce se dévoila. Celui-ci sembla mettre en valeur une poitrine généreuse. Ses cheveux, détachés, tombèrent le long de son dos et lui confèrent une impression de divinité par l’effet des rayons du soleil qui se reflétaient dedans.


    Elle changea subitement de position en pivotant sa tête d’un quart de tour pour observer une mère qui criait après son enfant. Cela priva alors Rentarou de tout contact visuel.


    Malgré le profond regret qui envahissait son âme, le lycéen géant songea que c'était mieux ainsi. Sans comprendre pourquoi, il se souvint avoir ressenti d'étranges choses.

     

    Indescriptibles. Le simple fait d’avoir vu sa poitrine avait totalement enflammé sa libido. A l’intérieur de son short, son sexe se durcissait et s'allongeait sous l’effet de l’excitation. Le bas de son ventre le tirait également, particulièrement contracté.


    Influencé par la sécrétion de toutes ces hormones qui s'agitait dans son corps, son esprit s’emballa à toute vitesse et se mit à voir son amie dévêtue autant que son imagination le lui permit.


    Brusquement, une voix le ramena à la réalité :


    - C’est sympa un copain qui vous soutient, grogna Tyro.


    Rentarou reprit alors conscience de la réalité. Il se sentit terriblement honteux d'avoir osé oublier son meilleur ami. Néanmoins, avoir abandonner Tyro lui sembla dérisoire par rapport à sa récente vision. Cela l'horrifia au plus haut point de réaliser qu'il venait de se comporter comme un pervers. Le jeune homme avait envie de se frapper. Peut-être une gifle l'aiderait à chasser définitivement ce type d'images de son esprit.


    Essayant de se concentrer sur la réalité, il se retourna et découvrit son camarade avec sa chevelure couverte de sable. La colère prédominait sur son visage. Le gonflement de ses tempes, ses bras croisés contre la poitrine et son pied droit battant la mesure le renseignèrent sur le degré de mauvaise humeur et d'énervement de Tyro. Apparement indifférent à cette scène, Seiichi se montra aussi calme qu'à l'accoutumée. Seul un large sourire traduisit combien il savourait cette situation.


    - Vous êtes vraiment des enfants …, dit Yoko d’un ton amusé. Tous les trois.


    La jeune fille se leva aussitôt et étira en grand ses bras au-dessus de sa tête ce qui dessina davantage sa fine silhouette.


    - Je vais nager, annonça t-elle. Vous venez ? Oh ! C'est vrai ! Les petits enfants n’ont pas le droit de se baigner sans que leur maman soit à leurs côtés !


    Poussant un fort éclat de rire suite à sa plaisanterie, l'adolescente s’élança au pas de course jusqu’à l’eau et plongea dans les vagues. Tyro décida de la suivre. Celui-ci était incapable de supporter d’être traité de gamin, spécialement si l’insulte émanait de sa rivale, mais Rentarou le bloqua au niveau du bas de sa cage thoracique en étendant son bras gauche.


    - Rentarou, ne me retiens pas, exulta Tyro. Cette fois, je vais la tuer !


    Malgré son envie de vouloir exprimer ses sensations de tout à l'heure à ses proches amis et de connaître leur avis, Rentarou se sentit véritablement mal à l'aise d'évoquer ce sujet.


    - Je … je me suis senti étrange tout à l’heure …, commença Rentarou en bredouillant.


    Surpris, Seiichi écarquilla ses yeux et arqua un sourcil tandis que Tyro se calma instantanément et s’assit sur le sable.


    - Raconte ça, l'exhorta Tyro d’un ton de confiance.


    Ressentant encore quelques crépitements dans son bas ventre, Rentarou éprouva encore un certain embarras à évoquer ce qu’il venait de vivre et d'imaginer. Face à une telle révélation, ses amis n’allaient-ils pas le traiter de pervers ?


    Depuis si longtemps, le jeune homme aux cheveux de jais n’avait plus ressenti le bien-être que pouvait apporter une relation proche avec une personne. En aucun cas, il ne voulait perdre toutes ces émotions vécues au cours de ces dernières semaines.


