• Chapitre 34

    Chapitre 34


    Le peu de jours qui resta jusqu'à la rentrée s'écoula bien vite. Beaucoup trop vite aux yeux de Rentarou. Le matin de cette triste date, le lycéen géant se leva vers sept heures. La sonnerie stridente de son réveil lui parut être une chose si lointaine qu'il avait presque oublié à quel point elle pouvait être désagréable et lui vriller les tympans.


    Une fois avoir posé les pieds sur le sol, le jeune homme prit son uniforme plié sur le haut de sa commode préparé la veille et sortit de sa chambre. Il partit vers la salle de bains et retrouva Seiichi.


    Depuis la découverte de son lourd secret, le frêle adolescent aux cheveux ébènes se montrait beaucoup moins discret et ne cherchait plus à cacher ses cicatrices. En tout les cas, pas à ses yeux ou à ceux de Tyro.


    Pour le soulager des douleurs causées par les multiples plaies, surtout les plus récentes à peine refermées, Rentarou lui avait fourni un tube de pommade prescrites essentiellement lors des accidents sportifs. Le lycéen géant se souvenait que sa babysitteuse l'avait souvent utilisé sur lui lorsque ce patron véreux l'exploitait dans son restaurant et le battait. Celle-ci n'avait jamais su la vérité. Il avait raconté s'être blessé en cours d'Education Physique avec le cheval de poutre dans le but d'impressionner ses camarades.


    - Au fait, tu ne m'as toujours pas raconté où tu as eu la pommade, Rentarou, dit calmement Seiichi qui avait terminer de se doucher et s'asseyait sur un des bancs pour s'essuyer.


    - Bah ce n'est pas bien captivant, répliqua son interlocuteur en frottant frénétiquement sa serviette sur le crâne pour sécher ses cheveux.


    - Rentarou … , insista t-il.


    - OK, OK … je l'ai fauché à Haruko-sensei.


    L'adolescent rapporta tout. L'incident s'était déroulé deux jours plus tôt quand il avait accompagné son meilleur ami à l'infirmerie pour son bilan de santé journalier imposé par Haruko. Pendant que la jeune femme s'occupait d'examiner son patient sous tous les angles, le lycéen géant s'était approché discrètement de la longue table adossé au mur du fond sur laquelle l'infirmière préparait des baumes et d'autres médicaments. En remarquant qu'une pommade dessus ressemblait à celle de son enfance, il l'avait glissé dans la poche de son short dans l'intention de la donner à son ami.


    - Un ancien délinquant futur policier commettant un délit, ironisa Seiichi. Quelle honte !


    - C'est parce que je connais le système que je serais un bon policier, se défendit-il. De plus, mêmes si tous les délits sont condamnables par la loi, je pense que certains peuvent être pardonnés.


    - Je ne saisis pas ton raisonnement.


    - Eh bien, la loi condamne tous les délits. Cependant il peut arriver que les lois deviennent injustes et donc nécessaires de les contourner pour les briser. Par exemple, tu as entendu parler de cette femme noire aux États-Unis qui refusait de céder sa place à un blanc ? A l'époque, c'était un crime là-bas. Malgré tout, elle a tenu bon et s'est fait arrêter. Mais ça a déclenché un mouvement des Noirs qui se sont battus pour avoir les mêmes droits que les blancs.


    - Et quel rapport entre la ségrégation raciale aux États-Unis au cours du XX siècle et notre conversation actuelle ? s'enquit Seiichi.


    - Ce que je voulais dire c'est que la société crée des lois pour uniformiser ses citoyens. Mais si elle est injuste, ceux-ci sont alors privés de bonheur. Ainsi soit on s'adapte soit on la change afin d'en créer avec plus de justice.


    S'exprimant avec passion, Rentarou paraissait capable de parler de ses idées pendant des heures. Le jeune ninja ne le souhaita pas. Les histoires politiques et sociales ne l'intéressaient pas beaucoup.


    - Et quelle est ta vision d'une société juste ?


