• Chapitre 15


    En cette première journée du mois de Juin, Rentarou provoqua l'attention générale, particulièrement celle de sa classe. N'ayant pas dormi du tout de la nuit, il somnola à chaque cours. Lors de la première heure, en Économie, l'adolescent n'entendit aucun mot de son professeur, sa tête posée contre la table. Seule la sonnerie stridente le réveilla.

     

    En Biologie, Sawamura, son binôme, fut contraint de pratiquer tout seul la dissection de leur souris pour étudier l'anatomie du système respiratoire. Le garçon râla tout le long et essaya de réveiller son camarade en le piquant avec son scalpel mais rien n'y fit. En plus, ce changement ne lui plut pas du tout puisque ordinairement Rentarou s'occupait toujours de leurs expériences et ne lui en adressait pas de reproches. Par contre, la troisième heure s'annonça bien différente puisque celle-ci était assurée par le professeur que le jeune colosse détestait le plus au lycée : Aizawa.


    Comme à chaque cours, l'enseignante énonça de nombreux faits et commentaires du texte étudié dans son fort et rugueux accent texan obligeant ses étudiants à se concentrer sur les lignes de leur manuel afin de comprendre un minimum ses paroles.


    Fatalement, le moment redouté arriva :


    - Now it is time to interrogate semeone among you, young people. 


    Dans les dix-huit classes que comptaient Ryoko Gakuen, tous les étudiants éprouvaient une véritable terreur à entendre cette phrase car l'enseignante interrogeait toujours un élève différent et se montrait terriblement sadique avec lui. Seuls ceux de la 1D ne ressentaient jamais ni stress ni appréhension car leur classe possédait un paratonnerre à poisse.

     

    Sawamura avait attribué ce surnom à Rentarou lorsque celui-ci avait remarqué qu'Aizawa n'appelait jamais que le lycéen géant.


    - Satsuma Rentarou come here, dit-elle d'une voix très autoritaire.


    Naturellement, l’interpellé n'entendit pas cet ordre se trouvant toujours au doux pays des rêves. Ses condisciples ne surent comment réagir. D'abord, ils craignirent d'empirer la relation de Rentarou avec leur professeur d'Anglais, même si cette idée pouvait être très dure à imaginer, et surtout qu'un d'eux soit soudainement désigné pour le remplacer. Shintarou se jeta finalement à l'eau.


    - Il est absent ce matin.


    Malheureusement dans cet élan d'amitié, le jeune rouquin oublia les consignes d'expression en anglais. Le professeur s'approcha donc de lui, ses mains posées sur ses hanches, et s'adressa à celui-ci dans sa langue maternelle.


    - Je pensais avoir été clair au début de l'année ! Pas de japonais ne doit sortir de vos bouches !


    - Je suis … Euh … I want to tell I am sorry, Mrs Aizawa.


    - Pour vous aider à vous en souvenir, vous me rédigerez un commentaire pour chaque textes des pages 262 à 268 du manuel puis vous m'en rédigerez une synthèse. Pour Lundi, bien sur.


    Shintarou grommela un peu mais ne se risqua pas à protester. Il n'avait aucune envie de se voir rajouter d'autres textes supplémentaires. Intérieurement, le petit rouquin maudit ce stupide professeur qui lui pourrissait d'avance son week-end avec son stupide devoir.
    A la suite de cette punition infligée à son élève, Aizawa n'en resta là et s'approcha à grandes enjambés de la place de Rentarou. Elle découvrit son corps massif étendu et endormi sur sa table sans avoir sorti ses affaires. Pendant une seconde, un rictus défigura son visage puis le corrigea par un léger sourire narquois et marcha en direction de son voisin de droite.


    - Shiromiya, vous me ferez un commentaire du texte allant des pages 322 à 326.


    - Je vous prie de bien vouloir m'excuser mais je n'ai commis aucun acte occurrant un châtiment à mon encontre, objecta l'élève en gardant son habituel visage impassible.


    - Même si la structure diffère, j'ai remarqué que vous faisiez vos devoirs ensemble tous les deux, révéla la sournoise enseignante. Ainsi je divise vos notes par deux.


    Cette nouvelle ennuya profondément le frêle adolescent aux cheveux ébènes mais il n'en montra aucun signe extérieur et laissa le professeur s'éloigner pour poursuivre son cours. Lorsque la sonnerie de la quatrième heure retentit, les étudiants la laissèrent ranger ses affaires et partir. Tous savaient que Tanaka, qui enseignait l'Histoire et la Géographie, était absent depuis le début de la semaine à cause d'un décès survenu dans sa famille. Ainsi ils préférèrent demeurer dans cette salle au lieu de se déplacer pour rien du tout.
    Lorsque Shiromiya entendit les pas du professeur d'Anglais s'éloigner puis résonner dans les escaliers, celui-ci exprima publiquement son ressentiment après elle.


    - Aizawa est une horrible femme !


    Interloqué, l'ensemble de la classe se retourna vers lui. Ses condisciples pouvaient compter sur leurs doigts le nombre de fois où celui-ci prenait la parole. Par contre, dire du mal ou se plaindre d'un professeur ou d'un membre du personnel, cela n'arrivait jamais. Du moins jusqu'à aujourd'hui.


    - Qu'est que tu as, Shiromiya-kun ? s'enquit Osakawa avec inquiétude, assise devant lui.


    - Réaliser que j'ai seulement 45% à des devoirs qui en valent 90% après avoir vérifié à maintes reprises que la rédaction était différente, cela me frustre, m'énerve et m'agace.


    Pendant l'adolescent aux cheveux ébènes expliqua ce qu'il ressentait vis à vis d'Aizawa, Sawamura se leva de sa place et essaya de tirer son voisin de son sommeil. Malheureusement, le garçon n'était pas assez costaud pour soulever cette montagne de muscles, ni même pour prendre un de ses bras.


    - Il nous joue le Bel au Bois Dormant ou quoi ? asséna Sawamura avec agacement.


    - Il récupère de sa nuit blanche, révéla Shiromiya en prenant un livre de sa serviette.


    Dès qu'il entendit cette phrase, Shintarou bondit littéralement de sa place et s'empressa de rejoindre son ami endormi. Très inquiet, il se tourna vers Shiromiya en oubliant leurs nombreux désaccords.


    - Que veux-tu dire ? Je sais ! Il est si stressé qu'il n'en dort plus !


