• Chapitre 2


    Le soleil devait seulement être levé depuis une heure au grand maximum que Matsuda Yoko était déjà sortie de son lit. Rapidement, la jeune fille alla prendre quelques biscuits dans un tiroir de sa commode afin d'atténuer la faim dans l'attente du petit déjeuner qui ne serait pas servi avant deux bonnes heures.


    Elle quitta ensuite sa chambre et traversa le couloir silencieux du second étage de l'internat, celui réservé aux filles, pour se rendre à la salle de bains, et prit une rapide douche.


    Comme d'habitude, la caucasienne passa en revue les différentes choses qu'elle devait faire. D'abord, prendre le petit-déjeuner tout en vérifiant que les élèves internes se comportaient correctement et se rendre ensuite à ses cours. Aujourd'hui, elle n'avait qu'une heure de Littérature et une autre en Histoire en fin de matinée. Cela lui donnait la possibilité de travailler au secrétariat avant ses cours. Pour le déjeuner, la jeune fille prévoyait de consommer un simple sandwich pris sur le pouce tout en révisant avant de reprendre les cours de l'après-midi avec seulement celui d'Anglais. L'adolescente terminerait en effectuant des recherches sur les sujets abordés par ses différents professeurs aujourd'hui.


    Hochant de la tête, Yoko jugea cet ordre des choses parfait et sortit de la cabine de douche. Elle commença à se rhabiller. La jeune fille prit délicatement un chemisier blanc et l'enfila, mit ensuite une longue jupe bleue. Théoriquement, en cette saison, une élève de son lycée aurait dû mettre une jupe beaucoup plus courte que celle-ci, celle de l’uniforme d’été. L'adolescente détestait le fait même de porter un vêtement si court. Même si officiellement, une mini-jupe était bien plus courte, elle considérait toutes les jupes qui ne dépassaient pas les genoux comme vulgaires. Ainsi la jeune fille portait toute l’année la jupe longue de l’uniforme d’hiver qui descendait jusqu'à ses mollets.


    Avant de sortir, Yoko noua le traditionnel foulard blanc à liseré bleu à son cou et se hâta de retourner à sa chambre.


    S’installant à son bureau, la jeune fille ouvrit Botchan, un livre de Shoseki et commença à lire le premier chapitre. De sa main droite, elle prit son bloc-notes afin d’y écrire toutes les notions importantes pour réaliser ensuite une synthèse correcte.


    A cause de sa forte implication dans la gestion de la vie scolaire, la vice-présidente du conseil des étudiants avait accumulé beaucoup de retard. La preuve en était qu’elle n’avait même pas encore terminé de traiter tous les sujets du premier trimestre. La lycéenne devait vite récupérer ce retard.


    Normalement, elle aurait dû être capable de suivre les cours selon la manière de chaque professeur. Cependant Yoko avait constaté depuis bien longtemps que les enfants et les adolescents des classes fréquentées depuis son entrée à l'école élémentaire ralentissaient tous, chacun à leur manière, le bon déroulement des cours. Alors que la plupart des thèmes pourraient très bien être traités en trois heures, généralement, ils y consacraient presque un mois. A croire que l'adolescente était la seule de sa génération à considérer les études comme la chose la plus capitale de l'existence !


    Depuis qu'elle était une toute petite fille, Yoko se concentrait uniquement sur l'importance des études et désirait plus que tout demeurer à la première place à chaque classement avec un pourcentage le plus proche des 100%.


    Jusqu'à présent, la caucasienne avait toujours réussi. En dehors des Mathématiques et des matières scientifiques, l'adolescente obtenait toujours un minimum de 96% à chacun des examens ou contrôles passé. Cependant une nouvelle donne venait d'entrer dans l'équation.
    Six mois plus tôt, elle avait passé l'examen national permettant l'entrée au lycée. Parmi le grand nombre de collégiens de troisième année à le passer, seuls cinq, les meilleurs de tous, étaient récompensés de leurs efforts par l'inscription et les frais de scolarité gratuits dans le lycée de leur choix et sans passer son examen d'entrée.


    Elle n'avait obtenu que 94%.


