• Chapitre 3

     

    La vie d'un lycéen était très contraignante et répétitive mais Rentarou finissait par s'habituer progressivement. Il avait assimilé les principales règles à suivre comme ne pas déranger le groupe ni perturber la classe. En fait, l'adolescent solitaire se contentait de garder profil bas et de ne rien dire.


    Les journées étaient très longues et la dizaine de minutes accordée à chaque intercours lui paraissait durer une éternité. Il regardait toujours ses camarades de classe discuter et plaisanter tous ensemble mais n'osait jamais participer.


    Ce sentiment d'être tout seul au monde malgré tant de personnes autour de lui n'était pas nouveau. Il l'éprouvait depuis tellement longtemps que cela lui rongeait le cœur.


    En écoutant les conversations de ses camarades au rythme des différents jours de la semaine, le jeune homme avait réalisé que la majorité d'entre eux fréquentait un club au sein du lycée. Depuis son esprit réfléchissait à ce sujet et s'interrogeait sur un point important : rejoindre un club l'aiderait-il à s'intégrer au groupe et à se faire des amis ?


    En méditant à ces interrogations, le jeune homme s'était souvenu de Shiromiya Seiichi, ce garçon pâle assis à côté de lui qui l'intriguait tant. Celui-ci n'avait adhéré à aucun club exactement comme lui. Conformément à ses observations depuis le jour de rentrée, il n'adressait jamais la parole à personne.


    Au moins une à deux fois par jour, Rentarou essayait d'engager la conversation avec lui. Souvent, le jeune hommes aux cheveux de jais disait juste un bonjour en passant à côté de lui pour s'installer à sa place ou tentait de se renseigner sur son prochain cours quand il s'agissait d'un enseignement optionel. Chacune de ses tentatives de dialogues s'était soldée par un refus total de communiquer. L'adolescent aux cheveux ébènes ne répondait jamais à ses salutations et lui répliquait de se mêler de ses affaires quand il cherchait à connaître son cours suivant.


    Rentarou aurait tant aimé discuter de ses doutes et de ses problèmes avec quelqu'un mais il savait que cela lui était impossible. Le lycéen géant était seul au monde. Personne d'autre que lui ne pouvait ressentir sa douleur ni la comprendre.


    Pendant les dix premiers jours qui suivirent la rentrée, il se rattacha à cette croyance et continua à vivre chaque jour aussi misérablement que la veille jusqu'au moment où le jeune homme se rappela de cet ami partageant une situation analogue à la sienne.


    C'était Nobu, ce petit garçon sauvé autrefois d'un groupe de délinquants et protégé au fil des années. En récompense de sa loyauté indéfectible, il l'avait aidé à réussir l'examen d'entrée de son collège. Rentarou réalisa que son ami, son seul véritable ami, pourrait entendre ses doutes et ses tourments de son nouveau quotidien.


    Rentarou quitta le lycée vers quinze heures à la fin de son cours de Biologie, en s'arrêtant un court instant à la salle des casiers pour déposer son sac, et descendit le long de la rue sur une cinquantaine de mètres avant de s'immobiliser au milieu du trottoir.


    De l'autre côté de la rue face à lui se dressait un bâtiment ultramoderne presque entièrement couvert de fenêtres. En contemplant toute cette surface vitrée, il grimaça en imaginant les pauvres élèves et professeurs souffrant de la chaleur chaque fois que le soleil brillait.
    Après avoir traversé attentivement, le jeune homme se retrouva de l'autre côté et pénétra dans l'enceinte du collège. Celle-ci était fraiche et ombragée grâce à la présence de nombreux arbres plantés un peu partout le long des allées. Rentarou se dit que le parc devait être la partie la plus agréable et fréquentée lors de la période des fortes chaleurs estivales.
    Slalomant difficilement entre les collégiens qui sortaient de cours tel une marée humaine, le jeune colosse se demanda comment il pourrait retrouver Nobu. Soudain son esprit lui souffla d'utiliser son téléphone cellulaire.


    Je ne ressemble vraiment pas à un vrai ado, pensa Rentarou. Dans la cour, à la cantine ou même les couloirs, je les vois tous avec un portable mais ça n'est toujours pas un réflexe pour moi. En même temps, je n'ai que Nobu-kun en contact alors ça n'aide pas beaucoup …


    Détachant le téléphone de sa ceinture, Rentarou composa le numéro de son ami, le seul qu'il possédait, et attendit un court instant que son correspondant lui réponde :


    - Yo Rentarou-kun, clama jovialement la voix de Nobu. Ca fait un moment !


    - Comment sais-tu que c'est moi ? s'étonna Rentarou.


    - J'ai simplement lu ton nom en prenant l'appel, expliqua Nobu avant d'éclater de rire.


    - Alors tout se passe bien, Rentarou-kun ? demanda Nobu au bout de longues minutes de silence.


    Baissant la tête, le lycéen géant comprit immédiatement que son camarade savait déjà qu'il n'allait pas bien. Rentarou ne parlait jamais beaucoup à Nobu. Il attendait toujours que son ami ait deviné ses pensées.


    - Je suis dans la cour de ton collège.


    - J'arrive tout de suite !


    Il raccrocha aussitôt. Rentarou remit son téléphone à sa ceinture et attendit adossé contre un mur la venue de son ami. Nobu arriva à toute hâte, ses cheveux trempés plus en bataille que jamais, le visage dégoulinant de sueur, en tenue de sport, et s'arrêta net face à lui.


    - Désolé d'avoir trainé, s'exclama Nobu en haletant. J'étais déjà au vestiaire et comme le terrain de foot est au fond du campus alors j'ai du courir !


    - Vous jouez au foot en Education Physique ?


    L'adolescent se souvint encore de l'horrible séance du mercredi Matin où le professeur leur avait fait enchainer différents mouvements de gymnastique pendant deux heures pour lesquels il n'avait aucune coordination. Rentarou était tombé plusieurs fois à terre sous les rires d'une bonne soixantaine d'étudiants. Toutes les classes d'un même niveau d'étude étaient rassemblées pour les cours d'Education Physique.


    - Non, je me suis inscrit au club de foot, révéla Nobu.


    - C'est bien ? voulut savoir Rentarou satisfait d'aborder le sujet qu'il souhaitait sans le moindre effort de sa part.


    - Je suis incapable de marquer un but sans tomber à terre, je glisse tout le temps et mes maillots sont plus sales que si je nageais dans les égouts mais c'est génial, expliqua Nobu tout excité, les bras croisés à l'arrière de sa tête.


    Fronçant les sourcils, Rentarou ne l'avait encore jamais vu aussi débordant d'énergie. Depuis leur rencontre, il l'avait toujours connu apeuré et craintif. Nobu se comportait comme un chien battu, les yeux en permanence baissés et incapable de penser au lendemain. A présent, le voir si tonique et heureux lui faisait plaisir. Cela lui remontait aussi le moral. Les efforts fournis le long de l'année dernière à rattraper leur retard scolaire lui apparaissaient maintenant totalement justifiés et récompensés.


    - Je suis content que tu ailles si bien, dit Rentarou avec sincérité.


    - Et toi ? Comment tu t'en sors au lycée ? poursuivit Nobu. Tu as beaucoup d'amis ?


    Rentarou déglutit lentement un peu de sa salive. Ce n'était pas la question à lui poser. Comment avouer qu'il n'avait pas le moindre ami ? Le lycéen géant devait toutefois dire quelque chose. Nobu se comportait encore en enfant et le harcèlerait tant qu'il n'aurait pas de réponse.


    - Je … J'ai du mal un peu à m'habituer à la vie de groupe, admit Rentarou très hésitant.


    - Tu essaies au moins de parler aux autres ? s'enquérit Nobu en fronçant les sourcils.


    - J'essaie de parler avec les autres élèves de ma classe mais je n'arrive pas à les intéresser à moi. Ils me répondent à peine, confia Rentarou en détournant la tête pour fixer un immeuble.


    - Tu participes aux activités d'un club ? continua Nobu en croisant cette fois ses bras contre son torse. Faire des trucs ensemble, ça crée des liens, tu sais.