    - Eh bien, les citoyens ont à manger, leurs enfants vont à l'école et font des études. Ils ont un travail qui leur permet de vivre décemment et accès à la santé, résuma Rentarou. Sans la moindre discrimination évidemment entre riches et pauvres.


    - Tu es un vrai idéaliste. Enfin … Il est vrai qu'une telle société est un bel idéal …


    Au cours de leur discussion, les deux adolescents s'étaient séchés totalement. Ils s'habillèrent et remirent à nouveau l'uniforme après un mois sans l'avoir porté. Comme à l'accoutumée, Rentarou fut très lent pour l'enfiler. Il avait toujours du mal à fermer la boucle de la ceinture de son pantalon et luttait avec chacun des boutons de sa chemise.


    A ses côtés, Seiichi termina de s'habiller en se regardant dans un miroir. Le lycéen revêtait avec une certaine élégance cet uniforme. Il portait un blazer blanc en laine au-dessus d'une chemise verte de soie fine, un pantalon en tweed noir retenu par une ceinture très simple et des chaussures en cuir. Par dessus le haut de ces habits apparaissait une veste de costume noire. Sa tenue se complèta d'une cravate rouge nouée à son cou. Il posa ensuite un masque blanc stérile sur sa bouche.


    - Tu n'as toujours pas fini ? fit-il en apercevant son camarade s'acharner sur sa cravate.


    - Je déteste les cravates, enragea Rentarou en ayant réalisé un tas de nœuds à l'objet diabolique.


    Seiichi rit des efforts inutiles et vains de son ami. Il se tourna vers lui, défit les nœuds et la noua correctement à son cou.


    Rentarou le remercia de sa sollicitude. Ils descendirent ensuite prendre leur petit-déjeuner. La salle du réfectoire était encore vide. Tous deux profitèrent pleinement de la tranquillité de la pièce pour ce dernier repas. Dès ce soir, les autres internes seraient de nouveau là et l'endroit redeviendrait aussi bruyant qu'à l'accoutumée.


    Après un repas copieux, surtout pour le plus gourmand, le lycéen géant accompagna son meilleur ami à l'infirmerie. Haruko l'examina avec soin tandis que son patient s'amusa à l'ennuyer quelque peu. Elle ne s'en formalisa pas.


    Habituée depuis longtemps aux réactions parfois puériles ou au contraire très adultes des adolescents. La jeune femme s'efforçait de cultiver l'image d'une mère aimante et soucieuse du bien de ses enfants aux yeux des élèves, surtout pour les internes qui passaient des mois loin de leur famille. Elle ne disait rien tant qu'ils restaient corrects et polis. Par contre, la praticienne commençait à s'inquiéter dès l'instant où un d'eux ne parlait pas, ou alors très peu.


    Quand ils quittèrent l'infirmerie, les deux jeunes gens sortirent dans la cour. Ils aperçurent de nombreux lycéens agglutinés par groupes de quatre ou cinq. La plupart se racontaient leurs vacances avant de rejoindre leur classe. Rentarou et Seiichi traversèrent cet espace d'une foulée rapide sans leur prêter attention et atteignirent la petite porte du bâtiment où se déroulait les cours.


    En entrant à l'intérieur, ils se dirigèrent vers la salle des casiers et allèrent dans le fond de la salle pour prendre leurs affaires.


    - Tyro n'est pas encore là.


    - Il ne va être que huit heures, rappela Seiichi. Tu l'imagines venir tôt au lycée ?


    Rentarou rit de la répartie. Il imagina en même temps très facilement la mère de son second meilleur ami hurler en bas de l'échelle qui donnait l'accès à sa chambre pour le réveiller. Il s'esclaffa davantage en ouvrant la porte de son casier.


    - Ce matin, on a Maths, Japonais et Eco, dit-il. Plutôt cool la reprise !


    En énumérant les différentes matières, il sortit ses manuels et cahiers concernés pour les ranger dans son sac. Il prit également l'ouvrage que son professeur de Japonais avait demandé de lire durant les vacances.


