• Chapitre 25


    Les jours du septième mois de l'année se ressemblaient affreusement aux yeux des lycéens. Chaque matin, ils se levaient très tôt, allaient en classe et révisaient leurs cours dès que le moindre instant de liberté se profilait dans leur emploi de temps. La classe 1D n'échappait nullement à ce constat.


    - Les gars, on fait une partie de cartes ? proposa Sawamura énergique. Faut en profiter ! Pour une fois le vieux Tanaka n'est pas là !


    S'étant déjà levé, le jeune homme se tourna à la table voisine de la sienne où Rentarou s'occupait de relire de petites fiches mémoires qu'il s'était confectionné pour chacune de ses matières. Il révisait actuellement tous les chapitres abordés en Histoire en revoyant seulement les points clés et les notions importantes.


    - Tu joues avec nous, Satsuma, hein ? lança Sawamura enjoué.


    - Si ça ne se voit pas, j'étudie, Sawamura-kun, lui répliqua l'adolescent aux lunettes sombres.


    - Tu as toujours de bonnes notes, insista le garçon désinvolte. Tu n'as pas besoin de réviser.


    Penché sur ses révisions, le visage de Rentarou tiqua légèrement. Ses sourcils froncèrent. Il ne dit rien et se força à garder le silence en se concentrant sur sa lecture. Le jeune homme aux cheveux de jais relut plusieurs fois la troisième phrase de sa neuvième fiche sans parvenir à l'imprimer correctement dans son esprit tant il demeura focalisé sur les paroles de son condisciple.


    - On va jouer à un truc simple, renchérit l'étudiant. La bataille ? Idéal en plus si on est nombreux !


    - Je travaille, réitéra Rentarou de plus en plus agacé.


    - Je te dis que t'as pas besoin !


    Incapable de réprimer davantage sa colère, il se leva spontanément, son large poing heurtant la table avec force.


    - Je travaille pour avoir des résultats corrects ! s'écria Rentarou. J'ai besoin d'apprendre mes cours et de faire des exercices pour retenir les cours ! C'est pas en jouant que je peux le faire !


    - Mais ça ne fait pas de mal de jouer de temps en temps, rétorqua Sawamura en haussant les épaules avec nonchalance.


    - J'ai dit que je ne jouais pas ! Alors arrête de m'emmerder !


    La colère du lycéen géant ne passa pas inaperçue, surtout qu'il s'agissaitt là d'une première. D'ordinaire, leur condisciple ne montrait jamais un seul signe d'agacement. Cependant personne ne plaignit ou ne défendit Sawamura. Ils estimèrent tous que celui-ci méritait une leçon à troubler sans cesse l'ordre de la classe et à les empêcher de se concentrer sur leurs études.


    - Tu as compris ? Tu me fous la paix et tu vas s'asseoir !


    - T'es pas cool, marmonna le lycéen avec un brin de lassitude et d'irritation.


    Remarquant que son ami ne se calmait toujours pas, le frêle adolescent aux cheveux ébènes qui n'avait rien perdu de la scène se décida à intervenir.


    - Rentarou, appela t-il. Ne veux-tu pas réviser avec moi ?


    En percevant l'appel de son ami, le jeune homme aux cheveux de jais se retourna et lui adressa un bref signe de tête positif. Il bougea alors sa table, ou plutôt traina, et la colla à celle de Seiichi avant de s'asseoir à ses côtés. Tous deux débutèrent leur travail mais Sawamura n'apprécia pas cette complicité et revint à la charge.


    - Pourquoi tu dis toujours oui à ses demandes ? s'enquit Sawamura d'un ton peu aimable.


    Pris de court, Rentarou ne sut que dire pour se justifier élégamment. Il ne s'imagina pas raconter au garçon qu'il préférait la compagnie de Seiichi à la sienne. Même s'il s'agissait de l'exacte vérité, elle se révélait beaucoup trop douloureuse pour être avouée. Néanmoins, son meilleur ami ne possédait pas ces scrupules.


    - Parce que nous sommes des Sanonis, claironna Seiichi en souriant si fort qu'il découvrit ses dents impeccablement blanches.


    - Qu'est que c'est que ça ? grommela t-il en arquant un sourcil.


    - C'est à dire … , commença Rentarou dont la tête faisait de rapides allers-retours entre les deux garçons à ses côtés.


    - Ceci est un terme pour désigner les trois meilleurs élèves du lycée, expliqua Seiichi.


    - Non, ce n'est pas exact, objecta Rentarou de plus en plus gêné. En fait, on …


    - Cela sonne beaucoup plus cool ainsi, Rentarou, assura Seiichi en lui décochant une légère bourrade de son coude.


    Nerveux, le jeune homme aux lunettes sombres se demanda comment il pouvait rattraper cela avec Sawamura. Il réalisa avec surprise qu'il n'avait rien à faire. Son condisciple était déjà parti chercher un autre avec lequel il pourrait jouer.


    Et on dit que la vie des jeunes est simple et insouciante, soupira t-il en posant sa main sur la tempe droite de sa tête.


    Sur le campus, les étudiants étaient tellement stressés par l'échéance de leur pénible épreuve qu'ils ne prenaient plus le temps de descendre pour manger. La très grande majorité se contentait d'un sandwich, acheté au matin, ou du bento que leur mère ou un serviteur avait préparé à l'intention. Ils se réunissaient dans la salle de leur professeur titulaire pour poursuivre leurs révisions. Parmi les rares personnes sortant encore pour déjeuner sur l'heure, il se trouvait les Sanonis. Le fait que Tyro était dans une classe autre que celle de Rentarou et Seiichi avait naturellement amené à ce choix.


