• Chapitre 36


    Lors de la matinée du lendemain, Shintarou suivait ses camarades de classe en silence derrière eux en revenant de leur séance d'Education Physique. Il ne se comportait pas normalement et demeurait parfaitement silencieux, la tête baissée, le regard balayant les carrelages sous ses baskets.


    Lors des exercices de gymnastique, le petit rouquin ne s'était pas distingué une seule fois. En fait, si. Malheureusement de manière négative. Il n'avait cessé de s'emmêler dans ses figures et positions et s'était cassé la figure à chaque tentative.


    Malgré les rires et les plaisanteries qui fusaient autour de lui, il ne s'en souciait pas. Une chose plus importante occupait toute sa place dans son esprit et l'empêchait de de se concentrer sur ses activités quotidiennes et d'être aussi jovial qu'à l'accoutumée.


    Quand Shintarou arriva à la salle de classe de Japonais, il s'installa à sa place et sortit ses affaires en pilote automatique mais n'écouta pas le cours. Le jeune homme ne prit même pas la peine d'ouvrir son manuel, son bloc-note ou son livre d'étude et se contenta d'attendre avec ennui la fin du cours en soutenant sa tête avec ses mains.


    Comme le rouquin se trouvait au second rang, la professeur Noda repéra son manège et se fâcha après lui. Il ne lâcha aucun trait d'humour et obtempéra docilement. Le garçon ouvrit son livre et prit son stylo pour écrire. Toutefois, il n'écrivit jamais rien sur son bloc.


    A l'heure du déjeuner, Shintarou évita Seiichi en sortant rapidement de la salle et alla au réfectoire. Après avoir attendu une vingtaine de minutes pour ne pas prendre qu'un bol de riz, il partit s'asseoir à une table isolée. D'habitude très gourmand, le garçon ne se jeta pas sur sa nourriture et demeura extrêmement pensif à la contempler, les mains entre sa tête.


    - Puis-je m'asseoir ?


    Levant à peine les yeux, Shintarou vit la silhouette de l'adolescent aux cheveux ébènes poser un plateau très chargé sur la table puis tirer la chaise devant lui et s'y asseoir.


    - Pourquoi demander ? Tu le fais de toi-même.


    Seiichi tiqua. Le ton utilisé par son condisciple pour sa répartie était si faible et peu convaincant que son inquiétude se renforça.


    - Qu'est qui ne va pas ?


    - Ca va … , marmonna son interlocuteur.


    En disant ces deux mots, il posa ses bras sur la table et lova sa tête à l'intérieur pour empêcher Seiichi d'observer son visage et d'analyser ses émotions.


    - Fujita, tu ne vas pas bien du tout, insista Seiichi. Tu as échoué à tous les exercices ce matin, tu n'as pas plaisanté une fois, tu n'as rien écouté des cours et tu fuis jusqu'ici tes amis.

     

    - Pourquoi ?


    Shintarou ne prononça pas une seule parole en retour. Il conserva sa tête enfouie. Les seuls bruits que Seiichi perçut et qui l'alerta, ce fut des reniflements et des sanglots étouffés.


    - Shin … , tu pleures ?


    Brusquement, le rouquin redressa la tête lentement. Son visage n'était pas beau à voir. Ses yeux avaient rougis à cause de ses larmes. Son nez gouttait aussi. Il pleurait encore un peu.


    - Shi … Shiromiya … Tu en penses quoi, toi ?


    - Dis-moi déjà ce qui te met dans un tel état et je te répondrais.


    - Le départ de Rentarou …


    - Attends ! Rentarou n'est pas parti ! Il n'est pas mort non plus que je sache !


    Sans s'en rendre compte, l'adolescent aux cheveux ébènes cria cette réplique tant cette idée le révulsait. Les autres étudiants mangeant dans le réfectoire se retournèrent pour les suivre momentanément du regard mais aucun des deux garçons n'y prêta attention.


    - Tu n'as pas compris encore ?


    - Rentarou n'abandonne pas ses amis ! Il ne nous lâcherait jamais !


    - Et comment tu expliques le carton qui était devant sa porte ?


    Seiichi ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Il se souvint lui aussi de ce carton et des affaires que celui-ci contenait.


    - Sa porte était fermée …


    Il n'ajouta toujours rien. Le jeune ninja se rappela parfaitement avoir frappé longtemps à cette fameuse porte. Assez longtemps pour faire venir Onita et récolter une retenue.


    - Et il n'est pas venu en cours ….


    Seiichi resta toujours silencieux. Toutes ces choses inhabituelles relevées par Shintarou le troublaient aussi. Cependant il gardait confiance en son meilleur ami. Le jeune ninja savait à quel type de personne était Satsuma Rentarou. Jamais celui-ci partirait en laissant ses amis derrière, surtout sans rien dire auparavant.


    - Je pense qu'il est plutôt blessé.


    En y réfléchissant attentivement, Seiichi était convaincu de la validité de son argument. Son meilleur ami gardait toujours tout en lui, surtout ce qui lui faisait mal. Se replier dans sa chambre ou dans un lieu inaccesible des autres se révélait son habitude la plus courante quand il souffrait.


    - Blessé ? répéta Shintarou en arquant un sourcil. Il faut aller à l'infirmerie alors !


    - Ce n'est pas physique, soupira Seiichi. Je pense qu'il a subi un coup moral hier soir. J'ignore malheureusement de quoi il s'agit.


