• Chapitre 37

    Chapitre 37


    Après un week-end où il n'avait absolument rien fait, à part dormir, Seiichi se réveilla le Lundi matin en retrouvant toute son énergie. Depuis Jeudi, l'adolescent aux cheveux ébènes était alité. Sa discussion avec Shintarou sous la pluie battante avait aggravé son rhume.


    En vérifiant l'heure de son réveil, son beau visage grimaça en constatant que les aiguilles indiquaient six heures et demie. Sa tranche horaire pour ses ablutions était largement dépassée et se résolut à prendre sa douche au soir.


    Seiichi se maudait d'être aussi faible. Sa constitution fragile lui causait bien des soucis, notamment pour rattraper le retard dans ses cours et devoirs.


    Il prépara ses affaires pour se rendre en classe et enfila un nouvel uniforme. Par mesure de précaution, le jeune ninja mit un épais pullover au-dessus de sa chemise et sous le blazer de laine. Cela le grossissait et le gênait pour se mouvoir mais ce dispositif s'imposait. Seiichi ne tenait absolument pas à amplifier sa pathologie. Autrement, la prochaine fois, l'infirmière appelerait une ambulance et le condamnerait à rester toute une semaine à l'hôpital. Haruko avait formulé cette menace Mercredi soir lors de sa consultation. De toute manière, même sans cette intimitation, le jeune ninja ne voulait pas de complications. Il avait suffisament souffert de maladies non soignées au cours de son enfance qui avaient manqué à chaque fois de le tuer pour ne pas prendre à la légère le moindre signe d'un rhume.


    Une fois ses vetêments enfilés, il s'approcha de son bureau. Son attention fut attirée par la présence de nombreux documents posés dessus. Cela l'intrigua. Il rangeait toujours cet espace à la fin de son utilisation et ne laissait jamais rien trainer.


    Fixant les deux piles sous yeux, Seiichi prit un des feuillets de la seconde et lut les premières lignes du haut de la page. Il s'agissait d'exercices de mathématiques corrigés, détaillés et expliquant les erreurs et les théorèmes à utiliser. Les autres comportaient des notes respectivement sur le livre étudié en cours de Japonais, la présentation du Canada, le compte-rendu d'un travail sur les différences d'environnements, de l'anglais, une sorte de dialecte incompréhensible de chimiste et la seconde guerre mondiale en Occident.


    Se grattant la tête, Seiichi ne comprenait pas. Toutes ces notes lui rappelaient les cours manqués à cause de sa maladie. Néanmoins, le principe de rater un cours consistait justement à ne pas en avoir de traces. Des pages annotées n'apparaissaient pas miraculeusement.


    Tout en essayant de réfléchir à une réponse possible, il se saisit du second paquet. Dedans se trouvait plusieurs copies des dissertations d'Histoire, de Géographie et de Japonais à rendre pour aujourd'hui. Certes, l'adolescent aux cheveux ébènes appréciait particulièrement les légendes et toutes sortes de récits où se mélangeaient aventures et magie mais conservait toujours un esprit rationnel et logique. Il savait pertinemment que les devoirs ne se rédigeaient pas tous seuls. Ses stylos ne s'étaient pas non plus ouverts et n'avaient pas copié d'eux-mêmes les cours de ses professeurs.


    Sans se souvenir tout de suite que son meilleur ami séchait les cours, son esprit pensa à Rentarou. Cela lui ressemblait assez de passer tout son temps libre pour aider un ami. Il reporta à nouveau son attention sur l'une des pages mais réalisa son erreur. Cette écriture droite, fine et stylée n'était absolument pas celle du lycéen géant. Celui-ci, comme Tyro, écrivait lisiblement s'il s'appliquait mais le reste du temps, les tracés de leurs kanjis étaient très mal fait. Un sourire s'esquissa sur son visage en se souvenant du jour où le jeune ninja leur avait proposé de leur acheter un cahier d'écriture réservé pour les écoliers.


    Face à ce mystère insoluble, Seiichi se décida à l'éclaircir plus tard ou il serait en retard. Le jeune homme prit ses affaires, quitta sa chambre et s'arrêta à la porte voisine. Il frappa. Shintarou vint lui ouvrir.


