• Chapitre 9

     

    Chapitre 9


    Levant sa raquette vers le haut de sa main droite, Tyro se tint prêt à renvoyer la balle qui foncerait bientôt vers lui. De son autre main, il jeta avec force une balle vers le mur situé dix mètres en face de lui. Celle-ci atteignit la paroi et rebondit dessus pour revenir vers lui. L'adolescent attendit donc le meilleur instant puis la frappa d'un puissant coup. Elle repartit aussitôt vers la paroi.


    En utilisant ce mur comme moyen d'entraînement, le jeune tennisman tentait de vider son esprit, surtout ne penser à rien d'autre, plutôt qu'à améliorer réellement ses différentes techniques et à accroitre son potentiel.


    Pourtant le bouillant jeune homme avait encore besoin de tant de travail ! En plus de travailler son coup droit et ses revers, il essayait d'apprendre à mettre davantage de rotation dans ses balles. Dans ce domaine, Tyro pêchait beaucoup trop à son goût. Ses compétences lui permettaient de rattraper une balle à laquelle l'adversaire rajoutait un top spin ou un lift mais arrivait plus difficilement à en réaliser un lui-même. Ses nombreux essais se soldaient généralement par un échec. Sa balle partait toujours dans le sens inverse ou finissait out. Dans ce dernier cas de figure, l'adversaire obtenait alors un point sans effort. C'était tellement frustrant !


    Malgré toute la concentration qu'il essayait de déployer dans son entrainement, son esprit pensait à toute autre chose. Tyro ne cessait jamais de penser à ses soucis concernant l'organisation du club de tennis de son lycée auquel il s'était inscrit.


    Depuis sa plus tendre enfance, depuis le jour où le creux de sa main droite avait accueilli le grip de cette raquette, Tyro ne vivait que pour le tennis. Il s'entraînait principalement en défiant tous types d'adversaires : des plus forts, des plus faibles ou ceux ayant un niveau égal au sien. Chaque victoire, chaque défaite lui permettait de recevoir un enseignement et d'améliorer les faiblesses de son jeu. Quelques mois plus plus tôt, au début de sa troisième et dernière année de collège, il avait rassemblé très tôt une quantité pharaonique de documentations sur les lycées japonais. Le jeune homme avait cherché un établissement compatible avec sa passion et ses études. En parcourant toutes ces brochures, le garçon avait fini par découvrir que le lycée privé de Ryoko Gakuen possédait un club de tennis réputé. Celui-ci appartenait au Top 5 des lycées tokoïtes et participait chaque année au tournoi préfectoral afin de se sélectionner l'équipe qui représenterait la ville, et la préfecture, lors du tournoi régional.


    Jusqu'au premier Avril, Tyro s'était senti incroyablement excité par la prochaine rentrée des classes. Cela n'avait évidemment rien à voir avec ses études. Malheureusement son bel enthoustiasme avait fondu comme de la neige en plein soleil à la fin du premier jour passé au club. Les méthodes de Kurata-buchou l'avaient ulcéré. Il ne comprenait pas pourquoi ce dernier interdisait aux premières années de jouer des matches sans avoir une autorisation au préalable d'un titulaire. C'était stupide ! Déraisonable ! Au-delà du bon sens ! Comment pouvait-on s'améliorer sans pratique ?


    Tyro fulminait depuis plus d'un mois.


    Il avait quinze ans ! Quinze ans ! Ce n'était plus un débutant ! Il avait largement dépassé le stade de ramasser des balles sur les différents courts du club !


    A chacune de ses pensées sur sa situation actuelle, ses yeux amandes s'enflammaient davantage. La puissance de ses bras exercée sur la balle se renforçait. A force de recevoir des impacts toujours de plus en plus intense, celle-ci finit par rebondir bien trop fort sur le mur et fila si vite que le jeune homme ne parvint pas à la voir et encore moins à la rattraper.
    Bien conscient du danger qu'elle représenta pour ses équipiers, Tyro se retourna immédiatement en criant :


    - Attention !


    Aucune agitation, aucun tumulte ne s'était produit autour de lui. Ses comparses continuaient à s'entrainer contre un mur ou sur les courts. Cela dépassait l'entendement. Où était passé sa balle ? Il ne l'avait pas entendu rebondir quelque part. Ses oreilles n'avaient pas perçu non plus de cris.


    Soudain ses yeux se posèrent sur un individu d'une très forte stature. Un véritable géant aux fortes épaules carrées et au torse imposant. Celui-ci portait un simple tee-shirt rouge, un short très cours et des baskets. Il était aussi occupé à à faire rebondir une balle sur le cordage de sa raquette.


