• Chapitre 59

    Chapitre 59


    En entendant entendu cette voix, Seiichi se leva si vivement que sa chaise se renversa. Au même moment, Haruko s'approcha du lit pour en avoir le cœur net.


    Rentarou était bel et bien réveillé.


    Avec quelques difficultés, il avait réusssi à s'asseoir. Toutefois, ne sachant pas que son bras gauche était attaché à une perfuion pour l'alimenter, l'adolescent avait fait tomber celle-ci. Tout le liquide contenu dans le lourd flacon se répandit sur le carrelage.


    - Toujours aussi maladroit, commenta le jeune ninja dun malicieux sourire.


    Malgré ce commentaire qui se voulait détendu, Seiichi était effrayé, en fait. La silhouette de son meilleur ami avait changé pendant ces trois semaines d'inactivité. Jusque-là, il n'y avait pas prêté attention. Son corps avait toujours été caché par les couvertures. Son regard fixe ne quittait pas la forme massive de son camarade. Ses épaules et ses bras étaient décharnés, comme si ses muscles avaint fondu. Il avait désormais une apparence plus normale si l'on excluait sa taille.


    Avant d'aller chercher une serpillière pour nettoyer les dégâts, Haruko alluma la lampe de chevet ce qui éclaira tout cet espace confiné. Jusqu'à présent, elle n'avait autorisé que les torches électriques pour rester près du jeune colosse inconscient la nuit afin de ne pas déranger les autres patients de son infirmerie.


    - Qu'est-ce qui m'est arrivé ? demanda Rentarou perdu, se tenant la gorge. Oh, ce que j'ai soif ! J'ai l'impression d'avoir la langue sèche !


    - Je suis désolé mais je ne sais pas si Haruko te permet de boire, s'excusa Seiichi.


    - Qu'est-ce qui m'est arrivé, Seiichi ? Et puis pourquoi tu pleurais ?


    - Je ne pleure pas du tout, riposta le jeune ninja.


    Mais il ne pouvait pas le cacher. Ses yeux et son nez présentaient encore des marques rouges, même si l'adolescent aux cheveux ébènes avait essuyé promptement ses larmes quand ses yeux avaient vu Rentarou se redresser dans son lit. Ses oreilles avaient aussi entendu des pleurs et la voix de son meilleur ami.


    - Tu étais dans le coma, rapporta Seiichi pour changer de sujet. Tu es resté trois semaines inconscient sans que nous savions ce qui t'arrivait vraiment.


    Rentarou plissa le front. Il posa sa main contre le haut de sa tête et tenta de rassembler ses souvenirs. Le dernier remontait au jour de sa confrontation l'opposant à Kurata dans un redoutable match. Le lycéen géant se rappelait ce qui avait suivi : l'envoi de ses amis à l'infirmerie, la demande aux autres membres de remettre le club en ordre, les soins de ses équipiers, la vérification du nettoyage, être remonté dans sa chambre … Après plus rien. C'était comme si un grand noir s'était ouvert dans sa mémoire entre ce jour et celui de son réveil.


    Pourtant son esprit se souvenait de sensations étranges. Pendant son inconscience, il s'était parfois réveillé. Mais son corps n'avait pas su bouger ou se lever. Ses bras et ses jambes étaient si lourds qu'ils lui avaient donné l'impression de peser cent kilos. Il avait également la tête totalement embrumée et ne savait plus du tout où il se trouvait et ce qui se passait autour de lui. A chaque fois que ses yeux s'étaient ouverts, l'obscurité avait accentué son sentiment de perdition. Ses oreilles avaient entendu parfois la voix de ses amis mais n'étaient jamais arrivé à distinguer ce que ceux-ci disaient clairement. Il avait essayé de les appeler, de crier même, mais aucun son n'était parvenu à sortir de sa gorge à part des grognements. Le lycéen géant s'était souvent demandé s'il n'était pas mort et cette pensée l'avait inquiété. Rentarou se sentait maintenant soulagé d'être de retour parmi les vivants.


    - Comment va tout le monde ? Shin ?


    - Tu t'inquiètes pour lui en premier ? s'étonna Seiichi.


    - Il a un œil blessé. Je veux savoir s'il a pu être sauvé.


    - Non, répondit le jeune ninja. Shin refuse d'être opéré. Pourtant, l'opération sauverait son œil et restaurait à moitié sa vision. Cependant il ne veut pas sacrifier les projets de son père pour lui. Il préfère vivre avec un seul œil plutô que de trahir sa famille.


    - Il est vraiment têtu, déplora Rentarou. Tyro ?


    Le visage de Seiichi s'assombrit quand ce nom fut prononcé. Le jeune ninja confia alors à son meilleur ami tout ce qu'il ressentait vis à vis de l'éloignement de Tyro.


    - Ca ne ressemble pourtant pas à Tyro d'abandonner ses amis, songea Rentarou soucieux.


    - Je sais. Le plus étrange, c'est que sa mère ne veut rien me dire et cela ne semble pas l'inquiéter qu'il n'aille plus en cours. Je croyais que ses parents voulaient que leurs enfants terminent au moins le lycée avant d'arrêter leurs études.


    - On ira le chercher à deux, résolut Rentarou.


    En prononçant ces paroles, sa main se porta sur son estomac. Il se sentait terriblement affamé et avait toujours aussi soif. Tournant péniblement la tête vers la gauche, à l'endroit où Haruko, agenouillée sur le sol, épongeait l'eau sucrée de la perfusion.


    - Haruko-sensei, je peux avoir à manger et à boire ? J'ai faim !


    - Comment peux-tu avoir faim ? s'enquit Seiichi en arquant un sourcil. Tu étais nourri par perfusion. Mama Haruko la changeait toutes les trois heures.


    Comme elle venait de terminer son ouvrage, la jeune femme se releva et expliqua :


    - Une perfusion nourrit la personne en injectant les nutriments dont elle a besoin pour vivre directement dans son sang. Si aucun aliment ne passe par le système digestif, l'estomac se retrouve vide. La personne ressent donc les effets de la faim.


    - C'est psychologique donc, conclut Seiichi.


    - Non, physiologique, corrigea t-elle avant de s'adresser à Rentarou. Cependant je ne peux pas te nourrir tout de suite, Rentarou-kun. Je dois t'examiner complètement. Ensuite seulement je te donnais quelque chose de mes réserves personnelles. D'accord ?


    - C'est pas juste, marmonna t-il. Je ne peux même pas avoir un verre d'eau ?


    - Non. Rien qu'un peu d'eau peut changer ta condition.