    - Seiichi, tu te sens mieux ?


    - Oui, je n'ai plus du tout fièvre. Et Rentarou ?


    - J'ai beau frapper, il ne répond pas, soupira le petit rouquin. Je dois être à ma douzième retenue qu'Onita me donne depuis Mercredi.


    - Seulement ? Te connaissant, j'aurais pensé que tu avais déjà dépassé la vingtaine.


    - J'ai eu pas mal de boulot ce week-end, éluda t-il. Si on allait manger ?


    Après avoir jeté un regard triste à la porte fermée, Seiichi acquiesça. Les deux adolescents descendirent en silence au réfectoire. En chemin, le jeune ninja médita sur la dernière réponse de son compagnon.


    Après avoir fait la queue presque une demie-heure et obtenu un plateau petit-déjeuner aussi chargé l'un que l'autre, ils allèrent s'installer à une table dans le fond de la pièce et à l'écart des autres.


    - Shin, tu m'as passé des notes des cours que j'ai manqué ?


    Le petit rouquin ne répondit pas. Il était beaucoup trop occupé à mastiquer les pâtisseries mises dans sa bouche.


    - A part Rentarou, tu es le seul élève de la classe à faire un tel travail, reprit Seiichi. Quoique … Rentarou se contenterait d'aller au secretariat photocopier ses notes …


    - Je recopie toujours mes notes au propre, révéla Shintarou après avoir bu un verre d'eau. Je préfère l'écriture avec de l'encre et un pinceau.


    Seiichi s'étonna légèrement de cette remarque mais n'en montra rien. Il avait un peu du mal à imaginer le bouillant et impatient Shintarou tracer avec délicatesse les lettres et symboles sur son papier. Lui-même détestait cela.


    - Pourquoi tu as fait cela ? Je pouvais rattraper mes cours moi-même.


    - C'est de ma faute si tu es tombé malade, rappela le rouquin en repoussant momentanément le pancake de sa bouche. Tu as pris le risque de me chercher sous la pluie alors tu es faible et déjà malade. Je ne pouvais pas faire autrement que de rembourser cette dette.


    Il engloutit ensuite rapidement le pancake puis ajouta avec son riz. Seiichi accepta cette remarque d'un petit signe de tête puis entreprit à son tour de manger.


    A la fin du repas, les deux lycéens rapportèrent leurs plateaux et quittèrent le réfectoire. Se couvrant la tête avec leur serviette, ils coururent en hâte et passèrent enfin la porte d'entrée du bâtiment des cours noyés. La traversée leur sembla plus longue qu'à l'accoutumée.


    Dans la salle des casiers, le jeune ninja prit soin de rajuster correctement sa coiffure. Il aimait que ses mèches ne tombent pas sur son front et voulait que ses cheveux ne dépassent pas ses oreilles.


    - Seiichi est vraiment une fille, se moqua Tyro qui arriva à ce moment-là.


    - La présentation est très importante, Tyro, dit fermement Seiichi. Les gens te jugent toujours par l'aspect que tu dégages. Ils se souviennent davantage de ton apparence que tes paroles.


    Tout en parlant, l'adolescent aux cheveux ébènes songea que son sermon équivalait à prêcher en plein désert avec Tyro. Depuis la rentrée, le jeune homme venait tous les jours vêtu d'un anorak vétuste et hideux. Il était si usé que ses amis n'arrivaient pas à en deviner la couleur. En fait, Tyro non plus ne la connaissait pas. Le garçon avait récupéré cette vieillerie dans le grenier au moment de son changement de chambre. Cependant la tenue s'empirait davantage, si cela pouvait être possible, lorsqu'il rabattait la capuche sur sa tête pour protéger sa précieuse coiffure.


    - Seiichi, allons en cours, proposa Shintarou en rejoignant les deux Sanonis. Il nous reste seulement quinze minutes pour monter l'escalier et traverser l'étage.


    Le jeune ninja approuva cette requête. Ils saluèrent leur camarade avant de partir. Seiichi ne put s'empêcher de lui souhaiter une bonne sieste puisque Tyro avait cours de Géographie en première heure. Ils montèrent donc au second étage et se rendirent à la classe de Japonais. Tous deux frôlèrent de peu le retard : Noda passa le seuil de la porte moins de cinq minutes plus tard.