    Contractant ses poings, Shintarou se fâcha et se releva :


    - Tu dis n'importe quoi ! Je dis qu'il est parti ! Il ne reviendra pas, idiot !


    Aveuglé par la colère, le petit rouquin ne laissa pas le temps à son condisciple de l'apaiser ou de le contredire, il partit en courant. Seiichi l'observa s'éloigna, le regard triste. Il se demanda à nouveau ce qui était arrivé à Rentarou.


    - Tu déjeunes seul, Seiichi-kun ? C'est devenu rare.


    Émergeant de ses pensées, il leva la tête et aperçut Yoko tenant son plateau près de lui. Après lui avoir demandé la permission de s'installer à sa table, elle s'assit.


    - Satsuma-kun va bien ? demanda t-elle inquiète.


    - Aucune idée. Il n'est pas venu en cours ce matin.


    - Je vois. C'est sans doute lié à ce qui s'est passé hier.


    Seiichi se figea complètement en entendant cette phrase. Il se souvint que Rentarou était très gai la dernière fois qu'il l'avait vu à la bibliothèque. Cela signifiait qu'un événement grave s'était produit ensuite. Un événement dont la jeune fille avait eu connaissance.


    - Yoko-chan, que s'est-il passé exactement ?


    Seiichi ne le remarqua pas mais sa voix tremblait.


    - Il est venu à mon bureau hier soir. Il était très nerveux et agité. Il n'était vraiment pas dans son état normal. Il m'a demandé des informations sur un étudiant qui vient de changer d'école : Matsuda Katsuo. En lui confirmant cette nouvelle, il semblait encore plus mal.


    Quand il entendit le nom de Matsuda, l'adolescent aux cheveux ébènes crut sentir son cœur s'arrêter. Sa bouche resta entrouverte quelques instants.


    - Cela explique tout … , murmura t-il d'un air sombre.


    - Qu'est qui arrive à Satsuma-kun ? exigea Yoko.


    - Il n'est pas venu en cours ce matin. Personne ne l'a vu.


    - Il est peut-être à l'infirmerie ? Tu es allé voir ?


    - Il n'y sera pas. Je suis convaincu qu'il est dans sa chambre.


    Repliant la tête comme s'il voulait la rentrer dans son cou comme les tortues, Seiichi ressentit une profonde tristesse pour son ami. C'était tellement injuste ! Rentarou était la personne vivant le plus purement et croyant pieusement en des mots tels que justice ou égalité en ce monde égoïste. Il ne méritait un pareil sort.


    - Pourquoi penses tu ça ? Seiichi-kun, dis-moi la vérité !


    Par son éducation rigide, le jeune ninja avait appris à ne rien craindre et surtout à ne pas manifester sa peur. Cependant il pensa, à ce moment précis, que son amie en colère représentait une menace aussi effrayante que les épreuves de son père.


    - Matsuda Katsuo est l'ami d'enfance de Rentarou. Ils ont grandi et joué ensemble jusqu'à ce que Rentarou quitte l'école. Il lui a aussi appris le tennis.


    Yoko écouta silencieusement les informations que lui donnait son ami. Son visage exprima la tristesse et la compassion ressenties pour le lycéen géant.


    - Je pense même qu'il a été le seul ami que Rentarou n'ait jamais eu avant de venir dans ce lycée et de nous rencontrer.


    - Je comprends mieux pourquoi il était ainsi, admit Yoko avant de lever ses yeux vers Seiichi. Et toi, comment te sens-tu ?


    - Je vais bien, répondit-il d'un ton acerbe. C'est Rentarou qui ne va pas bien ! Pas moi !


    - Non, tu ne vas pas bien, Seiichi-kun, réfuta t-elle. Je me sens moi-même un peu abattu … Mais toi, tu es son meilleur ami ! Tu es forcément beaucoup plus touché, surtout que tu ne peux rien faire du tout pour l'aider.


    Le regard de Seiichi se durcit en entendant ces dernières paroles. Le jeune homme abattit ses poings serrés sur la table et fit sauter le plateau posé dessus.


    - Merci de me rappeler que je suis inutile !


    A cet instant, le jeune ninja avait adopté son intonation masculine la plus véhémente. Il se leva ensuite promptement et quitta le réfectoire. Yoko le regarda s'éloigner d'un regard triste. Elle posa sa main contre sa tête et maudit très fort son besoin constant de faire la leçon aux autres.


    Je suis une idiote. La dernière chose que Seiichi-kun a besoin en ce moment est de le lui rappeler son impuissance. Après tout, Satsuma-kun passe son temps à aider tout le monde. Ce doit être horriblement frustrant de ne pas pouvoir l'aider quand lui en a besoin. Quelle idiote !

     

    ***



    En premier, les cils de ses paupières se relevèrent. Celles-ci s'ouvrirent progressivement et aperçurent un plafond blanc au-dessus de lui. l'espace instant, il chercha à se souvenir de sa locvalisation. En pivotant sa tête d'un quart de tour, le jeune homme aux cheveux de jais découvrit qu'il se trouvait dans sa chambre.


    En s'asseyant au bord du lit, Rentarou se rappelait difficilement comment il était rentré. Vaguement, très vaguement, des réminiscences, de courts flashs, s'imposaient dans son esprit, où il se voyait marcher sans but dans la ville sous une forte pluie. La main posée sur son crâne, l'adolescent éprouvait une sensation similaire à celles que procuraient un excès de boissons alcoolisées.


