• Chapitre 43


    - Vraiment ! Quelle cruche !


    Assise sur le milieu du grand lit à baldaquin de sa chambre, Yoko était en proie aux lamentations et aux reproches adressées à elle-même suite aux révélations fracassantes que sa meilleure amie venait de lui faire.


    - Mais non, ma Yoko-chan, s'indigna Mari qui s'acharnait à lui remonter le moral. Tu n'as strictement rien à te reprocher.


    - Franchement ! Comment j'ai pu être à ce point aveugle ? J'aurais du me douter que quelque chose clochait quand il m'a demandé de sortir avec lui !


    - Pourquoi ? Tu es laide comme un pou et tu fais peur à ceux qui te regardent ? persifla Mari.


    Yoko leva ses yeux en direction du plafond de ce commentaire. Son amie avait le don d'être si franche que cela s'avérait parfois être un désavantage.


    - Moi, je trouve ça chouette de sortir avec un garçon, reprit Mari. Le temps que ça dure, c'est bien de sentir qu'on est admiré par lui.


    - Et tu ferais quoi s'il te trompait ?
    - Je lui refais le portrait séance tenante !


    Yoko n'avait pas besoin de voir le visage de la jeune métisse pour savoir que celle-ci était sérieuse. Toutes les deux se connaissaient assez pour deviner les sentiments de l'autre uniquement par sa voix et son intonation.


    - Mais sérieusement, Yoko-chan, ce n'est pas de ta faute, s'il est déjà en couple. Quand un homme ou un garçon commet un adultère, il n'a pas une inscription sur son front qui s'allume avec marquée dessus « Je trompe ma copine ! ».


    - Ce serait pourtant bien pratique, rit Yoko.


    - Pense que grâce à lui, tu es allée visiter les lieux importants de Yokohama le week-end dernier. Tu as vu le Chinatown le plus grand du Japon et le parc d'attraction Cosmos ! Ce n'était pas génial ?


    - C'est vrai. Quand j'y réfléchis, c'était un très bon week-end, reconnut-elle. Le repas chinois que nous avons mangé était absolument divin !


    En se laissant choir dans les couvertures, la jeune fille se remémora leurs amusements dans le parc d'attraction. Son meilleur souvenir restait les feux d'artifice débutant dans la soirée depuis une des nacelles de la grande roue. Cependant cela lui rappela d'autres moments. Comme ceux où son petit ami l'embrassait et lui murmurait des mots doux.


    En la voyant pleurer, Mari s'avança pour la réconforter. Elle passa sa main dans les boucles de ses longs cheveux détachés pour ce soir.


    Les visages des deux jeunes filles étaient très différents. Celui de Mari mettait en valeur son métissage par ses cheveux blonds et lisses atteignant son cou, ses yeux bleus, aussi bridés que celui de n'importe quel asiatique, lui venait de son héritage français et son teint hâlé rappelait les populations méditerranéennes. Au contraire, l'apparence de Yoko renvoyait totalement à celle d'une caucasienne. On ne pouvait imaginer deux filles plus dissemblables.


    Les deux meilleures amies demeurèrent dans cette position un très long moment. Lorsque Yoko cessa de pleurer, la jeune métisse lui tendit son propre mouchoir pour sécher ses larmes. Pendant ce temps, elle se leva et alla commander auprès d'un domestique de monter le repas dans la chambre.


    Lorsque le diner fut amené sur la petite table contre un des murs, les deux adolescentes allèrent s'y asseoir. Yoko mangea avec bel appétit. Mari en connaissait la cause. Dès que la jeune fille rencontrait un écueil dans son existence, elle se réfugiait dans les études et la nourriture. Au contraire, Mari réagissait inversement : elle n'avalait presque plus rien et se morfondait sur son lit.


    Après avoir fait leur fête aux filets de maquereau, à la truite, au beefsteak, aux haricots verts, aux carottes et à la tarte aux pommes, elles se sentirent suffisamment rassasiées. De toute manière, il ne restait plus rien de comestible sur la table.


    - Que vas-tu faire, Yoko-chan ?


    - A propos de Noguchi Keigo ?


