• Chapitre 23



    Un ciel blanc.


    Ses yeux venaient de s'ouvrir. Tout ce qu'ils apercevaient furent du blanc. L'esprit embrumé, Rentarou ne comprenait pas ce qui lui arrivait ni où il se trouvait.


    Brusquement, il prit conscience de sa vision normale. L'adolescent voyait clairement la couleur blanche. Cela signifiait qu'il ne portait pas ses précieuses lunettes. Il ferma aussitôt ses yeux et tendit ses bras pour chercher son précieux bien.


    Alors qu'il tâtonna difficilement un meuble qui lui sembla être une table de nuit, ses oreilles entendirent le bruyant rire de Tyro.


    - Tyro, rends-moi mes lunettes !


    - Il est trop ce type, pouffa la voix de Tyro.


    En même temps, Rentarou sentit un objet être déposé sur son abdomen. Il dirigea sa main gauche à cet endroit et constata qu'il s'agissait de ses fameuses lunettes. Le garçon s'empressa de les poser sur son nez et ouvrit à nouveau les yeux.


    En observant autour de lui, il réalisa qu'il se trouva à l'infirmerie du lycée mais ignora pourquoi. Rentarou vit Tyro à la droite de son lit, Seiichi à gauche et Haruko devant.


    - Qu'est-ce que je fais ici ?


    En parlant, il bougea son bras gauche et constata qu'une perfusion y était apposée.


    - J'ai eu un accident ?


    - Tu ne te souviens pas, Rentarou-kun ? s'informa Haruko soucieuse.


    - On ne dirait pas …


    - Nous étions en excursion scolaire, commença Seiichi avec sérieux. Hoshino-sensei nous a réparti. Tu es parti dans la forêt avec Fujita et Raphael-sempai …


    Les quelques mots utilisés par l'adolescent aux cheveux ébènes pour évoquer le début du voyage scolaire organisé par la professeur de Biologie déclenchèrent un torrent de souvenirs qui balaya la mémoire de Rentarou. Celui-ci revit en accéléré le film des derniers événements : la promenade qui avait tourné au drame, les moyens employés pour retourner à la civilisation, l'ours, le manque d'eau, l'évanouissement de ses camarades … Il tressaillit à cette dernière pensée et se dressa vivement sur sa couche sans se soucier d'arracher sa perfusion.


    - Shintarou … Raphael-sempai … Où sont-ils ?


    Comprenant le désarroi de son jeune patient, Haruko se précipita vers lui et l'exhorta à se tranquilliser et à se coucher à nouveau.


    - Tout va bien, Rentarou-kun, murmura t-elle. Shintarou-kun et Raphael-kun vont bien … Ils vont bien. Calme-toi …


    Doucement, elle réussit à dompter cette masse sauvage de muscles qui se recoucha docilement sur le matelas. L'adolescent n'obtempèra qu'à partir du moment où il comprit que ses amis étaient saufs.


    - Tu ne dois pas t'agiter, Rentarou-kun, conseilla Haruko soucieuse. Tu as beaucoup fatigué ton cœur à marcher si longuement sans absorber d'eau. Tu es très chanceux d'avoir une constitution si robuste d'ailleurs.


    - Mais les autres ne sont pas du tout comme moi, réalisa Rentarou inquiet.


    - Les parents de Raphael-kun ont tenu à hospitaliser leur fils dans un service très poussé de médecine et d'après les échos que j'ai obtenu, tout va bien, l'informa Haruko. Son corps est aussi résistant que le tien.


    - Pourtant il s'est évanoui le premier, se souvint Rentarou. Shintarou et moi l'avons porté longtemps ensemble.


    - La force mentale et l'instinct de survie font généralement la différence, expliqua l'infirmière. Il existe beaucoup de cas où des gens faibles survivent à des constitutions bien plus robustes.


    - C'est pas possible, s'exclama Tyro effaré.


    - Lorsque j'étais encore interne, j'ai constaté deux cas atteints tous deux d'un cancer du poumon. Le premier était une femme très âgée et si faible qu'il semblait possible de la tuer juste en la touchant et le second un jeune homme d'environ vingt ans, évoqua Haruko.


    - Que s'est-il passé ensuite ? s'intéressa Seiichi qui s'était assis sur le bord du lit.


    - Eh bien, le jeune homme a pris la nouvelle très mal et déprimait de sa maladie. Il ne voulait pas mourir si jeune. Au contraire, la grand-mère a accueilli le diagnostic avec calme. Elle a accepté les traitements et s'est battue courageusement.


