• Chapitre 40

    Chapitre 40


    En revenant au lycée le Lundi suivant, Rentarou eut du mal à retrouver ses marques. Tout le monde ne parla que la victoire au tournoi régional pendant toute la semaine. Pourtant, il n'estima pas mériter de telles ovations.


    Malgré le fait d'avoir gagné ses trois derniers matches, le lycéen géant ressentait encore le contrecoup de sa défaite et n'en aimait vraiment pas son goût amer. Il se souvenait encore de ce moment où ses genoux s'étaient écrasés sur le sol quand son adversaire, quelques jours plus tôt, avait pris le dernier point lui permettant de remporter la victoire avec un score de 6-2. Le jeune homme prenait conscience de compter trop sur ses capacités innées. Il lui fallait progresser afin de devenir plus fort et ne plus jamais perdre.


    En y réfléchissant, Rentarou reconnaissait que seul son orgueil l'avait conduit là. Ce défaut lui interdisait de suivre les conseils des autres s'il n'était pas décidé à leur demander. Ce qui n'arrivait pas souvent. Tyro et Seiichi auraient pu lui expliquer dans le moindre détail comment mettre de l'effet dans ses balles. Ils lui auraient détaillé avec précisions leurs connaissances. Rentarou le savait et leur faisait pleinement confiance. Cependant il éprouvait ce besoin d'apprendre par lui-même et de se satisfaire de n'avoir eu besoin de personne pour y être parvenu.


    Apparemment, il lui fallait surtout apprendre à demander de l'aide …


    Après l'appel téléphonique de Seiichi lors de la semaine dernière, Rentarou avait commencé à se remettre en question progressivement. Il s'était souvenu des émotions ressenties au cours du mois de Juillet et de sa résolution à faire gagner son équipe et de son implication. Le lycéen géant avait réuni ses équipiers dans ce but et avait accepté d'avoir besoin de leurs forces. Ses souvenirs lui avaient montré avoir accepté les leçons proposées par Raphael avec humilité. Toute la passion ressentie tout le long du match qui l'avait opposé à Kimura lui était revenue en mémoire. Jamais, à ce moment là, il ne s'était jamais senti aussi complet, ni aussi vivant.


    Le jeune homme aux lunettes sombres se sentait plus apaisé actuellement. La brume qui recouvrait son chemin venait enfin de se dissiper. Il souhaitait revivre des sensations aussi fortes et intenses que durant la finale contre Saint-Christophe.


    Venir à bout à de ses réticences n'était pas une simple tâche. Il côtoyait chaque jour ses deux meilleurs amis et pouvait demander leur aide à n'importe quel moment. Cependant le lycéen géant devait aussi rassembler son courage et prononcer ces fameux mots.


    Un midi, en déjeunant avec sa bande, Rentarou se décida à ne plus fuir.


    - J'ai quelque chose à vous demander … , dit-il, le regard fuyant.


    Il abaissa ensuite son dos vers le sol, les mains sur ses genoux. Son visage collé contre le carrelage froid. Au fond, le respect de la tradition japonaise l'arrangea bien. Éviter le contact visuel lui rendrait les choses un peu plus faciles.


    - Est-ce que … est que vous pourriez m'enseigner les effets au tennis ?


    L'adolescent eut du mal à démarrer sa phrase. Cependant dès que son cerveau trouva les mots à dire, il la prononça rapidement, comme on se débarrassait d'une corvée qu'on ne voulait pas. Il resta courbé vers le sol ne pouvant pas regarder encore ses interlocuteurs. Connaissant sa nature indépendante, ses amis sourirent de cet effort.


    - Rentarou, on dirait que ça te prend toute ton énergie ta demande, rigola Shintarou.


    - Moi, je ne l'ai jamais vu demander d'aide à quelqu'un, dit Kou. Il a toujours préféré se cacher et régler seul ses problèmes. Comme les chats, quoi !


    - J'ai atteint mes limites, confessa Rentarou en pestant intérieurement. J'ai besoin d'aide pour aller plus loin et progresser.


    - Le grand Tyro-sama va t'enseigner tout ce qu'il sait, s'exclama Tyro, en bombant fièrement le torse, les bras croisés.