    - Tu oublies encore l'Anglais, lui reprocha Seiichi.


    Cette mauvaise nouvelle assombrit l'esprit du jeune homme. Il attrapa vivement les manuel et cahier de ladite matière et les fourra sans grand soin dans son sac qu'il referma aussitôt. Seiichi sourit du spectacle en bouclant avec délicatesse la fermeture de sa serviette.


    En montant les escaliers jusqu'au second étage, Rentarou se remémora de son premier jour ici. Cela lui sembla tellement loin. Beaucoup plus que cinq mois.


    A l'époque, il se sentait totalement perdu dans ce nouvel environnement et regardait les jeunes évoluer autour de lui sans savoir comment s'intégrer parmi eux. Le plus fort de ses souvenirs était sa rencontre avec Seiichi. Certes, il avait aussi croisé Tyro ce jour-là mais rien de marquant ne s'était passé entre eux. Le lycéen géant se rappelait avoir essayé désespérément d'entrer en contact avec lui, sa perte de connaissance et leur court chemin ensemble jusqu'à l'infirmerie.


    En se remémorant tous ces souvenirs, Rentarou mesurait combien les événements vécus ces derniers mois et les rencontres faites pendant le premier trimestre l'avaient changé. Il ne ressemblait plus au garçon timide et hésitant du mois d'Avril. A présent, le mois de Septembre débutait et il se sentait empli d'une forte confiance en lui.


    En entrant dans la salle de classe de Japonais, les deux lycéens s'avancèrent leurs places au fond de la pièce. Leurs condisciples se trouvaient tous déjà réunis. Les groupes se reformaient déjà. Le plus important se rassemblait près de la table de Rentarou autour de Sawamura. Le garçon en question se vantait d'avoir passé des vacances merveilleuses et faisait admirer son teint bronzé suite à un séjour sur l'île de Shikkoku. Shintarou l'écoutait plus ou moins attentivement mais son intérêt changea bien vite lorsqu'il remarqua l'arrivée du lycéen géant.


    - Rentarou ! s'exclama t-il. Tu as passé de bonnes vacances ?


    - Oui, c'était très sympa.


    - J'ai passé moi aussi de très bonnes vacances, si tu me le demandes.


    - Sauf que je ne te demande rien, Shiromiya !


    Rentarou soupira. Certaines choses ne changeaient toujours pas. Les taquineries de l'adolescent aux cheveux ébènes et les ripostes du petit rouquin se firent entendre de leurs autres camarades.


    - Shiromiya et Shintarou s'entendent toujours aussi mal, constata Tachibana.


    - C'est de l'amour, déclara Rentarou.


    Selon son évidente prédiction, son meilleur ami ne goûta pas du tout à la plaisanterie. Il jeta un regard de travers au moqueur avant de détourner la tête en silence.


    - Je n'invente rien, Seiichi, insista Rentarou. Tu es indifférent avec ceux que tu n'aimes pas alors je suis convaincu que tu aimes Shintarou.


    - Comme si j'étais intéressé par les enfants, répliqua t-il d'un ton hautain.


    A la suite de ces quelques paroles, le jeune ninja eut une forte quinte de toux. Il porta sa main à sa bouche pour s'aider à mieux expectorer les crachats se promenant dans ses bronches.


    - Comment on peut être malade le jour de la rentrée des vacances d'été ? s'étonna Sawamura qui avait remarqué le masque de Seiichi à cet instant. La saisons des pluies vient juste de commencer !


    - Je suis malade toute l'année, se plaignit celui-ci.


    Rentarou esquissa un faible sourire. La maladie de son meilleur ami ne relevait pas du climat pour une fois. En réalité, Seiichi avait commencé à éternuer dans la soirée qui avait suivi l'après-midi où il avait sauvé un petit garçon de la noyade. Cependant son camarade était embarrassé de raconter cette histoire. Le lycéen géant avait du mal à comprendre. Il la trouvait très valorisante.