    - Ils ont survécu ? Ils sont morts ? fit Tyro anormalement calme depuis le début de ce récit.


    - le jeune homme est décédé en deux ans et demi, répondit Haruko d'une voix légèrement teintée de tristesse. La grand-mère n'a pas vaincu son cancer mais l'a repoussé comme elle a pu et a su vivre encore douze ans. Par ailleurs, elle est décédée d'un arrêt du cœur non lié à cette pathologie.


    - Mega solide la vieille, lâcha Tyro impressionné.


    - OK j'ai compris, dit Rentarou. Mais Shintarou, comment se porte t-il ?


    - Il est juste dans le lit à côté de toi, révéla Haruko d'un sourire paisible. Il va bien lui aussi. Il a seulement besoin de repos.


    - Tant mieux si tout le monde va bien, murmura Rentarou.


    Le jeune colosse ressentit une profonde satisfaction de savoir que ses deux compagnons étaient vivants et en bonne santé. Il se détendit enfin et se rendormit en quelques minutes.


    - Il a l'air épuisé, constata Tyro avec inquiètude.


    - Même s'il possède des capacités incroyables, Rentarou est un humain, rappela Seiichi. Il ne peut pas toujours imposer sa volonté à son corps.


    - Je vais informer le proviseur de son réveil, annonça Haruko. Vous deux, vous pouvez repartir en cours maintenant.


    - Oh non !


    - Haruko-sensei, dit Seiichi en mimant des yeux de chien battu. Laissez-nous encore rester un peu. S'il vous plait.


    - Je vous ait autorisé à rester car nous ne savions pas comment il allait. Cependant il s'est réveillé une fois, va bien, donc il n'y a plus rien à craindre, résolut t-elle d'une voix autoritaire.


    - S'il vous plait, répéta Seiichi en forçant sur l'utilisation du regard du chien battu. S'il vous plait.


    - Vous avez vos examens dans un moins d'un mois, évoqua Haruko en se tournant vers Tyro. Vous devriez travailler pour les réussir.


    - Nous avons pris nos livres avec nous, claironna Seiichi. Pendant que le Bel du Lycée Éveillé dort, nous réviserons.


    Haruko soupira faiblement. Elle connaissait Seiichi depuis le jour de la rentrée et avait appris combien son obstination était grande. Par ailleurs, elle résistait très mal quand son jeune patient employait ses petits yeux de chien battu. Théoriquement, l'infirmière se devait de traiter tous ses jeunes patients de la même manière mais elle sentait quelque chose de différent au travers du comportement de l'adolescent aux cheveux ébènes. Il lui sembla qu'une profonde solitude émanait de derrière ses attitudes froides et distantes qui le rendaient plus mûr que ceux de son âge.


    - Je vais en parler au proviseur, décida Haruko d'une voix très ferme. S'il décide que vous n'avez rien à faire ici, je vous mets dehors. Et si vous résistez, j'appelle Onita !


    L'arrangement convint aux deux garçons bien que ceux-ci n'eurent aucun autre choix que de l'accepter. Ils attendirent avec anxiété le retour de l'infirmière en se doutant d'avance du verdict. De mémoire d'élève ou de professeur, il était difficilement concevable qu'un proviseur puisse accepter d'autoriser deux étudiants veiller leur camarade.


    Cependant le proviseur du lycée de Ryoko Gakuen se montra très différent et accéda à la requête des deux jeunes gens s'ils s'agissaient de leur réel désir. Haruko dut donc à se résoudre à les laisser rester à l'infirmerie autant qu'ils le souhaitaient.


    Pendant les deux jours que Rentarou dormit, les deux adolescents passèrent le temps à discuter pour ainsi qu'à réviser les matières obligatoires. Seiichi lut à haute voix les résumés de ses fiches en Histoire et en Géographie ce qui ennuya particulièrement Tyro. Il se tournait dans ces moments là vers Rentarou et se demandait s'il entendait.


    Quand il se réveilla à nouveau, le jeune homme aux cheveux de jais se sentit bien plus forme que la première fois. Il éprouva même une forte sensation de faim. La cause se révéla plus physiologique que physique puisqu'il était alimenté par sa perfusion. « J'ai faim » fut sa première réplique.


    - Je t'aurais proposé avec plaisir un paquet de chips mais nous savons très bien ce que tu penses de ce type d'aliment. Ainsi je vais économiser ma salive.