    - Cela signifie qu'il va continuer à perdre ? Après tout, il n'y a qu'une personne pour t'enseigner les meilleurs effets qui soient. Une personne qui n'a jamais perdu un match, par exemple.


    En entendant la réplique immédiate de Seiichi, Rentarou redressa la tête et sourit. Ses deux meilleurs amis lui étaient vraiment précieux. Ils ne lui posaient jamais de questions quand ils sentaient qu'il ne voulait pas répondre. Excepté quand Seiichi comprenait la néccesité de s'entêter à le faire parler pour son propre bien. Autrement, tous deux le laissaient libre de dire ou ne pas dire ses sentiments et ne se moquaient pas de ses faiblesses ou de ses décisions. Les Sanonis pouvaient être en désaccord parfois. Toutefois, aucun d'eux ne cachait le fond de sa pensée et l'exprimait clairement puis n'y revenait plus. A part si l'intérréssé le demandait. Naturellement, les autres ne lui jetaient pas la pierre. D'abord, ils le consolaient puis l'aidaient à tirer des conclusions de ses erreurs.


    - Vous n'avez qu'à lui apprendre tous deux ce que vous savez, conseilla Takaishi. Ainsi il pourra trier et prendre ce qu'il préfère. Il y aura également des trucs qu'il ne maitrisera peut être pas.


    - Rentarou maitrise n'importe quoi en sport en moins d'une journée de pratique.


    - C'est vrai. Pendant les vacances d'été, il a appris à lancer des balles comme un lanceur au base-ball pour contourner l'obligation d'apprendre des effets, rapporta Tyro. C'était impressionnant !


    - Enfin c'était juste des balles rapides, reprit le jeune fan de base-ball. Ceux sont celles réservées pour les débutants et les enfants. On les maitrise facilement.


    - Rapides, changeantes, cassantes et glissantes, dit Rentarou d'un discret sourire narquois.


    Rendu muet de cette énumération, Takaishi demeura incapable de prononcer un seul mot.


    - C'est quoi ça ? demanda Kou ne connaissant pas grand chose à la terminologie sportive.


    - Les quatre types de lancers principaux au base-ball, expliqua Tyro qui s'amusait du manque de réaction de son ami à casquette.


    - Tu t'y connait en base-ball ? s'étonna Shintarou en se retournant vers Tyro.


    - Avec mes frères et sœurs, j'y joue depuis que je suis gosse et on va voir des matches ensemble. Je suis aussi très calé en foot, en kendo, en karaté, en basket, en volley et en danse.


    Le sourire moqueur sur les lèvres, tout le monde apprécia la remarque sur la danse en se retenant difficilement de rire ou d'émettre un commentaire, spécialement en ce qui concerna l'adolescent aux cheveux ébènes et le petit rouquin.


    - Sinon Rentarou, je peux t'apprendre, si tu le veux, ma technique secrète.


    La conversation se réorientant vers lui, Rentarou tendit l'oreille. Il chercha qui lui parla et reconnut alors la stridente voix de Shintarou. Le lycéen géant tourna la tête vers lui.


    - C'est quoi ta technique secrète ?


    - Eh bien, c'est une technique qui est secrète, comme son nom l'indique. Alors si tu connais la signification de ce mot, tu te doutes que je ne peux pas l'expliquer ici.


    - Excellente réplique, Shin !


    - On n'a jamais dit qu'il nous fallait un second Seiichi, soupira Tyro.


    Rentarou soupira aussi. Il adorait ses amis. Vraiment. Mais parfois ils avaient tous le don prodigieux de l'agacer. Le jeune homme reprit, d'un ton pincé :


    - Shin, tu as l'intention de me l'apprendre, oui ou non ?


    - Je t'apprendrais si nous sommes seuls, résolut le rouquin imperturbable. De toute manière, peu de gens peuvent recevoir cet enseignement.


    - Tu penses que Seiichi et moi ne saurions pas maitriser ta technique ? se vexa Tyro.