    - En fait, je pense plutôt qu'il a joué au tennis ou discuté avec Sakumai-han. Je sais seulement que Satsuma-han a réclamé l'adresse de Sakumai-han à Matsuda-han hier soir puis est parti dès que celle-ci lui a remis.


    - Rentarou est allé voir Tyro … , murmura Shintarou dans un souffle.


    Délaissant son rival, le rouquin se tourna pour observer la silhouette endormie du lycéen géant. Il n'arriva pas à croire que celui-ci ait pu aller si loin pour conserver l'amitié et l'entente régnant au sein de leur bande. Ce tour de force et cette détermination l'impressionnèrent considérablement.

     

    Chaque fois que Shintarou rencontrait un problème dans ses relations, il fuyait et chercher à nouer des nouveaux liens avec d'autres personnes. L'exploit de son camarade le résolut à changer afin de devenir un ami aussi fiable que lui.


    Brusquement, Rentarou se réveilla suite à la multitude de voix autour de lui et au volume sonore de chacune. Les enfants et les adolescents n'étant guère reconnus pour la capacité naturelle à parler à voix basse, surtout s'ils se trouvaient au sein d'un groupe. Ses paupières bougèrent en premier mais il eut du mal à émerger. Sa nuque lui fit très mal à cause d'une mauvaise position prise lui cassant le dos. Le jeune homme aux cheveux de jais se redressa assez vite pour s'étirer en poussant un long bâillement.


    - C'est l'heure de manger ?


    - Tu as quarante minutes d'avance, répondit Tachibana derrière lui.


    - Rentarou, raconte-nous ce qui s'est passé avec Tyro, exigea Shintarou en se plantant devant la table de son ami, ses paumes posées dessus.


    - J'ai discuté avec Tyro hier soir puis on a joué un match. Je lui ait proposé que le vainqueur deviendrait titulaire.


    - Et alors ? Qui a gagné ? voulut savoir Sawamura en poussant Shintarou.


    - J'ai gagné, bien sur, crana t-il un peu. Mada mada dane.


    Rentarou sourit avec un léger brin d'insolence en récitant ce qui commençait à devenir sa réplique culte. Il se mit ensuite à raconter tout le déroulement du match en appréciant pleinement de contempler ses camarades s'extasier, s'impressionner et se stupéfier le long de son récit. Malgré le fait que recevoir des éloges sur ses capacités procurait une importante satisfaction, l'adolescent ne souhaita pas de laisser les efforts de son adversaire ignorés. Ainsi il veilla à mettre celui-ci en valeur, souvent au détriment de lui-même.


    - C'était un match génial. On a conclu après un Tie-Break sans fin au bout de quatre-vingt-six points ! Vraiment trop génial !


    - Pas possible ! s'écria Shintarou bluffé. J'aurais tant aimé voir ce match !


    - Mais à quelle heure avez-vous terminé ? interrogea un élève.


    - Et la police ne vous a pas pris pour violation du couvre-feu ?


    - On s'est retrouvé avant le début du couvre-feu. Tyro m'a emmené à son ancienne école primaire. Après avoir escaladé le mur, on a rejoint les courts du club.


    Un murmure d'envie et d'excitation se diffusa à travers la salle entière. Chacun jalousa un peu les deux jeunes d'une telle aventure même si aucun ne se sentit capable de prendre de tels risques.


    - Et vous avez joué jusqu'au matin ? demanda Shintarou.


    - Jusqu'à trois heures. Au début, je voulais rentrer mais Tyro m'a rappelé que nous risquions d'être pris par un policier. Comme nous n'avions pas envie de finir la nuit à poste et à que nos parents soient au courant de cette escapade, ou pire le lycée, nous avons attendu six heures pour rentrer.


    - Mais le portail n'ouvre pas avant sept heures, intervint Osakawa d'un ton peu commode car elle détestait les infractions à la loi et au règlement.


    - Je suis arrivé pile pour l'ouverture. Ensuite je me suis rendu aux vestiaires du club pour me doucher et mettre l'uniforme que j'avais laissé là-bas hier.


    - Tu as vraiment tout prévu ! C'est trop fort !


    Rentarou se garda bien de détromper ses camarades à ce sujet. En réalité, la veille, il avait oublié ses affaires à cause de son départ précipité afin de retrouver Tyro. Grâce à cela, l'adolescent avait pu faire croire à tout le monde à sa présence dans l'établissement la nuit dernière. Quelquefois, le destin lui souriait à lui aussi.

     

     

    ***



    Depuis la fin des cours de la journée, Tyro patientait devant l'entrée des vestiaires. Adossé au mur, il regardait avec amusement l'impatience de Kurata. Celui-ci trompait l'attente en ne cessant de faire et de défaire son catogan.


    - C'est une fille ou quoi ton copain ?


    Tyro se retint difficilement de ne pas éclater de rire suite à ce commentaire. Il avait déjà aperçu de nombreuses fois son buchou s'appliquer des pommades pour le traitement de la peau afin de la rendre plus belle et plus brillante ou se coiffer plusieurs fois sur une même heure. Cependant l'adolescent n'était pas assez idiot pour évoquer ces souvenirs.


    - Rentarou ne va plus tarder, dit-il d'un ton neutre.


    Tyro éprouva une sensation étrange à dire le prénom de son ami. Depuis des années, il n'appelait plus ses camarades autrement que part leur nom de famille. Le jeune homme affirmait se comporter comme un adulte de cette manière. La seule exception faite concernait Shintarou puisque celui-ci réclamait de la familiarité.


    Entre Tyro et Rentarou, c'était différent. Au cours de leur match nocturne, leurs liens s'étaient renforcés et l'usage du prénom avaient fini par sortir naturellement de leur bouche. Aucun des deux ne le comprit réellement tout de suite mais une indéfectible amitié les lia à jamais depuis cette nuit.


    Soudain la porte des vestiaires s'ouvrit et le nouveau titulaire de l'équipe en sortit. Rentarou avait enfilé le tee-shirt sous la veste, la fermeture éclair remontée vers le col, et transformé le pantalon. Armé d'une simple paire de ciseaux, il avait coupé le tissu pour laisser ses jambes nues de ses cuisses à ses chaussettes noires.


