• Chapitre 30


    Pendant la semaine où Tyro s'absenta, Rentarou et Seiichi ne firent pas grand chose, à part terminer leurs devoirs pour la rentrée. Ils flânèrent aussi un peu en ville et jouèrent au tennis.  


    - Tu as passé trop de temps au game center, lui reprocha Seiichi. De plus, le casque de simulation que tu veux toujours utiliser est le jeu le plus cher.


    - Mais ce jeu est génial, protesta Tyro. Tu peux sentir tes mouvements, les odeurs, même la douleur quand tu prends un coup … Tu as vraiment l'impression de vivre l'aventure !


    - Il n'y a pas que les jeux vidéos, émit Rentarou qui était assis contre un des distributeurs. Il y a forcément plein d'autres choses à faire !


    - Comme quoi ? Je n'ai même plus d'argent pour un hamburger, bougonna Tyro.


    - S'entrainer ou jouer un match, claironna Rentarou d'une voix forte.


    Le regard hagard, Tyro observa son ami puis se tourna vers Seiichi.


    - Il plaisante ?


    - Tu sais bien que Rentarou ne se moque jamais de nous. Pas le premier, en tout les cas.


    En acquiesçant d'un bref signe de tête, Tyro poussa un profond soupir.


    - Je suis battu … Ce type est encore plus accro que moi au tennis …


    Tandis que Seiichi se replongea dans le livre ouvert sur ses genoux, ses compagnons poussèrent chacun un soupir d'ennui. Tous deux cherchèrent vainement un moyen d'animer davantage leur journée. L'événement ne fut pas long à attendre mais ne releva pas de leur initiative personnelle.


    A quelques mètres de là, sortant du bâtiment administratif par la porte principale, la vice-présidente du conseil des étudiants remarqua leur présence. Elle fronça légèrement ses sourcils, serrant les livres qu'elle tenait sous le bras, et s'approcha d'eux d'une foulée rapide.


    - Vous n'avez rien de plus intelligent à faire ? leur reprocha la jeune fille. Errer sans but et rester assis sans rien faire ne mène nulle part !


    - On a fini nos devoirs, s'exclama Rentarou. On peut se reposer un peu.


    - Et on n'a plus d'argent, poursuivit Tyro en adoptant une attitude malheureuse. Alors on n'est obligés d'attendre et de réfléchir à un truc sympa à faire sans payer.


    - Eh bien, tu peux étudier, lui répliqua Yoko hautaine. Quand on a réussi les examens avec 61% de moyenne en les ayant passé deux fois, cela veut dire qu'on a beaucoup de lacunes à combler.


    Prenant ombrage de la réflexion de sa rivale, le regard de Tyro s'assombrit. Il se releva vivement du banc où il était préalablement assis et se posta en face d'elle.


    - Matsuda, fiche-moi la paix ! Le second trimestre commence dans quinze jours seulement ! Alors je n'ai pas à te supporter toi et tes foutus commentaires maintenant !


    Dès que le jeune homme eut commencé à s'énerver, Rentarou se leva aussitôt. De son côté, Seiichi referma son livre et l'imita.


    - Tyro, tu devrais te calmer, conseilla Rentarou en posant sa main sur son épaule, ou tu risques te dire des paroles que tu regretteras plus tard.


    - Il n'y a pas de danger, s'écria Tyro très remonté. Je pense sincèrement dès que je l'ai rencontré que Matsuda Yoko n'est qu'une prétentieuse, une égocentrique et qui se fiche bien des autres !


    - Ce n'est pas vrai, protesta Yoko outrée. Les activités que je fais au lycée sont pour permettre aux étudiants d'avoir un cadre plus serein ! Je travaille pour eux !


    - Ah ouais ? Tu ne sais pas alors ce que les autres élèves disent de toi ? Ils disent tous qu'ils te craignent ! Tout le monde a peur de toi et n'ose pas te demander quelque chose ! Tu es autoritaire et tu ne laisses personne décider !


