• Chapitre 60

    Chapitre 60


    Dès qu'ils avaient quitté leurs amis, Rentarou et Seiichi s'étaient rendus en vélo à la maison de Tyro. Durant tout le trajet, l'adolescent aux cheveux ébènes s'était accroché à la taille de son meilleur ami, assis sur le porte-bagage qui lui meurtrissait les fesses. En arrivant, le lycéen géant accrocha son vélo à une barre du portail d'entrée. Ils allèrent ensuite tirer la sonnette de la porte d'entrée.
    Ce fut la jeune Ai qui leur ouvrit, radieuse.


    - Rentarou-niichan ! Seiichi-niichan ! Ca fait si longtemps !


    Seiichi avait souri en apercevant la benjamine. Au moins, avec elle, ils étaient certains d'entrer dans la maison. Depuis quelques temps, si c'était la mère ou les aînés de Tyro, le jeune ninja se faisait systématiquement rembarrer et on lui fermait la porte au nez.


    - Taniichan n'est pas rentré. Il rentre toujours très tard ces derniers temps. Mais vous voulez rester un peu ici ? J'ai presque fini mes devoirs. On pourrait jouer ensemble ensuite.


    - Une autre fois, Ai-chan, répondit Rentarou en passant sa main dans les cheveux roux de la fillette. Nous avons besoin de voir ton frère. On veut savoir où il se trouve.


    - Tu sais, je ne suis pas sûre que kaasan et Keniichan le savent eux-mêmes.


    Les deux adolescents pénétrèrent dans la maison. Ils s'assirent sur la petite marche de l'entrée où Rentarou défit ses baskets et Seiichi ses chaussures. Ai leur tendit en même temps des chaussons. Le petit groupe se dirigea ensuite vers la cuisine. Dans son antre, mère de famille s'affairait à préparer le diner.


    - Nous avons des invités, kaasan.


    Sayuri se retourna et aperçut les deux meilleurs amis de son fils cadet. Ceux-ci la saluèrent et s'inclinèrent poliment devant elle. Pendant ce temps, la petite Ai se pressa de gagner un plan de travail et de couper des oranges en deux parties égales.


    - Sayuri-san, nous voulons parler à Tyro, dit Rentarou.


    - Taka-chan ne veut voir personne. Ken-chan m'a dit de le laisser et de ne pas m'inquiéter pour lui. Par conséquent, je ne vous dirais rien. De toute manière, je ne le pourrais pas.


    - Mais il sèche le lycée, intervint Seiichi en fronçant ses fins sourcils. Ne souhaitiez-vous pas que vos enfants terminent au minimum leur scolarité en obtenant leur diplôme de lycée ?


    - C'est exact. Mais Ken-chan m'a dit qu'il s'était passé quelque chose dans la vie de Taka-chan. Il m'a dit que ce serait mieux pour lui de le laisser faire ce qu'il veut sans lui poser de questions.
    - Mais vous n'êtes pas curieuse de savoir ce qu'il a ? s'étonna Rentarou.


    - Je mentirais si je disais le contraire. Cependant je n'ai pas à le faire. Bien que j'ai donné la vie à mes enfants, cela ne me donne pas le droit de m'immiscer dans leurs affaires personnelles. S'ils veulent me parler, je suis prête à tout entendre mais s'ils veulent ne rien dire, c'est leur droit. Et ce n'est pas la nature de Taka-chan de se confier. C'est un enfant terriblement solitaire et renfermé sur lui-même.


    Rentarou et Seiichi échangèrent un regard de surprise. Ils n'avaient jamais eu l'impression que leur ami puisse être replié sur lui-même. Il se montrait toujours si expansif et expressif.


    - Il n'y a qu'avec Ken-chan qu'il arrive à se confier. Je ne vais donc pas demander à mon fils aîné de trahir leurs secrets pour connaître les pensées de Taka-chan. Ce serait totalement irrespectueux et impardonnable.


    - Nous comprenons, Sayuri-san, dit Rentarou. Dans ce cas, pouvons-voir Kenichi-san ? Peut-être que si nous nous expliquons directement avec lui, il acceptera de nous parler.


    - Je veux bien vous le permettre. Cependant ne vous faites pas de vains espoirs. Ken-chan est terriblement protecteur avec ses frères et sœurs.


    Rentarou et Seiichi la remercièrent pour avoir accepté de répondre à leurs interrogations bien qu'elle ne les avait guère aidé. Ils se tournèrent pour quitter la pièce quand Ai les interpela. Les deux compères se retournèrent et découvrirent la fillette qui portait un petit plateau rond sur lequel était posé deux verres de jus d'orange fraichement pressé.


    - Voulez-vous des rafraichissements ? demanda t-elle poliment en courbant la tête comme sa mère lui avait appris à recevoir un invité.


    Pour ne pas décevoir la petite fille, ils acceptèrent sa boisson et la remercièrent pour sa peine. Tous deux la burent d'un trait et la félicitèrent en lui disant que le breuvage était délicieuse ce qui ravit l'enfant.


    En quittant la cuisine pour prendre l'escalier qui accédait aux étages de la maison, le duo retraversa le couloir où ils croisèrent Yuuki. Seiichi, qui adorait les animaux, et tout ce qui était considéré comme mignon, s'agenouilla auprès de lui et le caressa jusqu'à ce que Rentarou, excédé d'attendre, lui rappela le but de leur visite.


    En arrivant sur le palier du second étage, ils n'eurent pas de mal à deviner laquelle des deux chambres était celle de Kenichi. De la musique réglée à fort volume s'échappait de l'une des deux pièces indiquant clairement laquelle appartenait à la fille ainée des Sakumai.


    Rentarou s'approcha de la fameuse porte derrière laquelle se cachait peut-être les réponses à leurs interrogations et frappa.


    - Qu'est-ce que c'est ?


    Peu habitué d'entendre frapper à sa porte, Kenichi se leva pour ouvrir. D'ordinaire, seuls ses frères et sœurs venaient ici et aucun d'eux ne prenaient la peine de toquer.


