• Chapitre 38


    Malgré ses bonnes résolutions, Rentarou avait nourri beaucoup de doutes et d'appréhension à se lever le lendemain. Il craignait les réactions de ses camarades. Cependant Seiichi était venu le rejoindre. Celui-ci avait utilisé la plaisanterie en lui demandant si son réveil avait sonné. Cependant le lycéen géant n'était pas dupe et avait deviné que son meilleur ami avait compris sa difficulté à trouver le courage de quitter seul sa chambre et était venu le soutenir.


    Les deux lycéens allèrent se doucher et revêtirent leur uniforme avant de descendre au réfectoire prendre leur petit-déjeuner où ils retrouvèrent Shintarou.


    Après le repas, les trois adolescents gagnèrent le bâtiment des cours sous une pluie aussi torrentielle que les jours précédents. Dans la salle des casiers, ils prirent leurs affaires pour la matinée mais surtout revêtirent une blouse blanche par dessus leurs vêtements. Aujourd'hui, leur classe avait un double cours de Chimie dès la première heure de la journée.
    Cette reprise s'annonça de mauvaise augure. Le professeur Masami interpela Rentarou quand il entra dans sa classe tandis que ses condisciples rejoignirent docilement leur place.


    - Satsuma-kun, puis-je vous demander ce qui vous ait arrivé ?


    - J'étais malade, Masami-sensei, mentit Rentarou. Haruko-sensei m'a dit qu'elle préviendrait Hashimoto-sensei que je n'irais pas en cours.


    Le regard soucieux, l'enseignant remonta son monocle de quelques centimètres sur son nez. Il fixa si intensément son élève que Rentarou se demanda si celui-ci n'essayait pas de lire dans ses pensées afin de deviner son mensonge.


    - Le professeur Hashimoto m'a rapporté que tu devais revenir en cours à partir d'hier matin. Or, celui-ci m'a informé que tu as été absent hier toute la journée. Une explication ?


    - Ce n'est pas à Hashimoto-sensei de me demander ça ?


    Nerveux, Rentarou n'aima pas du tout cet interrogatoire. Il ne possédait pas non plus de réponse convaincante à dire pour se sentir rassuré. Malgré sa réticence, le jeune homme se résigna à mentir à nouveau.


    - Il me semble naturel qu'un professeur s'inquiète pour son élève.


    C'est sympa de sentir que vous inquiétez, Masami-sensei … Mais c'est un peu agaçant … Qu'est que je vais bien pouvoir inventer ? Il me faut un truc et vite !


    - Je ne voulais pas venir en cours hier, avoua t-il en baissant la tête.


    - Eh bien, de mieux en mieux, s'exclama Masami avec indignation. Vous pensez peut-être que nous, professeurs, acceptons que nos élèves étudient à la carte ? Que vous ayez envie ou non, c'est votre devoir de venir en cours !


    - Ce n'est pas ce que vous croyez, protesta Rentarou en relevant la tête.


    - Et que dois-je penser de votre réponse alors ?


    - En fait, j'ai étudié les cours que j'ai raté toute la journée. Je ne voulais pas retourner en cours sans les avoir travaillé afin de ne pas perturber la classe car je ne saurais pas où nous en sommes.
    L'enseignant sourit de cette tournure inattendue mais demeura sur ses gardes.


    - Dans ce cas, que diriez-vous de vérifier si vous avez compris ce que vous avez étudié hier ? Je vais vous interroger sur le cours que nous avons eu Vendredi dernier.


    Rentarou ressentit un profond abattement à cette nouvelle. Sa mémoire lui rappela un enseignement de sa mère en cet instant précis. Cette expérience lui permit de comprendre pourquoi le mensonge devait être considéré comme un pêché. Les conséquences finissaient fatalement par vous retomber toujours sur la tête et à vous écraser !


    A contrecœur, il suivit son bourreau jusqu'au tableau. Naturellement, le regard de tous les élèves convergèrent automatiquement vers lui. Pour rajouter davantage de pression, sa mémoire lui rappela que ce cours était constitué de l'ensemble des étudiants de première année ayant choisi cette option. Autrement dit, soixante-quinze adolescents l'observaient et se tenaient prêts à répandre à travers tout le lycée sa ridicule performance.


    Fataliste, Rentarou se résigna à son triste sort et attendit la première question de son professeur. Sa surprise fut incroyablement grande en réalisant savoir la réponse. Il avait occulté cet épisode mais le mois précédent les examens trimestriels, le lycéen géant avait aidé Matsuda à réviser ses leçons de chimie de première année. Cependant son ami d'enfance avait été si lent à intérioriser toutes ces notions que Rentarou avait lu au moins vingt fois chacune d'elles. Il avait ainsi retenu très facilement l'ensemble du programme.