    Tyro fronça les sourcils. Sa main se posa à l'arrière de la tête et gratta cette partie nerveusement. Cet homme se trouvait dans l'axe suivi par sa balle. Est-ce que cela voulait qu'il avait su l'arrêter. Si c'était le cas, le tennisman le trouvait déjà super cool. Il examina attentivement sa silhouette et la reconnut. Malheureusement, sa mémoire ne parvenait pas à mettre un nom sur son visage. Pourtant, au Japon, la rencontre d'un individu qui mesurait plus d'un mètre quatre-vingt, pouvait être considéré comme une sorte d'exploit. Où avait-il bien pu le croiser ?


    Ses souvenirs ne l'aidèrent pas du tout. Tyro décida d'aller vers lui afin de faire connaissance.


    - Salut ! C'est toi qui a arrêté ma balle ?


    - Je passais à côté à ce moment, répondit-il de manière désinvolte.


    - Eh bien, c'était une sacrée chance alors. Tu dois être très doué en plus pour avoir eu ma balle comme ça !


    - Je te remercie de ton compliment, Sakumai-kun.


    Tyro rougit et baissa la tête en réalisant que son interlocuteur avait su retrouver son nom. Pourquoi se révélait-il donc aussi nul à reconnaitre les gens ?


    - Désolé, marmonna Tyro en baissant son regard, mais je ne me souviens plus tout de ton nom.


    - Ce n'est rien, assura le garçon aux lunettes sombres. Je m'appelle Satsuma Rentarou, première année, classe D.


    En entendant ce nom, le souvenir de la rentrée et surtout de leur rencontre lui revint en mémoire. Il se souvint surtout d'avoir eu l'impression de faire la conversation pour eux deux. Tyro se désintéressa bien vite à cette histoire et se concentra sur la seule et unique chose qui le motivait dans la vie : le tennis. Réaliser que ce garçon devant lui pouvait maitriser une balle aussi rapide que la sienne, cela s'apparentait à un rêve.


    Tyro se dressa de toute sa hauteur et lui fit face :


    - Je veux jouer contre toi, supplia t-il, les yeux brillants. S'il te plait !


    - Tu veux dire un match ?


    - Évidemment, répliqua Tyro narquoisement. Tu es d'accord, hein ? Tu es d'accord ?


    - Je n'ai absolument rien contre du tout, approuva Rentarou en s'efforçant de sourire.


    Le garçon aux multiples piques s'apprêta à l'entrainer vers l'un des courts lorsqu'une autre personne se planta devant eux et les empêcha d'avancer plus loin. Rentarou comprit vite que celui-ci ne devait pas être un simple membre au sein du club car il portait une tenue différente. Alors que la plupart des adolescents présents dans l'enceinte du club avait simplement enfilé un tee-shirt, un short et une paire de baskets, comme Tyro et lui-même, le nouveau venu se distinguait de cette masse.


    D'une taille presque équivalente à celle de Rentarou, à défaut d'un centimètre ou deux, ses cheveux bruns lui tombaient sur sa nuque. Sa tenue se composait d'un tee-shirt blanc, orné du sceau de leur établissement au niveau du cœur, une couronne de laurier autour d'une colombe, et liseré d'un vert foncé sur le col, sous une veste verte foncée entrouverte, également frappée aux armes du lycée, d'un pantalon noir en toile et des baskets blanches avec une pointe jaune au bout.


    - Matsuda-sempai, nous allions ranger ce court là-bas, mentit Tyro en montrant le court le plus proche d'eux vide. Il y a plein de balles qui doivent trainer et c'est dangereux !


    - Ce n'est pas la peine, répliqua Matsuda en adressant un clin d'œil. Je préférerai que vous vous occupiez de celui derrière les vestiaires.


    - C'est vrai que c'est le plus urgent, accepta Tyro en renvoyant le clin d'œil. Allons-y, Satsuma !


    Perdu dans cet échange, Rentarou n'avait strictement rien suivi ni compris de la conversation. Tyro lui avait parlé d'un match et non de ramasser de balles. Il ne voyait aucune raison à son mensonge. Pourtant ce garçon ne ressemblait absolument pas à une personne se dégonflant comme une baudruche à la moindre complication. Il était impulsif et s'énervait facilement. Le lycéen géant se souvenait avoir eu besoin de le maitriser le jour de la rentrée où celui-ci aurait passé ses nerfs sur Shiromiya.