    - Vous êtes les amis de Takahiro. Il n'est pas là.


    - On le sait très bien, répliqua Rentarou. On veut savoir ce qu'il a et où il est.


    - Vous devez le savoir très bien vous-même. Il m'a informé qu'un de ses très proches amis était tombé dans le coma. Il ne voulait plus retourner à l'école et oublier les sentiments que ce dramatique événement lui a procuré, révéla Kenichi d'une voix sévère et ferme.


    - Justement cet ami, c'est moi et je suis réveillé.


    Imperturbable, le jeune adulte se montra implacable.


    - Ne dis pas de mensonges, Rentarou-kun ! C'est un acte très grave. Les gens ne se réveillent pas avant longtemps d'un coma. Bien souvent, ils ne se réveillent pas du tout.


    - Je ne mens jamais !


    Kenichi demeura perplexe et soucieux. Il lui fallait avouer que l'aîné de la fratrie Sakumai avait toujours eu une image extrêmement positive des deux meilleurs amis de son frère. Le jeune adulte se souvenait des fois où il l'avait vu interagir avec eux. D'après ses observations, le garçon avait établi que Rentarou était très droit, strict envers les autres et encore plus avec lui-même et un ami fidèle et loyal à toutes épreuves. Ce n'était pas du tout le genre à raconter des mensonges.


    - Est-ce vraiment la vérité ?


    - Tu n'as qu'à appeler notre lycée. Haruko-sensei se fera une joie de décrire mon état. Tu peux même interroger tous mes profs et les copains de notre bande. Ils te le confirmeront.


    Kenichi réfléchit un long moment. Il ne cessa de fixer très sévèrement les deux adolescents sur le seuil de sa porte derrière les verres de ses lunettes. Le jeune homme ne croyait pas facilement en les gens. Il avait besoin de preuves et d'en établir leur authenticité avant d'accepter de faire confiance à quelqu'un. C'était la raison pour laquelle le garçon n'avait pas vraiment d'amis. L'étudiant se faisait beaucoup de relations grâce à ses résultats toujours si parfaits. Beaucoup le fréquentaient seulement pour cette simple raison. Le futur policier acceptait de donner un coup de main pour les aider à progresser mais jamais rien de plus. Il n'avait jamais fréquenté beaucoup de filles également, effrayé d'avoir une relation suivie et n'aimant pas l'idée d'un simple flirt.


    Kenichi examina scrupuleusement les données en sa possession. La version de l'histoire que lui proposait Rentarou paraissait étonnante. Cependant en lui proposant directement d'appeler son lycée, l'ami de son frère cadet s'exposait à être découvert immédiatement. Il était donc clair que son interlocuteur ne pouvait pas mentir.


    - Je vous crois, finit-il par admettre. Malheureusement, je ne peux pas vous aider. Takahiro part s'entrainer toute la journée et rentre chaque soir tard, bien après le diner.


    - Où s'entraine t-il ? s'enquit Seiichi.


    - Je n'en ai pas la moindre idée.


    Rentarou et Seiichi le remercièrent de ses renseignements. Ils redescendirent et sortirent de la maison. Tous deux s'assirent sur la marche de l'entrée, abattus.


    - Que faisons-nous ? Attendre Tyro là jusqu'au soir ?


    Rentarou détestait cette idée. Il ne supportait pas de rester assis sans rien faire. Le lycéen géant en serait devenu fou de passer trois ou quatre heures là à attendre bêtement.


    - Allons inspecter tous les lieux où on peut s'entrainer dans le coin, décida t-il en se levant.


    Seiichi dressa la tête et se demanda si son ami était réellement sérieux. Avait-il conscience du nombre de parcs, de squares, d'entrepôts ou de cours désertes dans un seul quartier de l'arrondissement de Shinjuku ? Le jeune ninja n'avait pas une idée précise du nombre en tête mais la perspective lui en donnait le vertige.


    - Tu es fou, soupira t-il.


    - C'est toujours mieux que de ne rien faire !


    - Tyro reviendra forcément ici puisque c'est sa maison. Par contre, partir à l'aventure sans le moindre indice est de la folie pure. Il pourrait être n'importe où.


    Rentarou baissa la tête. Son meilleur ami n'avait pas tort. Il fouilla dans sa mémoire à la recherche d'un quelconque indice que Tyro aurait pu parler par inadvertance, un lieu que son ami appréciait et où celui-ci se rendrait pour s'entrainer.


    - Je sais, s'exclama t-il bruyamment. Le square !


    - Le square ? De quel square parles-tu ?


    - Il y a longtemps, c'était avant que nous soyions amis tous les trois, nous revenions d'une compétition. Sur le chemin du retour, nous sommes passés dans un des quartiers de Nakano. Plus précisément, nous avons traversé un square où des enfants viennent jouer.


    - Ce qui est absolument normal pour un square.


    - Et Tyro m'a dit ce jour là qu'il venait tous les jours ici, quand il était écolier, pour s'entrainer.
    Cette fois, l'adolescent aux cheveux ébènes abandonna son humeur maussade.


    - Alors il y a peut-être une chance …


    - Oui. Ca vaut le coup de le tenter, non ?


    Ils remontèrent sur le vélo. Rentarou traversa le plus vite que cela fut possible la ville pour atteindre l'arrondissement de Nakano, qui était juste à côté de celui de Shinjuku. En raison de l'heure tardive, le trajet ne fut pas facile. Il se retrouva au milieu des immenses embouteillages des fins de journée. Le lycéen géant dut slalomer comme il put entre les nombreux véhicules.


    En arrivant dans le quartier traversé autrefois en compagnie de Tyro, il ralentit. Rentarou se concentra à regarder autour de lui et à repérer le le lieu que lui avait montré son ami en inspectant scrupuleusement tous les espaces vides entre les immeubles et les magasins.


    Quand il fut certain de l'avoir trouvé, le jeune colosse s'arrêta et attacha son vélo à un réverbere puis rejoignit Seiichi qui s'était déjà avancé vers l'entrée.


