• Chapitre 31


    Le lendemain qui suivit cette journée aux arcades de jeux vidéos, Rentarou se réveilla aussi normalement qu'à l'accoutumée. En prenant des habits propres de son armoire, son regard se porta machinalement sur le calendrier pendu au mur. Il nota alors qu'il ne restait plus que dix jours seulement de vacances.


    Exprimant son désarroi d'une moue évidente, il regretta que le temps eut filé si vite. Lors de ce premier trimestre, le lycéen géant avait eu l'impression que les quatre mois le composant avaient duré chacun bien plus que trente jours. Comment ce mois de vacances avait pu s'écouler aussi vite ? Il lui semblait être encore qu'à son commencement.


    Ses habits sous le bras, Rentarou quitta sa chambre en chassant les ombres de la rentrée prochaine de son esprit et se dorigea vers la salle de bains. Il se lava rapidement et descendit prendre son petit-déjeuner.


    Comme tous les jours, il partit s'entrainer au tennis à la fin de son repas. Aujourd'hui, le lycéen géant s'entraina avec sa raquette. Il se rendit dans une des salles adjacentes aux vestiaires du club et alluma une des machines à balles. Le jeune colosse plaça sa raquette dans sa main gauche et débuta la séance.


    Lors de sa conversation au sujet de ses entrainements, Rentarou n'avait rien dit à ses amis. En vérité, il cherchait à utiliser le mieux possible son bras gauche. Certes, l'adolescent parvenait à l'utiliser pour atteindre plus facilement une balle de ce côté ou contrer un revers. Malheureusement, la précision et la force se perdaient beaucoup avec ce membre dont n'avait pas pour habitude d'utiliser à cette tâche. Or, l'analyse de son dernier match, celui contre Kimura, lui avait permis de mettre en évidence ce défaut. Pour cette raison, il comptait faire travailler les muscles de son bras gauche afin d'obtenir les mêmes effets que celui de droite.


    Après le déjeuner, Rentarou et Seiichi proposèrent à Yoko de venir avec eux pour retrouver Tyro. Celle-ci accepta. Les trois adolescents retrouvèrent le dernier du groupe dans le quartier de Shinjuku, non loin des arcades où ils jouaient régulièrement. Toutefois, celui-ci arborait une mine très contrariée. Il cognait également son pied contre un mur de manière répétée.


    - Si tu dégrades ce mur, tu auras des ennuis, signala Yoko d'un ton sévère.


    - N'es-tu pas au game center ? s'intrigua Seiichi.


    - Y a pas de gamer center aujourd'hui ! explosa Tyro. Ils ont une maintenance !


    - Oh ! Une journée sans jouer, ça doit être dur, se moqua Rentarou. Tu vas tenir ?


    Boudeur, Tyro se renfrogna. Il s'accroupit, recroquevillé sur lui-même.


    - Mes amis ne me soutiennent même pas dans cet horrible drame !


    Écoutant à moitié les plaintes et les railleries, Yoko s'essuya son front dégoulinant de sueur. Elle leva la tête en direction du ciel et fixa ce chaud soleil qui brillait là-haut. La jeune fille détestait l'été japonais. Le climat devenait beaucoup trop chaud et le taux d'humidité très élevé empirait la sensation de chaleur.


    Si seulement elle pouvait se rafraichir en plongeant dans une étendue d'eau …


    En y réfléchissant, cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait pas nagé. Au moins, un an, lors des vacances d'été quand elle était encore en seconde année de collège. Dans sa région d'origine, il s'agissait de l'unique période pour se baigner dans une eau de mer suffisament chaude.


    - Puisque nous ne pouvons pas jouer, allons à la piscine, proposa Yoko.


    A peine eut-elle dit sa suggestion que Tyro se releva à nouveau plein d'énergie.


    - Je suis partant, s'écria t-il. Je vais tous vous battre ! Ah ah ah !


    Seiichi accepta lui aussi la proposition. Il donna également une petite tape à l'arrière de la tête de Tyro pour le rappeler à l'ordre. Seul Rentarou ne dit rien, très pensif. L'adolescent aux cheveux ébènes le remarqua et s'informa.


    - Cela ne va pas, Rentarou ?


    - Je … euh … la piscine, c'est bien un endroit avec de l'eau, c'est ça ?