    Rentarou se mit à bouder comme un enfant, et tourna la tête vers Seiichi pour discuter avec lui pendant que l'infirmière commença à l'examiner. L'adolescent aux cheveux ébènes lui détailla les changements apportés au club de tennis et raconta les évolutions spectaculaires pour chacun des membres. Ces nouvelles procurèrent beaucoup de plaisir au lycéen géant. Grâce à son entêtement et à son implication personnelle, il avait réussi à changer les choses en influant sur le destin et à le modifier pour le transformer en un avenir plus positif que celui-ci ne s'annonçait préalablement.


    - Eh bien, tout est OK, déclara Haruko avec un sourire de satisfaction.


    - Je peux avoir à manger alors ? Ou je dois continuer à dépérir, rongé par la faim ?


    Sans rien ajouter, l'infirmière s'éloigna en levant les yeux au ciel. Décidément, les adolescents se montraient toujours si exigeants et ingrats. Elle revint rapidement en tenant un plateau sur lequel était posé un bol de riz et un verre de lait. Pour une rare fois de sa vie, Rentarou se jeta sur la nourriture et l'avala à la vitesse d'une locomotive lancée à très grande vitesse.


    - C'est tout ? s'exclama Seiichi en écarquillant les yeux. Un seul bol de riz ?


    - C'est largement suffisant, Seiichi-kun, le reprit Haruko avec sévérité. Un bol de riz contient suffisamment d'éléments nutritifs pour calmer la faim et se nourrir pour une journée. Ne sais-tu pas qu'autrefois, les japonais ne mangeaient qu'un seul bol de riz par jour ?


    Seiichi le savait très bien. D'ailleurs, cela existait encore à leur époque. Dans sa famille, on se nourrissait uniquement le matin d'un bol de riz. On n'avait pas le droit de prendre autre chose de la journée, excepté de l'eau. Encore fallait-il aller la chercher soi-même au puits qui se trouvait tout au fond de l'immense jardin de la propriété familiale ou à la pompe située sur la place publique du du plus vieux quartier de Kyoto où résidait le clan Shiromiya.


    L'adolescent se souvenait bien avoir manqué plusieurs fois de basculer au fond du puits car il devait monter sur la margelle pour remonter le seau. Des souvenirs de s'être fait très mal en se prinçant tous les doigts de sa main droite en essayant de faire fonctionner la pompe. Cet incident l'avait fait jurer de ne plus toucher à nouveau à cet objet maléfique. Pendant une semaine, l'écolier n'avait plus su écrire et surtout n'avait pas pu dessiner non plus ce qui lui avait affreusement manqué. A cette époque, le dessin était la seule chose qui le maintenait en vie. Sans compter que son père lui avait donné quinze coups de fouet pour la forme afin de lui apprendre à être plus attentif.


    Ainsi il ne comprenait pas pourquoi Haruko était toujours si soucieuse de de restreindre les quantités de nourriture. Lui, qui n'avait jamais mangé à sa faim durant son enfance et le début de son adolescence, avait besoin de se rassurer en avalant autant d'aliments que son estomac était capable d'engloutir. De toute manière, tant que la nourriture était à profusion, il trouvait cela bête de la gâcher en se rationnant inutilement.


    - C'était délicieux, s'exclama Rentarou en repoussant son bol. Merci beaucoup.


    - A présent, c'est l'heure de dormir, annonça Haruko avec autorité.


    - Ca ne va pas la tête ? protesta Rentarou. J'ai dormi trois semaines alors je suis en pleine forme ! Je n'ai pas besoin de dormir !


    Il reçut une claque sur la tête de la part de l'infirmière.


    - Ce que tu as fait est un état comateux, Rentarou-kun ! dit-elle très sévèrement. Ce n'est pas un sommeil. Tu dois donc reprendre un rythme de sommeil régulier maintenant et puisque la nuit vient de tomber, il est temps de commencer.


    - Mais j'ai pas sommeil ! Vous allez faire quoi ? Me donner un coup de marteau sur la tête ?


    Seiichi éclata de rire. Il trouva désopilant le spectacle de son meilleur ami. Celui-ci se comportait comme un gamin qui refusait d'aller se coucher. Haruko lui jeta un regard de travers de s'amuser de ses malheurs.


    - Je vais te donner un somnifère pour que tu puisses dormir paisiblement.


    Haruko plongea sa main dans une poche de sa blouse et en retira un minuscule cachet orange qu'elle posa sur le plateau sur les jambes de Rentarou. l'infirmière prit ensuite un pichet d'eau rempli à sa moitié sur la moitié et en versa dans le verre.


    - Et vous êtes sûre que ce truc est bon ? demanda le lycéen géant qui chercha à gagner du temps. Il a vraiment été bien testé ?


    - Je ne me sers jamais de produits dont je suis pas sure à 100%, assura t-elle. J'analyse moi-même leur structure avant de les utiliser.


    Rentarou sentit qu'il perdait la bataille. Il devrait bientôt renoncer et accepter son sort. Pourtant, l'adolescent n'avait pas envie de dormir et aurait bien aimé rester éveillé toute la nuit afin de parler avec Seiichi.


    Avec désinvolture, son meilleur ami croisa ses bras derrière sa tête et dit :


    - Tu sais, Mama Haruko, tu ne devrais pas le forcer ! Rentarou ne le montre jamais mais il est toujours effrayé parce ce qu'il ne connait pas alors il recule le plus possible les choses !


    En entendant ces paroles, Rentarou attrapa en vitesse le cachet et l'avala en buvant le verre d'eau.


    - Toujours aussi facilement manipulable, rit le jeune ninja.


    - En tous les cas, c'est très bien, constata Haruko. A présent, Seiichi-kun, tu peux retourner dans ta chambre et dormir toi aussi.


    L'adolescent aux cheveux ébènes adopta un air stupéfait ce qui ne déplut pas à Rentarou.


    - Quoi ? Mais je peux rester normalement toute la nuit ici !


    - C'était valable jusqu'au réveil de Rentarou-kun. A présent qu'il est sorti de son état comateux, il n'y a plus de raison de le veiller. Donc tu vas te coucher toi aussi.


    - Mais ce n'est pas juste !


    - La malhonnêteté ne paie pas, répliqua Rentarou en lui tirant la langue.


    Haruko secoua la tête, mi-amusée mi-réprobatrice. Décidément, les adolescents avaient beau essayer de se grandir le plus possible, de paraitre plus murs que leur âge et de se comporter comme des adultes, ils n'en demeuraient pas moins des enfants.


    Le médicament qu'Haruko avait donné à son jeune patient était efficace. Rentarou s'était endormi une vingtaine de minutes après l'avoir absorbé et avait dormi jusqu'à neuf heures du matin. En se réveillant, il garda les yeux fermés et tendit son bras gauche pour prendre ses lunettes et les poser sur son nez.


    - J'aurais dû me mettre à ta place, Yoko-han !