    A la fin de l'interrogation qui se solda par une excellente note, le professeur Masami autorisa son élève à rejoindre sa table. Kou lui adressa la première question.


    - Tu as vraiment potassé tous les cours ?


    - Ca ne va pas la tête ? Il me faut au moins deux jours pour rattraper tout le retard que j'ai accumulé la semaine dernière.


    - Alors comment tu as fait pour savoir ce qu'on a étudié Vendredi ? fit Takaishi en cessant de recopier les instructions au tableau. On a commencé justement un nouveau thème ce jour là.


    - Je ne sais pas, avoua Rentarou en versant quelques gouttes d'une potion dans une éprouvette. Je sais juste que je pouvais répondre.


    - Eh ? Tu as vraiment la science infuse en toi alors ? s'émerveilla Kou. C'est cool !


    - Mais non ! C'est certainement un Dieu, une Déesse ou un ange qui a remarqué ta détresse et tenu à t'aider, réfuta Takaishi.


    En arquant un sourcil, Seiichi se retint difficilement de ne pas émettre un de ses commentaires acerbes dont il avait le secret tant cette dernière phrase provoqua chez lui une forte irritation.


    - Arrêtez donc de raconter n'importe quelle fadaise, dit-il avec impassibilité.


    - Tu as une meilleure explication ? riposta Takaishi. Je maintiens que c'est un miracle !


    - Il s'agit juste de sa mémoire prodigieuse, énonça calmement le jeune ninja. Il a aidé Matsuda en Juin à revoir son programme de Physique-Chimie de première année. A faire réciter son ami trois heures et demie à la bibliothèque, il a dû enregistrer ce qu'il lisait.


    - Ah oui ? J'ai fait ça ? s'étonna Rentarou. Je ne me souviens pas de cette séance de révisions.


    - Alors même les gens dotés d'une super mémoire oublient ? s'amusa son meilleur ami.


    A présent que Seiichi lui avait rappelé ce moment, Rentarou se le remémorait. Il se souvenait de la demande de son ami d'enfance. Néanmoins, un détail le troubla. La requête remontait à la semaine précédant le premier week-end dans la famille de Tyro. A cette époque, Seiichi et lui n'étaient pas amis. Au contraire, l'adolescent aux cheveux ébènes le fuyait comme si Rentarou souffrait d'une terrible maladie contagieuse.


    - Seiichi, comment tu sais ça ? Tu n'étais pas à la bibliothèque ce jour-là. Je me souviens clairement que nous étions seuls, excepté la bibliothécaire.


    Embêté par cette question, le jeune ninja ne répondit rien. Il se contenta de baisser la tête et se concentra à écrire les détails du cours et de leur expérience. Rentarou ne lui dit rien non plus mais ne put s'empêcher de sourire.


    Pendant une demie-heure, le lycéen géant se consacra à la réalisation de son expérience. De l'autre côté, face à lui, ses deux camarades faisaient de même. Du moins, c'était Kou qui réalisait les manipulations pendant que son binôme réalisait le même travail que Seiichi.


    - Kou-kun, tu veux que je fasse le mélange suivant ?


    Mais le regard noir du jeune homme aux cheveux ras le dissuada d'essayer.


    - En tous cas, je suis content que tu sois revenu, Rentarou-kun, dit Kou en restant concentré sur son tube à essai sous un bec bunsen. Tu ne peux pas savoir ce que c'est de surveiller ces deux-là quand on est tout seul !


    - J'imagine, sourit Rentarou qui connaissait le faible niveau de ses deux amis.


    - Pourtant Taka-chan est excellent en cuisine et en pâtisserie, songea Kou. Il devrait essayer de se dire que c'est comme une recette à suivre tout ça.


    - En cuisine, il y a des odeurs plus délicates, réfuta maussadement Takaishi en levant son nez de son écritoire. Ici, les odeurs me rappellent toutes l'hôpital. Sans parler de la blouse …


    - Tu es allé à l'hôpital ? s'enquit Seiichi en se redressant.


    - Ouais, il y a longtemps …


    Sachant que son meilleur ami ne supportait ni se souvenir ni évoquer ses trop nombreux souvenirs à l'hôpital, Kou changea de sujet en prenant la première idée qui lui passa par la tête.


    - En fait, la chimie me fait penser aux cours d'économie domestique qu'on a en primaire et au collège. D'ailleurs, je trouvais ces cours sympa. Enfin à part quand on nous demandait de coudre.


    - Des cours d'économie domestique ? C'est quoi ça ?


    - Tu as dû connaître pourtant, fit Seiichi intrigué. Tu es allé deux années à l'école élémentaire.