    - Es-tu certain que ce soit bien ici, Rentarou ?


    Le square dans lequel ils venaient de pénétrer était minuscule. Il comportait une seule balançoire, un toboggan et un petit bac à sable sur une dizaine de mètres carrées. A l'arrière avaient été plantés de très hauts arbres.


    - C'est bien ici. Il y a la boulangerie à gauche où on a acheté des pâtisseries et à droite la poissonnerie où Tyro a acheté du poisson pour sa mère.


    - Il y a de nombreuses boulangeries et poissonneries dans Tokyo. Et il doit en en avoir un certain nombre près d'un square, soupira Seiichi.


    - Peut-être ! Mais c'est le seul qui soit à Nakano !


    - Nous n'avons pas fait les autres quartiers de cet arrondissement.


    - Ce n'est pas possible. On est partis du quartier d'Odaiba et traversé tout l'arrondissement de Koto. Ensuite on a traversé tout Chuo, on a traversé aussi Minato et sommes passés devant la tour. Après on a pris la grande rue de Shibuya et avons coupé pour aller à Nakano. Là-bas, on a pris que ce quartier avant d'aller à Shinjuku.


    - Il y aurait matière à rire d'une telle pérégrination mais je ne suis malheureusement pas d'humeur à le faire.


    - Je vais demander, décida Rentarou qui supportait de moins en moins le pessimisme de Seiichi.
     

    - A qui et à quoi ?


    Sans attendre une réplique supplémentaire de l'adolescent aux cheveux ébènes, il s'approcha de deux enfants de sept ou huit ans qui s'amusaient sur le toboggan.


    - Excusez-moi, les enfants, les interrompit-il dans leurs jeux. Savez-vous où on peut s'entrainer au tennis, s'il vous plait ?


    - C'est quoi le tennis ? fit l'un des gamins en haussant les épaules.


    - Oh l'autre ! Il ne sait même pas ça ! se moqua le second en pouffant.


    - S'il vous plaît, les enfants, répondez-moi.


    - C'est simple, dit le second petit garçon. Il y a un court abandonné de l'autre côté de ce square. Il suffit de passer les arbres. Toochan m'y a emmené un jour.


    - Je vous remercie de votre sollicitude.


    Conformément à ses principes, Rentarou s'inclina du buste pour accompagner son remerciement. Il rejoignit Seiichi qui avait suivi de loin la conversation.


    - Tu sais, ces gamins ne connaissent sans doute pas le mot sollicitude, fit remarquer Seiichi amusé.


    - Et alors ? Ca enrichirera leur vocabulaire comme ça, bougonna Rentarou.


    - Sans compter qu'ils n'ont pas l'habitude de voir les grands s'incliner devant eux.


    - Ce n'est pas parce que tu t'adresses à un enfant que tu dois oublier te faire preuve de respect. Petit, je trouvais ça même scandaleux quand les adultes faisaient preuve de politesse entre eux et qu'ils rudoyaient un enfant.


    - Ce n'est pas faux, admit le jeune ninja.


    Les deux adolescents traversèrent le terrain de jeux et dépassèrent les arbres. Derrière ce rideau de verdure, ils découvrirent un grand terrain de tennis sans grillage autour, comme les courts publics que l'on trouvait un peu partout dans la vaste ville de Tokyo, très mal entretenu, ou plutôt laissé à l'abandon le plus total.


    - Si tu me demandes mon avis, j'ai envie de faire demi-tour en voyant un tel spectacle. Aucune personne sensée ne voudra s'entrainer ou jouer ici.


    - Tu n'entends pas quelque chose ? dit en même temps Rentarou.


    - Si, approuva son compagnon en se concentrant sur le bruit. Cela ressemble à une balle contre un mur.


    - Quelqu'un est vraiment là, Seiichi !


    - En même temps, nous savons tous deux que notre Tyro n'est pas une personne sensée.


    Ils progressèrent sur ce terrain inconnu, contournèrent le court et se rapprochèrent. Auprès d'un haut et long mur très solide qui faisait le tour de la seconde moitié du square, les deux compères découvrirent Tyro en train de s'exercer.


    Ne résistant pas à lui faire une blague, Seiichi utilisa sa capacité ninja et disparut. Il réapparut l'espace d'une seconde pour prendre la balle que Tyro avait lancé. Le jeune homme revint ensuite aux côtés de Rentarou en faisant tourner son trophée sur son index droit.


    - Où est passé ma balle ? s'écria furieusement Tyro. Elle n'a pas encore touché le mur !


    - Tu es un insupportable gosse, Seiichi, soupira le lycéen géant.


    Mais ce commentaire résonnait comme un compliment dans les oreilles du jeune ninja.


    Cherchant désespérément sa balle, Tyro se tourna. Il se figea instantanément en apercevant ses deux meilleurs amis à quelques mètres de lui. Le tennisman ne sut plus prononcer un seul mot. Complètement hagard, l'adolescent marcha lentement et difficilement, tel un automate, jusqu'à eux.
    En arrivant à leur portée, le garçon se dirigea spontanément vers Rentarou. Le visage inquiet et tendu, ses mains se posèrent sur le torse de son meilleur ami. Il le toucha longtemps. Ses doigts frottèrent aussi ses bras et ses épaules en les tâtant précautionneusement.


    - A mon avis, il croit que tu es un fantôme, rit Seiichi.


    - Ca me fait penser à Thomas dans le passage de la Bible où Jésus apparaît à ses disciples, l'évangile selon Jean chapitre 20 verset 24.


    - Rentarou .. , murmura Tyro d'une voix étouffée et étranglée. Tu es vraiment là !


    - Évidemment. Je ne compte pas vous lâcher comme ça.


    Les mains encore tremblantes, Tyro les ramena sur sur le haut de la poitrine de son ami et enfouit son visage contre sa veste. Brusquement, sans que Rentarou ou Seiichi puisse s'y attendre, il fondit en larmes. Le jeune homme pleura hystériquement sans pouvoir s'arrêter.