    Néanmoins, Rentarou était un nouveau et devait faire un effort pour assimiler les règles de cet environnement. Il y avait sans aucun doute une explication. Tout avait une explication dans ce monde. A un moment, les réponses à ses questions arriveraient.


    Il suivit donc son chalenger qui le mena derrière un long bâtiment en préfabriqué. Un large court entouré d'un haut et solide grillage semblait les attendre.


    - Dépêche-toi, Satsuma, lança Tyro en prenant place. On doit faire vite !


    - Pourquoi ? demanda le lycéen géant, les sourcils froncés.


    - Je t'expliquerai ensuite, répondit Tyro en faisant rebondir sa balle sur le sol.


    N'insistant pas davantage, Rentarou se plaça de l'autre côté du court, face à face avec son adversaire. Le pied gauche plus en avant, il leva sa raquette inclinée vers la gauche, et fixa avec une grande attention les mouvements du jeune homme à la coiffure de diable qui l'avait défié.


    Lançant sa balle en l'air, Tyro la frappa avec force. Celle-ci partit à toute vitesse en direction du champ adverse. Elle toucha le sol de couleur sanguine vers le milieu du côté gauche du terrain et rebondit.


    Cependant Rentarou avait déjà estimé la trajectoire et l'attendait à l'endroit où elle devait tomber. Il n'eut qu'à tendre son puissant et long bras pour appliquer une frappe magistrale en visant le coin le plus opposé du côté adverse.


    En découvrant la facilité avec laquelle son adversaire avait retourné son service, Tyro passa sa langue sur le bord de ses lèvres et les humidifia, appréciant déjà pleinement le début de ce match. Il courut rapidement vers le coin de droite mais réalisa que la balle était trop rapide et risquait de la louper. Ainsi le garçon plongea en avant et frappa le plus fort qu'il put et s'écroula à terre.


    Sa frappe fut suffisamment forte et renvoya le coup. Pendant que Tyro se releva et observa le jeu ennemi, Rentarou courut après la balle et la renvoya aussi facilement que la première fois. L'échange se prolongea encore un long momen. Aucun des deux ne voulait céder le point à l'autre. Cependant Rentarou réussit à s'imposer en frappant de toute sa puissance. Tyro tenta bien de l'avoir mais la force concentrée sur la balle était trop importante. Sa raquette s'arracha de ses mains. Lui-même bascula en arrière sous le choc.


    - Tu as vraiment très fort, constata Tyro en reprenant sa raquette par le grip, assis sur le sol.


    - Tu vas bien ? s'enquit Rentarou, inquiet d'avoir blessé son camarade.


    - Génialement bien, s'exclama Tyro en se relevant, la langue mouillant ses lèvres. Je suis encore plus excité maintenant !


    Rentarou sourit doucement. Il alla ensuite se replacer sur la ligne de fond afin d'être en mesure d'observer correctement le prochain service de Tyro.


    - Satsuma, attends ! Lance le service !


    - Mais ce n'est pas mon tour, protesta Rentarou avec une surprise évidente.


    - Je sais qu'un match ne se déroule pas ainsi, reconnut Tyro, mais j'aimerais voir le genre de service que tu lances avant d'être interrompu !


    - Interrompu ? répéta Rentarou en arquant un sourcil. Pourquoi serions-nous interrompus ? C'est un club de tennis, non ? Alors nous avons parfaitement le droit de jouer un match de tennis, non ?


    - S'il te plait, faisons juste un match avec un seul point par jeu, insista Tyro dont les traits s'étaient considérablement durcis pour masquer sa frustration et sa tristesse.


    Ne comprenant toujours pas, Rentarou se résigna à accepter la proposition de son rival. De toute manière, il recevrait certainement des explications à un moment donné, que se soit de la bouche de Tyro ou d'un autre membre.


    Laissant rebondir sa balle plusieurs fois, le jeune colosse la lança avec une grande force en l'air et la servit d'une frappe magistrale.


    Cependant Tyro n'eut même pas le loisir ni le plaisir d'admirer le service qu'il souhaitait tant voir car un grand jeune homme à larges épaules fit son apparition aux abords de leur court.


    - Arrêtez immédiatement ce match ! ordonna t-il subitement d'une voix d'une grande sévérité.


    Ouvrant la porte dans le grillage, le nouveau venu pénétra sur le terrain et se dirigea vers Tyro. Étant arrivé dans le dos de Rentarou, celui-ci n'avait pas encore eu la possibilité de le remarquer. Ainsi il l'examina attentivement en se demandant quel était son rôle au sein du club.