    Malgré cette performance lui ayant permis de s'inscrire dans un prestigieux lycée de la capitale nippone classé troisième au niveau national, elle la jugeait comme un échec. Pour la première fois de sa vie, Yoko avait perdu. L'adolescente ne savait même pas encore contre qui. La liste des étudiants ayant réussi l'examen n'était toujours pas disponible pour le moment. Une personne, un garçon ou une fille, avait réussi à la battre. Du peu d'informations qu'elle avait pu rassembler, la lycéenne avait appris que le score de son adversaire avait atteint les 98%.


    Ainsi Yoko n'avait pas le choix. L'adolescente devait impérativement maîtriser rapidement tout le programme et l'approfondir au maximum, retenir chaque notion, comprendre le moindre détail, analyser chaque élément …. Sa réputation était en jeu. L'étudiante ne pouvait plus se permettre de perdre à nouveau. Elle ne voulait plus jamais perdre.


    Quand la jeune fille eut achevée la lecture du chapitre trois de son livre, un petit réveil posé sur un coin de son bureau se mit à sonner. Sans le regarder, elle l'arrêta et se releva en plaçant un marque-page avant de refermer l'ouvrage.


    Quittant sa chambre, Yoko traversa tout le couloir qui la mena aux escaliers en se mêlant aux autres filles internes. En remarquant que certaines étaient encore en chemise de nuit et se rendaient seulement à la douche, elle contint difficilement un soupir d'exaspération. Encore un exemple que sa génération n'était absolument pas sérieuse !


    Alors qu'elle descendait cet étroit passage, même s'il permettait l'accès à au moins deux personnes, l'adolescente songea que la différence avec celui du bâtiment des cours était totalement disproportionnée. Ce n'était toutefois que logique. Après tout, ce magnifique escalier fait de marbre et ornementé de larges colonnades en cristal sous la rampe en bois de chêne était là essentiellement pour démontrer à tous le prestige ainsi que de la richesse de l'établissement.


    Se dirigeant vers le réfectoire, Yoko se hâta de prendre un plateau et d'aller chercher à manger auprès des dames de service. Comme elle se félicitait chaque jour d'être si prévoyante et organisée. Grâce à son bon sens de se lever avant cinq heures, la jeune fille ne devait jamais attendre pour obtenir un bol de riz et une tasse de thé avant de rejoindre une table de libre. Toutefois, l'adolescente ne mangeait pas encore tout de suite puisqu'elle prenait un livre traitant de la révolution française pour le lire tout en jetant très souvent des regards aux étudiants qui arrivaient progressivement dans la salle.


    Plongée dans son livre, Yoko se détendit peu à peu jusqu'à ce qu'une voix tonitruante la sortît du passage où les parisiens prenaient la Bastille :


    - Laisse-le !


    Levant la tête, la jeune fille se releva rapidement. Comme toujours, elle avait eu raison. Les jeunes de son âge passaient leur temps à se chercher des histoires, qu'importe l'établissement scolaire où l'on se trouvait.


    Quand Yoko arriva au milieu de la file en se guidant au cri qu'elle venait d'entendre, la caucasienne trouva un large gaillard aux lunettes de soleil que celle-ci n'eut pas de mal à reconnaître. L'adolescente l'avait accompagné le jour de la rentrée à sa salle de classe.
    Immédiatement, elle comprit la nature du problème dès que ses yeux se posèrent sur cet individu. D'une forte poigne, Yoko saisit le poignet de l'agresseur, dont la main était posé sur l'épaule d'un petit garçon aux cheveux roux sorti de la file, et le retira vivement. Toutefois, la jeune fille éprouva une minute d'incompréhension en réalisant qu'elle n'arrivait jamais à bouger un bras aussi lourd et imposant en temps normal.


    - Je t'y prends à ennuyer les plus faibles pour gagner du temps, s'exclama Yoko d'une voix tranchante.


    - Ce n'est pas moi, protesta Satsuma en retirant son bras de l'étreinte de la jeune fille.


    - C'est lâche et infantile cette attitude, claironna Yoko d'une voix aussi calme que glaciale.


    Sans quitter du regard cet étudiant pris en faute, elle tourna la tête en direction du garçon roux dont le nez saignait un peu.


    - Raconte-moi ta version des faits et ne crains absolument rien, lui dit Yoko dont la voix s'était modifiée pour devenir beaucoup plus douce.


    - La vérité, c'est que c'est deux sempai de troisième année qui m'ont poussé du rang pour gagner du temps, expliqua le rouquin en se tenant le nez. Et celui que tu accuses a quitté sa propre place pour venir me défendre. Je pense que sans lui, je n'aurais pas fait que saigner du nez.