    - Eh bien, je ne sais pas quoi choisir pour commencer, répondit Rentarou qui se concentrait toujours à admirer l'immeuble.


    - Rentarou-kun, regarde-moi un peu, grogna Nobu. Je suis si petit qu'on me considère comme un écolier mais ils me laissent jouer au foot !


    - Je ne j'ai jamais fait de sport, en plus, rappela Rentarou.


    Cette évocation fit rigoler franchement son petit protégé. Du haut de son mètre quatre-vingt-un et de cette imposante musculature qui sculptait tout le corps de ce jeune colosse, le collégien se doutait que n'importe club l'accepterait. Malgré son ignorance des règles du jeu, son compagnon disposait d'une grande endurance et d'une force si étonnante qu'il aurait impressionné un boxeur.


    - Je suis sûr qu'il y a un domaine dans lequel tu seras très bon, assura Nobu. Au moins, fais un essai et tu verras ce que ça donne !


    Croisant les bras contre sa poitrine, Rentarou tourna la tête vers son ami. Il ne se sentit pas mieux de lui avoir parlé. Au contraire, le lycéen géant éprouva un mélange de sentiments très étranges : doute, appréhension, indécision, peur … Son cœur souffrait d'une grande confusion dans laquelle le jeune home ne parvenait pas à voir correctement ni à se repérer, un peu comme s'il se trouvait empêtré au beau milieu d'un vaste brouillard.


    - Tu vas essayer, Rentarou-kun, hein ? Tu vas essayer ? clama Nobu excité. Après tout, Rentarou-kun fait toujours tout bien alors tu vas réussir !


    - Nobu-kun, je ne fais pas tout bien, soupira Rentarou en s'écartant du mur sur lequel il s'était adossé pour poser sa main sur son épaule droite.


    - Mais Rentarou-kun est … , commença Nobu dont les yeux scintillaient.


    - Je vais y aller, Nobu-kun, le coupa sèchement Rentarou. J'ai un truc à faire.


    Serrant ses poings au maximum pour contenir sa colère, il salua brièvement son ami avant de quitter les lieux. Ce n'était absolument pas poli mais le lycéen géant ne pouvait pas se contrôler si ce sujet était abordé au cours de la conversation. Rentarou le savait très bien qu'il possédait une force et une intelligence incroyables mais n'acceptait pas les réfléxions faites à ce sujet. Ce corps entier, l'adolescent ne le supportait pas.


    Cet immense corps le rendait tellement différent dans une population aussi petite. Depuis un an et demi, Rentarou endurait les regards de chaque personne qu'il croisait ou presque où qu'il aille. Les douze premières années de son existence dans ce monde, sa taille était normale et ne différait pas beaucoup de celle des autres enfants. il se révélait même un peu plus petit qu'eux. Mais tout changea en entrant dans l'adolescence. Son corps se modifia grandement en l'espace de six mois et devint alors capable de dépasser celui d'un adulte. Ce corps était une hérésie supplémentaire pour lui : un moyen de le faire souffrir davantage. En plus de son existence fortement stigmatisée et marginalisée, la nature elle-même l'avait marquée pour accentuer sa différence vis à vis des autres.


    Rentarou s'arrêta brusquement face à un réverbère et contempla ses larges poings fermés. Il éprouvait une envie irrésistible de cogner dedans encore et encore pour oublier toute cette souffrance qui lui étreignait le cœur jour après jour mais le lycéen géant savait que cette idée était mauvaise. L'adolescent avait renoncé aux pratiques de son ancienne vie.


    De toute manière, cogner un objet ou une personne permettait d'oublier seulement quelques heures les affres de son existence mais celle-ci réapparaissait fatalement par la suite. Frapper devenait alors une véritable drogue. Il fallait cogner le plus de choses et de gens possibles afin d'être assez épuisé pour s'écrouler quelque part et dormir pour ne plus penser à ses actes et à sa condition pitoyable. Rentarou avait renoncé à adopter un comportement si lâche et inutile. L'adolecent s'était juré de de changer et d'apprendre à communiquer avec les autres plutôt qu'à distribuer des coups.


    De retour dans sa chambre, Rentarou s'était allongé sur son lit, les bras croisés contre sa tête pour la soutenir, ses pieds posés sur l'oreiller. Il fixait impassiblement le plafond blanc au-dessus de lui et réfléchissait à toutes les choses qui lui traversaient la tête.


    Normalement, il aurait dû se concentrer sur ses études et s'asseoir au bureau près de la porte où s'entassaient en pèle-mêle ses manuels, cahiers et autres documents et travailler dur. Après tout, le lycéen géant avait deux dissertations à remettre respectivement pour les cours de Japonais et de Biologie d'ici trois à cinq jours. Le jeune homme aux cheveux de jais devait aussi approfondir de nombreux points sur les cours de la semaine ainsi que préparer des fiches résumant ses différentes leçons.


    Mais il ne se sentait pas du tout dans son assiette. Rentarou ne cessait de penser à cette histoire de club et n'arrivait même pas à se décider lequel rejoindre. Ces clubs étaient en grande majorité sportifs à l'exception de ceux portant sur la calligraphie, la cérémonie du thé et l'harmonisation des fleurs, mais le jeune homme préférait encore passer ces trois années de lycée tout seul plutôt que de s'inscrire de pareils clubs.


    Le souci avec les clubs sportifs demeurait dans le fait qu'ils proposaient uniquement des jeux d'équipe et Rentarou possédait une personnalité qui appréciait bien plus le travail individuel. Il se débrouillait toujours mieux tout seul à réaliser une tâche qu'à la partager avec d'autres personnes. Or, le football, le basketball, le base-ball … Chacun d'eux se jouait en équipe.


    Tandis que son esprit restait concentré sur cet épineux problème, une rafale de vent souffla à travers la fenêtre entrebâillée de sa chambre et mit en désordre plusieurs papiers posés sur le bureau. Spontanément, il bondit hors du lit et se précipita pour la refermer. A ce moment, son regard aperçut de l'agitation à l'autre bout du parc. Apparemment, cela concernait une activité d'un club. le lycéen géant ne distingua pas correctement lequel à cette distance.


    Piqué par la curiosité, Rentarou décida d'inspecter cette partie du domaine de l'établissement dont il ignorait l'existence. Pour le moment, il avait déjà noté que le terrain de football se situait tout au fond du parc sur la gauche de la petite forêt tandis que celui de baseball se trouvait beaucoup plus près de l'entrée et les entrainements étaient visibles en passant sur l'allée principale.


    Quittant l'internat par la sortie de secours qui donnait directement sur le campus, Rentarou n'eut qu'à marcher tout droit avant de découvrir plusieurs courts de tennis étendus l'un à côté de l'autre. Tout autour, beaucoup d'adolescents s'entrainaient avec leur raquette en faisant des mouvements dans le vide tandis que quelques uns jouaient un match regardés par le restant, le nez collé contre le grillage.


    Demeurant au bord du secteur réservé au club de tennis, Rentarou contempla longuement ces tennismen qui disputaient un match. Un sourire traduisant un réel amusement se dessina alors sur son visage.

    ***

     

    Les yeux levés en direction de l'horloge accrochée au-dessus du tableau, Rentarou poussa un profond soupir d'ennui et de lassitude. Encore vingt minutes avant d'en finir avec toutes ces équations que leur expliquait Hashimoto !


    En temps normal, il écoutait toujours très attentivement en cours et prenait beaucoup de notes. Aujourd'hui, le lycéen géant se trouvait déjà à cent lieux de ces problèmes mathématiques. Depuis hier, son esprit s'était enflammé en découvrant les matches de tennis. L'adolescent rêvait d'y jouer aussi. Toute la soirée, le jeune homme aux cheveux de jais avait étudié à bibliothèque puis dans sa chambre les règles de ce sport et ses différentes techniques. C'était la première fois qu'il souhaitait aussi fort quelque chose pour lui-même et ce n'était pas du tout désagréable. Cela occupait tellement ses pensées qu'il avait mis de côté ses problèmes relationnels avec les autres et son désir d'intégration avec eux. A présent, il se focalisait uniquement sur un seul objectif : jouer un match de tennis.