    - Évidemment. Je ne te demande pas ça pour la dissert de Jap, soupira Mari.


    - Ce que ferait n'importe quelle fille dans cette situation : rompre !


    - Tu auras besoin de mon aide, Yoko-chan ?


    L'adolescente aux yeux bridés sourit très amicalement et docilement en posant cette question. Mais Yoko ne fut pas dupe de cet air angélique. Elle devina que celle-ci souhaitait expliquer à sa manière à Noguchi ses pensées sur sa façon de traiter les filles.


    - Non, je m'en sortirais très bien, assura Yoko en réprimant un soupir.


    - Quel dommage !


    En repensant encore à son histoire avec Noguchi, même si elle n'avait duré que dix-huit jours en tout et pour tout, Yoko se remémora brusquement la veille de ce charmant week-end à Yokohama. Elle se rappela du témoignage de Satsuma, démenti par la sœur de Noguchi et sa pire ennemie.


    - Mari-chan … , murmura t-elle.


    Avec hésitation, Yoko rapporta l'incident tel qu'elle l'avait vécu. Mari fronça les sourcils tout le long du récit. Celle-ci réagit spontanément dès sa conclusion :


    - C'est pas du tout le genre de Satsuma-kun de faire un truc pareil !


    - Tu le connais à peine, s'étonna Yoko. Comment sais-tu ça ?


    - Tu m'en parles bien assez, rappela Mari dans un éclat de rire. De plus, j'entends les autres élèves parler de lui au lycée.


    - Et comment tu le vois, toi ?


    - C'est un mec honnête, vraiment très honnête. Pour preuve, il était prêt à laisser sa place de titulaire à Tyro s'il n'était pas assez fort pour le battre. Tu connais combien de personnes pour laisser une place parce qu'ils ne la méritent pas ?


    - Avec ou sans Satsuma-kun ? ironisa Yoko.


    - Tu vois ce que je veux dire. Ce type est vraiment sérieux, travailleur, sincère et honnête. Il serait incapable d'inventer une histoire pareille.


    - Surtout si ça blesse quelqu'un … , dit Yoko dans un murmure.


    En posant la main sur son front, la jeune fille réalisa l'erreur commise. Elle connaissait la personnalité de Satsuma Rentarou. celle-ci se résumait en cette phrase : se sacrifier lui-même pour le bien d'autrui. Comment avait-elle pu oublier cela ? Comment avait-elle pu imaginer une seule seconde qu'il avait quelque chose à voir dans cette manipulation ?


    - Je suis une amie complètement nulle …


    - Moi, je te trouve très bien, s'exclama Mari le plus joyeusement du monde.


    Yoko ne dit rien suite à cette déclaration d'amitié sincère. Son esprit était trop occupé à réfléchir et à culpabiliser.


    - Qu'est que je dois faire ?


    - A quel sujet ?


    - Satsuma-kun, lâcha t-elle un peu brutalement. Je dois m'excuser, non ?


    - Tu crois qu'il voudra encore te parler ? s'inquiéta Mari.


    - Il ne refuse jamais d'écouter les autres.


    - Mais tu l'as blessé. Les gens blessés ne pardonnent pas. Et certainement pas si facilement.


    - Lui, il est différent des autres. Il m'écoutera.


    Mari fixa son amie avec surprise. Elle ne se serait jamais attendue à entendre ces paroles sortant de sa bouche. Depuis le début de leur amitié, Yoko se montrait toujours froide et distante des autres. Ce n'était pas sa nature de revenir vers quelqu'un, de lui présenter des excuses et surtout d'admettre ses erreurs. Cela l'étonna considérablement. Cependant son cœur s'en réjouit.


    Le second jour du week-end se déroula sans reparler de cette conversation. Poussée par Yoko, les deux adolescentes étudièrent une bonne partie de la journée. Elles révisèrent la moitié des thèmes abordés en Littérature et entreprirent de réaliser leurs exercices de Mathématiques à rendre pour le lendemain. Tâche ô combien pénible ! Aucune des deux n'excellait en cette matière.