    Baissant légèrement la tête, Rentarou se mordit les lèvres de ne pas avoir su empêcher Tyro. Il observa attentivement Yoko. A première vue, elle conservait son attitude stricte et défensive mais il remarqua qu'il s'agissait là d'une façade. Son regard avait repéré ses yeux fuyant légèrement et son corps tremblant quelque peu.


    - Ce que tu dis Tyro est injuste, intervint Seiichi en s'avançant vers le côté gauche de son ami.


    - Rentarou le pense aussi puisqu'il s'est enervé après elle, insista Tyro.


    - Ca n'a rien à voir, rétorqua Rentarou. De plus, je …


    - Ne vous fatiguez pas, l'interrompit Yoko d'une voix très froide. Je savais très bien ce qu'on pensait de moi et je m'en moque. A présent, si vous vouliez bien m'excuser, j'ai à faire.


    La jeune fille quitta rapidement les trois adolescents, en faisant de grandes enjambées, et s'éloigna en direction de l'allée qui menait à l'entrée du lycée.


    Absolument pas dupé de l'excellent jeu de comédienne de Yoko, Rentarou se dépêcha de la suivre. Dès le début de la scène, il l'avait regardé avec attention. En plus, des gestes indiquant son profond trouble, elle avait fait tomber ses livres sur le macadam. Le détail qui l'alertait résidait en le fait que la jeune fille ne les avait pas ramassé. L'adolescent se questionnait même si celle-ci avait remarquer leur chute. Or, jamais Matsuda Yoko ne ferait une pareille chose. Elle vouait un respect trop important aux livres et aux savoirs consignés à l'intérieur. Pour toutes ces raisons, Rentarou comprenait que les horribles mots de Tyro l'avaient affecté.


    De son côté, Seiichi avait donné une forte claque derrière la tête de Tyro, irrité par son comportement très peu mature.


    - Tu n'es vraiment qu'un idiot, Sakumai Takahiro.


    - J'ai juste dit la vérité, bougonna Tyro en se massant l'arrière du crâne.


    - Rentarou pourrait ne jamais te pardonner pour cette attitude déplorable, dit sévèrement Seiichi. N'as-tu toujours pas compris quelle genre de personne il est ?


    - Généreux, il pense toujours aux autres, déterminé, fort … , énuméra Tyro.


    - Il ne pense SEULEMENT aux autres, le coupa Seiichi. Il est toujours prêt à se sacrifier pour protéger quelqu'un et se révolte à la moindre parole méchante.


    Réalisant subitement toutes les méchancetés que contenaient son discours agressif de tout à l'heure, Tyro baissa la tête. Il se souvenait maintenant de nombreux exemples où leur ami commun était intervenu dans des affaires similaires.


    Timidement, il demanda :


    - Rentarou va m'en vouloir, tu crois ?


    - Tout dépend de toi. Rentarou est tolérant alors si tu montres que tu es sincèrement désolé de tes actes, il pourrait ne rien dire.


    Pendant ce temps, le lycéen géant courait après la piste de Yoko. S'il avait su tenir la distance jusqu'au portail, il l'avait perdu ensuite. Celle-ci avait grimpé sur le petit muret et sauté dans le parc attenant au lycée pour disparaître au milieu des arbres.


    S'aventurant dans ce petit parc, l'adolescent marcha d'un pas rapide pour couvrir suffisamment de distance. Il regretta de n'être jamais venu ici auparavant. Connaître les lieux l'aurait avantagé au lieu d'errer au hasard. Le lycéen géant traversa la parcelle couverte d'arbres dans laquelle il avait perdu Yoko et se retrouva sur un terrain de jeux où s'amusaient quelques petits enfants, surveillés de loin par leurs mères attentives. Il s'approcha d'une d'entre elles et la questionna pour savoir si celle-ci n'avait pas vu son amie. La jeune femme lui répondit positivement et lui indiqua la direction à suivre de la main. La remerciant poliment, Rentarou s'inclina légèrement et reprit sa route. Il marcha plusieurs mètres sur une allée jusqu'à apercevoir une tête dépassant d'un buisson. Il tourna donc les talons et partit voir. Le garçon découvrit Yoko assise contre le muret d'enceinte.