    Les sourcils froncés, Seiichi avait essayé d'intervenir mais d'un geste de sa main gauche, Rentarou lui avait fait comprendre de ne rien dire et rien faire non plus. Il plaça son autre main dans le dos de Tyro et ne prononça pas une seule parole laissant son ami évacuer son chagrin.


    Lorsqu'il s'arrêta de pleurer, épuisé, le garçon resta encore accroché à son ami.


    - Tyro, murmura Rentarou. Ne veux-tu pas nous parler ?


    En percevant la voix de son camarade, Tyro se décrocha finalement de lui et se retourna vivement.


    - Il y a quelqu'un que tu as vu mourir ou tomber dans le coma, n'est ce pas ? ajouta Rentarou.


    Tyro ne répondit rien. Il plongea ses mains dans les poches de son jean, se tassa le plus possible, comme s'il essayait de se rétrécir, et resta silencieux.


    - Oui … Lors des vacances d'été de ma quatrième année …


    ***


    Dès que la sonnerie de la fin des cours retentissait, le jeune Takahiro rassemblait ses affaires et quittait vite l'école. Malgré son sac rempli de lourds livres et sa raquette sur le dos, il courait. Cela faisait partie de son entrainement pour améliorer son endurance et renforcer sa masse musculaire. Le garçon rejoignait le quartier de Nakano où il avait ses habitudes et s'arrêtait en chemin à un convinience store pour acheter des barres de céréales et une boisson énergétique avant de poursuivre jusqu'au petit square. L'enfant passait ensuite derrière le rideau d'arbres. Il abandonnait en plein milieu du passage son sac et prenait sa raquette pour s'entrainer.


    Normalement, les enfants scolarisés à l'école élémentaire aimaient se rassembler et rentrer ensemble. Ils s'arrêtaient en chemin pour s'amuser dans le parc, regarder les vitrines des magasins ou aller jouer à des jeux vidéos. Certains restaient aussi dans l'enceinte de leur établissement scolaire et fréquentaient un club. Avant de partir, l'ensemble d'une classe nettoyait sa salle.


    Takahiro était différent. Il ne faisait jamais toutes ces choses. L'écolier partait toujours très tôt car il voulait s'entrainer le plus longtemps possible chaque jour. Le garçon possédait un corps si faible que ses compétences sportives étaient très médiocres. Mais son esprit refusait la fatalité. L'élève de seconde année rêvait depuis son plus jeune âge de devenir un champion de tennis professionnel. Il désirait plus que tout progresser, augmenter peu à peu ses capacités pour devenir un jour très fort, invincible, peut-être.


    Cette passion et ce rêve qu'il nourrissait rendait Takahiro encore plus différent qu'il ne l'était. Les autres enfants de sa classe ne comprenaient pas cette obsession qu'il avait pour le tennis. Dans le quartier où il vivait, peu d'entre eux connaissaient ce sport. Et quand ils connaissaient, ceux-ci le méprisaient. Au Japon, seuls le base-ball et le football étaient très populaires. Les autres disciplines restaient souvent méconnus, exceptés par les passionnés.


    Takahiro détestait l'école. Les autres enfants se moquaient toujours de lui à cause de sa passion dévorante. Il restait alors assis dans la journée à sa table et étudiait pendant que ses camarades se rassemblaient par petits groupes lors des pauses et discutaient ou jouaient ensemble. Le garçon aurait aimé participer mais craignait les ennuis. Il connaissait son tempérament. Dès que l'un d'eux dirait une critique ou une plaisanterie sur le tennis, l'écolier se fâcherait. Il pouvait aller jusqu'à se battre si cela prenait de trop grandes proportions. Ses parents et son grand frère lui avaient toujours répété que se battre et se disputer avec les autres était mal. Ainsi il avait choisi de s'isoler pour respecter les enseignements prônés par sa famille.


    Un jour, quelque chose avait changé. Ce jour-là, Takahiro s'entrainait très dur à répéter des retours contre le mur d'enceinte, comme il le faisait chaque jour. A la fin d'une série d'exercices, l'apprenti tennisman s'arrêta et alla boire un peu et manger une barre de céréales. Le garçon découvrit avec surprise un autre enfant près de l'endroit où il avait laissé son sac.


    - Bonjour, dit celui-ci.


    Le nouveau venu était plus grand que Takahiro. Il devait avoir au moins une année, voir deux, de plus que lui. Son large visage ovale semblait lumineux. Ses yeux noirs et étirés dégageaient une aura de sympathie et de convivialité comme l'élève de seconde année n'avait encore jamais vu. Ses lèvres étaient petites et fines mais il souriait si intensément qu'elles paraissaient plus étendues qu'elles ne l'étaient réellement. Takahiro n'avait jamais encore vu une expression aussi radieuse et agréable à regarder. Ses longues mèches brunes tombaient équitablement sur son front et ses cheveux couraient le long de sa nuque jusqu'à toucher le bas de son cou.


    - Que fais-tu ici ? demanda Takahiro sur la défensive.


    - Je rentrais chez moi. Cependant en passant derrière ce mur, je t'ai entendu. Dès que j'entends ce bruit de balle, je cours tout de suite vers lui.


    - Tu t'intéresses au tennis ? fit Takahiro surpris.


    - J'adore le tennis, confirma le garçon. Je l'aime tellement que je veux devenir pro !


    - Eh ? Moi aussi !


    - Vraiment ? Génial ! Que dirais-tu te disputer un match tous les deux ?


    Enchanté, Takahiro accepta immédiatement. Il n'avait jamais livré un seul match de toute sa vie mais avait beaucoup lu et étudié. L'apprenti avait énormément travaillé pour développer son corps. A présent, c'était le moment de mettre en pratique son savoir.


    Le match avait duré une longue heure qu'aucun des deux enfants n'avaient vu réellement passer. Takahiro s'était tellement donné à fond et avait rivalisé d'adresse et de techniques qu'il avait remporté la victoire.