    - C'est trop cool ! s'émerveilla Tyro. On a le campus à nous !


    - Calme-toi un peu, Tyro, soupira Seiichi, plus pour la forme que pour obtenir un résultat.


    S'étant installés aux abords de la petite forêt, deux adolescents sur trois dévoraient leurs sandwiches. Le troisième préférait crier sa joie de manger en plein air. Habitués à son spectacle, ses amis ne s'en formalisaient plus.


    - Konno a gagné il me semble, dit Seiichi en cessant de manger.


    - Ouais ! Ils ont battu Sangaku ! J'en reviens pas, ajouta Tyro spontanément et se rasseyant aussitôt auprès de ses compagnons. J'aurai voulu voir ce match !


    - Je l'ai vu. En fait, ils ont fait sortir des joueurs de simples super bons, rapporta Rentarou.


    - Cela veut dire qu'il faudra se méfier de cette équipe l'année prochaine si ces joueurs que tu as vu sont en première ou deuxième année, émit Seiichi soucieux.


    - Pour l'instant, gardons à l'esprit les matches de cette année, rétorqua Rentarou.


    - Ca s'annonce bien pour le tournoi préfectoral, reprit Tyro avec un sérieux qui ne lui était pas habituel. Puisque vous avez gagné le match du 1er Juillet contre Sangaku et celui du 15 contre Konno, cela signifie que Ryogaku marque deux points.


    - Mais le mieux est que Konno et Sangaku ont tous deux gagné un match mais en ont perdu un. Ils ont donc seulement un seul point chacun, compléta Rentarou.


    - Cela amène ainsi au point suivant : Ryogaku saute la demie-finale prévue ce samedi ci et se retrouve qualifié automatiquement pour la finale, conclut Seiichi.


    - La finale avec Saint-Christophe, ajouta Rentarou.


    L'excitation ressentie par cette idée fit battre plus fort le cœur du jeune homme. Il frappa plusieurs fois son poing contre la paume de sa main gauche. L'adolescent ne se souvint pas avoir ressenti pareille sensation un jour mais la savoura pleinement.


    - Tyro a vraiment une mauvaise influence, sourit Seiichi.


    En disant ces paroles, l'adolescent changea sa position en tailleur et se mit à quatre pattes. Il entreprit de ramasser les emballages des sandwiches et canettes de sodas consommés pour le déjeuner et les fourra dans un sac plastique.


    - Ah oui ! Il y a un truc que je veux parler avec vous, évoqua Rentarou quand son taux d'adrénaline fut redescendu quelque peu.


    Le changement de ton n'échappa pas aux deux compères. Il s'exprima de manière plus lente et chercha plus ou moins ses mots, comme si le sujet qu'il comptait amener le gênait.


    - C'est … C'est quoi un lob ?


    Interdit, Seiichi fut si surpris par cette question qu'il lâcha le sac ce qui eut pour conséquence de laisser tomber tous les déchets contenus à l'intérieur sur l'herbe coupée. Pour sa part, Tyro se contenta juste d'ouvrir la bouche et de la refermer aussitôt.


    - Tu ne sais pas ce qu'est un lob ? s'exclama Seiichi incrédule en se redressant


    Toujours un peu honteux de reconnaître un échec ou du moins ce qui y ressemblait, le lycéen géant secoua négativement et brièvement la tête.


    - Tu dois bien connaître les règles du tennis, ajouta Tyro, les sourcils froncés.


    - J'ai lu un peu mais j'apprends en observant, avoua t-il.


    - Hallucinant, balbutia Seiichi qui ne parvenait plus à maitriser correctement son langage.


    - Tu veux dire que tu ne sais pas faire un lob, un smash ou un topspin ?


    - Raphael-sempai m'apprend en ce moment.


    - Tu veux dire que tu ne cesses de me battre et tu résistes à Seiichi sans posséder la moindre expérience en tennis ? beugla Tyro dont ses petits yeux s'étaient étirés à leur maximum.


    - J'ai joué enfant avec Katsuo-sempai, enfin deux ou trois ans, révéla Rentarou. Enfin quand on avait le temps. Kaasan n'a jamais aimé que je traine après l'école et je rentrais directement.


    - Et tu as arrêté de jouer avec lui quand ? s'intéressa Seiichi.


    - Juste après mon septième anniversaire.


    - L'âge où on devient vraiment sérieux, précisa Tyro. Matsuda-sempai a dû commencer à apprendre davantage de coups seulement après, en plus.


    - Moi-même, j'ai débuté vers six ans en entrant à l'école élémentaire, annonça Seiichi. Cependant il m'a fallu être en quatrième année avant d'obtenir un niveau de jeu potable.


    - Tu avais dit que tu as été remarqué en primaire, rappela Rentarou.


    - Je suis devenu imbattable qu'en fin de cinquième année et je suis devenu le numéro un du circuit junior qu'en dernière année.


    - J'ai évolué à peu près au même rythme, estima Tyro, une main contre son menton.


    - Tu te rends compte à quel point tu es un prodige ? interrogea Seiichi dont le regard se fixa intensément sur Rentarou.


    - Pas vraiment, éluda t-il peu enclin à poursuivre la conversation telle qu'elle se déroulait.


    - Et pas juste en tennis, continua Tyro. On a joué au basket quelques fois. Enfin juste quelques paniers. Il a su me rétamer totalement.


    - En même temps, un nain contre un géant au basket, le résultat est prévisible, le piqua Seiichi en se délectant de la langue tirée par son ami en réaction.


    Même si la plaisanterie n'était pas très correcte, Rentarou ne put s'empêcher de s'esclaffer. Il se souvint de parties de basket faites avec le jeune tennisman, mais surtout de sa spécialité pour s'étaler de tout son long sur le sol chaque fois qu'il s'apprêtait à recevoir le lourd ballon.


