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Chapitre 52
Chapitre 52
Puisque toute la bande avait réussi les examens du second trimestre, ils se retrouvaient par conséquent en congé quatre jours plus tôt avant le début officiel des vacances d'hiver. Cela n'était pas pour leur déplaire. Takaishi était retourné le lendemain dans sa ville natale. Shintarou avait essayé aussi de rentrer chez lui mais n'avait pas pu. Le billet d'avion réservé pour Sapporo à la date du Vendredi n'avait pas pu être changé. Il restait donc avec ses amis jusqu'à la fin de la semaine. Yoko était aussi rentrée en train le même jour que Takaishi.
Profitant de leurs congés exceptionnels, la bande passait tout son temps chez Raphael à profiter de ses locaux d'entrainements et de son matériel. Le jeune maître des lieux se tenait à leurs côtés. Malgré ses déplorables performances scolaires, il était spécialement dispensé de repasser les examens du fait d'être étranger.
Lors du dernier jour officiel de classe avant les vacances, les Sanonis se promenèrent dans les rues de Tokyo quand ils quittèrent l'ambassade de France. Rentarou remarqua de nombreuses décorations de Noël partout autour de lui. Le lycéen géant savait que dans son pays, il s'agissait d'une tradition purement commerciale. Les japonais ne fêtaient pas Noël. Ceux-ci étaient bouddhistes et shintoïstes. Ici, cette journée consacrée à sa famille devenait une simple fête entre amis bien éloignée de sa véritable signification originelle.
- J'adore les fêtes de fin d'année, s'exclama Tyro avec enthousiasme.
- Vraiment ? fit Seiichi.
- Bien sur ! Ma mère fait toujours un diner génial pour Noël et la nouvelle année ! Ensuite on reçoit des tas de cadeaux de la famille pour les deux occasions ! On va au temple le premier jour de l'année et on peut s'amuser à tirer une prophétie ! Mais le mieux du mieux, c'est qu'on n'a pas l'école pendant deux semaines ! Ces fêtes sont super cool !
Les mains plongées dans ses poches, Rentarou ne dit rien de toutes les choses énumérées par Tyro. Cependant son meilleur ami venait d'exposer toutes les raisons pour lesquelles il détestait l'attitude des habitants de son pays au moment de Noël. Pour eux, c'était un jour normal, comme les autres.
- Tyro, soupira Seiichi avant de prendre un ton professoral. Tu sais, la fête de Noël est importante pour de nombreuses personnes dans ce monde. Il s'agit de célébrer la naissance d'un enfant né pour sauver tout un peuple de ses pêchés. Il n'y a pas si longtemps, les enfants ne recevaient pas de cadeaux à cette occasion. Ils étaient très heureux d'avoir une simple orange.
- Tu plaisantes ? glapit-il. Moi, je ferais la tête toute la semaine si mes parents osaient m'offrir un cadeau aussi nul !
Seiichi éclata de rire de l'expression indignée de son ami. Seul Rentarou ne rit pas, perdu dans ses lointaines pensées. Enfant, il aurait heureux d'avoir une simple orange en guise de cadeau tant que sa mère était avec lui.
- D'ailleurs si vous voulez, vous pouvez venir demain au repas qu'a fait ma mère, proposa Tyro. Il est encore meilleur que tous les autres repas qu'elle fait dans l'année !
- Meilleur que ceux des autres jours de l'année ? répèta Seiichi en salivant. Tu sais comment m'appâter ! Je viens !
- Et toi, Rentarou ? Tu viens aussi ? demanda Tyro en se retournant vers leur ami qui marchait derrière depuis un bon moment.
Sortant de ses pensées, l'adolescent aux lunettes sombres releva la tête.
- Non, je ne peux pas. J'ai déjà des projets.
Rentarou se félicita lui-même pour mieux maitriser l'art subtil du mensonge à présent. A cause de l'éducation que lui avait donné sa mère le poussant à le détester et à toujours rechercher la vérité, il avait toujours été incapable de mentir. Le lycéen géant se montrait terriblement gêné chaque fois que sa bouche en formulait un. Son interlocuteur le démasquait aussitôt. Au cours de ces derniers mois, l'adolescent avait appris la précieuse utilité du mensonge dans certaines situations.Naturellement, comme de nombreuses choses, il fallait se montrer raisonnable avec et ne pas abuser en limitant son utilisation aux cas d'absolue nécessité.
- Je ne vous en ait pas parlé ? ajouta t-il en feignant la surprise.
- Moi, je ne me souviens pas mais il paraît que j'ai une mémoire de poisson rouge.
- C'est simplement la vérité, Tyro, dit Seiichi moqueur. Toutefois, en ce qui concerne cette affaire, je ne me souviens pas non plus que tu en ai parlé.
- Je m'excuse alors, reprit Rentarou. En fait, Nobu-kun m'a demandé de passer la journée et la soirée avec lui.
- Oh ? Ce n'est que ça ? s'exclama Tyro. Tu sais, tu peux l'inviter chez moi !
- Je pense que Nobu-chan préfère voir Rentarou seul, songea Seiichi.
- Mais moi j'aime beaucoup Nobu-kun, protesta Tyro. C'est un petit garçon adorable ! J'adorerais l'avoir pour petit frère à la place de Susumu !
- Je suis désolé de vous faire faux bond au dernier moment, murmura Rentarou.
- C'est pas grave, Rentarou, assura Tyro. Les Sanonis se rattraperons lors du Nouvel An. D'accord ?
Rentarou hocha timidement de la tête. Parfois, le lycéen géant songea ne pas mériter l'affection indéfectible que lui manifestait quotidiennement ses deux meilleurs amis. Il ne cessait de leur faire des cachotteries et ne leur disait rien de ses sentiments pour éviter de leur causer de l'inquiétude. Ils s'en faisaient assez pour lui sans le lui avouer.***
Lors de la journée du Samedi du 24 décembre, très tôt dans la matinée, quelqu'un vint frapper à la porte du domicile de la famille Sakumai. Se levant toujours de bonne heure, Sayuri alla ouvrir. Elle s'étonna de l'apparence de son matinal visiteur.
Haut comme un enfant de huit ans, il s'agissait d'une jeune garçon vêtu d'une longue veste rouge sous laquelle il avait réussi à enfiler deux épais chandails en laine lui donnant l'impression de ressembler à un bibendum. Le petit garçon portait aussi un jean noir dont les bords étaient repliés au moins dix fois tant le pantalon était trop grand pour lui. Les jambes du vêtement restaient sur le bord ses hautes bottes fourrées au lieu de les rentrer dedans. Enfin un bonnet rouge trônait sur une masse de cheveux bruns en bataille.