    Pour une rare fois, Seiichi ne suivit rien au cours. Il pensa continuellement à son meilleur ami et essaya d'imaginer divers moyens de lui parler. L'idée de défoncer la porte lui traversa même l'esprit avant de se rappeler qu'Onita serait très en colère après un pareil coup.


    A la fin du cours, la classe de 1D rangea ses affaires et monta au troisième étage rejoindre la salle de leur professeur titulaire. Seiichi n'écouta pas plus qu'au précédent cours. Toutefois, Hashimoto s'en rendit compte et se fâcha.


    - Shiromiya-san, je veux bien que tu ais des difficultés. Cependant si tu ne fais pas davantage d'efforts tes résultats ne grimperont pas tous seuls.


    Cette phrase fit l'effet d'un électrochoc à Seiichi. Rapidement, il porta sa main droite contre son front et releva lentement la tête.


    - Je ne me sens pas, Hashimoto-sensei … J'ai mal à la tête … La fièvre …


    - Tu ne vas pas bien ? s'inquiéta l'enseignant. Tu devrais aller à l'infirmerie.


    - Non, Haruko-sensei m'a donné des médicaments pour ma fièvre.


    - Eh bien, vas vite les prendre et repose-toi.


    - Cependant je ne sais pas où ils sont, reprit Seiichi un peu penaud. Ce week-end, je n'étais pas bien du tout … C'est Shin qui me donnait mes médicaments.


    - Je comprends, s'exclama Hashimoto en se retournant vivement. Fujita-kun, accompagne Shiromiya-san rapidement et donne-lui ses médicaments !


    Shintarou ne comprit absolument rien à cette scène mais accepta de faire confiance à Seiichi. Son ami devait avoir une excellente raison pour cette comédie. Il détestait sécher les cours. Une fois dans le couloir, le jeune ninja cessa d'avoir l'air malade et lui murmura rapidement qu'il lui expliquerait bientôt. Ils quittèrent le bâtiment des cours, traversèrent le campus sous la pluie battante et s'arrêtèrent finalement à l'arrière du bâtiment de l'internat.


    - Si je ne me trompe pas, sa chambre est juste au-dessus.


    - Ce qui ne trompe pas, c'est qu'on est juste en face de la grande baie vitrée de l'infirmerie. Si Haruko-sensei nous voit, on est morts, marmonna Shintarou.


    - Tu as raison. Écartons-nous pour parler.


    Les deux lycéens tournèrent à l'angle du mur pour s'éloigner de ce danger.


    - Shin, tu sais bien grimper à n'importe quelle hauteur ?


    - Évidemment. Je monte au moins une fois par jour sur les toits du bahut sans passer par l'escalier.


    - Dans ce cas, tu peux grimper ce mur et accéder à la chambre de Rentarou !


    - Tu es sérieux ou cinglé ?


    - Très sérieux ! Puisque la porte est fermée, passons par la fenêtre !


    - N'y pense même pas.


    - Pourquoi ? Tu ne veux pas aider Rentarou ?


    - Bien sur que si. Cependant à cette période de l'année, je ne peux pas faire ça. Avec cette pluie, les murs sont glissants. Si je grimpe là-dessus, je suis sûr de tomber.


    Le visage de Seiichi s'assombrit fortement de cette révélation. Il réfléchit à nouveau à un autre moyen de réaliser sa première idée. Son cerveau ne tarda pas à trouver quand sa tête se leva en direction du sommet du bâtiment.


    - Et si tu descendais en rappel attaché par un harnais ? Cela fonctionnerait ?


    En levant à son tour la tête, Shintarou recula de quelques pas et estima la pertinence de la question posée par son ami. Il se souvenait parallèlement de ses visites ponctuelles sur les toits. Ceux-ci étaient entièrement plats, excepté celui du bâtiment des cours qui ressemblait à temple shintoïste. Sur celui de l'internat comportait aussi quatre petites cheminées d'où s'échappaient les fumées de la cuisine.


    - Si on attache les cordes aux cheminées, ça irait, approuva t-il. Mais il nous faut au moins trois cordes. Il faudrait aussi deux personnes pour descendre la corde avec moi avec.