    - Il y a aussi la partie de foot faite avec ma famille, reprit Tyro pour faire taire les moqueries à son égard. Il disait n'avoir jamais joué et il arrêtait toutes les balles sans exception !


    - Gardien de but est facile, se défendit Rentarou. Il suffit juste d'observer la balle et interpréter sa trajectoire pour anticiper l'action. C'est pareil au tennis.


    - Je commence à comprendre pourquoi tu es devenu fort si vite, réalisa Seiichi. Posséder une telle capacité d'analyse est un atout considérable.


    - A présent, pourrions-nous revenir à ma question ? demanda Rentarou qui en avait assez d'entendre ses deux meilleurs amis décortiquer et interpréter toutes ses facultés.


    - Ah oui ! Le débutant voulait qu'on lui explique ce qu'est un lob, se moqua Tyro.


    En réponse à ce commentaire peu plaisant, le concerné lui retourna un regard noir qui aurait désintégré le farceur s'il aurait pu tuer avec.


    - Pourquoi expliquer avec des mots alors qu'il est mieux de le montrer ? fit Seiichi en haussant les épaules d'une nonchalance feinte.


    Avec incompréhension, ses deux compagnons le regardèrent. Celui-ci se contenta de leur sourire et se leva en leur demandant de l'attendre dans la cour. Ni l'un ni l'autre n'eurent le loisir de réclamer une expliquer : il avait déjà disparu.


    Adossé contre un mur, Rentarou attendait le retour de son camarade en se posant de nombreuses questions sur ce départ si précipité. Il observait en même temps Tyro qui représentait un spectacle à lui tout seul. Très agacé de patienter sans en connaitre la raison, le jeune homme se défoulait dans tout cet espace à courir et à réaliser toutes sortes de mouvements de gymnastique, ceux que Rentarou détestait au plus haut point. Amusé par son ami, il se plaisait à le regarder et à se distraire ainsi. Par ailleurs, le lycéen géant ne se trouvait pas être seul à en profiter. Son regard avait remarqué déjà plusieurs têtes aux fenêtres de couloirs et de salles de classe aux différents étages du bâtiment des cours qui se dressait en face d'eux.


    - Tyro adore vraiment faire l'idiot, sourit Seiichi en fermant un instant les yeux.


    Rentarou tressaillit d'entendre à côté de lui, à quelques centimètres de distance seulement, la voix de son voisin droit de classe. Il recula d'un pas et pivota qu'un quart sur lui-même pour découvrir le jeune ninja adossé contre le mur du bâtiment administratif. Celui-ci tourna alors la tête dans sa direction et lui renvoya un sourire.


    - Je ne m'habituerais jamais à tes trucs de ninja, grogna Rentarou.


    - Il ne faut pas dire jamais, Rentarou, renchérit Seiichi d'un fin sourire, ses yeux bleus océan

    pétillant de malice.

    Rentarou préféra ne pas insister. Il appela Tyro qui fut ravi du retour de leur ami commun. Seiichi leur présenta une raquette qu'il était parti chercher dans sa chambre et proposa de montrer avec la définition exacte du lob au tennisman débutant comme il appela Rentarou. Tyro décida participer à l'exemple pendant que leur ami regarderait la démonstration dons son intégralité. Cependant ils n'eurent le temps ni de continuer cette conversation ni de réaliser leur idée.


    - SHIROMIYA SEIICHI !!!


    Alors que Seiichi et Tyro tournaient le dos aux bâtiments et ne comprenaient pas cette interpellation, Rentarou grimaça douloureusement. Il avait vu le danger arriver même s'il avait pensé qu'il ne s'agissait pas d'un.
    Les poings serrés, le regard étincelant de colère, la vice-présidente du conseil des étudiants fondit sur eux d'une foulée exemplaire.


    - Yoko-han ? fit Seiichi qui ne comprenait pas la situation pour une très rare fois.


    - Tu as enfreint le règlement, l'accusa Yoko avec sévérité.


    - Nous n'avons plus le droit d'être dans la cour ? Désolé. Je n'étais pas informé.


    En formulant cette hypothèse, il conserva une attitude et un timbre de voix posés et surpris. Pour la plupart des personnes, l'adolescent sembla sincèrement navré. Seuls ses deux meilleurs amis, qui connaissaient sa véritable nature, devinèrent facilement la moquerie dissimulée derrière. Tyro dut faire d'ailleurs de gros efforts pour ne pas pouffer de rire.


    - L'interdiction de se rendre à l'internat de huit à quatre heures existe depuis 2024, rétorqua t-elle férocement.


    - Ah oui ? Je ne suis pas si informé que toi sur le lycée.


    - Alors pourquoi tu es monté ? L'heure du midi ne fait pas exception !


    - Je ne suis pas monté, réfuta Seiichi d'un calme olympien. J'ai quitté l'internat ce matin vers sept heures, comme chaque matin, et je n'y suis pas retourné.


    - Menteur, s'exclama la jeune fille en pointant ensuite l'index droit sur la raquette que son interlocuteur tenait. Et ça ?


    - Je crois qu'il s'agit d'une raquette de tennis, répondit-il toujours très calme.


    - Il n'y a pas de club depuis trois semaines, rappela Yoko agacée. Tu n'as pas de raison de l'avoir.
    - Je la range toujours dans mon casier, mentit Seiichi d'un ton très convaincant.


    La jeune fille demeura silencieuse en fixant intensément le regard faussement innocent que jouait son interlocuteur. Finalement, elle se contenta de hausser les épaules et s'apprêta à repartir.