La première pensée qui passa par la tête de cette mère de famille se résuma à cette image populaire : un elfe du Père Noël.
- Bonjour Sakumai-okusan ! Je suis un ami de Tyro ! dit jovialement l'enfant. Je peux le voir ?
- Je ne sais pas s'il est levé, répondit Sayuri. Je vais aller voir.
La mère de famille monta rapidement les deux étages de sa maison et s'immobilisa sous la trappe permettant d'accéder au grenier où se trouvait la chambre de son fils cadet. Naturellement, celui-ci dormait encore. Ce fut Seiichi qui descendit, fidèle à ses habitudes de se réveiller tôt. Il s'entretint avec la mère de son meilleur ami et décida de parler avec son étrange visiteur.
- Je me disais aussi que seul toi pouvait paraître si étrange, dit Seiichi quand il eut posé les yeux sur le visiteur sur le pas de la porte d'entrée.
- Seiichi-kun ? Tu es là aussi ? C'est génial !
Visiblement très ravi par cette nouvelle, l'enfant sauta vers lui et enlaça ses bras autour de sa taille. Depuis leur aventure ensemble à Odaiba, il adorait la compagnie de l'adolescent aux cheveux ébènes. Seiichi se demandait souvent pourquoi. Ses seuls souvenirs de ce jour-là était d'avoir crié sur lui toutes les cinq minutes.
- Nobu-chan, que fais-tu ici ? Tu n'es pas avec Rentarou ?
- A entendre ta réaction, il n'est pas avec vous, dit Nobu. Je le savais !
En formulant ces paroles, le jeune garçon s'écarta. Son visage devint plus réfléchi et sérieux. Sa main se posa sous son menton.
- Rentarou nous a dit qu'il passait la journée avec toi, rapporta Seiichi.
- A moi, il a dit qu'il la passait avec Tyro et toi.
- Cela ne lui ressemble pas, s'étonna Seiichi en fronçant ses très fins sourcils noirs. Rentarou a horreur de mentir.
- Sauf que c'est Noël, rappela sombrement Nobu. Quand on vivait dans la rue, il s'isolait toujours. Même moi, je ne pouvais pas le trouver.
Essayant de comprendre ce qui n'allait pas chez son meilleur ami, Seiichi se rappela rapidement que celui-ci avait été élèvé en tant que chrétien. Par conséquent, la fête de Noël avait un sens totalement différent pour que pour le reste des japonais. A ses yeux, c'était un moment que l'on célébrait en famille. Or, une personne qui n'avait plus de famille pouvait-elle se sentir capable de se réjouir un tel jour ? Probablement pas.
- Quel idiot, râla Seiichi. J'aurais du deviner cela plus tôt ! Je sais pourtant qu'il est chrétien !
Devant la mine déconfite de Nobu ne comprenant pas les raisons de l'emportement de son ami, Seiichi s'expliqua. Il parla de la religion à laquelle appartenait Rentarou et le sens que prenait la fête de Noël dans celle-ci. Le jeune garçon comprit et sourit.
- Si ce n'est que ça, Seiichi-kun, on peut montrer à Rentarou-kun qu'il a encore une famille !
***En se réveillant dans la matinée, Rentarou s'était senti déprimé rien qu'en voyant la photographie de sa mère sur sa table de chevet. Il avait la sensation que des centaines d'aiguilles acérées lui déchiraient le cœur.
Comme chaque jour de Noël depuis sept ans, il ne cessait de se plonger dans ses heureux souvenirs de son enfance.
Il se réveillait toujours très tôt le matin, terriblement excité. Il contemplait ses cadeaux au pied de la plante verte. Celle-ci faisait office de sapin, en raison de son prix bon marché, décorée de guirlandes. Le petit garçon voulait essayer de les ouvrir discrètement. Mais sa mère veillait. Elle le prenait délicatement par la taille et l'asseyait à la table pour lui servir un succulent petit-déjeuner avec un grand bol de chocolat chaud et deux croissants au beurre.
Toute la journée, il essayait de jouer normalement mais était très excité par l'échéance qui ne cessait de se rapprocher davantage. Le soir, sa mère et lui n'avalaient qu'une simple soupe. Celle-ci passait ensuite toute la soirée de cette sainte nuit à lui raconter des histoires. Elles évoquaient des légendes japonaises transmises au fil des générations ou des contes traditionnels occidentaux ou encore des récits bibliques. Par contre, il y avait un moment où l'enfant n'écoutait plus sa mère. Dès que la pendule de leur appartement sonnait le premier coup de minuit, il fonçait vers la plante ouvrir ses cadeaux. Après avoir déballé ses nouveaux jouets et s'être enthousiasmé, il se levait et marchait vers la fenêtre. Il fixait alors une des étoiles dans le ciel nocturne, joignait ses mains l'une sur l'autre et remerciait Jésus de lui avoir offert de si beaux présents.
Pendant cette journée, Rentarou se leva tout de même, se doucha et s'habilla. Il descendit au réfectoire. Cependant le lieu était désert. Aucune cantinière n'était présente. Comme seuls deux internes demeuraient au lycée pour les vacances d'hiver, le proviseur avait statué un congé pour les dames de service qui préparaient et servaient les repas. Ainsi le jeune homme devait se préparer quelque chose. Il passa derrière les grilles sur lesquelles reposaient en temps normal la nourriture proposée aux élèves et s'agenouilla sur le sol. Ses doigts farfouillèrent sur le carrelage froid jusqu'à trouver un mécanisme qui ouvrit une large trappe.
Une fois en bas, il longea le couloir jusqu'à arriver au bout puis pénétra dans la salle de droite derrière laquelle se trouvait la cuisine où l'on préparait les repas pour les deux cent adolescents qui logeaient ici à l'année trois fois par jour. Aujourd'hui l'endroit était désert et ne montrait aucun signe de l'effervescence permanente qui régnait habituellement.
Ouvrant les différentes portes des meubles, Rentarou finit par trouver du pain et du fromage. Connaissant son absence de don culinaire, le lycéen géant s'abstint de se cuisiner lui-même un repas. Il aurait été capable de provoquer une explosion en laissant trop longtemps une casserole sur le gaz.
Après avoir avalé quelques tartines, l'adolescent remonta dans sa chambre et s'allongea à nouveau sur son lit. Les bras croisés sous sa tête, repensa avec nostalgie et tristesse à sa mère.***
Au même moment, il existait une autre personne dans la ville qui déprimait pareillement Rentarou. Assis aà un magnifique secrétaire taillé dans un coûteux bois de chêne, les yeux de Raphael se perdaient dans le vide. Ils s'arrêtaient aussi sur la photographie sur sa droite. Celle-ci représentait une femme âgée, les cheveux mi-longs encore bruns, aux yeux noisettes, qui tenait un petit garçon dans ses bras.