    Tout en confirmant cette affirmation, Seiichi retint un soupir et une de ses sempiternelles plaisanteries. Son camarade se montrait peut-être très brillant en de nombreux domaines scolaires et sportifs mais dans les pratiques de la vie de tous les jours, il se révélait parfois proche de l'autisme.


    Honteux du pitoyable mensonge qu'il venait de sortir, Rentarou se désolait de passer pour un idiot aux yeux de ses proches amis. Il ne savait vraiment pas mentir mais s'interdisait dans cette situation de dire la dire la vérité. Sa fierté l'empêchait d'avouer de ne pas maitriser une chose aussi élémentaire dont n'importe quel clampin était capable. Tous les enfants apprenaient la natation à l'école élémentaire et il n'avait pas la moindre envie de se l'entendre dire.


    - Allons chercher nos affaires et retrouvons-nous à la piscine, décida Tyro.


    - Et quelle piscine ? fit Seiichi en arrêtant son ami qui partait déjà.


    - Euh … Je ne sais pas !


    Yoko soupira bruyamment. Décidément ce Sakumai Takahiro ne pensait pas à rien du tout.


    - J'ai entendu dire que la piscine de Nerima était très agréable, les informa t-elle. En plus, c'est aussi près du lycée que de la maison de Tyro.


    - Je l'ai aussi entendu de Kawamura-han, approuva Seiichi. Puisque ce point est décidé, allons-y.


    Le groupe se sépara. Tyro rentra chez lui et les trois autres au lycée. Rapidement, chacun rassembla ses affaires de bain dans un sac. Seul Rentarou ne partagea aucune joie à cette tâche. Il se demanda quel stratagème employer pour ne pas dévoiler son inaptitude à la natation.


    Les quatre adolescents se retrouvèrent à la piscine de l'arrondissement de Nerima. Ils payèrent leurs tickets d'entrée puis Yoko quitta ses compagnons pour se rendre au vestiaire féminin. De leur côté, les Sanonis partirent vers celui réservé aux hommes.


    Sans se soucier de se montrer nus, Rentarou et Tyro se dévêtirent près des bancs, juste à côté des casiers pour laisser ses affaires. Tous deux placèrent chacun leurs habits dans une petite caisse en osier destinée à cet usage.


    - Où est Seiichi ? demanda Tyro en s'asseyant sur un banc.


    - Certainement dans une cabine, répondit Rentarou. Il se déshabille toujours hors des regards.


    - Au club, je comprends qu'il puisse être gêné car il ne connait pas bien les gens. Mais toi et lui êtes internes. Vous devez vous voir souvent nus.


    Rentarou ne réagit pas à cette dernière phrase assez ambiguë. Il avait l'habitude du franc langage de son ami. Il se montrait toujours si direct et impulsif qu'il en oubliait de réfléchir avant de prendre la parole. En fait, sa langue entrait en action avant son cerveau. De quoi, étayer la théorie de Seiichi qui appréciait de proclamer que leur ami commun était dépourvu d'organe cérébral.


    - Je ne me douche jamais avec Seiichi. Il s'arrange pour être seul dans la salle de bains.


    - C'est étrange …


    Haussant les épaules, Rentarou ne voyait pas en quoi cela pouvait être étrange. Cependant, il avait appris à ne plus se poser de questions au sujet de Tyro.


    - Fous-lui la paix. Seiichi fait ce qu'il veut.


    A cette réplique, Tyro bondit comme si un clou du banc l'avait subitement piqué.


    - Rentarou, entre hommes, la complicité des vestiaires est un acte symbolique de virilité ! C'est une tradition ! On ne peut pas faire sans ! s'offusqua Tyro.


    Renonçant à toute tentative, Rentarou s'assit. Un instant plus tard, Seiichi vint retrouver les deux garçons. Le lycéen géant fut surpris de le voir porter une combinaison noire, soit un maillot de bain prisé davantage par les femmes.


    - Seiichi, j'ai un truc à te demander, s'exclama Tyro joyeusement en le voyant arriver.


    - Qu'est-ce que c'est ?


    - Quand on sortira, tu es d'accord qu'on se déshabille toi et moi ? Bien sur, après on prend une douche ensemble ! D'accord ?


    Totalement dépassé par l'incroyable bêtise dont faisait preuve le jeune tennisman, Rentarou se couvrit intégralement le visage de ses deux larges mains. Arquant un sourcil, Seiichi chercha à comprendre l'idée exacte qui venait de passer par la tête de son imbécile d'ami. Seul Tyro, qui pensait s'être montré clair sur ses motivations, demeura serein.