    - Et il ne faut pas compter sur moi, ajouta Seiichi en fixant toujours le bord du toit. J'ai une peur maladive du vide.


    - Il faut juste trouver maintenant un plan pour sortir Tyro, Taka-chan et Kou de classe.


    - Oublie Tyro, répliqua Seiichi en reportant son attention vers son compagnon. Si nous allons le chercher, autant prendre le risque d'appeler un orchestre.


    - Tyro n'est pas si bête que ça. Il sait que …


    - Je sais qu'il serait d'une grande aide, le coupa le jeune ninja. Malheureusement, il est dans la même classe que Yoko-han. Or, tu sais bien qu'il y a pas plus fouille-merde que cette fille.


    A cause de la pluie qui ne cessait de tomber sur eux et de les refroidir, surtout Seiichi, les deux lycéens se replièrent en vitesse dans la chambre de l'adolescent aux cheveux ébènes en passant par l'escalier de secours de l'internat.

     

    Pendant que Seiichi cherchait quelque chose dans ses documents, Shintarou admira, légèrement moqueur, la collection de peluches du propriétaire des lieux. En effet, quelques jours avant la rentrée, celui-ci avait réussi à accepter ses passions contre-nature aux yeux de la société.


    Depuis tout petit, le jeune ninja adorait les animaux en peluche. Jusqu'à présent, il mettait dans son sac ceux ramassés en ville et les cachait dans son armoire. A présent, celles-ci étaient soigneusement exposées sur les deux étagères à la place de ses précieux livres. Ces derniers s'étaient alors retrouvés en plusieurs tas entre sa commode et le mur, classés par auteur dans l'ordre alphabétique.


    - J'ai trouvé, annonça Seiichi en refermant un tiroir du bureau. Fukuda-han et Taka-chan ont Anglais à cette heure.


    - Et Aizawa nous déteste, soupira Shintarou.


    - De toute manière, je ne peux pas t'aider, songea Seiichi. Puisque je suis sorti de cours malade, je ne peux pas réapparaitre dans les couloirs.


    - Sauf que tu mens beaucoup mieux que moi, rappela Shintarou. Tu pourrais me souffler ce que je dois dire. Je vais mettre l'oreillette de mon portable et tu me diras d'ici quoi dire.


    - Je n'ai pas de téléphone cellulaire, le contredit Seiichi. Rentarou me prête parfois un des siens.


    - Eh bien, utilise les téléphones qui sont mis à disposition pour les internes !


    - Sauf qu'il faut mettre un Yen dans un appareil pour obtenir une minute de communication. Cela donne une somme de 1.700 Yens pour un quart d'heure.


    Shintarou sourit très amusé par la déduction de son ami. Sans rien expliquer, il partit en courant dans sa chambre et revint quelques instants plus tard en tenant une boite métallique contre sa poitrine qui tintait.


    - Ma mère vient de m'envoyer mon argent de poche, claironna t-il. J'ai 6.000 yens en monnaie. Je demande toujours de l'avoir en pièces car je joue pas mal aux jeux vidéos. Comme ça, j'ai toujours beaucoup de pièces sur moi sans avoir à utiliser un changeur de monnaie.


    Seiichi ne commenta pas cette réponse et pensa tout de même que son ami était un sacré drôle d'oiseau. Toutefois, comme cela servait bien leurs intérêts, il se promit désormais de faire attention à ses critiques à l'avenir. Parfois, les fous s'avéraient utiles.


    Après leur séparation, le jeune ninja se faufila dans le bâtiment administratif. Puisque seuls une faible poignée d'étudiants y travaillaient, il ne croisa personne. Tout le monde suivait ses cours. L'adolescent traversa le long couloir blanc sans prêter attention aux coupes et récompenses gagnées par les différents clubs du lycée ou aux bureaux. Derrière la dernière porte à droite se trouvait la salle recherchée.


    Très vaste, on ne trouvait strictement rien dans cette pièce à part des téléphones. Ceux-ci étaient fixés au mur et semblaient attendre de servir. En contemplant le niveau de vétusté de ces engins, Seiichi songea que ceux-ci avaient dû naître au même moment que son grand-père, peut-être même son arrière grand-père.