Brusquement, l'adolescent se redressa. Il entendit des pas dans le couloir. Sans savoir si la personne à laquelle ils appartenaient venait le voir, le jeune homme s'empressa de retourner le cadre. Au lieu de cette ancienne photographie montrant son heureux passé, celui-ci afficha désormais celle prise quelques mois plus tôt. Elle représentait un homme proche de la cinquantaine, les cheveux très courts et grisonnants, son père, sa mère dans une de ses robes fantaisistes et lui dans un de ces costumes luxueux qu'il méprisait au plus haut point. Ce cliché ne possédait pas la moindre valeur à ses yeux et ne reconnaissait pas ses parents en tant que sa famille. La seule qu'il avait eu avait disparu pour toujours.
Quelques instants après que Raphael y eut touché, sa mère entra. Il se leva alors pour aller à sa rencontre et nota que celle-ci paraissait très ennuyée. Méchamment, le cruel adolescent pensa qu'elle devait s'être retournée un ongle.
- Mon Fafa, j'ai un grave problème, lui annonça t-elle avec anxiété.
- Quoi donc ?
Immédiatement, l'épouse de l'ambassadeur changea d'expression. Son visage se courrouça et regarda son fils avec désapprobation.
- Tu ne dois pas parler de cette manière, Raphael. En français correct, il faut dire « De quoi s'agit-il ? » ou « De quel sujet souhaites-tu m'entretenir ? »
L'adolescent détestait cet aspect de la personnalité de sa génitrice. Sous prétexte de représenter le gouvernement français et l'ensemble de ses citoyens, ils se devaient de s'exprimer le mieux qu'il était possible. A chaque fois que Raphael lâchait un mot d'usage courant ou familier, elle le reprenait comme un petit enfant qui commettait une grosse bêtise. Le jeune homme ne comptait plus les fois où sa conceptrice l'obligeait à l'accompagner dans ses réceptions ennuyeuses et le reprenait dès qu'il ouvrait la bouche. Ce n'était pas difficile de comprendre pourquoi l'adolescent ne disait plus grand chose maintenant.
- De quoi souhaites-tu me parler ? reprit Raphael en évitant de paraître las.
- Parfait, s'exclama Thérèse enchantée.
Comme à chacune de leur conversation, il se sentit déjà très excédé mais ne le montra pas pour éviter de nouveaux soucis. Le jeune homme en avait déjà assez à gérer.
- Alors, mon Fafa, je suis vraiment très embarrassée, poursuivit-elle en reprenant son expression de tristesse du départ. Ton père a reçu une invitation d'un ministre pour ce soir et il ne veut pas que tu viennes. C'est un diner très important pour lui et il craint d'être ennuyé par la présence d'un enfant. Tu comprends ?
Raphael eut envie de crier de joie en entendant cette nouvelle. Pour une fois, il n'aurait à supporter ni un interminable diner ni des conversations aussi passionnantes que des gouttes de pluie.
- Cependant je suis ennuyé de te laisser seul ici pour Noël. Alors j'ai une idée !
L'adolescent songea que c'eût été trop beau pour être vrai. Ses parents ne concevaient pas qu'il avait grandi. Le jeune homme avait l'impression qu'ils le voyaient toujours comme le petit garçon de sept ans ramassé huit ans plus tôt sur le perron de sa grand-mère défunte.
- Ce n'est pas la peine de te tracasser, maman, intervint-il. Il y a une fête qui est organisée pour Noël à mon lycée. Je pourrais y aller, non ? Ainsi je ne serais pas seul.
Il s'agissait d'un pur mensonge. Raphael savait pertinemment que son lycée était désert depuis la veille mais sa mère l'ignorait. l'adolescent pourrait librement s'exercer dans le gymnase ou lire à la bibliothèque.
- C'est vrai ? C'est merveilleux alors !
Sur ce, elle laissa son fils à nouveau seul sans deviner les véritables sentiments de son enfant.***
En début de l'après-midi, Seiichi, Tyro et Nobu quittèrent la maison familiale des Sakumai. Les deux lycéens portaient chacun un sac à dos. Ils traversèrent les différents arrondissements qui les séparaient de leur établissement en prenant le bus. Celui-ci les arrêta en bas de la côte du lycée, soit en face du collège de Nobu. D'un pas rapide, ils montèrent la pente, passèrent le portail et s'introduisirent dans le bâtiment de vie scolaire.
- Allons aux chambres, dit Nobu. C'est où ?
- Les escaliers sont à droite, indiqua Seiichi. Suis-nous.
Les deux garçons commencèrent à se diriger vers cette direction lorsque Tyro changea de cap. Celui-ci opta pour se rendre au réfectoire. Très curieux, Nobu le suivit. Fataliste, Seiichi se résigna en maudissant ce besoin incontrôlable de curiosité de ses camarades.
- Qu'est-ce que vous avez ?
- J'ai entendu du bruit, l'informa Tyro.
En disant cela, il promena son regard un peu partout dans le réfectoire.
- Moi, je n'ai rien entendu, soupira Seiichi. Je possède une ouïe supérieure à toi pourtant.
- On entend toujours plein de bruits dans les bâtiments, objecta Nobu. Ca doit être le vent.
Tyro ne démordit pas de son idée. Il s'obstina à inspecter l'endroit et passa de l'autre côté des vitrines où étaient présentées les repas. Le jeune homme s'agenouilla au sol et repéra la trappe menant aux cuisines, à la blanchisserie et aux réserves de l'établissement.
- Le verrou n'est pas mis.
- Quelqu'un l'a probablement oublié, répliqua Nobu.
- C'est une trappe. Si on ne met pas le verrou, on peut tomber en bas si on marche dessus. S'il n'est pas mis, ça veut dire que quelqu'un est descendu et ne sait pas qu'il y a un verrou des deux côtés.
- Tu connais bien le principe, dit Seiichi impressionné par les connaissances de son meilleur ami.
- J'ai passé la moitié de mes retenues là dessous, bougonna Tyro.
Seiichi sourit malicieusement. Il aurait du se douter de cette réponse. Son meilleur ami, étant puni chaque jour de la semaine, devait connaître de nombreux endroits de leur lycée que lui-même ne pouvait pas avoir accès.
- Ca ne nous sert à rien tout ça, se plaignit Nobu. Allons voir Rentarou-kun !
- Il n'y a personne au bahut sauf Rentarou, rappela Tyro. Ca veut dire que Rentarou doit surement être en bas puisque cette trappe est ouverte.