    En premier lieu, le lycéen géant se rendit compte que celui-ci portait exactement la même tenue que Matsuda, le garçon que Tyro et lui avaient rencontrés précédemment. La seule exception résultait du fait que celui-ci gardait sa veste fermée. Ses courts cheveux noirs étaient coiffés impeccablement et laissaient son large front parfaitement dégagé.


    - Tyro, je pensais t'avoir suffisamment répété les règles, s'insurgea t-il en se plantant face au garçon à la coiffure aux multiples piques.


    - Et moi je croyais avoir expliqué que je détestais ces règles, Okawa-sempai, siffla Tyro du ton le plus insolemment qu'il put.


    - Pardon, Okawa-sempai, intervint Rentarou en avançant vers eux.


    - Ne te mêle pas ça, répliqua strictement Okawa. En tant que nouveau, je ne peux pas te punir pour aujourd'hui mais ne t'avise pas te recommencer !


    - Mais il y a un garçon comme comme toi qui nous a vu tout à l'heure et nous a dit de venir ici, Okawa-sempai, rapporta Rentarou.


    - Un garçon comme moi ? Tu veux dire un titulaire ? fit Okawa en se retournant vivement vers Rentarou très intéressé.


    - Je ne sais pas ce que titulaire veut dire mais il portait les mêmes vêtements que toi.


    - Tu as su son nom ? interrogea Okawa en fixant Rentarou d'un regard si inquisiteur que celui ci en frissonna presque.


    - Sakumai-kun l'a nommé Matsuda-sempai, répondit Rentarou en évitant le regard de son interlocuteur tant il l'impressionnait.


    - Pourquoi ne suis-pas davantage surpris ? aboya Okawa en se détournant rapidement de Rentarou. Quel âne ! Vous deux, revenez aux courts principaux ! Exécution !


    Là dessus, le titulaire quitta les lieux d'une bonne foulée. Rentarou le regarda partir et s'en sentit vaguement soulagé. Néanmoins, il eut aussi la désagréable impression d'avoir causé des ennuis à Matsuda et ceci l'ennuya.


    - C'était Okawa-sempai, le numéro trois du trio de tête du club, l'informa Tyro d'un ton visiblement très las. Même s'il ne dispose officiellement d'aucun pouvoir, c'est lui qui applique les directives au sein du club.


    Réalisant qu'il obtenait enfin des informations, Rentarou n'ajouta rien et se contenta d'écouter son camarade.


    - Le numéro deux, c'est Uegami, notre fukubuchou, reprit Tyro. Il ne dit jamais rien et laisse Okawa-sempai agir à sa place. Pendant ce temps, il s'occupe des choses qu'il aime faire.


    - Eh ? Pourquoi a t-il été choisi fukubuchou alors ? s'étonna Rentarou. C'était plus logique de nommer Okawa-sempai s'il fait tout le boulot à sa place.


    - Kurata-buchou et Uegami-fukubuchou sont amis d'enfance, révéla Tyro. Par contre, Okawa-sempai vient d'Osaka et ils l'ont rencontrés seulement en entrant au lycée.


    - Je vois, fit Rentarou. Eh, attends ! Le Kansai, c'est la région d'où vient Shiromiya-kun … C'est pour ça que je trouvais qu'Okawa-sempai parlait comme lui ... Je me demande s'ils se connaissent …

    - Le Kansai, c'est une région très peuplée, rappela Tyro.


    Le lycéen géant rougit en réalisant la bêtise de son commentaire et résolut à se taire.
    En fouillant dans sa mémoire, Rentarou se souvint avoir croisé plusieurs fois Okawa dans les couloirs de l'internat. Même si ce dernier ne lui avait jamais causé d'ennuis, il l'avait toujours très mal jugé car chaque fois le vétéran rudoyait un étudiant beaucoup plus faible que lui n'osant pas répondre. Le lycéen géant s'était toujours retenu, très difficilement, d'intervenir pour deux raisons. D'une part, il s'agissait d'une conversation privée et le bourreau ne maltraitait pas sa victime physiquement. D'autre part, le jeune homme aux cheveux de jais craignait d'attirer l'attention d'Onita, le surveillant général de la discipline. Connaissant sa passion pour la chasse aux élèves enfreignant le règlement, il prenait soin de l'éviter le plus possible.


    - Enfin le dernier mais pas des moindres, c'est Kurata-buchou, dit Tyro qui continuait ses explications sur le fonctionnement du club. C'est lui qui dicte les règles mais laisse Okawa-sempai les appliquer.