    - Ce n'est pas grave, annonça t-elle en retrouvant un peu de son calme. On règlera nos comptes à partir de la rentrée.


    - Pourquoi à la rentrée seulement ? s'étonna Tyro.


    Se trouvant dans la même classe que la vice-présidente, le jeune homme savait ô combien son ennemie ne lâchait jamais sa proie quand elle la tenait entre ses crocs. Pire qu'un chien avec un os !


    - Vous n'avez qu'à demander à votre petit camarade de vous expliquer, répliqua t-elle en lorgnant la masse de Rentarou et en insistant sur l'adjectif petit.


    - On n'a pas convenu ça, Yoko-chan, intervint Rentarou qui n'aima pas l'étrange changement de comportement de leur interlocutrice.


    - Tu as raison, reconnut Yoko. Mais j'ai réfléchi. Tu te fiches des punitions, même injustes, et de tous les traitements que tu subis. Tu acceptes tout sans broncher. Par contre …


    Yoko s'interrompit au milieu de sa phrase. Un large rictus machiavélique dévoila ses dents de devant. Elle reprit ensuite :


    - Par contre, tu possèdes une grande faiblesse : tu ne supportes pas de voir tes amis souffrir. Je présume que ce doit être encore plus dur s'il s'agit de tes meilleurs amis.


    - Tu n'oserais pas ! s'insurgea immédiatement Rentarou, devenu presque aussi pâle que Seiichi.


    - On dirait que ma théorie est correcte, se réjouit Yoko. On se voit à la rentrée alors ? Profitez bien de vos derniers moments de répit !


    Sur cette entrefaite, la vice-présidente s'éloigna d'eux en poussant un grand éclat de rire. Elle savoura pleinement la réaction de ce garçon qui l'avait humilié sept jours plus tôt.


    Silencieux, Rentarou était incapable de prononcer un seul mot. Il se sentait honteux, coupable et stupide. Le lycéen géant souhaita que la terre se mette à s'ouvrir en deux pour l'engloutir ou rétrécir suffisamment pour disparaître dans un trou de souris.


    Alors la sonnerie indiquant la reprise des cours de l'après-midi retentit, il demeura planté au milieu de la cour.


    Les premières années suivaient théoriquement un cours de Biologie le Lundi en première heure de l'après-midi. Cependant, en raison de l'incident survenu lors du voyage scolaire, ils se retrouvaient avec une heure supplémentaire de plus pour le déjeuner.


    Les Sanonis mirent à profit cela pour se rendre dans une des trois salles de détentes réservées exclusivement aux internes.


    Elles se situaient dans le bâtiment de vie scolaire, entre le réfectoire et l'infirmerie. Il s'agissait de trois pièces accessibles selon son année. Une était réservée aux premières, l'autre aux secondes et la dernière aux troisièmes. Chacune s'agençait de la même manière et contenait les mêmes objets, à savoir une dizaine de fauteuils, une télévision à écran plat incrustée au mur et cinq ou six tables avec des chaises pour s'y asseoir.


    - Les internes ont sacrément de la chance, s'exclama Tyro dont le premier réflexe en entrant fut de s'affaler dans un fauteuil.


    Si Rentarou ne fut pas d'humeur à relever, trop préoccupé par ses soucis, Seiichi ne dit rien non plus. Ils s'installèrent eux aussi. Le lycéen géant leur raconta avec appréhension sa rencontre avec Yoko une semaine plus tôt et comment il l'avait contrainte à abandonner les charges contre lui. En évoquant ces sombres événements, il culpabilisa à nouveau de cette attitude mais surtout de la souffrance que ses amis allaient endurer par sa faute.


    - Je suis désolé, murmura t-il quand il eut achevé son récit.


    La tête complètement baissée, tassée le plus possible, il l'aurait probablement rentré à l'intérieur de son corps s'il pouvait imiter les tortues.


    - J'aurai trop aimé voir la tête de Yoko-chan, s'esclaffa Tyro.


    - Je comprends mieux sa réaction, dit Seiichi sans prêter attention à la réaction de Tyro. La personnalité de Yoko-han ne supporte pas les pertes de contrôle.


    Les mains posées sur les accoudoirs, l'adolescent aux cheveux ébènes se redressa et continua.


    - Yoko-han apprécie de tout contrôler sur sa vie et de l'environnement dans lequel elle évolue. Si un élément échappe à ce contrôle, cela la frustre et elle essaie de revenir à une position où elle se sent à nouveau forte.


    - Alors c'est ma faute, admit Rentarou, toujours replié sur lui-même.


    - Non. Tu t'es seulement défendu, réfuta Seiichi. Tout le monde a le droit de se défendre et d'utiliser les armes qu'il a dans ses mains.


    - Je lui ait fait du mal …


    - Il y a pire, nuança Tyro. Vous étiez seuls. Personne n'a assisté à la scène et tu n'as rien dit, même pas à nous deux. Or, je pense que tu lui aurais fait beaucoup plus de mal si tu avais agi ainsi.


    - Surtout que Yoko-han est aussi populaire qu'Onita, approuva Seiichi. La rumeur aurait rapidement fait le tour du lycée.


    - Peut-être …, concéda Rentarou. Il n'empêche qu'à cause de ça, vous êtes menacés par ma faute.


    - Je ne me sens pas trop concerné, l'informa Tyro d'un faible sourire. J'ai déjà des retenues jusqu'au 16 Septembre alors …


    - Je m'en fiche ! Je vais aller me dénoncer à Onita et le supplier de me punir. Ainsi Yoko-chan n'aura plus de raison de s'en prendre à vous


    Bougeant dans tous les sens dans son fauteuil, Tyro s'arrêta net et bascula sur la douce et chaude moquette blanche tant la décision de Rentarou lui parut tellement irréaliste.


