• Chapitre 24


    Il était encore très tôt mais il n'avait plus sommeil. Rentarou s'était lavé et habillé en vitesse. Il avait quitté l'internat le plus discrètement possible pour se rendre au club de tennis. A une heure où le soleil se levait à peine, les lieux se révélaient déserts, comme la totalité du campus. L'adolescent en déduisit que tous ses condisciples dormaient encore bien au chaud dans leur lit.


    Se tenant debout face au mur des vestiaires, Rentarou tapait dans sa balle avec sa raquette et ne cessait de la renvoyer en direction de l'obstacle en face de lui. Il appréciait particulièrement cet exercice qui avait pour mérite de lui vider la tête. Avec toute la pression qu'il s'imposait, il avait vraiment besoin de décompresser un maximum avant de commencer sa journée.


    Continuant encore son geste répétitif, son esprit lui repassait les différentes scènes d'hier après-midi lors de la rencontre sportive entre le club de son lycée et celui de Konno. Si les doubles se soldaient par des défaites catastrophiques, leur équipe se rattrapait avec les simples. Par cette victoire, ils prenaient actuellement la tête du tournoi préfectoral.
    Enfin, son esprit visualisait la scène qui s'était déroulée à la clôture du dernier match.

     

    ***



    Du côté de l'équipe de Ryoko Gakuen, les joueurs se réjouissaient de leur victoire et de leur position de tête dans le classement. Brusquement, Kurata tapa dans ses mains pour rassembler ses équipiers et leur imposer le silence.


    - Nous avons réussi à nous imposer, déclara t-il en scrutant les visages de chacun. Néanmoins, nous n'avons pas encore gagné. Souvenez vous que Konno est l'équipe la plus faible.


    - Toujours sympa les encouragements, marmonna Matsuda qui se retenait de ne pas critiquer davantage l'attitude de son buchou.


    - Je reconnaitrais seulement le fruit de vos efforts si vous parvenez à battre une équipe bien plus forte, reprit Kurata sévèrement en jetant un regard de mépris à l'adolescent brun défiant continuellement son autorité.


    Sur ce, Kurata se tourna vers Uegami qui le rejoignit sans même adresser un mot ou un signe de tête. Les deux amis commencèrent à s'éloigner, suivis de près par Ogawa.


    - On n'y arrivera jamais, Ochibi, souffla Nagai désespéré. On est trop nuls !


    - Kurata ne reconnaitra jamais ni notre travail ni notre persévérance, soupira Motoguchi.


    - Kurata-buchou est champion pour démotiver les troupes, ironisa Matsuda sarcastique en s'installant à califourchon sur le banc.


    - Attendez un peu, protesta Rentarou. Pourquoi avez-vous accepté ma proposition ?


    - Eh bien, on voulait avoir une chance d'aller en finale et de battre Saint Christophe …


    - Mais quoiqu'on fasse, on ne sert à rien, ajouta Motoguchi.


    - Tu vois, Rentarou-kun ? fit Matsuda en haussant les épaules. Les joueurs de doubles sont inutiles et ridicules dans cette équipe. Il faut juste d'excellents joueurs de simples pour rattraper leurs dégâts ce qu'a parfaitement compris Kurata-buchou.


    - Il n'y a jamais personne d'inutile ou ridicule du moment où on l'on fait des efforts, s'énerva Rentarou. OK ! Si on fait le bilan, il faut avouer que c'est nul objectivement mais ce n'est pas une raison pour abandonner !


    - Il faudrait un miracle, Ochibi, contesta Nagai. On ne gagnera jamais !


    - Même si c'est douloureux et pénible, le dur travail est toujours récompensé, insista Rentarou. Si vous continuez à croire en vos capacités et à vous entrainez assidument chaque jour, je sais que vous pouvez devenir plus forts.


    - C'est juste des mots, répliqua Motoguchi. Mais je crois que j'avais raison avant. Les faibles demeurent toujours faibles.


    - Katsuo-sempai, aide-moi donc un peu, supplia Rentarou en se tournant vers Matsuda qui s'était étendu paresseusement sur le banc.


    - Désolé, Rentarou-kun, mais je ne crois pas non plus aux miracles. Et il en faudrait un incroyable pour transformer ces deux là, refusa Matsuda en baillant longuement.


    Serrant les poings assez fort pour empêcher le sang de circuler dans les jointures de ses doigts, Rentarou éprouva l'irrésistible d'hurler sa frustration et sa colère envers ses sempai qui repoussaient son aide et sa motivation. Le garçon étouffa ce puissant sentiment de rage et se contenta de broyer du noir. Il réalisa qu'il devrait compter toujours sur lui.