- Je commençais à me demander où tu voulais en venir, dit Seiichi, mais je comprends à présent. Cela me paraît logique.
- Eh bien, descendons alors !
Sans attendre la réaction de ses deux compagnons, Nobu ouvrit la trappe et descendit les étroites marches en bois du petit escalier souterrain. Seiichi et Tyro échangèrent un bref regard de connivence et le suivirent. Au sous-sol, Tyro appuya sur l'interrupteur et éclaira ainsi la totalité des couloirs. Ils marchèrent dans l'un d'entre eux et ne s'arrêtèrent qu'au moment où leurs yeux remarquèrent une porte à moitié ouverte, bloquée par un carton.
- C'est là, s'écria Nobu.
Spontanément, il fonça à l'intérieur. Ses compagnons le talonnèrent de près. Tandis que le jeune garçon appela après son camarade d'enfance, Seiichi chercha l'interrupteur en tâtant le mur de l'étroite pièce. Lorsque la lumière fut, ils découvrirent tout un amoncellement de cartons ouverts et vides autour d'eux.
- Il doit s'agir d'un vieux cagibi, présuma le jeune ninja.
- Retournons dans le couloir, suggéra Nobu.
Brusquement, tous deux entendirent un claquement émanant de l'entrée du cagibi. Ils pivotèrent rapidement et aperçurent la porte qui venait de se refermer avec Tyro à côté. Nobu fut le premier à réagir en accourant à sa hauteur et en examinant le seul accès du local.
- Tyro, qu'as-tu fait ? se lamenta t-il catastrophé.
- J'ai rien fait mal. Je me suis pris les pieds dans un carton trainant près de l'entrée. Pour éviter qu'un de nous se prenne dedans encore une fois, je l'ai retiré. On ne pense vraiment à moi que comme un fauteur de troubles !
- En quoi tout cela est un problème ? s'enquit Seiichi en s'approchant de ses amis.
- Ca veut dire qu'on est prisonniers de cet endroit, révéla gravement Nobu.
- Arrête de te foutre de nous ! Je sors quand je veux !
Nullement impressionné par les dires du jeune garçon, Tyro fanfaronna et compta bien montrer qu'il n'était pas aussi stupide que l'on le disait. Le jeune homme voulut tirer la poignée de la porte mais réalisa qu'aucun système d'ouverture ni de fermeture n'équipait celle-ci. Le garçon perdit immédiatement de sa superbe et demanda beaucoup plus calmement des informations.
- C'est quoi ce truc ?
- Ce truc, c'est probablement une porte sécurisée, expliqua Nobu. Ca s'ouvre que de l'extérieur. C'est plus efficace qu'un simple verrou puisqu'elle se verrouille automatiquement à l'instant où la porte est fermée.
Tyro pâlit affreusement de cette nouvelle. Seiichi ne dit rien et ne montra aucune réaction. Par contre, il balaya du regard l'ensemble de la pièce et le pivota vers une petite bouche d'aération située à trois mètres du sol.
- Il y a une autre sortie, dit-il avec son habituel sarcasme. Un de vous a appris à voler récemment ?
- Calme-toi, Seiichi ! Y a une solution à tout, s'exclama Tyro.
Son ami essayait de parler très décontracté et de paraître à l'aise mais cela se remarquait que le garçon ne l'était pas du tout. Pour sa défense, il fallait préciser que le regard lancé par les yeux bleus océan de l'adolescent aux cheveux ébènes n'aidait pas à le détendre.
- Appelons avec nos portables, reprit-il.
- J'ai pas le mien, avoua Nobu ennuyé. Comme je ne voulais pas être dérangé aujourd'hui par mes potes du collège, je l'ai laissé dans ma chambre.
- Et je parie que Tyro l'a oublié, décréta Seiichi avec impassibilité.
Très nerveux, l'adolescent se mit en devoir de rechercher ce précieux objet. Il chercha longuement dans la moindre de ses poches de son jean, de sa veste et de son anorak. Au fur et à mesure de son inspection, son visage pâlit davantage.
- Je crois que j'ai dû le laisser dans ma chambre …
- Il n'y a même pas de suspense avec Tyro, soupira Seiichi.
***
En vérité, Tyro ne possédait pas tous les torts dans cette sombre histoire. Quelqu'un était bien descendu dans le sous-sol du lycée. Dans le début d'après-midi, Raphael avait été déposé par la limousine de sa mère devant le portail, soi-disant pour cette petite fête inventée pour se débarrasser des hypocrites scrupules maternels à le laisser seul. L'adolescent s'était rendu au gymnastique et avait pratiqué des exercices d'étirement de ses muscles pendant une heure approximativement. Il avait ensuite ressenti les effets de la faim.
N'ayant que très peu mangé à midi et venant d'utiliser de l'énergie, il se décida à la renouveler. Le jeune homme avait quitté le gymnase, avait gagné le réfectoire et descendu par la trappe. En se souvenant des longues explications de Shintarou, l'adolescent avait facilement trouvé la cuisine. En son for intérieur, Raphael pensa que son ami était un ventre sur pattes une fois de plus. Il se fit quelques tartines de jambon et de fromage.
Après ce frugal repas, Raphael remonta dans le couloir du bâtiment de vie scolaire sans jamais penser que des personnes étaient enfermées si près de lui. Le jeune homme s'apprêta à pousser la porte de la bibliothèque quand il entendit un bruit sourd en provenance de l'étage supérieur.
Immédiatement, l'adolescent accourut, monta rapidement l'escalier menant à l'internat et arriva au dortoir des garçons. Il se demanda d'où pouvait venir le bruit et circula dans les couloirs jusqu'au moment où il remarqua une lueur émanant de l'un d'entre eux. Ses pas se précipitèrent vers cette direction.
En passant le seuil de la porte de cette chambre, il se retrouva dans celle de Rentarou. Celui-ci compulsait apparemment un livre mais le renferma en vitesse en apercevant son visiteur et le fourra sous ses couvertures avant de s'asseoir sur le bord du lit.
- Que fais-tu ici, Raphael-san ?
- Rien d'important, éluda le jeune homme. Et toi ? Tu n'es pas rentré dans ta famille ?
- Je n'ai pas de famille, dit douloureusement Rentarou. Je passe toute l'année ici.
- Désolé, murmura t-il.
Le jeune français n'ajouta rien de plus. Il s'approcha de la fenêtre et regarda le blanc paysage au travers. Son esprit ne cessa de se tourmenter au sujet de la famille.
- Moi aussi.
Tournant la tête vers son compagnon, Rentarou ne comprit pas le sens de cette déclaration mais chercha à la connaître.
- Moi aussi. Je n'ai pas de famille.