    Les yeux du rouquin brillèrent étrangement suite à cette réflexion. Rentarou y lut beaucoup d'amusement ainsi que la présence d'un autre sentiment luisant dans ses pupilles vertes. De la fierté ? Il n'en était absolument pas sûr. De plus, Shintarou n'était pas le genre de personne à agir par fierté.


    - Étant donné que je suis certain de vous battre si j'utilisais la totalité de mon potentiel, je pense, en effet, que vous ne pouvez pas la maitriser.


    - Tu penses que je ne peux pas te battre ? Eh bien, on va régler ça rapidement dès ce soir !


    - Calme-toi, Tyro, s'opposa Takaishi en bloquant la poitrine de son ami pour retenir ses gestes d'agressivité et d'énervement.


    - Pas motivé … , marmonna Shintarou. J'ai plus envie de jouer avec mon vrai niveau …


    En observant en silence la silhouette du jeune rouquin, Seiichi réfléchit à ses propos et se souvint de leur conversation sous la pluie. Il devina la probable raison l'empêchant de jouer en utilisant son potentiel maximal. Contrairement à Tyro, le jeune ninja n'éprouvait pas de doutes sur ses redoutables capacités. La preuve résidait en le fait que le rouquin remarquait toujours les plus infimes détails au cours d'un jeu. Sans parler de voir distinctement les balles de Rentarou quand celui-ci avait recours à l'Invisible Server. Pour cette simple raison, Seiichi comprenait que Fujita Shintarou devait être un formidable et impressionant adversaire.


    Malgré son impatience à découvrir le véritable style de jeu de Shintarou, il se résolut à attendre patiemment. Un jour prochain, son ami se déciderait, sans le moindre doute, à l'utiliser.


    - Suffit, Tyro, trancha Seiichi. Il ne veut pas jouer. Cela ne sert à rien de le forcer.


    - Mais … , bouda Tyro comme un gamin. Je voulais jouer contre lui !


    Pendant ses jérémiades, Rentarou convint d'un arrangement avec Shintarou pour pratiquer ses entrainements. Celui-ci choisit chaque Samedi matin comme rendez-vous mais ne dit pas le lieu. Il insista pour conduire à chaque fois son ami sur un court public différent de Tokyo.

     

    Le lycéen géant trouva tout ce dispositif à la limite de la paranoia et se demanda sérieusement quelles techniques maitrisaient Shintarou. Il accepta aussi pour les autres jours de la semaine que ses deux meilleurs amis lui enseignent toutes leurs connaissances sur les effets.


    Le reste de la semaine se déroula sans la moindre anicroche. En Anglais, Aizawa avait rendu à Rentarou son statut de victime officielle au grand soulagement du petit Miura. Les autres professeurs ne se soucièrent pas de sa présence donnant cours comme la dernière fois où il les avait vu. Seul le professeur Hashimoto se distingua de ses collègues et félicita chaleureusement son élève pour avoir étudié sérieusement, malgré sa participation au tournoi régional du Kanto, et d'être resté au même niveau niveau que ses condisciples. Le compliment toucha beaucoup Rentarou dont les joues avaient rougi quand l'enseignant l'avait formulé. Il avait essayé de le remercier de manière convenable mais n'avait réussi qu'à bafouiller un très bref merci à peine audible, la tête penchée vers sa table.

     

    Un jour que la classe 1D attendait devant la porte fermée de la salle d'Anglais que le professeur libéra une des classes de seconde année pour entrer à leur tour, il se produisit un événement aux conséquences fâcheuses.


    Peu pressé d'entrer en cours, Rentarou s'était adossé contre le mur du couloir et regardait droit devant lui.


    En face de lui se tenait un seul étudiant, dans la même position que lui, près de la porte de la salle de Japonais. Il s'étonna de sa solitude. D'ordinaire, un lycéen restait avec ses amis ou, au moins, ses camarades de classe. Le jeune colosse supposa donc que ce garçon avait une question à poser au professeur Noda. Sur le revers droit de son blazer était épinglé trois petites étoiles dorés. Ces étoiles indiquaient l'année d'un étudiant. Se souvenant qu'une des classes de troisième année avait pour professeur titulaire Noda, il ne jugea pas sa présence incongrue.