    Ses yeux balayèrent rapidement l'ensemble de la pièce. Il remarqua que les tiroirs de sa commode étaient ouverts. Deux étaient vides. Également, les différents posters collés sur les murs représentant des tennismen célèbres avaient été arraché sauvageusement.


    En pivotant vers la tête de lit, ses souvenirs revinrent brutalement d'un coup. Il se souvint, à cet emplacement, avoir punaisé une affiche de Rafael Nadal, le joueur qu'il admirait le plus. Rentarou pensa immédiatement au tennis. Aussitôt, le souvenir d'avoir jeté toutes ses affaires liées à ce sport le submergea.


    En remontant sur son lit, l'adolescent se recroquevilla en boule. Il serra ses mains autour de ses jambes très fort. Le jeune homme ne voulait plus jamais jouer au tennis. Ni en entendre parler. Plus jamais !


    Son corps entier trembla. Penser au tennis lui remettait en mémoire sa conversation d'hier avec Matsuda. Il se sentait tellement trahi et humilié. Rentarou admettait parfois se comporter comme un enfant. Ses amis le lui faisaient remarquer. Mais son cerveau était particulièrement curieux. Tout ce que l'adolescent ne connaissait pas encore, il voulait le découvrir et posait sans cesse des questions jusqu'à comprendre parfaitement sur le sujet qui l'intéressait. Le jeune colosse savait aussi que ses idées sur la justice étaient très controversées. Peu de personne les approuvait. En fait, tout le monde s'en moquait. Il lui semblait agir de manière juste et normale. Néanmoins, les autres pensaient que ses agissements ne correspondaient pas à la normalité telle qu'ils la concevaient. Ils s'interrogeaient alors longtemps sur les raisons le poussant à commettre telle action.


    Comme un enfant …


    Cette phrase … Ces trois petits mots … Ils provoquaient un chamboulement sans pareil dans son esprit. Était-ce si mal d'agir comme un enfant ? A ses yeux, Rentarou trouvait cela magnifique de rester fidèle aux idées et valeurs reçues au cours de son enfance et de les porter avec fierté.


    Mais peut-être se trompait-il ? Peut-être sa manière de pensée était-elle trop enfantine …
    Vers sept heures, plusieurs coups frappèrent contre le bois de la porte. Il perçut aussi la voix de son ami roux au-delà mais ne lui répondit pas. Le lycéen géant demeura parfaitement silencieux et laissa penser avoir quitté sa chambre.


    Lorsque Shintarou cessa de cogner, grâce à l'intervention d'Onita qui en avait assez d'entendre un tel raffut selon ses propres termes, Rentarou se laissa retomber sur son matelas sans amortir sa chute.


    Autrefois, le jeune colosse aurait accouru pour répondre à un de ses amis. A présent, le jeune homme n'avait plus envie de voir personne. Son esprit restait obnubilé par Matsuda et ses paroles. Si LUI le trahissait et LUI causait une douleur aussi importante, il ne voulait plus voir personne. Rentarou ne voulait plus prendre le risque de souffrir encore. Cela faisait beaucoup trop mal.


    Fermant les yeux, sa mémoire le ramena en arrière. Dix années plus tôt …

     

     

    ***

     

    Pour la première fois de sa courte vie, Rentarou ne passait pas les vacances d'été avec sa mère en ville. Cette année, son école avait organisé un séjour de trois semaines. Sur la brochure distribuée aux parents, la proposition était très alléchante. Le concept consistait à envoyer les enfants au bord de la mer au lieu de les laisser s'ennuyer un mois complet sur le macadam de leur quartier ou devant la télévision.


    Cependant Rentarou était différent. Il aurait préféré rester en ville. S'amuser était exclu pour lui. Il n'avait, bien sur, rien dit à sa mère pour ne pas la peiner, ni l'inquiéter.


    Il restait donc tranquillement assis dans un coin de la cour et lisait sagement un gros livre de contes que sa mère lui avait offert. Évidemment, l'ouvrage était écrit avec des hiraganas et non avec les si difficiles kanjis. L'enfant se passionnait pour les récits lus et plongeait dedans avec avidité.


    Le troisième jour du séjour, une voix aiguë et forte le tira de la lecture :


    - Hey, toi !


    Redressant la tête, le petit aperçut en face de lui un garçon beaucoup plus grand et âgé que lui. Il le reconnaissait. C'était un élève appartenant à la cour de l'autre côté du mur. C'est à dire de l'école élémentaire. Comme beaucoup d'enfants de sa maternelle, il grimpait parfois dessus, quand les institutrices se trouvaient ailleurs, et observait ces grands enfants.


    Rentarou avait déjà remarqué que ce garçon-là était l'un des plus jeunes de l'école mais cela ne l'empêchait pas de se faire respecter. Il se plaisait aussi à intervenir si un élève était maltraité par un plus fort que lui. Parfois, ce jeune héros escaladait aussi le mur et passait dans la cour de la maternelle quand ses oreilles entendaient des cris venant de cette direction. Il défendait ceux qui pleuraient, les consolait et faisait la leçon à leur bourreau.


    Pour toutes ces raisons, Rentarou admirait ce garçon. Il rêvait de devenir un jour aussi grand, fort, généreux et attentionné que son héros.