    - Ca ne me dit rien du tout, nia toujours Rentarou en secouant la tête.


    - Tu ne te souviens pas de Yagami-san ? s'exclama Kou pantois. On l'appelait miss Airbag à cause de sa grosse poitrine !


    - Yagami-san ? Celle qui avait des cheveux châtains clairs et deux couettes ? Elle collait aussi des photos de chats dans sa classe, non ?


    - Oui, tu ne trompes pas, confirma Takaishi.


    - Je comprends mieux, soupira Rentarou. La première semaine que je suis entrée en première année de primaire, j'ai repéré sa salle qui ressemblait à une cuisine. Je me suis faufilé dedans car je voulais faire un gâteau pour kaasan. J'avais commencé à rassembler des ingrédients comme elle faisait toujours. Sauf que j'ai trouvé un truc que je ne connaissais pas. J'ai goûté et j'ai trouvé ça bon alors j'ai mis toutes les boites de ce truc dans ma pâte. En fait, c'était de la levure et j'ai du mettre l'équivalent d'un kilo.


    - Oh non ! lâcha Takaishi qui devina la suite et fin de l'expérience.


    - Et quand je l'ai mis au four, ça a gonflé puis ça a pété si fort que le four a été détruit.


    - Je comprends pourquoi j'ai entendu une explosion un jour à l'école, s'exclama Kou en riant.


    - Et il ose nous faire la leçon, Taka-chan, se lamenta faussement Seiichi.


    - J'avais six ans, bouda Rentarou. Je ne savais pas ce que je faisais.


    L'adolescent se concentra alors sur son travail pour ignorer les commentaires moqueurs de ses amis et s'efforça à ne pas les écouter en pilant en poudre son chlorate de soude. Néanmoins, sa poigne se révéla si forte qu'il n'eut pas longtemps à les écraser.


    Pendant son travail, son esprit réfléchissait. Il trouvait la vie réellement étrange. Fukuda Kou, l'enfant qui le maltraitait et le martyrisait à longueur de journée, était devenu un proche camarade. Rentarou se surprenait encore d'un pareil revirement. En comparaison, Matsuda Katsuo, son ami d'enfance et le seul à l'avoir jamais défendu et soutenu, avait fini par le rejeter. Cela l'étonnait de voir ces deux situations totalement opposées s'interchanger. Cela l'amenait à croire en la leçon enseignée par Yushima pendant leur sept mois de vie commune. Aucune situation ne restait éternellement inchangée. Avec une volontée suffisament forte et un déploiement de ses efforts, la concréatisation de ses ambitions devenait réalisable.


    Même devenir ami avec Kou et lui pardonner …


    A la fin du double cours de Chimie, Rentarou et Seiichi quittèrent leurs deux camarades et descendirent pour rejoindre la salle d'Aizawa. Durant le trajet, l'adolescent aux cheveux ébènes s'amusa à ennuyer Rentarou sur les nouvelles tentatives de l'enseignante pour lui créer des ennuis ce qui agaça fortement celui-ci.


    En arrivant en classe, La professeur Aizawa l'accueillit si gentiment que Rentarou se demanda si elle ne couvait pas une grave maladie. Cependant cette douceur inhabituelle le changea agréablement de sa routine quotidienne. L'enseignante lui annonça même qu'aujourd'hui elle ne l'interrogerait pas car il venait seulement de revenir. Rentarou se sentit le cœur si léger et heureux de cette pensée et alla s'asseoir gaiement. Néanmoins, Aizawa ne compta pas le ménager pour autant.


    D'ordinaire, Aizawa faisait son cours en commentant longuement le texte sans se soucier si ses étudiants se montraient attentifs ou non et ne les faisaient pas participer.


    Ce matin-là, elle demanda à Rentarou de lire le texte abordé dans son intégralité. A sa grande horreur, le jeune homme découvrit que le document en question remplissait trois pages de son manuel. Il poussa un profond soupir en pensant à son anglais parlé à la japonaise. Résigné, le condamné se leva et commença sa lecture. Le lycéen géant buta sur chacun des mots, hésita sur les prononciations et se trompa de multiples fois. A chaque erreur, sa tortionnaire l'obligea à recommencer depuis le début.


    A la fin de cette heure désastreuse où il avait lu de l'anglais durant toute la séance, Rentarou regretta de ne pas avoir à boire. Sa gorge lui brûla à force d'avoir autant utilisé sa voix. Le dernier cours se déroula beaucoup mieux étant naturellement à l'aise avec les mathématiques. A la sortie, Hashimoto tint à le voir seul et lui demanda des explications sur pla raison de son absence de la veille. Il répéta alors son mensonge dit plus tôt à Masami. Son professeur titulaire s'en satisfit et le laissa partir.

