• Chapitre 41


    - Comment te sens-tu, Rentarou-kun ?


    Assis sur le bord d'un lit de l'infirmerie, Rentarou laissa Haruko lui faire un check-up complet sans rien dire. Prise de tension. Auscultation du cœur et des poumons. La batterie traditionnel de tests s'accomplit sans en oublier un.


    Non loin de là se tenait Tyro, visiblement très inquiet. Le jeune homme se remettait à peine de la panique qui l'avait envahi en apercevant son meilleur ami tomber sur le sol et avoir des difficultés à respirer. Malgré les recommandations faites par Shintarou, l'adolescent s'était révélé incapable de ramasser les feuilles de la cour sans se soucier de l'état de santé de son camarade. Il s'était empressé d'aller chercher l'infirmière. Celle-ci était venue rapidement et avait aidé Rentarou à rester calme et à évacuer son taux de dioxide de carbone.


    Une fois la crise passée, le lycéen géant avait détesté se retrouver dans les bras de la jeune femme rousse. Il s'était douté que celle-ci ne le relâcherait pas avant d'avoir procédé à une consultation complète. Cela commençait à l'exaspèrer sérieusement de passer tout son temps à l'infirmerie.


    - Tout est OK, annonça t-elle en remettant son stéthoscope dans une poche de sa blouse.


    - Évidemment. Ca ne laisse aucune séquelle, vous avez dit, marmonna Rentarou.


    - Ce n'est pas une raison pour ne pas vérifier, riposta l'infirmière.


    Elle lui adressa en même temps un regard lui laissant sous-entendre qu'il n'avait pas son mot à dire.
    - Tu sais, Rentarou-kun, il y a peut-être un moyen pour éviter que tu fasses des crises.


    - Vraiment ? Vous m'aviez dit qu'elles sont imprévisibles.


    - Elles le sont. Cependant elles sont aussi causées par ton état mental. Je pense que tu devrais consulter un psychologue pour parler de tes problèmes, Rentarou-kun. Cela te soulagerait de toutes les angoisses que tu peux ressentir. Ainsi si tes angoisses sont canalisées, tes crises devraient diminuer.


    La réaction de Rentarou fut sans appel. Il se leva vivement et s'écria :


    - Je ne suis pas fou !


    Celle d'Haruko se fit beaucoup plus douce. Elle rit doucement et ajouta :


    - Tous les gens qui vont voir un psychologue ne sont pas fous, Rentarou-kun. Ils ont juste un problème et ont besoin d'aide pour le surmonter. Tu sais, il est parfois bon de se confier à un inconnu. C'est même plus facile.


    - Eh bien, pas moi ! tonna t-il.


    Sur ces paroles, l'adolescent partit sans dire au revoir, ni même un mot à son camarade, et claqua la porte derrière lui. Cela ne fit absolument pas réagir Haruko habituée depuis longtemps aux mouvements d'humeurs des adolescents. Claquer la porte lorsqu'ils étaient colère se révélait être un véritable mode d'expression.


    - Désolé, Haruko-sensei, s'excusa Tyro pour son ami, mais Rentarou déteste recevoir de l'aide. Il a déjà du mal à demander à ses copains.


    - J'avais bien compris, lui sourit Haruko. Je me doutais qu'il n'apprécierait pas ma proposition. La majorité des gens ne réagissent jamais très bien quand on la suggère.


    - Mais ne vous inquiétez pas, reprit Tyro en lui faisant un clin d'œil. Seiichi et moi, on s'occupe bien de lui. Vous pouvez compter sur Seiichi pour lui tirer les vers du nez.


    - Eh bien, je m'en remets à vous deux, rit l'infirmière.


    Une fois sorti de l'infirmerie, Rentarou se décida à passer à l'action. Durant tout le temps qu'Haruko l'avait examiné, il n'avait cessé de penser à l'interaction récente entre Noguchi, Yoko et lui de tout à l'heure.


    Le lycéen géant ne pardonnait pas à ce faux-jeton de Noguchi sa duplicité et était aussi en colère envers Yoko. Elle le connaissait depuis six mois maintenant. Il ne mentait jamais et aurait été incapable d'inventer une pareille histoire pour coincer l'autre abruti. Sa droiture et son honnêteté l'en empêchaient. Comme l'amour portée à sa mère. Elle lui avait enseigné toutes ces valeurs et cela lui était impossible de ne pas les respecter.


    Pour l'heure, Rentarou ne souciait plus de ses relations avec la jeune fille. Il voulait lever le voile sur ce mystère, clarifier les incompréhensions et laver son nom.