    Malheureusement, Seiichi l'avait vu lui aussi et ne pensa pas comme lui.


    - Tu attends quelqu'un, Noguchi ?


    Avec surprise, Rentarou tourna la tête vers son meilleur ami. L'adolescent se demanda pourquoi celui-ci parlait avec ce ton impassible et sévère utilisé essentiellement pendant le premier trimestre.


    - Seulement ma copine, répondit simplement Noguchi. J'ai le droit, non ?


    Le jeune homme se redressa et s'avança vers Rentarou. Il lui sourit et tendit sa main.


    - Tu es le fameux Rentarou, hein ? Celui qui joue au tennis avec les titulaires malgré que tu sois en première année ! Je suis très impressionné et enchanté de te rencontrer enfin !


    Embarrassé, l'adolescent aux lunettes sombres n'apprécia pas beaucoup qu'on lui rappela sa célébrité. Il s'apprêta toutefois à serrer la main de son interlocuteur lorsque Seiichi écarta violemment la large paume de son ami.


    - Rentarou n'a pas envie d'être ton ami.


    - Seiichi ! C'est très impoli ce que tu as fait, dit Rentarou réprobateur. Et puis …


    - Tu es toujours aussi mauvais on dirait, rétorqua Noguchi en souriant toujours. Tu défends ton petit ami peut-être … J'ai raison ?


    L'allusion ne plus pas du tout à Seiichi. Cela lui remémora davantage leur dernière entrevue et toisa son interlocuteur d'un regard menaçant. Rentarou ne comprit absolument rien aux événements se déroulant devant lui. Toutefois, il devina que les deux garçons se détestaient mais s'interrogea sur la raison qui les poussaient à se haïr.


    A ce moment, la porte de la salle de Japonais s'ouvrit. Les élèves de 1B en sortirent au compte-goutte. Ils passèrent devant les deux adolescents qui se disputaient sans réagir. Une seule personne du groupe s'immobilisa à leur hauteur.


    - Décidément, vous ne vous aimez pas tous les deux, soupira Yoko.


    - C'est lui qui a commencé, Yoko, accusa Noguchi en se tournant vers elle. Je t'attendais juste pour te dire bonjour quand il m'est tombé dessus.


    - Je t'ai déjà dit que je n'aimais pas afficher notre relation, rappela la jeune fille réprobatrice.


    - Tu sais, Yoko-chan, intervint Rentarou qui craignait ses réactions pour son ami, il …


    - Bonjour Rentarou-kun, le coupa t-elle avec un sourire radieux. Cela fait longtemps que nous ne sommes pas vus. Félicitations pour avoir gagné le tournoi régional !


    Rentarou sourit et apprécia les compliments de cette jeune fille qui l'avait détesté durant tout le premier trimestre. Leur relation semblait évoluer de manière positive. Prenant confiance, l'adolescent se décida à oublier ses appréhensions naturelles et à écouter les conseils de ses amis.


    - Yoko-chan, comme ça fait un moment qu'on ne s'est pas vus, cela te plairait si on passait un peu de temps ensemble ce week-end ?


    - Fais attention, Rentarou. Quelqu'un ne va pas du tout apprécier ta demande.


    Le lycéen géant tourna la tête vers Seiichi et se demanda ce qui arrivait aujourd'hui à son meilleur ami. Se tenant aux côtés de Yoko, Tyro décida d'intervenir afin de limiter les dégats.


    - Bon, ce n'est pas tout mais on devrait y aller. Vous n'êtes pas au courant mais Seiichi doit prendre un traitement le matin. Quand il ne le prend pas, ça le rend irritable. Alors je pense qu'il l'a oublié ce matin. C'est ça, Rentarou, hein ? Vous n'êtes pas allés à l'infirmerie ce matin, n'est-ce pas ?


    Rentarou savait très bien que son meilleur ami ne suivait aucun traitement. D'ailleurs, son rhume s'était terminé une dizaine de jours plus tôt. Toutefois, il avait compris le message de Tyro au travers de ce mensonge. Celui-ci venait d'aménager une porte de sortie. Le lycéen géant s'empressa de sauter dessus et donna au passage un discret coup de pied dans la cheville de Seiichi pour le dissuader d'ouvrir la bouche.