    Pendant ce temps, son complice retourna dans le bâtiment des cours et monta les escaliers jusqu'au troisième étage puis se dissimula à l'angle d'un mur. Il prit son téléphone cellulaire et le régla en position main libre, sortit une fine oreillette et la mit dans son oreille.

     

    Shintarou attendit ensuite de recevoir l'appel de Seiichi. Une fois l'appel capté, il appuya sur le bouton pour prendre l'appel et remit l'appareil dans sa poche.


    A présent que les préparatifs du plan étaient achevés, le rouquin s'empressa de se rendre à la salle d'Anglais. Il frappa et patienta le temps d'être invité à entrer. Cela se produisit en moins d'une minute. En pénétrant dans la classe, son regard chercha Kou et Takaishi et leur adressa un clin d'œil.


    - Aizawa-sensei, j'ai une communication importante pour Fukuda-kun, annonça t-il.


    En même temps, il adressa un message à Takaishi avec sa main gauche posée près de sa jambe comme Seiichi lui conseilla dans son oreille.


    - Qu'est que c'est ? s'enquit Aizawa méfiante.


    - Ses parents et sa petite sœur ont eu accident. Il faut absolument qu'il vienne. Les médécins qui s'occupent d'eux ont besoin de lui poser des questions.


    Shintarou avait parlé d'un ton énergique, son naturel, mais d'une voix basse, répétant les mots que lui soufflait Seiichi. En même temps, il adressa à ses deux camarades le signe de mensonge.


    - Il ira après mon cours, résolut l'enseignante d'un ton ferme.


    - Mais Aizawa-sensei, vous n'avez pas le droit, protesta une jeune fille au premier rang qui se leva. Laissez donc Fukuda-kun sortir ! Il va s'inquiéter autrement ! C'est horrible de votre part de le laisser souffrir si longtemps !


    - Eh bien, soit ! céda t-elle en soupirant d'agacement. Fukuda, prenez votre sac et disparaissez !


    Alors que Kou rangea rapidement ses affaires, Takaishi se leva :


    - Aizawa-sensei, puis-je sortir moi aussi ? Kou-kun est mon ami d'enfance et je veux le soutenir. Je veux aussi savoir comment va sa famille.


    - Très bien. Allez-y aussi, Yamamoto, siffla Aizawa. Mais disparaissez en vitesse avant je ne change d'avis soudainement !


    Les deux jeunes gens ne se le firent pas dire deux fois. Ils fourrèrent vite livres et cahiers dans le sac et emboitèrent le pas à Shintarou. En chemin, celui-ci leur expliqua le plan mis au point avec Seiichi. Ils retrouvèrent le jeune ninja en bas des escaliers de l'internat.


    - La première partie du plan est faite, dit Seiichi.


    - A présent, on doit monter sur le toit, c'est ça ? fit Kou.


    - Non, on doit aller chercher des cordes à la cave, corrigea Shintarou. Mais il y a Haruko-sensei qui peut sortir à tout moment et les femmes de service qui font le ménage du réfectoire et des salles de détente. Autant de risques de se faire griller.


    - Il suffit de faire le guet, proposa Takaishi.


    - Pour entrer, cela ne pose pas de problème, reprit Seiichi. Cependant pour sortir, il faudra être sûr que personne ne soit dans le couloir sauf un de nous. Comment faire ?


    - Utilisons les portables, suggéra Kou. Quand celui qui est en bas remonte, il nous appelle pour savoir s'il peut sortir.


    - Et avec la sonnerie, on se fait griller en moins de trente secondes, réfuta Takaishi.


    - Il suffit de couper le son de tous nos portables, résolut Shintarou. De plus, on communiquera seulement par textos.


    - De toute manière, c'est moi qui descend, décréta Seiichi. Je suis sans conteste le plus rapide. Même si quelqu'un arrive au moment où je sors, il ne saura pas me voir.


    Convaincus par ce plan, tous tombèrent d'accord. D'abord, il fallut envoyer quelqu'un pour marcher dans le couloir pour repérer combien de membres du personnel étaient présents. Évidemment personne ne voulut être volontaire. Ils jouèrent au jan-ken-pon pour désigner celui-ci. Le sort choisit donc Kou.