    - Tu devrais apprendre à voir au-delà des apparences, Matsuda-san, intervint Satsuma, les bras contre la poitrine. Ce n'est pas parce qu'une personne est grande et costaud qu'elle est méchante à moins que la vérité et la justice ne t'intéressent pas !


    Piquée au vif, Yoko retint difficilement un cri de rage. Elle n'avait nul besoin de se faire donner la leçon. La jeune fille connaissait très bien les règles de vie en société et comment surveiller un réfectoire ou une salle de classe. Statistiquement, ce garçon aurait dû être un agresseur. N'importe qui aurait pensé comme elle.


    - Je connais le travail qu'impliquent mes fonctions, répliqua Yoko froidement. Tu n'as pas à me l'apprendre !


    - Tu as tout de même laissé les vrais coupables s'enfuir, rappela Satsuma dont le regard sous ses larges lunettes obscures la fixait.


    - Parce que tu es intervenu, se défendit Yoko dont les traits se crispèrent davantage. Sans toi, je les aurais pris sur le fait !


    Se tenant prête à essuyer une nouvelle salve, la jeune fille attendit en croisant ses bras contre sa poitrine, toisant d'un regard électrique son interlocuteur mais celui-ci se détourna pour reprendre une place au bout de la file d'attente.


    Il fuit ? s'étonna Yoko. D'ordinaire, les gens cherchent à avoir raison et à affirmer leur supériorité. Il était clairement en position de force. Pourquoi renonce t-il ?


    - Je vais t'emmener à l'infirmerie, annonça Yoko en revenant vers le jeune garçon roux


    - Non, ça ira, assura le rouquin dont le visage s'éclaira d'un large sourire. Mon nez saigne car c'est un vaisseau artériel qui a explosé. En comprimant ma narine avec un mouchoir, je vais arrêter ça en un rien de temps !


    - En es-tu certain ? demanda Yoko en le fixant attentivement.


    Le petit garçon acquiesça d'un signe de tête énergique puis sortit promptement un mouchoir qu'il apposa contre son nez tâché de petites gouttes rouges. Puisque le problème se résolvait de cette manière, il ne lui resta plus qu'à regagner sa table.


    Quand elle se fut à nouveau installée à lire à côté de son repas, la jeune fille compulsa à nouveau son ouvrage pendant une bonne heure encore, jetant de temps à autre de légers regards au réfectoire qui se vidait peu à peu puis se décida à le ranger afin d'avaler le contenu de son bol de riz et rapporta ensuite son plateau aux cantinières. Comme toujours l'adolescente était la seule, ou presque, à prendre en compte leur travail et à faciliter leur tâche.


    En traversant la cour pour atteindre le bâtiment des cours, Yoko songea combien ce monde était dur et horrible. Personne ne pouvait jamais compter sur personne. Un coupable affirmait toujours être innocent; pour le peu qu'il y ait des moyens, il devenait capable d'acheter la justice ou l'administration ce qui lui permettait d'abandonner toutes les charges sur lui.


    Malgré le fait qu'elle était encore jeune, Yoko n'avait jamais cru en un beau monde où l'on pouvait connaître la paix et le bonheur. La seule manière d'obtenir de bonnes choses était de toujours travailler, sans relâche, sans jamais abandonner un but fixé.


    Poussant la porte, elle pénétra à l'intérieur et décida d'oublier ses sombres constatations en récitant mentalement les dernières notions apprises au cours de Japonais de la veille. En chemin, la jeune fille passa par la salle des casiers, située au rez-de-chaussée dans le couloir de gauche, pour les élèves de première année, afin de récupérer le manuel d'Histoire laissé dans le sien.


    - Tu es vraiment une personne étrange.


    Gênée, Yoko réalisa que deux filles au minimum se trouvaient ici. Ce timbre de voix, provenant du fond de la salle, indiquait clairement que son priopriétaire appartenait au même sexe que le sien. La caucasienne n'aimait pas arriver dans une pièce pendant que des gens se trouvaient déjà en pleine conversation. Cela donnait la terrible impression d'espionner même si elle arrivait tout juste dans la pièce.


    - Je ne comprends pas du tout pourquoi tu dis ça, Shiromiya-kun, se défendit une seconde voix.