    - Oh ! C'est vrai ça ! Alors on va y aller tout de suite !


    - Je vais y aller aussi, annonça Tyro. Ca m'inquiète tout ça.


    Les Sanonis se dépêchèrent de décamper le plus rapidement possible tout en adoptant une attitude naturelle. Aucun d'eux n'était véritablement certain d'avoir su duper leur amie.
    En les regardant s'éloigner, Yoko secoua la tête négativement. Ces trois-là se montraient toujours si synchrones, organisés et précis qu'elle ne parvenait jamais à dire si leur excuse était vraie ou non. Haruko elle-même ne pouvait pas l'aider. L'infirmière refusait de parler de ses patients.


    Pendant ce temps, les Sanonis avaient filé derrière le bâtiment administratif. Malgré le froid, c'était le lieu le plus sûr du campus. De plus, ils portaient tous trois des vêtements assez chauds pour être protégé du vent glacial qui soufflait en permanence depuis le début du mois.
    S'étant assis sur la marche la plus haute, Rentarou réclama des explications :


    - Je peux savoir ce qui se passe ?


    - Noguchi n'est pas une personne que tu aimes, dit Seiichi aussi tranquillement que s'il aurait parlé de la météo.


    - Ce n'est pas à toi de décider, protesta Rentarou. Il a l'air sympa, en plus.


    Tyro n'était vraiment pas de nature patiente. Et rester debout face à ses compagnons assis sur l'escalier diminua encore plus son bas taux de patience. Peu enclin à rester là jusqu'au déjeuner, il décida d'accélerer le rythme de la conversation.


    - Il sort avec Yoko-chan !


    La nouvelle passa évidemment très mal. Rentarou leva ses yeux vers son meilleur ami et se demanda s'il ne plaisanta pas. C'était tout à fait son genre de dire n'importe quoi pour s'amuser de la tête de la personne ciblée.


    - Il dit la vérité, confirma Seiichi. Nous les avons vu s'embrasser la semaine dernière. Yoko-chan a alors fait les présentations.


    - Et alors ? Je m'en moque ! mentit Rentarou en haussant les épaules et en détournant son regard vers une partie du mur d'enceinte. Elle fait ce qu'elle veut !


    - Rentarou … , soupira Seiichi. Nous savons que cela t'affecte. Au cas où tu aurais oublié, nous t'avons fait avouer tes sentiments.


    Rentarou pouvait difficilement oublier un tel moment. Tout le Samedi du week-end précédant la rentrée, ses deux meilleurs amis, aidés par Nobu, l'avaient littéralement harcelé pour tirer au clair les sentiments ambiguës nourris à l'égard de Yoko. Las de se défendre perpétuellement, il avait cédé.


    - J'ai pas envie d'en parler, déclara Rentarou en maintenant son regard loin de celui de ses amis.
    - Moi, je vais te dire ce que j'en pense, décida Tyro.


    Les yeux posés sur une pierre descellée du mur d'enceinte, Rentarou manqua de soupirer de soulagement. Au moins, les paroles de Tyro étaient toujours mieux à entendre que les leçons de morale que prodiguait toujours Seiichi.


    - Je comprends que Seiichi veuille de te protéger. C'est un truc dur. Cependant c'est entièrement de ta faute. C'était ton droit de ne rien dire de tes sentiments à Yoko-chan. Mais ne sachant rien à ce sujet, elle peut donc sortir avec tous les garçons du lycée si elle en a envie. Donc même si tu es malheureux en ce moment, souviens-toi que le seul qui t'a blessé c'est toi.


    Surpris d'entendre un sermon sortir de la bouche de Tyro, Rentarou tourna rapidement sa tête. Il observa attentivement son ami.


    - Moi qui me réjouissait de ne pas entendre de leçon de Seiichi.


    Malgré la situation sérieuse, l'adolescent aux cheveux ébènes éclata de rire de voir son ami si dépité suite au discours de Tyro. Malheureusement, le trio se fit remarquer à cause de cela. Un instant plus tard, la porte derrière eux coulissa et s'ouvrit. Sur le seuil apparut le redoutable Onita.