    - Qui y a t-il ? demanda t-il d'une petite voix.


    - Je me demandais pourquoi tu étais tout seul. Tu ne vas pas jouer ?


    - On ne va dans l'eau que trois heures dans l'après-midi. Le reste du temps, on doit rester ici et jouer bien sagement.


    - Mais tu ne joues pas ! Pourquoi tu vas pas jouer au ballon ou à la balançoire ?


    - C'est pas marrant de faire de la balançoire toute la matinée, marmonna Rentarou. Je préfère lire.
    - Vas jouer avec les autres enfants. Là, tu t'amuseras.


    En lui parlant, l'enfant adressa un sourire magnifique à son interlocuteur. Il sembla au petit garçon que son visage resplendissait et s'illuminait.


    - Je ne peux pas faire ça …


    - Bien sur que tu peux !


    Rentarou secoua négativement la tête. Un regard triste s'alluma dans ses yeux.


    - Non … Kou-kun interdit aux autres de jouer avec moi …. Personne ne désobéit à Kou-kun … Et puis j'aime bien être tout seul. J'ai pas d'ennuis.


    - Moi, je jouerais avec toi, décida son ainé.


    En disant cette phrase, il tendit sa main droite en direction du petit garçon à terre.


    - Je m'appelle Matsuda Katsuo, première année classe C !


    Surpris, Rentarou observa longuement cette main tendue. Il fréquentait l'école depuis un an maintenant. Personne ne l'avait traité aussi gentiment. Le petit garçon sourit en retour et tendit la sienne. Katsuo l'attrapa et l'aida à se relever.


    - On est vraiment amis, Katsuo-sempai ? Je peux vraiment être avec toi ?


    - Je te le promets. Je serais toujours avec toi, Rentarou-kun. Toujours de ton côté. Je te protègerais si tu te fais attaquer et je te soutiendrais si tu as des ennuis un jour.


    Rentarou se tut et sourit de ravissement. Il n'avait jamais encore expérimenté un tel bonheur.


    - Allez viens, Rentarou-kun ! Je vais t'enseigner un jeu génial !


    - J'arrive !

    ***



    Des larmes coulaient le long de ses joues. Se souvenir de sa première rencontre avec Matsuda était horriblement douloureux. Le sentiment de trahison qui s'immisçait dans son être lui causait davantage de souffrances qu'un coup de poing pris à la mâchoire ou à l'estomac.


    Son corps réagissait étrangement. Il tremblait de plus en plus. Sa poitrine le brûlait. Sa respiration s'accélérait et montait en crescendo. Elle se faisait ensuite de manière saccadée. Toutes les trois secondes, ses poumons refusaient de s'ouvrir. L'impression qui s'imposait à son esprit était d'étouffer. Comme s'il se noyait.


    Pour la seconde fois, l'adolescent pensa qu'il était en train de mourir.


    Même s'il était très déçu par la vie, Rentarou se refusait de mourir. Naturellement, le jeune homme savait qu'un jour, inéluctablement, sa vie viendrait à son terme. Cependant il voulait que ce soit le plus tard possible et souhaitait voir jusqu'où il était capable d'aller avant cette échéance.


    Au début, il essaya de lutter et de reprendre le contrôle de son corps et de sa respiration. La sensation d'étouffement lui sembla empirer encore plus. Ses souvenirs lui rappelèrent alors avoir déjà ressenti ces symptômes hier soir.


    Rentarou fit alors ce qu'il avait fait la première fois instinctivement. Sa main se plaqua contre sa bouche. Il mit en position de repos tout le reste de son corps et essaya de reprendre son calme le plus possible en inspirant et expirant dans le creux de sa main. Déphasé, toute notion du temps se perdit.


    Lorsque son malaise s'arrêta, Rentarou demeura un bon quart d'heure sans rien faire, ni bouger un seul muscle. Il reposa le bras utilisé pour recouvrir sa bouche et son nez sur son matelas. Finalement, le jeune homme s'assura que tout était revenu à la normale.


    En se redressant finalement, le jeune colosse s'inquiéta. Non seulement, cette crise était foudroyante mais elle se révélait aussi récurrente. Deux fois en moins de douze heures d'écart, cela faisait beaucoup. Crise cardiaque ? Infarctus ? Il avait lu une fois que certaines victimes souffraient plusieurs fois de très fortes douleurs dans la poitrine.


    De plus en plus inquiet, Rentarou se décida à consulter l'infirmière. Il tourna la tête vers son réveil. Celui-ci afficha neuf heures et vingt minutes. Par conséquent, plus personne ne circulait dans les couloirs du bâtiment de vie scolaire.


    Il quitta sa chambre, descendit au rez-de-chaussée et pénétra dans l'infirmerie. Ses yeux cherchèrent la maîtresse des lieux et remarquèrent, avec soulagement, que celle-ci n'avait pas d'autre patient. Elle arriva rapidement dès qu'elle entendit les pas de son visiteur.


    - Rentarou-kun ? Que fais-tu habillé ainsi ? s'étonna Haruko. Tu vas avoir froid avec ce short !


    Ne comprenant pas la question, l'adolescent se regarda. Il aperçut qu'il portait toujours sa tenue de titulaire. La seule chose ayant échappé à son ménage.


    - On dirait que j'ai oublié de le jeter, marmonna t-il.