    Pour cela, l'adolescent courut dans les sens à travers le campus pour rassembler ses amis. Il apostropha Shintarou, Kou et Takaishi à la sortie du laboratoire de Chimie et leur ordonna de monter rapidement dans sa chambre. Sans leur laisser le temps de poser la moindre question, le lycéen géant partit en trombe à la recherche de Seiichi. Conformément à ses habitudes, celui-ci se trouvait dans la bibliothèque. Le jeune ninja venait de terminer le nettoyage du réfectoire et commençait à sortir ses affaires de sa serviette lorsque ses yeux aperçurent Rentarou apparaitre devant lui. Son meilleur ami lui répéta en vitesse le même message qu'à ses camarades et disparut aussitôt le laissant perplexe. Enfin le jeune colosse courut au club de tennis où Tyro s'habillait dans les vestiaires. Malgré son torse nu et son pantalon d'uniforme à moitié défait, il le traina sur tout le campus jusqu'à sa chambre.


    - Alors là, ça vaut le coup d'œil ! rigola Shintarou.


    Complètement hilare, le rouquin se tordit de rire de voir son ami dans une tenue aussi débraillée. Kou et Takaishi s'esclaffèrent eux aussi. Seul Seiichi ne les imita pas, inquiet pour Rentarou. Soucieux de la santé de Tyro, il se leva et alla prendre un tee-shirt et un chandail dans l'armoire pour les tendre à son meilleur ami.


    Malgré son impatience à commencer son allocution, Rentarou rongit aussi patiemment que ses nerfs lui permirent son frein et laissa ses amis reprendre leur sérieux et s'asseoir. Ses mains derrière son dos trahirent l'envie qui le démanger de ne pas débuter immédiatement.


    - Une grave menace est apparue aujourd'hui. Noguchi Keigo n'est pas ce qu'il prétend être et …


    - Noguchi ? Celui qui sort avec Yoko-chan ? le coupa Kou en levant ses yeux au plafond.


    - Ne me dis pas que tu as inventé une histoire pour le discréditer, s'inquiéta Takaishi.


    - Rentarou ne ferait jamais ça, protesta vivement Shintarou.


    Rentarou sourit faiblement. La confiance que lui portait le petit rouquin lui réchauffa le cœur. Il entreprit de raconter les événements s'étant déroulés à la suite de sa punition infligée par Onita jusqu'à sa crise d'hyperventilation.


    - C'est vraiment un sale tour ce qu'il a fait, s'exclama Takaishi scandalisé.


    - J'avais bien dit que Noguchi n'était pas une bonne personne, rappela Seiichi s'en faisant un petit triomphe personnel, assis sur l'unique chaise de la pièce.


    - Je crois, Rentarou, enchaina Tyro dont l'expression s'était contrariée, mais quelque chose me gêne. Yoko-chan et moi sommes dans la classe de Noguchi Keiko. J'étais dans la cour à balayer les feuilles alors je ne me souviens pas du tout de les avoir vu. Ni elle ni son frère.


    - C'est bien la preuve qu'ils sont venus avant, s'insurgea Shintarou en claquant son poing droit dans sa paume gauche. Ils devaient être dans le bâtiment administratif !


    - Par contre, la fille que Keiko-chan ne supporte pas, je la connais aussi, poursuivit Tyro sans tenir compte de l'interruption. Elle s'appelle Sato Fumiko. Je confirme qu'aucune des deux ne peuvent se tenir ensemble. Je me demande même qui peut rester aux côtés de cette peste de Sato … Yoko-chan me paraît être un ange de douceur par rapport à elle !


    La comparaison fit rit l'ensemble du groupe. Excepté Rentarou. Il n'avait ni le cœur à rire ni à entendre le nom de Yoko.


    - Au fait, Tyro ! aboya t-il.


    Celui-ci déglutit difficilement en percevant le cri de son meilleur ami. Rentarou ne lui avait jamais parlé d'une telle manière. Il se dépêcha de poursuivre son récit sans faire de commentaires.


    - Pendant que je balayais, j'ai vu cette Sato sur l'escalier qui mène au bâtiment administratif. Elle révisait je crois. Elle était seule. Elle m'a apostrophé à deux heures pile, c'est pour ça que je l'ai remarqué. L'horloge du lycée a sonné juste au moment où elle m'a crié dessus pour me dire que j'envoyais des poussières sur elle avec mon balai.


    - Je suis sorti du bureau d'Onita entre 2h10 et 2h15, précisa Rentarou.