    - Rentarou, tu t'es reposé pour les vacances ? demanda soudainement Shintarou.


    - Oui, bien sur.


    - Par reposer, tu entends qu'il n'a pas pratiqué le tennis ? intervint Seiichi en tournant la tête vers eux, intéressé par ce nouveau sujet de discussion.


    Shintarou opina de la tête à l'énoncé de la conclusion de son rival.


    - Vu comment il s'est entrainé dur pour le tournoi préfectoral, il était important que Rentarou prenne soin de son corps et se repose.


    - Ne t'inquiètes pas, dit Seiichi avec ironie. A part s'entrainer deux ou trois heures le matin avec sa raquette et pratiquer des lancers l'après-midi sous la chaleur, il n'a rien fait du tout.


    Rentarou cacha la moitié de son visage avec sa main droite. Il détestait cet aspect de la personnalité de son meilleur ami. De plus, le petit rouquin risquait de ne pas apprécier.


    - Rentarou, rouspéta Shintarou. Tu dois prendre soin de ton corps !


    - Mais j'ai fait attention, objecta Rentarou. En Juillet, je ne dormais que deux heures par nuit et le reste du temps je m'entrainais ou j'étudiais. Là j'ai dormi neuf heures par nuit et je n'ai pratiqué que cinq ou six heures par jour.


    - Complètement dingue, se désola Sawamura qui n'imaginait dormir moins de six heures.


    - Rentarou, insista Shintarou. Si tu ne prends pas davantage soin de toi de ton bien-être, ton corps pourrait te lâcher. Tu ne pourras plus jouer.


    Le lycéen géant sourit de l'inquiétude de son camarade. Il étendit le bras et plongea sa main dans la masse hirsute sur son crâne et la remua comme il faisait souvent avec Nobu.


    - Ca me convient, Shintarou, annonça t-il. Dès le départ, j'ai prévu d'arrêter le tennis quand je quiterais le lycée. C'est pourquoi je veux l'utiliser pour éprouver mon corps et savoir où mes limites sont. J'ai besoin de les connaître.


    - Tu es vraiment sûr de toi ? s'inquiéta le rouquin.


    - Je sais que vous ne pouvez pas comprendre. Vous avez tous des aptitudes et des compétences. Vous savez où vous en êtes. Cependant moi, depuis que j'ai grandi dans un corps si grand et fort, je ne les connais plus. Tous les repères que j'avais ont disparu. C'est pourquoi je veux chercher à nouveau des limites et les repousser encore plus loin. Je suis résolu.


    Pendant que leurs condisciples étaient impressionnés par son discours et son commentaire, Seiichi observait en silence la silhouette de son ami. Son visage afficha un fin sourire. Il songea que Rentarou avait beaucoup changé pour confier ses ambitions personnelles à toute leur classe.


    Baissant la tête, le jeune ninja regarda le bois de sa table et pensa à lui, à ses soucis, à sa vie. Il avait changé un peu.


    D'abord, il s'était intégré à sa classe pour la première fois depuis son entrée dans le système scolaire. Seiichi avait aussi obtenu deux meilleurs amis sur lesquels il était certain de pouvoir compter en toutes circonstances.


    Malheureusement son existence restait assombrie par les noirs nuages que représentaient la menace familiale. Il souhaitait tant partir mais n'avait rien pour concrétiser ce projet. Le minimum serait de l'argent ou un travail. Mais le jeune ninja ne savait rien faire. Quel employeur accepterait de recruter un nouvel employé sans talents et sans qualifications ?


    - Eh bien, vous avez tous l'air d'être très en forme, s'exclama une voix très joyeuse.


    Émergeant de ses pensées, comme ses condisciples émergèrent de leurs conversations, Seiichi releva la tête pour apercevoir leur professeur titulaire installer ses affaires sur le bureau professoral.


    - Hashimoto-sensei, que faites-vous ici ? fit Seiichi.


    - Eh bien, je viens donner un cours, sourit l'enseignant. C'est bien la rentrée aujourd'hui, non ?