    - Qu'est que tu fais là ? l'attaqua t-elle agressivement en le voyant s'asseoir à ses côtés. Tu n'as pas entendu ton copain dire que j'étais égocentrique et prétentieuse ? Je n'ai besoin de personne !


    - Arrête cette comédie, l'incita Rentarou très calme. Ce qu'as t'as dit Tyro n'est ni juste ni correct et tu le sais. C'est vrai aussi que tu peux être énervante mais tu ne mérites pas non plus d'être traitée d'une manière aussi odieuse.


    - Je suis très bien toute seule, affirma Yoko en détournant la tête.


    - Tu n'es pas toute seule, riposta Rentarou. Parce que même si tout le lycée était réellement contre toi, je resterais de ton côté !


    Surprise par une telle déclaration, Yoko retourna rapidement sa tête vers son compagnon.


    - Parce que je t'admire beaucoup, poursuivit Rentarou. J'apprécie ta façon de protéger le règlement à n'importe prix et d'agir de manière juste pour l'ensemble des étudiants.


    Interdite, la jeune fille ne savait pas comment interpréter une telle confession. Pour beaucoup de filles de son âge, elles auraient pris cela pour une déclaration d'amour.

     

    Cependant, Yoko connaissait suffisamment le jeune homme aux cheveux de jais pour savoir qu'il se montrait très maladroit dans la formulation de ses sentiments personnels, surtout ceux au sujet de ses amis. De plus, la caucasienne avait appris un élément essentiel de la personnalité de ce curieux et intriguant jeune homme : il ne mentait jamais. Il lui arrivait très souvent de garder le silence pour ne blesser personne avec ses propos mais dès qu'il ouvrait la bouche, c'était pour dire la vérité. Il ne l'exprimait pas toujours clairement mais chaque phrase prononcée se voulait sincère.


    - Après tout ce que je t'ai fait ? J'ai toujours été sur ton dos et je te critiquais toujours.


    - C'est pourquoi tu es géniale pour moi, continua Rentarou. Quand je suis devenu populaire au lycée grâce à mon jeu au tennis, tout le monde m'a vu différemment et me traitait différemment alors que j'étais transparent jusque là. Mais toi, tu as continué à être comme toujours avec moi, à me rudoyer souvent.


    Contre toute attente, la jeune fille éclata de rire suite à cette explication.


    - Tu es vraiment unique, Satsuma-kun, dit-elle en souriant. Mais en même temps, j'apprécie ta sincérité et ton courage. Merci.


    Gêné, Rentarou rougit. Il regarda ailleurs, vers une petite fontaine où s'était posé un papillon, pour dissimuler son trouble. Le jeune homme se demanda ce qu'il pouvait ajouter pour rendre davantage heureuse sa compagne. Il n'eut guère à réfléchir. Tyro surgit quelques instants plus tard. Celui-ci se planta devant eux, le regard penché vers le dallage sous ses sandales en cuir.


    - Je suis désolé pour tout à l'heure de m'être conduit comme un idiot, murmura t-il dont la voix exprimait sa honte. Je ne voulais pas dire tout ça.


    - Mais tu l'as dit quand même, répliqua Yoko en redevant agressive, toujours blessée des mots que lui avaient dit précédemment ce garçon.


    Réagissant à ce conflit naissant, Rentarou étendit son bras et le posa sur l'épaule gauche de Yoko.


    - Je pense que tu devrais lui pardonner.


    - Pourquoi ? s'enquit-elle boudeuse.


    - Parce qu'il faut être très courageux pour venir s'excuser après avoir réalisé une erreur. De plus, il est normal de faire des erreurs. Nous, humains, faisons des erreurs et elles nous permettent de grandir et de nous améliorer. Aucune erreur n'est mauvaise si on en retire un enseignement.


    En silence, Yoko écouta le raisonnement de son compagnon, les yeux rivés vers lui.


    - De plus, le pardon est un acte important. Certes, je comprends que c'est dur à faire. Être blessé est dur. Cependant, à force de s'ignorer et de se blesser l'un l'autre, on souffre encore plus. Tu ne peux pas oublier réellement ce qui s'est passé mais en montrant à l'autre que tu essaies, il peut faire l'effort de le croire et de changer.