    - OK, marmonna Rentarou en réfléchissant à ces paroles. Ah oui ! C'est quoi un titulaire ?


    - Jamais fait de sport ou quoi ? répliqua Tyro assez surpris.


    - Pas vraiment, éluda Rentarou en détournant son regard, les joues encore rouges.


    - Les titulaires sont les membres choisis pour représenter l'école aux matches officiels lors des compétitions entre écoles, expliqua Tyro. Ils sont sept choisis par Kurata-buchou lui-même et aucun première année n'a le droit de le devenir aussi.


    Rentarou nota alors le ton particulièrement amer et enervé dans le discours du garçon aux cheveux châtains. Il comprit que le sujet était douloureux pour lui et choisit de ne pas ouvrir davantage la blessure faite à son cœur.


    Entretemps, les deux adolescents étaient revenus vers les courts principaux. Ils étaient désormais tous libres. Il y en avait pourtant plus d'une dizaine. La foule était aussi très nombreuse. Le lycéen géant brûla d'envie de questionner Tyro à ce sujet mais deux titulaires s'avancèrent vers eux.


    Tous deux possédaient la même stature qu'Okawa. Le premier avait de longs cheveux noirs soyeux touchant avec élégance le haut de ses épaules. De visage rond, il portait de grandes lunettes aux verres ovales couvrant ses étroits yeux gris. Egalement, le jeune homme avait attaché une fleur de lys jaune à sa veste, juste au-dessus du dessin de la couronne de laurier, le blason du lycée. Il s'agissait de Kurata Akihito, le buchou du club.


    Le deuxième avait une chevelure moins abondante que celle du précédent. Un épais et large bandeau en laine bleu foncé sur lequel était cousu l'insigne de leur école lui permettait de maintenir ses mèches noires bleutées et éparses. Une seule passait dessous et coupait son front en deux parties égales. A l'inverse des autres titulaires, il avait remplacé le pantalon par un bermuda noir de toile et supprimé la veste. Il se nommait Uegami Ichitarou et était le fukubuchou du club.

     

    - Sakumai, je pensais t'avoir répété cent fois au moins la règle, assena Kurata une voix emplie d'orgueil et d'autorité.


    - Et moi je pensais avoir répété au moins cent fois que je détestais cette règle, renchérit Tyro d'un sourire narquois.


    - Ne joue pas à ça avec moi, répliqua Kurata en levant son index droit vers sa poitrine. Au cas où tu l'oublierais, c'est moi qui décide ici !


    - Et si tu n'es pas satisfait de notre manière de fonctionner, tu es parfaitement libre de partir et de trouver ce tu n'aimes pas notre organisation, ajouta Uegami d'une voix plus posée mais tout aussi autoritaire que celle de son meilleur ami.


    - Je me suis inscrit car Ryogaku participe chaque année à la sélection qui décide qui participe ou non aux Nationales et je veux aller aux Nationales ! renchérit Tyro avec hargne.


    Arborant un air de lassitude sur la figure, Kurata haussa les épaules avec une nonchalance feinte et se retourna vers son ami d'enfance.


    - Ichi, où ne suis-je pas clair quand je dis que les premières années n'ont pas à jouer ?


    - Ca me semble parfaitement clair, Aki.


    - Donc ça veut dire que c'est Sakumai qui est trop idiot pour comprendre ?


    - On dirait, répondit Uegami en fermant doucement ses yeux et les rouvrant une secon

    de plus tard.


    - Arrêtez de vous foutre de moi ! rugit Tyro.


    Très agacé, le jeune homme ne cessait de grogner depuis le commencement de l'entretien. Comme il détestait son buchou et son fukubuchou d'ignorer ses capacités et sa motivation ! Chaque humiliation vécue au fil des jours le rendait de plus en plus irritable. D'ailleurs, Kurata ne s'intéressa déjà plus au garçon à la chevelure de diable et s'en détourna pour observer en détail la personne qui l'accompagnait.


    Durant tout l'échange entre les deux sempai et le kouhai, Rentarou avait jugé préférable de garder le silence. Il n'avait pas apprécié du tout l'attitude de Kurata, pas plus que celle d'Uegami, mais s'efforçait à garder son calme. C'était son premier jour. Attirer l'attention ne lui rendrait pas service.


    - Qui es tu, le nouveau ? demanda Kurata en reprenant sa voix perchée et hautaine.


    - Satsuma Rentarou de la classe 1D.


    - Alors c'est un élève ? fit Uegami amusé, en ouvrant les yeux. J'aurai juré que c'était ton nouveau garde du corps, Aki !