    - Tout à l’heure … Je … En regardant Yoko-chan ... J’ai pensé certaines choses … Enfin je ne sais pas si …


    - Tu as rêvé de la voir à poil ? le coupa vivement Tyro particulièrement amusé.


    Le garçon acheva à peine sa réplique que la main gauche de Seiichi passa à l'arrière de sa tête et lui asséna un légère claque.


    - Tu devrais faire preuve de plus de respect, déclara gravement Seiichi, les sourcils froncés.


    - En fait … C’était … c’était tout à fait ça …, avoua Rentarou en baissant la tête.


    A présent, le visage du jeune ninja passa d’une expression de grande sévérité à celle de la surprise totale. Ses sourcils se relevèrent de plusieurs centimètres. Trois plis lui barrèrent le front. Ses yeux s'écarquillèrent tant qu’il aurait été presque possible de deviner les vaisseaux sanguins circulant à l’intérieur de ses pupilles.


    - Tu es juste un garçon normal et équilibré, décréta Tyro en riant.


    Intrigué, Rentarou contempla pensif son ami et ne comprit pas pourquoi celui-ci sembla si décontracté et insouciant par cette conversation. Certes, le tennisman n’était absolument pas un modèle de sérieux et de calme mais il savait écouter les autres et les comprendre quand ceux-ci en éprouvaient le besoin.


    Devinant le trouble évident de ses amis, Tyro sourit doucement. Il rejeta légèrement la tête en arrière et reprit :


    - Ce que tu as ressenti, Rentarou, c’est juste ce que chaque homme ressent. C'est encore pire à l'âge que nous avons.


    - Je n’ai jamais imaginé de femme nue, s’offusqua Seiichi.


    - C’est notre corps qui se transforme, nos hormones, continua Tyro sans tenir compte de l'interruption. Quand on fixe une fille, surtout si elle est un peu dénudée, on commence à avoir très mal au sexe et …


    - On a mal très mal au ventre et en même temps on a des idées folles, compléta Rentarou.


    - Tu l’as senti, hein ? fit Tyro amusé. Tu n’as jamais senti ça auparavant ?


    - Avant d'entrer au lycée, je n'ai jamais été en contact avec une fille depuis mes sept ans. Et à l'école, il y a pas mal de filles qui s'intérressent à moi mais elles m'énervent. Elles veulent juste que je sorte avec elles car je suis populaire et doué au tennis.


    - Si tu es en colère après elles, cela peut, en effet, couper tout effet. Ou alors, ce n'est peut-être pas tout simplement ton genre de files. Ce qui veut dire …


    Avec sournoiserie, le jeune homme arrêta sa phrase sans la terminer. Cette conversation l'amusa terriblement et les têtes de ses amis, encore plus.


    - Ce qui veut dire ? le pressa Rentarou avec anxiété.


    - Que tu pourrais bien avoir quelques sentiments amoureux pour Yoko-chan, minauda Tyro.


    - C'est pas vrai !


    La main gauche appuyée sur sa joue, le frêle adolescent aux cheveux ébènes examina le lycéen géant avec la plus grande concentration. Son regard pétilla de malice et d'excitation. Par ailleurs, le ton de sa dernière réponse fut si sec et violent que cela lui permit de constater le fondement de la théorie de Tyro.


    Rentarou n'aimait pas du tout la tournure prise par la conversation. Au départ, il pensait simplement discuter du problème survenu un peu plus tôt. Cela commençait dangereusement à déraper. S'il avait pu imaginer un tel scénario, l'adolescent n'aurait jamais évoqué son problème. Il n'avait pas besoin d'eux pour comprendre ses sentiments au sujet de Yoko.

     

    Après leur rencontre à la fin du mois dernier, Nobu l'avait aussitôt harcelé pendant des heures. Celui-ci avait cherché à savoir la nature exacte de leur relation. Sous son air de petit garçon candide et insouciant, le collégien ne lâchait jamais quand il se fixait un objectif. Rentarou n'avait finalement pas eu d'autre choix que de reconnaitre être amoureux de sa condisciple.