    Observant maintenant Tyro qui osait difficilement lever ses yeux des petites pierres carrées sur le sol, Yoko hésitait. Depuis que la jeune fille fréquentait quotidiennement cet accro du tennis, elle le supportait pas. Il ne cessait de la provoquer et de l'enquiquiner.


    Yoko se souvenait encore de la fois où au lieu d'effacer le tableau, il avait dessiné de longues oreilles d'âne dessus car elle s'était assise au bureau professoral pour surveiller leur classe en l'absence d'un professeur. Naturellement, il les avait placé de manière à ce que les élèves voient son oeuvre au-dessus de sa tête, par effet de perspective.


    Cependant, la jeune fille entendait encore le discours de Rentarou tourner dans sa tête. Sous ses airs discrets et timides, cet adolescent se révélait être un excellent orateur doté d'une bonne force de persuation. De plus, elle se sentait endettée envers lui. Malgré son attitude froide et sévère qu'elle avait eu envers lui tout le long du premier trimestre, il ne lui en tenait pas rigueur et continuait à la soutenir.


    Pour cette raison, Yoko se décida à accepter les excuses de Tyro.


    - Je te pardonne, Sakumai-kun.


    - Merci beaucoup, murmura Tyro sans relever sa tête. Dis, Yoko-chan, tu sais, je vais bientôt avoir mon argent de poche, alors si tu veux tu pourrais venir avec nous.


    - Tu … tu m'invites ? s'étonna t-elle. Et tes copains ? Ils ne diront rien ?


    - Moi, je serais ravi de passer du temps avec toi, intervint Rentarou, et je suis certain que Seiichi en serait heureux lui aussi.


    - J'y réfléchirais, éluda Yoko d'un mince sourire. J'y réfléchirai.

     

    Deux jours s'écoulèrent suite à ces derniers événements. La vie redevint à nouveau calme pour les étudiants en vacances.


    Suite à une panne de la climatisation du lycée, il leur était impossible de rester à l'intérieur des bâtiments, à moins de vouloir comprendre ce qui advenait au moment de la cuisson d'une pièce de viande dans un four. Yoko était aussi venue se réfugier dans la cour auprès des Sanonis.


    Alors que Tyro somnolait, allongé à plat ventre sur un banc, Seiichi et Yoko lisaient tous deux un livre. Seul Rentarou s'agitait au fond de la cour. Cependant aucun de ses amis n'avait envie de bouger sous cette chaleur pour se renseigner sur ses activités.


    - Je dirais qu'il joue à la balle, déclara Tyro. J'ai vu une balle tomber à terre !


    - Ne te fatigue pas, Tyro, conseilla Seiichi sans lever la tête de son ouvrage. Il va revenir ici pour boire et nous pourrons lui demander alors.


    - Il risque de faire un malaise avant, s'inquiéta Yoko en fixant la silhouette de leur camarade.
    - Rentarou faire un malaise ? ironisa Tyro. Il a joué six heures sous une telle chaleur lors de la finale ! Je crois qu'il n'en ressent pas les effets !


    Gardant pour elle sa curiosité et son envie de protester que le jeune lycéen géant n'était quand même pas invincible, Yoko se replongea dans sa lecture. La prédiction faite par Seiichi finit par se réaliser. Une heure plus tard environ, Rentarou revint vers eux et s'acheta une canette de soda. La jeune fille remarqua alors un détail qui l'intrigua à sa manière d'utiliser le distributeur.


    - N'es-tu pas droitier, Satsuma-kun ?


    - Si. Mais les habitudes sont faites pour être cassées, répondit-il malicieusement avant d'avaler une grande lapée de soda.


    - En parlant d'habitudes, qu'est que tu fais ? s'exclama Tyro en se redressant. Ce n'est pas un entrainement puisque tu n'as pas ta raquette !


    - Il y a différentes façons de s'entrainer, admit Rentarou en soulevant en même temps la visière de sa casquette noire qui lui tombait devant les yeux.