    Tyro éclata de rire de la répartie et Seiichi alla appeler l'infirmière dans la pièce d'à côté pour la prévenir que son patient était réveillé et réclamait de la nourriture. Celle-ci sortit de son antre rapidement et partit chercher un plateau en cuisine. Elle amena à Rentarou un gros bol de riz, un copieux steak, plusieurs types de légumes et une pomme. Très affamé, il ne prit même pas le temps de réaliser une courte prière et dévora tout de bon appétit.


    - Y a vraiment à manger dans ce truc ? demanda Tyro en pointant la perfusion car il n'avait jamais vu son ami manger aussi vite.


    - Ce n'est que de l'eau sucrée qui est passée dans le corps, expliqua Haruko. Cela te maintient en vie car tu as de l'énergie directement dans le sang mais ton estomac reste vide.


    Tyro lâcha un juron en pensant à cette horrible idée de n'avoir rien à manger pendant une semaine complète. Cela lui apparut comme l'épreuve la plus insurmontable qui soit.
    Lorsqu'il eut achevé son repas, Rentarou voulut repousser le plateau mais Seiichi se chargea de le prendre et de le déposer sur un plan de travail libre dans le fond de la salle. Il revint ensuite vers ses amis et les Sanonis engagèrent une conversation.


    - Quel jour on est ?


    - Mercredi 6 Juillet, l'informa Tyro. On vous a retrouvés Dimanche matin et tu as réussi à te réveiller dans la soirée.


    - Il n'a pas resté éveillé longtemps, souligna Seiichi. Juste assez pour t'informer si Fujita et Raphael-sempai étaient en bonne santé puis tu t'es rendormi pour deux jours.


    - Typique de Rentarou, s'amusa Tyro.


    - Il est quelle heure ?


    Tyro, qui n'avait jamais l'heure sur lui et se contentait des pendules dans les classes, haussa les épaules, tandis que Seiichi consulta sa montre à gousset.


    - Dix heures et demie.


    - Vous n'avez pas cours ? Les profs sont tous absents ? Y a eu le feu au lycée ?


    Alors que Tyro éclata de rire devant la mine interrogative de Rentarou, Seiichi lui répondit.


    - Tyro et moi ne pouvions rester assis en cours. Nous pensions toujours à toi et nous avons supplié Haruko-sensei de nous permettre de rester jusqu'à ce tu ouvres les yeux.


    Surpris par cet aveu, Rentarou demeura silencieux un long moment.


    Ces dernières années, il avait toujours considéré qu'il était seul au monde. L'adolescent pensait souvent à sa mort. La raison à son profond désir de vivre le plus longtemps possible, c'était parce qu'il se doutait comment cela se déroulerait. Le jour où son coeur cesserait de battre dans sa poitrine, il ne resterait personne derrière lui pour se souvenir de lui, le pleurer et le regretter. Le jeune colosse disparaitrait anonymement comme de nombreuses personnes dans ce monde.


    Mais aujourd'hui, Rentarou prit conscience que d'autres personnes se souciaient de lui et avaient besoin de de sa présence pour s'épanouir. Sa présence était utile à quelqu'un. Il avait une place quelque part. Sa place.


    - Vous allez prendre du retard à cause de moi, leur reprocha gentiment Rentarou.


    - Hashimoto-sensei a rassemblé tous tes cours. On étudiera ensemble, s'exclama Tyro.


    - Vous êtes tellement têtus, commenta Rentarou un brin moqueur.


    - Pas plus que toi, s'en défendit Seiichi.


    Les Sanonis échangèrent encore quelques mots lorsque la porte de l'infirmière s'ouvrit. D'abord Haruko entra. Elle fut suivie par un homme que Rentarou n'avait jamais vu. De taille moyenne, sa présence parut emplir tout l'espace et il dégagea un air de grande sévérité. Ses cheveux bruns étaient séparés en lignes droites et horizontales des deux côtés de sa tête. Deux larges verres circulaires d'une monture argentée recouvraient ses étroits yeux gris. Une fine et racée moustache partait d'une oreille, descendait sous son étroit nez et remontait à la seconde oreille. Ses joues étaient épilées du moindre poil. De son menton seul démarrait une barbe drue qui tomba le long de son épais cou. Il portait un costume marron très sobre. Dessous se révéla une simple chemise blanche dépourvue du moindre pli.