     

    Puisque les doubles perdaient toujours et que le jeune homme aux cheveux de jais jouait en simple trois, l'imposante responsabilité de ne pas perdre le match suivant reposait sur ses épaules. Il s'agissait d'un fardeau très lourd et contraignant à endosser. Rentarou ne cessait de se remettre en question continuellement et à se demander s'il serait assez fort pour protéger son équipe de la défaite. Il avait espéré souder tout le monde afin de se décharger un peu de toute cette pression exercée sur lui mais aucun d'eux ne voulait plus en entendre parler.


    Ne supportant plus de demeurer en leur compagnie, le lycéen géant se décida à partir. Il s'apprêta à attraper la courroie de son sac mais aperçut la silhouette de Raphael derrière eux et se demanda depuis combien de temps celui-ci était resté là à les observer.


    - Raphael-sempai ? l'interpela Rentarou intrigué.


    - Qu'est qu'il fait là, celui là ? s'étonna Matsuda en se redressant.


    - J'écoutais, répondit Raphael en s'avançant vers le groupe. Je me demandais en même temps si je ne m'étais pas trompé de stade.


    - Pourquoi ? Tu ne nous reconnais plus ? blagua Nagai.


    - Parce que votre attitude me rappelle plus celle d'écoliers que de lycéens, envoya le jeune français sans mâcher ses mots.


    - Eh ! Tu n'as pas le droit de dire ça, s'insurgea Motoguchi.


    - Il n'y a que des enfants pour se décourager si facilement, continua Raphael. Vous pensiez devenir subitement très forts en moins d'une semaine ?


    - Tu veux dire qu'Ochibi nous a menti ? s'enquit Nagai.


    - Je ne sais pas ce que Satsuma vous a dit, reprit Raphael sans se départir de sa froide colère, mais je sais qu'il est impossible d'accroitre son potentiel avec un esprit comme celui que vous possédez en ce moment.


    - Qu'est que tu veux dire ? fit Motoguchi en fronçant ses sourcils.


    - Le tennis repose sur deux choses : la technique et le mental, révéla Raphael. Vous avez beau être entrainés si vous ne désirez pas être plus forts de vous-mêmes, vous n'obtiendrez rien.


    - Cela ne concerne pas juste le tennis, intervint Rentarou qui retrouva son optimisme en réalisant que Raphael lui apportait son soutien. Dans n'importe quel aspect de votre vie, jamais le dur travail que vous avez accompli n'aura servi à rien.


    Rentarou marqua une pause et prit le soin de réfléchir avec soin aux arguments susceptibles de convaincre ses équipiers qu'il pourrait utiliser.


    - Par exemple, quand j'étais enfant, j'étais très petit et je n'avais pas de force. Tout le monde se servait de moi comme moyen de se défouler. Mais je ne disais rien. Chaque jour, j'ai encaissé les coups et j'ai appris à devenir fort.


    - J'ai du mal à t'imaginer petit, Ochibi, s'amusa Nagai.


    - Je te jure. J'étais encore plus petit que toi, renchérit Rentarou en lui souriant gentiment.


    L'allusion parut toucher le petit lycéen qui porta sa main sur sa tête. Du haut de son mètre trente-huit, il recevait tellement de moqueries qu'il avait fini par penser être inutile. Le garçon se complaisait à rester assis dans la cour à observer, à les dessiner, sans aller vers eux par crainte d'être rejeté.


    - Si on s'investit vraiment à l'entrainement, Raphael, combien de temps tu penses ça nous prendra pour améliorer nos performances ? interrogea Motoguchi.


    - Si vous êtes vraiment motivés et que nous travaillons trois heures par jour en semaine et six le week-end, vous pouvez progresser pour la finale, résolut Raphael.


    - Raphael-sempai …. Tu as dit nous ? s'exclama Rentarou qui n'osa pas y croire.


    - J'accepte de participer à cet entrainement, confirma Raphael en se tournant vers son kouhai. Mais mettons les choses au clair : je le fais car tu m'as sauvé la vie et j'ai une dette envers toi. Il n'y a rien de plus entre nous. Compris ?


    Rentarou sourit et opina rapidement de la tête. Il se sentit si heureux de recevoir l'acceptation du sempai qui se méfiait toujours de lui et souhaitait ardemment le battre. L'adolescent se réjouit aussi du fait que celui-ci possédait une longue expérience dans le tennis ce qui serait très utile aux entrainements.


    Tournant discrètement la tête, le lycéen géant regarda avec mélancolie le banc sur lequel était assis son ami d'enfance et déplora son changement d'attitude. Depuis trois semaines, il donnait l'impression de se moquer du club et des résultats. Matsuda passait également son temps lors des entrainements à plaisanter sur les efforts de Nagai et Motoguchi ce qui n'apportaient guère d'effets positifs sur eux. Bien au contraire, cela les décourageait davantage.