    Silencieusement, Kurata s'approcha de lui et l'observa sous toutes les coutures comme s'il cherchait un éventuel défaut. Le buchou se baissa même pour examiner le short et fit la moue en apercevant plusieurs fils pendant dans le vide suite à la taille grossière subie par le vêtement quelques minutes plus tôt.


    - Tu devrais demander à ta mère de te faire un bord, conseilla celui-ci en se relevant. Ce n'est pas du tout esthétique cette présentation.


    - Je suis interne, rétorqua Rentarou avec mauvaise humeur.


    - Excuse-moi, dit Kurata en s'écartant d'un pas. Je voulais uniquement t'apporter un peu d'aide. Après tout, c'est le rôle d'un sempai de conseiller son kouhai.


    Rentarou préféra ne rien ajouter. Il détestait entendre quelqu'un lui parler de sa mère. Ainsi l'adolescent laissa son interlocuteur poursuivre afin de retrouver son calme.


    - Je tenais aussi à te signaler, Satsuma que bien que tu sois titulaire maintenant, tu restes un première année. Tu me comprends ?


    - Je ne m'en serais pas douté, ironisa Rentarou.


    - Normalement les titulaires possèdent du pouvoir sur les autres membres du club et peuvent donner leur avis lors des réunions d'équipe, reprit Kurata qui s'agaça un peu de cette interruption. Toi, en tant que première année, tu ne possèdes aucun de ces droits.


    Kurata attendit quelques instants pour laisser le temps à cette information de décanter dans le cerveau du lycéen géant mais celui-ci ne montra aucun signe d'une quelconque réaction.


    - N'as-tu rien à dire ? S'enquit-il en fronçant davantage ses fins sourcils noirs.


    Rentarou haussa les épaules.


    - Et alors ? Je m'en fiche pas mal de ces trucs. Tout ce que je veux, c'est jouer au tennis. Le reste, tu peux faire comme tu veux.


    Kurata le scruta attentivement de son regard aiguisé de faucon puis s'éloigna en saluant très vaguement son nouvel équipier mais en oubliant totalement l'existence de Tyro.


    - Je suis un fantôme ou quoi ? grogna t-il en tirant la langue en direction de Kurata.


    - Un petit démon plutôt, corrigea Rentarou, amusé.


    En posant les yeux sur la chevelure de son ami, le lycéen géant songea que celui-ci ne pouvait absolument pas passer inaperçu. L'adolescent dressait ses mèches en de multiples piques d'une dizaine de centimètres tandis que sur le haut de son crâne s'érigeait deux cornes avec cette même matière première. Rentarou ne savait pas combien de couches de gel il usait afin de réaliser sa coiffure mais son nez lui faisait parier sur un pot complet au minimum.


    - Que vas-tu faire maintenant ? demanda Tyro.


    - M’entraîner un peu avec les machines. Et toi ?


    - Moi, je vais me contenter du bon vieux mur, répondit Tyro en allant prendre sa raquette posée un peu plus tôt contre le bâtiment des vestiaires. On se voit plus tard, d'accord ?

     

    ***


    Le lendemain, Rentarou consacra toute sa journée à ses études. Suite aux nombreux et tumultueux événements de cette semaine, il avait beaucoup délaissé son travail scolaire. Le jeune homme aux cheveux de jais choisit même de s'enfermer dans sa chambre plutôt que d’œuvrer dans un cadre plus agréable à la bibliothèque car il craignit de se détourner de ses devoirs et leçons s'il croisait ses amis.


    En premier lieu, il entreprit de recopier avec application les notes prises par Shintarou aux différents cours manqués. Il commença par la matière qu'il détestait plus : l'Anglais. En parcourant le feuillet d'une dizaine de pages recto-verso, Rentarou remarqua que son ami écrivait tout, mais absolument tout, des propos du professeur. Un sourire éclaira son visage en se remémorant combien le petit rouquin paraissait toujours dissipé pendant la classe.

     

    Cependant il fut bouleversé en découvrant la réelle raison de ce si grand nombre de pages. Sous chacune des phrases anglaises, Shintarou avait écrit au stylo rouge les mots qui la composaient avec leur traduction. Le petit rouquin avait aussi parsemé ses notes de règles de grammaire expliquant les structures de chaque phrase.


    Stimulé par cette magnifique preuve d'amitié, le jeune homme aux cheveux de jais se résolut à s’entraîner en anglais afin de ne pas gâcher les efforts de son camarade. Il tendit le bras pour sortir un manuel à l'usage des débutants d'un tiroir de son bureau. L'adolescent se rappela fugacement sa honte au moment de l'achat de ce livre. Il relut avec attention différents points grammaticaux et effectua de nombreux exercices sur chaque thème abordé.
    Quand eut réfléchi presque deux heures sur la langue de Shakespeare, Rentarou en eut assez et s'offrit une courte pause. Il s'assit une demie-heure sur le bord de son lit et écouta ses chansons favorites enregistrées sur son lecteur MP3 tout en grignotant des chips.


    Après ce moment de repos, il se sentit ragaillardi et s'attaqua à la recopie de son cours de Japonais. le garçon s'interrompit quelques fois pour ouvrir son découvrir afin de rechercher le sens d'un nouveau kanji ou d'un nouveau mot et en nota ensuite sa définition à ses notes.
    Rentarou décida ensuite de passer à l’Économie bien que cela ne l'amusa pas du tout. Ce cours était truffé de nombreux mots compliqués de toutes sortes et de notions étranges que l'adolescent avait un peu de mal à comprendre même en écoutant attentvement son professeur. La plupart du temps, seul un travail de recherche et sa persévérance le lui permettaient. Cependant il sourit en constatant que Shintarou avait solutionné ce problème. Celui-ci avait souligné chaque terme et notion important ou difficile puis rédigé un index à la fin du feuillet explicitant simplement chacun d'eux.


    En ayant la tâche si facilitée le jeune homme aux lunettes sombres n'eut qu'à recopier l'ensemble des notes puis referma son cahier avant de le ranger dans le second tiroir de son bureau. Il jeta un coup d’œil à sa pile de documents qui diminuait bien depuis le début de la journée. A présent, seul restait à recopier son cours de Biologie puis il pourrait procéder à la réalisation de ses devoirs pour la semaine prochaine. En consultant son agenda, l'adolescent se remémora des problèmes à résoudre donnés par Hashimoto et des cinq dissertations à écrire pour le Japonais, l'Histoire, l’Économie, la Géographie et les Sciences Sociales.