    - Et Yoko-chan a du venir te rejoindre à 2h30, ajouta Tyro. Elle m'a embêté en passant. D'ailleurs, Sato est venu me demander l'heure à ce moment-là. En plus, elle m'a hélé pour me faire venir à l'escalier ! Et à ce moment, Keiko-chan était là.


    - Tout cela est vraiment une mise en scène pitoyable, déclara Seiichi impassiblement.


    - Tu pourrais en apporter la preuve ? s'enquit Rentarou.


    - Je comprends le mécanisme du piège. Malheureusement, il n'y a aucune preuve physique à présenter pour établir leur culpabilité.


    - Explique-nous déjà ton raisonnement, Seiichi, réclama Takaishi. Nous, on le croira.


    - D'abord la cour représente un lieu idéal. Il y a un certain nombre d'élèves qui s'y rendent pour étudier en plein air pendant d'une heure libre. Cependant personne ne fait attention aux autres qui évoluent autour de lui. Si Tyro ne s'était pas fait punir, Sato aurait choisi n'importe qui d'autre.


    - Choisi pour quoi faire ? demanda Kou.


    - Elle a signalé sa présence à Tyro au moment où l'horloge sonnait, reprit Seiichi. Tyro l'a vu et il a vu l'escalier vide. Seule Sato était assise dessus.


    L'adolescent aux cheveux ébènes se tut quelques instants pour laisser les cerveaux de ses camarades enregistrer ces informations et poursuivit :


    - Ensuite dès qu'elle a vu Yoko-chan, Sato a appelé aussitôt Tyro pour lui faire constater l'arrivée de Keiko. En vérité, elle devait être à l'intérieur du bâtiment et en est sortie après quatorze heures.


    - Putain ! Ils m'ont complètement utilisé alors !


    - C'est une magnifique théorie, Seiichi, reconnut Rentarou. Cependant nous ne possédons pas la moindre preuve pour l'étayer. Aucun prof ne nous croira.


    Les six adolescents se murèrent dans un mutisme total. Aucun d'eux ne supporta l'injustice de cette situation. Ils tentèrent d'imaginer vainement des plans pour retourner le scénario ennemi.


    - Je me demande pourquoi Noguchi a copié les clé, dit finalement Kou.


    - Elles ouvrent les bureaux des profs, Rentarou a dit. Il doit probablement espérer soutirer des infos sur ses devoirs. Peut-être même améliorer ses notes.


    - Tu crois vraiment que c'est possible, Tyro ? s'alarma Takaishi.


    - C'est dégueulasse s'il fait ça, décréta Shintarou furieux. On abat des heures de boulot pour espérer réussir nos devoirs et lui, ça tomberait tout cuit dans le bec ! Enfoiré !


    Pendant que ses amis débattaient sur le sujet, Rentarou se souvenait alors de ces fameuses clés. Il se rappelait aussi de la pâte utilisée pour les copier. Le lycéen géant connaissait lui-même ce genre de préparation résineuse. Autrefois, il en avait fait lui-même pour créer des clés que des délinquants, comme lui à l'époque, réclamaient et lui achetaient.


    - Il y a peut-être bien une preuve, énonça Rentarou. Je vais revenir. En attendant, priez pour que Noguchi ne soit pas expert en crochetage.


    L'adolescent sortit de sa chambre, remonta en vitesse le couloir, heureusement désert, de l'internat, descendit l'escalier, traversa la cour en quelques foulées, passa la porte du bâtiment administratif et s'arrêta devant la porte au fond du couloir de gauche
    Hésitant, Rentarou craignit les réactions de la personne à l'intérieur de ce bureau. En se souvenant que celle-ci représentait son unique espoir d'être cru, il rassembla son courage, poussa la cliche et entra.


    - Tu es encore là ? grogna Onita en l'accueillant peu aimablement.


    - Je suis désolé, Onita-san, mais il y a un gros problème …


    Encore une fois, Rentarou rapporta l'ensemble de la scène vécue plus tôt dans la journée et la compléta avec les déductions de Seiichi. Il commença à en avoir assez de redire sans cesse cette histoire. A la fin de son récit, le surveillant ne dit rien, se leva de son fauteuil et quitta la pièce. Intrigué, l'étudiant le suivit. Ils se rendirent trois portes plus loin, au bureau de Yoko.


    A sa surprise, l'endroit était désert. D'ordinaire, la jeune fille travaillait ici tous les Vendredis après-midi les six heures suivant le déjeuner.


    - C'est vide, s'étonna Rentarou.


    - Yoko-kun m'a dit qu'elle ne travaillerait pas aujourd'hui, révéla Onita en se dirigeant vers l'armoire. Son copain l'a invité pour le week-end, elle m'a dit.