    - Mais on est en cours de jap là, protesta Sawamura.


    - On a Maths qu'en seconde heure, ajouta Kawamura.


    - Vous avez raison, approuva Hashimoto. Cependant, Noda-sensei, votre professeur de Japonais, a fait une allergie alimentaire durant les vacances. Elle reviendra la semaine prochaine.


    - Ne dites pas que vous allez assurer ses heures ! se risqua Seiichi anxieux.
    - Ne t'en fais pas. J'ai prévu de transformer les heures libres de vos autres condisciples dans la limite de mon propre emploi du temps.


    - Génial, commenta Seiichi sarcastique. Qui y a t-il de mieux que dix heures de maths la semaine de la rentrée quand vous avez eu dix pages de problèmes à faire ? Décidément, Hashimoto-sensei semble apprécier fortement le nombre dix.


    - Tu es très bavard aujourd'hui, Shiromiya-san, s'amusa Hashimoto.

     

    Seiichi se tut à cette remarque. Son regard se détourna vers le mur à sa droite en réalisant qu'il ne parlait jamais autant en classe. Même lors du mois de Juillet où Rentarou et lui commençait à se rapprocher. Il restait silencieux en permanence.


    Rapidement, les étudiants changèrent leurs affaires de Japonais pour celles de Mathématiques. Ils prirent chacun leur cahier d'exercices et, sous la houlette de leur enseignant, corrigèrent leurs devoirs de vacances. A tour de rôle, chacun se rendit au tableau pour en résoudre un.


    Pour des élèves comme Rentarou et Shintarou, la tâche se révélait d'une simplicité enfantine. Ils se contentaient de lire et de retenir les calculs inscrits sur leur cahier qui étaient toujours corrects. Les autres éprouvaient davantage de difficultés. Certains, comme Sawamura, avaient effectué des erreurs dans leurs raisonnements ce qui empêchaient parfois d'obtenir le résultat correct.


    Quant à Kawamura, il se distingua à écrire si lentement la solution qu'Hashimoto se retint ensuite de l'interroger à nouveau. Rentarou se demanda même si son camarade n'avait pas joué la comédie. Il se souvenait de l'avoir vu écrire plusieurs fois au tableau et de manière plus rapide.


    Cependant le plus mal à l'aise dans ce cours était sans contestation possible Seiichi. Étant donné que le professeur de Mathématiques comptait aborder un nouveau point du programme lors du second trimestre, il essayait de repérer si ses élèves maitrisaient tous les notions de la partie précédente. Seiichi n'était toujours pas capable de résoudre des équations par lui-même malheureusement, même du premier niveau. Il tentait de se souvenir des formules et calculs recopiés sur ceux de Rentarou mais ces réponses honoraient davantage son imagination et sa créativité que ses compétences en cette matière.


    A la suite de ce double cours, la classe 1D se scinda en deux. Ceux qui suivaient le cours d'Economie, comme Rentarou et Shintarou, partirent pour rejoindre leur salle. La seconde partie resta sur place. N'ayant pas devoirs encore pour le moment, ils profitèrent de cette heure libre pour organiser une partie de cartes. Seiichi préféra demeurer à l'écart de l'amusement de ses condisciples et se réfugia dans la lecture.


    La dernière heure de cours de la matinée fatigua et agaça le plus Rentarou. Le simple fait de revoir Aizawa, le professeur d'Anglais lui donna envie de se claquer la tête contre sa table. Son voisin de droite dut se pincer les lèvres pour s'empêcher de rire devant son visage défait.
    Lors de la pause accordée pour le déjeuner, la quasi totalité de la classe alla se réfugier dans la pièce de leur professeur titulaire.


    A l'heure du déjeuner, il pleuvait à verse. Manger à l'extérieur sur l'herbe du campus était naturellement exclus. Par conséquent, les internes se pressaient au réfectoire et les externes se contentaient de leur bento, mangé entre camarades de classe.


    - A quoi tu penses ?