    - Le jeter ? Tu veux dire le mettre à laver ? s'amusa l'infirmière.


    - Non. Je jette toutes mes affaires de tennis et j'abandonne cette activité stupide.


    A présent, Haruko s'inquiéta. Il n'était absolument pas naturel d'entendre de tels propos. Elle devinait qu'un drame affectif s'était déroulé dans la vie de l'adolescent et l'avait poussé à prendre cette décision sous le coup d'une émotion impulsive.


    Néanmoins, la jeune femme ne formula pas la moindre critique ni question sur le sujet. Elle se contenta de le prier de s'asseoir sur l'un des lits et lui demanda pourquoi il venait la consulter. Son patient rapporta ses deux malaises depuis hier soir. Sans rentrer dans les détails des circonstances, Rentarou décrivit uniquement les différents symptômes ressentis. Très attentive, Haruko suivit ce récit et décida de l'examiner. Elle prit son stéthoscope d'une poche de sa tunique blanche et l'ausculta. La praticienne écouta les battements du cœur et le rythme respiratoire avant de prendre sa tension, ses pulsations et d'autres constances vitales.


    - Tout est normal, conclut-elle en laissant son stéthoscope reposer sur sa poitrine.


    - C'est pas possible ! J'ai rien inventé ! J'avais vraiment mal ! J'ai cru mourir !


    - Je te crois, Rentarou-kun, assura Haruko pour calmer l'irritabilité de l'adolescent. Cependant il se peut que ton malaise s'explique par une cause non physique.


    - Je ne comprends pas. Si j'ai mal dans la poitrine, c'est physique.


    - Dans le corps humain, il y a deux choses, Rentarou-kun. D'abord ton corps physique. Ensuite vient ce qu'on appelle le mental ou le psychisme, détailla l'infirmière. Il arrive dans certains cas, quand l'esprit va mal, il traduit son mal-être sur le corps.


    Rentarou garda sa tête basse. Il écouta en silence ses explications. Le propos était plutôt fondé. Il allait très mal. Mais pas question de le dire !


    - Tu peux faire le dur, Rentarou-kun, mais j'avais déjà deviné quand tu es rentré que tu souffrais psychologiquement, reprit-elle un peu plus sévère.


    - A quoi vous pouvez voir ça ? répliqua t-il en haussant les épaules.


    - Lundi après-midi, il faisait beau. Tu t'entrainais dehors au club avec tes copains. A un moment, une balle ait atterri près de la vitre de l'infirmerie et tu es venu la chercher. Tu aimais toujours le tennis à ce moment-là, énonça Haruko. Pour changer d'opinion en moins d'une journée, il faut un sacré déclencheur. Or, un tel déclencheur expliquerait tes crises.


    Regrettant d'être venu, Rentarou se demanda comment se sortir de là. Il n'avait pas besoin d'y réfléchir. Quand Haruko décidait d'interroger quelqu'un, celle-ci ne le lâchait pas avant d'avoir obtenu ce qu'elle cherchait.


    - Katsuo-sempai, mon ami d'enfance … m'a trahi, murmura t-il après une longue hésitation. Il m'avait promis d'être toujours mon ami et de me soutenir … Mais il m'a trahi et m'a dit des choses horribles … Il me répétait que je n'étais qu'un enfant …


    En pensant à tous ces mots dits la veille, Rentarou sentit son chagrin revenir. Il lutta fermement pour résister aux larmes naissantes dans ses yeux. Ses mains serrèrent le drap sur le lit pour s'aider à se contrôler.


    - Tu peux pleurer, lui dit gentiment Haruko en posant sa main sur l'épaule.


    - Ceux sont les faibles et les enfants qui pleurent, rétorqua Rentarou. Je veux être adulte. Je veux être fort, très fort. Alors je ne pleurerais pas.


    - Être adulte et ne pas pleurer, cela ne veut pas dire que tu sois fort, le contredit Haruko. Je pense au contraire qu'il faut posséder une très grande force pour avouer sa faiblesse et pleurer.


    - Il faut être fort en étant faible ? Ca n'a pas sens, protesta Rentarou confus.


    Haruko sourit. Elle se retint aussi de secouer la tête. Décidément, les adolescents ressemblaient tous. Ils pensaient tous les mêmes choses, ressentaient les mêmes émotions, se prétendaient être unique au monde et affirmaient aussi que personne d'autre qu'eux ne connaissait un tel tourment.


    - Force et faiblesse sont un état d'esprit. Si tu penses être fort alors tu te sens bien. Au contraire, si tu crois être faible, tu te dévalues. Cependant la véritable force est d'oublier ces deux extrêmes. Il y aura toujours des moments dans ta vie où tu iras bien et d'autres très mal. Tu dois l'accepter et continuer à avancer en faisant de ton mieux pour changer le mal en bien.


    Rentarou releva légèrement la tête. Il approuva les paroles qui sortaient de la bouche de l'infirmière. Avancer sur son chemin sans se soucier des critiques des autres lui plaisait. Le jeune homme imaginait aussi dans cette idée continuer seul sans se préoccuper des autres.


    - Pour en revenir à ton malaise, Rentarou-kun, j'avais déjà prévu que tu puisses un jour faire une telle crise.


    - Comment ça ? Vous êtes magicienne ? s'écria Rentarou, bluffé.