    En fronçant les sourcils, Rentarou assembla les dernières pièces du puzzle mentalement : Noguchi l'avait invité pour l'empêcher d'être à son bureau.


    Pendant ce temps, Onita ouvrit l'armoire et prit le bocal à clés situé sur l'étagère la plus haute. Il le posa sur le bureau et l'ouvrit. Ses mains se saisirent d'une des clés, l'examina et la renifla.


    - Tu as raison. Il reste de petits fragments de pâte dans les trous.


    - C'est une preuve, n'est ce pas ?


    - Une preuve que quelqu'un a crée des doubles illicites, réfuta Onita. Cela incrimine autant Noguchi que toi puisque vous étiez dans cette pièce quand Yoko-kun est entrée.


    - Et les déductions de Seiichi ?


    - De mon avis personnel, je te crois, Satsuma. Je t'ai déjà observé. Tu es un gamin droit et incapable de commettre une malveillance.


    Le visage de Rentarou s'illumina de bonheur en entendant le surveillant croire son histoire. Cependant celui-ci ternit aussitôt sa joie.


    - Mais de mon point de vue professionnel, les théories de ton ami, mêmes si elles sont crédibles et méritent d'être retenues, ne peuvent pas se vérifier.


    - Alors Noguchi va s'en sortir … , murmura Rentarou dépité.


    - Non ! Je ne le laisserais pas faire ! résolut Onita avant de se tourner vers son interlocuteur en adoptant un ton moins bougon. Il y a une signification précise à ce geste.


    - Comme quoi ?


    - Vous autres, étudiants, ne le savez pas, mais les professeurs sont tenus de rendre les sujets des examens du second trimestre le 31 Octobre.


    - On est le 13, songea Rentarou.


    - Exactement. Ca m'étonnerait beaucoup que ce Noguchi n'ait pas choisi volontairement ce moment de l'année pour tenter son coup.


    - Mais, Onita-san, pourquoi ne l'a t-il pas fait au premier trimestre ? Ou même les deux années précédentes ? Après tout, il est troisième année.


    - Jusqu'à la fin de l'année dernière, c'était un garçon qui occupait le poste de Yoko-kun.


    Malgré lui, Rentarou éclata de rire. Il imagina mal en effet son ennemi flirter avec un autre garçon de son âge, même pour parvenir à ses fins. En tous les cas, la perspective l'amusa beaucoup.


    - Il me faut un plan pour coincer ce tricheur, dit Onita dans un de ses grognements habituels.
    En demeurant silencieux quelques instants, Rentarou se remémora des propos du surveillant : Noguchi emmenait Yoko en week-end. Par conséquent, son ennemi ne viendrait récupérer les sujets d'examens les deux prochains jours. Son esprit réfléchit à toute vitesse et une idée finit par germer.


    - J'en ai un, moi ! claironna t-il.


    Onita l'écouta. Il sourit narquoisement aussi.


    Pendant ce temps, dans la chambre de Rentarou, ses amis commencèrent à trouver le temps plutôt long. Soudain la porte se rouvrit à nouveau. Quelle ne fut pas leur surprise en découvrant l'invité que leur ramenait l'adolescent aux lunettes sombres !


    - Les cours sont finis ! On a le droit de monter à l'internat !


    - Je suis externe, je sais ! Je ne dois pas monter à l'internat ! Mais mes copains m'ont invité !


    Les plus nerveux étaient évidemment Shintarou et Tyro. Habitués aux constantes remontrances et punitions de cet homme, et ne faisant rien pour les éviter, leur premier réflexe était de se protéger.


    - Aujourd'hui je ne suis pas là pour vous deux, leur lança Onita dans un grognement.


    - J'ai ramené de l'aide, annonça Rentarou en refermant la porte derrière lui.


    - Réussir à t'allier au surveillant général qui terrorise tout le lycée, dit Seiichi malicieux. Tu es vraiment quelqu'un d'incroyable.


    D'un geste de la main, Rentarou calma l'agitation naissante pendant que son invité s'assit sur sa commode. Il rapporta ensuite les révélations faites par Onita.


    - Noguchi voudrait voler les sujets d'examens alors, s'écria Takaishi. Quelle honte !


    - Il n'a vraiment aucun honneur et ne recule devant aucune bassesse, s'énerva Shintarou.


    - Et on ne peut rien faire, soupira Kou. On n'a pas de preuve pour étayer nos soupçons.


    - C'est pas de simples soupçons, rétorqua Tyro avec véhémence. C'est de l'évidence ! Il faut prévenir les profs ! Il faut faire quelque chose !