    Peu emballé par cette mission de reconnaissance, l'adolescent l'accomplit malgré lui. Il nota la présence d'une femme de ménage par salle de détente et trois dans le réfectoire ce qui faisait au total quatre personnes, sans compter l'infirmière.


    Dans la seconde partie, Seiichi profita de leurs préoccupations pour se rendre devant la porte de la cave, l'ouvrir et passer derrière. Immédiatement, il alluma sa torche électrique en remarquant l'obscurité régnant à l'intérieur. Il frissonna. Le jeune homme détestait être dans le noir.


    Rassemblant son courage, Seiichi descendit une à une les marches de l'escalier de pierres et vérifia au passage qu'aucune bête ne se dissimulait pas quelque part dans cette obscure noirceur. Parvenu en bas, il marcha d'un pas lent et peu rassuré. Pour s'encourager, le jeune ninja pensa à Rentarou. Il fouilla plusieurs coffres, retourna ou bougea des pots, de lourds engins avant de découvrir de longues et solides cordes pendues à un clou au mur.


    Une fois passées en bandoulière, Seiichi parcourut le chemin en sens inverse. Il éteignit à contrecœur sa lampe en haut de l'escalier et prit rapidement le téléphone cellulaire prêté par Shintarou. Le jeune ninja envoya un bref message indiquant que sa mission était accomplie. Le temps d'obtenir une réponse, il ne cessa d'ouvrir et de fermer le clapet de l'appareil afin d'avoir toujours une petite lumière.


    Quand l'équipe fut finalement réunie, ils montèrent sur le toit. Là-haut, Shintarou interdit de toucher à n'importe quoi. Ses amis le regardèrent donc œuvrer en silence. L'aspirant vétérinaire noua une des cordes à une des quatre petites cheminées rondes métalliques et la laissa pendre dans le vide. Il passa ensuite une autre corde à une autre et demanda à Kou et Takaishi de la tenir puis recommanda de la laisser défiler quand il descendrait avec sans jamais la lâcher. Le rouquin s'attacha ensuite à l'autre bout.


    En montant sur le rebord du toit, le rouquin se retourna et s'agrippa à la corde qui pendait. Sans se soucier d'être retenu ou non par le harnais de fortune confectionné, il se laissa glisser jusqu'au premier étage.


    Pendant ce temps, Seiichi n'avait pas accompagné le reste de son groupe. Il avait rejoint directement la porte de Rentarou et attendait d'entendre la réaction de surprise de son meilleur ami en apercevant la tête rousse du singe à sa fenêtre.


    Pour meubler l'ennui, l'adolescent s'adossa nonchalamment contre la porte et se retint d'allumer son MPX. Son bras s'appuya accidentellement sur la poignée qui s'ouvrit à cet instant et fit basculer le jeune ninja au sol en moins de trente secondes.


    Déstabilisé par la chute, toujours sur le plancher, ses yeux regardèrent autour de lui. Apparemment, il venait d'entrer dans la chambre de son meilleur ami. Seiichi se releva un peu douloureusement et se frotta l'arrière du crâne, en observant l'environnement. Le propriétaire des lieux avait disparu de ces lieux.


    C'est génial ! Nous venons de passer trois heures à construire et à réaliser un plan pour accéder à cette maudite chambre en enfreignant au passage plus de la moitié du règlement de l'école … J'arrive à entrer finalement …. Et il n'est pas là !!! Il va m'entendre !

     

    Plongé dans ses pensées intérieures, Seiichi ne perçut le toquement répété sur le carreau de la fenêtre qu'au bout de la troisième fois. Il tourna alors la tête et vit la tête rousse de Shintarou à travers. Le jeune homme alla lui ouvrir et l'aida à s'introduire dans la pièce.
    - Tu es entré comment ?


    - Par hasard, soupira son interlocuteur. La porte était ouverte.


    Shintarou se demanda si son compagnon n'avait pas tombé en faisant cette découverte. Son camarade était décoiffé et portait une petite marque dans le cou. Le petit rouquin dut faire de gros efforts pour ne pas rire car son imagination lui permettait déjà de visualiser son ami en pleine chute.