    Après avoir surmonté son sentiment de honte, Rentarou se répugna à expliquer à Seiichi leur conversation et à répéter les paroles de Tyro. Affligé, celui-ci distribua une grande claque derrière la tête de Tyro.


    Lorsque ses amis proposèrent finalement de rejoindre Yoko, un signal de panique s'alluma dans l'esprit de Rentarou. En essayant de paraître naturel, il fit semblant de chercher quelque chose dans le petit panier où ses affaires étaient rangées et prétexta ne pas retrouver son portefeuille. L'adolescent prétendit l'avoir probablement oublié à l'entrée et leur conseilla de partir devant sans l'attendre. Il promit de les rejoindre rapidement.


    Pour tromper ses amis, Rentarou se dirigea avec une certaine hâte vers le couloir d'entrée séparant les vestiaires masculin du hall d'entrée de la piscine. Toutefois, il ne sortit jamais de cet emplacement. Grâce aux fins rideaux en toile cirée empêchant de distinguer les gens en train de se déshabiller depuis l'entrée, le jeune homme aux cheveux de jais pouvait demeurer là sans être remarqué par ses compagnons.


    En entendant les cris lointains de Tyro, le lycéen géant comprit qu'il pouvait revenir dans les vestiaires. Il se réjouit en cet instant que son ami soit si expressif et dynamique. Le jeune colosse arpenta longuement les vestiaires jusqu'à parvenir aux douches.


    Pensif, Rentarou se demanda comment occuper son temps pendant que ses amis se baignaient et s'amusaient. Par ailleurs, ceux-ci s'étonneraient s'ils le voyaient sec. Les yeux posés vers l'un des pommeaux de douche, le problème ne lui parut pas insurmontable. En s'arrosant, il serait assez mouillé pour feindre être allé nager et prétendre ne pas avoir su les retrouver.


    Après s'être avancé vers la douche la plus proche et avoir actionné le bouton pour faire couler l'eau, il recula immédiatement. Le liquide qui tomba sur lui l'ébouillanta presque ! Certes, l'adolescent appréciait les douches chaudes. Mais certainement pas si la température équivalait à celle d'un sauna ! En réfléchissant à nouveau à la manière d'occuper son temps, Rentarou entendit un bruit sourd venant de derrière lui. Il partit inspecter d'où cela provenait et découvrit un agent d'entretien occupé à nettoyer le sol Muni de son aspirateur, l'homme traquait la moindre poussière.


    Revenant vers les douches d'un pas lent, l'adolescent se sentit piégé. Cet homme d'entretien risquait fort de s'apercevoir de sa présence. Il pouvait aussi renseigner ses amis si par un malencontreux hasard ceux-ci commençaient à s'inquièter de son sort et se décidaient à le chercher.


    Rentarou n'avait donc plus le choix.


    Fataliste, il se résigna et entra au cœur de l'arène.


    A première vue, l'endroit paraissait très agréable. Sur la gauche était implanté un large et profond bassin où évoluait librement les nageurs. Quelques plongeoirs, plus ou moins hauts, étaient disposés sur l'un de ses côtés. Enfin, un long toboggan serpentuesque complétait l'installation. A droite, un bassin plus étroit était aménagé dans lequel se dressait ostensiblement des amusements pour les jeunes enfants.


    De plus en plus gêné, Rentarou éprouva la désagréable impression d'être observé de tous les côtés à la fois. Il se dépêcha d'entrer dans l'eau et de s'asseoir sur l'une des marches de l'escalier permettant de descendre dans le petit bain. Le lycéen géant fit aussi une chose qu'il n'avait encore jamais faite : il retira ses lunettes noires de son nez. L'adolescent ferma aussi ses yeux en en serrant son précieux bien entre ses mains.


    Pendant ce temps, ses amis s'amusaient beaucoup dans le grand bassin. Après avoir rejoint leur amie qui avait déjà effectué plusieurs longueurs, Tyro s'était mis en tête de la battre. Malheureusement pour le jeune homme, sa rivale se révélait être invincible dans l'eau. Après avoir réalisé une vingtaine d'allers-retours dans cette piscine aux dimensions olympiques, celui-ci ne disposait plus d'assez d'énergie pour poursuivre. Au contraire, la caucasienne ne ressentait pas la moindre once de fatigue. Quant à Seiichi, il ne s'épuisait pas à nager autant. L'adolescent aux cheveux ébènes se plaisait à s'allonger sur le dos et se laisser dériver au gré de l'eau. Parfois, il lui arrivait de plonger et de se déplacer sous l'eau pour attaquer un de ses deux amis. S'il parvenait toujours à avoir Tyro, Yoko lui échappait à chacune de ses tentatives.