    Le nez penché sur son plateau sur lequel refroidissait un steak haché et de la purée, Rentarou releva à peine la tête suite à la question de Seiichi.


    - On t'a demandé à quoi tu pensais, insista Shintarou en bousculant le bras de son voisin devant l'absence de réaction de celui-ci.


    - J'étais en train de penser que ça fait bizarre, dit Rentarou d'un ton ennuyé. Ca fait deux mois que les Sanonis sont toujours ensemble. Ca fait bizarre de manger sans Tyro. Pourtant s'il était là, je serais peut-être le premier à lui reprocher de faire trop de bruit en mangeant.


    - Je comprends, ajouta Seiichi. Malheureusement, nous n'y pouvons rien. Il faut attendre la fin de l'hiver avant de manger à nouveau ensemble.


    - Il y aura sûrement des moments où il ne pleuvra pas, objecta Shintarou.


    - Sauf que la température a beaucoup baissé, le contredit Seiichi. Si je reste dehors trop longtemps en cette saison, je risque une pneumonie.


    - Mais tu es bien couvert là, protesta Shintarou. De plus, une pneumonie …


    - Depuis que je suis petit, je fais au minimum deux pneumonies par hiver, l'informa Seiichi glacial. Je n'ai nul besoin qu'il fasse froid pour attraper un rhume.


    En portant un morceau de steak à sa bouche à l'aide de ses baguettes, Rentarou soupira. Ses compagnons ne pouvaient vraiment pas s'empêcher de se chercher des poux sur la tête. Même dans le cadre d'une discussion amicale. Il lui fallut encore une fois jouer l'arbitre.


    - Mais il n'y aurait pas un moyen de se réunir dans une salle ?


    - Toutes les salles de classe sont prises, rappela Shintarou. Enfin je pense.


    En posant ses baguettes sur son plateau et repoussant celui-ci vide d'une main, Seiichi porta l'autre à son menton.


    - Il y a six classes par année ce qui fait dix-huit salles de prises, énonça t-il. Au total, il y a dix-neuf matières ce qui signifie qu'une salle doit être libre.


    - Tu sais bien compter, se moqua Rentarou.


    - Une salle de libre mais il faut deviner laquelle, émit Shintarou pensif. Il faut tenter de se souvenir quel prof est le titulaire de chaque classe pour ça. Éliminons déjà Hashimoto-sensei.


    - Tyro et Yoko-chan ont Ninohara-sensei, le professeur de Littérature, ajouta Seiichi.


    - Quant à Kou-kun et Taka-chan, ils ont Masami-sensei, poursuivit Rentarou.


    - Matsuda-sempai est en 2A et a Aizawa-sensei, révéla Shintarou.


    - Quelle horreur ! s'écria Rentarou avec effroi.


    - Et je sais que Raphael-sempai est en 2C et a Moreau-sensei, la prof qui enseigne le Français depuis deux ans ici, reprit Shintarou.


    - Je sais aussi que Kurata-buchou et Uegami-fukubuchou ont Noda-sensei, enchaina Seiichi. Il y a aussi Ogawa-sempai en 3G qui a notre professeur d'Histoire-Géographie.


    Rassemblant ainsi les différentes informations que chacun possédait sur les enseignants de leur lycée, les trois étudiants séchèrent bien. Ils ne connaissaient pas au minimum un élève de chaque classe pour parvenir à repérer l'unique salle non occupée.


    - On sèche, se désola Rentarou.


    - Il y a encore du temps avant de retourner en cours, dit Shintarou après avoir consulté la pendule du réfectoire. Allons faire le tour des classes !


    - Ca va être un peu louche de faire du porte à porte, s'inquiéta Rentarou. En plus, les profs ont tous un bureau à côté de leur salle.


    - On dira qu'on cherche un sempai ou un copain !


    Le petit rouquin se leva rapidement et encouragea ses camarades à l'imiter. Rentarou s'apprêta à le suivre. En face d'eux, Seiichi se tenait la tête d'une main, les observant avec lassitude.