    Pour le moment, il n'osa pas formuler de plaintes ou de critiques envers son camarade et se contenta de l'observer. Il jugea qu'il serait toujours temps d'intervenir si celui-ci allait trop loin.


    - Satsuma vous entraine avec ses coups forts, supposa Raphael en croisant les bras contre sa poitrine, la mine très réfléchie.


    - Je n'utilise que le tiers de ma force, précisa Rentarou. Ca équivaut à une balle classique.


    - Évidemment il faut que vous habituez à la vitesse, jugea Raphael. Cependant à force de voir et recevoir les balles de Satsuma, vous y arriverez.


    - J'espère. Parce que j'en ai marre de manger le sol, se plaignit Motoguchi.


    - Quand vous aurez appris à retourner les balles, je vous apprendrais les techniques de base du tennis, reprit Raphael. Toi aussi, Satsuma, tu devrais les apprendre.


    - Ce n'est pas moi qui a besoin d'entrainement, protesta Rentarou.


    - Ton jeu repose seulement sur la force, évoqua Raphael. Or, au tennis, les joueurs pratiquent très souvent des effets sur les balles ou des coups spéciaux pour surprendre.
    - Comme quoi ?
    - Lob, smash, lift … , énuméra Raphael. C'est classique mais ça marche toujours.


    Rentarou baissa la tête. Il n'osa pas avouer qu'il ne connaissait absolument rien aux noms que Raphael venait de lui citer. Il se promit à lui-même d'en parler avec Seiichi et Tyro. Puisqu'ils jouaient au tennis depuis aussi longtemps que Raphael, ils devaient le savoir.


    - Au fait, vous êtes encore échauffés là, non ? fit le jeune français Alors commençons notre premier entrainement ensemble !

     

    ***


    Rentarou sourit en repensant à cette incroyable première séance d'entrainement. Motivés par le discours de Raphael, ses deux équipiers n'avaient jamais aussi bien joués. Ils avaient fixé avec attention chacune de ses balles et couru après toutes même s'ils n'avaient pas su en rattraper beaucoup. Une seulement pour Nagai et aucune pour Motoguchi. Néanmoins, Raphael avait assuré que leur travail se révélait correct et qu'ils progresseraient rapidement en continuant ainsi.


    Levant sa raquette un peu plus haut, il frappa la balle qui se dirigea vers lui et la renvoya en direction du mur.


    En même temps, son esprit lui rappela le moment où il avait évoqué pour la première fois son idée à ses sempai et leur manque de motivation flagrante au départ.

     

    ***



    Lors des quelques jours qui précédèrent l'excursion scolaire des premières années, Rentarou donna rendez-vous après les cours à un belvédère désert, éloigné de leur école, qui surplombait l'arrondissement de Kita. Il était sorti par la porte secrète en prenant soin de placer une pierre dans le bas de la porte de manière à pouvoir rentrer mais sans attirer l'œil des passants non plus.


    - Ochibi ! s'écria le petit Nagai quand les cinq titulaires furent présents. Alors ? Tu voulais nous voir pour nous dire quoi ?


    - Je pensais à notre équipe, répondit Rentarou qui ne savait pas bien par où commencer. Je pense qu'il serait bien qu'elle augmente sa force.


    - On doit tous devenir aussi baraqués que toi ? plaisanta Matsuda, assis sur une minuscule rambarde, les jambes pendantes dans le vide.


    En se retenant de pousser un soupir en réaction de la blague de son ami d'enfance, Rentarou s'interrogea sur son choix de l'avoir convié à cette réunion. Il pouvait déjà prédire que celui-ci commenterait au moins chaque de ses phrases, ainsi que celles des autres, de plaisanteries peu constructrices à la conversation. Cela aurait été plus simple de lui raconter seulement la réunion.


    Mais Rentarou possédait un fort penchant pour la justice et l'équité. Or, il n'aurait absolument été ni juste ni loyal envers un équipier de l'écarter d'un entretien sous prétexte qu'il la perturbait par ses multiples interventions puériles.


    En gardant son calme et sa sérénité, il s'efforça d'expliquer à ses condisciples son souci au sujet des faiblesses de leur équipe, à savoir les doubles, et proposa donc des entrainements clandestins comme les clubs étaient suspendus le mois précédant les examens.


    En réalité, Rentarou était anxieux, angoissé et stressé. Il craignait que ses auditeurs n'apprécièrent pas son idée. Son cœur et sa respiration traduisaient ce malaise. Tous deux avaient augmenté leur fréquence. Normalement, ils ne les entendaient jamais ou presque pas, à part à la suite d'un très long match ou d'un dur entrainement.


    - Alors tu veux qu'on entraine Laurel et Hardy ? grimaça Raphael en fixant dédaigneusement le petit et le gros concernés dans cette histoire.