    - Et quel en est le but ? le questionna Seiichi en refermant délicatement son livre.


    Avant de répondre, le lycéen géant sortit une balle d'une poche de son short et joua de sa main gauche avec.


    - Je me suis souvenu de discussions avec Taka-chan, expliqua Rentarou. Comme j'ai beaucoup de mal à effectuer des lifts, mêmes plus simples et d'autres effets, j'ai décidé d'apprendre les lancers du base-ball et de les utiliser au moment de mes services.


    - Je vois le principe, affirma Tyro très sérieux, mais je ne comprends pas. Pour servir au tennis, tu dois tenir ta raquette de ta main droite et lancer ta balle de l'autre.


    - Sauf que Rentarou a appris récemment à utiliser de temps à autre à passer sa raquette rapidement à sa main gauche, rappela Seiichi. Pour compenser son revers pourri, entre autres.


    - Tu vas frapper de ta main gauche alors ? glapit Tyro.


    - Non, je ne pourrais pas, réfuta Rentarou. Je ne maitrise pas assez ma raquette de cette main-là.


    - Mais alors comment tu vas adapter ta nouvelle technique ? s'enquit Tyro extrêmement pensif.


    - Puisqu'il apprend des trajectoires, il le fait probablement avec sa main gauche. De cette manière, il ne sera pas désavantagé en plein match, intervint Yoko d'un ton imperturbable. Il pourra toujours lancer sa balle de la main gauche, qu'importe comment il le fera, et la frapper avec la droite.


    - Bravo, Yoko-chan, la félicita Rentarou assez surpris tout de même.


    - Cela explique que tu te serves de plus en plus de ta main gauche, poursuivit Yoko. Tu essaies d'amplifier sa sensibilité et de corriger ta dominance manuelle.


    Intrigués par cette soudaine participation de la jeune fille à une conversation sportive, Seiichi et Tyro tournèrent tous deux la tête vers elle.


    - Mais Satsuma-kun, tu es déjà très bon, reprit-elle. Pourquoi cherches-tu autant à t'améliorer ? De plus, tu as toujours dit que tu arrêterais le tennis après le lycée.


    - Justement avant ça, je veux savoir ce que je peux faire, confia Rentarou. Depuis que j'ai grandi de l'aspect d'une crevette à ce corps énorme, je sens que j'ai des pouvoirs importants en moi. Je peux exceller en plein de sports sans y avoir jamais joué auparavant et je dispose d'une force si incroyable que je dois toujours la doser. Alors avant la fin du lycée, je veux voir jusqu'où je suis capable d'aller et de savoir enfin si où sont mes limites et surtout si j'en ai.


    - Et moi j'ai une motivation aussi pour quand je terminerai le lycée, ajouta Tyro.


    - Qu'est que c'est ? s'enquit Seiichi se méfiant des idées de son ami.


    - M'améliorer moi aussi et devenir très fort pour battre Rentarou, proclama t-il avec fierté.


    - Essaie aussi de me battre, petit vermisseau, murmura Seiichi malicieux.


    - Mais Satsuma-kun, reprit Yoko soucieuse, tu n'es pas fatigué de t'entrainer sous une chaleur pareille ? Tu vas finir par être malade ou avoir une insolation.


    - Je me sens vraiment bien sous la chaleur. Quand à l'insolation, je porte toujours ma casquette et je bois beaucoup.


    - Ton teint de peau hâlée doit y être pour quelque chose, émit Seiichi.


    Intrigué par la réflexion de son camarade, Rentarou passa machinalement sa main sur sa peau légèrement brunie. Il n'y avait prêté attention mais sa peau aussi le différenciait du japonais moyen.


    Après réflexion, il réalisa les différences au niveau des visages de ses amis du sien. D'abord, Seiichi possédait le faciès le plus nippon qui soit : la peau très pale, de grands yeux bridés très rapprochés l'un de l'autre et le cheveu très noir. A l'opposé contraire, Yoko n'exprimait rien de sa nationalité. Ses yeux verts-gris très éloignés, sa peau blanche légèrement rose et ses cheveux châtains très clairs tirant sur le blond la faisait ressembler davantage à une occidentale. Enfin, Tyro avait de petits yeux bridés amandes et le teint du visage légèrement brun du à ses fréquentes expositions au soleil.