    En débutant une nouvelle existence, le jeune homme s'était promis de vivre honnêtement et de se montrer aussi sincère que possible avec son entourage. Néanmoins, cela ne l'obligeait pas à tout raconter. Certains aspects de sa personnalité ou de son vécu, il voulait les enfouir très profondément en son âme et être le seul à les connaître.


    Malheureusement, ses meilleurs amis, semblables à des vautours attirés par l'odeur d'une charogne, ne semblaient pas décidés à abandonner cette affaire.


    - Rentarou fait le fier à bras mais ce n'est qu'un tout petit garçon terrifié par une fille, dit Seiichi d'une voix mielleuse, ses yeux bleus océan brillant d'une lueur narquoise.


    - C'est pas vrai !


    Avec fureur, le lycéen géant écrasa son poing dans le sol. Du sable vola partout autour des Sanonis et Tyro en reçut dans son œil gauche. Le garçon le frotta et réalisa que cette discussion ne servirait rien. Sauf à créer une dispute inutile. Il ne le voulait pas. Le tennisman choisit donc de réorienter la conversation sur une base plus saine.


    - Pour en revenir au sexe, c'est naturel de ressentir ces choses étranges en bas de … Enfin, en bas de vous voyez quoi. Surtout quand on croise une fille. On peut même en avoir sans raison. Moi, ça m'arrive tout le temps. J'ai l'impression d'avoir des images en permanence dans ma tête quand je ne suis pas concentré sur le tennis. Depuis que j'ai douze ans, c'est comme ça.


    Intéressé par le sujet, Seiichi abandonna son petit jeu consistant à imposer sa volonté à une autre personne et tourna sa tête en direction de son camarade.


    - Comment ça t'es venu toi ? le questionna Rentarou, très soulagé intérieurement d'échapper aux interrogations de ses amis sur ses sentiments.


    - J'étais à la piscine avec des copains. A un moment, des filles sont passées près de nous et je ne sais pas comment mais je me senti tout bizarre. J'avais très chaud … J'ai fini par sauter dans l'eau et la pression engendrée par mes hormones a pu retomber.


    - OK … La prochaine fois, j'aurais qu'à courir jusqu'à la mer … , soupira Rentarou.


    Découragé, il se laissa tomber en arrière sans se soucier du sable que son large et puissant corps pouvait projeter sur ses compagnons.


    - Yoko-chan pensera vraiment que tu es fou, estima Tyro en passant sa main droite dans ses cheveux pour chasser le sable.


    - Je ne comprends pas, dit Seiichi. Je ne vois pas de raison que notre …. notre truc puisse faire cela.


    - Les hormones, rappela Tyro en jetant un bref regard d'étonnement au jeune ninja. Allons, tu as certainement déjà eu du sperme dans ton lit quand tu t'es réveillé, pas vrai ?


    - Qu'est-ce que du sperme ?


    - C'est quoi du sperme ?


    Avec stupéfaction, le jeune homme à la chevelure aux multiples piques les fixa un long moment en silence en s'interrogeant si ses amis étaient réellement sérieux. Il finit par réaliser que cela correspondait exactement à Rentarou ou Seiichi de tomber des nues pour un sujet aussi banal et évident. L'adolescent se gratta nerveusement la joue et se demanda comment un jeune, en plein milieu du XIX siècle, pouvait être aussi ignorant au niveau de la sexualité. Depuis que son petit frère avait dix ans, celui-ci, tout comme la benjamine de sa famille, connaissait déjà les principales lignes de ce thème.


    Certes, pour Rentarou, il comprenait son manque d'information. Celui-ci avait quitté le système scolaire pendant six ans. Personne ne lui avait enseigné à comprendre les changements de son corps à l'arrivée de la puberté. Il avait dû les appréhender seul.

     

    Néanmoins, Tyro ne parvenait pas à expliquer l'absence de connaissances en la matière pour le second. Le jeune ninja avait suivi exactement le même cursus scolaire que lui.