     


    - Satsuma-kun ! aboya subitement une grosse voix tandis qu'un poing frappa sa table.


    Interpelé d'une manière si agressive, le jeune homme aux lunettes noires sursauta de surprise puis découvrit le visage furieux du professeur Hashimoto qui se tenait à quelques centimètres de lui.


    - Je … Excusez-moi, Hashimoto-sensei, bredouilla Rentarou en baissant le regard.


    - Je t'ai demandé pas moins de trois fois si tu connaissais la réponse au problème avant de venir jusqu'à toi, révéla Hashimoto en colère. Tu dormais ou quoi ?


    - Non, je ne dormais pas, assura Rentarou avec une grande hésitation. Je …


    Poussant un court soupir de désespoir, le professeur regarda sévèrement son étudiant et croisa ses bras contre son torse :


    - Tu resteras avec moi en retenue après le cours, décida t-il.


    - Mais je ne peux pas du tout aujourd'hui, paniqua Rentarou en réalisant que ses projets risquaient de tomber à l'eau.


    - Tu as quelque chose d'important à faire ? s'informa son professeur. Explique-moi donc cela et je pourrais reporter dans le cas échéant.


    Rentarou demeurant silencieux un instant. Comment avouer devant toute la classe qu'il était seulement pressé de se rendre à un magasin de sport afin d'acheter une raquette et d'autres accessoires pour jouer au tennis ? C'était très embarrassant. Par ailleurs, Rentarou douta beaucoup ce soit un motif décisif pour influencer son professeur à différer sa retenue.


    - Je dois retrouver un ami en ville, inventa Rentarou en évitant de croiser le regard d'Hashimoto.


    - Tu avais fixé rendez-vous avec lui ?


    Au début, l'étudiant ne comprit pas le sens de la question. Il réalisa ensuite que son professeur s'inquiétait probablement de laisser quelqu'un attendre après lui. Cela arrangeait parfaitement ses affaires.


    - On devait se retrouver au centre commercial de Nerima un peu avant seize heures.


    - Dans ce cas, je t'autorise à y aller, annonça son professeur. Ce serait très malhonnête et discourtois de ma part de laisser une personne attendre et se questionner par ma faute. Cependant ne pense pas être sauvé ainsi, Satsuma-kun. Je veux que tu viennes me voir demain après ton cours de Chimie et tu resteras deux heures de plus en retenue avec moi. C'est bien compris ?


    - Absolument, répondit Rentarou en inclinant sa tête. Je vous remercie beaucoup de votre générosité, Hashimoto-sensei.


    - N'oublie pas quand même je t'ai donné une retenue de quatre heures, ironisa celui-ci en levant ses yeux vers le plafond quand il eut tourné la tête.


    Suite à cet intermède pendant lequel l'adrénaline de Rentarou était montée au paroxysme, les dernières minutes du cours passèrent très rapidement. Quand la sonnerie retentit enfin, le jeune homme se dépêcha de ranger ses affaires et de sortir de classe pour aller déposer son sac à l'intérieur de son casier.


    Une fois sorti en ville, il se rendit au centre commercial le plus proche. Le lycéen géant esquissa un petit sourire d'amusement puisqu'il s'agissait de celui de Nerima, lieu qu'il avait sorti totalement au hasard à son professeur une demie-heure plus tôt pour justifier son absence à la retenue que celui-ci voulait lui donner.


    A l'intérieur de cet endroit immense où circulait des centaines de personnes, Rentarou se sentait perdu. Il n'avait encore jamais mis les pieds dans une pareille structure. L'adolescent n'avait d'ailleurs jamais fait de courses dans un magasin, excepté quand le jeune homme aux cheveux de jais accompagnait sa mère à l'épicerie ou à la boulangerie de son quartier lorsqu'il n'était encore qu'un petit garçon. Rentarou réussit à trouver un magasin de sport après avoir marché deux bonnes heures dans des galeries bondées de monde, pris plusieurs fois l'escalator et reçu bon nombres de coups dans le dos suite à des bousculades de clients très pressés.


    Quand il rentra à l'intérieur, l'adolescent savoura le silence et le calme qui régnait en ces lieux après avoir entendu sans cesse les cris de mères après leur progéniture, de pleurs d'enfants réclamant un jouet ou encore des annonces publicitaires passés via les hauts-parleurs du centre.


    - Puis-je vous aider ? demanda un vendeur en s'approchant de lui.


    Même s'il savait pertinemment qu'il était un véritable amateur en tennis et n'avait absolument connaissance du matériel technique à acheter, Rentarou possédait un défaut qui l'empêchait d'accepter l'aide du vendeur. Très fier, le lycéen géant détestait l'idée de dépendre des autres et de recevoir leur concours. L'adolescent aimait se débrouiller tout seul quand il entreprenait une action du début à la fin.


    Ainsi salua t-il le commerçant et le remercia de sa proposition puis la déclina très poliment. A présent, Rentarou chercha à travers les rayons celui consacré au tennis et étudia attentivement chacune des raquettes mises en vente.


    Ignorant les spécificités de chacune, il décida de choisir la plus légère. Le jeune homme aux cheveux de jais estima que ce pourrait être un avantage, surtout si un match durait longtemps. Il acheta aussi une vingtaine de balles et un rouleau de grip puis les fourra dans son sac à dos ainsi qu'un étui pour ranger sa raquette.


    Lorsqu'il ressortit du centre commercial, Rentarou alla s'asseoir sur un petit muret non loin de là. Une fois assis, l'adolescent dézippa délicatement l'étui et en sortit la raquette qu'il venait d'acheter.


    Caressant doucement le cordage, il se mit à le gratter frénétiquement. Rentarou décida de la tester. L'adolescent prit une balle et joua avec en la rattrapant, augmentant un peu la fréquence de rebond ou en la diminuant.


    S'exerçant toujours avec la balle, Rentarou songea que le tennis semblait assez facile pour le moment. Le cordage de la raquette donnait plus d'énergie en son centre et permettait de mieux la renvoyer selon la force que l'on employait.


    Sur le chemin qui le ramena au lycée, il continua à maintenir ainsi sa balle. L'utilisation de sa concentration pour cet exercice l'affranchissait de tous les doutes qu'il ressentait depuis maintenant plusieurs mois. C'était comme une libération.


    En rentrant, la première chose qu'il fit fut de se changer et de revêtir une tenue plus sportive. Il fourra quelques balles dans les poches de son short puis prit sa raquette ressortit de sa chambre.


    Mû par sa profonde fierté, Rentarou n'avait pas encore l'intention de rejoindre le club de tennis. Le jeune homme comptait bien tester ses capacités et les améliorer. Si les différentes victoires et réussites qu'il récoltait le laissaient quasiment indifférent, le lycéen géant ne supportait pas la défaite. Le fait de gagner et d'être meilleur que les autres ne lui apportait pas la moindre joie alors que face à l'échec, l'adolescent se sentait misérable et s'en voulait personnellement.


    Pour être à l'écart des autres adolescents, il s'était rendu à l'arrière des bâtiments où très peu venaient. Pourtant Rentarou trouva l'endroit particulièrement beau. Une petite forêt de chênes et d'hêtres avait été aménagée tout le long du mur d'enceinte jusqu'au terrain de football. Le lycéen géant nota également la présence d'un petit étang qui avait été creusé où croassaient des grenouilles. En se souvenant du descriptif que leur avait fait leur professeur titulaire le jour de la rentrée pour présenter leur nouvel établissement, le jeune colosse s'interrogea sur le sens du mot petit pour Hashimoto étant donné que le bassin en question devait correspondre à la moitié d'une piscine olympique.


    A présent, il se tenait face au mur, la raquette un peu inclinée vers le haut puis lança la balle et la frappa en direction de la paroi. Celle-ci rebondit vers lui avec plus de force mais Rentarou réussit à l'attraper en tendant sa raquette. Cependant le second rebond fut si fort et rapide qu'il tomba au sol en voulant l'avoir.