     

    Tandis que son esprit se concentrait sur l'énoncé du troisième problème, la porte de sa chambre s'ouvrit et Matsuda pénétra à l'intérieur. Toujours aussi espiègle, l'adolescent tapa énergiquement sur son épaule. Rentarou sursauta et laissa échapper un cri de surprise. Cela fit éclater de rire le jeune plaisantin. Remis de son émotion, le jeune homme aux cheveux de jais se retourna, sa chaise pivotant avec son corps, et découvrit son sempai qui se moquait de lui.


    - Très drôle, Matsuda-sempai, grogna t-il en le toisant d'un regard noir.


    - Désolé mais c'était plus fort que moi.


    - Qu'est que tu fais ici ? demanda Rentarou afin de changer de sujet. L'internat est interdit aux externes. Cela veut dire que tu ne dois pas être là.


    - T'es pas cool, marmonna Matsuda. Je suis là parce que je me suis faufilé discrètement. Et je me suis faufilé discrètement parce que je veux te demander un truc super important.


    - Non.


    Matsuda fronça les sourcils.


    - Comment peux-tu répondre alors que je ne t'ai encore rien dit ?


    - Parce que je sais ce que tu veux. Tu viens me demander de jouer un match contre moi. Sauf que je peux pas. J'ai trop de travail ce week-end. Attends Lundi.


    L'espiègle sourire de son interlocuteur s'élargit et il pouffa.


    - Je ne veux même pas parler de tennis.


    - Vraiment ? Je suis désolé alors. De quoi veux-tu parler ?


    - J'ai appris comment tu t'appelais.


    - Ça fait un mois que je suis au club. Tu as compris mon nom juste maintenant ?


    Matsuda haussa les épaules avec indifférence.


    - Je ne fais pas attention aux membres du club s'ils ne suscitent pas un minimum d’intérêt. Et encore, je retiens juste le nom. Jamais le prénom. Alors quand j'ai su le tien …


    - Il a quoi mon prénom ? Il ne te plaît pas ?


    - Ce n'est pas ça du tout. Il me rappelle celui d'un garçon que j'ai connu autrefois dans ma ville natale. Une fois il m'a expliqué que sa mère l'avait choisi à cause d'un pianiste que celle-ci admirait décédé en 1903 à l'âge de vingt-quatre ans.


    Rentarou se figea. Depuis plus cent cinquante ans, personne ne portait ce prénom. Était-ce une simple coïncidence ? Se pouvait-il qu'un autre enfant que lui puisse avoir reçu à sa naissance ce nom ? Il savait la chose impossible. Une fois, l'adolescent avait regardé sur Internet combien il existait de porteurs de son prénom au Japon pour s'en découvrir l'unique. En conclusion, le lycéen géant connaissait Matsuda. Pourtant celui ci-ne lui évoquait aucun souvenir.


    - J'ai raconté cette histoire à un garçon un jour. Mais il s'appelait Katsuo pas Matsuda.
    Désabusé, son interlocuteur se couvrit une partie du visage grâce sa main puis lui cogna la tête. Rentarou se frotta alors le crâne machinalement.


    - Imbécile ! Tu n'as jamais imaginé que je pouvais avoir un nom de famille ?


    Les joues du lycéen géant rougirent aussitôt et ses yeux se baissèrent.


    - Je ne me suis jamais posé la question. Et puis j’étais petit à l'époque. Tout ce que je connaissais de toi, c'était ton prénom.


    Matsuda éclata de rire en s'exclamant que Rentarou n'avait pas du tout changé. Le jeune homme aux lunettes sombres lui rappela que désormais il était plus grand que lui. Son ami concéda que son apparence physique ne ressemblait plus à celle de son enfance mais ajouta que son cœur était exactement le même. Cela fit énormément plaisir à l'adolescent. Celui-ci avait fait beaucoup d'effort pour retrouver les valeurs acquises dans sa petite enfance après les avoir renié lors de ses vagabondages dans les rues.


    - Qu'est qui s'est passé ? Un jour, tu n'es plus venu à l'école sans qu'on sache pourquoi. Je suis allé à ton appartement mais une autre famille y habitait. Vous avez déménagé ?


    - C'est compliqué. En plus, je n'ai pas trop envie d'en parler. Pour te faire un résumé de la situation, j'ai été séparé de ma mère puis de ma sœur. J'ai du donc apprendre à me débrouiller seul et à survivre dans les rues de notre ville.


    Matsuda ne dit rien. Il n'avait pas besoin de davantage d'informations pour comprendre la douleur de son compagnon. Le lycéen de seconde année savait très bien à quel point celui-ci adorait sa mère et sa sœur. Ne pas avoir de nouvelles d'elles devait lui déchirer les entrailles. Le garçon décida de changer de sujet afin de le distraire de ses problèmes.


    - Malgré tout, tu t'es sacrément amélioré en tennis ! Quand je pense qu'à l'époque, tu tombais en arrière pour rattraper les balles que je te lançais. D'ailleurs, tu passais davantage de temps sur le sol que debout.


    De ces paroles émergèrent des souvenirs du fond de la mémoire de Rentarou. A un rythme accéléré, elle lui repassa les séances d’entraînement que son véritable ami d'enfance lui faisait endurer. Cela lui permit de comprendre pourquoi il avait ressenti une telle attirance par le tennis. La vision des matches avait du réveiller inconsciemment ses lointains souvenirs. Le jeune homme aux cheveux de jais comprenait aussi mieux pourquoi il avait appris si vite à jouer. Son corps se rappelait inconsciemment des gestes à faire.


    - Je veux jouer ! On va jouer, hein ? Allons jouer !


    Le lycéen géant leva les yeux et découvrit en face de lui un gamin dans le corps d'un adolescent.


    - A quoi tu veux tu veux jouer ?


    Matsuda tapa du pied et soupira.


    - Imbécile ! Au tennis, bien sur !


    Rentarou s'apprêta à accepter la proposition mais se rappela soudainement du travail scolaire qui lui restait encore à terminer. Il poussa un soupir et déclina donc l'offre. Les adolescents convinrent alors de jouer un match demain après-midi.


    Après le départ de son sempai, l'adolescent éprouva beaucoup du mal à se replonger dans la résolution de ses équations. Son esprit ne cessa de penser à son ami. Il trouva le destin vraiment étrange de les réunir à nouveau après tant d'années de séparation mais ne s'en plaignit pas du tout. Pour une fois, celui-ci jouait en sa faveur.