     

    Etant sorti plus tard que les autres étudiants, Rentarou arriva le dernier à la salle de Droit où se réunissaient ses amis. Avant de s'asseoir avec eux, il alla se placer face à la fenêtre, ferma les yeux et entreprit un exercice de respiration pendant cinq minutes. L'adolescent mit ensuite sa main contre sa bouche pour inspirer et expirer plusieurs fois de l'air dedans.


    - Qu'est que tu fais ? lui demanda sans cesse Tyro.


    - Tu t'es senti mal à un moment ce matin ? s'inquiéta Seiichi.


    - Non, tout était normal. Cependant Haruko-sensei m'a appris à mieux respirer. Elle m'a conseillé de faire fréquemment des exercices pour contrôler ma respiration. De plus, respirer souvent en couvrant ma bouche et mon nez aide à diminuer le taux de dioxide.


    - Mais arrêtez de m'ignorer ! De quoi vous parlez ? Je veux savoir !


    - Tu as l'air d'un gosse, Tyro, soupira Kou.


    - Ils parlent du syndrome Da Costa, énonça gravement Shintarou. Rentarou, tu en es atteint ?


    Surpris, Tyro se tut et instant et tourna la tête vers le petit rouquin à sa droite puis reprit de plus belle :


    - Et c'est quoi le syndrome de Coza ? Dis-moi ! Dis-moi, Shintarou !


    Lassé d'entendre les supplications de Tyro, Takaishi lui attribua une forte claque sur l'arrière du crâne et le poussa contre le sol pour l'obliger à se taire. Tout le monde eut un regard de reconnaissance pour le jeune fan de base-ball.

    Shintarou commença alors son explication :


    - Le syndrome de Da Costa, appelé ainsi en référence au premier auteur à avoir étudié ce cas en 1871, se nomme plus couramment hyperventilation. Il s'agit d'une maladie fréquente touchant environ 10% de la population mondiale mais reste malheureusement très peu diagnostiquée. Il s'agit pourtant d'une pathologie grave et lourde. Le corps produit beaucoup de dioxide de carbone d'où une hypocapnie et alcalose respiratoire. En d'autres termes, la personne croit mourir d'étouffement. De plus, tout le corps réagit lors d'une crise. Au niveau du cerveau voit son alimentation diminuer et cause des vertiges, des troubles visuels et même des syncopes. Le débit sanguin diminue, la peau se refroidit et des douleurs musculaires ainsi que digestives peuvent apparaitre.


    Tout le long du discours de l'aspirant vétérinaire, les adolescents écoutèrent très mal à l'aise par ces explications. Sans comprendre la majorité des termes utilisés, on sentait la gravité de la maladie.


    - Tu … tu as vraiment ça, Rentarou ? s'étrangla Tyro qui avait pâli.


    Rentarou jeta un regard de mépris à Shintarou. Il n'avait vraiment pas besoin de voir ses amis inquiets. Cela augmenterait à coup sûr son stress.


    - Heureusement qu'Haruko-sensei est plus diplomate et rassurante. Parce que si j'avais entendu ça quand je suis allé la voir juste après une crise, je me serais probablement évanoui.


    - En tous les cas, tu devrais arrêter le tennis, conseilla Shintarou. Une crise d'hyperventilation peut se déclencher en cas d'intenses efforts physique. Or, tu t'entraines toujours si intensivement que cela est trop dangereux pour toi.


    - Arrêter le tennis ? Tu as envie que je t'écrase la figure dans le bento que tu manges, toi !


    - Tu devrais ne pas trop forcer quand même, se risqua Takaishi.


    - Haruko-sensei m'a emmené faire des tests à l'hôpital. Tout est OK chez moi. Le médecin qui m'a examiné m'a même dit qu'avec un corps pareil, je vivrais jusqu'à cent cinquante ans.


    - Cent cinquante ans ? Impossible ! s'écria Kou avec conviction.


    - Pourquoi pas ? rétorqua Takaishi en haussant les épaules. En 2032, le japonais Okiayu Junichi s'est éteint à 138 ans. En 2035, le français Jean Moreau avait atteint les 135 ans et en 2042 la française Juliette Garin est décédée à 143 ans.


    - C'est quand même des exceptions, émit Kou.


    - En y réfléchissant, pas vraiment, songea Tyro. Si je me souviens de mes cours de Géo, l'espérance de vie de notre pays est comprise entre 120 et 130 ans.


    - Celle des États-Unis et de l'Europe de l'Ouest est de 125 à 130, ajouta Takaishi.