    Le lendemain matin, Yoko suivit ses cours de la matinée avec le sérieux qui lui fut possible de rassembler. Elle éprouva des difficultés à se concentrer sur les mots du professeur Tanaka ou ceux du professeur Noda. Les descriptions du Mexique eurent du mal à se faire entendre comme l'analyse du texte faite à partir de l'ouvrage La rivière Sumida de Nagai Kafu.

     

    Lorsque la fin de la troisième heure sonna, la jeune fille fut exceptionnellement dans les premiers élève à sortir. Elle marcha d'un pas très pressée dans les couloirs, n'hésitant pas à pousser quelqu'un lui bloquant le passage plutôt qu'à le contourner. Elle monta ensuite l'escalier menant au troisième étage et se planta en face de la porte du laboratoire de Chimie.
    Quelques minutes plus tard, tous les troisièmes années qui suivaient ce cours en sortirent. Yoko les regarda passer devant ses yeux jusqu'au moment où son regard aperçut Noguchi. Elle s'avança et lui attrapant le bras en lui serrant le poignet.


    - Yoko ? Que fais-tu là ? s'étonna celui-ci.


    - J'ai envie de te voir.


    - Mais j'ai cours de Biologie là ! Je ne peux pas. Attends-moi à midi, d'accord ?


    N'écoutant pas, la jeune fille fit tourner légèrement le poignet du jeune homme jusqu'à un entendre un craquement. Elle sourit. Sa mère lui avait enseigné cette technique. Celle-ci lui avait dit en lui apprenant que cela pourrait lui sauver la vie un jour.


    - Je veux te voir maintenant !


    Déstabilisé, Noguchi se demanda ce qui était arrivé la vice-présidente du conseil des étudiants. Il se résigna à la suivre malgré lui. N'ayant aucune envie d'avoir le poignet brisé en s'obstinant à l'accompagner, le jeune homme se laissa entrainer vers la salle de Mathématiques, toute proche et vide.


    - Eh bien, qu'as tu en tête ?


    - Keigo, je veux savoir, réclama Yoko avec autorité. Qu'est-ce que je représente pour toi ?


    Le jeune homme adopta une attitude de décontraction pour répondre :


    - Tu es ma copine que j'aime beaucoup.


    - Menteur !


    - Pourquoi dis-tu ça ?


    - Mari-chan t'a vu Samedi ! Tu étais à Bunkyo dans les bras d'une autre fille ! Vous aviez l'air d'amoureux transis ! Vous êtes même allés à un Love Hôtel !


    - Ah ça …, fit-il d'un regard fuyant. C'était une ex-copine. Mais quand je l'ai vu, j'ai eu envie de coucher avec. C'était purement sexuel, Yoko.


    - Je regrette mais ça ne se fait pas te tromper sa copine même si c'est purement sexuel !


    - Les hommes sont faibles avec le sexe, tu sais, reprit-il avec mollesse.


    - Dis plutôt que c'est ta véritable copine !


    Intrigués d'entendre une autre voix que la leur, le couple tourna la tête. Ils découvrirent Tyro, adossé à la porte de la salle, avec un petit sourire de triomphe au bord des lèvres.


    - Tyro ? Que fais-tu là ?


    - J'étais inquiet quand je t'ai vu partir aussi vite. Ce n'est pas ton habitude de sortir de cours sans avoir pris le temps de noter les devoirs à faire.


    - C'est vrai ce que tu viens de dire ? Depuis quand sais-tu qu'il a déjà une copine ?


    - A l'instant, répondit le jeune tennisman. Cependant la raison de pourquoi il t'a approché n'a rien à voir avec des sentiments amoureux. Il n'a pensé qu'à son intérêt personnel.


    - Comment ça ?


    - Après ce qui s'est passé dans ton bureau, Rentarou n'a pas abandonné. Il nous a rassemblé et nous a motivé pour obtenir des preuves de la culpabilité de Noguchi. Nous avons découvert qu'il sort seulement avec toi pour avoir un moyen d'obtenir plus simplement les sujets d'examens.


    Tyro rapporta avec davantage de détails les déductions de Seiichi, les explications d'Onita, le plan imaginé pour serrer Noguchi et son déroulement.