     

    ***



    La semaine suivante se déroula de manière beaucoup plus calme que la précédente. Les cours s’enchaînèrent à leur rythme habituel, les professeurs distribuèrent leurs devoirs et les entraînements s'effectuèrent à la fin de chaque journée.


    Le Samedi du second week-end du mois de Juin cassa la routine. Ce jour-là marqua officiellement le début de Rentarou en tant que titulaire de l'équipe de Ryoko Gakuen. Dès son réveil, l'adolescent fut nerveux et ne sut rien avaler. Son estomac était noué par le stress. Aucun aliment ne trouva grâce à ses yeux. Ni le riz. Ni un simple fruit. Ni une part de gâteau. Ni une pâtisserie. Il ne voulut pas non plus toucher au katsudon rapporté par Kou, cuisiné par la mère de ce dernier, alors qu'il s'agissait de son plat préféré.


    - Mange donc un peu, Rentarou, conseilla Shintarou en poussant un bol de riz vers lui.


    - Pas faim, grommela t-il en le repoussant une énième fois.


    - Rentarou-kun, tu as besoin d'énergie pour ton match, rappela Takaishi soucieux.


    Une grimace apparut sur le visage de Rentarou à cette évocation.


    - Prends au moins du pain, insista Tyro en posant sa main sur le bras de son ami. Ça ne sert à rien du tout de stresser ! C'est juste du tennis !


    - Foutez-moi la paix, tonna Rentarou. Je voudrais juste oublier cinq minutes justement ce match !


    Impuissants, ses quatre amis ne surent que dire ou faire afin de rassurer leur camarade et de l'alléger de ses doutes. Le lycéen géant se contenta de jouer avec une des baguettes en déplaçant des boulettes de riz. Soudain Matsuda s'approcha de leur table et prit une pomme de la coupe de fruits pour la poser juste devant son protégé.


    - La pomme est un fruit délicieux et énergique, clama t-il jovialement.


    - Je n'ai pas faim, Katsuo-sempai, répliqua Rentarou en repoussant le beau fruit rouge.


    - Tu ne te souviens pas de ce que ta mère dit ? reprit Matsuda en tendant à nouveau la pomme. Les fruits sont excellents pour la santé et redonne le plein d'énergie.


    Levant la tête, Rentarou fixa la fameuse pomme dans sa main droite. Un flux de souvenirs inonda alors sa mémoire. Chaque matin, sa mère lui donnait un fruit avant de partir à l'école et lui recommandait de le manger dès qu'il avait un peu faim pour refaire le plein d'énergie. Souvent, Kou le lui dérobait. Katsuo quittait alors en douce la cour de récréation et fauchait quelques fruits sur l'étal d'une épicerie à deux pas de leur école. Quand il revenait, le petit Rentarou voulait partager son butin avec son bienfaiteur mais icelui-ci refusait en prétextant détester les fruits. L'enfant savait qu'il mentait car Katsuo mangeait toujours avec un réel plaisir le fruit servi en dessert chaque midi au repas de la cantine.


    Au milieu de ce flot de souvenirs, Rentarou leva la main pour saisir la pomme et croqua d'abord un petit morceau avant de la dévorer rapidement. Matsuda sourit et prit un à un les différents fruits de la coupe et les lui présenta.


    A la suite de ce repas fructifère, l’aîné entraîna le groupe à l'extérieur et proposa une partie de basket. De par leur haute stature, Rentarou et Matsuda furent ceux qui se débrouillèrent le mieux même si Kou et Takaishi assurèrent eux aussi. Cependant Shintarou fut celui qui impressionna le plus tout le monde. Malgré sa petite taille, le rouquin se distinguait par son agilité et sa capacité à se mettre en boule pour rouler sur le sol, sauter ou faire une cabriole afin d'atterrir de l'autre côté du terrain. Seul Tyro ne brilla guère pestant sans cesse contre la hauteur du panier.


    Approximativement une heure avant que ne sonna midi, ils se partirent en direction de l'arrondissement de Koto. Dans celui-ci se trouvait le Coliseum d'Ariake où se disputaient les matches officiels de tennis. Il s'agissait d'un immense bâtiment, implanté au milieu d'une vaste place garnie de quelques arbres, pouvant rassembler dix mille personnes. Ses murs, qui rappelaient un peu ceux d'une usine, étaient percés de multiples petites ouvertures d'une forme carrée. De nombreux poteaux métalliques soutenaient une toiture en demie-cercle qui recouvrait la totalité du lieu. Cette construction se destinait à protéger les courts et les gradins. De cette manière, les intempéries n'interféraient jamais avec le déroulement des matches.


    En arrivant, Rentarou et Matsuda se séparèrent de leur groupe et allèrent rejoindre leur équipe. Celle-ci attendait le début de la rencontre sur l'un des côtés du court où les adolescents joueraient prochainement. En les apercevant, Kurata passa ses nerfs sur eux.


    - Vous voilà enfin !


    - On a encore trente minutes avant le début de la rencontre, protesta Matsuda.


    - Aki doit rendre la feuille des matches avant le commencement, rappela Uegami avec sévérité. Pour cela, il est impératif d'arriver bien avant l'heure afin d'être sûrs de nos effectifs.


    - D'ailleurs, j'y vais tout de suite, confirma Kurata en s'éloignant d'eux en tenant son écritoire sous le bras.


    Gardant le silence depuis leur arrivée, Rentarou en profita pour regarder avec attention les différents membres de son équipe. Ils ne connaissaient d'eux que leurs noms et leurs visages. Ceux-ci ne le fréquentaient jamais.


    Se tenant à l'écart du groupe, Raphael s'échauffait longuement en pratiquant des étirement des ses bras et des flexions avec ses jambes. Sur le banc, Nagai Shinobu et Motoguchi Kenji étaient assis l'un à côté de l'autre. Ils constituaient une curieuse paire dissemblable. Le premier, Nagai, un petit maigre aux longs cheveux bruns, passait son temps à dessiner dans un carnet, et le second, Motoguchi, un garçon enrobé aux cheveux noirs et gras, tenait toujours un paquet de chips dans lequel sa main ne cessait de plonger.