    Rentarou n'avait pas besoin de voir pour reconnaître la voix de l'adolescent aux cheveux ébènes. Par contre, son meilleur ami lui avait donné une information qui l'avait intéressé : Yoko était là ! Il se dépêcha de s'asseoir dans son lit et d'ouvrir les yeux.


    Durant son sommeil forcé, l'infirmière avait remis son lit dans l'alignement des autres et fait disparaître les rideaux noirs qu'il avait aperçu la veille. Seiichi et Yoko se trouvaient chacun d'un côté. Apparemment, aucun autre de ses amis n'était présent.


    - Comment te sens-tu, Rentarou ? demanda Yoko soucieuse.


    - Je vais bien, répondit-il puis ajouta moqueur, mais toi tu dois te sentir mal toi, non ? Tu dis toujours que c'est mal de sécher les cours !

     

    - J'étais inquiète pour toi, protesta t-elle en fronçant ses sourcils, fâchée. Tu ne le comprends pas ?


    Rentarou sourit. Il était peut-être fou comme le disait Tyro mais il adorait la voir en colère. Son visage prenait des traits si magnifiques qui illustraient parfaitement les sentiments qu'elle ressentait.


    - Par pitié, soupira Seiichi. Vous pourriez éviter de faire vos scènes de ménages quand je suis là ?


    En entendant sa voix, Rentarou réalisa que son meilleur ami était là. Il était tellement occupé à flirter avec sa petite amie que son esprit en avait totalement oublié son existence. Le jeune homme redevint aussitôt sérieux.


    - Comment vont les autres ?


    - En fait, je ne les ait pas encore vu, dit Seiichi. Yoko-han est la première que j'ai vu ce matin car elle se lève tôt. Shin et Taka-chan dormaient encore. Quant à Raphael-han et Kou-han, ils n'étaient évidemment pas encore au venus au lycée.


    - Vous auriez pu leur dire au lieu d'attendre, leur reprocha le lycéen géant. Ils doivent s'inquiéter pour rien à mon sujet.


    - Tu as encore sauté aux conclusions, sourit malicieusement le jeune ninja. Je t'ai dit que je ne les ait pas vu, pas que je ne les ait pas informé.


    Confus, Rentarou ne parvenait plus à suivre le discours du jeune homme.


    - Je ne comprends pas …


    Seiichi sortit alors son téléphone cellulaire d'une poche de son pantalon et le brandit devant le nez de Rentarou.


    - Tu sais à quoi sert cet objet ? fit-il comme s'il parlait à débile profond. Vois-tu, cet étrange objet s'appelle un téléphone. Plus précisément, il s'agit d'un téléphone cellulaire, appelé plus couramment téléphone portable, et raccourci bien souvent au simple mot de portable. Ainsi vois-tu, grâce à cet objet, il est possible de transmettre des informations à une personne sans la voir directement. Vois-tu cet appareil peut envoyer des messages avec, un texte, la voix ou aussi des photos, de la musiques et des vidéos.


    Fatigué du monologue de son ami, Rentarou le regarda de travers, agacé d'être traité comme le dernier imbécile. Par contre, Yoko s'amusa beaucoup du spectacle offert par Seiichi. En plus de dire son texte, il l'animait par une gestuelle rendant son effet encore plus drôle.


    - Dites, Haruko-sensei, vous a dit quand je sortais ?


    Certes, sa question était un prétexte pour changer de sujet. Cependant il était très intéressé par la réponse. Le lycéen géant détestait être à l'infirmerie. Rester enfermer dans une pièce sans rien faire contribuait à le rendre fou.


    - Rentarou, soupira Yoko. Tu ne peux pas sortir si tôt.


    - Pourquoi ? Je vais bien. Je peux donc sortir et reprendre ma vie où elle en était.


    - Tu ne peux pas continuer à agir comme tu le fais toujours, le réprimanda t-elle. Tu dois apprendre à en faire moins et à respecter ton corps. Tu n'as toujours pas réalisé que c'est parce que tu veux toujours en faire plus que tu t'es retrouvé dans cet état. Si tu ne commences pas à faire attention, tu pourrais risquer des problèmes de santé graves, voire pire. Tu pourrais mourir.


    Les arguments de la jeune fille touchèrent l'adolescent. Il les comprenait parfaitement. En aucun cas, le jeune homme ne voulait mourir. La mort était inéluctable pour chaque être vivant qui naissait et évoluait sur cette planète. Le lycéen géant ne se voilait pas la face. Mais Rentarou refusait de mourir sans avoir essayé de réaliser tous les rêves, tous les projets imaginés dans sa tête. Depuis son enfance, le garçon s'était voué à vivre le plus longtemps possible. Le jeune colosse comptait prolonger sa vie jusqu'au maximum dont il était capable. Par conséquent, prendre soin de lui et ménager son corps était indispensable.


    Cependant Rentarou ne pouvait pas facilement accepter de suivre docilement ce raisonnement. Sa personnalité était faite de manière à ce qu'il soit incapable de tourner le dos aux autres. Dès que son attention remarquait qu'une personne avait des ennuis, le lycéen géant se précipitait et faisait ce dont il était capable de faire pour l'aider.


    C'était impossible de passer son chemin tant que le problème n'était pas résolu et n'arrivait plus à prendre de temps de repos tant que les ennuis de cette personne n'avaient pas disparu. Il ne pouvait pas changer sa personnalité ni la nier. Rentarou était comme cela et en retirait même une certaine fierté. Le lycéen géant appréciait d'apporter son aide à tout le monde, sans même les connaître parfois.


    La perspective que cet obstinément à protéger tout le monde puisse lui causer des problèmes de santé ou même lui coûter sa vie, cela l'ennuyait beaucoup. Mais il refusait de sacrifier ses convictions pour son propre bien. Le lycéen géant préférait avoir une vie plus réduite qu'à celle qu'il espérait initialement mais en restant fidèle aux principes en lesquels il croyait.


    Toutefois, Rentarou ne désirait pas inquiéter ses amis et décida de les rassurer. Il se tourna vers Yoko et prit délicatement les mains de la jeune fille dans les siennes.


    - Je vais essayer de faire un effort. Je ne te promets de réussir à me contrôler mais je vais quand même essayer.


    Yoko parut satisfaite d'entendre ces paroles et lui sourit de reconnaissance. De l'autre côté du lit, Seiichi, assis sur sa chaise, avait croisé les bras contre la poitrine, devinait les véritables sentiments de son meilleur ami. D'avance, il préssentait son mensonge à sa petite amie pour la protéger et l'empêcher de se faire du souci. Rentarou était ainsi. Il était impossible de lui faire la morale sur son comportement, son meilleur ami ne le changerait pas. Au premier cri de détresse que ses oreilles entendraient, à la première larme que ses yeux verraient, son camarade se lèverait à nouveau et se précipiterait pour apporter son aide. En même temps, c'était cette attitude de dévouement pur, dépourvu de la moindre arrière-pensée, qui impressionnait toujours Seiichi et le rendait fier d'être son ami.