    - On a des ennuis, les gars, prédit Tyro.


    Immédiatement, Rentarou et Seiichi se retournèrent. Ils grimacèrent tous deux de cette apparition et se relevèrent pour rejoindre leur ami déjà debout.


    - Eh bien, que faites-vous ici ? Dans l'emploi du temps des premières années, je ne me souviens pas qu'il y a un trou le Vendredi matin.


    - Notre prof est absent, dit spontanément Tyro.


    Stupéfait par cette nouvelle bêtise, Seiichi leva le bras et le frappa à l'arrière du crâne. Il n'arriva pas à croire que celui-ci pouvait raconter un tel mensonge à la personne qui établissait chaque emploi du temps.


    - Vraiment, Sakumai ? Et il s'est passé quoi ? Il a eu un malaise ? Il est tombé subitement dans les pommes et s'est cassé la figure dans les escaliers ? Il est parti en ambulance ?


    Brusquement, le ton de la surprise et de la curiosité se transforma en une immense explosion de colère :


    - MAIS TU VAS ARRÊTER DE ME PRENDRE POUR UN ABRUTI, ANDOUILLE ?


    - Excusez-le, Onita-san, fit Seiichi en se massant les tempes, mais ce n'est pas la faute de Tyro. Il a oublié son cerveau dans le ventre de sa mère et ne peut donc pas comprendre le sens de ses paroles.


    Rentarou dissimula un petit rire dans sa main en simulant une quinte de toux. Quant à Tyro, il foudroya du regard le jeune ninja qui sembla beaucoup apprécier sa plaisanterie.


    - Vous n'avez pas envie d'aller en cours, c'est bien ça ? demanda Onita en regardant chacun des trois adolescents avec une grande attention.


    - On va y retourner tout de suite, enchaina rapidement Rentarou. On faisait juste une petite pause !
    - Non, non, non ! Je vous donne l'autorisation de ne pas y retourner.


    - C'est vrai ? Trop cool !


    Très réalistes, Rentarou et Seiichi se doutèrent que cette annonce était trop belle pour être vraie. Connaissant la personnalité du surveillant, il devait avoir imaginé une alternative pire.


    - Je vais vous donner seulement un travail à faire et vous serez libres, poursuivit-il.

     

    Shiromiya, puisque tu en as l'habitude, tu nettoieras le réfectoire. Sakumai, tu ramasseras les feuilles qui tombent dans la cour.


    - Mais avec ce vent, je vais en avoir pour des heures !


    - Et quant à Satsuma, tu nettoieras mon bureau. Il y a longtemps qu'il que ça n'a pas été fait.


    Aucun des Sanonis ne s'enthousiasma de sa tâche. Si les deux premiers ne se plaignirent pas, Tyro ne cessa de râler avant de se séparer pour se mettre au travail.


    En accompagnant Onita à son bureau, Rentarou soupira, déjà découragé par l'aspect de la pièce. En apparence, elle était très bien rangée. Cependant elle comptait un nombre impressionnant de bibelots à astiquer.


    En premier, le lycéen géant débuta par la tâche la plus longue : la vitrine en verre dans laquelle était exposée de nombreux trophées. L'adolescent ouvrit les portes du meubles et s'impressionna du nombre de coupes dedans. Chacun pour une victoire dans un art martial, en boxe et en gymnastique. Les années gravées dessus remontaient essentiellement aux années entre 2020 et 2030. Il commença à frotter chacun d'eux, un par un.


    - C'est vous qui avez gagné tout ça ? se risqua t-il à un moment.


    Assis derrière son bureau, les pieds dessus, Onita surveilla avec une attention particulière Rentarou. La question posée ne lui procura aucune expression nouvelle sur le visage.


    - Pourquoi ? Ca t'étonne tant que ça ?


    - Non ! Je suis juste très impressionné. Malgré votre petite taille, vous ne vous êtes pas laissé abattre et vous êtes devenu très fort. C'est génial comme attitude !