    Ni Rentarou ni Tyro ne connaissait ce nouvel arrivant. Par contre, Seiichi prouva le contraire. Dès son apparition, le jeune homme se leva aussitôt du lit, se tourna et s'inclina si bas du buste que ses cheveux touchèrent presque le sol.


    - Bonjour Monsieur le proviseur.


    - Ce n'est pas la peine d'en faire tant, Seiichi-kun, lui adressa l'homme quand il passa à sa hauteur.


    A cet instant, Rentarou remarqua que le proviseur n'avait même pas souri en reprenant Seiichi. Il s'était seulement contenté de le fixer d'un mystérieux regard pénétrateur comme s'il cherchait à analyser le cerveau des gens avec. Cela effraya Rentarou encore plus. Le jeune ninja se redressa et s'empressa de prendre une chaise pliante posée contre l'un des murs et de lui amener.


    - Haruko-chan m'a dit que tu allais mieux, Rentarou-kun, formula le proviseur en s'adressant au malade dans lit.


    - Je suis parfaitement guéri, Monsieur, répondit Rentarou. D'ailleurs, j'aimerais sortir maintenant.


    - Voilà une chose bien étrange, s'amusa le proviseur sans se départir de son air sévère en se tournant vers l'infirmière. De mon temps, nous étions très contents d'être à l'infirmerie et il aurait presque fallu nous y arracher de force tant nous voulions y rester le plus de temps que possible.


    Rentarou contint un grognement. Il n'appréciait jamais les allusions des adultes à leur lointaine jeunesse. Pourquoi se permettaient-ils toujours de comparer leurs expériences de leur génération avec la sienne ? Cela l'énervait copieusement. Aucune vie ne ressemblait à une autre. Alors il souhaitait que ces stupides adultes puissent s'en souvenir et le laisser vivre la sienne comme il l'entendait.


    - Pourquoi tu veux sortir, Rentarou-kun ? Tu es pressé de retourner en classe ? Tu as peur pour tes examens qui approchent ?


    Empêchant ses yeux de se lever, Rentarou maudit tous ses adultes qui pensaient toujours à une seule et unique chose : l'école. Certes, il était d'accord avec eux. Les études constituaient une part importante et indispensable dans sa vie actuelle. Elles contribuaient à former le futur lui. Cependant celles-ci n'étaient pas le seul élément capital de cette période.


    - C'est pas ça. Je dois sortir le plus vite car je dois m'entrainer un peu. Dimanche, il y a un match contre Konno et on doit le gagner. Mes équipiers ont besoin de moi et je n'ai pas le droit de les laisser tomber.


    - Je réfléchirai à ta requête en temps voulu, décida le barbu d'un ton sans appel. A présent, te sens-tu capable de me raconter ton périple ?


    Déçu par cette réponse, Rentarou comprit qu'il n'avait aucune chance d'obtenir cette permission. En même temps, l'idée ne l'affola pas. Avec l'aide de ses deux amis, il trouverait bien un moyen de se faufiler et de rejoindre ses équipiers pour participer à la rencontre.
    Laissant ses soucis dans un coin de sa tête, le lycéen géant entreprit de détailler son aventure. Il narra le commencement du voyage, la répartition en groupe de trois, la tension dans le sien, le début de l'excursion en forêt, le moment où ils étaient sortis du sentier, la manière dont ils s'étaient éloignés jusqu'au moment où ils compris que Raphael ne savait pas lire de carte. Tyro interrompit alors bruyamment le récit d'un strident éclat de rire.


    - J'y crois pas ! Mais quel con !


    - C'est très incorrect ce que tu fais, Takahiro-kun, réprimanda le proviseur en posant un regard très austère sur Tyro. Je suis convaincu que Raphael-kun sait faire des choses que toi ne sait pas faire et que tu sais faire des choses qu'il ne sait pas.


    - Désolé, monsieur, s'excusa Tyro en baissant les yeux vers le sol.


    Rentarou reprit le fil de son histoire rapidement. Il exposa comment Shintarou les avait protégé d'une meute de loups qui approchait d'eux, leur avait permis de passer la nuit en sécurité, guidé à travers la forêt jusqu'à une rivière et sauvé d'un ours en colère.


    - Un ours ? s'écria Tyro livide rien qu'à imaginer la scène.


    - Ce n'est pourtant un animal très dangereux, émit Seiichi.