    Rentarou se plaignit ensuite d'avoir faim. Son estomac cria bruyamment sa détresse. Seiichi se proposa d'aller chercher un petit-déjeuner pour lui.


    Par ses manières toujours polies et aimables ainsi que son air de jeune homme adulte, il était toujours très apprécié par la gente féminine, même chez les femmes plus âgées que celles de sa propre génération, comme les cantinières qui servaient les repas. Quand il s'introduisit dans les cuisines pour demander de la nourriture, celles-ci le servirent généreusement.


    En découvrant le plateau que son meilleur ami lui avait ramené, Rentarou n'en crut pas ses yeux. cela lui était impossible d'avaler autant de choses. Il y avait un grand bol de riz, une assiette de patates douces, une omelette, des pancakes, de nombreuses pâtisseries et un assortiment complet de fruits.


    - Tu m'a confondu avec un ours ou quoi ?


    - C'est un petit-déjeuner normal, se défendit Seiichi. Je mange cela chaque matin.


    - Tu vas grossir avec un tel régime, s'inquiéta Yoko.


    L'adolescent sourit narquoisement en se frottant le ventre.


    - Je pèse cinquante-quatre kilos depuis quatre mois. Je ne prends pas un gramme de plus.


    - Comment on peut manger autant sans grossir ? se lamenta t-elle. C'est pas juste ! Dès que je fais le moindre excès, je prends un kilo de trop moi !


    Rentarou choisit de ne toucher qu'aux aliments qu'il consommait habituellement, à savoir le riz et les pommes de terres. Le reste, il le laissa à ses deux compagnons. Yoko se coupa quelques tranches de pancake, prit une pâtisserie, une banane et une orange. Seiichi engloutit ensuite tout ce qu'ils laissèrent en quelques instants.


    A la suite de ce repas, les jeux gens discutèrent. Yoko parla de tout ce qu'elle avait entendu dans le lycée. Comme les dernières rumeurs, surtout celles concernant la nouvelle popularité de Rentarou montée en flèche suite à ce qui s'était passé au club de tennis. Seiichi se concentra davantage sur les cours et les anecdotes qu'il pouvait raconter sur leurs professeurs.


    Vers midi, Haruko chassa Seiichi et Yoko pour leur rappeler de se nourrir et apporta son déjeuner à Rentarou. Il fut beaucoup moins impressionnant que celui de la matinée mais plus équilibré. En entrée, du natto était servi, un plat souvent servi en accompagnement, fait à base haricots fermentés et gluants dont l'odeur rappelait celle d'un camembert avec du riz chaud. Bien que ce soit très nutritif et renforçait les défenses immunitaires de l'organisme, c'était aussi répugnant à avaler qu'une cuillière d'huile de foie de morue. A cela s'ajoutait une soupe miso traditionnelle. Le suivant fit très plaisir à Rentarou. Il s'agissait d'un katsudon, l'un de ses plats préférés. Cette préparation se constituait d'une tranche de porc cuite et panée avec du riz et un œuf battu. Enfin une simple pomme complétait ce repas.


    En achèvant ce déjeuner, il s'essuya la bouche avec sa serviette puis se leva pour aller reposer son plateau sur la longue table près de la porte d'entrée. Le lycéen géant alla ensuite se rasseoir dans son lit et prit un livre qui trainait sur sa table de chevet afin de passer le temps. Il n'eut pas le temps de lire beaucoup car Seiichi et Yoko revinrent le voir.


    - Vous vous ennuyez à ce point de moi ? se moqua t-il gentiment.


    - C'est surtout que nous savons que toi, tu t'ennuies à l'infirmerie, répliqua Seiichi. D'ailleurs, je t'ai apporté quelqu'un de tes livres.


    Yoko leva les yeux au ciel. Elle désapprouvait totalement la conduite de son ami et ne se retint pas de lui dire.


    - Seiichi-kun, les internes n'ont pas le droit d'aller dans les chambres en période de cours.


    Indifférent, le jeune ninja haussa les épaules.


    - Et alors ? Personne ne m'a vu et je n'ai pas commis de bêtises. Où est le problème ?


    - Je devrais te sanctionner normalement, soupira t-elle.


    - Eh bien, vas-y, dit Seiichi provocateur.


    - Je ne suis pas en service pour le moment, rétorqua Yoko en détournant la tête. En plus, Rentarou n'a pas besoin d'occupations. Il doit étudier pour rattraper le retard qu'il a pris.


    - Il peut souffler cinq minutes. Il vient seulement de se réveiller.


    - Il a trois semaines de retard, Seiichi ! C'est très dur de rattraper autant !


    - Il a su rattraper huit années scolaires en moins de sept mois alors sincèrement, trois semaines, c'est un jeu d'enfant pour lui.


    Situé entre les deux amis, Rentarou se sentait bien seul sur son lit. Il avait bien essayé d'intervenir pour donner son avis mais ceux-ci ne voulaient pas entendre. Ils étaient trop plongés dans leur dispute pour cela. Finalement, il se résolut à utiliser encore une fois son arme secrète :


    - JE PEUX PARLER ?


    Comme toujours, son cri figea ceux qui l'entendaient et les obligea à se boucher les oreilles.


    - J'ai le droit de donner mon avis, il me semble, siffla t-il ironique. Après tout, c'est quand même moi que ça concerne vos histoires.


    - Désolé, s'excusa Yoko en rougissant. Que veux-tu faire alors ?


    - Eh bien, je préfère étudier. Comme ça, une fois que j'aurais terminé de rattraper mon retard, je serais libre de faire ce que je veux.


    - Rentarou est vraiment un enfant, soupira Seiichi en simulant le désespoir.


    En ce début d'après-midi, Rentarou étudia les cours que lui avaient apporté ses deux camarades. Il reconnut sans mal que les notes avaient été prises par Shintarou. C'était le seul étudiant de l'établissement à copier chaque mot dit par son professeur puis à recopier plus tard ses notes au propre en y intercalant toutes les définitions et détails néccesaires pour comprendre le cours et souligner les notions importantes à retenir.


    - Il faut espérer que Shin ne soit jamais absent, songea Rentarou en parcourant la première page d'un cours de Géographie.


    - Ou alors il faudra qu'aucun de nous ne soit absent ce jour-là, ajouta Seiichi.


    Pendant que Rentarou commença à lire les leçons sur les différents pays de l'Amérique du Sud, ses deux compagnons décidèrent de réviser eux aussi. Les examens du troisième trimestre tombaient à la fin du mois. Seiichi se plongeait dans son manuel de Biologie pour revoir toutes les notions compliquées que son cerveau refusait de comprendre. Il n'avait jamais eu l'esprit scientifique et se désintéressait même totalement des matières qui s'en rattachaient. Si le jeune homme faisait l'effort de s'y consacrer, c'était seulement pour ne pas échouer à ses examens. Quant à Yoko, elle relut les cours de Japonais apportés à son petit ami.