    - Nos professeurs ne bougeront pas pour de simples présomptions, réfuta Seiichi impassible. Ils voudront des preuves concrètes.


    - Je l'avais bien dit, trancha Kou fataliste en haussant les épaules.


    - Mais on ne peut pas laisser faire, protesta Shintarou qui ne cessait de remuer. C'est pas juste !


    En voyant ses amis s'agiter à nouveau, Rentarou les rappela à l'ordre en tapant dans ses mains.


    - J'ai imaginé un plan pour coincer Noguchi.

     

    - Vraiment ? fit Shintarou dont le visage rayonna grâce ce nouvel espoir.


    - Mais pourquoi on s'en mêlerait au fait ? Les examens, la discipline, ça ne nous concerne pas. On est juste des élèves et …


    En écoutant le discours pessimiste et fataliste de Kou, Rentarou se courrouça. Tous les traits de son visage déjà si sévères habituellement se durcirent davantage. Son poing gauche se serra et cogna violemment la commode. Perché dessus, Onita sursauta du choc.


    - Tricher aux examens est injuste et impardonnable ! Il n'y a personne qui devrait le tolérer ! C'est une insulte à tous ceux qui travaillent dur pour réussir !


    Il se tourna vers Seiichi qui observait la réunion en silence du haut de sa chaise à roulettes.


    - Seiichi, quand tu obtenu 45% en Maths à l'examen du premier trimestre car tu as bossé à fond pour améliorer tes résultats, tu n'en étais pas satisfait ?


    Comprenant la technique utilisée par son meilleur ami, tout en devinant que son ami l'employait inconsciemment, pour convaincre les membres réticents de leur bande, Seiichi sourit un très court instant et hocha positivement de la tête.


    - Tyro, tu as échoué aux examens mais tu as travaillé dur pour réussir ceux de rattrapage. Malgré tous les efforts fournis, tu n'en as pas été heureux ?


    - Si ! C'était génial de passer de 32% à 75% !


    - Et toi, Shin, comment es-tu devenu cinquième du classement des premières années ?


    - J'ai travaillé à fond, lu des livres, révisé mes cours et fait des tonnes d'exos !


    - Et toi, Taka-chan, n'as-tu pas surmonté ton blocage pour la Chimie en Juillet pour réussir l'évaluation continue du mois de Juillet ? Tu en étais malade à chaque cours, chaque fois que tu prenais une éprouvette ou sentait une odeur, mais tu t'es as accroché !


    - Je voulais aussi que Kou-kun n'ait pas une mauvaise note à cause de moi …


    - Et quant à toi, Kou-kun, tu a réussi sur le fil du rasoir tes examens. Tu t'es donné beaucoup de mal pour y parvenir, non ?


    - C'est vrai … J'ai bossé dur tous les soirs jusqu'à minuit, voir une heure du matin. Et je devais partir à six heures pour aller au lycée …


    - Pensez à tous ces efforts et ces sacrifices que vous avez consenti. Que beaucoup d'autres ont fait eux aussi. Vous trouvez ça juste de permettre à quelqu'un qui ne prend pas la peine d'étudier de réussir ? On ne peut pas le laisser s'en sortir !


    - Rentarou-kun a raison, dit Takaishi. On doit faire quelque chose.


    - Moi, j'étais déjà d'accord, rappela Shintarou d'un ton ferme et résolu.


    - On va donner une bonne leçon à ce Noguchi, s'exclama Tyro en levant haut son poing droit.


    - Eh bien, si tout le monde est d'accord, je vous suis aussi, se décida Kou.


    - Dans ce cas, je vais vous parler de mon plan, reprit Rentarou qui s'était radouci. Lundi matin, Onita-san va faire une demande pour changer les serrures des bureaux des profs. Cependant ce ne sera pas possible avant Vendredi.


    - Pourquoi ça ? Les techniciens les auraient posés en fin de journée, s'étonna Kou.


    - Parce que c'est un leurre pour attirer Noguchi, révéla Onita en prenant la parole pour la première fois. Puisqu'il travaille au secretariat, il entendra parler de cette info et déduira qu'il devra venir voler les sujets entre Lundi et Jeudi.


    - Je vois. Vous voulez organiser une souricière dans le bâtiment des cours, comprit Tyro.


    - Et vous avez besoin de monde pour patrouiller aux quatre niveaux, ajouta Seiichi.


    - C'est exact, confirma Onita. Cependant à part deux à rester en bas près des entrées, on se contentera de surveiller principalement les accès par l'escalier.