    - Tu ne peux pas, l'arrêta Seiichi. Il sera capable de te punir le reste du mois.


    Au moment où le lycéen géant se leva, il se mit aussi debout et lui barra la route.


    - Je ne veux pas que vous subissiez des punitions injustes à cause de mes erreurs !


    - Si tu fais ça, tu ne pourras plus t'entrainer au tennis ! Et ton rêve de battre Saint-Christophe ?


    - Entre mon rêve et mes amis, je choisis de protéger mes amis ! Et puis, je pourrais retenter ma chance l'année prochaine pour battre Saint-Christophe. J'aurais même un an plus pour m'améliorer.


    - Ton rêve est important pour toi. Pour cette raison, je suis préparé à assumer toutes les conséquences qui en découlent.


    L'air très grave, presque solennel, Seiichi ne plaisantait pas. Jusqu'à présent, personne ne connaissait exactement la nature de sa véritable personnalité. Au-delà de l'aspect extérieur où il se plaisait à renvoyer soit une apparence de froideur soit une attitude de manipulateur, le jeune ninja portait au fond de son âme une incroyable qualité : une loyauté sans faille pour ses amis. Certes, le chemin pour acquérir son amitié s'avérait être long et pénible mais une fois parvenu au terme, il devenait un ami sur lequel on pouvait compter en n'importe quelle circonstance.


    - Tu es vraiment prêt à ça pour moi ? fit Rentarou d'une voix étranglée par l'émotion.


    Son meilleur ami lui répondit d'un court hochement positif de la tête, un léger sourire esquissé sur son beau visage. Entretemps, Tyro s'était redressé et les rejoignit.


    - Ne joue pas les types cools tout seul, lui reprocha t-il. Si Seiichi peut faire ça, moi aussi ! Après tout, ça ne me changera pas trop !


    - Il est vrai qu'il sera difficile pour toi d'obtenir plus de retenue, confirma Seiichi. A moins de t'obliger à les faire la nuit.


    Fortement ému par le sacrifice de ses deux amis pour son propre bien-être, Rentarou avait du mal à croire qu'il vivait réellement ce moment. Personne n'avait jamais manifesté une telle gentillesse à son égard. Personne.


    Une larme solitaire naquit quelque part derrière ses lunettes sombres. Elle coula lentement le long de sa joue et s'écrasa sur le sol. D'autres affluèrent et lui brouillèrent la vue.


    - Merci … , murmura t-il difficilement, la gorge nouée par l'émotion.


    Il ne se passa rien de notable jusqu'au jour fatidique du Mercredi 26 Juillet, date du commencement des examens de ce premier trimestre. Ce jour-là se révéla réellement différent.


    Pour cette occasion, l'auditorium du lycée avait été débarrassé de ses sièges en strapontin. A la place, plus d'une centaine de tables avaient été dressés en cinq rangées parfaitement alignés les une aux autres, destinés à accueillir tous les étudiants des six classes de première année.


    Rentarou s'interrogea sur les endroits où les autres étaient rassemblés mais se résolut à oublier sa question pour se concentrer sur ses examens. Il découvrirait la réponse d'ici un an ou deux.


    La matinée fut consacrée aux épreuves des matières obligatoires telles que le Japonais, les Mathématiques, l'Anglais, l'Histoire et la Géographie. La première débuta à sept heures et la dernière termina à midi. Chacune se constitua d'un QCM d'une cinquantaine de questions à laquelle il fallait répondre en cochant la bonne réponse.


    Aucun questionnaire ne posa de réels problèmes à Rentarou. Il se surprit même en Anglais à comprendre parfaitement les questions et approximativement le texte. Le lycéen géant adressa un remerciement mental chaleureux à l'intention de l'adolescent aux cheveux ébènes qui l'avait aidé à compenser ses lacunes et espéra avoir été aussi efficace à son égard.


    Après avoir usé leurs méninges pendant six heures consécutives, les étudiants obtinrent le droit à une heure de répit, le temps de déjeuner. La grande majorité resta en petits groupes dans la cour à manger un sandwich et à s'échanger leurs impressions de la matinée. Les Sanonis s'installèrent près des distributeurs mais oublièrent vite les examens pour se concentrer sur le récit de Tyro qui raconta une anecdote familiale amusante s'étant produite la veille au soir.


    Malheureusement, le temps se trouvait être un personnage fort sadique. Il semblait lui plaire d'accélérer les moments de plaisir et de bonheur et de ralentir ceux de tristesse, de souffrance et d'ennui. Les étudiants durent retrouver très vite l'auditorium pour le commencement des épreuves de cours optionnels.


    Les deux premières heures furent consacrées à la Chimie et à la Biologie. La première matière obligea Rentarou à rassembler tous ses souvenirs sur les plus petits détails évoqués lors des cours ce qui révéla particulièrement long et difficile, même avec sa mémoire pourtant si rapide à mémoriser et à retrouver les informations. La seconde matière fut heureusement plus simple. Elle se concentra uniquement sur l'anatomie humaine et n'aborda que peu de points compliqués. Il l'acheva donc en moins d'une demie-heure.


    A la suite de ces épreuves, beaucoup d'étudiants quittèrent la salle, dont Rentarou, car la prochaine portait sur la Littérature. Tyro était le seul Sanoni à suivre ce cours. L'intermède fut de courte durée. Il dut retourner une heure plus tard dans la salle alors que Tyro sortit. Au cours des trois heures suivantes, le lycéen géant subit les examens d'Economie, de Sciences Sociales et de Droit. Malgré tout, les sujets lui parurent très faciles. A part pour la première matière où il fallait effectuer toutes sortes d'opérations destinées à savoir si l'étudiant maitriser les outils de calcul pour mesurer la croissance, le reste se contenta de poser des questions sur des éléments abordés en classe.