    Cette voix … Yoko crut halluciner à l'entendre à nouveau. Il n'y avait pas de doute possible : elle appartenait au garçon qu'elle avait faussement accusé et qui avait fui. Ce garçon de grande taille se cachant derrière des lunettes sombres.


    - Il n'y a personne pour défendre ceux qui se font attaquer à la cantine, répliqua Shiromiya. Il faut seulement se contenter de regarder en espérant ne jamais subir la même chose.


    - Eh bien, je refuse de regarder un tel spectacle, riposta Satsuma dont le volume sonore venait de s'élever considérablement. Une telle attitude est juste bonne pour les lâches ! Je ne pourrais jamais tourner mon dos devant une telle scène !


    - Avec une telle attitude, tu ne vas pas aimer le lycée, prédit Shiromiya d'une voix neutre.


    - Je ne suis pas là pour aimer ou ne pas aimer le lycée, rétorqua Satsuma. Je suis ici pour étudier, suivre mes cours et obtenir mon diplôme pour aller à l'université !


    Adossée contre une rangée de casiers, Yoko ne se tenait qu'à deux mètres de distance avec les deux adolescents. Pensive, elle écoutait pour la première fois la conversation entre deux étudiants sans repasser une leçon dans sa tête à la place. Ce garçon, Satsuma Rentarou, lui paraissait si étrange mais aussi différent des autres étudiants. Il s'intéressait comme elle à ses études en priorité puisqu'il souhaitait décrocher le diplôme de fin d'études du lycée indispensable pour aller à l'université. Jusqu'à présent, elle n'avait encore jamais rencontré quelqu'un se préoccupant sincèrement de ses études. D'ordinaire, les jeunes s'en souciaient seulement car leurs parents risquaient de les sanctionner en cas de mauvais résultats.


    - Tu ne te soucies donc jamais de toi ? interrogea Shiromiya.


    Un court laps de silence s'installa suite à cette question durant lequel Yoko perçut le son d'une porte de casier être reclaquée.


    - Tant que je peux aider les autres à se sentir mieux, je me sens bien, répondit Satsuma. Bon ! Je vais étudier à la bibliothèque vu que le prof de Chimie est absent aujourd'hui.

    Tournant doucement la tête, Yoko observa le lycéen géant quitter les lieux de manière calme et naturelle. En son for intérieur, elle se demanda comment il parvenait à tant s'intéresser aux autres. La jeune fille réalisa qu'à la vérité, il lui ressemblait. Après tout, l'adolescente accourait toujours vers les lieux d'une dispute ou d'une bagarre pour l'arrêter et travaillait plusieurs heures au secrétariat de l'école afin de faciliter la vie des étudiants. A cet instant, ce garçon qui lui avait paru si étrange Vendredi dernier et tout à l'heure au réfectoire lui sembla bien plus familier.


    Je me demande ce qui m'arrive, pensa Yoko. Voilà que je me mets à réfléchir au beau milieu du lycée à un garçon ! Je ne suis pourtant pas ce genre de filles ! Allons ! Je dois me reprendre ! Je récupère mon manuel et hop je file au secrétariat !


    Yoko quitta donc la pièce et le bâtiment où elle se trouvait pour retourner dans la cour puis se rendit à celui d'en face réservé à l'administration de l'établissement et y entra. La vice-présidente du conseil des étudiants se dirigea avec aise en direction de son bureau.
    S'installant derrière l'ordinateur, la jeune fille le démarra en s'installant à son bureau. Elle prit une liste de ses objectifs pour aujourd'hui d'un tiroir. Ses yeux la parcoururent un instant puis la jeune fille commença à sortir les différents dossiers et documents qui lui seraient utiles pour ses tâches. D'abord, lister les membres de chaque club avant d'enregistrer chaque nouvel adhérent.


    Décidement les clubs sportifs étaient toujours les plus populaires, notamment ceux pour le football et le base-ball. Pourquoi les étudiants ne fréquentaient-ils pas davantage les clubs à vocation intellectuelle ? Cela la dépassait. Yoko n'appréciait pas le sport et était même contre sa pratique. Cela ralentissait totalement l'enseignement et épuisait pour rien du tout ses condisciples. Elle trouvait plus juste la manière dont les pays occidentaux consacraient toute la journée aux cours et laissait le sport dans le cadre d'un loisir hors du temps scolaire. C'était la logique même. Par ailleurs, le sport n'apporterait rien à personne sauf si un d'entre eux devenait professionnel mais ce genre de rêves se réalisait pour une seule personne sur plusieurs millions. C'était comme attendre la richesse simplement en jouant au loto.
    Pendant presque trois heures, Yoko s'attela à lister et écrire les noms des étudiants afin de les répartir dans les bonnes cases. Elle rédigea ensuite les formulaires avec sur l'ordinateur afin de mettre à jour la base de données de l'établissement.