    - Avez-vous déjà eu des cours d'éducation sexuelle ? fit-il d'un ton calme et posé.


    Le regard fixe de Seiichi ou embarrassé pour Rentarou lui permit de valider la conformité de ses hypothèses.


    - A l'adolescence, notre corps se développe et devient celui d'un adulte qui est prêt à procréer. C'est pourquoi la nuit ça nous arrive maintenant de tâcher nos draps.


    Intérieurement, l'adolescent pensa combien il se tourmentait pendant toute sa seconde année de collège chaque matin. Sur ses draps se trouvait de larges mares de sperme. Se croyait malade ou anormal, Tyro n'avait jamais osé pas s'en ouvrir à quelqu'un. Finalement, le jeune homme s'était confié à son grand frère. Celui-ci lui avait longuement expliqué les transformations qui se produisaient dans son corps et rassurait sur sa normalité. Avant cette discussion, il lavait ses draps et ses habits tâchés tous les jours à cause de ses craintes que sa mère puisse voir ces mystérieuses traces blanches.


    - C'est vrai, admit Rentarou en retrouvant son air sérieux. Depuis que j'ai douze ans, ça m'arrive aussi de laisser des tâches blanches dans mon slip.


    Tout en écoutant attentivement ses deux camarades évoquer des moments intimes de leur existence sans pouvoir participer ou appréhender le phénomène, Seiichi ressentit un profond sentiment de solitude et de tristesse. L'éducation prodiguée par le clan ne lui permettait pas de comprendre un seul mot de toute la conversation.


    Ses parents lui avaient tant de fois répétés que les fluides émis par le corps étaient sales et impures. Enfant, on le punissait sévèrement quand il ne pouvait pas se retenir d'uriner la nuit.


    Le sang est le seul fluide du corps à être pur et à racheter nos pêchés, se remémora t-il. Pourtant, Tyro dit que ces fluides constitue une chose normale …


    Son visage strict n'afficha aucune trace des émotions confuses que son cœur sécrétait en cet instant, Seiichi s'interrogea aussi sur le genre d'existence qu'il aurait pu avoir si le destin l'avait fait naitre au sein d'une famille comme celle de Tyro. Aurait-il été aussi insouciant que celui-ci ? Quelque part au fond de son cœur, il jalousait fortement son meilleur ami et désirait être capable d'avoir une personne, une seule lui suffisait, capable de l'aimer et de lui faire comprendre que son existence comptait pour elle.


    Réfutant ces pensées qui venaient de germer dans son esprit, Seiichi se résolut à les oublier. De telles idées n'avaient aucun sens. La vie d'une personne ne changeait jamais quoiqu'elle puisse faire ou espérer. Un garçon heureux serait toujours heureux et un autre malheureux le resterait pour toujours.


    - De quoi parlez-vous, les garçons ? demanda subitement la voix de Yoko. Vous êtes venus ici juste pour rester assis ?


    En redressant doucement la tête, Seiichi songea que l'intervention de la jeune fille constituait le moment idéal pour arrêter cette conversation gênante.. Néanmoins, il ne voulait pas être celui qui en marquerait la fin. Le jeune ninja posa un rapide regard à son grand ami aux lunettes sombres et estima qu'il serait, comme à l'accoutumée, parfait à manipuler.


    - Rentarou voulait juste nous parler d'un truc, dit Seiichi de manière nonchalante. Je crois qu'il voulait nous dire ce qu'il pensait exactement de toi.

    En premier lieu, Yoko parut surprise de cette annonce. Cependant elle possédait une confiance totale en l'adolescent aux cheveux ébènes pour son attitude toujours posée et respectueuse. Celle-ci ne connaissait évidemment pas sa passion pour manipuler habilement ses amis. La jeune fille se retourna donc vers Rentarou qui venait de se mettre à transpirer.


    - Eh bien, tu comptais dire quoi sur moi ? rétorqua Yoko d'une voix forte. Tu peux très bien le dire devant moi si tu penses du mal de moi !