    Lorsqu'il posa son stylo pour la dernière fois, il dut aussi résister pour ne pas s'écrouler sur la table. Il se leva lentement tant son dos et sa nuque le lancèrent. Cela pouvait être étrange mais ces douze heures d'examens avaient consommé davantage d'énergie qu'un match de tennis.


    Comme le Droit était la matière la moins étudiée au lycée, que seulement six premières années suivaient, il sortit tout seul dans la cour déserte et obscure. Les cinq autres sortirent par l'entrée située sur le devant pour rentrer à leur maison. Rentarou pressa le pas et traversa cette zone sombre et silencieuse puis gagna le réfectoire.


    En passant ce seuil, il ne prêta attention à personne et n'accorda aucun regard à la file d'attente qui patientait pour obtenir sa pitance. L'adolescent traversa directement la salle et rejoignit dans le fond une table pour deux à laquelle se trouvait Seiichi. Celui-ci avait déjà pris deux plateaux pour leur repas depuis peu. Le contenu des assiettes fumait encore.
    Tirant sa chaise, Rentarou se laissa tomber dessus et s'écroula sur la table d'épuisement. Il manqua de peu d'écraser sa tête dans les pâtes mais, grâce à sa surprenante rapidité, son meilleur ami écarta l'assiette de sa trajectoire.


    - Je suis mort, se plaignit Rentarou.


    - Tu as l'air très vivant pour un mort, s'amusa Seiichi en mangeant une bouchée de riz.


    Trop fatigué pour répondre quelque chose, l'adolescent ronchonna puis se redressa. Il regarda alors le plateau de son ami sur lequel reposait une assiette de poulet avec des pâtes, une autre de riz et poisson, une part de gâteau, une pomme et une banane.


    En saisissant ses baguettes pour prendre un morceau de poulet, Rentarou sourit. Seiichi connaissait vraiment très bien. Il n'aimait pas le poisson. Du moins, le lycéen géant l'avait aimé auparavant. Cependant les derniers mois précédant la rentrée, il avait vécu chez un homme qui en cuisinait à tous les repas, même au petit-déjeuner. En définitive, le garçon ne supportait plus de voir du poisson dans son assiette à moins d'être vraiment forcé à en consommer.


    - Tyro va bien ? s'informa Rentarou après avoir avalé quelques bouchées de pâtes.


    - Il allait bien quand il est sorti de son examen à quinze heures.


    - OK, j'ai compris, soupira Rentarou en buvant un peu d'eau. Tu l'as pourri en lui rappelant qu'il en avait encore deux à passer demain alors que nous avons terminé.


    - Il est encore plus facile de s'amuser avec lui qu'avec toi, se défendit Seiichi avec un léger sourire moqueur et les yeux pétillant de malice.


    En temps normal, il lui était déjà très difficile de lutter contre un adversaire comme le jeune ninja. Avec la fatigue accumulée tout au long de la journée, Rentarou préféra renoncer dès le départ.

     

    Après une bonne nuit de sommeil réparatrice au cours de laquelle Rentarou dormit plus douze heures, il se sentit à nouveau en pleine forme. le jeune homme aux cheveux de jais fut aussi déstabilisé d'être resté si longtemps endormi. D'ordinaire, il ne se reposait que quatre à six heures par nuit.


    Pendant que Tyro se préparait à son examen de Calligraphie pour onze heures, les deux Sanonis restant quittèrent l'enceinte du lycée pour trouver un court public libre et s'entrainer au tennis. L'adolescent aux cheveux ébènes aida Rentarou à maitriser davantage les techniques les plus élémentaires du jeu et ne cessa de s'étonner qu'il puisse les acquérir en moins de deux semaines.


    Les deux lycéens retournèrent à leur établissement pour le déjeuner qu'ils passèrent en compagnie Tyro mais aussi le reste de leur bande. Le groupe se sépara ensuite. La moitié avait encore un examen à passer en Informatique et devait impérativement rester au lycée. Par contre, Shintarou, malgré ses nombreux différents avec son voisin de chambre, accompagna Rentarou et Seiichi.


    Au début, les trois adolescents s'échauffèrent par une longue course pour se rendre au court public puis pratiquèrent quelques étirements sur place. Le petit rouquin défia le lycéen géant. Ce fut un match très intéressant du point de vue de Seiichi qui arbitra le match. Shintarou possédait un très bon niveau même si Rentarou parvenait à maitriser la quasi-totalité de ses coups. Par ailleurs, sa souplesse lui permettait de se replier et de sauter ou de rouler à terre pour arriver plus vite à l'endroit où se dirigeait la balle.


    A la fin de la journée, Tyro, Kou et Takaishi les rejoignirent, heureux et satisfaits d'avoir terminé enfin les examens. Shintarou proposa alors de jouer un match en double. Spontanément, Seiichi et Tyro décidèrent de se mettre ensemble. Le petit rouquin grimaça de cette perspective et proposa comme adversaires Kou et Takaishi.


    Arbitrant le match, Rentarou et Shintarou observèrent donc l'équipe de Seiichi et Tyro laminer totalement leurs adversaires. Rentarou nota que ses deux meilleurs amis lui parurent synchronisés. Dès qu'une balle jaillissait vers leur terrain, l'un partait dans une direction et l'autre à l'opposé afin de couvrir tout l'espace.


    - C'est un match génial, jubila le rouquin qui ne cessait de remuer sur le banc.