    - Comme si j'en avais besoin, répliqua Kurata avec dédain. Alors tu viens jouer avec nous ?


    Non, je suis venu apprendre comment on plantait les patates, pensa Rentarou en refoulant au maximum la mauvaise humeur et la colère qui l'envahissaient progressivement.


    D'un geste de la tête, Rentarou répondit affirmativement à la question. Kurata sembla réfléchir un instant. Les doigts de sa main droite caressèrent son menton


    - Ichi, vas chercher Raphael, ordonna Kurata en claquant des doigts.


    - Tu vas encore tester quelqu'un ? intervint brusquement Tyro toujours aussi énervé tandis qu'Uegami s'éloignait d'eux. Et moi alors ?


    - Je n'ai pas de comptes à te rendre, Sakumai, répliqua sèchement Kurata. A présent, file !


    Jetant un profond regard de mépris à son supérieur, Tyro serra le grip de sa raquette qu'il portait contre son épaule et partit rapidement. Rentarou se sentit désolé pour lui d'être traité si durement mais n'eut pas le loisir d'y réfléchir davantage car Uegami revint sur cette entrefaite en compagnie d'un autre titulaire.


    - C'est lui le prochain à battre, Kurata-buchou ?


    - C'est exact, Raphael, approuva Kurata. Dépêche-toi aussi. Les activités du club finissent bientôt et j'aimerais quitter l'école tôt aujourd'hui.


    - Ne t'inquiète pas tant, Kurata-buchou, le rassura Raphael d'un ton neutre, le visage dépourvu d'émotions. Ceux ne sont que des faiblards ici.


    Quand il eut entendu cette dernière répartie, Rentarou eut l'impression de recevoir un violent coup au plexus solaire. Son poing libre se contracta fortement. Il se remit en même temps en mémoire le nombre d'entraînements effectués tout le mois dernier. D'abord contre la machine puis contre d'autres joueurs du centre de frappe. Malgré son inexpérience et ses échecs, aucun d'eux ne l'avait jamais traité de faible.


    - Que ce soit dans n'importe quel domaine, ne juge pas quelqu'un avant la fin, lança t-il insolement.


    Raphael prit conscience que son challenger venait de lui adresser le parole. Il le défia d'un regard hautain en s'avançant lentement en sa direction. Rentarou se plut à utiliser toute sa hauteur pour l'impressionner.


    - Mon nom est Raphael de Guise. J'ai participé à de nombreux tournois juniors en Europe et aux États-Unis alors le niveau japonais …


    Le français leva alors sa main pour la rejeter en arrière indiquant combien il méprisait au plus haut point le niveau en tennis de la nation japonaise. Ce geste là offensa davantage son interlocuteur.


    - Participé ou gagné ? interrogea Rentarou, ses lèvres dessinant un petit sourire narquois. Ce n'est pas vraiment la même chose.


    - Ce n'est pas important, éluda Raphael dont la voix diminuait de plusieurs octaves.


    - C'est vrai, Raphael, s'exclama subitement Uegami en fermant ses yeux une seconde. Combien tu en as gagné ?


    - Le niveau de ces tournois est très élevé, vous savez, tenta Raphael nerveux.


    - Ca veut dire que tu n'en as gagné aucun ? comprit Uegami en rouvrant ses yeux.


    - Qu'importe ! Des gens aussi faibles en tennis que les japonais ne peuvent pas ni comprendre ni imaginer à quel niveau est ce sport dans les pays occidentaux !


    En achèvant sa réplique, Raphael toisa Rentarou d'un regard noir. Cela ne l'affecta pas du tout.


    Connaissant sa nature impulsive, le jeune colosse jugea plus prudent de stopper la querelle naissante avant d'être incapable de réfréner une parole, ou un geste surtout, de déplacé. Autant mettre les choses à plat en jouant leur match.


    Quand les adolescents furent entrés à l'intérieur du court le plus proche, tous deux pratiquèrent quelques mouvements d'échauffement avant de débuter. Rentarou en profita aussi pour examiner en détail son adversaire.


    Raphael était plus grand que lui de deux centimètres. Cependant il s'avérait moins musclé et beaucoup plus rachitique. Ses cheveux bruns étaient très courts et aplatis vers l'arrière de sa nuque. Il portait également une monture très fine et légère aux verres carrées.


    - Allons-y, décida Raphael en retirant sa veste pour la jeter sur le banc le plus proche de lui.