    L'ambiance de l'infirmerie était si studieuse et les adolescents étaient si concentrés sur leur ouvrage qu'ils n'entendirent ni la porte s'ouvrir ni des pas se rapprocher d'eux.


    - J'ai beau avoir de nombreuses années d'enseignement à mon actif à présent, Haruko-chan, mais je suis toujours ému quand j'aperçois de jeunes gens étudier aussi sérieusement.


    Cette fois, le trio se rendit compte qu'ils n'étaient plus seuls. Ils relevèrent la tête et aperçurent Haruko en compagnie de Taniguchi Bunichirou, le proviseur de l'établissement. Aussitôt Seiichi et Yoko se levèrent en vitesse et s'inclinèrent très respectueusement pour le saluer.

     

    C'était la seconde fois que Rentarou rencontrait cet homme. En y repensant, le lycéen géant réalisa que ce n'était pas vraiment un signe positif. La dernière fois, l'adolescent avait frôlé de peu la mort et cette fois ci, il s'était retrouvé plongé dans le coma. Ce n'était pas si mal de ne pas le voir souvent finalement. En observant son visage, le jeune homme remarqua que le proviseur ne souriait toujours pas. D'après ce que Yoko lui avait raconté un jour, il ne le faisait jamais et conservait en permanence un visage strict.


    - Vous pouvez vous asseoir, autorisa Taniguchi.


    Seule Yoko obéit. Seiichi céda sa place à son proviseur et alla s'asseoir auprès de son amie sur le lit à côté de celui de Rentarou.


    - Vous êtes venus me voir ? fit Rentarou étonné.


    - Bien sur. J'avais très envie de discuter avec le nouvel héros de notre lycée.


    Immédiatement, Rentarou passa sur le mode défensif.


    - Je ne suis pas un héros. Je fais juste ce qui me semble important pour moi.


    Taniguchi Bunichiro passa sa main dans sa barbe et la lissa. Pour Yoko, qui le connaissait bien, c'était là un signe d'appréciation de la conversation à laquelle il participait.


    - Mais Taniguchi-sensei, il y a quelque chose que je n'ai pas encore osé demandé à mes amis mais j'ai envie de savoir.


    - De quoi s'agit-il, mon garçon ?


    - Que va t-il arriver à Kurata ? Il va être exclu du lycée, ça je l'ai compris. Cependant que va t-il lui arriver ensuite ? Il va étudier alors ? Ou la police va le convoquer ?


    Le proviseur resta silencieux un long instant. Il inclina légèrement sa tête vers le bras, baissant son regard, et répondit à la question de son étudiant.


    - Je dois te révéler, Rentarou-kun, que le jeune Kurata Akihito est malheureusement décédé le Dimanche 15 Janvier. Il s'est suicidé dans sa chambre.


    Rentarou accusa mal cette nouvelle dramatique. Un instant, l'adolescent crut que son cœur avait raté un battement dans sa poitrine. Le lycéen géant avait beau avoir détesté et méprisé Kurata, il ne souhaitait pas sa mort.


    - Il ne méritait pas mieux, rétorqua Seiichi avec indifférence. Personne n'ira pleurer ce type.


    - Il n'y a personne qui mérite de mourir, murmura Rentarou. Kurata ne méritait pas ça. Vouloir mourir est vraiment le pire sentiment qui soit. Réaliser que sa propre vie n'a pas de valeur est simplement horrible. Ca me brise le cœur quand je pense à ce qu'il a du ressentir. Se dire qu'il n'y a plus personne qui vous aime, que vous êtes tout seul …


    - Shin et nos équipiers du club ne méritaient pas eux non plus ce qu'il leur a fait, répliqua Seiichi.


    - Je le sais parfaitement et je ne l'en excuse pas. Je ne pourrais jamais. Ce qu'il a fait est impardonnable. Cependant ce n'est pas une raison de se montrer réjoui de la mort de quelqu'un. La mort d'une personne nous touche tous et même si on pense n'avoir rien à se reprocher, on a toujours quelque chose à se reprocher.


    - Ne me dis pas que tu t'en veux, soupira Yoko. Tu n'y est pour rien.


    Rentarou baissa la tête. Elle avait tort. Il était en partie responsable du suicide de Kurata. Lors de la fin de leur match, lors de la découverte de la blessure de Shintarou et de voir que l'ancien buchou du club de tennis n'éprouvait aucun regret, le lycéen géant s'était enervé. Il s'était alors défoulé en le soulevant de terre puis l'avait abandonné à son sort. Peu avant, l'adolescent lui avait promis de rester à ses côtés et de le soutenir si son ennemi se décidait à changer. Certes, celui-ci n'avait pas voulu changer mais rien ne disait qu'il ne serait jamais parvenu à le convaincre du contraire. Mais le jeune homme aux cheveux de jais lui avait tourné le dos. Cela lui faisait mal de réaliser qu'il avait négligé ses principes.


    Brusquement, la voix de Taniguchi Bunichiro l'arracha à ses pensées.


    - Tu possèdes vraiment un don merveilleux, Rentarou-kun.


    - Je n'ai pas vraiment de talent spécial, se défendit-il. Je suis juste un peu doué que les autres mais je reste normal.


    - Je ne te parle pas de tes facultés intellectuelles, de ta mémoire ou de tes capacités sportives. Non, tout cela c'est très ordinaire même si elles paraissent exceptionnelles, répliqua le proviseur. Non, c'est le don le plus précieux que tu possèdes qui me plaît le plus chez toi.


    - Mon don le plus précieux ? Qu'est-ce que c'est ?


    - Ton empathie, révéla l'homme à la longue barbe brune.


    - Empathie ? Qu'est-ce que c'est ?


    - L'empathie est une qualité très rare possédée par peu de personnes. Je devrais dire peu de personnes savent l'utiliser. Elle permet de se mettre à la place d'une personne, de ressentir ses émotions, sans s'impliquer personnellement et sans la juger. Une telle capacité peut se révéler bien dangereuse. Dans les mains d'un homme avide de pouvoir ou sadique, il s'en servirait pour venir à bout de ses adversaires, dominer ses victimes et répandre le mal autour de lui. Cependant pour quelqu'un comme toi, avec une merveilleuse personnalité comme la tienne, elle peut devenir ton arme la plus importante.


    Rentarou resta silencieux en écoutant les explications de son proviseur. il ne lui avait jamais semblé posséder un tel don. C'était vrai qu'il aimait se mettre à la place des autres pour ressentir leurs souffrances et en comprendre les causes. Mais le lycéen géant se blessait aussi dans le procédé. Il lui paraissait impossible de ne pas s'impliquer dans la douleur de ses semblables. Pour les comprendre, ne fallait-il pas expérimenter les mêmes choses qu'eux afin de trouver les mots justes à leur dire ?