    Lorsque la sonnerie annonça la fin de la seconde heure de cours, elle classa ses précieux documents et les rangea à leur place en les répartissant dans plusieurs pochettes puis se hâta d'aller à son cours de Littérature.


    En rejoignant sa classe au second étage, elle se dirigea vers le milieu de la salle et s'immobilisa devant une fille aux cheveux blonds très clairs assise devant sa table.


    - Bonjour Mari-chan, s'exclama joyeusement Yoko.


    - Salut, marmonna la jeune fille blonde.


    Une expression de douceur s'afficha sur le visage de Yoko tout en s'asseyant à l'envers sur sa chaise pour être face à sa meilleure amie. Cela remontait maintenant à quatre ans que toutes deux s'étaient rencontrées à une semaine de stage de perfectionnement en Mathématiques. Même si toutes les deux vivaient à l'autre bout du pays et agissaient de manière totalement inverse, elles étaient toujours restées en contact par Internet ou par téléphone. Elle était même la seule véritable amie qu'elle avait pu se faire et cela l'empêchait de déprimer certains jours au contact de cette sinistre jungle scolaire.


    - Mari-chan, qu'est-ce qui ne ve pas ? s'inquiéta Yoko.


    - Takeshi-kun a rompu hier soir au téléphone, répondit Mari en poussant un long soupir. J'ai voulu l'appeler mais il ne m'a même pas répondu une fois !


    - Takeshi-kun ? Le garçon avec lequel tu sortais depuis les vacances d'été, non ? Cela semblait sérieux pourtant, se remémora Yoko. Il t'a dit pourquoi ?


    - Il m'a juste envoyé un message hier soir qu'il me quittait, expliqua Mari. Je parie qu'il s'est trouvé une autre fille cet idiot !


    - Dans ce cas, ce soir, je rentrerai avec toi et nous irons jouer au DDR, annonça Yoko. D'accord ?


    - Et Samedi, on pourra aller faire du shopping ? suggéra Mari en retrouvant le sourire.


    Souriante, Yoko répondit affirmativement d'un signe de tête.


    Le temps passa ensuite pour les étudiants jusqu'à midi et demi, l'heure du déjeuner. la brillante lycéenne rassembla assez rapidement ses affaires et sortit du bâtiment scolaire.
    A la sortie des cours de l'après-midi, la caucasienne rejoignit sa meilleure amie qui l'attendait à la bibliothèque et la raccompagna chez elle en s'amusant ensemble à un game center sur le chemin.


    Quand Yoko revint au lycée, il était déjà tard. Normalement, les grilles du portail fermaient à dix-huit heures mais puisqu'elle était la vice-présidente, elle jouissait du droit d'ouvrir la grande majorité des portes de l'établissement et en conséquence, de sortir en ville après le couvre-feu.


    Affamée, Yoko gagna la cantine où elle constata qu'il devait être passé dix-neuf heures puisque les lieux étaient quasiment déserts. Au moins, elle mangerait tranquillement.
    Ayant pris un plateau avec sa ration, elle choisit de s'asseoir à la table la plus proche. La jeune fille commença à savourer la soupe miso lorsque celle-ci vit le grand adolescent à la carrure de déménageur de ce matin venir dans sa direction.


    - Satsuma-kun ? fit Yoko en reposant son bol de soupe.


    - Je voulais m'excuser pour ce qui s'est passé ce matin, annonça Satsuma.


    Montrant sa bonne foi dans ses paroles, il s'inclina très poliment du buste.


    - En y réfléchissant, je pense avoir été un peu sec avec toi et tu ne le méritais pas. Après tout, tu ne voulais que défendre cet élève exactement comme moi, reprit Satsuma.


    - Je t'ai tout de même accusé à la place des fautifs, rappela Yoko qui n'avait encore jamais vu d'étudiant s'excuser alors qu'il était dans son droit. A cause de cette erreur, ils ont fui.