- Ne dis pas n'importe quoi, répliqua Rentarou avec une agressivité peu coutumière. Tu es le fils de l'ambassadeur de France !
- Je ne considère pas mes parents comme ma famille, avoua t-il avec froideur. L'unique raison pour laquelle je suis avec eux est parce qu'il n'y a plus personne pour s'occuper de moi. Quand je suis né, ils ne sont jamais occupés de moi. Ils ont trouvé aussitôt quelqu'un chez qui me placer et sont repartis à l'étranger dans leurs stupides voyages.
Face à un aveu aussi terrible auquel il ne s'était pas attendu, Rentarou regretta immédiatement sa colère. Malgré sa réticence à évoquer le sujet, le lycéen géant se décida à le faire malgré tout.
- Moi, c'est ma mère …. Enfin j'ai pas envie du tout d'en parler.
Devant la fenêtre, Raphael sourit timidement et succinctement. Il se retourna et traversa la pièce pour s'asseoir sur l'unique chaise.
- Ne te force pas.
Les deux adolescents restèrent assis là de longs instants, sans jamais savoir combien de temps exactement cela avait pu durer, à méditer sur la condition de leur existence. Tous deux enviaient l'autre. Rentarou aurait bien aimé aimer profiter de la richesse d'un parent, même s'il n'aurait pas eu de sentiments amicaux pour lui, et enviait son sempai.
Raphael jalousait aussi son camarade de sa condition sociale peu élevée. Quand sa grand-mère était décédée, il avait imaginé partir à l'aventure sur les routes de France et d'Europe en prenant soin de lui-même. La richesse de ses parents ne l'avait jamais intéressé. Le jeune homme la dénigrait totalement même si elle présentait parfois des avantages.
Malgré le fait que les deux orphelins se trouvaient dans la même pièce, à moins d'un mètre de distance, ils se demeuraient encore très éloignés l'un de l'autre.
- Rentarou ! Tu es là ?
Perdus dans leurs réflexions intérieures profondes, les deux adolescents relevèrent la tête. Ils aperçurent alors un rouquin de petite taille qu'ils connaissaient très bien.
- Shin ? Que fais-tu là ? questionna Rentarou.
- Mon avion n'est toujours pas parti à cause des récentes chutes de neige sur Hokkaido. Comme j'en ai marre de rester à l'aéroport, je suis revenu ici.
- Ca veut dire que tu ne passeras pas Noël avec ta famille, dit Raphael en refoulant la tristesse qu'il ressentait pour son ami.
- Ce n'est pas grave ! On va bien s'amuser quand même !
- Eh ?
- Vous savez, il existe plusieurs types de familles, reprit le jovial rouquin. Il y a d'abord celle que tu as eu par ta naissance dont tu n'as pas eu le choix et que tu peux aimer ou non. Ensuite il y a celle que tu formes avec tes amis. Alors puisque ce soir, nous sommes seuls tous les trois faisons une fête de Noël en tant que cette seconde famille !
***
En ce début de vacances d'hier, Kou s'était levé assez tard ce matin, récupérant de cette manière le sommeil dont il avait manqué lors de ces dernières semaines en raison des cours et des révisions. Après le déjeuner en famille, l'adolescent était retourné dans sa chambre pour lire. Sa jeune sœur l'y avait suivi et s'affairait devant sa coiffeuse.
Allongé à plat ventre sur l'édredon de son lit, près de la fenêtre, il ne demandait rien à personne, sauf de le laisser tranquille, lorsque celle-ci se retourna et lui adressa la parole.
- Fukuda, que fais-tu ce soir ?
En entendant la fillette lui parler de son timbre toujours si sec et autoritaire, Kou dressa la tête et ne se montra pas surpris d'être appelé par son nom de famille par sa propre sœur. Il vivait dans cet appartement depuis dix mois maintenant et elle continuait à l'appeler ainsi. Devant leur mère et son père, Yuki se contentait de dire l'étranger ou l'intrus. Souvent, elle utilisait un pronom personnel pour le désigner.
Un tel traitement aurait scandalisé plus d'une personne. Beaucoup auraient hurlé et aurait exigé davantage de respect. Pas Kou. Depuis sa naissance, il avait l'habitude d'essuyer toutes sortes de réflexions désagréables et d'insultes. L'adolescent était si accoutumé à entendre des paroles méchantes et blessantes que cela glissait. Il lui arrivait de se comparer avec le paillasson devant la porte de l'appartement sur lequel les gens essuyaient les saletés de leurs chaussures.
- Je vais sans doute rester ici, dit-il d'une voix monocorde.
- Je vois. Dans ce cas, tu diras à ma mère que je passe la nuit chez Ayako-chan, compris ?
- Ce n'est pas vrai ?
Excédée, la petite fille posa ses mains sur ses hanches et regarda son frère de travers.
- Évidemment ! C'est Noël aujourd'hui ! On va faire la fête avec des copines !
- Oyaba et Eiji-san ne veulent pas que tu sortes après six heures du soir, rappela Kou soucieux.
Haussant les épaules, elle foudroya davantage l'adolescent en face d'elle.
- Tu comptes me dénoncer ?
Kou secoua négativement la tête en guise de réponse. Il n'était pas assez stupide pour déclencher l'ire de sa petite sœur. Elle ne supportait ni sa présence dans son appartement ni son existence, et surtout elle détestait le fait de devoir partager sa chambre. La petite fille lui causait assez de problèmes en temps normal pour en créer de nouveaux.
Pendant que Yuki terminait de se préparer, le jeune homme se souvenait des paroles qu'elle avait dite. Aujourd'hui c'était Noël. Instantanément, il pensa à un de ses amis pour qui la journée représentait une date importante. Lorsqu'ils étaient encore à l'école élémentaire, le jeune homme avait entendu son récit de ses vacances d'hiver. Par hasard. Il avait été puni par son institutrice et avait dû sortir dans le couloir. Il avait alors écouté le cours de la classe en face de la sienne. Kou se souvenait encore très clairement d'entendre ce petit garçon raconter longuement la journée de Noël.
Pensif, l'adolescent se laissa retomber contre son lit. Il se demanda ce que cette personne faisait en ce moment. A sa connaissance, celle-ci ne devait pas être en train de s'amuser. Il la devinait plutôt en train de ruminer ses souvenirs quelque part dans son coin. Depuis leur enfance, ce garçon agissait toujours de la même manière.
Quand ils étaient de très jeunes enfants, quand il se comportait comme un idiot sans cervelle, Kou se rappelait de son attitude de Rentarou. Il ne se plaignait jamais des coups et des humiliations subies. Il ne bronchait jamais. Il ne pleurait jamais. Par contre, il partait et personne ne parvenait jamais à le retrouver. Ni les institutrices ni Matsuda Katsuo ne réussissaient à mettre la main dessus.