    - Il n'y a pas assez de tension, jugea le lycéen géant. Seiichi et Tyro dominent à 100%.


    - J'adore ça justement ! C'est une combinaison géniale, s'exclama Shintarou. C'est la manière dont une vraie équipe de double doit jouer !


    Si devant Seiichi ou Tyro, il s'autorisait à admettre ses faiblesses et ses lacunes de toutes sortes, Rentarou n'avait pas envie de les partager avec de simples amis. Certes, l'adolescent appréciait beaucoup la compagnie de Shintarou, toujours si gai et dynamique, mais pas suffisamment pour lui confier ses secrets les plus intimes. Ainsi il se tût. Il préféra rester silencieux et contempler la fin du match en attendant de demander plus tard des explications sur les doubles.


    La fin de la journée du lendemain marquait normalement le début des vacances d'été. Cependant très peu d'étudiants vinrent au lycée ce jour là. En raison des corrections des examens dont les résultats devaient être affichés au soir, les professeurs ne dispensèrent aucun cours.


    Parmi les rares à se trouver dans l'établissement, on pouvait compter sur la petite bande de Rentarou. Celui-ci avait bien proposé de sortir dans Tokyo pour jouer au tennis comme la veille mais Seiichi et Tyro l'en avaient dissuadé. Tous deux lui avaient expliqué qu'il devait reposer son corps en vu de la finale du tournoi préfectoral qui aurait lieu dans deux jours.
    Par conséquent, les six adolescents flânèrent sur le campus en cherchant un moyen de se distraire. Ils jouèrent pas mal aux cartes, discutèrent beaucoup mais surtout mangèrent. Leurs familles avaient donné à chacun ou presque des cadeaux pour ce jour. Takaishi avait reçu une grande boite de ses parents contenant de nombreux bonbons fruités, la mère de Kou lui avait offert une belle boite de manjus, Shintarou avait obtenu le jour même un gros colis rempli de pêches cultivées dans son village et enfin Tyro avait apporté un superbe gâteau au chocolat fourré avec de la vanille réalisé par sa mère.


    - On a fini toutes nos provisions, s'exclama Tyro en se laissant tomber dans l'herbe, repu.


    - Il reste encore pas mal de bonbons si vous voulez, proposa Takaishi.


    - Je ne peux plus rien avaler, déclara Shintarou dont la bouche et les joues étaient couvertes de jus de prunes.


    - On ne mangera rien ce soir, s'amusa Kou puis devint soucieux. Ce soir … C'est les vacances … Vous faites quoi pour les vacances ?


    - Je rentre à Yokohama chez mes parents, répondit immédiatement Takaishi. Ils sont impatients.


    - Moi, je saute dans l'avion dès que j'ai mes résultats, poursuivit Shintarou. Je ne passerais pas une minute de plus ici !


    - Tu n'es pas bien avec nous ? s'étonna Rentarou.


    - C'est génial d'être ensemble. Mais il fait trop chaud ! Il fait passer 35° depuis fin Juin ! râla t-il. Et maintenant, on est passé à 38° !


    - C'est une température très normale pourtant, fit Kou.


    - Sur Hokkaido, je peux me promener en tee-shirt, continua Shintarou en râlant toujours. Ici, j'ai plutôt envie de me foutre à poil tant je transpire !


    - Heureusement que tu ne suis pas toutes tes envies, songea Takaishi un peu effrayé par l'allusion.


    - Je comprends un peu, intervint Seiichi. Je supporte moi-même difficilement les fortes chaleurs. Pourtant, il fait aussi chaud à Kyoto qu'à Tokyo.


    - Il est vrai que nous, tokoïtes, avons l'habitude au climat humide et chaud de la ville, estima Tyro qui s'était redressé pour prendre part à la conversation.


    - Tu es le seul natif de Tokyo, Tyro, s'agaça Kou. Rentarou, Taka-chan et moi sommes de Yokohama.


    - Bah c'est pareil, fit Tyro en haussant les épaules avec nonchalance. Yokohama, c'est un peu la banlieue de Tokyo.


    - Absolument pas, s'insurgea Kou. Tokyo et Yokohama sont totalement différentes !


    Parfois, Rentarou pensait que les êtres humains étaient irrécupérables. Ils cherchaient sans cesse à se distinguer des uns des autres. Ceux-ci s'offusquaient si facilement si on les confondait. Il se demandait souvent pourquoi les gens n'essayaient pas voir leurs points communs au lieu de leurs différences. Ils s'en sortiraient grandis. Souvent, le jeune colosse avait honte d'appartenir à l'espèce humaine. Malgré tout, il en était un. Sauf que lui détestait les clivages.


    - Tyro, que fais-tu pour les vacances ? demanda t-il en élevant la voix pour se faire entendre.


    - Je reste à Tokyo, répondit celui-ci en se tournant vers son ami. Mon père travaille dans le réseau ferroviaire et il prend ses congés seulement aux vacances de printemps.


    - Ah oui ? fit Rentarou en se retournant ensuite vers Seiichi. Et toi, Seiichi ?


    - J'ai envoyé un courrier à mon père pour l'informer que je restais au lycée.


    - Génial ! Ca veut dire que les Sanonis restent ensemble pour les vacances !


    En disant cela, son corps traduisit son enthousiasme et sa joie. Il leva instinctivement les bras en guise de triomphe. Rentarou ressentit un profond bien-être à l'idée de passer un mois complet en compagnie de ses deux meilleurs amis. Être avec sa bande était amusant de temps en temps mais être avec Seiichi et Tyro tous les jours s'annonçait encore mieux.


    - C'est super, confirma à son tour Tyro lui aussi très satisfait par cette nouvelle.