    - Tu m'as utilisé ! se scandalisa Yoko en se retournant vers son ancien amoureux.


    Noguchi se décida à jouer cartes sur table à présent que sa situation venait d'être dévoilée. Il arbora un large sourire d'arrogance et de triomphe pour masquer ses véritables sentiments.


    - Eh oui ! Et j'ai obtenu ce que je voulais.


    - Tu n'en profiteras pas ! Je vais faire un rapport et tu seras puni ! Surement même exclus !


    - Tu n'arriveras pas à le faire aboutir, dit tranquillement Noguchi.


    - Et pourquoi ? Yoko-chan est reconnue pour son intégrité !


    - Parce que ce week-end, j'ai commencé à répandre la rumeur qu'elle m'avait trompé et que j'ai rompu. Ainsi si elle essaie de raconter la vérité, personne n'y croira. On pensera qu'il s'agit seulement d'une vengeance.


    - Si le proviseur et Onita me croient, c'est bien assez, rétorqua Yoko agressive.


    Tyro s'apprêta à répliquer une remarque peu agréable à l'intention de Noguchi mais se souvint des explications d'Onita suite à l'échec de leur plan. Il dit alors d'un ton plus calme :


    - Ils te croiront sans aucun doute mais ne pourront rien faire. Sans preuves évidentes de sa culpabilité ou aveux du coupable, c'est parole contre parole.


    - Tu as bien retenu ta leçon, Sakumai s'amusa Noguchi.


    - Tu n'es qu'un …. , s'étrangla Yoko en bouillonnant de colère.


    - Cependant tu ne vas pas profiter de ta victoire, reprit Tyro en retrouvant sa voix enjouée. Onita a demandé aux profs de rédiger de nouveaux sujets et de lui remettre immédiatement.


    Cette nouvelle perturba leur interlocuteur qui perdit de sa superbe.


    - Quoi ? Tu plaisantes !


    Tyro sourit machiavéliquement de l'air déconfit de l'adolescent face à lui.


    - Alors tu t'en sors peut-être blanc comme neige de cette histoire mais tu n'auras pas obtenu ce que tu cherchais ! Quel dommage, hein ?


    En serrant les poings, Noguchi ne décoléra pas. Il lutta pour ne pas déverser sa rancune et son agressivité sur le tennisman en face de lui. Le jeune homme se contint difficilement et sortit de la pièce en le toisant d'un lourd regard de mépris.


    - C'était cool ! s'écria Tyro. Je t'ai cloué le bec, Noguchi ! Ah ah !


    En observant son camarade de classe, Yoko resta quelque peu à l'écart. Elle semblait avoir déjà oublié l'existence de son ex-petit ami.


    - Pourquoi ?


    En entendant la question de Yoko, Tyro cessa sa danse de la joie et se retourna.


    - Pourquoi es-tu venu ?


    - Parce que nous sommes amis. Je m'inquiétais pour toi et je voulais savoir si tout allait bien.


    - Mais pourquoi ? J'ai mal agi envers ton meilleur ami. Pourquoi tu te soucies encore de moi ?


    - Parce que nous sommes amis, répéta Tyro. Il y a des hauts et des bas dans l'amitié mais pour moi, il n'y a rien de plus important qu'aider un ami qui a des problèmes qu'importe ce qui s'est passé.


    - Tyro …, murmura Yoko confuse.


    Perdue, la jeune fille ne savait plus où elle en était. Elle avait rejeté le témoignage de Satsuma qui disait la vérité au profit d'un menteur manipulateur. A présent, il restait encore quelqu'un pour la soutenir et lui proposer son aide. Pourtant, l'adolescente ne le méritait absolument pas.


    - Bon, je vais y aller moi, décida Tyro avec un manque de conviction évident. Je vais essayer de commencer cette dissert de Géo.


    - Attends ! cria Yoko avant que l'adolescent n'ouvrit la porte pour sortir.


    - Qu'est-ce qu'il y a ? demanda t-il en se retournant.


    - Tyro … Est-ce que je devrais lui présenter mes excuses ?