    - C'est à dire que …. , bredouilla Rentarou très embarrassé.


    Du haut de son mètre quatre-vingt-un, le jeune colosse ne se souvenait pas avoir aussi embarrassé de toute sa vie. Il se demanda comment de se sortir d'un tel pétrin en maudissant l'imbécile qui lui servait de meilleur ami.


    - J’attends, insista Yoko d’une voix ferme.


    Face à l’attitude d’autorité toute puissante qui semblait émaner de la jeune fille, Rentarou se sentit de plus en plus diminué. Il craignait tellement de dire une parole qui puisse la blesser. Tous ses membres tremblèrent. L'adolescent aurait bien aimé lui dire la vérité sur les sentiments que son cœur éprouvait pour elle mais la seule idée d’en souffler un simple mot lui faisait accélérer le cœur au rythme d’une musique d’un groupe de Techno. La transpiration avait inondé tout son visage sans que la chaleur en soit la cause.


    - J’ai soif …, balbutia Rentarou en se levant rapidement. Je vais chercher à boire !


    Sans attendre de savoir si ses amis désiraient eux aussi boire quelque chose et encore moins la boisson qu’ils préfèreraient, l’adolescent se dépêcha de décamper le plus rapidement possible vers l’endroit le plus éloigné de la plage.


    Satisfait, Seiichi se laissa tomber sur le sable, un large sourire se dessinant sur son visage.


    - C’est une si belle journée, déclara t-il d'un ton paisible.


    Le temps passa doucement durant lequel Tyro se hâta d’ôter ses habits puis de les jeter vivement à terre avant de courir en direction de l’eau, talonné de près par Yoko. Tous deux se chamaillèrent, s’aspergèrent et se poursuivirent en poussant de hauts cris à la manière d’écoliers en vacances.


    Demeurant seul sur la plage, Seiichi n’apparut nullement troublé par ce fait. Ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles, il sortit un carnet de son sac. Avec des gestes lents et précis, le jeune homme plaça son carnet sur ses jambes pliées face à lui et entreprit de fixer le paysage s’étendant au loin sous ses yeux. Son regard bleuté contempla la mer et tenta d’embraser l’horizon tout en cherchant à exprimer la sensation que cette vue lui procurait.


    Seiichi était tellement concentré par cette tâche qu’il ne vit ni n’entendit Rentarou se glisser à pas de loup derrière lui, malgré ses facultés spéciales, et poser une canette froide contre sa joue droite. Pris de surprise, la victime se contracta totalement avant d’exécuter un rapide coup de sa main gauche qui balança l'objet froid dans le sable.


    - Calme, Seiichi, s’exclama Rentarou qui ne revenait pas de la rapidité de son ami. Je voulais juste te faire une blague !


    Tournant la tête, Seiichi aperçut Rentarou en face de lui et nota son expression interdite. En lui-même, il maudit son éducation qui lui avait permis de développer autant ses sens. Ils étaient maintenant si élevés que le jeune ninja percevait le plus infime changement dans l’espace et réagissait en conséquence bien plus rapidement que n’importe quel humain normal.


    - Je te prie de bien vouloir m’excuser, murmura Seiichi en baissant la tête.


    De toute sa vie, Rentarou n’avait encore jamais entendu quelqu’un présenter des excuses en utilisant une formule aussi soutenue. Probablement que les adultes disaient quelque chose d’un peu plus respectueux qu’un « Je m’excuse » ou de lâcher le mot « Désolé » comme il le faisait souvent. Cependant dans la bouche d’un garçon de son âge, il trouvait l’expression véritablement stupéfiante.

     

    Les étonnants réflexes le surprenaient aussi à chaque fois que son ami en faisait la démonstration. Combien de fois avait-il vu Seiichi suivre et participer à une conversation avec Tyro et lui-même tout en écoutant de la musique sur son MPX ? Combien de fois appelait-il la personne qui essayait d’arriver dans son dos ?