    - Ca va être amusant !


    - Ce n'est pas un jeu, Shin, soupira Kou.


    La réunion se continua par des explications précises sur le rodage de leur opération. Chacun écouta attentivement et enregistra son propre rôle. Le week-end se déroula normalement. Ils le passèrent à travailler sur leurs études. Également, Shintarou donna sa première leçon à Rentarou.


    Dès le début de la semaine, aucun de la bande n'alla en cours. Onita avait rempli un faux formulaire indiquant que les six lycéens étaient malades jusqu'au Lundi suivant. Étant donné qu'ils passeraient les prochaines nuits dans les couloirs de leur lycée à veiller, les adolescents souhaitaient pouvoir se reposer en journée. Seul Rentarou se plaignit de ce choix. Personne ne l'écouta évidemment. Se suffire de deux heures de sommeil se révélait être un exploit, ou une folie, qu'aucun d'eux ne voulait réaliser.


    Lors des nuits de veille, l'organisation était très bien établie. En raison de leurs réflexes fulgurants et de leur vélocité, Seiichi et Shintarou s'étaient retrouvés de garde au rez-de-chaussée. Le petit rouquin se cachait derrière l'une des deux statues d'ange. Il surveillait attentivement la porte majestueuse de l'entrée principale. Habitué à évoluer dans le noir depuis sa petite enfance, le jeune homme distinguait les lieux comme en plein jour sans avoir besoin de lumière.


    Au contraire, Seiichi tremblait dans cet environnement ténébreux. Dissimulé derrière l'angle du couloir, il épiait la petite porte de derrière. Le jeune homme détestait l'obscurité. Toutes ses craintes, toutes ses peurs remontaient en lui et l'étouffaient. Il ne cessait d'éclairer le sol avec sa torche électrique. Seule cette faible lueur le rassurait.


    Quant au reste du groupe, ils s'étaient partagés les étages en tirant à la courte paille.

     

    Rentarou et Kou le premier, Onita et Tyro le second et Takaishi le troisième. Tyro avait fait une belle grimace en réalisant qu'il devait faire équipe avec son pire ennemi. Cela n'avait pas manqué de faire rire l'ensemble de ses amis. Sans parler, des habituelles taquineries de Seiichi et de Shintarou.


    Pendant trois nuits, rien d'anormal ne se passa. Au début, les veilleurs essayèrent de rester de debout mais, au fil des heures qui s'écoulèrent, ils se décidèrent à s'asseoir sur les marches de l'escalier attendant d'entendre un quelconque bruit.


    La quatrième nuit parut ressembler aux précédentes. A minuit passé, il ne se passa toujours rien. Soudain un bruit sourd retentit depuis une salle du fond du troisième étage.

     

    Spontanément, ceux de garde dans les escaliers se précipitèrent à cet étage. En les attendant, Takaishi essaya d'allumer les lumières mais aucun bouton ne répondit à sa stupéfaction.


    En arrivant sur le palier, Onita s'élança, imité par les jeunes qui le talonnaient de près. Ils se dispersèrent à travers les couloirs pour couvrir le plus de surface. Seul Takaishi demeura à l'entrée des escaliers pour garder le passage.


    Toutes les portes de classes et de bureaux étant fermées, Le groupe se réunirt devant celui du professeur de Biologie. Grande ouverte, elle semblait indiquer que le rôdeur devait encore être à l'intérieur. Onita y pénétra le premier. Du seuil de la porte, il inspecta avec sa lampe la pièces et ses recoins mais n'aperçut pas âme qui vive.


    - C'est de la sorcellerie ! balbutia t-il effaré.


    - Il a fait tombé un des cailloux de Tsukiyo-sensei, nota Kou.


    En éclairant le bas du bureau de sa torche, le jeune homme révéla une lourde et ronde roche sur le sol. Ils en approchèrent et Tyro le saisit dans ses mains.


    - Noguchi l'a probablement fait tomber ! Quel balourd !


    - Ce n'est pas une pierre de Tsukiyo-sensei, répliqua Rentarou. Elle nous a montré sa collection en cours. Celle-là, c'est juste une pierre ordinaire que tu ramasses n'importe où.


    - C'est vrai ?


    - Je sais ! s'écria Tyro en lâchant le caillou qui s'écrasa au sol. Celui qui est venu a lancé la pierre depuis la porte et a fui immédiatement !


    - Mais par où il serait parti ?


    - On a vérifié les couloirs, un de nous l'aurait croisé, ajouta Rentarou. De plus, même si nous l'avons manqué, Taka-chan aurait crié s'il était passé par le palier.