    - Tu es bien silencieux, jeune homme, nota Taniguchi Bunichiro.


    - Je réfléchissais, Taniguchi-sensei, répondit Rentarou.


    - Je vois. De toute manière, je devais te laisser. Mais avant il y a autre chose que je dois t'annoncer.
    - Quoi donc ?


    - Nous, l'équipe professorale, nous sommes mis d'accord. En raison de ton exploit, du fait que tu sois resté inconscient trois semaines et de tes résultats toujours excellents, nous avons décidé de te dispenser des examens.


    Rapidement, il ajouta en remontant ses lunettes, le regard beaucoup plus sévère :


    - Mais cela n'est évidemment valable pour les examens du troisième trimestre de cette année.


    - Je refuse, décréta Rentarou avec fermeté. Lorsque j'agis, je le fais pour le bien d'autrui et pour la justice. Je ne veux pas de récompense. De plus, celle que vous me proposez est injuste envers mes condisciples. Ils travaillent dur pour réussir leurs examens et passer en classe supérieure. Je ne peux pas passer en seconde année comme ça.


    - Tu plaisantes ou tu es fou, Rentarou ?


    Seiichi venait de parler, stupéfait de constater le refus de cette proposition de son meilleur ami. Les examens étaient tellement durs et stressants qu'il lui paraissait impossible de décliner une telle offre aussi inespérée, même de la part de Rentarou.


    Taniguchi, une main sous son menton dissimulé quelque part sous son épaisse barbe, réfléchissait aux paroles de cet étrange et surprenant adolescent. Il ne s'était pas attendu lui non plus à essuyer un refus si net.


    - Tu te bats au nom de la justice, dit-il d'un ton énigmatique. Tu es vraiment intéressant, Rentarou-kun.


    Le proviseur prit ensuite congé des trois étudiants.


    - Tu es vraiment unique, Rentarou, dit Seiichi en s'effondrant dans le lit derrière lui. Manquer une occasion pareille, personne ne le ferait.


    - Je ne suis pas d'accord, intervint Yoko. J'aurais refusé moi aussi. Les examens sont faits pour tester tes limites et de voir jusqu'où tu as été capable d'aller. Obtenir la validation de ses acquis par sympathie n'a aucun sens. C'est comme si tu remettais la coupe de l'US Open à un nouveau du circuit car tu trouves qu'il a fait beaucoup d'efforts.


    - Merci de me soutenir, Yoko-chan, la remercia Rentarou en lui souriant.


    - Vous êtes de grands malades tous les deux, soupira le jeune ninja. Vous devriez vraiment envisager de vous faire soigner.


    - Sinon pourriez-vous me laisser tous les deux ? demanda Rentarou en baissant la tête. J'ai besoin d'être un peu seul pour réfléchir.


    - Il y a quelque chose qui ne va pas, Rentarou ? s'inquiéta tout de suite Yoko.


    Seiichi se redressa et se mit debout.


    - Il pense certainement à ce que le proviseur vient de lui dire et il veut analyser ce qu'il lui a raconté et savoir s'il avait raison ou non de lui dire tout cela.


    Rentarou sourit faiblement. Encore une fois, son meilleur ami avait deviné ses intentions.


    Quand il se retrouva finalement seul avec lui-même et ses pensées, Rentarou se remémora des mots que son proviseur venait de lui dire à l'instant.


    Un nouveau don ? Quand il l'avait entendu, le lycéen géant s'était senti perplexe et ennuyé. Il possédait déjà tellement de talents particuliers. D'abord, sa haute taille et sa musculaire très développée. Son incroyable force qui lui permettait de déplacer deux adultes de taille moyenne. En ce moment, celle-ci était diminuée mais elle allait lui revenir avec un peu d'entrainement. Haruko le lui avait certifié. Il y avait aussi sa phénoménale mémoire qui retenait tous les détails, même les plus minuscules, quand il le lui demandait ainsi que sa puissante voix qui le rendait capable de produire de très forts hurlements qui s'entendaient sur de longues distances. C'était la seule capacité dont le jeune homme avait tout de suite été fier d'avoir. Et enfin il avait découvert cette année une capacité d'adaptation impressionnante lui permettant d'assimiler rapidement et facilement une technique sportive.


    Mais cette nouvelle faculté l'intéressait beaucoup plus que celles précédemment citées. Être capable de comprendre les autres et de ressentir leurs émotions, c'était ce qu'il souhaitait.


    Depuis sa plus tendre enfance, il fonctionnait de cette manière. Rentarou cherchait toujours à comprendre ce qui se passait autour de lui. Le garçon ne cessait jamais de poser des questions quand son esprit logique ne parvenait pas à trouver la réponse lui-même. Souvent, ses institutrices l'avaient puni car il n'arrêtait pas de demander pourquoi. A l'époque, l'écolier ne pensait pas qu'il les embêtait. Sa mère lui avait expliqué qu'elles étaient là pour apprendre aux enfants tout ce qu'ils ne savaient pas. Dans sa petite tête, cela lui paraissait donc cohérent de leur poser des questions. Quelques fois aussi, Miyu, sa babysitteuse, le rouspétait quand il devenait trop insistant et le mettait dans la télévision pour avoir la paix. Par contre, sa mère restait toujours calme et patiente avec lui. Elle répondait à toutes ses interrogations et l'écoutait parler. Cela pouvait durer plusieurs heures, la jeune femme aux brillants yeux émeraude se montrait toujours calme et réjouie d'entendre la voix de son fils.


    En se souvenant de sa mère, il se rappelait qu'elle se comportait de la même manière que lui. Celle-ci s'arrêtait toujours sur son chemin pour aider une personne en difficulté sans rien exiger en retour. Il lui suffisait de converser quelques mots avec elle et la jeune femme parvenait à comprendre ses sentiments et à trouver les formules pour l'apaiser. Celle-ci répétait ensuite à son fils qu'il était du devoir de tout être humain d'aider son prochain. Il ne fallait jamais tourner son dos aux malheurs des autres, qu'importent les soucis que l'on avait soi-même.


    Se redressant dans son lit, Rentarou réalisa qu'il avait presque oublié ces souvenirs-là. Ou plutôt son esprit les avait recouvert progressivement avec d'autres. Néanmoins, sa mémoire ne les avait complètement oublié. Cette expression favorite qu'il avait pour exprimer son besoin irrépressible de vouloir aider les autres venait de sa mère. « Je ne peux pas tourner mon dos ! » criait-il avec fierté. Il se sentait soudainement très proche de sa mère.