    Lorsque son camarade s'en alla, Seiichi s'assit sur le lit et attendit le retour de Rentarou. Il espéra en même temps que celui-ci reviendrait. Au fond de lui existait la craindre de perdre définitivement son meilleur ami mais n'osait pas se l'avouer.


    Au bout d'une demie-heure, Rentarou revint à sa chambre en tenant un paquet de chips sous le bras. Celui-ci s'immobilisa en découvrant sa porte ouverte.


    - Je croyais que ta mère t'avait dit que manger des chips n'était pas bien.


    En relevant immédiatement la tête, Rentarou aperçut l'adolescent aux cheveux ébènes sur son lit. Celui-ci arborait un visage très sévère et parlait avec un ton très sec.


    - Seiichi ? Que fais-tu là ?


    - Oh rien du tout ! ironisa t-il d'une voix tranchante. Depuis Mercredi, je m'inquiète, comme le reste de la bande, et j'ai même consolé Shin en restant plus d'une heure sous la pluie. Du coup, j'ai passé quatre jours au lit avec une forte fièvre car mon rhume s'est empiré. Ce matin, nous avons organisé un plan génial pour parler à notre copain. Shin et moi avons réussi à sortir de classe, nous avons dépensé plus de 4.600 yens de téléphone pour raconter un mensonge convenable à Aizawa-sensei pour libérer Fukuda-kun et Taka-chan. J'ai ensuite dû affronter ma peur du noir pour trouver de fichues cordes à la cave. Shin a descendu en rappel jusqu'à ta fenêtre. Et pendant ce temps, j'attendais devant la porte de ta chambre …. Cette porte qui était bien sur ouverte ! Mais à part tout cela, tout va très bien !


    Sans comprendre la totalité du long monologue de Seiichi, car certains passages restèrent assez incompréhensibles, Rentarou prit subitement conscience qu'il avait toujours des amis auprès de lui. Ces derniers jours, son esprit avait essayé de ne pas y penser. Seuls ses souvenirs concernant Matsuda et de sa blessure causée à son cœur avaient de l'importance.


    - Je suis désolé … , murmura Rentarou en venant s'asseoir près de son meilleur ami, mais j'ai peur.


    - C'est au sujet de Matsuda, n'est-ce pas ?


    La mention de ce nom était encore très douloureuse pour Rentarou. Celui-ci se gela en l'entendant. Il s'étonna aussi que son ami soit au courant.


    - Comment le sais-tu ?


    - Tout le monde sait maintenant qu'il est parti. En sachant qu'il était ton ami d'enfance, il n'était donc pas dur d'imaginer que tu te sentais affaibli par ce choc.


    Rentarou garda le silence un long instant. Certes, au début, il n'avait pas compris ce départ. A présent, avec du recul, il commençait à l'accepter. Le lycéen géant savait que son ami d'enfance rêvait de devenir un joueur professionnel. C'était naturel de vouloir les meilleures choses pour réaliser ses objectifs. Mais la douleur des mots que celui-ci lui avait dite résonnait toujours en lui.


    - Ce n'est pas vraiment ça …


    Lentement et difficilement, le jeune homme réussit à raconter son histoire. Il répéta les phrases que lui avaient dites Matsuda et lui parla aussi de ses crises d'hyperventilation.


    - J'ai peur, Seiichi … Si je continue comme ça … Si je rencontre des gens et je deviens ami avec eux et finissent par me tourner le dos … J'ai peur …. J'ai peur d'en mourir !


    Depuis le début de la conversation, Seiichi était rester à écouter son meilleur ami. En le voyant si agité et déprimé, le jeune ninja posa sa main sur son épaule.


    - Tu ne mourras pas ainsi, Rentarou. Et si cela peut te rassurer, je ne te lâcherais jamais moi !


    - Je sais qu'on ne meurt pas de ça, reprit Rentarou. Mais tu n'as jamais ressenti une crise d'hyperventilation. Chaque fois, tu crois que tu vas y passer. C'est horrible ! Ca fait mal à en mourir, pendant des heures tu as l'impression, mais tu n'en meurs jamais !


    - L'hyperventilation se déclenche avec le stress et l'angoisse, n'est-ce pas ?


    - Dans mon cas, oui.