    - Rentarou n'est toujours pas là, s'inquiéta Seiichi qui leva la tête autour du bassin une énième fois.


    - Tu penses qu'il a eu un malaise ? fit Yoko soucieuse.


    - Rentarou ne fait pas de malaise, protesta Tyro.


    - Allons voir, décida Seiichi.


    Joignant le geste à la parole, le jeune ninja nagea rapidement jusqu'à la berge. Il se hissa à la force des bras et se remit debout. Derrière lui, Yoko et Tyro arrivèrent. Le garçon, bon dernier, commença à être épuisé. Ils firent le tour des lieux quand la jeune fille remarqua une présence dans le petit bassin. Tous trois s'y avancèrent et descendirent le petit escalier.


    - Rentarou ?


    Son corps tressaillit d'entendre la voix soucieuse de Seiichi. Il déglutit difficilement puis mit rapidement ses lunettes de soleil avant de rouvrir les yeux.


    - Désolé, murmura t-il en baissant la tête.


    - As-tu un problème, Satsuma-kun ? s'informa Yoko inquiète.


    Rentarou hésita longuement. Cette incapacité pitoyable lui brûla la gorge.


    - Je … je ne sais pas nager, finit-il par avouer sans regarder ses amis.


    - Oh ? C'est tout ? s'exclama Tyro en riant. Moi, je m'attendais à un truc plus grave !


    - Vous … vous ne vous moquez pas de moi ?


    - Il y a quelqu'un qui m'a dit que se montrer condescendant envers les autres et se moquer de leur niveau n'était pas correct, rappela Yoko. Alors pourquoi agirait-on d'une telle manière ?


    Gardant la tête baissée, il ne put s'empêcher de sourire d'entendre son amie lui énoncer la leçon qu'il lui avait si souvent faite.


    - Je n'aime pas être remarqué. Autant je n'aime pas que les gens parlent de moi quand je suis fort, je n'aime pas non plus avoir des faiblesses.


    - Si tu veux, je peux t'enseigner comment nager, lui proposa Yoko.


    - Fais attention. Si tu lui apprends ça, il te battra ensuite, intervint Tyro.


    - Ca m'étonnera qu'il puisse en être capable avant un moment, répliqua Yoko en haussant les épaules avec désinvolture.

     

    Pendant que Seiichi et Tyro se reposèrent dans cette étendue d'eau de faible profondeur, Yoko enseigna à leur ami les rudiments de la natation. A sa surprise, son élève se montra très doué pour comprendre les différents gestes à faire et à les réutiliser. En vérité, la mémoire de Rentarou reposait sur un seul principe très simple : l'observation. Il lui suffisait d'utiliser ce formidable don pour analyser les différents mouvements de sa compagne et de détailler précisement les membres utilisés pour accomplir une action. Il ne lui restait plus ensuite qu'à reproduire ce schéma. Pour le moment, le jeune homme aux cheveux de jais se déplaçait encore très lentement mais Yoko ne douta pas qu'à ce rythme, il maitriserait bientôt la brasse.


    - Tu n'as jamais été dans l'eau ? s'étonna Yoko.


    - Non, c'est la première fois que je nage.


    - Rentarou est incroyable, hein ? s'exclama Tyro en nageant vers eux. Il ne sait pas faire un truc, il observe celui qui le fait et il devient capable de le faire !


    - Comme un enfant.


    La réflexion dite sur un ton tranquille les intrigua. Ils se retournèrent vers l'adolescent aux cheveux ébènes qui flottait nonchalamment sur son dos.


    - De sept à treize ans, approximativement, le corps des enfants s'adaptent à de multiples activités et ils sont capables d'apprendre beaucoup de choses facilement. Généralement, les enfants sont comparés à des éponges pour cette capacité étonnante à intérioriser des savoirs si aisément.


    - Rentarou n'est plus un enfant, objecta Tyro. C'est un lycéen, comme nous !


    - A quinze ans passé, nous sommes tous adolescents, approuva Yoko.