    Brusquement, Onita se frappa très fort le front du plat de sa main droite et jura :


    - Mais quels cons !


    Le surveillant quitta précipitamment la pièce mais n'alla pas loin. Il s'arrêta trois mètres plus loin face à une porte couvre-feu éclairée par une veilleuse à son sommet.


    - C'est bloqué ! rugit-il en frappant son poing contre le mur.


    - La sortie de secours, lâcha Kou, le teint blafard. Voilà comment il est entré et sorti si facilement.


    - Et il a du bloquer la porte de l'extérieur, ajouta Tyro. Il faut redescendre !


    Sans hésiter, Rentarou se rua sur la porte. Pour une fois, sa musculature hors du commun lui servirait à autre chose qu'à épater la galerie. Laissant libre cours à toute sa force, il donna de puissants coups d'épaule. Onita vint l'aider et à deux, ils parvinrent à faire sauter la porte de ses gonds. Celle-ci tomba alors sur le palier en métal de l'escalier de secours.


    - Rappelez-moi de ne jamais mettre Rentarou en colère, dit Tyro impressionné.


    - A présent, en avant ! ordonna Onita. Il faut retrouver ce fuyard !


    Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, Seiichi et Shintarou s'étaient retrouvés dans une situation que personne n'avait imaginé possible.
    En entendant le bruit de la pierre tombant au sol, les deux garçons s'étaient rejoints à l'escalier. Ils savaient que l'intrus sortirait par là et attendaient donc sa venue.


    - Si seulement je pouvais être dans mon lit … , murmura Seiichi en serrant très fort sa torche entre ses mains.


    - Dès qu'on attrape Noguchi, on ira au lit ! T'en fais pas, s'esclaffa Shintarou confiant.


    Plusieurs minutes s'écoulèrent lorsqu'ils sentirent subitement d'importantes rafales de vent. Intrigués, les deux adolescents se demandèrent ce qui se passait. Les guetteurs suivirent le sens contraire du vent et remontèrent jusqu'à la salle des casiers des troisièmes années.


    A leur surprise la plus totale, sur la petite estrade située sur la fenêtre la plus à droite de la pièce se tenait Noguchi Keigo.


    - Que fais-tu là ? s'écria Shintarou.


    - Je trouvais ça dommage de voir vos efforts se gâcher pour rien du tout, répondit-il malicieux.


    - Que veux-tu dire ? s'enquit Seiichi.


    - Eh bien, je n'ai jamais eu besoin de venir cette semaine voler les sujets d'examens. Je les ait en ma possession depuis deux semaines.


    - Quoi ?


    - Mais pourquoi tu as copié les clés dans ce cas ? s'intrigua Seiichi.


    - Pour avoir un coupable à faire accuser à ma place, dit Noguchi simplement. A l'origine, j'avais prévu d'appeler quelqu'un dans le bureau de Yoko peu avant son arrivée et de laisser les clés et les copies en évidence.


    - Et pourquoi tu ne l'as pas fait ?


    - Parce que votre copain est venu une heure avant pensant saluer Yoko. En me souvenant de sa nature idéaliste et de ses rapports avec Yoko, je me suis dit qu'il serait le meilleur coupable pour me blanchir. Ainsi j'ai changé mes plans.


    - Tu t'es servi de Rentarou ! Tu es horrible ! lança Shintarou méprisant.


    Seiichi ne réagit pas aux propos de Noguchi. Il s'intéressa à comprendre ses manigances.


    - Et comment savais-tu pour notre plan ?


    - J'ai envoyé un texto à Keiko pour surveiller Satsuma quand il sortirait. Je me doutais qu'il ne resterait pas tranquille.


    - Mais pourquoi tu fais ça ? s'insurgea Shintarou. Si tu veux réussir tes examens, étudie ! Comme n'importe qui !


    Pour la première fois depuis le début de la conversation, le regard de Noguchi s'attrista. Il se ressaisit vivement et toisa de haut ses interlocuteurs.


    - Je n'ai pas de temps à perdre ! Je dois obtenir les meilleurs résultats qui soient pour intégrer une prépa qui me permettra de me préparer à la fac de médecine ! Je dois le faire !


    - Tu sais, je veux aussi intégrer une fac de médecine. C'est très dur, je sais. Mais personne ne t'en voudras si tu rates un an.


    - Je ne peux pas attendre ! Je dois devenir un médecin ! Je dois sauver ma mère !


    - Ta mère ? répéta Seiichi en arquant un sourcil.