    - A qui ?


    - A Satsuma-kun. Pour ne pas l'avoir cru.


    Tyro lui sourit et répondit très calmement :


    - Tu fais comme tu l'entends, Yoko-chan. Cependant une excuse doit être formée de mots sincères et non pas pour dire des choses pour faire plaisir.

     

    ***

     

     

     

    En reprenant les cours, Rentarou s'efforçait de ne plus penser à l'affaire de Noguchi. C'était difficile. Il mourait d'envie d'aller lui expliquer ses pensées au sujet de sa personne et de ses méthodes. Cependant Seiichi ne le lâchait pas et le dissuadait de commettre une sottise pareille.


    Lors du déjeuner entre membres de la bande, Tyro n'évoqua pas l'altercation s'étant déroulée une demie-heure plus tôt avec Noguchi. Il préféra laisser ses amis panser les plaies de la semaine dernière tranquillement. De plus, le jeune homme comptait ne le dire qu'à ses deux meilleurs amis.


    Le reste de la journée se poursuivit sans événement notable à signaler. Le lendemain se déroula aussi normalement jusqu'au moment du repas de midi.


    - J'adore les sushis, s'écria Tyro.


    Aujourd'hui, Kou avait rapporté dans son bento une quantité très importante de sushis préparés par sa mère. Les adolescents avaient tous abandonné les sandwiches au profit de ces délicieux rouleaux au goût de poisson. Un seul d'entre s'obstinait à ne pas en manger.


    - Tu veux manger tous nos sandwiches, Rentarou ? railla Shintarou.


    - Les sushis sont faits avec du poisson, l'informa Seiichi. C'est un aliment très sain et nourrissant.


    - Je n'en doute pas ! Mais j'en veux pas !


    Étrangement, le jeune homme s'était écarté du groupe et avait reculé d'un bon mètre. D'ailleurs, son teint avait pâli aussi.


    - Ne me dis pas que tu n'aimes pas, dit Tyro entre deux bouchées. Personne ne déteste ça !


    - Je ne déteste pas les sushis, marmonna Rentarou. Je déteste le moindre aliment fait à base de poisson quoique ce soit.


    - Soit 90% de la nourriture japonaise, songea Seiichi moqueur.


    - J'ai passé sept mois chez un homme qui préparait du poisson le matin, le midi et le soir. J'ai une indigestion à vie de poisson, grommela Rentarou.


    Ses amis rirent de sa réaction et de l'anecdote puis Takaishi frappa dans ses mains.


    - Eh bien, ça en fera plus pour nous !


    Le déjeuner se poursuivit dans la conviviabilité. Seul Rentarou demeura légèrement en retrait. L'odeur de poisson le repoussait tel un moustique avec la citronnelle. Soudain la porte de la salle s'ouvrit et laissa entrer Yoko qui la referma aussitôt.


    - Yoko-chan, annonça Takaishi en face à la porte.


    Immédiatement, ils s'arrêtèrent de manger et posèrent leurs baguettes pour se retourner vers la nouvelle venue dans leur repaire.
    - Tu es sur un territoire privé, lança Shintarou à la manière d'un écolier.


    - Cette salle appartient au lycée. En théorie, elle devrait même être libre. Par conséquent, j'ai autant le droit que vous d'être là, répliqua Yoko, les bras croisés contre sa poitrine.


    La jeune fille posa le regard sur Rentarou. Celui-ci continuait à manger le sandwich au fromage tenu entre ses mains. Le lycéen géant avait bien entendu son arrivée mais n'avait envie ni de la voir ni de lui parler. Le souvenir de la semaine dernière restait encore trop présent dans sa mémoire. Il lui gardait toujours rancune de ne pas avoir cru en lui.
    Nerveuse, l'adolescente s'approcha de lui. Elle décroisa ses bras et les plaça le long de son corps.


    - Satsuma-kun, puis-je te parler ?


    - Vas-y, répondit-il sans la regarder en continuant de manger.


    - Ici ? Tu ne veux pas plutôt aller dans un cadre plus privé ?