    - C'est vrai, approuva Satsuma. J'étais vexé sur le coup d'être assimilé à eux mais je pense à présent que c'était naturel. Tu n'avais pas les moyens de le deviner.


    Contemplant très attentivement l'adolescent, Yoko s'interrogea sérieusement sur ses motivations. Pourquoi acceptait-il de prendre la faute sur lui-même ? Celui-ci avait sauvé une personne. Il aurait pu très bien s'en vanter ou simplement continuer à vivre comme si rien ne s'était produit. Au contraire, ce garçon avait réfléchi sans cesse à l'incident de ce matin.


    Exactement comme je fais chaque fois qu'il se passe quelque chose, se rappela Yoko.


    - As-tu mangé ? demanda finalement Yoko après un long moment de silence.


    - Je ne vois pas le rapport, s'étonna Satsuma désorienté.


    - Je pensais que nous aurions pu continuer cette discussion tout en mangeant, expliqua Yoko en choisissant précautionneusement chacun de ses mots. Enfin si ….


    - J'ai déjà diné, l'interrompit Satsuma. Cependant si tu veux discuter avec moi, j'accepte cela bien volontiers.


    Comme pour confirmer sa réponse, le garçon aux cheveux de jais poussa la chaise vide près de lui et s'assit face à la jeune fille.


    - De quoi veux-tu me parler ? demanda Satsuma tentant visiblement de camoufler sa gêne.


    Interrogative, Yoko essayait de comprendre les différentes raisons d'une telle nervosité. Ce n'était qu'une simple discussion entre deux adolescents et non un rendez-vous officiel.


    - Je voulais juste savoir … , reprit Yoko. Pourquoi tu as protégé ce garçon ce matin ? Si ma mémoire est exacte, la dernière fois que j'avais regardé, tu allais bientôt être servi alors …


    - Alors j'aurais dû prendre mon bol de riz et partir ? acheva Satsuma sèchement.


    Comme au matin, elle vit ses tempes se contracter très durement. Cependant le fait qui attira le plus son attention fut son geste de poser ses mains contre la table et de souffler longuement comme s'il venait de courir un quatre cent mètres aux jeux olympiques.


    - Je suis désolé de m'être encore énervé, dit Satsuma d'un ton redevenu parfaitement calme.


    - Tu contrôles ta colère, comprit Yoko de plus en plus intriguée. Ce n'est pas très anodin.


    - La colère est un sentiment destructif et cause beaucoup plus de soucis qu'elle n'apporte de solutions à un problème, expliqua Satsuma en baissant la tête.


    - C'est pour ça que tu es parti ce matin alors que tu démontrais mon erreur, déduisit Yoko.
    - J'étais devenu un peu agressif et comme tu l'étais aussi, je craignais de dire des mots qui auraient pu te blesser, continua Satsuma.


    - Mais ce doit être difficile de fuir sans cesse, émit Yoko. Par ailleurs, les gens finiront par jaser et à dire que tu es un lâche. Ca ne t'ennuie pas ?


    - Entre tous ceux qui observent un gamin se faire frapper et qui détournent les yeux et un individu qui va le protéger sans rien en retirer, qui est le véritable lâche ? répliqua t-il. Mais je me moque de la réponse. J'agis comme je l'entends et je n'écoute pas les rumeurs. La seule chose pour laquelle je ne peux plus me contrôler, c'est de voir quelqu'un qui a un problème. Je ne peux pas lui tourner mon dos.


    - Je n'aime pas les rumeurs et je n'en tiens jamais compte, déclara Yoko tout en avalant une bouchée de poisson et en analysant les paroles de son interlocuteur, mais il faut admettre que celles-ci façonnent la société humaine depuis des siècles.


    Fixant l'adolescent géant du regard, la jeune fille attendit une réponse mais celle ci ne sembla pas venir. Yoko continua donc à l'observer longuement, comme dans les moments où elle essayait d'impressionner son adversaire lors d'une partie d'échecs ou de go, tout en terminant son repas.


    - Au fait, demain, tu feras quoi si je défends encore un élève ? enchaina Satsuma pour rompre enfin le silence qui régnait entre eux.


    - A présent que je connais ta personnalité, je sais que tu seras du bon côté et je pourrais donc interpeller les auteurs de l'agression, répondit Yoko avec un sourire.