    - Félicitations, dit le plus vieux des enfants. Tu es sacrément doué.


    - Merci.


    - Tu es pourtant jeune. Quel âge as-tu ? Et tu joues au tennis depuis quand ?


    - J'ai eu sept ans il y a deux mois. Je m'intéresse au tennis depuis que j'ai trois ans mais j'ai seulement décidé de jouer et de devenir le meilleur joueur au monde à quatre ans.


    - Si tôt ? Moi à quatre ans, je jouais encore dans les bacs à sable, rit son ainé. Pourquoi ?


    - Tu connais Uminaka Shou ? demanda Takahiro.


    Son interlocuteur prit un air vexé.


    - Évidemment ! Uminaka Shou est le meilleur tennisman que le Japon n'ait jamais connu ! Mais quand même …, soupira t-il. Quel dommage qu'il ait abandonné sa carrière à vingt-deux à peine ! Il devait participer à l'US Open pour la première fois une semaine après avoir annoncé qu'il prenait sa retraite ! C'est une honte !


    - Eh moi, je l'ai rencontré moi, affirma Takahiro en gonflant sa poitrine de fierté.


    - N'importe quoi !


    Takahiro retourna sa raquette et présenta le bout du manche à son aîné.


    - SU, ce sont ses initiales gravés là. Comme il a grandi en France, il a l'habitude de placer les prénoms avant les noms contrairement à l'usage normal japonais.


    - Attends ! Il t'a donné sa raquette ?


    A présent, l'écolier de quatrième année était éberlué.


    - Ouais. Je voulais le voir encore une fois. Je suis allé à son dernier tournoi qu'il a participé à Tokyo. J'ai fait tout pour le trouver. Je l'ai supplié de continuer à jouer. Mais il a refusé. Il m'a dit que même s'il adorait le tennis et voulait continuer à jouer toute sa vie, il arrivait parfois certains obstacles dans la vie d'un homme qui l'empêchait de réaliser ses rêves.


    - C'est étrange de dire ce genre de mots.


    - Et il m'a ensuite donné sa raquette. Il m'a dit de la prendre et d'écrire la suite de l'histoire si j'en étais capable. Depuis je ne rêve qu'à ça. Je veux vraiment devenir pro et le meilleur joueur au monde ! Je vais dépasser le niveau d'Uminaka Shou !


    - C'est trop cool !


    L'enfant examina encore la longue raquette en bois puis la rendit à Takahiro.


    - Au fait, je m'appelle Tomoya. Et toi ?


    - Je suis Sakumai Takahiro, en seconde année à l'école élémentaire de Shinjuku classe B, se présenta t-il en s'inclinant. Enchanté de faire ta connaissance.


    Tomoya rit de cette présentation formelle.


    - Moi, je suis en quatrième année à l'école élémentaire de Nakano classe C.


    Il observa un instant le visage de Takahiro.


    - Ton nom n'est pas cool du tout, dit Tomoya. Tu sais, Takahiro, tu devrais changer d'apparence et de comportement si tu veux te faire des amis.


    - Comment peux-tu savoir si j'ai des amis et non ? marmonna le garçon de seconde année.


    - C'est évident malheureusement, Takahiro. Les enfants si respectueux des règles et obsédés par une passion se retrouvent toujours seuls. Les autres enfants ne les comprennent pas. Pire, ils se moquent souvent d'eux


    - Tu en connais des choses !


    - C'est parce que je suis un ainé, s'exclama t-il en riant.


    - Raconte-moi, s'il te plaît !


    - D'abord, quand tu es avec d'autres enfants, agis contrairement à ce que tu es. C'est malheureux mais la vie en société, ce n'est que de l'hypocrisie. Il faut toujours prétendre être ce qu'on n'est pas. Si tu as envie de pleurer, ris. Si tu veux rester assis, lève-toi. Si tu veux être seul, avance vers un groupe. Si tu te sens en colère, moque-toi.


    - Ca marche vraiment ? s'enquit Takahiro d'un air soucieux.


    - Malheureusement, ceux sont les règles de la vie, soupira Tomoya, toujours souriant.


    - Et il y a autre chose ?


    - Eh bien, je te conseillerais de te laisser pousser les cheveux. Tu dois créer un look original, Takahiro. Quelque chose qui donne envie aux autres de se retourner sur toi et de te regarder.
    Le petit garçon resta silencieux. Ce principe là, il l'avait appris depuis bien longtemps déjà. En classe, ses condisciples faisaient tout pour se mettre en valeur et brillaient aux yeux des autres.


    - Et puis tu devrais avoir un surnom, songea Tomoya. Après tout, tu as un nom si commun et ordinaire que ça ne permet pas de le retenir.


    - Mais quel genre de surnom ? Ce n'est pas très facile à inventer !


    - Il y a un surnom qui s'impose très facilement avec ton nom, Takahiro, rit Tomoya.


    - C'est quoi ?


    - Le mot japonais hiro se traduit hero en anglais. Tu le savais ?


    - Je n'ai pas encore étudié l'anglais. Mais c'est le même mot dans les deux langues, on dirait.


    - C'est amusant, non ? Ils se prononcent pareil et signifient la même chose mais ils appartiennent à des langues différentes.


    - C'est quoi le rapport avec mon nom ? s'impatienta Takahiro.


    Sans se départir de sa bonne humeur et de son radieux sourire, son ainé poursuivit ses explications.


    - Laisse-moi y venir. En anglais, la lettre T se prononce avec le son ti. A présent, essaie d'associer la première lettre de ton prénom avec ses deux dernières syllabes.


    - T et hiro … avec les sons anglais, ça fait tiro … tiro …


    Brusquement, le visage de Takahiro s'illumina et l'enfant devint tout excité.


    - Tyro ! Comme le plus puissant de tous les dinosaures !

    ***

     

    - Ainsi c'est ce Tomoya qui a crée ton surnom, dit Seiichi.