    En entendant le surnom attribué à Kanai et Motoguchi, Rentarou fronça les sourcils, très courroucé. Il détesta ce sobriquet ridicule et déshonorant. Dès l'instant où il l'avait entendu, le jeune homme aux cheveux de jais avait détesté. Il savait que la référence venait d'une vieille série télévisée française. Raphael l'avait cité un jour et elle s'était retrouvée collée au duo.


    - Je ne veux plus entendre ces noms ridicules, rugit Rentarou en serrant ses poings derrière son dos pour ne pas s'emporter de trop.


    - Allons, Rentarou-kun, c'est marrant et pas méchant, répliqua Matsuda.


    - Non, c'est irrespectueux et stupide, riposta Rentarou. Kanai-sempai et Motoguchi-sempai ont deux une identité qui leur est propre. Ils s'appellent Nagai Shinobu et Motoguchi Kenji !


    - Tu … tu as dit mon nom, Ochibi ? s'étrangla Kanai.


    - Le mien aussi … , bégaya Motoguchi qui avait laissé son paquet de chips tomber sur les pavés.


    - Connaître le nom des personnes que l'on fréquente est une chose importante pour moi. Mais je ne supporte pas qu'on prive quelqu'un de son identité.


    - Ca fait plus des années que plus personne ne nous appelle par notre nom, se lamenta Kanai. Enfin quand ils nous appellent. Généralement, on ne se soucie pas de moi alors je ne voulais pas me plaindre. Je ne voulais pas être tenu à l'écart davantage.


    - Moi, personne ne m'a jamais appelé par nom depuis le collège, continua Motoguchi avec tristesse. On me dit juste le gros, gros lard, tas de graisse … Je commence à avoir l'habitude.


    Le jeune obèse s'arrêta de parler et une lueur de gaieté illumina son visage :


    - Mais c'est vraiment génial d'entendre mon nom dans la bouche de quelqu'un !


    - Ochibi, on fera ce que tu veux, déclara Nagai. Surtout si c'est pour devenir fort !


    Rentarou sourit de constater le bonheur qu'il procurait actuellement aux deux jeunes gens face à lui. Il était intervenu sans réfléchir. L'adolescent se doutait que beaucoup pourraient penser qu'il avait sciemment utilisé la réflexion de Matsuda pour convaincre plus facilement les deux compères.


    Il n'en était rien : il s'était seulement révélé incapable de tourner le dos, comme toujours.
    Chaque fois qu'il voyait ou entendait une personne être agressé ou discrédité, Rentarou ne se contrôlait plus. Un besoin impératif le submergeait et le poussait à voler à son secours.


    - Je serais ravi de travailler avec vous, confia Rentarou.


    - Comment vas-tu nous faire travailler, Satsuma ? s'intéressa Motoguchi.


    - D'abord on se retrouvera après les cours, vers cinq heures, décida Rentarou. On s'arrangera pour trouver un court public libre.


    - Il faudra changer tous les jours et s'éloigner du lycée, conseilla Nagai. Autrement les profs, ou même d'autres élèves, nous verrons et nous dénoncerons.


    - Alors Satsuma ? insista Motoguchi à la manière d'un enfant. Comment tu vas nous entrainer ?
    - Vous essayerez de rattraper mes balles, répondit Rentarou.


    - Mais tes balles sont très rapides, s'inquiéta Nagai.


    - Je n'utiliserais pas toute ma puissance, promit Rentarou. Cependant cet entrainement vous permettra d'apprendre à distinguer les balles lors d'un match.


    - Vraiment ?


    - En observant mes balles, vous devriez vous habituer à un rythme rapide. Lors des matches officiels, vos adversaires n'auront pas un rythme si important et je pense que vous serez en mesure de rattraper leurs balles.


    - Je vais essayer alors, s'exclama Nagai avec excitation. Ce serait tellement génial de gagner un match et d'obtenir enfin la reconnaissance de Kurata !


    - Trop mortel, confirma Motoguchi en secouant la tête.


    - Il y a aussi autre chose à corriger, annonça Rentarou avec un grand sérieux.


    - Qu'est que c'est ?


    - Ca, révéla le lycéen géant en montrant du doigt les chips répandus sur le sol.


    - Oui, je vais tout ramasser et mettre à la poubelle, s'exclama Motoguchi en se baissant pour commencer le nettoyage.


    - Je pense plutôt que tu dois tout arrêter, Motoguchi, reprit Rentarou d'une voix sérieuse et compréhensive. Je sais que c'est très bon mais cette nourriture détruit ton corps à petit feu.


    - Mais la nourriture nous maintient en vie, objecta Motoguchi toujours accroupi.


    - Tous les aliments ne sont pas utiles, expliqua Rentarou. Par exemple, ces chips, même si elles sont délicieuses, sont du poison. D'abord elles te font grossir mais elles développent lentement chez toi un terrain favorable pour le diabète et le cholestérol.