    Noguchi se mordit les lèvres. Il jeta un autre regard de mépris aux deux garçons en face de lui et poursuivit avec autorité :


    - Ma mère se meurt, mon père est alcoolique et ma sœur et moi devons travailler tout en suivant nos études ! Voilà pourquoi je dois réussir mes études rapidement et à n'importe quel prix !


    - Je pense que ta mère apprécie que tu commettes de mauvaises actions pour elle, émit Shintarou.


    - Je m'en fiche Je ne le fais pas pour elle ! Je fais ça pour survivre ! Je ne veux pas finir dans un orphelinat ! Pas plus que Keiko !


    Brusquement, le jeune homme dressa l'oreille. Il entendit des voix se rapprocher.


    - Je dois y aller, dit-il d'un ton suffisant. Et n'oubliez pas que cette conversation n'est pas une preuve. Comme vous êtes amis avec Satsuma, il n'y aura personne pour vous croire !


    L'adolescent enjamba la fenêtre et sauta de l'autre côté. Immédiatement, Shintarou le suivit sans hésiter. Cependant dans l'action, son pied arracha la lampe que Seiichi tenait dans ses mains et l'objet se fracassa sur le carrelage. A peine la lumière eut disparu, le jeune ninja perdit tous ses moyens. Il tomba à genoux, frissonna et trembla de tous ses membres. Sa terreur dura un temps indéfini qui lui sembla s'éterniser.


    Pendant ce temps, le groupe de Rentarou était arrivé à la fenêtre ouverte quelques minutes après que Noguchi soit sorti. Ils remarquèrent la silhouette de Shintarou courir après lui et s'élancèrent eux aussi. Ils traversèrent tout le campus en passant devant le club de tennis et en longeant le bâtiment de l'internat, la forêt et le terrain du club de football. Noguchi se rendit jusqu'au mur d'enceinte, grimpa lestement au lierre fixé à cet endroit et sauta de l'autre côté. Shintarou fut le premier à le suivre mais resta sur la faite du mur.


    - Merde !


    - Shin ! cria Rentarou. Pourquoi tu ne le suis pas ?


    - Une voiture l'attendait. Désolé … Mais je ne sais pas suivre ça …


    - Et merde ! répéta l'adolescent aux lunettes sombres en frappant le mur avec son poing.


    Dépités et amers, la troupe revint vers le bâtiment des cours. Onita ouvrit la porte d'entrée principale puis se rendit au boitier de commandes électriques remettre le courant. Pendant ce temps, Kou partit chercher Takaishi resté au troisième étage.


    - Seiichi et moi, on sait tout ce que Noguchi a fait …


    Totalement déprimé, Shintarou s'était laissé choir sur les longues marches de l'escalier.


    - Où est Seiichi, au fait ? s'inquiéta Tyro.


    - Je suis là.


    Apparaissant du couloir de gauche, le jeune ninja avait repris son air impassible. Il se sentit totalement inutile et faible d'avoir échoué dans sa mission. Surtout à cause d'une peur si puérile.


    - Où étais-tu ? demanda Rentarou soucieux.


    - Je suis désolé. Je me suis foulé la cheville en m'élançant pour suivre Noguchi.


    Terriblement honteux, le jeune ninja murmura ce mensonge. Heureusement pour lui, Onita revint. Seiichi et Shintarou firent le témoignage du récit que leur avait conté Noguchi.


    - Alors il nous a complètement manipulé, comprit Kou qui venait de revenir.


    - Et il a déjà les sujets, soupira Shintarou. Tout est perdu !


    - Je vais demander aux professeurs de préparer de nouveaux sujets, résolut Onita. Il ne pourra utiliser les fruits de son larcin.


    - Et vous pouvez le confondre ? demanda Rentarou anxieux.


    - Comme Noguchi l'a dit : Shiromiya et Fujita sont tes amis. Si je prends leur témoignage, ce ne sera pas retenu.


    - Alors je reste suspect …


    Onita secoua négativement la tête et répondit gravement :


    - Je n'ébruiterais pas l'affaire. Je dirais que les sujets d'examens ont été volés mais on ne sait pas par qui. Je ne prendrais pas le risque que tu sois accusé à tort si je ne peux coincer Noguchi.


    - C'est nul, se lamenta Shintarou. C'est vraiment nul.


    - Qui a dit que nous vivions dans un monde juste ? soupira Tyro. Félicitons-nous d'abord si Rentarou ne soit pas inquiété dans cette histoire.


    La mort dans l'âme, les cinq adolescents durent se résigner à accepter cette triste conclusion. Ils partirent se coucher sans échanger un mot, avec l'impression de porter un sac de cent kilos sur leurs épaules.

     


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