    Se relevant, il voulut ramasser sa balle mais réalisa qu'elle n'était plus là. Soucieux, Rentarou examina soigneusement l'herbe autour de lui mais celle-ci ne s'y trouvait pas. Son regard se posa alors sur la forêt et il comprit que l'élan de la balle avait été si important qu'elle n'avait pas pu s'arrêter en si peu de mètres.


    S'engouffrant au milieu des arbres, Rentarou pesta souvent à cause des racines multiples dans lesquelles il ne cessait de se prendre les pieds. Son attention se dirigea partout autour de lui mais le jeune homme aux cheveux de jais ne sut pas apercevoir sa balle. L'obscurité qui régnait sur cet endroit à cause de l'épais feuillage qui cachait la lumière du soleil ne l'aidait pas non plus.


    Au bout d'un moment, après avoir chuté plusieurs fois, déchiré son tee-shirt ainsi que ses mollets et mis plein de feuilles dans ses cheveux de jais, il se retrouva devant le mur d'enceinte recouvert d'un solide et rugueux buisson de lierre.


    Poussant un profond soupir qui résuma sa fatigue et son ennui, Rentarou comprit qu'il ne retrouverait jamais sa balle. Elle était sans doute perdue quelque part. Il décida de repartir lorsqu'un rayon de soleil passa près de lui en diagonale et repassa à côté de lui dans un angle opposé.


    Intrigué par le phénomène, il se retourna et baissa son regard pour apercevoir que le rayon tapait dans un objet sur le sol qui renvoyait la lumière autre part. Le jeune homme aux cheveux de jais s'agenouilla et découvrit une petite pièce de cinq Yens.


    Posant la main contre le mur, Rentarou se dit qu'il n'avait pas tout perdu au moins. Tout en mettant la pièce dans sa poche, le lycéen géant sentit que sa main posée sur le mur touchait un métal très froid. Il se releva pour examiner cette partie en détail et découvrit une cliche et un loquet apposés à ce mur.


    Dans la tête de Rentarou, les morceaux du puzzle s'emboitèrent très vite. C'était une porte qui devait déboucher à l'extérieur, sur une rue à l'opposé total de celle du portail. Son cœur s'accéléra à cette pensée. Il n'y avait probablement personne qui connaissait ou se souvenait de cette entrée. Elle était complètement recouverte de lierres et se confondait dans le relief du mur. Cela signifiait qu'il était capable de sortir et de rentrer à n'importe quelle heure, que le portail soit ouvert ou non. Cette fois, le lycéen géant crut que son cœur allait exploser tant l'organe tambourinait d'excitation dans sa poitrine.


    Lorsqu'il était passé au magasin de sport, en payant ses achats, Rentarou avait lu une publicité pour un centre de frappe pour les tennismen et joueurs de base-ball afin d'améliorer leurs techniques. Il avait regretté de ne pas pouvoir s'y rendre à cause de la limite de temps à respecter mais ce n'était maintenant plus un problème.


    Tirant son fidèle couteau suisse qui lui avait rendu tant de services d'une poche de son short, l'adolescent entreprit de couper une à une chaque branche. Habitué à se servir de son instrument, il travailla vite pour récolter un tas assez conséquent rapidement.


    Une fois son ouvrage achevé, il répandit ces branchages tombés au sol afin de ne pas attirer l'attention sur cet endroit même si peu de personnes passaient par ici. Le jeune homme aux cheveux de jais désirait protéger son secret le mieux possible.


    Ensuite il revint à la porte grise en métal et l'examina sous tous les angles. Rentarou remarqua ainsi que le verrou et la cliche permettant de l'ouvrir étaient rouillés tous deux. Par conséquent, l'adolescent avait besoin d'huile pour graisser ces mécanismes. Mais où en trouver ? C'était un lycée pour étudier l'algèbre ou l'histoire. Pas la mécanique ou le jardinage !


    En se creusant les méninges pour trouver une solution correcte, Rentarou se souvint que son professeur titulaire avait insisté sur le fait qu'il était strictement interdit à tous les étudiants de descendre les escaliers se situant à côté du réfectoire. Lorsqu'un interdit empêchait de se rendre quelque part, c'était pour dissimuler des choses importantes et précieuses, comme le matériel d'entretien par exemple.


    Doté d'une fougueuse énergie comme il n'en avait pas éprouvé depuis une très longue période, le lycéen géant sortit de la forêt et retourna à la cour en petites foulées. La suite s'avéra plus hasardeuse. Rentarou pénétra dans le bâtiment de vie scolaire et dépassa le réfectoire.


    Face à lui se dressait la fameuse porte interdite du lycée. Elle portait un écriteau où était écrit en grosses lettres : PASSAGE INTERDIT A TOUT ETUDIANT ! le lycéen géant se trouva stupide. Cet accès était sans doute fermé à clé. Cela aurait été plus sensé de renoncer à cette tentative très risquée. Mais en même temps, cela l'agaçait d'attendre deux jours pour pouvoir acheter de l'huile


    Inspectant le couloir, Rentarou attendit d'être parfaitement seul avant de poser sa main sur la poignée de la porte. Il clicha lentement osant à peine respirer tant sa nervosité était grande.


    Ô miracle ! La porte s'ouvrit sous ses doigts !


    S'engouffrant immédiatement dans cet espace ouvert, il referma ensuite la porte et sortit la petite torche électrique de sa poche puis l'alluma. En descendant les marches étroites de l'escalier en fer, l'adolescent se félicita d'avoir choisi de conserver ses précieux outils de survie qu'étaient son couteau suisse, sa torche et quelques autres objets bien pratiques alors qu'au moment de la rentrée, Rentarou avait pensé qu'il ne les utiliserait plus jamais.


    En arrivant en bas, il découvrit un véritable pèle-mêle de machines, d'outils, produits d'entretien, balais, serpillières et toutes sortes d'autres choses permettant d'assurer les services du lycée que Rentarou ne connaissait pas. En voyant l'étendue du désordre du local, le jeune homme aux cheveux de jais ne put s'empêcher de penser à Noda, le professeur de Japonais qui ne cessait de rappeler à ses classes l'importance de la propreté et de l'ordre et se demanda si elle connaissait l'existence de cette cave.


    A force d'avoir cherché dans le noir et la poussière, Rentarou obtint finalement ce qu'il désirait et remplit une petite bouteille d'eau vide grâce bidon d'huile découvert. Le lycéen géant remonta ensuite avec prudence en attendant bien de n'entendre personne pour apparaître dans le couloir puis partit à toute vitesse vers la forêt.


    Cependant en arrivant devant la porte secrète, Rentarou crut être victime d'hallucination en apercevant la personne qui semblait l'attendre adossée contre un tronc d'arbre.


    - Tu en as mis du temps, répliqua le jeune homme en ouvrant ses yeux bleus océan qui étaient fermés jusque là.


    - Shiromiya-kun … , murmura Rentarou très ennuyé. Que fais-tu ici ?


    - Je peux te retourner la question, fit Shiromiya d'un ton particulièrement hautain. Au fait, tu crois qu'au lycée, les professeurs ou même le proviseur connaissent cette porte ?


    - Sans doute, répondit Rentarou de plus en plus mal à l'aise.


    - Pourtant ce lierre me semble avoir été arraché. Pour preuve, j'ai trouvé beaucoup de branches de lierres à terre, reprit-il calmement. Je pense plutôt que cette porte était recouverte de ce lierre et a été oublié. Mais il semble que quelqu'un les a arrachée récemment.


    Rentarou se sentit de plus en plus embarrassé. Son interlocuteur possédait une grande capacité d'analyse et ceci l'embêtait beaucoup. Comment allait-il réussir à négocier avec lui ? Devrait-il renoncer à son secret sans avoir jamais véritablement profité ? Son moral était réduit à zéro maintenant.


    - Elle est étrange cette bouteille, s'étonna l'adolescent aux cheveux ébènes.


    Plongé dans ses pensées, le jeune homme ne l'avait pas vu s'avancer doucement vers lui et se pencher pour observer scrupuleusement sa bouteille d'huile.


    - Contient-elle de l'huile par hasard ? questionna t-il en se redressant.


    - Pourquoi je promènerais avec une bouteille d'huile ? fit Rentarou en haussant les épaules.