    Ayant gardé en mémoire la silhouette, l'odeur et les grognements de l'ours, Rentarou ne put s'empêcher d'observer l'adolescent aux cheveux ébènes et se demanda intérieurement s'il se moquait de lui ou était réellement sérieux. Il acheva ensuite son récit en rapportant le découragement de ses compagnons, l'évanouissement de Raphael, comment ils l'avaient portés jusqu'au moment où il était sorti enfin de la forêt et avait perdu connaissance.


    - Voilà, c'est tout, conclut-il.

     

    - C'est une incroyable aventure, commenta le proviseur. Vous avez beaucoup de chance d'être vivants tous les trois. Bien qu'il apparaisse que ceux sont tes amis qui ont eu beaucoup de chance de t'avoir eu avec eux.


    - Monsieur, que va t-il arriver à la prof de Bio ? voulut savoir Tyro. Samedi, vous parliez de la renvoyer. Vous étiez sérieux ?


    - Je viens justement de terminer sa lettre de renvoi ce matin, révéla l'austère barbu. Sa négligence a été grave et aurait même pu mortelle en ne remarquant pas l'absence d'étudiants à sa charge. Je ne tolèrerai jamais que mes professeurs manquent à leurs responsabilités.


    - Elle le méritait, approuva Seiichi impassible.


    - D'après ce que j'ai compris, elle ne l'a pas laissé parler quand il a essayé de dire que vous n'étiez pas revenus au bus, rapporta Tyro en pouffant de rire à Rentarou. J'ai vu la scène au lycée où il a dit ses quatre vérités à la prof ! C'était trop !


    - Bien, reprit le proviseur en se levant de sa chaise. Je vais te laisser te reposer, jeune homme.


    L'homme tourna donc les talons et commença à repartir puis s'arrêta subitement pour se retourner vers les trois adolescents et l'infirmière.


    - J'oubliais, Rentarou-kun. Tu pourras sortir demain matin mais tu ne reprendras les cours qu'à partir de Lundi matin.


    - Tanishima-sama, je m'y oppose formellement, protesta Haruko indignée. Il n'est pas apte à sortir !


    - Je pense le contraire. Par ailleurs, il a un rendez-vous très important à ne pas manquer donc il faut bien qu'il sorte.


    - Il ne peut pas jouer au tennis dans son état, s'indigna davantage l'infirmière.


    - D'après le récit qu'il vient de faire, je le pense au contraire capable. Sur ce, bonne journée, ma chère Haruko-chan.


    Furieuse du manque de considération de l'état de santé de son étudiant et son travail à elle, Haruko ne décoléra pas. Elle fut littéralement agacée de cette attitude si laxiste. Pour ne pas voir les trois jeunes qui s'amusèrent beaucoup de sa réaction, la jeune femme quitta en grande hâte la salle et se réfugia dans son antre.


    - Tu l'as hypnotisé ou quoi, Rentarou ? s'enquit Tyro qui était tombé de sa chaise à force de rire.


    - Je ne pensais qu'il ne me laisserait jamais sortir, avoua Rentarou encore stupéfait. Au fait, comment tu le connaissais, Seiichi ?


    - A se demander pourquoi les forestiers coupent des arbres et les imprimeurs usent du papier pour réaliser des brochures qui ne sont pas lus, se lamenta Seiichi.


    - A quoi ça sert ? Tu es là pour nous les résumer, plaisanta Tyro.


    Préférant ignorer le commentaire de son ami, l'adolescent aux cheveux ébènes exposa ses connaissances sur le proviseur.


    - Il se nomme Taniguchi Bunichiro et dirige ce lycée depuis trente-cinq ans. Il était autrefois un grand scientifique qui aurait découvert des propriétés nouvelles sur un sujet dont je suis incapable de vous dire les détails à cause de mes maigres connaissances en chimie. Il ne vit que pour son école depuis qu'il a obtenu ce poste.


    - On le voit jamais sur le campus, nota Rentarou.


    - Il doit avoir un tas de trucs à faire, estima Tyro. En tous les cas, on a eu une nouvelle géniale !


    - C'est vrai. Je peux jouer au tennis dimanche, confirma Rentarou enthousiaste.


    - Mieux que ça, s'exclama Tyro joyeusement.


    - Mieux que le tennis ? répéta Seiichi en s'inquiétant de la santé mentale de son ami.


    - Ouais ! On va pas avoir d'examen en Bio ! C'est trop mega génial !