    Pendant le récit des souvenirs d'enfance de Tyro, les Sanonis avaient quitté le square et marchaient dans la rue. Rentarou et Seiichi avaient écouté en silence jusque-là.


    - Oui. J'ai commencé à changer à partir de ce moment. Je me suis ouvert aux autres en suivant ses conseils et je me suis intégré en classe.


    - Ce Tomoya a l'air d'être une bonne personne, ajouta Rentarou.


    En son for intérieur, il pensa que ce garçon ressemblait beaucoup à Matsuda Katsuo. Comme Tyro, il était toujours seul dans sa petite enfance. Seule sa présence avait rendu sa vie à l'école à peu près supportable.


    - Oui. Tomoya était un garçon génial, généreux et serviable. Il adorait rendre service aux autres et aider. En fait, il ressemble beaucoup à Rentarou sauf qu'il n'a le visage renfrogné.


    Seiichi éclata de rire suite à cette remarque.


    - Désolé d'avoir le visage renfrogné, marmonna le lycéen géant un peu vexé.


    - Je ne voulais pas dire ça comme ça, dit Tyro confus. C'est juste que Tomoya avait toujours le visage si souriant. Il riait souvent. En fait, je ne l'ai jamais vu en colère. Comme si rien au monde n'existait pour l'énerver. Il prenait tout à la légère en riant de ses propres ennuis. Même quand il perdait contre moi, il riait. Moi, quand je perds, je râle contre moi.


    - Qu'est-il arrivé à Tomoya ? demanda finalement Seiichi.


    Le visage de Tyro s'assombrit en entendant cette question. Il ne répondit pas tout de suite. Les Sanonis marchèrent pendant plusieurs centaines de mètres en silence. L'adolescent aux cheveux aux multiples piques s'arrêta au milieu d'un trottoir, près d'un feu tricolore.


    Rentarou pensa que son ami souhaitait traverser la rue comme il se trouvait devant les lignes blanches d'un passage protégé. La route était vide. Seule une voiture était passée quelques minutes plus tôt. Son regard remarqua également le feu rouge à l'intention des piétons.


    - C'est ici, murmura Tyro.


    La tête basse, les yeux perdus dans le vague, le jeune homme attendit encore plusieurs minutes avant de poursuivre son récit.


    - Il y a six ans et demi, à peu près à la même heure …

    ***


    Depuis sa rencontre avec Tomoya, Tyro avait beaucoup évolué. D'abord, il avait suivi ses conseils pour s'intégrer en classe. Tout le long de sa seconde année, cela n'avait pas été facile pour lui. Mais Tomoya avait été là chaque soir dans ce petit square et l'avait encouragé à poursuivre ses efforts. Sa situation n'avait véritablement changé qu'à son passage au niveau supérieur. Lors de sa troisième année, tous les élèves avaient été dispatchées dans les trois classes de l'école. Cela lui avait permis de prendre un nouveau départ avec ses camarades. Il avait réussi à faire admettre sa passion pour le tennis sans essuyer de constantes moqueries en retour.


    Le physique du jeune garçon avait changé aussi. Il avait beaucoup grandi en deux ans et avait aussi commencé à laisser pousser ses cheveux. Auparavant, ceux-ci étaient toujours coupés extrêmement courts. A présent, ils touchaient ses oreilles et s'arrêtaient au commencement de son cou.


    Et en ce qui concernait le tennis, le point le plus important aux yeux de Tyro, il avait beaucoup progressé aussi. Ses muscles s'étaient considérés renforcés grâce aux durs entrainements que le garçon s'imposait. Son endurance et sa vitesse avaient considérablement augmenté. Il pouvait maintenant courir dix kilomètres en moins d'une heure sans être essoufflé. Quant à la pratique en elle-même du tennis, l'apprenti maitrisait désormais les grandes techniques incontournables de ce sport.


    Malgré tous les matches que Tomoya et Tyro avaient pu livrer depuis le temps qu'ils se connaissaient, son aîné n'avait toujours pas su en gagner un seul.


    Pendant les vacances et les jours de congés, ils sortaient tous deux tôt le matin et rentraient tard le soir. Les deux garçons passaient leurs journées ensemble à s'entrainer et à jouer des matches.


    Un soir, au terme d'une de leur séance, ils quittèrent le square pour rentrer. Il faisait nuit.


    - Il est tard, Tomoya, dit Tyro. Je vais rentrer seul.


    - Je regrette mais je ne peux pas t'y autoriser. C'est ma responsabilité en tant qu'ainé que de te ramener devant la porte de la maison de tes parents pour le diner.


    - Tu vas être en retard à ton propre diner. Tes parents seront inquiets et furieux.


    - Je leur expliquerais que je t'ai raccompagné. Ils comprendront et me féliciteront.


    Tyro sourit. En fait, il n'avait jamais eu l'intention de faire le trajet seul. Certes, la distance qui le séparait de sa maison était mince. Cependant cela l'effrayait de se déplacer dans l'obscurité. L'élève de quatrième année était content d'avoir un ami aussi gentil et compréhensif.


    - Dis, Tomoya, dit Tyro alors qu'ils marchaient.


    - Qu'est-ce qu'il y a ?


    - Que va t-il se passer l'année prochaine ? Tu vas aller au collège. Tu m'as dit que tes parents espéraient que tu ailles à un collège privé à Ueno.


    - Je sais. On n'aura plus le temps de se voir. Mais ce n'est pas grave.


    - Comment tu arrives à être si heureux et insouciant en parlant de ça, Tomoya ?


    - Parce que je sais que pendant ce temps, tu vas travailler encore plus dur pour progresser et augmenter ton niveau. Moi aussi j'ai l'intention de faire pareil. Je compte aussi m'inscrire au club de tennis du collège et je vais affronter des joueurs de niveau national.


    - Il faudra déjà que ton club passe les préfectorales et les régionales, rappela Tyro narquois.


    - Alors tu vois, Tyro, même si nous sommes séparés désormais, nous nous reverrons toujours l'un l'autre pour confronter nos techniques.