    - Cela expliquerait ta présence sur les lieux, expliqua Shiromiya. Selon mon raisonnement, je pense que tu as trouvé cette porte et l'a dégagé puis en voyant le verrou rouillé, tu es parti trouver cette huile. Ais-je tort quelque part ?


    Se mordant les lèvres, Rentarou ne savait pas du tout comment se dépêtrer d'une pareille situation. Shiromiya venait de démontrer rationnellement point par point chaque action qu'il avait faite. A quoi cela servait-il de mentir encore ?


    - Tu … tu as raison, dit finalement Rentarou lentement. C'est exactement ça.


    De très longues minutes s'écoulèrent durant lesquelles son interlocuteur ne prononça pas le moindre mot et ne fit même pas un geste. Rentarou eut l'impression que son cœur s'était arrêté. Mais il n'osa même pas parler lui non plus. Ses lèvres semblèrent être soudainement incapable de laisser échapper un mot.


    - Je ne dirais rien, annonça Shiromiya au terme d'un long quart d'heure de silence.


    - Vraiment ? fit Rentarou stupéfait.


    - Si quelqu'un parle de cette porte, la direction la condamnerait immédiatement. Puisque j'aimerais être capable de me promener en ville si je le souhaite, je ne peux pas faire cela.


    - C'est mon souhait à moi aussi, ajouta Rentarou dont le cœur s'était considérablement allégé.


    - Je m'en vais, décida Shiromiya d'un ton très sévère. Ne me suis pas. Nous ne devons absolument pas être vus ensemble.


    Observant son condisciple s'éloigner, l'adolescent souffla longuement comme s'il était resté en apnée tout le temps qu'avait duré cette conversation. Le lycéen géant se félicita de sa chance pour cette tournure inattendue dont cette scène s'était achevée. Su le jeune homme aux cheveux de jais avait été croyant comme sa mère, il aurait remercié chaleureusement la Sainte Vierge de cette heureuse conclusion.


    En attendant, il songea qu'il était plus que temps de remettre la porte en service avant de repartir. Le diner était déjà servi depuis une bonne heure et il avait encore des devoirs à faire par la suite.

     

     

     La vie d'un lycéen n'est pas simple du tout, pensa Rentarou, mais à présent, je sens que les choses vont devenir amusantes. Grâce à elle, je pourrais m'entraîner efficacement au tennis jusqu'au diner et étudier ensuite. C'est un étrange sentiment que j'éprouve actuellement mais je me sens si bien depuis que je veux jouer au tennis. Je ne veux pas perdre cette excitation de ce moment.

      

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  • Chapitre 2


    Le soleil devait seulement être levé depuis une heure au grand maximum que Matsuda Yoko était déjà sortie de son lit. Rapidement, la jeune fille alla prendre quelques biscuits dans un tiroir de sa commode afin d'atténuer la faim dans l'attente du petit déjeuner qui ne serait pas servi avant deux bonnes heures.


    Elle quitta ensuite sa chambre et traversa le couloir silencieux du second étage de l'internat, celui réservé aux filles, pour se rendre à la salle de bains, et prit une rapide douche.


    Comme d'habitude, la caucasienne passa en revue les différentes choses qu'elle devait faire. D'abord, prendre le petit-déjeuner tout en vérifiant que les élèves internes se comportaient correctement et se rendre ensuite à ses cours. Aujourd'hui, elle n'avait qu'une heure de Littérature et une autre en Histoire en fin de matinée. Cela lui donnait la possibilité de travailler au secrétariat avant ses cours. Pour le déjeuner, la jeune fille prévoyait de consommer un simple sandwich pris sur le pouce tout en révisant avant de reprendre les cours de l'après-midi avec seulement celui d'Anglais. L'adolescente terminerait en effectuant des recherches sur les sujets abordés par ses différents professeurs aujourd'hui.


    Hochant de la tête, Yoko jugea cet ordre des choses parfait et sortit de la cabine de douche. Elle commença à se rhabiller. La jeune fille prit délicatement un chemisier blanc et l'enfila, mit ensuite une longue jupe bleue. Théoriquement, en cette saison, une élève de son lycée aurait dû mettre une jupe beaucoup plus courte que celle-ci, celle de l’uniforme d’été. L'adolescente détestait le fait même de porter un vêtement si court. Même si officiellement, une mini-jupe était bien plus courte, elle considérait toutes les jupes qui ne dépassaient pas les genoux comme vulgaires. Ainsi la jeune fille portait toute l’année la jupe longue de l’uniforme d’hiver qui descendait jusqu'à ses mollets.


    Avant de sortir, Yoko noua le traditionnel foulard blanc à liseré bleu à son cou et se hâta de retourner à sa chambre.


    S’installant à son bureau, la jeune fille ouvrit Botchan, un livre de Shoseki et commença à lire le premier chapitre. De sa main droite, elle prit son bloc-notes afin d’y écrire toutes les notions importantes pour réaliser ensuite une synthèse correcte.


    A cause de sa forte implication dans la gestion de la vie scolaire, la vice-présidente du conseil des étudiants avait accumulé beaucoup de retard. La preuve en était qu’elle n’avait même pas encore terminé de traiter tous les sujets du premier trimestre. La lycéenne devait vite récupérer ce retard.


    Normalement, elle aurait dû être capable de suivre les cours selon la manière de chaque professeur. Cependant Yoko avait constaté depuis bien longtemps que les enfants et les adolescents des classes fréquentées depuis son entrée à l'école élémentaire ralentissaient tous, chacun à leur manière, le bon déroulement des cours. Alors que la plupart des thèmes pourraient très bien être traités en trois heures, généralement, ils y consacraient presque un mois. A croire que l'adolescente était la seule de sa génération à considérer les études comme la chose la plus capitale de l'existence !


    Depuis qu'elle était une toute petite fille, Yoko se concentrait uniquement sur l'importance des études et désirait plus que tout demeurer à la première place à chaque classement avec un pourcentage le plus proche des 100%.


    Jusqu'à présent, la caucasienne avait toujours réussi. En dehors des Mathématiques et des matières scientifiques, l'adolescente obtenait toujours un minimum de 96% à chacun des examens ou contrôles passé. Cependant une nouvelle donne venait d'entrer dans l'équation.
    Six mois plus tôt, elle avait passé l'examen national permettant l'entrée au lycée. Parmi le grand nombre de collégiens de troisième année à le passer, seuls cinq, les meilleurs de tous, étaient récompensés de leurs efforts par l'inscription et les frais de scolarité gratuits dans le lycée de leur choix et sans passer son examen d'entrée.


    Elle n'avait obtenu que 94%.


    Malgré cette performance lui ayant permis de s'inscrire dans un prestigieux lycée de la capitale nippone classé troisième au niveau national, elle la jugeait comme un échec. Pour la première fois de sa vie, Yoko avait perdu. L'adolescente ne savait même pas encore contre qui. La liste des étudiants ayant réussi l'examen n'était toujours pas disponible pour le moment. Une personne, un garçon ou une fille, avait réussi à la battre. Du peu d'informations qu'elle avait pu rassembler, la lycéenne avait appris que le score de son adversaire avait atteint les 98%.


    Ainsi Yoko n'avait pas le choix. L'adolescente devait impérativement maîtriser rapidement tout le programme et l'approfondir au maximum, retenir chaque notion, comprendre le moindre détail, analyser chaque élément …. Sa réputation était en jeu. L'étudiante ne pouvait plus se permettre de perdre à nouveau. Elle ne voulait plus jamais perdre.


    Quand la jeune fille eut achevée la lecture du chapitre trois de son livre, un petit réveil posé sur un coin de son bureau se mit à sonner. Sans le regarder, elle l'arrêta et se releva en plaçant un marque-page avant de refermer l'ouvrage.


    Quittant sa chambre, Yoko traversa tout le couloir qui la mena aux escaliers en se mêlant aux autres filles internes. En remarquant que certaines étaient encore en chemise de nuit et se rendaient seulement à la douche, elle contint difficilement un soupir d'exaspération. Encore un exemple que sa génération n'était absolument pas sérieuse !