    Quant à lui, ses cheveux de jais demeuraient dans la norme japonaise. Tout comme derrière ses lunettes, ses yeux étaient eux aussi bridés, mais moins que ceux de ses deux meilleurs amis.


    - Tu crois ? interrogea Rentarou soucieux.


    - Comme j'ai déjà passé mes vacances sur l'ile de Kyushu, et d'autres îles environnantes, je sais que par là, les gens possèdent une peau moins blanche que sur les iles septentrionales de l'archipel. Cela s'explique parce que ces iles sont proches des tropiques et la peau de ces insulaires s'est adaptée pour se protéger de ce climat, exposa Seiichi.


    - Mais je suis né à Yokohama et j'ai toujours vécu là-bas, objecta Rentarou.


    - Sauf que dans tes ancêtres ont pu vivre là-bas, enchaina Tyro. Par la génétique, tu as hérité ainsi de leur endurance au soleil.


    - Et une nouvelle capacité de plus pour me marginaliser davantage, soupira Rentarou.


    Le lendemain matin, Tyro, qui avait reçu enfin son argent de poche mensuel, la veille au soir, avait déboulé tout excité au lycée pour retrouver ses amis. Après l'avoir laissé se calmer, les adolescents avaient accepté une sortie ensemble.


    En compagnie de Yoko, comme Tyro lui avait promis, les Sanonis se rendirent aux arcades. Au début, Rentarou craignit que la sortie ne lui plut pas. Après tout, c'était une fille et elle devait avoir des loisirs différents d'eux. Cependant à peine arrivée, celle-ci se précipita à la même vitesse que Tyro sur une machine pour jouer frénétiquement dessus.


    En s'éloignant vers un autre jeu, Rentarou songea qu'il se faisait trop de soucis pour les autres. Si leur amie n'aurait pas apprécié les jeux vidéos, elle l'aurais dit.


    Après quelques parties de Tetris, il eut envie de se dégourdir un peu les jambes. L'adolescent marcha à travers la salle où il se trouvait et rentra dans la suivante. Sortant lui aussi d'une partie, Seiichi se releva et aperçut son meilleur ami. Il alla vers lui. Tous deux décidèrent de retrouver leurs deux autres compagnons. Ils s'aventurèrent au bout de la pièce où Rentarou repéra un étrange appareil.


    Se plantant devant, l'adolescent observa les peluches au fond du bac derrière la vitre de l'engin. Il nota aussi la présence de pinces.


    - Seiichi, c'est aussi un jeu ça ?


    - Oui, tu dois attraper une des peluches, expliqua Seiichi. Tu pilotes la pince, tu saisis une peluche et tu la remontes puis la déposes dans le bac.


    - Ca a l'air compliqué, estima Rentarou très intéressé. J'essaie !


    Glissant quelques pièces d'un Yen dans la fente de l'appareil, le jeune homme se saisit des manettes. Il descendit lentement le petit grappin. Il prit au hasard une peluche de louveteau et l'amarra solidement avec sa pince. Ses doigts la remontèrent en douceur puis la déplacèrent jusqu'à atteindre le bac d'arrivée.


    Au même moment, Seiichi, qui s'était agenouillé là où devait sortir la peluche, avait ouvert son sac à dos et fourra le jouet dedans rapidement, après avoir adressé un regard attendri dessus.


    - Tu as vu ça ? J'ai réussi ! s'enthousiasma Rentarou.


    - Oui, c'était une très belle prise, confirma Seiichi en serrant les bretelles de son sac, déjà redressé.


    A la suite de cet intermède, les deux lycéens sortirent de la salle et se rendirent jusqu'à celle réservée aux jeux de simulations. Ils se doutèrent que Tyro devait être encore en train de s'amuser avec ce casque le projetant dans un monde virtuel.