    - Ca suffit ! s'exclama Kou avec exaspération. Pas la peine de disserter là dessus trois heures !
    - Je me demande ce qui crée les crises de Rentarou, se demanda Shintarou qui ne cessait de réfléchir depuis qu'il avait entendu le diagnostic du médecin.


    - Rentarou ne réagit qu'au stress et aux angoisses, intervint Seiichi qui avait continué à manger tout au long de la conversation. Si vous voulez vraiment une technique efficace pour l'aider, ce serait qu'il parle davantage de ce qui l'ennuie.


    - Seiichi … , murmura Rentarou embarrassé par la seconde phrase.


    - Je vois, fit Shintarou dont les traits se froncèrent. Une grande souffrance psychologique ou physiologique ou les deux peut être la cause principale des crises dans 90% des cas.


    - Et que doit-on faire, nous, si tu as une crise ? s'enquit Kou avec anxiété.


    - Continuer à agir comme si rien ne se passait et le laisser mourir, dit froidement Seiichi.


    - Seiichi !!!


    - Je regrette mais il s'agit de la réalité, Rentarou.


    - Seiichi …


    - Rentarou, s'il te plaît, dis-nous ce qu'il en est réellement, s'exclama Tyro inquiet.


    - Si jamais j'ai une crise devant vous, vous devez faire comme s'il ne se passait rien et continuez ce que vous faisiez. Cela me permet de garder mon calme et de m'en sortir plus rapidement.


    - Autrement la victime panique si elle entend les gens autour d'elle s'inquiéter et réagir. Ainsi même si c'est dur, il faut faire semblant qu'il ne se passe rien pour son propre bien, ajouta Shintarou.


    - C'est ce que je disais, non ? Il faut agir comme si rien ne se passe pendant que Rentarou est en train de mourir, reprit Seiichi très amusé.


    - Seiichi, c'est une formulation très choquante, soupira Rentarou.


    - Moi, je pense qu'elle est très juste, corrigea Shintarou d'un regard triste. Quand une victime d'hyperventilation fait une crise, elle croit mourir toutes les trois secondes. Par conséquent, pour elle, c'est comme si elle agonisait et sa souffrance est visible de l'extérieur.


    - Même Shin est d'accord avec moi, claironna Seiichi en leur adressant un sourire de triomphe.


    Afin de changer de sujet, les adolescents se décidèrent à entamer leurs provisions. L'heure tournant rapidement, aucun ne voulut retourner en cours sans rien avoir dans l'estomac.
    A la suite du déjeuner, la bande se sépara pour une heure de cours. Japonais pour Rentarou, Seiichi et Shintarou, Mathématiques pour Kou et Takaishi et Anglais pour Tyro. Après avoir assisté à la séance du professeur Noda, le trio de la 1D partit à la bibliothèque pour permettre à Rentarou de rattraper son retard. Quant à Kou et Takaishi, ils s'étaient sagement assis sur les marches de l'escalier du troisième et dernier étage et s'échangeaient des objets sur leur console.


    Pendant ce temps, Tyro était parti s'entrainer au tennis à l'extérieur. A travers la fenêtre, en classe, il avait remarqué que la pluie avait cessé de tomber et s'était donc empressé d'en profiter.


    Debout sur un des courts, le jeune homme pratiquait ses services. A un moment donné, il lança la balle beaucoup trop fort. Celle-ci monta haut, dépassa le grillage et tomba plus loin, du côté du baraquement où se réunissaient les titulaires.


    Rapidement, Tyro déposa sa raquette sur le banc et sortit du court. Il courut jusqu'à sa balle lorsque ses oreilles entendirent du bruit venant du bâtiment tout proche. Très curieux, le jeune homme repéra une planche descellée et alla écouter.


    - Tout le monde est là ? demanda Kurata.


    Un murmure d'approbation parcourut l'assemblée.


    - Alors laissez-moi vous dire que je suis mécontent de vous, tonna t-il. Je n'apprécie pas ce qui s'est passé au tournoi préfectoral.


    - Mais on a gagné, Kurata-san, protesta faiblement Nagai.


    - Vous saviez comment j'avais prévu la victoire ! Je voulais remporter chaque match qui clot les rencontres ! Or, cela n'est arrivé qu'une fois !


    - Nous avons fait de notre mieux, exposa Raphael. Autrement, tu pouvais demander à tes deux amis de perdre leurs matches.


    - Ichi souhaite devenir professionnel. Par conséquent, je ne peux pas lui imposer un pareil sacrifice, répliqua Kurata. Donc c'était au premier double de renoncer à gagner !


    A l'extérieur, Tyro s'était paralysé. Il réalisait la signification derrière ces mots. Cela le mettait en colère mais s'efforça de retenir son irritation pour écouter la suite.