    - Excusez-moi tous les deux, fit-il en se redressant d'une voix blasée, mais auriez-vous subi une lobotomie à la naissance ? Ou l'opération a t-elle été pratiqué plus récemment ?


    - On cherche des solutions, répliqua Shintarou qui méprisait l'attitude ironique du jeune ninja.


    - Ah oui ? Moi, j'aurais dit que vous cherchiez les heures de retenue dès le premier jour de la rentrée. Mais je peux toujours me tromper.


    - C'est pas faux, jugea Rentarou. Mais tu connais un meilleur moyen d'avoir des infos ?


    En décochant un léger sourire narquois, l'adolescent aux cheveux ébènes répondit d'une voix beaucoup plus normale :


    - Je pensais juste que cette fille devait avoir tous les renseignements que nous voulons.


    - Cette fille ? répéta le rouquin.


    - Quelle fille ?


    En levant ses yeux au plafond, Seiichi s'étonna intérieurement d'un tel manque de discernement. Il poursuivit en reprenant son ironie piquante :


    - Combien d'étudiants travaillent à l'administration du lycée ?


    - Yoko-chan ! comprit immédiatement Rentarou. Mais oui ! C'est la meilleure solution !


    - Cette peste ne nous dira rien du tout, bougonna Shintarou.


    Rentarou passa sa main dans la tignasse du jeune homme et le contredit :


    - Les Sanonis sont devenus amis avec elle pendant les vacances !


    - Les Sanonis ? C'est quoi ça ? s'intrigua Shintarou en fronçant les sourcils.


    En croisant ses mains derrière sa tête pour la soutenir, Seiichi se chargea de lui répondre avec désinvolture.


    - Les trois meilleurs joueurs de tennis de ce lycée !


    Les deux Sanonis éclatèrent joyeusement de rire en même temps de cette conclusion. Le petit rouquin se sentit un peu à l'écart mais préféra ne rien dire. Il proposa d'aller voir Yoko sur le champ mais Seiichi refusa net. Il leur rappela qu'à partir d'aujourd'hui, le nouveau professeur de Biologie prenait ses fonctions et jugea préférable d'éviter de se faire remarquer dès son premier cours. Ses deux camarades approuvèrent.


    Le cours se déroula sans aucune note négative. La jeune femme qui remplaçait Mademoiselle Hoshino se nommait Tsukiyo Kyoko. Elle avait terminé ses études une ou deux années plus tôt. Le changement de méthodes s'annonça dès l'entrée en classe. Auparavant, la salle de Biologie était toujours en libre accès à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. A présent, la jeune enseignante avait pris la décision de la fermer à chaque fois qu'elle la quittait. Par conséquent, les étudiants de la 1D s'étaient retrouvés devant une porte close sans rien comprendre.


    Quand l'enseignante les rejoignit, personne ne comprit qui elle était réellement. Elle paraissait naturellement si jeune que tous l'assimilèrent à une condisciple. Ses cheveux légèrement bouclés étaient retenus en arrière par une queue de cheval, le teint de sa peau très blanc et sa fine corpulence rappelait beaucoup la silhouette des lycéennes.


    Ils avaient finalement réalisé leur erreur en la voyant sortir une clé d'une poche de sa blouse blanche et ouvrir la porte. Elle leur avait sourit et demandé d'entrer en restant dans le fond de la pièce.


    Le second changement à constater se trouvait dans l'aménagement de la salle. Autrefois, les petites tables étaient toutes alignés l'une contre l'autre en deux longues rangées. Elles étaient maintenant dispatchées et associées par paire de deux.


    L'enseignante attribua de nouvelles places à chacun. Elle expliqua à ses étudiants qu'elle accordait une grande valeur aux expériences. Selon son point de vue, on retenait davantage une leçon en ayant tiré soi-même des conclusions. A partir de maintenant, ils pratiqueraient toutes sortes d'expériences en binôme. Toutefois, la jeune femme précisa que les rapports à rédiger à la fin de chaque cours pour les lui remettre ensuite devaient être faits individuellement.