    En repensant au comportement de Satsuma Asuka quand elle venait en aide de quelqu'un, il réalisa que celle-ci possédait elle aussi ce don que son proviseur lui avait parlé. L'empathie. Il se demanda s'il était né avec cette capacité ou s'il l'avait appris en observant cette merveilleuse jeune femme.
    Peu lui importait finalement. Puisqu'il avait ce don à lui, Rentarou comptait s'en servir comme sa mère l'avait fait avant lui. Grâce à cette merveilleuse capacité, l'adolescent aiderait autant de personnes qu'il le pourrait en comprenant leurs problèmes et en leur proposant des idées pour les résoudre.


    Rentarou passa encore trois jours à l'infirmerie. Il ne fut pas autorisé à recevoir d'autres visites que celles de Seiichi et Yoko. L'infirmière ne connaissait que trop bien les membres de sa petite bande et craignait que ceux-ci ne causent du désordre dans son domaine. Les deux élus avaient apporté des cadeaux de la part de leurs camarades. Le lycéen géant avait reçu un tas de chocolat et de bonbons qu'il ne mangerait pas. Ses cadeaux feraient au moins plaisir à ses deux meilleurs amis.

     

    Le Lundi matin, Rentarou sortit donc enfin de sa prison forcée. Avant de partir, Haruko lui fit avaler un copieux petit-déjeuner, l'examina sous toutes les coutures et lui recommanda qu'à partir de maintenant il devait venir chaque matin la voir, comme Seiichi, puisque l'adolescent n'était pas capable de prendre soin de lui-même.


    En quittant l'infirmerie, Rentarou monta dans sa chambre. Au nom de sa convalescence, et surtout de l'insistance dont elle avait preuve, Haruko avait réussi à obtenir de son professeur titulaire l'autorisation pour lui de recommencer les cours la semaine suivante.


    En poussant la porte, le jeune homme s'étonna de la propreté des lieux. Il n'avait pas mis les pieds ici en trois semaines et retrouvait la pièce impeccable. Les draps et couvertures du lit étaient changés. Aucune trace de poussière ne subsistait. Le seul détail qui lui fit comprendre les dessous de l'affaire fut le bureau. Son espace de travail était parfaitement rangé. A part lors des vacances, ce meuble servait à comprendre le mécanisme du mouvement perpétuel.


    - Ils ont du s'amuser à ranger tout mon bordel, songea t-il en riant.


    Rentarou se décida ensuite de se mettre au travail. Il lui restait encore à étudier beaucoup des cours manqués à cause de son coma. Durant son séjour à l'infirmerie, le lycéen géant avait lu avec attention ceux d'Histoire et de Géographie puis les recopié dans ses cahiers respectifs. Néanmoins, le jeune homme n'avait pas réalisé de fiches récapitulatives dessus. Il s'y attela donc.


    Une fois cette tâche accomplie, Rentarou prit la grosse pochette qui contenait l'ensemble des feuillets de Shintarou avait donné pour lui et en choisit une au hasard. Il tomba évidemment sur la matière détestée par l'adolescent : l'Anglais. Au moins, le jeune homme en serait débarrassé. Contrairement à ses autres cours, le lycéen géant ne les lut pas mais les recopia directement dans son cahier. Il le rangea aussitôt ensuite et préféra attendre de voir Seiichi afin ravailler dessus étant donné son faible niveau en langues.


    Durant le reste de la matinée, il étudia ensuite toutes les formes de poésie que le professeur Noda avait pu parler. A chaque vers lu, Rentarou se demanda quelle beauté son meilleur ami voyait dans ces textes aux tournures excentriques. Sans compter que pour la plupart, elles n'avaient aucun sens. A moins que leur auteur avait cherché à dire qu'il était fou.


    Rentarou descendit vers treize heures, soit après la pause déjeuner. Quand Hashimoto était venu le voir, il avait bien formellement interdit de quitter l'internat durant toute la période des cours pour ne pas troubler le travail de ses condisciples. Le lycéen géant devait donc attendre que ceux-ci aient fini de manger pour prendre lui aussi son repas.


    En passant les portes du réfectoire, le lycéen géant ressentit une étrange impression. D'abord, la salle était déserte et silencieuse. A chaque fois que Rentarou s'y rendait, il était accompagné de ses amis et beaucoup d'animation régnait dans la pièce. Cela le ramena huit mois en arrière quand le jeune homme venait de débarquer au lycée. Il se sentait toujours horriblement seul. Les choses avaient tellement changé en l'espace d'une seule année. Le monde, sombre et triste, s'était finalement transformé et illuminé pour devenir un endroit d'espoir et de plaisir.


    Tout en réfléchissant, l'adolescent avait pris un plateau et s'était avancé vers les grilles sur lesquelles étaient posés les plats. Il n'en restait pas beaucoup dessus. Derrière attendait une seule cantinière.


    - Je suis désolée, Rentarou-kun, mais il ne reste plus grand choix, lui dit-elle d'un sourire embarrassé. Si tu veux, à partir de ce soir, j'essaierais d'en mettre de côté.


    - Ne vous dérangez pas pour moi. Ce que vous avez m'ira très bien.


    - Allons, ne sois pas timide, Rentarou-kun. Il y a forcément des plats qui te feraient plaisir.


    - Tant qu'il y a du riz et du porc, ça m'ira assez bien. Et des œufs aussi.


    - Seulement ? fit-elle un peu déçue puis reprit sa bonne humeur. Alors que désires-tu ?


    - Je vais prendre ce bol de riz là et le morceau de bœuf là-bas. Je pourrais avoir un fruit aussi ?


    La cantinière lui donna ce qu'il avait demandé puis alla lui chercher une orange. Ce n'était pas du tout un fruit que le lycéen géant appréciait. Rentarou préférait de très loin les pommes, surtout si elles étaient juteuses. Mais sous l'effet de sa bonne éducation, il ne le fit pas savoir et alla s'asseoir pour manger.


    Après le déjeuner, Rentarou remonta dans sa chambre et se remit au travail. Cependant il ne sentit nullement l'envie de poursuivre avec la poésie et ses diableries. Le lycéen géant décida de s'attaquer aux Mathématiques. Il réalisa les nombreux exercices que son professeur avait donné à sa classe pendant son absence. Le jeune homme s'en sortit très bien et les réussit tous.


    En achevant le dernier problème, il se rendit compte l'heure de la séance d'entrainement du club de tennis avait débuté. Rentarou se leva et se changea. Il enfila prestement sa tenue de titulaire : le pantalon, le polo et la veste. Le jeune homme mit également sa casquette noire sur le haut de sa tête. Cela ne faisait pas partie de son uniforme mais se plaisait à la porter.