    Rentarou continua à astiquer la coupe de karaté entre ses mains. Cette réponse surprit le surveillant bien mais n'en manifesta aucun signe extérieur. Les quelques étudiants qui avaient nettoyé son bureau au cours d'une punition n'avaient jamais réagi ainsi. Souvent, ils se moquaient de lui en disant qu'avec un ventre aussi gras, il lui était impossible de pratiquer sérieusement un sport. Son embonpoint n'était pourtant pas si important. D'autres se contentaient de qualifier son palmarès de cool.


    Après l'astiquage des trophées, Rentarou se redressa et referma la vitrine. Il dépoussiéra ensuite les autres objets de la pièce. A savoir le porte-manteau où pendait éternellement le vieil imperméable gris d'Onita, le diplôme d'éducateur accroché au mur et une étagère pleine de romans d'amour. Ce dernier détail amusa beaucoup Rentarou mais sa politesse et sa bonne éducation l'empêchèrent de le montrer.


    L'adolescent passa ensuite au mur derrière le surveillant général où était suspendu les chaines, martinets et autres instruments servant à administrer un châtiment corporel. Un léger frisson parcourut son corps en touchant ces objets avant de remarquer un étrange détail.


    - Vous êtes très intelligent, Onita-san, s'exclama t-il en se retournant.


    - Hein ? fit celui-ci en pivotant son siège vers son interlocuteur.


    - Vous ne vous êtes jamais servis de ces objets, poursuivit Rentarou. Il s'agit d'une mise en scène pour impressionner les élèves et les obliger à vous craindre. C'est ça, hein ?


    - Comment peux-tu dire ça ? persifla Onita en élevant la voix.


    - Parce qu'aucune des lanières n'est abimé. Vous avez dit de nombreuses fois que vous pratiquiez les châtiments corporels dans les écoles où vous avez travaillé qui les autorisait. Mais si vous n'utilisiez qu'un seul de ces martinets ou de ces fouets, l'un d'eux serait forcément défectueux. Le cuir s'use quand il frotte une peau.


    Le regard fuyant, Onita tourna vivement son fauteuil dans l'autre sens.


    - Tu vas probablement le dire à tout le monde, marmonna le surveillant d'un ton aigri.


    - Je ne dirais rien du tout. Je le promets, s'engagea Rentarou. Car je pense que vous êtes important. Les règles sont indispensables à la vie en société et pour leur respect, il faut malheureusement insuffler la crainte dans le cœur des gens.


    Tout e jetant un regard en biais à l'étudiant derrière lui, Onita sourit très brièvement puis somma celui-ci de reprendre son ouvrage. Rentarou obéit docilement. Il termina rapidement puis balaya et lava le plancher.


    En sortant du bureau d'Onita, l'adolescent consulta sa montre. Elle indiqua quatorze heures avec quelques minutes derrière. Il se décida à aller travailler à la bibliothèque en attendant la fin des cours et surtout la fin de la punition de ses deux meilleurs amis.


    Avant de quitter le bâtiment administratif, il voulut passer au bureau de Yoko la saluer. Celle-ci n'étudiait pas la Chimie. Elle n'avait donc pas cours cet après-midi.


    Comme à chaque fois où il lui rendait visite, Rentarou entra sans s'annoncer ni frapper. L'adolescent adorait la surprendre. Il adorait encore plus quand elle prenait son air fâché, la trouvant terriblement mignonne dans ce moments-là. Un jour, le lycéen géant l'avait rapporté à ses amis. Tyro avait alors manqué de s'étrangler avant de tomber de son lit.


    Mais ce jour-là, derrière la porte, une mauvaise surprise attendait Rentarou.


    En ouvrant la porte, il découvrit derrière le bureau une autre personne que Yoko. Celle-ci avait laissé les portes de l'armoire dans le fond grandes ouvertes. Le dessus du meuble, où s'accumulait normalement plusieurs piles de documents, était vide.


    Sur cet espace, désormais vide, était posé un bocal avec des dizaines et des dizaines de clés dedans. D'autres reposaient à côtés mais elles paraissaient différentes. Celles-ci semblaient être faite en une étrange pâte et non en métal. La personne derrière le bureau prenait justement une des clés du bocal et étalait une mixture bizarre dessus.