    - Mais quand je serai au collège, toi tu seras au lycée !


    Tomoya rit du visage dépité de son ami.


    - Ce n'est pas drôle !


    - Non, je serais en dernière année quand tu entreras au collège, sourit Tomoya. Même si nous n'aurons l'occasion de nous affronter une seule année au collège et au lycée, il restera ensuite de longues années dans le monde pro.


    - Cela veut dire qu'on se verra encore très souvent ?


    - Bien sur ! N'as-tu pas l'intention de devenir pro, Tyro ?


    - Pas seulement pro ! Je veux être le meilleur tennisman au monde !


    - Il te faudra me battre avant ça. Moi, je compte être au minimum le meilleur du Japon.


    La tête pleine de rêves, les deux enfants continuèrent à parler tout en avançant dans le noir. A un moment, ils s'arrêtèrent afin de traverser une rue. Tomoya regarda rapidement à droite puis à gauche puis s'engagea. Tyro ne le suivit pas.


    Quand il s'en rendit compte, l'écolier de sixième année était au milieu de la chaussée. Le garçon se retourna aussitôt.


    - Tyro ! Qu'attends-tu ? Tu vas être en retard pour ton diner !


    - Ce n'est pas bien de traverser maintenant, Tomoya, dit sévèrement Tyro. Le petit feu pour les piétons est rouge et le grand pour les voitures est vert. C'est dangereux. Il ne faut jamais traverser dans ces moments-là.


    - Tyro, il n'y a personne. Regarde. Tu vois du danger ?


    Tomoya avait raison. La rue était totalement déserte. Il n'y avait ni voiture circulant sur la chaussée ni piéton marchant sur le trottoir. Les deux enfants étaient seuls.


    - Non, ce n'est pas bien, insista Tyro. On ne peut pas faire ça !


    - Allons, dépêche-toi ! Je te dis qu'il n'y a aucun danger ! Viens !


    Tyro hésita encore. Il ne voulut pas désobéir aux recommandations de ses parents et de ses deux ainés. Mais il ne voulut pas décevoir non plus son ami. Finalement, le garçon céda.


    Posant le pied sur la route, il avança jusqu'à la première bande blanche. Ses yeux aperçurent à ce moment une lumière jaunâtre éblouissante.


    Une voiture arrivait et roulait très vite !


    - Tyro, bouge ! hurla Tomoya.


    Mais l'enfant ne pouvait plus bouger. Tous les muscles de son corps s'étaient tétanisés. Ses yeux fixaient les phares de la voiture qui se rapprochait à une vitesse vertigineuse.


    - TYRO !!!!


    Sans que Tyro puisse comprendre réellement ce qui se passa, Tomoya courut et plongea vers son ami. Il l'attrapa par la taille et le jeta sur le trottoir. L'aîné s'apprêta à le rejoindre lorsque la voiture le heurta. Le garçon tomba à la renverse et s'écrasa au sol tandis que sa tête cogna contre l'asphalte de la chaussée.

    ***

     


    - Il t'a sauvé la vie … , murmura Seiichi, soufflé.


    - Je pense souvent à ce moment, avoua tristement Tyro. Et je me dis à chaque fois que si j'avais respecté ma décision première, il n'aurait pas eu agir ainsi.


    - Et il s'est retrouvé dans le coma suite au choc, comprit Seiichi. Ainsi quand tu as entendu que Rentarou était dans le coma, tu as tout de suite pensé à ton ami.


    - Désolé de ne pas avoir su de le dire à ce moment, s'excusa Tyro.


    - Il est resté longtemps sous une machine ? demanda Rentarou.


    - Comment peux-tu savoir qu'il avait besoin de machines ? s'enquit Seiichi en arquant un sourcil.


    - Le coup classique du piéton qui se fait renverser est de cogner la tête. Comme il venait de sauver Tyro, j'ai déduit qu'il a dû tomber en arrière et s'est cogné à l'arrière du crâne. C'est malheureusement à cet emplacement que se trouve les points vitaux du cerveau qui permettent de contrôler le corps. Dans les cas où un piéton se fait renverser de cette manière, il meurt soit instantanément soit il tombe dans le coma car son système nerveux est endommagé. Il arrive même qu'il ne sache plus respirer seul.


    - Wah ! Tu es impressionnant, Rentarou, s'exclama Tyro stupéfait.


    - Je veux être policier. Il est normal pour moi d'apprendre de nombreuses choses très utiles mais qui paraissent étranges aux autres ados de mon âge.


    - Dis-nous ce qui est arrivé réellement, intervint Seiichi.


    - C'est comme Rentarou a dit. Moi, je ne me souviens pas. J'étais à terre sur le trottoir et je ne comprenais rien à ce qui s'était passé. Même quand l'ambulance l'a emmené, je suis resté là sans savoir ce qui arrivait.


    - C'est souvent classique aussi, ajouta Rentarou. Celui qui accompagne la victime est si choqué qu'il ne parvient pas à bouger bien souvent.


    Cette fois, sa connaissance ne venait pas de faits appris dans des livres. L'adolescent avait personnellement expérimenté ce douloureux et lancinant sentiment. Petit, sa mère avait fait souvent des malaises. A chaque fois, le garçon avait eu très peur sans jamais savoir quoi faire. Il restait à côté d'elle, tremblant, et essayait de la réveiller comme un jeune enfant pouvait le faire. Une fois, cela était arrivé en pleine rue. Elle avait perdu connaissance et avait dévalé un escalier. Lorsque l'ambulance était venue la chercher, un passant avait dû le prendre dans ses bras pour le faire monter lui aussi tant il demeurait paralysé par le choc.


    - D'après ce que j'ai entendu des adultes, Tomoya a subi un traumatisme crânien sévère. Je ne me souviens plus bien des termes employés après. Ils parlaient d'un traumatisme au cou qui influe sur les poumons.


    - En quoi, un coup sur le cou influe sur les poumons ? demanda Seiichi.