    En arrivant dans la pièce, ils remarquèrent justement deux joueurs, chacun à une dizaine de mètres de distance, portant un lourd casque jaune ressemblant un peu à celui d'un casque de moto sauf que la visière était noire. Soudain un puissant cri de victoire retentit :


    - Génial ! Je t'ai encore écrasé ! hurla la voix de Yoko étouffée.


    Retirant vivement son casque, la jeune fille apparut, les cheveux totalement en broussailles, très excitée par la partie et son score.


    - Je suis la meilleure ! Je l'ai explosé ! Laminé !


    A l'autre bout, Tyro retira lui aussi son casque mais de manière beaucoup plus modeste et surtout dans un silence complet.


    - Tyro qui prend une raclée à son jeu favori, s'esclaffa Rentarou.


    - Avec cela, il voudra jouer davantage pour s'améliorer, fit Seiichi très amusé aussi.


    A la suite de cinq défaites très humiliantes pour son ego, Tyro décida qu'ils avaient assez joué et proposa de quitter les lieux. Il suggéra d'aller manger des hamburgers et déclara même accepter de payer les parts de tout le monde. Rentarou et Seiichi frôlèrent presque la crise cardiaque d'entendre une telle affirmation dans la bouche de leur ami.


    Attablés à l'intérieur d'un fastfood devant plusieurs hamburgers et des frites, les jeunes gens les dévorèrent rapidement et apprécièrent leurs saveurs.


    - Tu es sacrément forte, Yoko-chan, reconnut Rentarou. Tyro est très dur à battre.


    - Je n'ai pas de mérite, se défendit-elle. A la maison, nous avons quatre casques et plusieurs jeux. Je joue souvent avec mon père et mes deux petits frères.


    Ahuri, la bouche que Tyro venait d'ouvrir pour avaler son hamburger resta grande ouverte.


    - Tu possèdes cette console en plusieurs exemplaires ? s'écria t-il, halluciné.


    - Oui, nos parents nous l'ont offerte à sa sortie il y a six ans, approuva Yoko. On a ensuite racheté deux casques au fur à mesure que mes frères ont pu jouer aussi.


    - Ouais … Une console coûte actuellement  30O.000 yens, déplora Tyro en éprouvant une pointe de jalousie. 1.000.000 quand elle est sortie.


    - Eh ? Autant ? T'es parents doivent être riches, Yoko-chan, s'exclama Rentarou.


    - Eh bien, ils ont certains moyens, éluda t-elle peu encline à aborder le sujet.


    - Et que font-ils ? s'intéressa Seiichi.


    - Ma mère est femme au foyer et mon père retraité.


    - Retraité ? Mais ils ont quel âge tes parents ? questionna Tyro interloqué.


    - Ma mère a exactement trente ans et mon père a fêté récemment ses trente-trois ans.


    Ni Seiichi ni Tyro ne parvinrent plus à comprendre. Seul Rentarou ne montra pas de réaction. Il se contenta tranquillement d'aspirer avec sa paille son coca puis releva la tête.


    - Normal puisque son père est un ancien sportif, intervint-il. Les sportifs arrêtent leur carrière tôt.
     

    Surpris, ses deux meilleurs amis se retournèrent vers lui.


    - Et certainement un joueur de tennis, poursuivit-il d'un petit sourire.


    - Comment peux-tu savoir ça ? s'enquit Seiichi perplexe.


    - J'ai toujours trouvé étrange certaines choses avec Yoko-chan. Quand on parle d'un sport au lycée, pas mal de monde ne comprend pas s'il ne le pratique pas. Or, j'ai remarqué que chaque fois où nous parlions de tennis devant Yoko-chan, elle ne disait rien. Comme si elle comprenait.


    - Très impressionnant, Satsuma-kun, reconnut Yoko.


    - Eh bien, je veux être policier alors être observateur et savoir déduire est important.


    - Mais ton père était célèbre ? s'intéressa Tyro.


    - Non, je ne crois pas, fit Yoko. Il a arrêté très jeune.


    - Dommage, soupira Tyro. J'aimerais pouvoir rencontrer un champion de tennis, même un ancien.


    - A la place, tu n'as qu'à travailler pour en devenir un, lui dit Rentarou en lui donnant une légère bourrade au coude.

     

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