    - Super, s'exclama Satsuma en souriant pour la première fois devant elle. Je serais ravi de t'aider.


    L'espace d'un instant, un doute se faufila dans la conscience de la jeune fille lorsqu'elle le vit lui sourire. Cela paraissait naturel mais elle se demanda alors si cela l'était réellement. Et si toute cette conversation n'était qu'une mise en scène ? Et s'il la baratinait pour obtenir quelque chose d'elle ?


    Retrouvant son air sévère, elle croisa ses bras contre elle et le toisa d'un regard attentif.


    - Pour le moment, je te crois sincère mais si un jour, je découvre que tu m'as menti, je ne te pardonnerai jamais ce moment, claironna Yoko d'une voix intransigeante.


    - Je ne comprends pas … , s'étonna Satsuma confus.


    - Il y a des gens doués pour manipuler les autres, révéla Yoko gardant encore sa réserve. Alors je vais rester prudente pour t'observer et être sûre que tu es vraiment ce que tu prétends être.


    - Je ne mens pas, assura Satsuma très embarrassé. De toute manière, je n'ai pas grand chose à cacher. En tout cas, rien qui te causera de problèmes


    Faisant de son mieux pour conserver un visage affichant la sévérité, Yoko jugea plus prudent de quitter son camarade avant d'être incapable de contenir ses émotions. Il ne fallait jamais abattre son jeu tant que la stratégie adverse n'était pas complètement percée et analysée.


    - Je vais y aller, dit-elle en se levant. J'ai encore beaucoup de devoirs à faire.


    Laissant le jeune homme là, elle le salua poliment puis s'éloigna. L'adolescente marcha de manière très naturelle pour ne pas afficher clairement sa fuite. Cependant son allure était assez rapide en essayant de revenir le plus vite possible à sa chambre.


    Une fois son but finalement atteint, Yoko se dépêcha de refermer le loquet et s'effondra le long de la porte. C'était sa sécurité. Même dans sa véritable chambre, dans sa maison, elle s'enfermait toujours. La jeune fille ne voulait pas être vue à l'intérieur par les autres. C'était son refuge, son sanctuaire. Le seul lieu où l'adolescente n'avait pas à réfléchir sur le comportement à adopter.


    Portant sa main sur son cœur, elle sentit celui ci battre encore très fort dans sa poitrine. Ce garçon l'avait troublé tout à l'heure. Il semblait sincère quand il parlait de protéger les autres, les plus faibles d'un groupe qui ne savaient pas se défendre correctement.


    Yoko se souvenait encore de la discussion qu'elle avait surprise au matin entre lui et un autre élève. Il l'avait réellement impressionné à parler de manière si détachée et à ne pas se soucier des ragots colportés par les autres élèves sur son attitude.


    Traversant la pièce pour aller s'asseoir sur le bord de son lit, Yoko hocha de la tête. Oui, il l'impressionnait par ce discours et cette attitude de protecteur mais elle ne lui avouerait pas. Jamais ! Les garçons ne comprenaient rien au terme d'impressionner une fille. Pour eux, il s'agissait seulement d'un terme leur disant que la voie était dégagée pour sortir avec cette fille. Ou pire. Pour coucher avec, la larguer, et s'en vanter auprès de leurs amis.


    Résister. Elle devait résister à l'emprise de ce garçon. L'adolescente ignorait encore tout de lui et de ses motivations. Malgré sa courte vie, Yoko avait déjà connu le cas de nombreux hommes manipulateurs, que ce soit au travers de ses expériences ou celles de sa mère, et avait retenu qu'il ne fallait pas placer sa confiance en n'importe qui et surtout pas en un des représentants de l'espèce masculine.


    Très peu de filles de son âge pensaient ce genre de raisonnement mais ce n'était pas son problème. Pourtant il aurait fallu développer ce genre de logique. Si les filles se méfiaient un peu plus des garçons, elles ne se retrouveraient pas dans le pétrin en cas de complications.
    En tous les cas, Yoko refusait de voir son existence être gâchée par un seul garçon. Elle était libre et le demeurerait. Pour toujours.


    Ayant retrouvé tous ses sens, la lycéenne se leva et se décida à se mettre enfin à son travail scolaire. Elle s'assit à son bureau et ouvrit le livre entamé au matin.

     

     

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