    - C'est vrai ? pâlit Motoguchi en fixant son kouhai avec des yeux ronds.


    - Tu peux demander confirmation à ton médecin ou à Haruko-sensei.


    - Mais j'aime bien manger, se plaignit l'épais garçon.


    - Remplace les chips par des fruits, proposa Rentarou d'un sourire complice. Tu vides tes paquets de chips et tu mets des fruits à la place.


    - Et les fruits, c'est bon ?


    - C'est le meilleur régime, l'informa le lycéen géant. En plus, si tu adoptes cette solution, tu vas rapidement progresser au tennis.

     

    ***

     

    Concentré sur ce souvenir, Rentarou n'arriva pas à déterminer où il avait commis une erreur en exposant son projet. Il avait mentionné à ses équipiers qu'il ne forçait personne à accepter et n'était pas totalement certain du résultat final. Il avait bien insisté dans sa démonstration que cette idée se révélait être un grand pari.


    Malheureusement Nagai et Motoguchi s'étaient persuadés que les entrainements effectués avec lui leur permettraient d'acquérir la force et la technique nécessaires pour remporter un match. Aucun d'eux n'imaginait travailler ou faire des efforts pour obtenir un objectif visé. Si tout était venu à eux, ils auraient acceptés sans se poser de question avec le plus grand des plaisirs.


    La vie ne fonctionnait pas d'une telle manière. Rentarou était suffisamment bien placé pour connaître et comprendre ce grand principe. Il se révélait strictement impossible de réussir un exploit ou de posséder un objet sans avoir fourni quelque chose en effort. Petit, il avait appris de sa mère au travers de ses cadeaux ou de ses fournitures scolaires le prix que chacun avait coûté.


    Par exemple, son lecteur MP3 et sa console Gameboy, ces deux reliques qu'il chérissait tant, possédaient une valeur inestimable car sa mère avait obtenu l'argent pour les acheter en souillant son propre corps pour le bien-être et le bonheur de son enfant.


    Rentarou avait expérimenté lui-même ce grand principe. Pour réussir l'examen national d'entrée au lycée, il avait travaillé d'arrache-pied pendant sept mois pour rattraper son immense retard scolaire. Le garçon avait passé toutes ses journées le nez collé aux livres à retenir toutes les informations contenues dedans. Souvent, l'étudiant s'était écroulé vers trois ou quatre heures du matin sur son ouvrage, la lampe du bureau encore allumée.


    Mais il avait triomphé. Tous ses efforts lui avaient permis de réussir l'examen au-delà de ses espérances puisqu'il avait été reçu premier au classement général. A l'époque, il s'en était moqué et s'en moquait toujours. Le seul fait d'avoir intégré le lycée comptait pour lui. Ces histoires de classement et d'être meilleur que les autres ne l'intéressaient pas.


    Balayant ces images de son passé, il revint sur son présent. Rentarou se demandait si sa collaboration avec Raphael allait fonctionner. Le point positif se trouvait être que son sempai français possédait une longue expérience en tennis, plus que lui bien qu'une période de trois mois n'était guère difficile à dépasser. Il possédait aussi celle d'avoir joué à l'étranger et de connaître de multiples niveaux différents de nombreuses techniques de jeu.


    Malgré tout, le lycéen géant éprouvait un étrange sentiment qui l'empêchait de sentir rassuré. Cette sensation d'avoir l'estomac noué revenait toujours. Cette désagréable impression qu'il portait la responsabilité de tout un groupe sur ses épaules.


    Encore une fois, il pensa aux paroles de Seiichi.

     

    ***



    - Qu'est que tu veux faire ? demanda encore une fois Seiichi, ses fins sourcils baissés.


    - Permettre à Ryogaku de gagner le tournoi national, répéta une troisième fois Rentarou.


    Depuis ce second jour du septimère mois de l'année, la phase finale avait commencé. Comme l'équipe du lycée de Saint-Christophe avait accumulé quatre victoires, soit un parcours sans fautes aux éliminatoires, elle s'était retrouvée automatiquement en finale. Parmi les autres équipes, seules trois avaient réussi à obtenir le minimum nécessaire de deux points pour accéder à la seconde manche. Il s'agissait de Sangakuen, Konno et Ryoko Gakuen.


    Commençant le premier week-end du mois de Juillet, la phase finale consistait à faire affronter toutes les équipes l'une contre l'autre. Seule celle qui remportait le plus de victoires obtenait la seconde place en finale.


    Cet après-midi, la première rencontre avait eu lieu opposant opposant le lycée Ryoko Gakuen à Sangakuen. Lorsque les Sanonis étaient rentrés une demie-heure plus tôt à la maison de Tyro, Rentarou avait rapporté à ses deux amis son rêve d'aller jusqu'en finale pour défier l'équipe de Saint-Christophe et, au possible, de remporter la victoire.