    - Ca s'appelle un traumatisme cervical, expliqua Rentarou. Dans le cerveau, il y a une partie qui gère l'appareil respiratoire. Parfois, il arrive que le crane reçoive un coup un qui cause une lésion et perturbe cette partie. Cela induit que la personne ne peut plus respirer seule et a besoin d'une assistance respiratoire afin de continuer à vivre.


    - Oui, c'est ça ! Tomoya a tout plein de tuyaux pour respirer, approuva Tyro.


    - Tu es vraiment très cultivé sur le sujet, reconnut Seiichi impressionné.


    - C'est surtout vous qui n'en avez aucune connaissance, se moqua t-il avant de reprendre son sérieux. Il y a quelque chose d'autre sur son état ?


    - C'est déjà pas mal … Ah si ! Il y a un autre terme que je n'ai pas su comprendre. Les docteurs ont parlé de mort céréale.


    Malgré lui, Rentarou s'esclaffa en entendant le lapsus que son ami avait commis.


    - Rentarou, ce n'est pas drôle, lui reprocha Seiichi sévèrement.


    - Désolé, s'exclama Rentarou qui riait encore. C'est …


    Une nouvelle crise l'interrompit et l'empêcha de poursuivre.


    - Excusez-moi, dit-il après avoir réussi à se reprendre. Ce que tu as dit c'est le terme de mort cérébrale. Il s'emploie toujours dans le cadre d'un coma grave de niveau quatre. Cela signifie que le cerveau du malade est définitivement mort même si ses organes vitaux fonctionnent encore.


    - Et quand ils parlaient de débrancher …


    - S'il a été déclaré en état de mort cérébrale et vu qu'il ne pouvait pas se passer d'une machine pour respirer, les docteurs ont proposé à sa famille de le débrancher. C'est à dire couper tous les appareils qui le maintiennent en vie.


    - Mais cela veut dire le tuer, s'exclama vivement Seiichi.


    - C'est un très grand débat, soupira Rentarou. Il y a quantités d'arguments qui se valent sur le fait de prendre le droit de débrancher les personnes en état de mort cérébrale. Personnellement, je suis pour. Je soutiens la vie et je suis partisan de toujours tout faire jusqu'à la fin mais là, c'est différent. Il n'y a pratiquement aucun espoir que ces personnes se réveillent un jour. Quand bien même, elles se réveilleraient, elles seraient certainement des légumes. Et si elles ne savent plus respirer par elles-mêmes ou perdu l'usage de leurs membres dans l'accident qui les a plongé dans le coma, elles vont devoir passer le reste de leur vie dans un lit sous assistance médicale. Je pense alors que c'est bien pour ces personnes, comme pour leurs familles et leurs proches, de mourir.


    - Je crois que je suis d'accord avec ça, dit Tyro après resté un long moment à écouter et à réfléchir aux paroles de Rentarou.


    - Tu ne voudrais pas que ton ami revienne alors ? s'étonna Seiichi.


    - Jusque là si, je l'ai toujours souhaité. Cependant puisqu'il a besoin d'une machine pour respirer, il serait malheureux. Il ne pourrait plus jouer au tennis. Je préfère le savoir mort en ayant le souvenir de son visage toujours si souriant plutôt que de le voir vivant et triste.


    Tyro releva la tête et gonfla la poitrine.


    - Je crois que je vais essayer d'en parler avec ses parents.


    - Tu devrais réfléchir avant, conseilla Rentarou. Il ne faut pas prendre ce genre de décisions à la légère. Tu dois le faire en étant sûr de ne rien regretter.


    Pendant que ses deux amis discutaient, Seiichi s'approcha d'une barrière placée sur la bordure du trottoir et s'appuya nonchalamment dessus.


    - Je ne l'avais jamais réalisé.


    - Quoi donc ? fit Tyro en se retournant vers lui.


    - J'ai toujours pensé que la vie se déroulait comme un long film jusqu'à la fin sans obstacles. J'ai toujours pensé que je vivrais jusqu'à moins cinquante ans, peut-être cent. Cela m'angoissait jusqu'à cette année car je devrais supporter ma famille autant de temps. Pour cette raison, j'ai souvent pensé à me suicider sans jamais oser le faire. Je n'ai jamais pensé que la vie pouvait s'interrompre dans un accident.


    - C'est vrai, approuva Tyro. La vie est très fragile mais on l'oublie bien souvent.


    - C'est pourquoi on doit la chérir plus que tout et tout faire pour la prolonger le plus longtemps possible, ajouta Rentarou. On a beaucoup trop souvent tendance à l'oublier mais la vie est un miracle. Il y a des millions et des millions de miracles qui se déplacent sur cette planète. La naissance d'une vie est un miracle. D'abord, il y a deux personnes qui doivent se rencontrer. C'est quelque chose qu'aucun ne s'attend mais qui arrive. Moi, si mes parents avaient choisi d'aller dans lycées différents, je n'existerais. Si ton père, Tyro, avait choisi une autre femme à épouser, tu n'existerais pas non plus. Et si ta mère avait été promise à un autre, Seiichi, tu n'existerais pas non plus. Passé la rencontre, quand ils décident de faire un enfant, il y a une chance sur un million de le concevoir. Il faut un autre miracle pour qu'un spermatozoïde et un ovule se fécondent. En tant que miracle, nous devrions être reconnaissants et tout faire pour conserver cette vie qui nous a été donné, profiter d'elle autant qu'il en est possible et la prolonger aussi longtemps qu'on peut.


    Rentarou pensa à chacun des mots qu'il venait de prononcer. Ceux-ci sortaient de sa bouche mais ils ne lui appartenaient pas. C'était les précieux mots enseignés par sa mère.


    - C'est pourquoi on doit vivre notre vie à fond sans penser au lendemain, ajouta Tyro.


    - Ce n'est pas mal de penser à demain parfois aussi, songea Seiichi avec amusement. Si nous continuons à trainer si tard, nous ne pourrons pas faire nos devoirs pour demain.

     

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