En sachant tout cela, Kou songea ne pas avoir le droit de rester assis là sans rien faire pour son ami. Il se redressa, prit son téléphone cellulaire sur sa table de chevet et composa un numéro contenu dans son répertoire.
- Taka-chan ? fit-il quand il obtint une réponse.
A l'autre bout, son meilleur ami le salua et commença à lui parler de ses vacances. Cependant Kou le coupa rapidement pour changer de sujet de conversation. Il lui rapporta son inquiétude à propos de Rentarou et indiqua son intention de passer la soirée avec leur camarade.
- Qu'en penses-tu, Taka-chan ? Ce serait sympa, non ? Un truc juste tous les trois.
Il écouta la réponse de son ami. Selon ses prédictions, il ne voulait pas venir car son absence risquait d'inquiéter ses parents. Kou le comprenait. Malgré tout, cela le peinait mais n'en dit rien.
- Tu es sûr de toi ?
Dans le téléphone, celui-ci lui confirma timidement sa réponse s'en excusa même. Kou le salua, raccrocha et déposa l'appareil devant lui sur le lit.
Une main posée contre la tempe droite de sa tête, Kou réfléchissai et se demandait si Rentarou apprécierait de le voir ce soir. Il n'y aurait que lui, uniquement lui. C'était peut-être un peu risqué. Cependant en n'y allant pas, Rentarou serait certainement tout seul. L'adolescent ne cessait d'hésiter entre les deux possibilités ne sachant quel était le bon choix à faire.
Finalement le jeune homme se leva de son lit et se décida à sortir. En posant sa main sur la cliche de la porte avant de sortir, il tourna la tête vers sa petite sœur :
- Je sors, Yuki. Je vais surement rentrer tard.
- Tu peux aussi ne plus rentrer, Fukuda, tu sais. Ca m'arrangerait bien, lui lança t-elle.
- Je ne compte pas partir si vite.
Sur ce, Kou quitta la chambre et alla prévenir sa mère qu'il sortait pour la soirée. Le jeune homme se dirigea ensuite vers le vestibule et enfila son manteau avant de sortir.***
Depuis sa descente du train, Takaishi était heureux et satisfait d'avoir retrouvé ses parents en début de semaine. Pour fêter son retour, sa mère lui avait préparé tous les plats qu'il adorait. En réalité, ils l'aimaient tellement que sa mère prenait grand soin à ne pas lui servir un aliment dont son fils n'appréciait pas le goût. Ceux-ci lui avaient aussi enregistrés tous les matches de base-ball qu'il avait manqué au cours de ce second trimestre et Takaishi avait passé toute la semaine à les visionner.
Par rapport à son appartement et à son quartier, le jeune homme comparait son lycée à un hôtel de luxe. Cependant il se fichait bien du manque de place. Ses parents en faisaient déjà bien assez pour lui. Sans nul doute, l'appartement était très petit. Il ne comportait que deux pièces, trois si on prenait en compte sa chambre. Les deux premières se trouvaient être la cuisine, le principal lieu de vie de la famille, et le salon, où ses parents dormaient sur le canapé qui se dépliait le soir et où Takaishi regardait la télévision sur un très vieux poste.
Quant à sa chambre, c'était un placard. Ce n'était pas une exagération. A l'origine, cette pièce avait été conçu pour en être un. Ses parents l'avaient alors aménagé pour en faire un meilleur cadre de vie pour leur enfant. Dedans était contenu un lit vert en mezzanine. Dessous s'organisaient les possessions du jeune homme derrière un long rideau noir pour dissimuler son intimité. Sur le côté gauche, il avait placé son armoire où était rangé ses vêtements. Au milieu, un coffre où il conservait des jouets de son enfance. Et sur le côté droit se tenait le bureau.
Le matin de Noël, Takaishi se leva de bonne heure. Alors qu'il peinait toujours pour se réveiller en période scolaire, l'adolescent ne souffrait pas de ce défaut en vacances.
Avant de prendre son petit-déjeuner, il se rendit derrière le rideau et s'assit à son bureau. Les mains jointes l'une sur l'autre, l'adolescent commença sa prière. Très pieux, Takaishi croyait en les Dieux et en l'existence d'une autre vie après la mort.
En revenant dans sa chambre, il se remit à son bureau et se mit en devoir d'étudier. Le jeune homme révisa une leçon pas très bien comprise.
Malgré le fait que ses parents faisaient tout pour lui rendre la vie agréable et plaisante, Takaishi veillait à respecter les traditions japonaises. Dans la société nippone, il était d'usage que le fils aîné soit celui qui s'occupe de ses parents quand ceux-ci seraient en âge de ne plus pouvoir travailler. Pour cette raison, une pression plus importante s'exerçait sur ces enfants. Takaishi ne l'avait jamais subi. Au contraire. Ils lui avaient proposé souvent de ne pas faire trop d'efforts dans ses études et de profiter de sa jeunesse. Il se mettait lui-même la pression de réussir en voulant rendre ses parents très fiers de lui. A cause de son désir de devenir un simple pâtissier, avant d'entrer en apprentissage, le jeune homme souhaitait sortir d'un lycée qui possédait une excellente réputation avec de bons résultats.
Également il possédait une seconde raison de se mettre autant la pression. Quinze ans plus tôt, le jeune homme avait eu un grand frère. Cependant celui-ci était atteint d'un cancer. Comme lui-même en avait souffert ce qui avait causé la perte de sa chevelure brune. Pour essayer de le sauver, ses parents avaient fait un second enfant en espérant que celui-ci ne soit pas malade lui non plus et pourrait soigner le premier. Malheureusement, son aîné était décédé peu après son troisième anniversaire, quatre mois avant que son cadet ne vienne au monde.
Pour son grand frère disparu trop tôt, Takaishi souhaitait être capable de répondre aux différents rêves que celui-ci aurait pu émettre s'il avait eu la chance de vivre. Le jeune homme s'interrogeait souvent sur la mort et se demandait pourquoi il n'était pas décédé lui aussi de cette maladie. Les Dieux avaient-ils prévus quelque chose de spécial pour lui ? Il ne s'expliquait pas ce miracle mais remerciait chaque jour le ciel de l'avoir guéri.
Dans l'après-midi, alors qu'il refaisait une dissertation de Géographie à laquelle le jeune homme avait eu une mauvaise note, son téléphone cellulaire sonna. L'adolescent tendit le bras pour l'attraper et répondit. Un sourire illumina son visage en entendant la voix de son meilleur ami.
- Salut Kou-kun ! Comment tu vas ?