    Rentarou approuva d'un signe de tête. Il posa une de ses paumes sur le haut du grip de sa raquette et s'apprêta à la faire tourner dès que son rival aurait fait son choix.


    - Endroit ou envers ?


    - Commence le match, ordonna Raphael d'un ton sec.


    - Tu en es sûr ? s'informa Rentarou.


    - Je laisse toujours un avantage à mes adversaires, répondit-il de sa voix neutre. Surtout quand ils sont aussi faibles que des japonais.


    Rentarou résista difficilement à l'envie de sourire. Néanmoins, imaginer la tête que son adversaire arborerait bientôt lui permit de se canaliser.


    Après avoir fait longuement rebondir sa balle, il la lança fort en l'air puis frappa de toutes ses forces devant avec sa raquette. Celle-ci fonça si vite vers le champ adverse que Raphael ne put la distinguer et tomba subitement derrière lui.


    Hagard, le jeune homme pivota immédiatement son corps et découvrit la petite sphère jaune à quelques mètres de lui. Sur son visage se lut l'incompréhension et la stupéfaction puis se replaça face à son adversaire.


    - Comment as-tu fait ça ?


    - Ca doit être le hasard, non ? se moqua Rentarou d'un léger sourire narquois. Après tout, comme tu le dis si bien, nous, les japonais n'avons pas le niveau face à toi en tennis.


    Inspirant doucement afin de conserver sa sérénité, le jeune homme aux cheveux de jais n'ajouta pas d'autre commentaire. Comme il l'avait appris lors de ses entrainements, gagner un match de tennis résultait d'une intense concentration et nécessitait de toujours garder son calme.


    Ainsi il attendit que Raphael soit prêt à nouveau. Kurata, qui avait pris la décision d'arbitrer le match, donna le signal de lancer un nouveau service. Rentarou recommença le même que celui de la première fois et cela trois fois de suite. Chaque fois, son opposant tenta de bloquer la balle en tendant sa raquette à gauche ou à droite en vain. Il avait remarqué grâce aux positions adoptées par son rival que celui-ci tenait sa raquette très en hauteur. Par conséquent, le lycéen géant visait le plus bas possible en exerçant une puissante frappe sur la balle afin d'empêcher qu'elle ne soit touchée par un coup de chance.


    - 40 à 0, annonça Kurata à la fin du premier jeu. Le point est à Satsuma !


    - Ce n'est pas un coup de chance, s'exclama vivement Raphael totalement effaré. Comment peux-tu faire disparaître tes balles ?


    - Elle ne disparaît pas, cria une voix très aïgue en guise de réponse.


    Intrigués par cette affirmation, les deux joueurs, l'arbitre et les spectateurs qui observaient le match se retournèrent vers le pan du grillage où se trouvaient Tyro et un jeune rouquin.


    - C'est simplement une balle super rapide, ajouta le rouquin dont les yeux verts riaient.


    - Super rapide ? répéta Raphael en arquant un sourcil.


    - Satsuma exerce juste une grande puissance sur sa balle qui prend beaucoup de vitesse et rebondit sous tes jambes ou ta raquette puis atterrit derrière toi, expliqua le garçon.


    - C'est impossible, protesta Raphael presque vexé. J'aurais vu cette balle si elle était passée juste à côté de moi !


    - Alors pourquoi il y a des traces de balles à l'endroit où tu t'es tenu ? demanda le rouquin très malicieusement et en se retenant difficilement de rire.


    Pris d'un horrible doute, Raphael baissa le regard sous ses pieds et découvrit sur la terre battue quatre impacts de balles, chacun espacé de cinq ou six centimètres. Il fut si impressionné que ses yeux parurent presque sortir de leur orbite tant ils ne cessèrent de scruter les traces sur le sol.


    - On dirait que tu es un adversaire de valeur finalement, déclara Raphael en relevant la tête pour faire face à Rentarou.


    - Pouvons-nous reprendre ?


    Au cours du second jeu, Raphael reprit confiance en lui. D'abord, il sut que ce serait à lui de servir et avait pleinement confiance en ses capacités. Le français utilisa dans chacune des balles un effet, chaque fois différent, afin de surprendre son rival.