    Rentarou suivit son ami d'enfance et écouta la conversation entre Uegami et Ogawa.


    - Saint-Christophe a gagné ce matin, annonça Uegami, les bras croisés contre sa poitrine.


    - Quoi ? s'écria Matsuda. Mais ils ont affronté Daigaku ! C'était serré au moins ?


    - 6-0 à chaque match, répondit Ogawa en secouant négativement la tête. Exactement comme avec Sangaku et nous.


    - Alors si la semaine prochaine, ils gagnent aussi, ils obtiendront une victoire parfaite à la phase éliminatoire du tournoi, comprit Matsuda halluciné. C'est pas possible !


    - Et ils gagneront, prédit Kurata qui revint vers eux à ce moment. Dans deux semaines, ils vont affronter Konno. Or, vu le niveau de leur équipe …


    - Ça signifie que Saint-Christophe va se qualifier pour la finale sans passer par la phase finale, ajouta Uegami en ouvrant ses yeux ordinairement fermés.


    - Mais c'est jamais arrivé, s'exclama Matsuda encore stupéfait. Depuis la création des tournois de tennis, aucun lycée n'a jamais gagné sans perdre un seul match en préliminaire !


    - Et dire que l'année dernière encore, leur équipe avait déjà du mal à remporter un jeu, fit Ogawa.


    - Au fait, tu as réellement fait ce que tu as dit, Aki ? demanda Uegami en se tournant vers Kurata.


    - Oui, j'ai totalement modifié le déroulement des matches, approuva Kurata.


    - Alors je vais vraiment jouer en double avec Ichitarou ? grimaça Ogawa.


    - Je sais que tous deux êtes des joueurs de simples, intervint Kurata en levant sa main pour imposer le calme. Cependant vous vous connaissez l'un l'autre, je compte sur vous pour utiliser vos talents ensemble pour gagner.


    - Et Raphael ? Il joue avec Laurel ou Hardy ? interrompit Matsuda au moment où Kurata s'apprêta à commencer une nouvelle phrase.


    Fâché de cette grossière interruption, Kurata foudroya du regard le responsable puis répondit tout de même à la question :


    - Il ne joue pas. Je l'ai placé en remplaçant pour ce match ci et le suivant.


    Cette révélation secoua Rentarou. Il se retourna et regarda Raphael au loin poursuivre ses exercices d'échauffement. Il comprit enfin pourquoi celui-ci lui jetait un sévère regard noir empli de mépris depuis une semaine chaque fois qu'ils se croisaient au club ou au détour d'un couloir.


    - Si j'étais toi, Rentarou-kun, j'éviterais de l'avoir dans ton dos quand tu descends un escalier ou que tu passes sur un pont, pouffa Matsuda.


    Tournant la tête, le lycéen géant lui décocha un regard noir. Cette réaction fit redoubler l'hilarité de son ami.


    - Et pour les simples ? s'enquit Ogawa afin de revenir au sujet principal.


    - Satsuma joue en simple trois, puis moi en deux et enfin Matsuda en un.


    - C'est moi qui joue en simple un, Kurata-buchou ? s'étonna Matsuda.


    - De cette manière, si un des doubles et Satsuma pêchent, je serais là pour rattraper, expliqua t-il en pivotant la tête vers son interlocuteur.


    - Et si on perd tous les trois ? supposa Uegami anxieux.


    - Eh bien, on peut déclarer forfait, riposta sur le champ Matsuda, parce qu'on ne se qualifiera jamais cette année même si on remportait une victoire au dernier tour.


    - Si je résume bien, Aki, tu joues un gros pari sur Eichirou et moi et Satsuma, résuma Uegami en se pinçant les lèvres de nervosité.

     

    Durant tout le long de la discussion, Rentarou s'était tû et avait écouté ses sempai. De toute manière, il savait pas quoi dire puisqu'il ignorait beaucoup de choses sur le tennis et ne connaissait pas non plus la situation exacte de son équipe au sein de ce tournoi.


    La majorité du temps, le lycéen géant ne cessa de poser les yeux sur Kurata. Depuis le jour de leur rencontre, il le considérait comme un personnage hautement autoritaire et imbue d'elle-même. Son attitude peu amicale, quasiment glaciale et distance, envers les premières années accentuait cette impression. Cependant le jeune homme aux cheveux de jais réalisait aujourd'hui que sa position l'obligeait à se montrer ferme envers ses équipiers et à prendre les bonnes décisions pour assurer le bon devenir de l'équipe et du club. Avant tout, il était un chef et imposait son autorité afin de mener tout le monde à bon port même si ses manières se contestaient quelque peu peut-être.


    Suite à cette analyse, son cœur voua une admiration nouvelle pour son buchou. Il souhaita tant être capable d'affirmer aussi ouvertement ses positions sur n'importe quel sujet sans avoir tout le temps peur des réactions des autres personnes engagées de la conversations.
    Cette constatation, Rentarou devait la garder pour lui-même. Aucun de ses amis ne pourrait la comprendre. Et surtout pas Tyro.


    Brusquement, l'angoisse remonta en lui. Son estomac lui parut vide. Il jeta plusieurs fois de discrets regards à Matsuda et se demanda s'il méritait réellement sa place de titulaire.
    Encore honteux de l'expérience vécue six jours plus tôt, Rentarou n'avait parlé à personne du match au cours duquel son ami d’enfance et lui s'étaient affrontés.


    Une lamentable défaite ! 7-2 !


    Son adversaire l'avait littéralement laminé. Après lui avoir concédé les deux premiers jeux pour analyser son style et sa technique, il avait repris largement l'avantage et avait réussi à l'empêcher d'utiliser son service tout le long du match.


    Soudain un commentateur annonça au travers des hauts-parleurs le début de la rencontre opposant le lycée de Ryoko Gakuen à celui de Konno. Les buchou des deux équipes entrèrent alors à l'intérieur du court et se saluèrent avec respect en serrant la main avant de s'asseoir chacun sur un banc tandis que leurs joueurs prenaient position sur le terrain.
    Comme il fut prévu, la rencontre débuta par les doubles. Pour le premier match, Kanai et Motoguchi furent opposés à deux larges gaillards à la musculature très développée. Malgré leur bonne volonté à tous deux et leurs tentatives pour marquer un maximum de points, il se solda par une défaite avec un score de 6-1.