    - Tu es cinglé, lâcha Seiichi.


    - Que veux-tu dire ?


    - Dément, fou, déséquilibré, aliéné, déraisonnable, idiot, absurde, détraqué, dingue, sonné, timbré, ravagé, halluciné …


    - C'est bon ! Si on veut des synonymes, on est assez grands pour consulter le dico, le coupa Tyro exaspéré de cette longue énumération.


    - Je répondais seulement à la question, se défendit Seiichi malicieusement.


    - Moi, je voulais savoir pourquoi tu disais ça, répliqua Rentarou un peu agacé.


    - Parce que tu es fou de penser à vaincre Saint-Christophe, révéla Seiichi redevenu sérieux.


    - Ils ont battu Sangaku tout à l'heure, rappela Tyro. C'est quand même l'équipe qui remporte toujours le tournoi national, exception faite pour l'année précédente.


    - Cette victoire me conforte dans mes positions, ajouta Rentarou. Comme on affronte Konno dans deux semaines, on peut être sûrs de gagner.


    - Tu deviens un peu trop sûr de toi, Rentarou, lui reprocha Seiichi.


    - J'ai affronté Konno il y a un mois. Ils sont très faibles, évoqua Rentarou. Si j'entraine Nagai-sempai et Motoguchi-sempai, on va les battre en très peu de temps.


    - Il s'en passe des choses en mois, songea Tyro pensif. Il est vrai que Konno a toujours été connu pour être une équipe faible …


    - Mais à force de subir défaite sur défaite, la dernière peut devenir le déclencheur qui amène à réfléchir sur ses erreurs et à progresser, acheva Seiichi.


    - Qu'essayez-vous de me dire ?


    - Que Konno pourrait renforcer ses forces, résuma Tyro. Comme toi, tu souhaites renforcer celles de Ryogaku.


    - Vous pensez qu'on va perdre ? grimaça Rentarou.


    - On ne peut pas répondre à cette question, réfuta Tyro. Il est impossible en sport de prédire le résultat. Les données dépendent des niveaux des joueurs et surtout de leur état mental.


    - Nous souhaitons seulement que tu en sois conscient, précisa Seiichi. Tu ne dois pas perdre de vue ceci, surtout si tu te fixes des projets chimériques.


    - Tu penses que j'ai tort de vouloir les entrainer ?


    - En vérité, je crois surtout que tu n'as pas le profil.


    - Je ne comprends pas, avoua Rentarou en fixant son ami avec incompréhension.


    - Tu es gentil et attentionné. Ceux sont d'excellentes qualités. Cependant un bon entraineur doit savoir être dur pour motiver correctement ses troupes et exiger d'eux le meilleur.


    - On apprend ça en ligue Senior ? s'étonna Tyro.


    - J'ai toujours aimé observer mes semblables et comprendre leur fonctionnement, rappela Seiichi.

     

    ***



    En réfléchissant aux paroles de son ami, Rentarou avait cessé de taper dans sa balle. Il restait planté là à contempler la paroi grise, les yeux perdus dans le vague, la main serrant le grip de sa raquette.


    Seiichi avait-il raison ? Avait-il tort de se lancer dans ce projet ? Etait-il vraiment ce garçon si naïf que les autres se plaisaient à décrire ? Rentarou n'avait pas l'impression de donner cette image. Pour parler de lui objectivement, il se voyait plutôt comme une personne possédant une forte détermination et un cœur qui ne supportait pas la souffrance.


    En continuant sa réflexion, le lycéen géant songeait combien il était inexpérimenté au tennis pour se frotter à une équipe de la trempe de celle de Saint-Christophe. Il se traitait mentalement de fou pour rêver d'un pareil exploit.


    Soudain le vrombissement d'une voiture circulant à toute vitesse au milieu de ce quartier résidentiel désert à cette heure si matinale le tira de sa léthargie.


    En réalisant qu'il avait baissé si docilement toutes ses barrières, Rentarou fut en colère contre lui et s'en voulut de céder si facilement à l'adversité. Il n'en avait pas le droit. L'adolescent avait engagé ses forces dans une bataille et recruté ses membres. Pour eux, reculer devenait impossible. Il devait continuer impérativement, coûte que coûte, et les amener vers la victoire. Sa résolution était décidée et solidement ancrée.


    Évidemment, Rentarou savait combien il serait compliqué de gérer ses cours, ses révisions pour les examens et ses entrainements. Par ailleurs, c'était la principale raison à pourquoi il avait interdit à Seiichi et Tyro de lui donner un coup de main. S'il échouait aux examens, le lycéen géant l'accepterait en endosserait la responsabilité. Cependant si ses deux meilleurs amis rataient eux aussi, il culpabiliserait horriblement. De toute manière, le jeune homme aux cheveux de jais refusait de les voir sacrifier leurs études pour lui.