    Il descendit par l'escalier de secours dont la sortie donnait devant la bibliothèque. Le lycéen géant ressentit une légère bouffée de honte en apercevant la planche de bois qui remplaçait provisoirement la vitre qu'il avait brisé. Rentarou traversa d'un pas rapide l'espace qui le sépara du club et entra dans être vu dans l'un des courts où se trouvait Seiichi en compagnie de six membres de première et seconde années. Un d'eux se tenait devant les autres et apprenait les positions correctes pour utiliser sa raquette.


    - Tu devrais lever un peu plus ta raquette et l'incliner, Chiba-kun.


    Surpris, ses équipiers détournèrent la tête et découvrirent leur buchou.
    - Satsuma-buchou !


    Ils voulurent se précipiter mais Rentarou les stoppa.


    - Ca suffit ! Vous êtes au milieu d'un entrainement et par respect pour celui qui accepte de vous apprendre à vous améliorer, veuillez vous calmer.


    Moqueur, Seiichi laissa retomber ses bras contre son corps et dit avec fatalisme :


    - Ah ! Il vient pour la première fois à un entrainement et il trouve moyen de disputer ses membres dès les premières minutes.


    - Ca ne nous change pas beaucoup, Shiromiya, répliqua insolemment un élève de seconde année. Tu nous fait des reproches toute la séance !


    Rentarou rit et laissa ce groupe tranquille. Il se rendit plus loin où se trouvait celui de Raphael. Le jeune français faisait travailler ses élèves en leur faisant jouer des matches. Ils occupaient deux courts. Placé entre les deux, le lycéen géant observait leur déroulement et évaluaient les qualités et défauts de chaque jeu. Deux élèves se tenaient à ses côtés mais n'osèrent pas lui parler.


    - Ils s'en sortent bien ces petits, s'exclama Rentarou.


    - Ces petits sont en première année comme toi, rappela Raphael qui ne semblait pas du tout surpris de le voir apparaître si soudainement.


    Connaissant la nature peu bavarde de son ami, Rentarou le laissa gérer son entrainement comme il l'entendit. Le lycéen géant se dirigea ensuite vers la salle où était stockée les machines à balles sur lesquelles s'exerçaient seuls une douzaine de ses équipiers.


    Comme ceux ci étaient livrés à eux-mêmes, il en profita pour rester plus longtemps et les observa. Rentarou analysa leurs postures et leurs gestes. Le buchou en corrigea certains et en conseilla d'autres, surtout en proposant de baisser le niveau de difficulté de sa machine.


    Quand il se jugea satisfait de ses observations, Rentarou les laissa poursuivre sans lui. Il alla inspecter le quatrième et dernier groupe. l'adolescent quitta l'enceinte du club, passa devant l'entrée principale du lycée et déboucha dans la cour. Il bifurqua sur la gauche et entra dans le gymnase.
    A l'intérieur, une douzaine d'élèves de première et seconde années s'entrainaient tous seuls. Le lycéen géant remarqua que les exercices les plus fréquents étaient ceux avec les barres parallèles, le cheval d'arçon et ceux au sol.


    Étant donné sa nullité en gymnastique, principalement du à un manque évident de souplesse de son corps, il ne s'attarda dans ces lieux. Le buchou encouragea ses équipiers et les incita à poursuivre leurs efforts avant de s'en aller.


    Vers dix-heures, la séance s'arrêta. L'ensemble des groupes revint devant les vestiaires et s'aligna en rang de cinq personnes, les premières années sur le devant, les secondes dans le fond. Avant le retour aux vestiaires pour se changer et d'écrire le rapport de son entrainement de la journée, Rentarou leur parla.


    - D'abord je vous félicite tous pour les efforts que vous déployez pour améliorer vos capacités. Je vous encourage à continuer et progresser toujours plus. A présent, je dois vous dire …


    Rentarou marqua une pause. Il baissa un instant son regard puis se redressa et reprit.


    - Je dois vous dire que je ne peux pas continuer à être votre buchou.


    Un tolet d'exclamations houleuses se fit entendre. Rentarou eut beaucoup de mal à rétablir le calme avant de poursuivre.


    - Je comprends votre incompréhension. Cependant je ne mérite pas cette place. Celui qui en moins d'un mois a permis au club de prendre un nouveau départ, ce n'est pas moi. C'est Seiichi. Pas moi.


    Se trouvant derrière Rentarou, comme ses autres amis, l'adolescent aux cheveux ébènes ne manifesta pas la moindre réaction à cette nouvelle.


    - Je te remercie d'avoir pensé à moi.


    - C'est normal de rendre justice à ceux qui le méritent.


    Soudain un sourire narquois illumina le visage de Seiichi.


    - Mais je refuse cette promotion.


    - Quoi ?


    - Celui qui a initié ce changement, Rentarou, c'est toi, reprit le jeune ninja. C'est parce que tu as agi le premier, que tu t'es battu contre Kurata, qu'ils ont voulu progresser. C'est de voir tes efforts pour atteindre le niveau que tu avais lors de ton dernier match qui les a motivé. Sans toi, je ne suis pas convaincu que j'aurais pu faire quelque chose. Pour cette seule raison, tu mérites d'être le buchou de ce club.


    - Avant, on avait un buchou qui ne lâchait pas son pouvoir et à présent, notre nouveau buchou veut le rendre mais son successeur n'en veut pas, s'amusa Shintarou. Quelle histoire !


    Sans tenir compte de ce qui se disait derrière lui, Rentarou réfléchit rapidement à la situation. Il trouva une idée pouvant les arranger tous les deux.


    - Dans ce cas, puisque tu refuses ma proposition, j'aimerais que tu deviennes mon fukubuchou.


    - Fukubuchou ? fit Seiichi avec intérêt. Cela signifie que je peux faire beaucoup de choses au club mais celui qui a les ennuis quand il y a des problèmes, c'est le buchou !


    Rentarou sourit.


    Pour conclure leur pacte, les deux meilleurs amis tapèrent leurs mains l'une dans l'autre.


    - Buchou !


    - Fukubuchou !


    Après cette scène, les membres du club partirent dans les vestiaires pour remplir leur rapport et se rhabiller La bande alla elle aussi changer. Ils partirent ensuite ensemble jusqu'au portail.


    - Que faites-vous ce soir ? demanda Takaishi. On sort ensemble ?


    - Pas ce soir, soupira Shintarou. Je vais encore essayer d'apprendre à cette tête de pioche les rudiments des Maths et des kanjis !


    - Tu sais ce qu'elle te dit la tête de pioche ? maugréa Raphael en fusillant le rouquin du regard.


    - Rentarou, Seiichi, vous sortez vous aussi ? s'informa Kou.


    - Nous avons un important truc à faire tous les deux, répondit Seiichi.


    - C'est quoi ? fit Shintarou. On peut savoir ?


    - On part à la chasse au Tyro, s'exclama Rentarou. Souhaitez-nous bonne chance !

     

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