    - Nagai, Motoguchi, je vous interdis donc de refaire des coups d'éclat !


    Les deux concernés approuvèrent apparemment en silence. De là où il se trouvait, Tyro éprouva de la tristesse et de compassion pour eux deux. Ils s'étaient tellement entrainés pour progresser. Leur interdire de montrer leurs prouesses était horrible.


    C'est criminel, pensa Tyro avec colère. Kurata, espèce de …


    - A toi maintenant, Raphael.


    - Je joue en simple deux et si Satsuma gagne, je dois perdre, c'est ça ?


    Le jeune français parla d'une voix tranchante et nette, nullement impressionné par son buchou.


    - Tu as parfaitement compris, approuva Kurata.


    L'adolescent se leva vivement en réaction.


    - Je suis désolé pour toi, Kurata-buchou, mais je ne compte pas perdre pour toi et tes potes !


    - Tu seras démis de l'équipe des titulaires en ce cas, le menaça Kurata.


    - Fais ça, Kurata-buchou, et je le rapporte à mon père. En sa qualité d'ambassadeur de France, il stoppera toutes transactions entre notre pays et l'entreprise de ton père.


    Un très long silence s'installa entre les deux. Tyro trépigna dans sa cachette. Il aurait payé cher pour voir la tête de Kurata.


    Brusquement, la porte claqua. Raphael quitta la réunion et s'éloigna en silence. Toutefois, il repéra la silhouette de Tyro dissimulée dans l'herbe et s'approcha rapidement sans produire le moindre bruit. Le jeune homme plaqua le corps du garçon contre son torse et le maintint suffisamment haut pour éviter à ses jambes de toucher le sol. En même temps, il bloqua sa bouche de sa main gauche pour l'empêcher de parler.


    Incapable de se défendre ou d'appeler à l'aide, Tyro enragea. Il s'interrogea sur l'identité de son agresseur et de ses intentions. Celui-ci ci trimballa à l'autre bout du campus et le lâcha à terre sans ménagement. Libéré de cette emprise, le jeune tenniman se retourna immédiatement.


    - Raphael-sempai ! cria t-il avec indignation.


    - Ne dis à personne ce que tu viens t'entendre, Sakumai, recommanda Raphael.


    - Hors de question ! Je vais tout dire à Rentarou et Seiichi !


    - Si tu le dis à Satsuma, il interviendra. Kurata-buchou lui causera des ennuis très important. Si tu te soucies de ton ami, préserve-le.


    - Tu as fait peur à Kurata-buchou tout à l'heure. Tu n'as qu'à nous protéger, suggéra Tyro.


    - Je l'ai fait car il s'en prenait en moi. Cependant je n'ai rien à voir avec le club. Si ça se trouve, je serais parti avant la fin de l'année.


    - C'est dégueulasse ! Tu n'es qu'un égoïste !


    N'ayant pas envie de dialoguer avec une personne qui l'écœurait autant, Tyro partit rapidement. Il courut à toute hâte et traversa le campus à nouveau pour sortir du lycée. Le garçon laissa un message sur le répondeur de Rentarou et lui demanda de venir chez lui avec Seiichi en sautant l'entrainement.


    Vers seize heures, les Sanonis se retrouvèrent dans la chambre de Tyro pour une réunion exceptionnelle. Le maître des lieux s'était perché sur son lit, les jambes passées à travers la barrière et pendant dans le vide. Rentarou s'était allongé à plat ventre sur un des profonds poufs, la tête relevée vers ses amis, et Seiichi était assis à en sens inverse sur l'unique chaise de la pièce.


    Tyro exposa avec calme sa découverte.


    - C'est donc ainsi que cela se passe, conclut Seiichi.


    - Katsuo-sempai m'en avait parlé, se souvint Rentarou tristement.


    - Comment ça ? Explique-toi mieux, réclama Tyro un peu brutalement.


    - Il ne m'a pas dit grand chose. Il a dit juste que j'ai été choisi comme titulaire à cause de ma personnalité. Il m'a révélé que buchou savait que Tyro était un excellent tennisman. Il avait évalué notre niveau à la même équivalence.


    - C'est vraiment impardonnable d'avoir ignoré Tyro sans cesse, s'insurgea Seiichi révolté.


    - Je le savais déjà, Seiichi, l'informa Tyro d'un ton anormalement calme.


    - Tu as vraiment joué contre buchou ?


    - Quand j'étais en première année de collège, confirma Tyro d'un sourire rayonnant de fierté. La première fois lors d'un match de préliminaires. Ensuite la seconde fois lors de la finale du tournoi préfectoral des collégiens.