    Se baissant pour ramasser sa balle qui jonchait sur le sol, son cerveau pensait encore.
    Qu'est-ce que Seiichi lui avait encore dit ?

     

    ***



    - Il est tard, constata Rentarou en observant les veilleuses de l'infirmerie qui venaient de s'allumer.


    - Je ne veux pas rentrer, se plaignit Tyro.


    - Il serait temps que ta famille sache si tu es encore vivant, se moqua Seiichi.


    - Mais ils savent où je suis, protesta Tyro.


    - Allez-y, insista Rentarou. Vous avez besoin de dormir dans un lit.


    - Il y a plein de lits ici, fit Tyro plein de malice.


    - Par ailleurs, Haruko-sensei vous mettra dehors bientôt, soupira Rentarou.


    - Là, c'est un argument imparable, réalisa Tyro avec ennui.


    Le jeune homme à la chevelure aux multiples piques prit congé de ses amis en premier. Seiichi s'apprêta à le suivre mais se figea et revint vers le lit du jeune convalescent.


    - J'oubliais … , murmura Seiichi. Je crois que tu pourras vraiment le faire.


    - Quoi donc ?


    - La finale. Vous pourriez vraiment la gagner.


    - Je croyais que c'était un rêve chimérique, s'étonna fortement Rentarou en répétant à son camarade ses propres mots.


    - Tu n'as pas une personnalité autoritaire, reprit Seiichi en croisant ses bras contre son torse, mais tu es un grand leader. Tu sais mener les gens vers le but que tu as fixé.


    - Leader ? Non, tu te trompes complètement, nia Rentarou en secouant vivement la tête.


    - Tu possèdes un fort charisme qui te rend attrayant, continua Seiichi sans prêter nullement attention à l'interruption. Parce que tu te soucies des autres plus que de toi-même. Tu ne sais pas laisser les autres derrière toi pour te sauver toi-même. Ils doivent d'abord aller bien pour que tu acceptes de prendre soin de toi.

     

    ***



    Les mots de Seiichi résonnaient encore dans son esprit. Il n'avait pas la moindre intention d'être un leader ou un chef. Rentarou désiraitseulement être ami avec tout le monde et partager des moments agréables et non commander ou dicter ses ordres.


    En même temps, cette définition lui ressemblait. Il se révélait toujours incapable de tourner le dos à une personne qui avait un problème et de l'abandonner à son triste sort. Qu'importe le danger ou la difficulté, il lui fallait impérativement apporter sa contribution.


    La sonnerie de l'horloge principale du lycée qui retentissait toutes les heures le ramena à nouveau à la réalité. Il releva de quelques centimètres la manche de sa chemise pour consulter sa montre et réalisa qu'il était temps de prendre son petit-déjeuner.


    Se mettant en chemin, Rentarou traversa rapidement le campus pour atteindre la cour mais une fine silhouette accourut dans sa direction et s'interposa pour lui bloquer le passage. Il reconnut la jeune vice-présidente du conseil des étudiants, les mains posées sur ses hanches, furieuse.


    - Puis-je savoir pourquoi tu es là ? Les étudiants n'ont pas à quitter l'internat avant sept heures !


    Incapable de résister à ce trait, Rentarou leva la tête vers l'horloge incrustée au sommet du toit et tendit son index dans cette direction.


    - Il est sept heures.


    - Il est seulement sept heures, insista Yoko. Cela veut dire que tu es sorti avant !


    - S'il te plait, Yoko-chan, laisse tomber.


    - Le respect du règlement est prioritaire. Une infraction, même minime mène pas à pas vers le commencement du désordre et de l'anarchie, s'opposa t-elle avec une forte conviction.


    - Je te le demande en tant qu'ami, réclama Rentarou.


    - L'amitié n'a pas sa place dans cette conversation, répliqua Yoko d'un ton cassant.


    Rentarou se mordit les lèvres et hésita encore. Il ne voulut pas utiliser cette tactique redoutable et cruelle. Mais il'adolescent sut que le choix était déjà décidé. Il avait besoin de ces moments matinaux pour réfléchir afin de se recentrer sur ses activités quotidiennes et ne pouvait non plus se permettre de récolter des heures de retenue. Pour protéger la précieuse espérance de son cœur, comme celles de ses camarades, il lui fallait malheureusement renoncer à certains de ses principes.


    - Yoko-chan, ne m'oblige pas à faire ça, supplia Rentarou en posant son regard sur elle.


    - Faire quoi ? Me taper dessus ? ironisa Yoko en haussant les épaules. Tu auras des soucis.