    Il ôta le sandwich de sa bouche et dit durement :


    - Il n'y a que des amis en qui j'ai confiance ici. Or, je ne cache rien à mes amis. Si tu as un truc à me dire, dis-le ou pars mais je ne quitterais pas cette pièce.


    Yoko se sentit mal de ce ton si autoritaire, si inhabituel, dans la bouche de son camarade. Elle voulut fuir mais s'en empêcha et se jeta finalement à l'eau.


    - Pour ce qui s'est passé l'autre jour … J'ai réfléchi et je te crois … Je suis désolée de ne pas avoir su le faire ce jour-là.


    - Tu ne me connaissais pas assez ?


    - Si. Je sais que tu es incapable de mentir pour commettre une mauvaise action.


    - Alors pourquoi tu ne m'as pas cru ?


    - Parce que j'avais des faits concrets sous les yeux ! Des témoignages positifs ! Je suis ce genre de personne ! J'ai besoin de preuves pour croire ! Je n'arrive pas à croire uniquement sur parole !


    - Et pourquoi tu as changé d'avis ?


    Yoko se tut et hésita à répondre à cette question. Si Mari ne lui avait pas appris que Noguchi la trompait, elle n'aurait jamais réfléchi au comportement de celui-ci et n'aurait alors jamais réalisé l'erreur commise en ne croyant pas son ami. La jeune fille craignit sa réaction mais se décida à être totalement sincère envers lui.


    - J'ai découvert que Noguchi me trompait. Cela m'a amené à réfléchir à ses actes et surtout à penser aux tiens.


    - Donc si tu ne l'avais pas su, tu aurais toujours cru je mentais.


    Le ton âpre de son interlocuteur n'aida pas Yoko à répondre rapidement. Encore une fois, elle demeura incertaine puis choisit à nouveau la franchise.


    - Peut-être.


    Avant que son meilleur ami ne répliqua, Tyro se leva promptement et s'avança vers lui.


    - Rentarou, je sais que Yoko-chan t'a fait du mal mais tu vois bien qu'elle regrette ce qui s'est passé. Je suis même sûr qu'elle s'en veut. Ne sois pas si sévère avec elle.


    Remonté davantage par cette tentative d'apaisement, Rentarou se leva vivement.


    - Non ! Je n'ai pas envie de me calmer ou de pardonner ! La douleur que j'ai ressenti à cause de cette affaire a été réelle ! J'ai vraiment cru en mourir !


    En se rappelant le moment où son meilleur ami s'était écroulé à un mètre de lui dans la cour, Tyro baissa la tête et resta silencieux. Derrière lui, leurs compagnons adoptèrent la même attitude.


    - Chaque fois que j'accumule du stress ou de l'angoisse, j'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter ! Ce n'est pas vous qui le sentez ça ! Ca … Ca fait super mal !


    L'adolescent s'arrêta un instant dans son réquisitoire. Sa respiration siffla et l'inquiéta.


    - Et puis j'en ai marre ! Tout le monde me voit comme un gars toujours parfait qui ne fait pas d'erreur ! Mais je suis un humain ! Je ne suis pas exceptionnel ! Et tout le monde pense que je ne dis jamais rien donc ce n'est pas grave de me causer du tort ! Mais si je m'en soucie ! La différence, c'est que je ne gueule pas comme tout le monde ! Je préfère garder tout en moi … Et puis … Et puis … Et puis …


    Rentarou s'arrêta brusquement. Sa respiration s'accéléra davantage. Il devina qu'une crise s'annonçait imminente. Le lycéen géant paniqua que ses amis puissent y assister car il ne voulut plus revoir l'infirmière pour cette raison. Le jeune homme s'empressa de quitter les lieux sur le champ.


    - On dirait qu'il fait une crise, comprit Shintarou en fronçant les sourcils.


    - Quoi ? Il faut aller l'aider ! Prévenir Haruko-sensei !


    En retrouvant l'état de panique qui avait été le sien la semaine précédente, Tyro s'agita et s'apprêta à partir lui aussi. Seiichi se leva et disparut immédiatement pour réapparaitre devant la porte bloquant l'accès à son meilleur ami.