     


    En pensant à sa propre singularité, Rentarou sourit doucement et songea que Seiichi devait apparaître aussi mystérieux que lui-même aux yeux des autres. Il posa alors la petite caisse dans laquelle il avait ramené des boissons, des sandwiches et des paquets de chips et s’assit en tailleur près de son ami.


    - Tu veux à boire ? J’ai ramené pas mal de coca pour nous tous.


    En jetant un regard vers lui, Seiichi répondit affirmativement. Il plaça son carnet de dessin contre son torse et allongea le bras pour attraper une canette puis l’amena à lui.


    - Tu dessines ?


    - Non.


    - Seiichi, tu es bon pour mentir mais ne le fais pas sur une évidence.


    - Je n'ai pas le droit de savoir dessiner alors oublies si tu l'as vu.


    Comme chaque fois où il constatait que son meilleur ami était totalement soumis à l'autorité de sa famille, Rentarou s'en attrista. Le jeune colosse aurait aimé l'aider mais il ne pouvait rien faire.
    Pour fuir ces pensées, il dirigea son regard vers la mer.


    - Yoko-chan et Tyro reviennent !


    En pourchassant le garçon aux cheveux aux reflets roux, Yoko courut derrière lui tandis que celui-ci poussa diverses moqueries destinées à l’énerver un peu plus en riant. Ils atteignirent leurs amis encore secs et la jeune fille s’assit entre eux deux tout en prenant une canette dont elle but une bonne gorgée d’un seul coup.


    - Vous ne venez pas vous baignez tous les deux ? s’étonna Tyro en saisissant un des sandwiches dans lequel il mordit vivement dedans.


    - Je n'ai pas envie, répondit Seiichi d'un ton froid.


    - Et toi, Rentarou ? Tu ne veux pas jouer avec nous dans les vague ? reprit Tyro dont le visage s’éclaira d’un large sourire.


    - Je ne me sens pas assez doué pour ça, fit Rentarou. Ma première leçon remonte à hier.


    - Il est vrai que nager en mer est plus difficile qu'en piscine, approuva Yoko.


    - Après manger, on ira jouer au volley, proposa Tyro. Je suis sûr de battre Rentarou !


    - Mada mada dane, siffla insolemment Rentarou.


    Les adolescents continuèrent leur déjeuner, se gavant de sandwiches et de chips. Seul Seiichi ne toucha à rien et prétexta ne pas avoir faim.


    En réalité, le jeune ninja pensait encore une fois à sa famille. En serrant son carnet à dessins contre son torse et en écoutant la musique qui se diffusait dans ses oreilles, il songeait à toutes les choses qu'il aimerait être. Vivre de ses dessins ou de ses peintures aurait été le rêve qu'il aurait tant aimé réaliser. Malheureusement, c'était impossible. Son destin était écrit depuis le jour de sa naissance. Rien ne pourrait le modifier.


    A côté de lui, ses amis avaient achevé le repas et se préparaient à jouer au ballon. Tous plein d'énergie, ils semblaient infatigables. Brusquement, le cri d'une jeune mère paniquée et affolée attira leur attention.


    - Au secours ! Mon fils … Mon fils se noie !


    Spontanément, les quatre jeunes gens se levèrent et se tournèrent en direction d’une femme d’une trentaine d’années qui faisait de grands gestes et alertait les gens installés près d’elle.


    - S’il y a un enfant dans ces vagues, il ne pourra jamais survivre, s’horrifia Yoko. Même une nageuse aussi bonne que je le suis ne saurait pas se déplacer là dedans !


    Plongeant sa main dans la poche de son short, Rentarou en retira promptement sa petite longue-vue. Il la déploya et colla la lentille contre le verre droit de ses lunettes teintées. Son regard scruta attentivement la mer dont les vagues déferlaient de quatre ou cinq mètres de hauteur avant de remarquer la présence d’une tête brune émergeant à la surface. L'enfant était proche d’un amas rocheux.


    - Je vois le gamin, je crois, annonça t-il avec effroi. Si les secouristes n'interviennent pas tout de suite, il va mourir ! C'est pas vrai !