    - Comme prévu, Laurel et Hardy ont perdu, railla Matsuda. Dis, Kurata-buchou, tu es certain de diriger une équipe de tennis et non pas de monter une pièce de manzai ?


    Assis sur un banc disposé sur le court, Kurata se tenait devant ses équipiers. Seul un grillage les séparait. Il pesta mentalement contre l'insolence donc faisait preuve une fois encore Matsuda mais ne dit rien.


    - Sérieusement, vous avez de l'avenir dans la comédie !


    - Ça suffit, Katsuo-sempai ! tonna Rentarou en laissant sa voix porter très fort ce qui agressa les tympans de ses compagnons. Nos sempai ont fait de leur mieux et je ne tolère pas qu'on se moque de ceux qui ont essayé de faire quelque chose même s'ils échouent !


    Jusqu'à présent, personne au lycée n'avait expérimenté une de ses colères puisqu'il se contrôlait toujours et refrénait ses sentiments. Tout le monde s'imaginait que Satsuma Rentarou était de nature calme et avaint du mal à exprimer son opinion. Le voir prendre la défense de ses équipiers causa un choc général. Kurata se retourna même pour apercevoir la scène.


    Mais le plus surpris fut sans conteste Matsuda qui ne pipa plus un seul mot. Il n'arriva pas à croire que le petit garçon timide et craintif de son enfance s'était finalement métamorphosé en une créature capable de s'imposer d'elle-même.


    - Merci beaucoup, Ochibi, murmura Kanai en adressant un timide sourire à Rentarou.


    - Si tu veux vraiment me remercier, arrête de m'appeler comme ça.


    - Impossible, Ochibi ! Comme tu es le plus jeune de l'équipe, nous sommes obligés de t'appeler ainsi. Tu es notre petit.


    Rentarou poussa un profond soupir. Depuis son entrée dans l'équipe, Nagai avait décidé de l'affubler de ce stupide sobriquet que les autres titulaires avaient évidemment repris.

     

    Normalement, il n'avait rien de contre sur l'emploi d'un surnom mais celui là commença fortement à lui chauffer les oreilles. L'adolescent trouvait très embarrassant d'être traité de petit par un garçon mesurant quarante centimètres de moins que lui.


    Pendant cet intermède, Uegami et Ogawa rejoignirent à leur tour le court et se préparèrent. Tous deux échangèrent quelques mots avant de pratiquer quelques échauffements.


    Quand l'arbitre déclara le début du match, les joueurs se serrèrent la main. Rentarou constata que ses sempai étaient opposés à deux individus de la même corpulence qu'eux. Ce fut l'équipe adverse qui commença au premier jeu mais le serveur ne réussit pas à marquer de point. A chacun de ses services, Uegami demeura planté près du côté et scruta le terrain adverse, son index droit posé un peu au-dessus du nez, puis laissa sa main droite faire d'étranges gestes avec ses doigts que Rentarou ne comprit pas du tout. Peu après, Ogawa courut après la balle et parvint toujours à la rattraper et à la frappa très fort. Souvent, elle retomba de l'autre côté sans permettre à leurs adversaires de la récupérer.


    - Katsuo-sempai, pourquoi Uegami-sempai ne joue t-il pas ? s''intrigua Rentarou.


    - Oh ! Mais il joue, dit Matsuda amusé par la question. Il a même le rôle le plus important.
    - Comment ça ? Il ne court pas après la balle et ne la frappe pas !


    En entendant es propos échangés derrière lui, Kurata détourna son attention du du match et se retourna vers son équipe.


    - Le tennis ne se résume pas qu'à ça, Satsuma, surtout les doubles, fit-il d'une voix posée. En premier lieu, il est important de lire la trajectoire de la balle et c'est une chose qu'Ichi maîtrise bien mieux que n'importe qui.


    Alors qu'il écouta la leçon donnée par son buchou, Rentarou se rappela de son match contre Matsuda. Fidèle à ses habitudes, le jeune colosse avait attaqué dès le début à son maximum alors que son adversaire l'avait laissé agir et analysé tout son jeu avant de l'utiliser contre lui et reprendre définitivement l'avantage.


    Satisfait d'avoir enfin su trouver ses erreurs, Rentarou sentit les angoisses de son cœur s'amenuisèrent. Il se résolut à changer son style et à s'améliorer afin de faire progresser son niveau de jeu. Ainsi ses sempai ne regretteraient pas sa présence au sein de l'équipe.


    En reportant son attention sur le match en cours, Rentarou remarqua une autre chose qui l'étonna au moment où Uegami se retourna vers son allié après avoir remporté le premier jeu : il portait de très fines lunettes aux verres carrées.


    - Depuis quand Uegami-sempai a des lunettes ? fit Rentarou.


    - Ichi a un problème de vue qui l'empêche de voir correctement de loin, expliqua Kurata en restant tourné vers le court. Néanmoins, il les porte seulement pour jouer au tennis.


    - Je vois, fit Rentarou dans un murmure.


    - Ochibi est vraiment très curieux, émit Motoguchi.


    - Mais c'est pourquoi c'est notre Ochibi, railla Kanai en donnant un coup de coude dans la partie ventrue de son meilleur ami.


    Résigné, Rentarou ne protesta même pas à leur plaisanterie et reporta son attention sur le match. De toute manière, que pouvait-il faire ? Il n'allait pas en prendre un pour taper sur l'autre afin de les faire taire. Bien que physiquement la possibilité soit envisageable, le jeune colosse se refusa à agir ainsi.


    Lors du second jeu, Uegami récupéra le service. Placé sur la ligne tracée à cet usage, il se concentra un maximum et envoya la balle en lui donnant seulement un léger.

     

    Immédiatement, l'adversaire se précipita vers elle en la croyant facile. Cependant Uegami y avait ajouté un effet lifté auquel il ne s'attendit pas. Quand il l'eut frappé, la balle descendit et tomba dans le filet. Celui-ci pesta de rage tandis qu'Uegami se contenta d'afficher un petit sourire de satisfaction. Durant le reste de son service, le jeune homme employa toujours des effets sur ses balles qui eut pour conséquence de la faire rouler de l'autre côté du terrain après le premier rebond ou de tomber juste après avoir passé le filet alors que sa trajectoire sembla indiquer une plus longue courbe.


    Les quatre jeux ne différèrent guère des deux premiers et au final, ce fut Ryogaku qui remporta ce second match égalisant les scores entre les deux équipes.