    - Seiichi ! Que fais-tu ? Il a besoin d'aide !


    - Tu sais très bien que Rentarou s'en sortira mieux s'il est seul. Il connait les techniques pour se soulager et faire passer la crise. Au contraire, rester avec nous l'inquiétera et l'angoissera davantage.


    - Ce n'est pas juste … , maugréa Tyro.


    Perdue au milieu de tout cet embiglio, Yoko ne comprenait plus rien ce qui se passait dans cette pièce. Elle se décida à réclamer des informations.


    - Qu'est-ce qui se passe ?


    - Rentarou souffre d'hyperventilation, révéla Shintarou.


    - Qu'est que c'est ?


    - Il s'agit d'un syndrome …


    Soucieux de préserver la jeune fille du jargon de l'aspirant vétérinaire, Kou le coupa rapidement et expliqua à sa place.


    - Il s'agit une pathologie où la personne qui en souffre éprouve du mal à respirer. Chez Rentarou, ça lui prend quand il ressent trop de stress et d'angoisse.


    Yoko s'ébranla de cette révélation. Elle se sentit encore plus mal maintenant d'apprendre ces informations. La jeune fille s'approcha de Seiichi qui se tenait toujours debout devant la porte.


    - Laisse-moi passer.


    - Seulement si tu ne vas pas voir Haruko-sensei.


    La jeune fille sourit faiblement. Seiichi se montrait tellement fidèle envers ses amis, surtout Rentarou.


    - Je n'irais pas. Je te le promets.


    Le jeune ninja la fixa longuement d'un regard inquisitateur puis l'autorisa à passer. Elle se pressa de s'engager dans le couloir avant qu'il ne changea d'avis.


    Une fois hors de la salle, elle se dépêcha de retrouver Rentarou. L'adolescente fouilla les différentes classes, les salles de casiers et l'auditorium mais ne le trouva pas dans le bâtiment des cours. Yoko alla ensuite voir à l'endroit des perdus mais ne vit personne. Elle se rendit au réfectoire, dans les salles de détente et à l'internat mais échoua à nouveau.


    En réfléchissant à toute vitesse, elle essaya de deviner l'endroit où Rentarou pourrait aimer se cacher. Il n'était pas dans sa chambre … Où pouvait-il bien être ? Qu'aimait-il le plus ? Cela ne lui prit guère de temps pour le deviner : le tennis.


    Immédiatement, la jeune fille quitta l'internat par l'escalier de secours qui débouchait à quelques mètres du club. Elle courut en direction des courts puis ralentit. Il ne semblait n'avoir personne ici. Son impression se démentit vite lorsque ses oreilles perçurent du bruit dans un des bâtiments près des vestiaires.


    - Satsuma-kun ?


    En entrant dans la salle d'entrainement, elle trouva le jeune homme aux lunettes sombres occupé à frapper des balles lancées à une très forte puissance par la machine. D'abord, celui-ci ne dit rien. Elle pensa que son ami ne remarquerait pas sa présence, trop concentré sur son exercice. Brusquement, il utilisa une des balles venant à lui à toute vitesse et l'utilisa pour éteindre l'appareil puis se tourna en direction de la porte.


    - Désolé. Je ne pouvais pas te répondre tant que la machine était allumée.


    - Tu vas bien ? demanda t-elle soucieuse.


    - Oui, ça va. Pourquoi ?


    - Tes amis ont pensé que tu faisais une crise de ventilation. Ils voulaient venir t'aider mais Seiichi les en a empêché. Cependant j'étais trop inquiète pour toi de te laisser seul. Tu es sûr que ça va ?


    Rentarou s'esclaffa de l'erreur de son interlocutrice. Le récit l'amusa beaucoup lui aussi. Il lui tarda d'apprendre comment son meilleur ami avait agi pour les retenir tous.


    Probablement en utilisant sa capacité à se déplacer très vite pour bloquer la porte et les empêcher de sortir.


    - Ce n'était que le début, révéla t-il. J'avais besoin de m'isoler de respirer dans un sac de papier pour éviter de faire une vraie crise.