    - Tu es stupide, Tyro, répliqua Rentarou. Tu n'as pas entendu Seiichi ? Le proviseur était un scientifique. De plus, Masami-sensei en est aussi. Ils inventeront le sujet eux-mêmes.


    - Oh non ! Il va vraiment falloir que je révise, réalisa Tyro d'un ton plaintif.

     

     

    ***


    Le lendemain matin, Rentarou quitta l'infirmerie vers neuf heures. Avant de sortir, l'infirmière insista pour établir un bilan de santé précis et lui permit de déjeuner avant de partir. Il monta à sa chambre pour aller chercher des affaires et redescendit aussitôt pour se rendre à la bibliothèque.


    Comme il fallait s'y attendre, l'endroit se révélait désert en période de cours. Il s'installa à la table la plus proche de lui et sortit les différents feuillets que Seiichi lui avait remis hier soir pour chacun des cours qu'il avait raté. Il choisit de commencer par le japonais et ouvrit le livre d'étude dont les différentes notes faisaient référence : Azuma kudari. Il compulsa un à un les différents passages cités et vérifia les affirmations de ses documents avant de les recopier sur son cahier.


    Après avoir passé une heure et demie à éplucher les sept extraits de l'ouvrage et à recopier les notes, il rangea tout dans son sac et choisit de se consacrer à l'Histoire et à la Géographie.
    Comme les deux matières ne comptaient que deux heures chacune, Rentarou s'attendit à ne passer beaucoup de temps dessus. Il déchanta bien vite en déchiffrant le peu de kanjis inscrits au milieu d'une feuille blanche :


    Étude de la première guerre mondiale à l'échelle japonaise, en Histoire.


    Présentation générale du continent américain, en Géographie


    Après avoir retourné l'intitulé des deux matières, Rentarou eut beau retourner la feuille dans tous les sens, il ne vit rien d'autre apparaître que ces deux phrases. Blême, l'adolescent se souvint que c'était son professeur titulaire qui avait collecté l'ensemble des cours qu'il avait à rattraper. Il n'avait rien demandé aux étudiants de sa classe en choisissant de les obtenir à la source directe.


    - C'est pas vrai ! Ca veut dire que je vais me taper au moins trois heures pour chaque thème à trier les infos potables !


    Malgré le découragement qui l'envahit à la perspective peu réjouissante de passer six heures à consulter de nombreux livres pour en tirer des renseignements sur le sujet concerné, à l'organiser puis à rédiger son cours, Rentarou se leva et se dirigea vers la section d'Histoire. Il parcourut un à un les différents traités et s'arrêta à la période concernée pour les examiner attentivement.


    Absorbé par sa tâche, il n'eut pas conscience qu'un individu venait de pénétrer dans la bibliothèque et s'approchait de lui.


    - Qui est là ? interrogea cette personne d'une voix sereine et courtoise.


    Surpris et concentré dans son travail, Rentarou tressaillit et lâcha le livre qu'il tenait entre ses mains. Il s'agenouilla pour le ramasser et redressa la tête en direction de son interlocuteur. Un visage très familier s'offrit à lui.


    - Yo Yoko-chan, salua Rentarou d'un petit sourire.


    - Tu n'es pas en cours ? Que fais-tu là ? s'informa t-elle de sa mine naturellement soucieuse.


    - Le proviseur m'a dit de reprendre les cours après le week-end. J'en profite pour rattraper mon retard.


    - Je vois. Mais pourquoi cherches-tu de la documentation en Histoire ? Les professeurs ne doivent pas donner de dissertation durant le mois qui précéde les examens.


    - Parce qu'on a un prof génial, ironisa Rentarou.


    Tournant les talons, l'adolescent l'invita à la suivre jusqu'à sa table et posa le livre dessus puis tendit la feuille avec les intitulés à la jeune fille.


    - C'est sensé être les cours que tu as manqué ? s'indigna la vice-présidente en arquant un sourcil.


    Pour toute réponse, Rentarou laissa tomber ses bras le long de son corps, fataliste. La jeune fille resta silencieuse un instant puis déposa sa serviette sur la table, l'ouvrit et la fouilla pour en retirer deux épaisses liasses de documents qu'elle tendit à son camarade.


    - Qu'est que c'est ?


    - Histoire et Géographie sont des cours que nous partageons tous, rappela t-elle. Tu peux copier mes notes. Cela te fera gagner du temps.