    - Sauf que Rentarou ne les a pas encore, poursuivit Seiichi d'un ton toujours calme. Je suis né le 2 Janvier 2035, mon frère est né le 24 Décembre 2035 et Rentarou m'a dit être né un 11 Novembre mais de l'année 2036.


    Il marqua une courte pause pour laisser les esprits ingérer cette information et reprit.


    - Malgré le fait qu'il soit né la même année que moi, mon frère a un an d'écart avec moi. Cela veut dire qu'il aura seulement quatorze ans en fin d'année.


    La réaction de Yoko et Tyro ne tarda pas :


    - TU N'AS QUE TREIZE ANS ?


    La tête tournée vers Rentarou qui se baissait pour s'immerger le plus possible, le jeune homme aux cheveux de jais éprouvait des sentiments contradictoires vis à vis de Seiichi. Il était d'abord très impressionné de la pertinence de son analyse des données maisse sentait aussi en colère contre lui de dévoiler des informations personnelles sur lui. Cela remontait un peu trop vers son sombre passé.


    D'une mine sombre, Tyro alla se réfugier sur les marches de l'escalier.


    - Un mètre quatre-vingt à treize ans, marmonna t-il d'une voix forte. Mais que vais-je devenir ? Je suis un nain ! C'est pas juste !


    - Mais comment peux-tu être au lycée ? s'intrigua Yoko. Je croyais que le Japon interdisait la pratique de sauter des classes.


    - J'ai suivi des cours particuliers. Peut être que cela a compté, émit Rentarou.


    Il se détesta pour mentir à ses amis en toute occasion sur des sujets si importants.

     

    L'adolescent feignait ne pas comprendre les rouages du système mais connaissait parfaitement la raison de pourquoi il avait pu intégrer le lycée si tôt. Sans le témoignage de Yushima justifiant le fait de l'isoler rapidement de son quartier d'origine, le jeune colosse ne serait pas ici. Il s'ennuierait sans nulle doute dans un quelconque collège public de Yokohama. Il aurait peut-être même refait des bêtises.


    Quand le groupe commença à avoir froid dans l'eau, ils décidèrent de sortir. Les adolescents retournèrent dans les vestiaires. Si Seiichi et Tyro apprécièrent la douche très chaude, Rentarou l'ignora. Il partit s'essuyer et se rhabiller directement. Tyro vint le rejoindre rapidement tandis que Seiichi se changea une fois encore dans une des cabines individuelles.
    Après s'être séchés et vêtus, Rentarou et Seiichi abandonnèrent sur les lieux leur ami pour retrouver Yoko dans le hall d'entrée. Celui-ci s'entêtait à refaire sa splendide coiffure, comme il le disait, et aucun des deux ne voulut laisser leur amie seule dans le hall. Avant de sortir, le jeune ninja revêtit une veste bleue foncée.


    Lorsque Tyro sortit enfin des vestiaires, ses cheveux correctement dressés en de longues et multiples piques sur la tête, les adolescents décidèrent de manger une glace ou une pâtisserie à la cafétéria de la piscine.


    La cafétéria de la piscine se révélait assez petite. Seules quelques tables étaient disponibles, toutes alignées près d'une grande baie vitrée où il pouvait être possible d'observer les nageurs du grand bassin évoluer dedans, cinq ou six mètres plus bas.


    Seiichi se distingua une nouvelle fois à prendre six pâtisseries et une crème glacée, incapable de se limiter à un choix unique. Seule Yoko s'interloqua. Ses deux meilleurs amis ne s'étonnaient plus de l'incroyable capacité de celui-ci à avaler tout aliment qui puisse s'avérer comestible. Par ailleurs, le secret dont ils avaient connaissance leur permettait de mieux comprendre la raison de cette pratique.


    - Délicieux, s'écria Tyro. La glace au chocolat et à la vanille est la meilleure !


    Extrêmement pensif, le regard de Rentarou se plongeait dans son pancake au chocolat sans essayer de le manger. Il ne cessait de réfléchir à la conversation de tout à l'heure. Le lycéen géant se reprochait encore une fois de mentir à ses amis si proches de lui.
    Il voulait leur dire …


    Mais …


    Il avait peur de leur réaction.


    - Ca ne va pas, Satsuma-kun ? s'inquiéta Yoko en levant ses yeux après avoir terminé son milkshake à la fraise.


    Par habitude, le jeune homme aux cheveux de jais s'apprêta à répondre qu'il allait bien. Cependant il s'arrêta et se décida à avouer enfin la vérité.