    Yoko enregistra l'information mais cela ne la rassura pas. En fait, la jeune fille culpabilisa davantage à présent qu'elle connaissait cette pathologie dont souffrait son compagnon.


    - Je suis désolée, murmura t-elle en baissant la tête avec honte.


    - Tu n'es pas responsable de mes crises, la détendit Rentarou.


    - Je ne suis pas responsable de ta maladie. Mais c'est moi qui provoque ton stress et ton angoisse. Alors c'est ma faute si tu fais des crises.


    En arquant un sourcil, Rentarou ne comprit pas son attitude. Il ne parvint pas à comprendre pourquoi elle s'infligeait autour de remords pour une chose dont personne n'avait de prise. Soudain le lycéen géant se rappela du ton dur sur lequel il lui avait parlé tout à l'heure et de ses phrases amères prononcées à son égard.


    - Si tu dis ça à cause de ce que je t'ai dit, je m'excuse. Je n'aurais jamais dû dire ça. C'était très maladroit et même méchant de ma part.


    En entendant ses paroles, Yoko releva vivement la tête.


    - Non ! Tu as eu raison de le dire. Tu devrais plus souvent le faire d'ailleurs. On se souviendrait plus que tu as des sentiments et que tu mérites qu'on en prenne compte.


    - Ce n'est pas une chose pour laquelle je suis très doué, admit Rentarou en lui souriant.


    A nouveau, Yoko fuya son regard et baissa la tête vers le sol bétonné sous ses pieds.


    - Mais tu ne devrais pas être ami avec moi. Je ne suis pas quelqu'un à fréquenter.


    - Ne dis pas n'importe quoi ! J'apprécie beaucoup être avec toi, Yoko-chan !


    - Je ne fais que souffrir ceux qui s'approchent de moi … Je ne fais que les blesser … Et ça depuis ma naissance … Même avant …


    Inquiet, Rentarou n'aima entendre de tels mots. Yoko lui parla dans un murmure très faible. La fille à la personnalité forte et affirmée avait disparu. Elle révélait maintenant à lui toute la souffrance accumulée en ses quinze années d'existence.


    - Ma mère n'aurait jamais dû me mettre au monde … Je suis une enfant maudite …


    - Yoko-chan, il n'existe pas de chose comme une malédiction ! Dis-moi clairement ce que tu veux dire ! S'il te plaît !


    Comme si elle n'entendait pas les appels désespérés de son compagnon, la jeune fille continua ses lamentations.


    - Ma mère ne m'aime pas … Elle ne me l'a jamais dit … Elle ne m'a jamais pris dans ses bras … Elle n'a jamais vraiment voulu que je joue … Elle me traite différemment de mes frères.


    Cette fois, ses jambes se dérobèrent sous son poids. Les larmes inondèrent son beau visage caucasien. Elle s'écroula à genoux contre le sol. Rentarou l'attrapa spontanément à la taille et l'aida à tomber en douceur.


    - Une mère aime toujours son enfant ! Ce n'est pas possible autrement !


    - Pas ma mère ! Elle ne peut pas aimer quelqu'un comme moi !


    Au milieu de ses gémissement, elle se mit à crier ces deux phrases.


    - Mais pourquoi ? Explique-moi !


    - Parce qu'on aime pas un monstre ! Et encore moins l'enfant d'un monstre !


    Troublé, l'adolescent n'arrivait toujours à donner un sens à ces propos. La jeune fille laissa son corps tomber. Il la retient contre son corps et l'enveloppa de ses larges bras.


    - Yoko-chan, je ne peux pas t'aider si tu ne me parles pas.


    Brusquement, le lien logique s'établit dans son esprit. La pensée lui sembla tellement horrible qu'il voulut la repousser. Malheureusement, cela s'avérait être de la seule explication possible.


    Il demanda avec beaucoup de réticence :


    - Ta mère a été violée ? Et tu as été conçu à ce moment-là ?


    Yoko ne lui répondit pas. Cependant ses larmes s'accrurent à la suite de cette question. Il la serra alors encore plus fort contre lui et la laissa pleurer contre son torse de tout son soul.

     


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