    Pour ce premier cours, les étudiants ne chômèrent pas. Après avoir présenté les objectifs des leçons de ce mois-ci, le professeur Tsukiyo distribua à chaque groupe un lot d'échantillons de roches. Elle leur demanda de les analyser et de déterminer tout ce qu'il y avait à en apprendre.


    Parmi les binômes, Rentarou obtint comme toujours la pire combinaison. Il se trouva à travailler avec Sawamura. Peu courageux, l'indolent garçon regardait son équipier pratiquer toutes les expériences et noter les résultats. De temps en temps, il jetait des regards en direction de Seiichi à deux ou trois tables de la sienne. L'adolescent aux cheveux ébènes s'était trouvé forcé de collaborer avec son rival, Shintarou. De ce qu'il voyait, il remarquait que tous deux semblaient s'entendre pour ce travail puisqu'aucun ne protestait ni ne criait.
    Pendant que ses élèves travaillaient, Tsukiyo circulait à travers la salle et observait avec attention les expériences et déductions de chacun. Elle n'hésitait pas à donner si un d'eux avait un quelconque problème et tentait de remarquer si l'un des élèves faisait une erreur ou n'était pas sûr dans son raisonnement. Dans ce cas, l'enseignante s'approchait et lui donnait des indices pour lui permettre d'accéder à la déduction correcte.


    Malgré le manque de motivation flagrante de son binôme, Rentarou adorait les changements apportés à ce cours. Il s'ennuyait terriblement autrefois lors des cours de Mademoiselle Hoshino. La jeune femme distribuait des polycopiés à ses étudiants et tentait ensuite de les expliquer. Cependant dès qu'un d'eux posait une question, elle s'empressait d'y répondre même si cela sortait totalement du cadre du cours. Jusqu'à présent, Rentarou avait pris l'habitude de s'asseoir au second rang et de faire ses devoirs. Parfois, il se contentait de discuter à voix basse avec Seiichi et Shintarou. Ils avaient joué aussi pas mal de fois à la bataille navale, au pendu et au morpion.


    A la sortie du cours, le lycéen géant retrouva ses amis. Tous deux se rangèrent à son avis et préférèrent eux aussi ce cours aux précédents. Ils descendirent en même temps au premier étage pour assister à leur séance d'Histoire.


    - Terminé ! s'écria Shintarou réjoui quand ils sortirent de leur dernier cours.


    - Dépêchons-nous d'aller au club, pressa Rentarou impatient.


    - Il n'y a pas club le premier jour, l'informa Seiichi. Les responsables de chaque club se réunissent pour le conseil des étudiants du second trimestre.


    - Oh ! Mais qu'est qu'on va faire alors ?


    - Ben on a des exos en Eco, un travail préparatoire an Anglais pour demain et une dissert à écrire en Histoire, rapporta Shintarou. Qu'est qui te tente ?


    Seiichi rit doucement de la plaisanterie du petit rouquin et de la grimace faite en retour par son meilleur ami. En parlant, le trio arriva rapidement à la salle des casiers où ils déposèrent leur sac.


    - On sort ? proposa Shintarou. On a deux heures et demie avant la fermeture du portail !


    - Et on va où ? Il pleut !


    - Et si nous attendions déjà Tyro, Fukuda-han et Taka-chan ? Ce serait mieux de sortir tous ensemble. Il y a si longtemps que nous n'avons pas été réunis.


    Étonné, Shintarou ne revenait d'entendre pareille déclaration sortant de la bouche du garçon qui passait continuellement son temps à rester à l'écart des autres.


    - Tu as pris un coup sur la tête récemment ?


    En s'adossant au mur derrière lui, Rentarou sourit. Certes, les vacances s'étaient révélées très amusantes et excitantes mais il aimait beaucoup cette rentrée. Retrouver ses amis et faire plein d'activités ensemble le remplissait d'enthoustiasme.

     


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