    - Eh bien, tu dois justement sortir de cette chambre, Rentarou, et recommencer à vivre. Si tu restes focalisé sur tes souvenirs actuels, tu ne ressentiras que l'angoisse de tes crises et du rejet. Par contre, à l'extérieur, il y a tout un monde qui t'attend pour te faire de bons souvenirs avec tes amis.


    L'adolescent aux cheveux ébènes marqua une courte pause et reprit de suite :


    - La tristesse, le désespoir et le sentiment d'abandon ne disparaissent pas. Je le sais. Cependant tu peux les mélanger avec la joie, l'espoir et la confiance. Quand tu as envie de pleurer, ris. Ce n'est peut être pas la meilleure solution mais cela soulage assez bien les blessures morales.


    - C'est ce que tu fais, Seiichi ?


    - J'essaie, répondit-il, mais Shin est beaucoup plus doué que moi.


    Rentarou fronça les sourcils. Il avait déjà entendu son ami mentionner ce nom plusieurs fois par son ami et se demanda de qui il s'agissait.


    - Qui est Shin ?


    - Shintarou, bien sur.


    Pour le lycéen géant, il n'existait qu'un seul élève portant ce prénom. Cependant la probabilité de voir son meilleur ami et le rouquin s'entendre lui paraissait aussi forte que de gagner au loto sans acheter de ticket.


    - Le Shintarou qu'on connait ? Un rouquin petit qui grimpe aux murs comme un singe et mange avec ses mains ?


    - Évidemment. Il n'en existe pas cinquante.


    - On dirait qu'il s'est passé vraiment beaucoup de choses à l'extérieur, soupira Rentarou.
    Les deux garçons restèrent silencieusement plusieurs minutes. Seiichi rompit ce silence.


    - J'ai pris enfin ma décision, Rentarou.


    - Comment ça ?


    - A propos de ma famille. Je suis décidé à partir. Je vais utiliser le temps que je suis au lycée, payé par mes parents, pour gagner de l'argent. Je vais essayer d'économiser pour être indépendant et si je peux pour aller à l'université.


    - Eh ? C'est vrai ? C'est génial !


    - Ce n'est pas encore fait, Rentarou, dit Seiichi. C'est un chemin très long et difficile. Cependant à te voir toujours si déterminé par tes objectifs et à donner tout pour les réaliser, je veux aussi faire pareil et réaliser les miens.


    En entendant la répartie de son meilleur ami, un déclic s'enclencha dans l'esprit de Rentarou. Celui-ci se souvint être un garçon toujours combattif allant jusqu'au bout d'une tâche quand il l'entreprenait. Le jeune homme se remémora de ses propres rêves de justice et égalité, de de ce puissant désir en lui de transformer la société nippone en empêchant n'importe quel citoyen de mourir de faim, de solitude et de désespoir. Des souvenirs du plan de carrière dans la police qui se traçait dans sa tête pour réaliser son rêve apparurent aussi. Il se rappela aussi de tous ces efforts consentis pour arriver au lycée.


    - Je ne suis pas un enfant, murmura t-il à lui-même.


    Les enfants n'avaient aucune conscience de la faisabilité des choses. Ils pensaient uniquement à obtenir les choses selon leurs désirs.


    Son état d'esprit différait de cette description. Rentarou savait que les choses auxquelles il aspirait étaient très lointaines et cela lui serait très difficile de les obtenir. Parfois, le jeune colosse pensait même que c'était impossible.


    Mais l'adolescent croyait en lui et en son potentiel. Il croyait en sa réussite. Même si c'était très dur et pénible, le jeune homme ne renonçait pas et ne se décourageait pas.


    Pour toujours, Rentarou continuerait à croire en lui.


    En se levant du lit, le lycéen géant marcha dans la pièce jusqu'à la caisse où reposait ses affaires de tennis. Il s'accroupit, reprit en main sa raquette et se releva.


    - Je ne suis plus un enfant.


    Frénétiquement, Rentarou gratta les cordes de sa raquette.


    - Et je vais apprendre cette leçon à Katsuo-sempai la prochaine fois que nous nous verrons.


    Resté sur le bord du lit, Seiichi observa son meilleur ami retrouver sa confiance en lui et sourit.

     

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