Enchanté de pouvoir communiquer avec son ami, il commença à lui décrire son quotidien et voulut lui parler du dernier match des Giants de Yokohama, son équipe japonaise favorite de base-ball, vu en début de semaine quand son interlocuteur le coupa. Celui-ci préféra lui évoquer le sort solitaire de Rentarou. Takaishi se sentit navré pour leur ami géant mais ne sut pas quoi dire pour consoler Kou de sa peine. Il n'eut pas le temps de dire grand chose. Son correspondant lui proposa de venir sur Tokyo afin de passer la soirée avec Rentarou et lui.
D'un point de vue strictement personnel, Takaishi aurait adoré s'y rendre. Passer du temps avec ses amis était la chose qu'il préférait. Cependant le jeune homme craignait de délaisser ses parents. Ceux-ci se réjouissaient de le revoir au terme de trois longs mois d'absence. Il ne voulait pas leur causer de peine. Naturellement, ils ne lui disaient rien mais l'adolescent devinait leur tristesse.
- Je ne peux pas, Kou-kun. Je dois rester avec mes parents.
Le jeune homme regretta de prononcer ces mots. Il confirma sa réponse puis salua son ami. En lui-même, Takaishi se reprocha de le laisser tomber. Entre une soirée d'amusements et une où il irait se coucher tôt, l'adolescent préférait de loin la première proposition.
Enfouissant sa tête dans ses mains, Takaishi ne savait plus quoi penser. Il voulait y aller mais ne souhaitait ni inquiéter ses parents ni les attrister. Le jeune homme ne pouvait plus savoir quelle décision était la bonne. Devait-il écouter son cœur ou sa raison ? Son cœur lui criait «cours !» et sa raison «Reste !». Tout s'embrouillait dans son esprit et il ne parvenait pas à démêler quoique ce soit.
L'adolescent était si plongé dans ses pensées que ses oreilles n'entendirent pas sa mère frapper à sa porte. Celle-ci ouvrit et passa sous le rideau en tenant une pile de linge soigneusement plié. Elle s'apprêta à le ranger dans l'armoire et remarqua l'attitude contrariée de son fils. La femme s'arrêta immédiatement, posa son linge sur le coffre et s'approcha.
- Taka-chan, ça ne va pas ? demanda t-elle inquiète.
En entendant la voix de sa mère, le garçon se redressa vivement et se tourna en sa direction.
- Je vais bien, mama, assura t-il. Ne t'en fais pas.
Soucieuse du bien-être de son enfant, la mère jeta un œil sur les feuilles noircies de son écritures comportant plusieurs ratures. Son regard se désola.
- Tu sais, Taka-chan, c'est le jour de Noël aujourd'hui.
- Et alors ? Nous sommes japonais. Ce n'est pas une fête pour nous.
- Je sais. Cependant au Japon, elle a un sens pour les jeunes et les amoureux. La plupart des ados, Taka-chan, sortent avec leurs copains.
Cette phrase rappela son dilemme au jeune homme qui ne sut s'empêcher de faire la moue. Cela n'échappa pas à sa mère.
- Pourquoi ne sors-tu donc pas toi aussi ? Tu ne vas pas rester dans cet appartement toutes tes vacances, non ? Tu dois aussi t'amuser.
Surpris, Takaishi contempla sa mère longuement en silence. Sa tête se leva en sa direction puis se baissa. Il murmura ensuite très bas :
- C'est vraiment bien que je sorte ?
- Bien sur, lui sourit-elle. Alors que vas-tu faire ?***
Pendant ce temps, au lycée, Rentarou, Raphael et Shintarou étaient descendus au réfectoire. Puisque tout l'établissement leur appartenait actuellement, ils comptaient en profiter. A un moment, Rentarou s'était isolé, prétextant aller aux toilettes, et avait appelé ses deux meilleurs amis. Il culpabilisait fort de leur avoir menti et encore plus de s'amuser sans eux. Le lycéen géant s'était excusé de leur avoir menti sur le répondeur du téléphone de Tyro et proposer de le rejoindre. Cependant il craignit que le propriétaire de cet appareil ne soit pas en possession de son bien.
Les trois adolescents s'amusèrent à jouer aux cartes. Shintarou fit aussi rire ses deux camarades en réalisant toutes sortes de pirouettes et acrobaties impossibles que seules sons agilité et sa souplesse hors du commun lui permettaient de faire.
Au beau milieu de ces réjouissances, Kou surgit à l'entrée de la salle. Celui-ci parut très surpris. Il s'était imaginé se rendre à la chambre de son ami mais avait vu de la lumière émanant du réfectoire. En l'apercevant, le trio alla à sa rencontre.
- Fukuda, que fais-tu ici ? demanda Raphael.
- Ca commence à faire du monde pour un endroit désert, rigola Shintarou.
- Je pensais que tu étais seul, Rentarou, alors je voulais te tenir compagnie.
Légèrement gêné, Kou parla d'une voix faible et mal assurée. Etrangement, son visage avait pris la même teinte que le chandail de Rentarou. Ce dernier fut touché par la sollicitude son ami d'enfance, et surtout ex-ennemi. Il le remercia chaleureusement et le convia à leur petite fête improvisée.
D'ailleurs, le jeune homme n'était pas venu les mains vides. Sur le chemin, il s'était arrêté dans un combinience store et avait acheté suffisament de paquets de chips, de bonbons et de sodas pour faire déborder son sac à dos et empêcher sa fermeture. Il mit à disposition de bon cœur ses victuailles avec ses camarades.
Pendant qu'ils dévoraient ces quelques provisions, Takaishi survint. Il s'approcha timidement de ses amis. En le voyant, Kou se leva et alla à sa rencontre, très excité.
- Taka-chan ! Tu es venu finalement !
- Oui, je suis désolé d'être en retard.
- Pas de problème, assura son meilleur ami en levant son bras pour poser ensuite sa main sur son épaule. C'est chouette de voir la bande au complet !
En s'avançant vers le reste du groupe qui le salua jovialement. Il détailla les différents visages et repéra immédiatement que deux manquaient à l'appel.
- Seiichi-kun et Tyro ne sont pas là ?
- Je ne peux pas les joindre, dit Rentarou en dissimulant son amertume et son regret.
- Tant pis pour eux, claironna Shintarou. On s'amusera sans eux !
- Dis, Taka-chan, fit Kou, si tu cuisinais pour nous ? Ce serait encore mieux que des chips !
- Je ne suis pas assez doué pour ça, répliqua le jeune homme avec embarras.
- Ca ne peut pas être pire que Rentarou ou Raphael, déclara le malicieux rouquin.