    L'adolescent détestait entendre ce genre de clichés à cause de son apparence physique. Il ne comprenait pourquoi dans l'esprit des gens être grand et costaud signifiait céder spontanément à la violence pour régler ses conflits.


    Mais il sourit de cette réflexion. Chaque fois qu'il entendait ce genre d'allusions, cela le mettait en colère. Pour une fois, Rentarou n'aurait ni à la contenir ni à la canaliser. Il pouvait l'utiliser pour oublier ses principes moraux et se sortir d'affaire.


    - Yoko-chan, tu le regretteras si tu me fais punir avant la fin du mois de Juillet, gronda t-il d'une voix plus grave qu'à l'accoutumée.


    - Je ne crains personne, affirma Yoko en se voulant le plus calme possible bien qu'intérieurement elle éprouva une vive frayeur de son ton menaçant.


    - Tu te souviens de Vendredi dernier ? Quand nous étions à la bibliothèque.


    - Absolument, répondit la jeune fille méfiante sans le quitter des yeux.


    - Tu me regardais bizarrement quand je travaillais sur un devoir, évoqua Rentarou dont la voix baissa à ce moment.


    - Quel rapport avec cette conversation ? s'exclama Yoko de plus en plus agacée.


    - Eh bien, je peux raconter quelque chose là dessus, continua Rentarou. Quelque chose que tu détesteras mais que tout le lycée adorera.


    - Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, répliqua Yoko dont le ton monta soudainement.
    - Par exemple, je pourrais dire que tu es amoureuse de moi !


    Un long silence suivit cette annonce durant laquelle la jeune fille demeura interdite et incapable d'effectuer le moindre geste. Elle n'arriva pas à croire une telle situation possible.


    - C'EST DU CHANTAGE !!! hurla t-elle quand elle réussit à parler à nouveau.


    - Exactement, confirma Rentarou. Tu as le choix : tu me laisses libre de mes mouvements ou je raconte ce mensonge dans toute l'école.


    - Tu ne feras pas ça. Tu bluffes, rétorqua Yoko. D'après Seiichi-kun, tu te soucies toujours des autres. Tu ne peux donc pas faire une action qui me blessera.


    - Entièrement d'accord mais tu ignores un point, la contredit Rentarou. Il y a une chose importante que je dois protéger. Si tu essaies de m'en empêcher, je suis obligé de t'arrêter.


    - Et c'est quoi ?


    - Tu ne peux pas comprendre, éluda l'adolescent. Tu détestes le sport.


    - Tu agis ainsi pour jouer au tennis ? comprit-elle hallucinée. Tu es plus dingue que Sakumai !


    - Pas seulement pour jouer au tennis. Mes amis ont besoin de moi pour gagner le tournoi national. Je ne peux pas leur tourner mon dos !


    - Tu es réellement motivé par ça ? interrogea t-elle avec un mélange d'horreur et d'indignation.
    - Aider et protéger les autres est ma nature, exposa Rentarou. Alors que décides-tu ? Dois-je commencer ma rumeur à la cantine dès maintenant ?


    Serrant ses poings contre sa jupe plissée, la vice-présidente enragea considérablement. Se faire tenir tête d'une manière si effrontée pour une raison si futile la rendait visiblement folle de colère.


    - Tu as dit un délais jusque fin Juillet ? dit Yoko quand elle eut retrouvée son calme.


    - Tu as bien entendu.


    - J'accepte, annonça t-elle en lui jetant un dur regard de mépris. Par contre, profite bien. A partir du 1er Septembre, je ne te lâcherais pas !


    Sur ce, Yoko ne le laissa pas placer un mot et tourna vite les talons pour ne pas avoir à supporter son triomphe provisoire sur elle.


    En vérité, Rentarou ne ressentait ni joie ni satisfaction de cette réussite. Il se méprisait de s'être conduit aussi mal envers la jeune fille. Même s'il savait qu'il devait le faire, qu'il n'avait pas d'autre alternative, le lycéen géant s'en voulait de la faire souffrir.


    En reprenant son trajet pour rejoindre le réfectoire, le jeune colosse songea aux dernières paroles de la vice-présidente et envisagea l'avenir avec incertitude. Il se posa toutes sortes de questions :


    Comment la rentrée du second trimestre se passerait-elle en Septembre ?


    Quels ennuis aurait-il encore à subir ?


    Yoko pourrait-elle un jour lui pardonner ?


    En ayant assez de ce fourmillement d'interrogations auxquelles il ne possédait pas les réponses, Rentarou les remisa le plus loin possible dans son esprit.


    Beaucoup de choses se passeront jusqu'au mois de Septembre, après tout.


    Et attendant, il avait déjà fort à faire en se concentrant sur la finale du tournoi national et les examens trimestriels.

     


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