    Alors qu'elle descendait cet étroit passage, même s'il permettait l'accès à au moins deux personnes, l'adolescente songea que la différence avec celui du bâtiment des cours était totalement disproportionnée. Ce n'était toutefois que logique. Après tout, ce magnifique escalier fait de marbre et ornementé de larges colonnades en cristal sous la rampe en bois de chêne était là essentiellement pour démontrer à tous le prestige ainsi que de la richesse de l'établissement.


    Se dirigeant vers le réfectoire, Yoko se hâta de prendre un plateau et d'aller chercher à manger auprès des dames de service. Comme elle se félicitait chaque jour d'être si prévoyante et organisée. Grâce à son bon sens de se lever avant cinq heures, la jeune fille ne devait jamais attendre pour obtenir un bol de riz et une tasse de thé avant de rejoindre une table de libre. Toutefois, l'adolescente ne mangeait pas encore tout de suite puisqu'elle prenait un livre traitant de la révolution française pour le lire tout en jetant très souvent des regards aux étudiants qui arrivaient progressivement dans la salle.


    Plongée dans son livre, Yoko se détendit peu à peu jusqu'à ce qu'une voix tonitruante la sortît du passage où les parisiens prenaient la Bastille :


    - Laisse-le !


    Levant la tête, la jeune fille se releva rapidement. Comme toujours, elle avait eu raison. Les jeunes de son âge passaient leur temps à se chercher des histoires, qu'importe l'établissement scolaire où l'on se trouvait.


    Quand Yoko arriva au milieu de la file en se guidant au cri qu'elle venait d'entendre, la caucasienne trouva un large gaillard aux lunettes de soleil que celle-ci n'eut pas de mal à reconnaître. L'adolescente l'avait accompagné le jour de la rentrée à sa salle de classe.
    Immédiatement, elle comprit la nature du problème dès que ses yeux se posèrent sur cet individu. D'une forte poigne, Yoko saisit le poignet de l'agresseur, dont la main était posé sur l'épaule d'un petit garçon aux cheveux roux sorti de la file, et le retira vivement. Toutefois, la jeune fille éprouva une minute d'incompréhension en réalisant qu'elle n'arrivait jamais à bouger un bras aussi lourd et imposant en temps normal.


    - Je t'y prends à ennuyer les plus faibles pour gagner du temps, s'exclama Yoko d'une voix tranchante.


    - Ce n'est pas moi, protesta Satsuma en retirant son bras de l'étreinte de la jeune fille.


    - C'est lâche et infantile cette attitude, claironna Yoko d'une voix aussi calme que glaciale.


    Sans quitter du regard cet étudiant pris en faute, elle tourna la tête en direction du garçon roux dont le nez saignait un peu.


    - Raconte-moi ta version des faits et ne crains absolument rien, lui dit Yoko dont la voix s'était modifiée pour devenir beaucoup plus douce.


    - La vérité, c'est que c'est deux sempai de troisième année qui m'ont poussé du rang pour gagner du temps, expliqua le rouquin en se tenant le nez. Et celui que tu accuses a quitté sa propre place pour venir me défendre. Je pense que sans lui, je n'aurais pas fait que saigner du nez.


    - Tu devrais apprendre à voir au-delà des apparences, Matsuda-san, intervint Satsuma, les bras contre la poitrine. Ce n'est pas parce qu'une personne est grande et costaud qu'elle est méchante à moins que la vérité et la justice ne t'intéressent pas !


    Piquée au vif, Yoko retint difficilement un cri de rage. Elle n'avait nul besoin de se faire donner la leçon. La jeune fille connaissait très bien les règles de vie en société et comment surveiller un réfectoire ou une salle de classe. Statistiquement, ce garçon aurait dû être un agresseur. N'importe qui aurait pensé comme elle.


    - Je connais le travail qu'impliquent mes fonctions, répliqua Yoko froidement. Tu n'as pas à me l'apprendre !


    - Tu as tout de même laissé les vrais coupables s'enfuir, rappela Satsuma dont le regard sous ses larges lunettes obscures la fixait.


    - Parce que tu es intervenu, se défendit Yoko dont les traits se crispèrent davantage. Sans toi, je les aurais pris sur le fait !


    Se tenant prête à essuyer une nouvelle salve, la jeune fille attendit en croisant ses bras contre sa poitrine, toisant d'un regard électrique son interlocuteur mais celui-ci se détourna pour reprendre une place au bout de la file d'attente.


    Il fuit ? s'étonna Yoko. D'ordinaire, les gens cherchent à avoir raison et à affirmer leur supériorité. Il était clairement en position de force. Pourquoi renonce t-il ?


    - Je vais t'emmener à l'infirmerie, annonça Yoko en revenant vers le jeune garçon roux


    - Non, ça ira, assura le rouquin dont le visage s'éclaira d'un large sourire. Mon nez saigne car c'est un vaisseau artériel qui a explosé. En comprimant ma narine avec un mouchoir, je vais arrêter ça en un rien de temps !


    - En es-tu certain ? demanda Yoko en le fixant attentivement.


    Le petit garçon acquiesça d'un signe de tête énergique puis sortit promptement un mouchoir qu'il apposa contre son nez tâché de petites gouttes rouges. Puisque le problème se résolvait de cette manière, il ne lui resta plus qu'à regagner sa table.


    Quand elle se fut à nouveau installée à lire à côté de son repas, la jeune fille compulsa à nouveau son ouvrage pendant une bonne heure encore, jetant de temps à autre de légers regards au réfectoire qui se vidait peu à peu puis se décida à le ranger afin d'avaler le contenu de son bol de riz et rapporta ensuite son plateau aux cantinières. Comme toujours l'adolescente était la seule, ou presque, à prendre en compte leur travail et à faciliter leur tâche.


    En traversant la cour pour atteindre le bâtiment des cours, Yoko songea combien ce monde était dur et horrible. Personne ne pouvait jamais compter sur personne. Un coupable affirmait toujours être innocent; pour le peu qu'il y ait des moyens, il devenait capable d'acheter la justice ou l'administration ce qui lui permettait d'abandonner toutes les charges sur lui.


    Malgré le fait qu'elle était encore jeune, Yoko n'avait jamais cru en un beau monde où l'on pouvait connaître la paix et le bonheur. La seule manière d'obtenir de bonnes choses était de toujours travailler, sans relâche, sans jamais abandonner un but fixé.


    Poussant la porte, elle pénétra à l'intérieur et décida d'oublier ses sombres constatations en récitant mentalement les dernières notions apprises au cours de Japonais de la veille. En chemin, la jeune fille passa par la salle des casiers, située au rez-de-chaussée dans le couloir de gauche, pour les élèves de première année, afin de récupérer le manuel d'Histoire laissé dans le sien.


    - Tu es vraiment une personne étrange.


    Gênée, Yoko réalisa que deux filles au minimum se trouvaient ici. Ce timbre de voix, provenant du fond de la salle, indiquait clairement que son priopriétaire appartenait au même sexe que le sien. La caucasienne n'aimait pas arriver dans une pièce pendant que des gens se trouvaient déjà en pleine conversation. Cela donnait la terrible impression d'espionner même si elle arrivait tout juste dans la pièce.


    - Je ne comprends pas du tout pourquoi tu dis ça, Shiromiya-kun, se défendit une seconde voix.


    Cette voix … Yoko crut halluciner à l'entendre à nouveau. Il n'y avait pas de doute possible : elle appartenait au garçon qu'elle avait faussement accusé et qui avait fui. Ce garçon de grande taille se cachant derrière des lunettes sombres.


    - Il n'y a personne pour défendre ceux qui se font attaquer à la cantine, répliqua Shiromiya. Il faut seulement se contenter de regarder en espérant ne jamais subir la même chose.


    - Eh bien, je refuse de regarder un tel spectacle, riposta Satsuma dont le volume sonore venait de s'élever considérablement. Une telle attitude est juste bonne pour les lâches ! Je ne pourrais jamais tourner mon dos devant une telle scène !


    - Avec une telle attitude, tu ne vas pas aimer le lycée, prédit Shiromiya d'une voix neutre.