    - Qu'est-ce que tu fais, Noguchi-san ? demanda Rentarou intrigué.


    - Satsuma ? Que fais-tu là ? Les étudiants qui ne travaillent pas ici n'ont pas à venir.


    - Eh bien, je venais voir …


    L'adolescent se tut en plein milieu de sa phrase. Il remarqua subitement l'inscription inscrite sur l'étiquette du bocal.


    - Ceux sont les doubles des clés des bureaux des profs, s'exclama Rentarou. Est ce que … tu les copies ?


    - Je n'ai pas à te rendre de comptes sur mes activités, Satsuma, répliqua Noguchi. A présent, pars !


    - Dis-moi la vérité ! exigea Rentarou en fronçant les sourcils. Que fais-tu ?


    L'élève de troisième année ne lui répondit pas et continua son ouvrage pendant que Rentarou le harcela de questions. Lorsqu'il eut fini, Noguchi rangea les copies dans sa poche et remit le bocal dans l'armoire avant de la refermer à double tour.


    - Tu devrais partir, conseilla Noguchi d'un ton sifflant.


    - Pas question ! Je veux savoir ce que tu vas faire !


    Brusquement, la porte de la pièce s'ouvrit. Yoko parut sur le seuil et la referma aussitôt.


    - Il y a du monde ici, constata d'elle avec amusement.


    Décidé à obtenir des aveux de son suspect, Rentarou se tourna immédiatement vers elle. Il lui rapporta minutieusement toute la scène aperçue quelques minutes plus tôt.


    - C'est vrai, Keigo ? voulut-elle savoir à la fin du récit.


    - Ma version à moi est différente, répondit Noguchi avec embarras. Je viens d'arriver il y a environ dix minutes. Je suis entré ici pour t'attendre et j'ai trouvé Satsuma ici.


    - Tu as un témoin que tu n'es là depuis dix minutes seulement ? demanda Rentarou avec un sourire de carnassier.


    - Il y a ma petite sœur qui attend à l'entrée, informa Noguchi. Nous étions rentrés à la maison et je l'ai aidé à faire ses devoirs.


    Yoko quitta la pièce en se mettant en devoir de vérifier la vérité. Dès qu'elle fut partie, Noguchi se tourna vers Rentarou. Il regarda celui-ci beaucoup plus méchamment.


    - Tu aurais du partir depuis longtemps, tu sais. Quand elle reviendra, tu seras complètement discrédité à ses yeux.


    Extérieurement, l'adolescent ne manifesta aucun signe d'inquiétude mais se demanda ce qu'il avait pu imaginer pour annuler son témoignage. D'ailleurs quand Yoko revint, le lycéen géant n'aima pas du tout sa manière de le regarder. Elle sembla l'avoir condamnée.


    - Keiko-chan m'a dit qu'elle avait accompagné Keigo jusqu'ici, annonça Yoko.


    - C'est sa sœur. Elle peut mentir pour lui, protesta Rentarou.


    - Avec elle se tenait une fille de notre classe, à Keiko-chan et moi. D'ailleurs, elles ne s'entendent pas. Or, elle m'a affirmé que Keigo et Keiko-chan sont arrivés il y a dix minutes.


    Se sentant vaincu, Rentarou réalisa dans quel piège machiavélique il venait de tomber. Avec des preuves aussi évidentes, mais fausses, personne ne pouvait croire sa propre histoire.

     

    Ravalant autant que possible sa colère, le lycéen géant quitta la pièce et claqua le plus fort possible la porte. Cette impression d'étouffement revint lui comprimer la poitrine. Il courut en hâte pour sortir du bâtiment administratif et donna un grand coup de pied dans le tas que feuilles que venait de ramasser Tyro.


    - Rentarou ! Non ! Je fais devoir tout recommencer !


    N'entendant pas du tout les cris de reproche de son meilleur ami, Rentarou tomba à genoux au sol et ne contrôla plus sa respiration. A nouveau, il faisait une crise d'hyperventilation.

     


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