    - J'étudie les dossiers médicaux de tous les élèves avant la rentrée, révéla Haruko. Dans le tien, une chose m'a intrigué. Tu n'as jamais été malade depuis tes deux ans et demi après avoir fait toutes les maladies infantiles. Par contre, tu as fait un étrange malaise à l'âge de huit ans. Malheureusement, je déplore que les médecins qui se sont occupés de toi n'ont pas tenu à approfondir ton cas.


    Le corps de Rentarou se figea. Il ne voulut pas se souvenir de ce jour-là.


    - Avec ce qui ait arrivé à ta mère, je comprends ce qui s'est passé. Cependant je …


    - JE NE VEUX PAS PARLER DE CA !!!


    En posant le regard sur son jeune patient, Haruko remarqua tout de suite que sa respiration siffla et s'accéléra. Son visage exprima une douleur si effroyable qu'elle s'apitoya de sa triste histoire.


    - Ce qui s'est passé ce jour-là est le déclencheur de tes crises, Rentarou-kun.


    - Quel est le rapport ? demanda t-il d'un ton encore agressif.


    - La séparation avec ta mère, ajouté au stress accumulé auparavant, a produit beaucoup d'angoisse. Cela s'est transmis à ton corps. Ensuite hier, tu as revécu cet état d'angoisse, d'abandon et de solitude quand ton ami t'a annoncé qu'il quittait le lycée et ne voulait plus être ton ami.


    - Mon esprit a voulu me tuer ? Je ne veux pourtant pas mourir !


    - On ne meurt jamais de cette crise. C'est incroyablement douloureux. On croit mourir à chacune d'elle, à chaque fois qu'on essaie de respirer, mais on ne meurt jamais, dit Haruko tristement.


    - Vous savez ce que c'est alors ?


    Malgré l'agitation et la nervosité de l'adolescent, l'infirmière résuma son diagnostic en un seul mot d'une voix calme et posée :


    - Hyperventilation.


    - Qu'est que c'est ?


    - Il s'agit d'une accélération et amplification de la respiration. Elle résulte de nombreux facteurs comme l'effort physique, les angoisses, le stress et dans le cadre de maladies respiratoires. Dans ton propre cas, tu dois réagir au stress et aux angoisses.


    - Mon corps me donne l'impression de mourir pour refléter mon état d'esprit ?


    - C'est un peu plus compliqué mais je ne t'ennuierais pas avec les détails, reprit Haruko. Je vais t'enseigner ce dont tu as besoin savoir quand tu as une crise. Également, tu m'accompagneras Samedi matin à l'hôpital. Tu dois passer quelques examens pour confirmer mes hypothèses.


    Rentarou opina de la tête. Il espéra aussi être dispensé assez longtemps de se rendre en cours mais ne se rattacha pas beaucoup à ce mince espoir.


    - Et Lundi matin, tu retournes en classe, décida t-elle d'un ton impérieux. Il n'est pas bon pour toi de rester isolé à ruminer tes pensées.

     

    ***

     

    Au cours de l'après-midi, Shintarou s'était ennuyé ferme. Peu motivé par le cours d'Anglais, il avait séché et était resté plus de deux heures adossé contre la façade de l'entrée du lycée sous une pluie orageuse à se perdre dans ses pensées.


    Le petit rouquin se souvenait de sa toute première rencontre avec Rentarou. Cela s'était passé la première semaine de la rentrée du premier trimestre. Comme à l'accoutumée, des élèves plus vieux l'avaient brutalisé. Il était alors intervenu, quitte à perdre sa place dans la file d'attente pour obtenir son petit-déjeuner, et l'avait protégé. Shintarou l'avait tout de suite jugé terriblement cool mais n'avait pas osé lui parler. Cependant, à l'époque, personne de leur classe, n'appréciait véritablement Rentarou, tout comme Seiichi, même s'ils n'avaient rien contre lui non plus. Le garçon avait craint de perdre leur amitié et s'était ainsi retenu de remercier son sauveur.


    En y repensant aujourd'hui à tête reposée, Shintarou se reprochait cette attitude passive. Au contact de Rentarou, il avait découvert le véritable sens de l'amitié. Être ami avec quelqu'un ne consistait pas à s'amuser et prendre du bon temps ensemble. Quoiqu'il arrivait, un ami se devait être toujours présent dans n'importe quelles circonstances.


    Lorsque Rentarou était entré au club de tennis, Shintarou avait décidé d'être ami avec lui pour se pardonner de sa propre lâcheté. Le petit rouquin avait prétendu vouloir l'appeler directement par son prénom à cause de son habitude. C'était un mensonge. Il lui fallait un peu de temps avant de se décider à utiliser le prénom d'un camarade au lieu de son nom de famille. Avant l'arrivée de Rentarou, le jeune homme employait toujours celui de Kou pour désigner celui-ci.


    En réfléchissant, il songea que Rentarou représentait le pilier de leur bande. Au début de l'année, Shintarou restait souvent seul. Malgré son caractère extraverti qui lui permettait de divertir toute sa classe, il ne s'était lié avec personne en particulier. Le petit rouquin avait un peu fréquenté Tyro au club mais cela était resté sur une entente neutre. En réalité, une réelle camaraderie s'était installée à partir du moment où Rentarou les avait rejoint. Attiré par son jeu, Tyro s'était approché, puis Kou et Takaishi étaient venus car ils se connaissaient du cours de Chimie. C'était ensuite Seiichi qui avait intégré la bande.