    - Je ne suis pas là pour aimer ou ne pas aimer le lycée, rétorqua Satsuma. Je suis ici pour étudier, suivre mes cours et obtenir mon diplôme pour aller à l'université !


    Adossée contre une rangée de casiers, Yoko ne se tenait qu'à deux mètres de distance avec les deux adolescents. Pensive, elle écoutait pour la première fois la conversation entre deux étudiants sans repasser une leçon dans sa tête à la place. Ce garçon, Satsuma Rentarou, lui paraissait si étrange mais aussi différent des autres étudiants. Il s'intéressait comme elle à ses études en priorité puisqu'il souhaitait décrocher le diplôme de fin d'études du lycée indispensable pour aller à l'université. Jusqu'à présent, elle n'avait encore jamais rencontré quelqu'un se préoccupant sincèrement de ses études. D'ordinaire, les jeunes s'en souciaient seulement car leurs parents risquaient de les sanctionner en cas de mauvais résultats.


    - Tu ne te soucies donc jamais de toi ? interrogea Shiromiya.


    Un court laps de silence s'installa suite à cette question durant lequel Yoko perçut le son d'une porte de casier être reclaquée.


    - Tant que je peux aider les autres à se sentir mieux, je me sens bien, répondit Satsuma. Bon ! Je vais étudier à la bibliothèque vu que le prof de Chimie est absent aujourd'hui.

    Tournant doucement la tête, Yoko observa le lycéen géant quitter les lieux de manière calme et naturelle. En son for intérieur, elle se demanda comment il parvenait à tant s'intéresser aux autres. La jeune fille réalisa qu'à la vérité, il lui ressemblait. Après tout, l'adolescente accourait toujours vers les lieux d'une dispute ou d'une bagarre pour l'arrêter et travaillait plusieurs heures au secrétariat de l'école afin de faciliter la vie des étudiants. A cet instant, ce garçon qui lui avait paru si étrange Vendredi dernier et tout à l'heure au réfectoire lui sembla bien plus familier.


    Je me demande ce qui m'arrive, pensa Yoko. Voilà que je me mets à réfléchir au beau milieu du lycée à un garçon ! Je ne suis pourtant pas ce genre de filles ! Allons ! Je dois me reprendre ! Je récupère mon manuel et hop je file au secrétariat !


    Yoko quitta donc la pièce et le bâtiment où elle se trouvait pour retourner dans la cour puis se rendit à celui d'en face réservé à l'administration de l'établissement et y entra. La vice-présidente du conseil des étudiants se dirigea avec aise en direction de son bureau.
    S'installant derrière l'ordinateur, la jeune fille le démarra en s'installant à son bureau. Elle prit une liste de ses objectifs pour aujourd'hui d'un tiroir. Ses yeux la parcoururent un instant puis la jeune fille commença à sortir les différents dossiers et documents qui lui seraient utiles pour ses tâches. D'abord, lister les membres de chaque club avant d'enregistrer chaque nouvel adhérent.


    Décidement les clubs sportifs étaient toujours les plus populaires, notamment ceux pour le football et le base-ball. Pourquoi les étudiants ne fréquentaient-ils pas davantage les clubs à vocation intellectuelle ? Cela la dépassait. Yoko n'appréciait pas le sport et était même contre sa pratique. Cela ralentissait totalement l'enseignement et épuisait pour rien du tout ses condisciples. Elle trouvait plus juste la manière dont les pays occidentaux consacraient toute la journée aux cours et laissait le sport dans le cadre d'un loisir hors du temps scolaire. C'était la logique même. Par ailleurs, le sport n'apporterait rien à personne sauf si un d'entre eux devenait professionnel mais ce genre de rêves se réalisait pour une seule personne sur plusieurs millions. C'était comme attendre la richesse simplement en jouant au loto.
    Pendant presque trois heures, Yoko s'attela à lister et écrire les noms des étudiants afin de les répartir dans les bonnes cases. Elle rédigea ensuite les formulaires avec sur l'ordinateur afin de mettre à jour la base de données de l'établissement.


    Lorsque la sonnerie annonça la fin de la seconde heure de cours, elle classa ses précieux documents et les rangea à leur place en les répartissant dans plusieurs pochettes puis se hâta d'aller à son cours de Littérature.


    En rejoignant sa classe au second étage, elle se dirigea vers le milieu de la salle et s'immobilisa devant une fille aux cheveux blonds très clairs assise devant sa table.


    - Bonjour Mari-chan, s'exclama joyeusement Yoko.


    - Salut, marmonna la jeune fille blonde.


    Une expression de douceur s'afficha sur le visage de Yoko tout en s'asseyant à l'envers sur sa chaise pour être face à sa meilleure amie. Cela remontait maintenant à quatre ans que toutes deux s'étaient rencontrées à une semaine de stage de perfectionnement en Mathématiques. Même si toutes les deux vivaient à l'autre bout du pays et agissaient de manière totalement inverse, elles étaient toujours restées en contact par Internet ou par téléphone. Elle était même la seule véritable amie qu'elle avait pu se faire et cela l'empêchait de déprimer certains jours au contact de cette sinistre jungle scolaire.


    - Mari-chan, qu'est-ce qui ne ve pas ? s'inquiéta Yoko.


    - Takeshi-kun a rompu hier soir au téléphone, répondit Mari en poussant un long soupir. J'ai voulu l'appeler mais il ne m'a même pas répondu une fois !


    - Takeshi-kun ? Le garçon avec lequel tu sortais depuis les vacances d'été, non ? Cela semblait sérieux pourtant, se remémora Yoko. Il t'a dit pourquoi ?


    - Il m'a juste envoyé un message hier soir qu'il me quittait, expliqua Mari. Je parie qu'il s'est trouvé une autre fille cet idiot !


    - Dans ce cas, ce soir, je rentrerai avec toi et nous irons jouer au DDR, annonça Yoko. D'accord ?


    - Et Samedi, on pourra aller faire du shopping ? suggéra Mari en retrouvant le sourire.


    Souriante, Yoko répondit affirmativement d'un signe de tête.


    Le temps passa ensuite pour les étudiants jusqu'à midi et demi, l'heure du déjeuner. la brillante lycéenne rassembla assez rapidement ses affaires et sortit du bâtiment scolaire.
    A la sortie des cours de l'après-midi, la caucasienne rejoignit sa meilleure amie qui l'attendait à la bibliothèque et la raccompagna chez elle en s'amusant ensemble à un game center sur le chemin.


    Quand Yoko revint au lycée, il était déjà tard. Normalement, les grilles du portail fermaient à dix-huit heures mais puisqu'elle était la vice-présidente, elle jouissait du droit d'ouvrir la grande majorité des portes de l'établissement et en conséquence, de sortir en ville après le couvre-feu.


    Affamée, Yoko gagna la cantine où elle constata qu'il devait être passé dix-neuf heures puisque les lieux étaient quasiment déserts. Au moins, elle mangerait tranquillement.
    Ayant pris un plateau avec sa ration, elle choisit de s'asseoir à la table la plus proche. La jeune fille commença à savourer la soupe miso lorsque celle-ci vit le grand adolescent à la carrure de déménageur de ce matin venir dans sa direction.


    - Satsuma-kun ? fit Yoko en reposant son bol de soupe.


    - Je voulais m'excuser pour ce qui s'est passé ce matin, annonça Satsuma.


    Montrant sa bonne foi dans ses paroles, il s'inclina très poliment du buste.


    - En y réfléchissant, je pense avoir été un peu sec avec toi et tu ne le méritais pas. Après tout, tu ne voulais que défendre cet élève exactement comme moi, reprit Satsuma.


    - Je t'ai tout de même accusé à la place des fautifs, rappela Yoko qui n'avait encore jamais vu d'étudiant s'excuser alors qu'il était dans son droit. A cause de cette erreur, ils ont fui.


    - C'est vrai, approuva Satsuma. J'étais vexé sur le coup d'être assimilé à eux mais je pense à présent que c'était naturel. Tu n'avais pas les moyens de le deviner.