    - Non, je suis un menteur … , dit-il d'une voix très basse.


    - Qu'est que tu veux dire ? s'étonna Tyro en tournant la tête rapidement.


    Hésitant encore, Rentarou s'interrogea par où commencer toute son histoire. Il se résolut à faire simple : une histoire débutait avec un commencement.


    - J'avais huit ans, quand kaasan est partie … Enfin quand elle n'a plus pu s'occuper de moi et de ma petite sœur, les services sociaux sont intervenus. Ils ont emmené en premier ma petite sœur. C'était plus facile avec elle de trouver une place dans un orphelinat. A quatre ans, un enfant est plus facile à gérer.


    Si Seiichi ne montra pas la moindre réaction, Yoko et Tyro plaquèrent avec effroi leur main contre leur bouche. Aucun d'eux n'arriva à s'imaginer séparés de ses frères et sœurs, surtout sans leurs parents.


    - Quand ma petite sœur est partie, c'est comme si je n'étais plus rien. Plus rien ne comptait. Plus rien n'avait d'importance. J'ai coulé peu à peu …


    Au fur et à mesure qu'il parlait, les souvenirs remontaient à sa mémoire. Il se rappelait notamment avoir essayé de se tuer un jour en se sautant du haut d'un pont au-dessus d'une autoroute très fréquentée. Renarou n'arrivait plus à se remémorer exactement ce qui l'avait retenu. Toutefois, il se refusait à évoquer ce moment. L'adolescent ne voulait pas passer pour une victime et se considérait davantage comme un coupable.


    - Moi qui détestait mon père, j'ai souhaité être comme lui … Je pensais que s'il s'en sortait en vivant injustement alors je pourrais moi aussi vivre longtemps … J'ai commencé à rejeter les valeurs enseignées par kaasan … Je volais pour moi, pour ma survie.


    Rentarou s'interrompit un court instant. Voler pour survivre n'était pas le pire des actes. Cela, tout le monde pourrait l'excuser et le pardonner. Il avait commis pire, beaucoup pire.
    - J'étais rancunier. Je voulais être fort. Je voulais dominer tout le monde. Dans les rues, j'attaquais fréquemment d'autres mecs. Des gens qui avaient aussi envie que moi de se taper dessus pour affirmer leur supériorité.


    Il marqua encore une pause pour reprendre sa respiration. Les lointains souvenirs qui remontaient lentement à la surface à un à un lui donnèrent l'impression d'étouffer. Comme s'il se noyait dedans.


    - Quand j'avais personne sous la main, je défonçais n'importe quoi. Une poubelle, un réverbère … Tant que ça soulageait ma douleur, ça allait.


    Avec hésitation, Rentarou s'apprêta à rentrer dans la partie la plus horrible. Il n'osa plus du tout capter le regard de ses amis.


    - A l'époque, j'avais dix ans, je crois, malgré mon petit gabarit, je mettais à terre n'importe qui tellement j'étais enragé quand je me battais. Un chef de gang m'a repéré un jour et a commencé à me demander de l'aider. J'ai accepté. J'avais même pas conscience de faire mal. J'étais juste satisfait d'être reconnu pour mes mérites. J'ai aidé alors à m'introduire dans des banques ou des commerces grâce ma petite taille. J'ai aidé aussi à renforcer leurs plans grâce à mon intelligence.


    En énumérant tous ces faits, il ressentait tellement de honte qu'il voulait vomir. Il se dégoûtait tellement d'avoir participé à des manigances si sombres.


    - Un jour, un jeune policier est venu me trouver …


    - Yushima-sempai ? devina Tyro.


    Sans regarder son ami, Rentarou confirma d'un faible signe de tête.


    - Comme les policiers étaient toujours à notre recherche, je m'apprêtais à fuir. Cependant il m'a dit qu'il ne m'arrêterait pas. Il m'a fait réaliser que cette vie que je menais était pleine d'illusions et je n'aurais rien ainsi. Je me suis alors rappelé de kaasan. J'ai compris qu'elle serait blessée de voir que j'étais devenu un criminel. Cela m'a pris longtemps à l'admettre.


    Il marqua encore une pause et inspira longuement.