    - Voilà pourquoi il te traite aussi mal quand il te voit, comprit Seiichi.


    - En tous les cas, Raphael-sempai est vraiment lâche et égoïste. Il préfère nous abandonner face à un buchou autoritaire et même totalitaire alors qu'il pourrait nous aider !


    - Ouais ! Je suis trop dégoûté moi aussi, approuva Tyro.


    - Moi, je comprends les sentiments de Raphael-sempai.


    Surpris de cette affirmation, Rentarou et Tyro tournèrent la tête pour apercevoir leur meilleur ami qui arborait un visage triste.


    - Raphael-sempai est le fils de l'ambassadeur de France, dit Seiichi. Il suit ses parents depuis qu'il est petit où qu'ils aillent … Ne pas s'attacher aux gens pour éviter de souffrir est quelque chose que je comprends parfaitement. J'agissais de cette manière avant de vous rencontrer.


    - Les ambassadeurs restent plus d'un an normalement, protesta Tyro. J'ai déjà lu quelque part que certains restaient à leur poste jusqu'à la retraite.


    - Cela dépend de leur affectation et des ordres de leur pays, reprit Seiichi. Selon mes informations, la famille de Raphael-sempai a vécu dans de nombreux pays africains, arabes ou d'Amérique du Sud.


    - Autrement dit, des états dangereux, réalisa Rentarou.


    - Je ne sais pas ce qui s'est passé évidement dans sa vie mais depuis ses sept ans, il a changé quinze fois d'école élémentaire, dix fois de collège et trois fois de lycée.


    - Ca ne doit vraiment pas évident de se lier aux autres quand on sait qu'on peut partir à n'importe quel moment.


    - Mais le Japon est un pays sûr, s'exclama Tyro. Il n'y a plus de raison pour lui d'avoir peur.


    - Les habitudes prises à causes de traumatismes sont très difficiles à perdre.


    - D'ailleurs souviens-toi comment était Seiichi avant ! Certains moments, j'avais l'impression qu'il m'aurait tué si ses yeux en avaient le pouvoir, rigola Rentarou.


    Un silence envahit la pièce. Les trois Sanonis restèrent plongés dans leurs réflexions intérieures. Rentarou le rompit brusquement.


    - Alors qu'est qu'on fait ?


    - A propos de quoi ? fit Tyro.


    - Buchou ! Il faut faire quelque chose pour l'empêcher de nuire à tout le monde au club !


    - Il n'y a rien que nous puissions faire, Rentarou, déplora Seiichi. A part attendre.


    - Attendre ? Mais attendre ne changera rien du tout !


    - Si. Dans cinq mois, les troisièmes années, et donc Kurata-buchou, seront diplômés. Nous aurons donc le champ libre au club, exposa Tyro.


    En se redressant, Rentarou regarda alternativement ses deux amis plusieurs fois puis frappa avec force son poing contre le plancher sans se soucier si le frère aîné de Tyro travaillait ou non à l'étage inférieur.


    - Il n'y a pas moyen que j'attende jusque là sans rien faire ! Je ne peux pas supporter cette pensée qu'il empêche les autres de s'épanouir pour son profit personnel !


    - Rentarou, l'interpela Seiichi. Même si tu parles à Yoko-han de notre problème, elle ne pourra rien faire. L'administration du lycée non plus. Kurata-buchou doit probablement utiliser l'influence de son père pour rester à la tête du club.


    - Ce que tu dis me rends encore plus furieux !


    - Concentre-toi sur tes matches plutôt, conseilla Tyro. Ca ne sert à rien de s'énerver actuellement.
    - Si on ne peut pas avoir de recours auprès de quelqu'un alors il faut le régler seul, annonça Rentarou d'une voix forte et résolue.


    - Qu'est que tu veux dire ?


    - Je vais défier buchou et le battre. Pour le club.


    - Kurata-buchou est très fort et il a vu chacun de tes matches, rappela Seiichi inquiet. Tu prends une décision très lourde. Si tu perds, il peut t'imposer n'importe quelle condition.


    - Je m'en doute, répondit Rentarou. Je vais m'entrainer encore plus dur et quand je me sentirais prêt, je le défierai.


    En s'écartant du dossier de la chaise sur laquelle il s'était avachi, Seiichi resta silencieux, sa main droite sous son menton se frottant la joue gauche, et évalua la situation.


    - Il est vrai qu'il s'agit de notre unique chance, convint-il après mure réflexion. D'ailleurs, si tu n'y parviens pas, je l'affronterais à mon tour.


    - Désolé mais je ne te laisserais pas ce plaisir, rétorqua Rentarou narquois.