    Cependant Rentarou observait avec une attention particulière les trajectoires des balles au départ et estimait au mieux la courbe qu'elles prenaient. Si un des effets de Raphael parvenait à le leurrer et réalisait alors que la balle se dirigeait de l'autre côté, il courait immédiatement vers elle. Parfois, le lycéen géant le réalisait trop tard. Elle commençait déjà à tomber pour toucher le sol. Refusant d'abandonner avant d'avoir tout tenter, il sautait et plongeait en avant, le bras et la raquette tendue. Cela lui permettait de réussir à la frapper.
    Les échanges de ce second jeu furent donc intenses et longs. Ni Rentarou ni Raphael ne manifestèrent une seule fois la volonté d'abandonner. Il ne cessèrent de courir sur toute leur partie du court et de rattraper la balle. Tous deux marquèrent point par point se retrouvant à égalité. Après une deuce pleine de suspense, ce fut Rentarou qui remporta le second jeu.
    Par contre, le troisième jeu fut bien moins spectaculaire et amusant que le précédent.

     

    Puisque ce fut à nouveau le tour de Rentarou de servi, celui-ci recommença son service du premier jeu et marqua les points nécessaires en quelques minutes.


    Suite au déroulement de ces trois jeux, Kurata réclama un changement de côté. Toutefois, avant de reprendre, les deux joueurs se retirèrent quelques instants pour reprendre leur souffle et surtout boire un peu d'eau.


    Ayant mis une serviette humide à son cou pour mieux se rafraichir, Rentarou songea en cet instant combien il adorait le tennis. Les sensations que ce sport lui procuraient ... Son envie de gagner en courant sans cesse .... Cette concentration intense à ne fixer que le déroulement du jeu ... Le tennis était vraiment génial !


    - Qu'en penses-tu, Tyro ? demanda le rouquin de tout à l'heure au cours de cette pause.


    - Satsuma est un adversaire génial à affronter, répondit Tyro, les mains accrochées au grillage, totalement excité par le match.


    - Ca devient vraiment amusant, se dit le rouquin à haute voix d'un large sourire.


    Lorsque le match reprit, ce fut à Raphael de servir. Les échanges se passèrent de la même manière que ceux du second jeu. Toutefois, son adversaire réussit à l'emporter à 30-40 sans risquer de jouer encore fois une deuce.


    Après le troisième tour de service de Rentarou durant lequel son opposant ne sut toujours pas distinguer la balle ni l'attraper, Raphael réussit à remporter enfin son service après une bataille acharnée où il fallait conquérir un point après l'autre.


    Malheureusement pour lui le dernier jeu lui fut fatal puisque le service revint encore une fois à Rentarou qui marqua le dernier point qui lui manquait pour obtenir la victoire à ce match. Désolé et anéanti par cette défaite, Raphael lâcha sa raquette et s'écroula à genoux sur le sol. Aucun mot ne put sortir de sa bouche et ne sut rien faire d'autre que marteler la terre de ses poings.


    - La prochaine fois que tu joues contre quelqu'un, évite de juger sa puissance avant le début du match et de le rabaisser, lança Rentarou avant d'ajouter presque inconsciemment. Mada mada dane !

     

    Quand il eut réalisé la phrase qui avait conclu son petit discours, Rentarou ressentit une bouffée de honte. Ce n'était pas poli ni correct de traiter une personne ainsi. Sa mère lui avait enseigné de traiter les autres avec respect et à les encourager face à la défaite. Cependant le souvenirs de l'humiliation de ses sempai vis-à-vis de Tyro l'empêcha de ressentir de la culpabilité. Par ailleurs, cette phrase, malgré son insolence, lui plaisait beaucoup. Elle avait un effet très cool pour parler comme un véritable jeune de son âge.


    A la conclusion de son premier match au club, personne ne l'apostropha. En fait, Kurata avait déjà quitté le court tandis que Raphael restait prostré devant le filet. Pour une rare fois de sa vie, il n'éprouva aucune compassion pour ce dernier et n'eut pas l'envie de le réconforter.


    Rentarou quitta donc tranquillement le court. A la sortie, plusieurs garçons l'attendaient. Parmi eux figurait Tyro. Son regard brillait d'excitation.


    - C'était trop cool, Satsuma !


    N'ayant pas l'habitude des compliments ni d'être félicité, Rentarou se sentit très embarrassé mais remercia tout de même le jeune homme.


    - Quand faisons-nous un vrai match ?


    En son for intérieur, Rentarou songea que Tyro était encore plus excité que Nobu le jour où son ami d'enfance avait appris que les résultats à son examen d'entrée au collége étaient positifs.


    - Je suis prêt quand tu le voudras, Sakumai-kun.


    - Génial, s'émerveilla Tyro qui se retenait pratiquement de sauter sur place.


    - Vous semblez oublier qu'il existe certaines règles, tous les deux, rappela une petite voix grave très proche des deux garçons.

     

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