- Je n'ai jamais cuisiné de ma vie, rappela le jeune français en donnant une bourrade du coude droit dans le bras de son ami.
- Personnellement, si on me demande mon avis, je préfère manger quelque chose de cuisiné plutôt que des chips, intervint Rentarou. C'est beaucoup plus sain.
- C'est très bon les chips pourtant, protesta Shintarou.
- Certes, le goût est agréable. Cependant cela n'apporte aucune qualité nutritive. Bien au contraire.
- Et ton meilleur ami s'en goinfre, rappela t-il.
- Seiichi peut n'importe quoi sans prendre un gramme superflu, soupira le lycéen géant.
Ce constat était la vérité même. Depuis un peu plus de trois mois, l'adolescent aux cheveux ébènes avait finalement atteint un poids normal pour son âge et sa taille. L'infirmière l'avait alors mis en garde de surveiller son alimentation à présent afin de ne pas grossir au point de devenir obèse. Le jeune ninja avait écouté poliment ces conseils mais n'avait pas obéi. Il avait continué à manger un repas pour trois personnes et des tas de produits non diététiques sans prendre un seul kilo de plus ce qui enchantait Haruko de constater que son patient se raisonnait aussi bien. En entendant ce commentaire la première fois, Rentarou n'avait pas su se retenir d'éclater de rire en pensant aux six pâtisseries que son meilleur ami avait englouti avant d'aller à l'infirmerie.
Finalement Takaishi céda à la requête de ses camarades. Ils descendirent ensemble dans le sous-sol pour se rendre à la cuisine. En parcourant les couloirs souterrains, la bande entendit de curieux bruits très sourds répétés, comme si on frappait sur une paroi.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Kou.
- On ne peut pas savoir à distance, dit Raphael. Allons voir.
- Mais ça peut être dangereux, protesta Takaishi.
- La seule entrée, c'est la trappe du réfectoire. Si quelqu'un était entré, nous l'aurions forcément vus. Il doit s'agir d'un truc tombé quelque part ou quelque chose comme ça.
- Rentarou a raison, approuva Shintarou. Allez ! On y va !
Les cinq adolescents s'élancèrent ainsi à l'écoute des bruits. Rentarou, Raphael et Shintarou avancèrent en tête, observant autour d'eux très attentivement. Ils finirent par arriver devant une porte d'où retentissait ces bruits mais surtout derrière laquelle on entendait des voix qu'ils reconnurent tous.
- Seiichi, arrête un peu ! Tu ne peux pas défoncer cette porte, même avec tes talents de ninja !
- Tu préfères rester là ? Je te signale que les vacances d'hiver durent quinze jours. Moi, je peux tenir autant sans manger. Par contre, toi, je ne pense pas.
- S'il te plaît, ne me fais pas penser à ça …
- De plus, cela me fait du bien de frapper quelque chose. Cela me permet de me défouler les nerfs et d'oublier que tu es assez bête pour oublier ton portable !
Se tenant debout devant la porte, Rentarou écouta la conversation de ses deux meilleurs amis en arquant d'un sourcil. Sa toute première impression fut d'abord d'être très touché par leur intention de venu vérifier s'il allait bien pour cette soirée si spéciale pour lui. Cependant le lycéen géant se demanda ensuite comment leur trio se débrouillait pour attirer les ennuis chaque fois qu'ils allaient quelque part. Il ne savait ce qui était arrivé mais présumait que Tyro avait trouvé le moyen de les mener ici. Cela se passait toujours de la même manière.
Sa grosse main finit par appuyer sur le bouton rouge de la porte et celle-ci s'ouvrit automatiquement et rapidement. Aussitôt Nobu accourut et se blottit contre ses jambes. Surpris, Rentarou n'avait pas imaginé le trouver là lui aussi mais le salua. Il ne lui dit aucune remarque sur son étrange accoutrement qui ne l'étonna pas le moins du monde. Le jeune colosse avait appris depuis longtemps à ne pas s'étonner de l'étrange comportement de Nobu.
- Vous comptez vraiment rester là jusqu'à la rentrée ? fit-il en entrant. Si c'est ça, je vais fermer.
En entendant ceci, les deux compères cessèrent instantanément de se disputer et se tournèrent pour découvrir avec une joie non dissimulée leur meilleur ami.
- Rentarou ! Enfin !
- Tu vois que j'avais raison de m'acharner, rétorqua Seiichi avec malice.
L'adolescent aux cheveux de jais ne sut pas quoi commencer. Il voulut les remercier d'être venus pour lui mais souhaita aussi s'excuser de leur avoir raconté un mensonge. Devinant son trouble, Seiichi le devança :
- Apparemment tu t'es trompé de jour pour ce que tu avais prévu avec Nobu-kun. Tu devrais faire attention. Si tu continues, tu vas devenir aussi stupide que Tyro.
Rentarou comprit la tactique du jeune ninja. Il faisait semblant de croire que son ami s'était mélangé dans les dates de ses rendez-vous pour le déculpabiliser de son mensonge. Cependant le lycéen géant se refusa à terminer cette histoire de cette manière.
- Non, c'est pas ça. J'ai menti. Je n'ai jamais eu de rendez-vous prévu avec Nobu-kun. En vérité, je n'avais pas envie de sortir aujourd'hui mais je n'avais pas envie d'en parler. Parler de Noël, ça me fait vraiment très mal.
- On le savait déjà ça, s'exclama Tyro. On peut y aller ? Je deviens craudophobe là dedans !
- Tu veux dire claustrophobe, corrigea machinalement Seiichi.
Sur ce, ils commencèrent à sortir du cagibi, qui fut pendant plusieurs heures une prison pour trois jeunes japonais, et rejoignirent ensuite le reste de la bande qui salivait devant les préparatifs culinaires de Takaishi. La petite fête improvisée se termina tard durant laquelle le groupe mangea des gâteaux, rit beaucoup et joua aux cartes.
Lorsqu'ils décidèrent de monter se coucher car leurs paupières ne pouvaient plus rester ouvertes, les adolescents montèrent au premier étage. Ceux qui étaient internes gagnèrent leur chambre tandis que les autres en prirent une temporairement inoccupée.
Avant de se mettre au lit, Rentarou marcha jusqu'à sa fenêtre et observa le ciel obscur. Ses yeux cherchèrent des étoiles. Lorsqu'il en repéra une, son regard fixa avec attention et refit le rituel de son enfance lors de la nuit sainte de Noël.
Les mains jointes l'une contre l'autre, ses yeux ne cessèrent de regarder l'étoile et murmura doucement :
- Merci petit Jésus. C'est le plus beau cadeau que j'ai jamais eu.Chapitre précédent Chapitre suivant
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