    Si Rentarou partait …. Le cœur de Shintarou battit plus fort en songeant à cette désagréable perspective … S'il partait, leur bande pourrait-elle survivre ?


    Découragé, le corps de l'adolescent tomba lentement le long du mur. Ses fesses s'écrasèrent sur le sol dans une large flaque d'eau qui l'éclaboussa complètement.


    Je ne veux pas être seul … Je voulais ne plus jamais ressentir cette douleur …


    Vers quinze ou seize heures, au moment où la majeure partie des étudiants quittèrent le bâtiment des cours et passèrent devant le petit rouquin mouillé, celui-ci prit conscience de l'avancement tardif de la journée. Il se releva, les mains dans les poches de son short, et partit en direction du club.


    Parvenu auprès des courts, Shintarou s'apprêta à se diriger vers les vestiaires. Il repéra au même instant la présence de Raphael de l'autre côté. Malgré les intempéries, l'adolescent s'entrainait dehors en utilisant une partie du mur d'enceinte pour ses exercices. Immédiatement, il changea de direction et courut vers son sempai.


    - Raphael !


    Concentré sur sa pratique, le jeune français ne répondit pas à l'interpellation et ne montra aucun signe indiquant de l'avoir entendu. Shintarou ne prêta nullement attention à cela et s'adossa contre le mur sans craindre de recevoir accidentellement la balle.


    - Tu as parlé à Kurata-buchou ?


    Gardant ses mains dans ses poches, Shintarou attendit patiemment la réponse sans perdre son calme. Il admira en même temps la technique du jeune homme. Son entrainement achevé, Raphael attrapa sa balle dans sa main droite et posa sa raquette sur sa clavicule.


    - Non.


    - Pourquoi ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?


    - Je pense que tu n'es encore pas prêt, Shintarou.


    La nature impulsive du rouquin se réveilla suite à cette réponse. Il se redressa vivement, les poings serrés, le regard empli de fureur.


    - Pourquoi ? Pendant les vacances, nous nous sommes entrainés avec Motoguchi-sempai et Nagai-sempai ! Tu as dit que nous étions prêts ! Pourquoi as-tu changé d'avis ?


    - Je pense avoir mal évalué tes compétences, exposa Raphael. Tu devrais, au moins, patienter d'être en seconde année.


    - Ah ouais ? Et pourquoi ? Donne-moi une raison ! Tu étais satisfait de tout ! On a même bossé la coordination et des combos !


    Raphael resta longuement silencieux. Il se retourna et fixa son attention sur un couple de pigeons perchés sur un banc d'un des courts.


    - Je ne veux plus jouer avec toi. C'est comme ça. Ca se passe de commentaires. Maintenant file.


    Toute la colère contenue dans l'âme de Shintarou retomba comme un soufflé. Ces quelques mots lui transmirent une douleur beaucoup plus forte que celle d'une lame de poignard. Il chancela presque ne savant plus dire un mot.


    Peu à peu, le petit rouquin assimila la signification de ces paroles et ressentit une colère sourde et aveugle. Il voulut lui causer aussi une douleur similaire à Raphael. Mais son désir de lui faire mal ne pourrait jamais se réaliser. Sa taille le dissuadait de chercher la bagarre, surtout face à un gaillard comme le jeune français.


    - Je te déteste ! s'entendit-il crier avant de s'enfuir au pas de course.


    Pendant ce temps, un témoin avait remarqué l'échange entre les deux interlocuteurs sans que ceux-ci en aient conscience. Arrivé en retard pour l'entrainement journalier car il s'était plongé dans sa dissertation de Japonais pour fuir ses soucis, Seiichi s'était dépêché de rejoindre le club et de se changer. En sortant des vestiaires, l'adolescent aux cheveux ébènes avait aperçu son condisciple roux accourir en direction de Raphael. Intrigué, son attention s'était concentré à observer la scène se déroulant sous ses yeux.


    Après le départ de Shintarou, il s'empressa de gagner la salle où s'exerçait Tyro, Kou et Takaishi. Seiichi les avertit de ne pas pouvoir s'entrainer aujourd'hui et s'en excusa. Cela parut tout de même étrange au fan de base-ball car le jeune ninja avait déjà revêtu sa tenue de sport.


    Aussitôt cela fait, il partit sur les traces de Shintarou. Le jeune homme parcourut le campus dans son intégralité sans trouver la moindre piste avant de se décider à interroger des membres du club de football. L'un d'eux lui apprit justement avoir aperçu un petit rouquin se précipiter dans la petite forêt quand il était parti rechercher un ballon.


    D'un pas rapide, Seiichi fit marche arrière et se dirigea vers la partie boisée. Il frissonna brusquement à cause du froid et de la pluie. Vêtu seulement d'un fin polo à manches courtes et d'un pantalon de toile, une personne aussi fragile que l'adolescent aux cheveux ébènes risquait une infection respiratoire très grave. Cependant celui-ci ne pensa pas une fois à son bien-être. La détresse de Shintarou l'avait interpelé. Son sens moral lui commandait d'aller à sa recherche et de le soutenir. Malgré leurs fréquents différents, c'était un de ses amis et il lui devait assistance.