    - Pourquoi tu m'aides ? D'habitude, tu m'évites tout le temps et si tu me parles, tu es distante et tu te méfies de moi, se remémora Rentarou.


    - Parce que tu n'as pas de temps à perdre, non ? Tu as certainement beaucoup de matières à rattraper et tu pourras ainsi passer plus vite à autre chose.


    Un peu troublé mais satisfait d'établir enfin un contact amical avec la jeune fille, Rentarou accepta de lui confiance. Il la remercia chaleureusement et poliment puis examina l'un des lourds feuillets.


    - C'est super, se réjouit-il. Tu prends plein de notes !


    - J'ai pris l'habitude de tout noter ce que mes professeurs disent, révéla Yoko un peu gênée. Je devrais sans doute apprendre à abréger.


    - Moi, je pense que c'est une pratique très utile, affirma l'adolescent. Je suis très pointilleux sur tous les détails alors j'écris toujours tout moi aussi. Sans compter que je fais aussi pas mal de recherches ensuite pour voir si je ne peux pas en apprendre encore plus.


    A écouter cette révélation, Yoko rougit légèrement et s'efforça de le dissimuler en baissant pour mettre son sac à terre et prendre son livre d'Allemand.


    Tandis que Rentarou s'appliqua ensuite à recopier sur ses cahiers les notes de sa compagne, la jeune fille révisa le vocabulaire et la grammaire de la langue allemande. Néanmoins, elle éprouva beaucoup de mal à se concentrer sur les phrases et les mots de son manuel. La caucasienne ne cessa de penser aux dernières paroles de son camarade et s'étonna encore qu'il existait une autre personne aussi assidue et curieuse qu'elle même.


    Levant les yeux de son texte, Yoko fixa la nuque penchée du lycéen géant sur son travail et réalisa encore une fois combien elle le connaissait mal. Quand elle pensait avoir compris sa personnalité, il la surprenait toujours. A chacune de leur rencontre, elle percevait une nouvelle facette. L'adolescente se demandait sans cesse laquelle correspondait au véritable Satsuma Rentarou.


    - Pourquoi tu me regardes comme ça ? la questionna subitement le lycéen géant qui avait redressé la tête pour tourner la page de son cahier.


    S'inscrivant en faute, Yoko regretta de fixer si intensément le jeune homme. Elle baissa la tête cherchant à fuir son regard interrogateur.


    - Je suis vraiment nulle …


    - Je ne penserais jamais ça, objecta Rentarou perturbé par cette suite d'événements.


    - Tu sors à peine de l'infirmerie et je ne te demande même pas comment tu vas. J'enchaine directement sur les cours, reprit-elle en gardant la tête basse. Quel modèle pitoyable je fais.


    - En fait, ça me convenait très bien.


    - Pardon ? s'exclama t-elle en redressant la tête sous le coup de la surprise.


    - J'aime pas du tout être populaire et remarqué, expliqua Rentarou. Quand je fais un truc, je le fais car je l'ai décidé ou que je n'ai pas le choix mais jamais en pensant à la réaction des gens.


    - Tu disais vouloir t'intégrer au groupe, émit Yoko sans comprendre.


    - Je veux être capable de me lier aux autres, d'engager une conversation et d'avoir des amis qui m'apprécient pour ce que je suis, corrigea Rentarou. Le reste est sans importance.


    - Tu es vraiment étrange, Satsuma-kun.


    - Tout le monde me dit ça, rit doucement Rentarou.


    Intérieurement, le jeune homme apprécia cette intimité avec la jeune fille. Les rares moments où ils étaient seuls et discutaient avec calme, il pouvaient les compter sur les doigts d'une seule main. Pourtant, Rentarou aimait parler avec elle. Yoko se montrait toujours si intéressante et cultivée qu'il prenait beaucoup de plaisir à se tenir en sa compagnie.


    Les deux jeunes gens retournèrent finalement à leurs études. Quand il eut fini sa recopie, Rentarou rendit ses notes à Yoko Il attaqua ensuite l'Economie. Son professeur avait seulement noté la structure des cours manqués et les notions importantes puis indiqué les pages de manuel pour compléter. L'adolescent prit donc son livre de son sac, l'ouvrit aux pages concernées et entama de copier sur son cahier les différents textes expliquant avec plus de détails le cours.