    Au même moment, Tyro sauta de son perchoir. Les fesses sur le plancher, sans se soucier le moins du monde de s'être fait mal, et se releva immédiatement.


    - S'il vous plaît, ne faites pas ça ! Surtout pas !


    Intrigués, ses deux camarades pivotèrent la tête vers leur ami. Celui-ci arborait un visage défait, tourmenté et agité. Ils ne l'avaient jamais vu dans un tel état.


    - Vous ne savez pas de quoi est capable Kurata-buchou dans un match …


    - Il est très fort, on l'a bien vu, dit Rentarou soucieux de l'attitude de son ami.


    - Vous n'avez vu que ses capacités quand il est en position de force. Aucun de vous deux ne l'a vu se transformer quand il réalise qu'il perd.


    - Il se transforme ? répéta Seiichi en arquant un sourcil.


    Tyro opina faiblement de la tête. Il ne prononça pas une seule parole et déboutonna ensuite sa chemise et la jeta au sol. L'adolescent avait oublié d'enlever son uniforme en rentrant aujourd'hui tellement il était perturbé. Le jeune homme retira ensuite le sous-vêtement en dessous puis posa alors son index gauche sur un point de sa clavicule droite. A cet emplacement, on pouvait apercevoir une très fine cicatrice.


    - Lors du premier match, Kurata-buchou a été très surpris que je l'emporte si vite. Il ne s'était pas méfié d'un première année et a baissé sa garde, dit-il d'une voix dénuée d'émotion.


    - Il s'est passé quelque chose au second ? interrogea Seiichi.


    - Kurata-buchou a été hargneux dès le départ. Son style de jeu a changé. Normalement, il joue de manière que ses balles évitent l'adversaire. Là, ses balles touchaient l'adversaire.


    - Eh ? Qu'est que tu veux dire ? s'exclama Rentarou qui ne comprenait pas.


    - Au lieu de viser le terrain, il me visait moi. Je devais donc éviter ses tirs mais les rattraper aussi pour ne pas perdre de points.


    - Attends ! Il te visait ? Mais et l'arbitre ? Il aurait du le signaler ! s'offusqua Rentarou.


    - Au tennis, il est autorisé de toucher le joueur si l'intention ne peut pas être prouvée. Ainsi même si un joueur blesse plusieurs fois son adversaire, il peut toujours prétendre avoir mal contrôlé sa balle ou dire qu'il a mal interprété les mouvements de l'adversaire, expliqua Seiichi.


    - C'est vraiment nul !


    - Alors je me prenais des coups sans arrêts à recevoir la balle sur moi quand je ne savais pas éviter. J'ai même manqué de la recevoir sur la tête. Heureusement, mes équipiers m'ont averti du danger … Mais pour l'éviter, je me suis pris les pieds dans les filets et j'ai tombé sur cette foutue clavicule … Cependant je n'ai rien dit et j'ai continué et terminé le match comme ça …


    - Attends ! Tu es droitier, Tyro, glapit Seiichi. Tu …


    - Ouais … Je me suis cassé la clavicule droite et avoir joué avec dans cet état n'a rien arrangé. J'ai été opéré et on m'a posé une broche pendant dix mois. Je n'ai plus rejoué un vrai match avant le lycée à cause de ça.


    - Et tu as des séquelles ? s'inquiéta Seiichi.


    - Non, je suis totalement opérationnel, répondit Tyro avant de regarder ses deux amis. Alors s'il vous plaît, ne faites pas ça ! Kurata-buchou est dangereux ! Souvenez-vous de notre promesse d'être titulaires et de gagner ensemble les Nationales ! S'il vous plaît !


    - Je comprends, dit finalement Seiichi en mettant sa main droite sur son cœur. Je te promets que je ne ferais rien contre Kurata-buchou avant notre seconde année.


    A présent, les deux adolescents tournèrent la tête vers le troisième de leur bande. Celui-ci ne sembla guère convaincu par les supplications de Tyro. D'ailleurs, il se mit à à rire bruyamment.


    - Rentarou ?


    - Tyro, je comprends tes sentiments. Cependant faire une telle promesse est au-dessus de mes forces. Ce que tu viens de me dire me donne encore plus envie de le vaincre.


    Rentarou se tut un instant et redressa la tête.


    - Par ailleurs, je n'ai pas l'intention de perdre. Je vais gagner ce match comme je compte gagner ce match de l'année prochaine.


    - Quel match tu parles ? s'intrigua Tyro.


    - Il a l'intention de battre Matsuda l'année prochaine lorsque nous rencontrerons son équipe, rapporta Seiichi.


    - Je ne perdrais pas, répéta Rentarou avec résolution. C'est hors de question !

     

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