    Contemplant très attentivement l'adolescent, Yoko s'interrogea sérieusement sur ses motivations. Pourquoi acceptait-il de prendre la faute sur lui-même ? Celui-ci avait sauvé une personne. Il aurait pu très bien s'en vanter ou simplement continuer à vivre comme si rien ne s'était produit. Au contraire, ce garçon avait réfléchi sans cesse à l'incident de ce matin.


    Exactement comme je fais chaque fois qu'il se passe quelque chose, se rappela Yoko.


    - As-tu mangé ? demanda finalement Yoko après un long moment de silence.


    - Je ne vois pas le rapport, s'étonna Satsuma désorienté.


    - Je pensais que nous aurions pu continuer cette discussion tout en mangeant, expliqua Yoko en choisissant précautionneusement chacun de ses mots. Enfin si ….


    - J'ai déjà diné, l'interrompit Satsuma. Cependant si tu veux discuter avec moi, j'accepte cela bien volontiers.


    Comme pour confirmer sa réponse, le garçon aux cheveux de jais poussa la chaise vide près de lui et s'assit face à la jeune fille.


    - De quoi veux-tu me parler ? demanda Satsuma tentant visiblement de camoufler sa gêne.


    Interrogative, Yoko essayait de comprendre les différentes raisons d'une telle nervosité. Ce n'était qu'une simple discussion entre deux adolescents et non un rendez-vous officiel.


    - Je voulais juste savoir … , reprit Yoko. Pourquoi tu as protégé ce garçon ce matin ? Si ma mémoire est exacte, la dernière fois que j'avais regardé, tu allais bientôt être servi alors …


    - Alors j'aurais dû prendre mon bol de riz et partir ? acheva Satsuma sèchement.


    Comme au matin, elle vit ses tempes se contracter très durement. Cependant le fait qui attira le plus son attention fut son geste de poser ses mains contre la table et de souffler longuement comme s'il venait de courir un quatre cent mètres aux jeux olympiques.


    - Je suis désolé de m'être encore énervé, dit Satsuma d'un ton redevenu parfaitement calme.


    - Tu contrôles ta colère, comprit Yoko de plus en plus intriguée. Ce n'est pas très anodin.


    - La colère est un sentiment destructif et cause beaucoup plus de soucis qu'elle n'apporte de solutions à un problème, expliqua Satsuma en baissant la tête.


    - C'est pour ça que tu es parti ce matin alors que tu démontrais mon erreur, déduisit Yoko.
    - J'étais devenu un peu agressif et comme tu l'étais aussi, je craignais de dire des mots qui auraient pu te blesser, continua Satsuma.


    - Mais ce doit être difficile de fuir sans cesse, émit Yoko. Par ailleurs, les gens finiront par jaser et à dire que tu es un lâche. Ca ne t'ennuie pas ?


    - Entre tous ceux qui observent un gamin se faire frapper et qui détournent les yeux et un individu qui va le protéger sans rien en retirer, qui est le véritable lâche ? répliqua t-il. Mais je me moque de la réponse. J'agis comme je l'entends et je n'écoute pas les rumeurs. La seule chose pour laquelle je ne peux plus me contrôler, c'est de voir quelqu'un qui a un problème. Je ne peux pas lui tourner mon dos.


    - Je n'aime pas les rumeurs et je n'en tiens jamais compte, déclara Yoko tout en avalant une bouchée de poisson et en analysant les paroles de son interlocuteur, mais il faut admettre que celles-ci façonnent la société humaine depuis des siècles.


    Fixant l'adolescent géant du regard, la jeune fille attendit une réponse mais celle ci ne sembla pas venir. Yoko continua donc à l'observer longuement, comme dans les moments où elle essayait d'impressionner son adversaire lors d'une partie d'échecs ou de go, tout en terminant son repas.


    - Au fait, demain, tu feras quoi si je défends encore un élève ? enchaina Satsuma pour rompre enfin le silence qui régnait entre eux.


    - A présent que je connais ta personnalité, je sais que tu seras du bon côté et je pourrais donc interpeller les auteurs de l'agression, répondit Yoko avec un sourire.


    - Super, s'exclama Satsuma en souriant pour la première fois devant elle. Je serais ravi de t'aider.


    L'espace d'un instant, un doute se faufila dans la conscience de la jeune fille lorsqu'elle le vit lui sourire. Cela paraissait naturel mais elle se demanda alors si cela l'était réellement. Et si toute cette conversation n'était qu'une mise en scène ? Et s'il la baratinait pour obtenir quelque chose d'elle ?


    Retrouvant son air sévère, elle croisa ses bras contre elle et le toisa d'un regard attentif.


    - Pour le moment, je te crois sincère mais si un jour, je découvre que tu m'as menti, je ne te pardonnerai jamais ce moment, claironna Yoko d'une voix intransigeante.


    - Je ne comprends pas … , s'étonna Satsuma confus.


    - Il y a des gens doués pour manipuler les autres, révéla Yoko gardant encore sa réserve. Alors je vais rester prudente pour t'observer et être sûre que tu es vraiment ce que tu prétends être.


    - Je ne mens pas, assura Satsuma très embarrassé. De toute manière, je n'ai pas grand chose à cacher. En tout cas, rien qui te causera de problèmes


    Faisant de son mieux pour conserver un visage affichant la sévérité, Yoko jugea plus prudent de quitter son camarade avant d'être incapable de contenir ses émotions. Il ne fallait jamais abattre son jeu tant que la stratégie adverse n'était pas complètement percée et analysée.


    - Je vais y aller, dit-elle en se levant. J'ai encore beaucoup de devoirs à faire.


    Laissant le jeune homme là, elle le salua poliment puis s'éloigna. L'adolescente marcha de manière très naturelle pour ne pas afficher clairement sa fuite. Cependant son allure était assez rapide en essayant de revenir le plus vite possible à sa chambre.


    Une fois son but finalement atteint, Yoko se dépêcha de refermer le loquet et s'effondra le long de la porte. C'était sa sécurité. Même dans sa véritable chambre, dans sa maison, elle s'enfermait toujours. La jeune fille ne voulait pas être vue à l'intérieur par les autres. C'était son refuge, son sanctuaire. Le seul lieu où l'adolescente n'avait pas à réfléchir sur le comportement à adopter.


    Portant sa main sur son cœur, elle sentit celui ci battre encore très fort dans sa poitrine. Ce garçon l'avait troublé tout à l'heure. Il semblait sincère quand il parlait de protéger les autres, les plus faibles d'un groupe qui ne savaient pas se défendre correctement.


    Yoko se souvenait encore de la discussion qu'elle avait surprise au matin entre lui et un autre élève. Il l'avait réellement impressionné à parler de manière si détachée et à ne pas se soucier des ragots colportés par les autres élèves sur son attitude.


    Traversant la pièce pour aller s'asseoir sur le bord de son lit, Yoko hocha de la tête. Oui, il l'impressionnait par ce discours et cette attitude de protecteur mais elle ne lui avouerait pas. Jamais ! Les garçons ne comprenaient rien au terme d'impressionner une fille. Pour eux, il s'agissait seulement d'un terme leur disant que la voie était dégagée pour sortir avec cette fille. Ou pire. Pour coucher avec, la larguer, et s'en vanter auprès de leurs amis.


    Résister. Elle devait résister à l'emprise de ce garçon. L'adolescente ignorait encore tout de lui et de ses motivations. Malgré sa courte vie, Yoko avait déjà connu le cas de nombreux hommes manipulateurs, que ce soit au travers de ses expériences ou celles de sa mère, et avait retenu qu'il ne fallait pas placer sa confiance en n'importe qui et surtout pas en un des représentants de l'espèce masculine.


    Très peu de filles de son âge pensaient ce genre de raisonnement mais ce n'était pas son problème. Pourtant il aurait fallu développer ce genre de logique. Si les filles se méfiaient un peu plus des garçons, elles ne se retrouveraient pas dans le pétrin en cas de complications.
    En tous les cas, Yoko refusait de voir son existence être gâchée par un seul garçon. Elle était libre et le demeurerait. Pour toujours.


    Ayant retrouvé tous ses sens, la lycéenne se leva et se décida à se mettre enfin à son travail scolaire. Elle s'assit à son bureau et ouvrit le livre entamé au matin.

     

     

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