    Vers midi et midi, l'adolescent aux lunettes sombres eut faim. Il termina de copier la phrase sur son cahier de Droit et décida à aller déjeuner. Rentarou proposa à sa compagne de venir avec lui mais elle déclina l'offre. Lorsqu'il revint, il constata avec surprise que sa camarade d'études était toujours penchée sur son ouvrage d'Espagnol comme le faisait déjà avant qu'il ne soit parti déjeuner.


    - Tu n'es pas allée manger ? s'inquiéta t-il.


    - J'avais un sandwich dans mon sac, répondit Yoko sans quitter des yeux son livre.


    - Ce n'est pas assez, estima Rentarou. A notre âge …


    - Je n'ai pas le temps de déjeuner normalement, trancha t-elle d'une voix un peu forte. Je dois tout revoir mes cours pour les examens. Je n'ai absolument pas le temps pour des pauses !


    Rentarou n'insista pas. Il trouva néanmoins l'attitude si sérieuse de son amie était triste. Elle se privait de tout dans le seul but de réussir ses études.


    Pour oublier ces soucis qui n'étaient pas les siens, il se replongea dans le travail. rentarou soupira quand il remarqua qu'il n'était qu'à la moitié de la troisième page de son cours de Droit. Si les autres enseignants s'étaient contentés du minimum, le professeur Yamaguchi ne les avait pas imité. Celui-ci avait remis une liasse de seize pages où il analysait chaque élément dans le moindre détail.


    Une fois la recopie achevée et que son poignet droit fut tellement endolori qu'il le crut cassé, Rentarou se réjouit d'avoir enfin rattrapé tout son retard. Du moins, presque. Il lui resta encore les Mathématiques et l'Anglais. Pour la première matière, l'adolescent n'avait pas besoin de s'en occuper En ce moment, sa classe continuait d'apprendre à résoudre toutes sortes de problèmes basés sur les équations de premier degré. Il maitrisait parfaitement le concept.


    Par contre, une grimace défigura son visage à la perspective de travailler sur la matière qu'il détestait le plus. Il se décida à attendre Seiichi pour obtenir des explications compréhensibles. Bien que celui-ci avait raté les mêmes cours que lui, son meilleur ami les comprendrait facilement.


    A la place, Rentarou opta donc pour travailler la base. Il jeta un bref regard à sa compagne et se rassura en le fait qu'elle demeurait parfaitement concentré. Le jeune homme aux cheveux de jais se sentait toujours honteux d'étudier sur un livre à l'usage des débutants. Il réalisa de nombreux exercices de grammaire et se surprit à en réussir plus de la moitié. Bien qu'il n'aima pas du tout l'anglais et voulut arrêter, l'adolescent se força à continuer encore.


    Les heures défilèrent vite et peu après quinze heures, Yoko le quitta car elle devait assister à un cours d'Espagnol. Il ne resta pas seul bien longtemps car ses deux amis le rejoignirent assez vite.


    - Ne me dis pas que tu as passé ta journée ici, s'exclama bruyamment Tyro stupéfait.


    - On ne rattrape pas une semaine de cours sans mal.


    - Tu as l'air de te débrouiller de mieux en mieux, constata Seiichi en inspectant le cahier sur lequel Rentarou réalisait ses exercices d'anglais.


    - J'ai encore fait plein d'erreurs, dit-il peu convaincu de ses progrès


    - Cela ne fait que trois semaines que tu travailles à fond en anglais, rappela Seiichi. Je pense que cela est déjà un beau progrès.


    - Avec un peu de chance, tu sauras parfaitement t'exprimer en anglais quand nous serons diplômés, rigola Tyro.


    - Au fait, Rentarou, tu t'es entrainé ? demanda Seiichi en changeant totalement de sujet.


    - Non, j'irai ce soir, répondit Rentarou. Et demain, j'essaierais de reprendre comme avant.


    - J'espère qu'on aura droit à un beau spectacle Dimanche, s'excita Tyro.


    - Ne t'inquiètes pas pour ça, Tyro, assura Rentarou. On va battre Konno encore une fois !


    - J'espère que tu ne places pas trop d'espoir en cette victoire, songea Seiichi avec inquiétude.


    - Arrête un peu, Seiichi ! Je suis sur qu'ils gagneront, rétorqua Tyro avec énergie.


    Peu enclin à poursuivre cette discussion, l'adolescent aux cheveux ébènes ouvrit son manuel de Mathématiques et le tendit à Rentarou en s'asseyant à côté de lui :


    - Dis, tu peux m'aider à comprendre tous ces exercices ?

     

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