    - Finalement je suis allé me rendre à la police comme a dit Yushima-sempai. Dès qu'il a su que j'étais là, il est venu et ne m'a plus lâché depuis. Il s'est battu avec sa hiérarchie pour me permettre de vivre normalement. Il a peut-être réussi mais je ne sais pas à quel prix. En échange d'une amnistie totale, j'ai du confesser le nom de toutes les personnes que je connaissais ayant commis un crime, même les plus infimes, et dire les lieux où les arrêter.


    - Tu as été complètement blanchi ? l'interrogea Yoko.


    - Oui. Après, Yushima-sempai m'a emmené chez lui où j'ai suivi des cours par correspondance pour rattraper mon retard scolaire.


    - C'est pour cette raison que tu es déjà au lycée ? supposa Yoko. Pour te placer à un niveau d'études plus dur où tu es obligé de travailler plus que tu l'aurais fait au collège ?


    - Ouais. Désolé de vous avoir caché tout ça, s'excusa t-il en gardant la tête baissée.


    - Mais tu n'as pas à être désolé, objecta Tyro jovialement. Avoir un secret est le droit de tout le monde et seul toi peut décider qui mérite ou non de le savoir, qu'importe le lien que tu entretiens avec tes amis. Et si tes amis ne respectent pas ça, alors ils ne méritent pas d'être tes amis.


    - Tyro … , murmura Rentarou en redressant la tête.


    Comme à son habitude, l'insouciant adolescent toujours très décontracté se révélait d'une maturité plus importante qu'il ne laissait le supporter extérieurement.


    - Et puis la justice t'a innocenté, sourit Yoko. Cela veut dire que tu n'es coupable de rien, non ?


    - Être déclaré innocent n'enlève pas le poids de ta conscience, déplora Rentarou.


    En prononçant ses paroles, il se tourna vers l'adolescent assis à côté de lui. Depuis qu'ils s'étaient tous assis, Seiichi n'avait pas prononcé un seul mot. Le lycéen géant se demandait ce qu'il pensait de lui maintenant. Rentarou se sentait soulagé par les réactions de Tyro et Yoko.
    Cependant celles de Seiichi comptaient beaucoup plus pour lui.


    - Seiichi, qu'en penses-tu ?


    Comme s'il n'avait rien entendu, l'adolescent aux cheveux ébènes porta la main à sa bouche pour bailler puis étira ses deux bras. Il dit finalement :


    - Est-il l'heure de partir ?


    Rentarou fut muet de stupeur. Il ne put croire que son meilleur ami n'avait rien suivi. Il ne s'imagina pas non plus refaire sa confession.


    - Tu … tu n'as rien entendu ? bégaya t-il.


    - Si, évidemment, répondit l'adolescent avec un ton très tranquille.


    - Alors ? Tu n'as rien à en dire ? s'inquiéta Rentarou.


    - Je m'en fiche.


    - Comment ça tu t'en fiches ?


    - Satsuma Rentarou est Satsuma Rentarou, reprit Seiichi un peu plus énergiquement. Tu es mon ami et il n'y a rien qui puisse changer cet état des choses. Qu'importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras.


    En silence, Rentarou écouta et savoura intérieurement les mots exprimés par son meilleur ami.


    - Il faut toujours que Seiichi se la joue cool, se plaignit Tyro, un brin admiratif.


    Sans manifester aucun signe extérieur, le jeune ninja se sentait heureux de cette situation. Il connaissait depuis si longtemps le passé de son ami mais avait toujours souhaité la version sortie de sa propre bouche. Néanmons, le jeune ninja ne lui dirait jamais en avoir eu connaissance auparavant à cause de sa promesse envers le petit Nobu. Suite à sa gaffe, le petit collégien lui avait demandé de garder le secret.


    - Si nous sommes toujours amis, reprit Yoko en souriant, cela veut dire que nous pouvons encore faire des choses ensemble ?


    - Oui, évidemment, approuva Rentarou.


    - Alors essaie de nous parler de ce qui t'ennuie plus tôt au lieu de te tourmenter, conseilla t-elle.


    - Oui, j'essayerais, s'engagea t-il dont ses joues rosirent légèrement.


    - Que faisons-nous ensuite ? demanda Seiichi. Je m'ennuie.


    - Je dois rentrer moi, annonça Yoko. Et si nous allions à la plage demain ?


    - Oh ouais ! Trop génial, s'écria Tyro enthousiaste.


    - J'aimerais beaucoup y aller aussi, approuva Rentarou qui n'avait jamais vu la mer.


    - Donc demain nous irons à la plage, conclut Seiichi. Espérons qu'il fasse beau.

     


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