    En se tenant toujours à l'écart de ses compagnons, Seiichi contempla la mer déchaînée avec tous ces rouleaux qui se formaient à la surface comme s’ils tentaient de repousser les nageurs,


    Il demeura extrêmement pensif.


    En son for intérieur, le jeune ninja savait que ses capacités lui permettaient sauver cet enfant. Toutefois en avait-il le droit ? Son esprit réfléchit rapidement et estima qu’il ne risquait pas de blesser quelqu'un en dehors de lui-même. En théorie, selon les enseignements du clan, la permission lui était accordée.


    D’un doigt, Seiichi toucha le bouton de son jean et le défit. Le pantalon tomba rapidement le long de ses jambes puis s’en débarrassa vivement en le rejetant d’un coup de pied. Sans laisser le temps à personne de comprendre ou de réagir, le jeune ninja courut précipitamment vers le bord de la mer et effectua un superbe saut tout en retenant sa respiration pour se retrouver au milieu d’une immense vague.


    Lorsque ses amis comprirent son intention, ils paniquèrent :


    - Seiichi ! hurla Tyro. Reviens !


    - Mais il est devenu complètement fou, s'écria Yoko.


    Incapable de prononcer un seul mot, Rentarou se contenta de suivre le parcours de son meilleur ami, impuissant.


    Nullement impressionné par le commencement de cette épreuve, Seiichi ne relâcha pas sa respiration et plongea davantage pour suivre le mouvement des vagues en surface et nagea à contre-courant vers l’amas rocheux. Ses yeux le repérèrent depuis le fond de l'eau.


    Au fur et à mesure de la traversée, il sentit ses poumons le brûler car ses réserves en oxygène diminuèrent progressivement. Il lui fallait remonter pour absorber de l'air mais son esprit balaya immédiatement cette idée. Sauver l'enfant constituait sa priorité.


    En approchant de son but, Seiichi remonta rapidement vers la surface sans faire le moindre effort. Il se laissa aller complètement, ferma les yeux en faisant le vide total dans sa tête se laissa envahir par un calme olympien.


    Dans un milieu aquatique, l’eau possédait une forte densité qui permettait à n’importe quel corps humain de flotter à la surface. Si une personne pouvait entrer dans l'eau et plonger dedans, c’était uniquement grâce à sa volonté. D’ailleurs, on se noyait généralement car on paniquait au lieu de garder son calme ce qui accélérait considérablement le rythme à laquelle on s'enfonçait sous l'eau.


    Une fois à la surface, Seiichi ouvrit légèrement sa bouche pour prendre un filet d’air. Il remarqua en même temps la position de l’enfant. En quelques brasses, l'adolescent l’atteignit. Il se tourna pour passer son bras gauche contre la taille du garçonnet puis plaça sa tête contre sa poitrine afin de l'empêcher d'avaler davantage d'eau.


    - Calme-toi, petit, tout va bien, dit Seiichi d’une voix très douce.


    Connaissant les limites de son faible corps, le jeune ninja savait qu'il ne pouvait pas revenir tout de suite à la plage. De toute manière, sa priorité s'avérait de s'assurer de l'état du garçon. Il renforça la prise de sa main afin de continuer à maintenir la tête de l’enfant hors de l’eau et se dirigea vers l’amas rocheux.


    Depuis la plage, une véritable foule s’était amoncelée en seulement quelques instants. Si les cris apeurés de la mère pour son enfant avaient déjà alerté les vacanciers, la tentative de Seiichi n'était pas passée non plus inaperçue. Tout le monde scrutait l'eau pour essayer d'apercevoir comment le jeune homme parti sauver l'enfant s'en sortait.


    Le groupe de Rentarou demeura à l'écart de l'agitation, inquiets pour leur ami. Le lycéen géant braquait continuellement sa minie longue-vue vers le large dans l'espoir de voir Seiichi toujours en vie. Tyro paraissait à la limite de devenir fou. Incapable d'observer la mer, il tournait en rond sur le sable.


    - Je n’arrive pas à croire que Seiichi ait pu faire ça, clama Tyro pour la énième fois.