    - Et toi, Kou ? Que vas-tu faire ? s'enquit Shintarou quand Rentarou se fut calmé et surtout eut réalisé qu'il pouvait assommer quelqu'un avec ses bras.


    - Ma mère et mon beau-père ont décidé d'aller à Izu quinze jours, répondit-il d'un air morne.


    - Trop cool ! Tu vas pouvoir mater les filles en allant à la plage, s'écria Tyro qui reçut une claque derrière la tête suite à ce commentaire de la part de l'adolescent aux cheveux ébènes. Ouille !


    - Il va bientôt être l'heure des résultats, songea Shintarou. Si on reprenait un bonbon histoire de se donner un peu de courage ?


    Sur ce, le rouquin se pencha pour prendre un bonbon dans la boite posée au milieu du groupe sauf qu'il lui fut impossible d'accomplir son objectif.


    - La boite est vide !


    - Mais elle était encore à moitié pleine tout à l'heure, s'étonna Takaishi.


    - Seiichi … , murmura Rentarou en jetant un bref regard à son ami.


    En reconnaissant son prénom, l'adolescent aux cheveux ébènes prit une expression d'innocence.


    - Taka-chan a dit que nous pouvions nous servir.


    - Tu avais encore assez faim pour tout avaler ? fit Kou interloqué.


    - Du moment que c'est comestible, il avale n'importe quoi en n'importe quelle quantité. Vous ne voyiez pas la montagne qu'il transporte sur son plateau aux repas, leur révéla Rentarou.


    - Ce n'est pas de ma faute si tu manges si peu, rétorqua Seiichi. Par ailleurs, je ne mange pas de tout. Si un aliment est recouvert de wasabi ou de vinaigre, cela me repousse complètement.


    - Donc il faut tremper tous nos aliments dans du wasabi pour les garder, comprit Shintarou.


    - Je préfère encore prendre le risque qu'ils soient dévorés par Seiichi, déclara Tyro qui ne supportait pas le goût des fortes épices.


    Sur ces entrefaites, la petite bande se releva plus ou moins rapidement. Ils prirent la direction de la cour puisque les résultats aux examens devaient être affichés au mur du bâtiment administratif. Le groupe traina un peu le long du chemin, flânant près de la forêt, s'arrêtant devant le large bassin, mais atteignit tant bien que mal leur objectif.


    Comme ils avaient beaucoup tardé pour venir, de nombreux étudiants étaient déjà venus et repartis. Cela n'était pas plus mal. Ils avaient toute la place pour eux six.


    - Tout juste, soupira de soulagement Kou en trouvant son nom par chance. 51% !


    - Comment on fait pour trouver son nom ? C'est classé en fonction des résultats et il ya tellement de noms, se plaignit Rentarou.


    - Tu vas du début d'une colonne et tu descends progressivement, conseilla Seiichi.


    - Moi je préfère commencer à la fin et remontrer progressivement, intervint Tyro. Oh non !
    A l'intonation de la voix indiquant une déception, Rentarou comprit que son ami avait échoué. Il alla voir et regarda le résultat que pointait l'index de Tyro.


    - Ah ouais … 34% …


    - Je suis quinzième, précisa Tyro abattu, en commençant par la fin.


    - Super ! Je suis cinquième ! cria subitement Shintarou en levant en l'air ses deux bras.


    - Cinquième ? répéta Seiichi un peu surpris en se tournant vers lui. Tu as combien ?


    - 92% ! claironna t-il en ayant du mal à rester en place. Je suis le meilleur !


    - J'ai 76%, annonça Takaishi en même temps. J'ai aussi le tien, Seiichi-kun.


    - Vraiment ? fit-il en consultant la partie montrée par son camarade. 84% … Ce n'est pas si mauvais avec les notes de Maths et de Chimie que j'ai dû avoir.


    Au milieu de ses amis, Rentarou cherchait encore ses résultats. Soudain une main qui lui tapa sur le bras droit l'arrêta. Il se retourna et découvrit Yoko avec étonnement.


    - Tu n'es pas encore venu ?


    - Non, je t'attendais. Tu as vu les tiens ?


    - Je cherche encore.


    - Tu devrais essayer la colonne la plus à droite, tout en bas, conseilla Yoko d'une voix sifflante. Mais attends un peu.


    Ne comprenant pas ses agissements, Rentarou se résolut à l'observer. Il la vit s'avancer vers le panneau et se rendre du côté le plus à gauche. Elle leva son doigt et le plaça sur le nom du premier étudiant du classement.


    - Essaie de deviner le nom là, minauda t-elle narquoise. Je vais t'aider. Il est composé en quatre kanjis. Le premier est celui du mot pin, le second de la rizière, le troisième de lointain et enfin le dernier est celui de l'enfant. Ca donne quoi ?


    Rentarou comprit finalement son but. Elle cherchait encore à lui faire payer le chantage qu'il lui avait fait en l'humiliant devant ses amis. Il s'apprêta à répondre le nom de la jeune fille dans l'espoir de l'apaiser mais Shintarou le prit de court.


    - Dommage qu'il y ait un kanji de plus, s'exclama l'espiègle rouquin.


    - Que veux-tu dire, Fujita-kun ? s'enquit Yoko en tiquant de cette intervention.


    - Eh bien, tu devrais vérifier le nom sous ton ton doigt, conseilla Shintarou de plus en plus amusé.
    Prise d'un doute qu'elle ne manifesta pas extérieurement, la jeune fille se retourna et lut le nom en tête de la longue liste.


    Si une météorite était tombée sur le lycée au même moment, elle n'aurait probablement pas été plus surprise …


    - Pas possible !


    Ce fut les seuls mots qu'elle était encore capable de prononcer.

     

     

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