    Après avoir erré longtemps dans cette obscure forêt au sol jonché de racines, Seiichi retrouva son camarade sous un sapin, en larmes, replié sur lui-même. Il s'avança et s'agenouilla à ses côtés.


    - Shintarou, que t-arrive t-il ? demanda t-il d'une voix soucieuse.


    - Tu es venu te moquer ? l'agressa celui-ci qui voulait rester seul.


    - Il faut être lâche pour se moquer de quelqu'un qui pleure et qui souffre. Shin, je sais que nos relations sont assez tendues mais je ne veux pas te laisser souffrir.


    Malgré la tristesse lui rongeant le cœur, le rouquin sourit. Il leva doucement la tête.


    - Tu essaies de remplacer Rentarou ?


    En disant son nom, l'adolescent se souvint alors de l'absence non justifiée de son ami. Sa peine revint. Les larmes coulèrent de nouveau et sa tête s'effondra sur ses genoux.


    - J'ai appris la vérité, Shin, déclara Seiichi. Rentarou ne nous a jamais trahi. Il souffre davantage que nous, tu sais.


    - Et de quoi ? Et pourquoi il a jeté ses affaires de tennis ? répliqua le rouquin passant des larmes à la colère. Il n'y a qu'une raison !


    - Es-tu au courant que Matsuda-sempai a quitté notre lycée ?


    - Quoi ? Il est parti ? Quel dommage, soupira Shintarou. Il nous défendait, lui. Mais quel rapport ?


    - C'est l'ami d'enfance de Rentarou. Ils se sont connus en maternelle. Matsuda a appris beaucoup de choses à Rentarou. De plus, à cette époque, il était son unique ami et la seule personne sur laquelle il pouvait compter.


    En silence, Shintarou écouta ces révélations avec surprise. Il n'aurait jamais imaginé une histoire si triste concernant son héros.


    - Mais même s'il part, ils peuvent rester amis, non ?


    - Rentarou a réagi très extrêmement, nota Seiichi. Je ne crois pas qu'ils se soient quittés en bons termes. Comme tu le sais, notre Rentarou a gardé ses idéaux intacts. Malheureusement peu de personnes sont ainsi. Je crains que Matsuda ait changé et ait fini par le rejeter.


    - Ca n'a pas de sens ! Rentarou et Matsuda-sempai s'entendaient bien !


    - Je ne sais pas comment cela se passait auparavant. Cependant en entrant au club, j'ai souvent ressenti une tension émanant de Matsuda, révéla Seiichi. Surtout lorsqu'il regardait Rentarou jouer.


    - Mais tout ça c'est juste des hypothèses ! Tu n'as rien de concret !


    - Je suis d'accord, approuva Seiichi. Cependant si cela est vrai, Rentarou doit se sentir horriblement mal. Le poids d'une telle trahison doit faire très mal.


    - Ouais … Vraiment très mal … , murmura Shintarou en se repliant davantage sur lui-même.


    - Shin ?


    L'adolescent ne sut jamais pourquoi il se décida à raconter son histoire à Seiichi. Cela lui sortit presque naturellement de sa bouche sans avoir à faire d'effort.


    - Quand j'étais au collège, j'avais un meilleur ami. Il m'a appris le tennis et nous jouions en double. Mais en dernière année, il n'a plus voulu de moi. On s'est disputés. Moi, je voulais continuer à jouer ensemble mais lui voulait jouer en simple …


    - Je comprends maintenant pourquoi tu es si affecté par ce qui arrive.


    - Ca fait un an, cinq mois et treize jours que ça s'est passé … Je n'arrive toujours pas à oublier … Ca me fait toujours si mal … Parfois, je n'y pense pas du tout mais souvent, à des moments de la journée, je ris … Je ris et je pense aux rires que j'ai partagé avec mon copain … Alors je veux pleurer … Mais je me retiens … Je ne veux pas être traité de gamin pleurnichard … Je continue à rire alors et j'attends d'être seul pour pleurer …


    La tête baissée, Seiichi compatit en silence au malheur de son compagnon. Celui-ci se laissa aller. En parlant, son corps entier trembla et ses yeux versèrent des larmes en abondance.


    - Seiichi … , annôna t-il au milieu de son chagrin. Comment on fait pour oublier sa tristesse ?


    - Je souhaite être capable de le savoir, soupira son interlocuteur.


    Si cela avait pu être possible, le jeune ninja aurait accepté n'importe quel échange pour effacer tous les horribles souvenirs et sentiments qui s'accumulaient dans son esprit depuis sa naissance. Malheureusement, c'était impossible. La mémoire du corps humain différait de celle d'un ordinateur. Dans cette machine, on choisissait de supprimer les éléments indésirables et on n'en conservait aucune trace, comme s'ils n'avaient jamais existé. Au contraire, le corps humain était pourvue d'une mémoire fonctionnant inversement. Les bons souvenirs s'oubliaient facilement mais ceux relevant de traumatismes restaient en permanence.


    Incapable d'aider son ami à surmonter sa crise, comme il se révélait incapable d'aider Rentarou, l'adolescent aux cheveux ébènes posa la main sur l'épaule du petit rouquin et le laissa pleurer de tout son soul.


    En face d'eux, à une cinquantaine de mètres de distance, derrière l'épais tronc d'un chêne majestueux se cachait un individu de haute taille qui les observait. Le regard triste, Raphael coupa le contact visuel et s'aplatit contre l'arbre.

     

     

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