    Yoko finit par les rejoignit. La jeune fille avait couru au poste de secours dès qu'elle avait su reprendre le contrôle de ses nerfs.


    - J'ai alerté les sauveteurs, annonça t-elle en maitrisant l'émotion dans sa voix.


    Soudain Rentarou poussa un long cri d'ahurissement total.


    - Il a réussi !


    - Vraiment ? s'écria Tyro en revenant vers ses amis.


    Pendant ce temps, Seiichi ignorait ce qui se passait sur la plage. Par ailleurs, il avait des préoccupations plus urgentes et importantes à l'esprit.


    Après être monté sur l'amas rocheux, l'adolescent avait déposé le jeune enfant, qui répondait au prénom de Renji, sur le sol. Il lui avait retiré son short et son tee-shirt et l'avait frictionné énergiquement avec ses mains pour lui redonner de la chaleur. Une fois ses soins achevés, le jeune homme retira lui aussi sa chemise et la tordit très fort pour évacuer toute l’eau accumulée dedans puis agit pareillement avec les habits du petit Renji.


    - Seiichi-niichan, que fais-tu ?


    Ces tâches terminées, l’adolescent leva la tête pour observer le rivage proche et se demanda s’il pouvait obliger à revivre la traversée dans l’eau à cet enfant. Son orgueil le dissuadait d’attendre bien tranquillement l’arrivée des secours qui les ramènerait en sécurité sur la plage. Une fois là-bas, tout le monde affirmerait que son exploit n’était que de la pure chance. Pourtant, revenir vers la plage serait bien plus facile plutôt que de venir ici. Il se laisserait tranquillement porter par les vagues qui le déposerait sur le sable.


    - Renji-kun, as-tu confiance en moi ?


    - Tu m’as sauvé, Seiichi-niichan, en risquant la tienne alors oui, approuva l’enfant en gratifiant son sauveteur d’un large sourire.


    - Tu aurais toujours confiance en moi si je décidais de nous ramener sur la plage ?


    - Tu serais vraiment capable de ça ? s’enthousiasma le petit garçon. Trop cool !


    - Si tu fais tout ce que je te demande, je peux le faire.


    Âgé de seulement cinq ans, le petit Renji s'émerveillait des capacités prodigieuses de son sauveur et s’imaginait être un personnage dans un des animés qu’il regardait fréquemment.
    Rassuré par l’esprit d’innocence de cet enfant, Seiichi sourit puis lui expliqua comment il devait se comporter pour réussir le retour à la plage.


    D’abord, Renji se plaça devant son sauveur et accrocha solidement ses mains à ses omoplates. Il plaça ensuite ses jambes contre le bas de son dos tout en collant son corps contre celui du lycéen. Seiichi plaça sa main gauche sur le garçon afin de le sécuriser puis plongea dans l'eau salée de la mer. De sa main libre, l'adolescent aux cheveux ébènes nagea librement vers la surface et emprunta une vague proche. Le jeune homme se laissa ensuite porter par le courant et n'eut qu'à tenir l'enfant contre lui. Ce moyen lui permit de parcourir sans se fatiguer la moitié du chemin. Il utilisa ainsi la force des vagues et revint avec facilité au début de la mer.


    A la fin de ce voyage, Seiichi se redressa alors et marcha d'un pas rapide afin de fouler le sable de la plage.


    - RENJI !!!!


    Seiichi déposa à peine le petit garçon que sa mère accourut vers lui. Celle-ci le prit dans ses bras, le serra fort contre sa poitrine et le couvrit de baisers. L'adolescent ne voulut pas s'immiscer dans ses émouvantes retrouvailles et utilisa sa technique, pour disparaître d’un point et réapparaître à un autre, afin de renjoindre ses amis. Il arriva dans le leur dos. Avant de leur adresser la parole, Le jeune ninja s'assit à terre et se dépêcha d’enrouler une serviette autour de son dos et de son buste.


    - Je vous prie de m'excuser, mes chers amis, mais se serait-il passé quelque chose ?

     


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