    - Super, s'enthousiasma Matsuda. Maintenant on va jouer les simples ! On est sûrs de gagner !


    - Mada mada dane, émit Rentarou d'un ton réprobateur.


    Serrant le grip de sa raquette, l'adolescent avait lâché sa réplique malgré lui, comme il l'avait fait auparavant à la conclusion de son match contre Raphael, à cause de la nervosité revenue le titiller. Même si sur le papier, les chances de victoires tendaient à être de leur côté, il gardait une certaine réserve pour la suite des événements.


    Dans le même intervalle de temps, Rentarou repensa à sa fameuse réplique et songea qu'elle résonnait bien. Il se demanda si ce serait correct de l'utiliser envers ses équipiers et ses adversaires en cas de besoin puis se rappela combien tous l'agaçaient avec ce stupide surnom d'Ochibi. Puisqu'ils appréciaient de l'ennuyer avec, le jeune homme aux cheveux de jais utiliserait cette phrase à chaque moment où il aurait besoin de les reprendre.


    Mettant de côté tous ses soucis, l'adolescent ferma les yeux et inspira profondément. Il se laissa envahir doucement par le calme et et choisit ce moment pour rouvrir les paupières.
    Quand il pénétra sur le court, Rentarou fit abstraction de la foule assise sur les gradins autour. Il se répéta que c'était un simple match tout à fait ordinaire comme il en jouait chaque jour aux séances d’entraînements de son club. Le lycéen géant alla saluer son adversaire et lui serra la main puis le match put commencer enfin.


    Malgré le fait que le premier service lui revint, Rentarou se souvint de la leçon apprise lors de son observation du style de jeu d'Uegami et s'interdit d'utiliser tout de suite son Invisible Server. Il se décida de jauger la force et les capacités de son adversaire avant de tout donner.
    En premier lieu, il fixa attentivement son opposant. Celui-ci possédait le même gabarit que Shintarou ou Nagai.


    Sortant une balle de la poche de son short, l'adolescent la fit rebondir plusieurs fois et la lança en l'air avant de la frapper. Toutefois, il retint de beaucoup son bras. Sa balle partit donc à une allure moyenne mais suffisamment rapide pour l'envoyer. Très véloce, son adversaire réussit à la rattraper facilement et la retourna sans problème. En la récupérant, Rentarou ne sentit aucune résistance et se décida de lui ajouter un peu plus plus puissance pour tester sa force. Au début, le rival géra bien l'échange mais finit par éprouver de plus en plus de difficultés à mesure que le jeune colosse augmenta la puissance sa frappe à chaque retour. Celui-ci se décida à conclure et réalisa une frappe magistrale qui propulsa la balle tel un boulet de canon aux pieds du garçon de l'autre côté du filet.


    - Qu'est que c'était que ça ? s'écria t-il stupéfait, les yeux fixés sur la balle.


    - Juste une balle, se moqua gentiment Rentarou. Ne t'inquiètes pas. Ce n'est pas une météorite tombée du ciel.


    Encore un peu hagard, le garçon releva la tête et fixa ce géant aux lunettes de soleil, impressionné par une telle force. Toutefois, il se remit courageusement en position.


    Satisfait de la conclusion de son analyse, Rentarou avait déduit que son adversaire possédait une grande capacité de vitesse mais pêchait en force. Il opta alors pour l'obliger à courir afin de tester son endurance. Cependant son objectif principal consistait aussi à le fatiguer afin de baisser sa rapidité.


    Tout le long du premier jeu, il se contenta donc d'envoyer la balle le plus loin de son adversaire mais d'une faible puissance pour le laisser frapper. L'adolescent retourna plusieurs fois la balle toujours faiblement avant de conclure finalement chaque échange d'un coup très puissant.


    Se félicitant d'avoir remporté le premier jeu, Rentarou s'intima mentalement de ne pas se reposer maintenant. Il devait analyser le style de service adverse.


    Se plaçant derrière la ligne de fond, il scruta son adversaire avec attention. Apparemment celui-ci eut dans l'idée d'utiliser la même stratégie puisqu'il envoya la balle où elle était le plus loin à atteindre.


    En courant pour l'atteindre, Rentarou sourit. Il n'avait plus plus à prouver son endurance suite au match interminable joué avec Tyro l'autre nuit. Cependant le jeune colosse retourna avec une grande force le service adverse empêchant son opposant de récupérer la balle.
    En alternant des frappes lentes et des frappes fortes, Rentarou réussit à marquer chaque jeu l'un après l'autre. Il continua à obliger son adversaire de courir. le jeune homme aux cheveux de jais nota à la fin du quatrième jeu que celui-ci s'affaiblit de plus en plus alors que lui-même se sentait aussi frais que la rose venant d'éclore.


    A cet instant, il fut tenté d'utiliser son Invisible Server pour clore plus rapidement le match. De toute manière, son adversaire ne possédait plus rien susceptible de rivaliser avec lui. Néanmoins, son service n'était pas utile pour ce match. Il décida donc d'achever son œuvre sans céder à la tentation d'employer sa véritable force.


    Et pourtant, Rentarou brûlait de montrer à cette foule le service dont son cœur se gonflait de fierté. Mais il n'était plus si confiant dans son utilisation suite à sa défaite face à Matsuda. Avant de le montrer au public, l'adolescent souhaitait l'améliorer et le travailler à nouveau afin de le rendre réellement invincible.


    En conséquence de débat intérieur, le jeune colosse joua les deux derniers jeux comme les précédents. En fait, il n'eut même pas à utiliser de force car son rival avait tant couru depuis le commencement qu'il peinait maintenant à se déplacer.


    Lorsque Rentarou frappa l'ultime coup qui lui permit de remporter son match, il lança sa réplique favorite avec une pointe d'insolence dans la voix à son adversaire en rejetant en arrière les mèches qui tombaient habituellement sur son front.


    - Mada mada dane.


    L'adolescent ressentit un profond plaisir inonder toute son âme. C'était comme ci l'excitation et la concentration utilisées tout au long du jeu s'étaient transformées en une immense source de joie. Il ne l'avait jamais expérimenté mais savourait ce mélange de sentiments indescriptibles et euphorisant.


    Derrière le grillage, ses équipiers avaient observé le déroulement complet du match en produisant quelques commentaires. Matsuda, qui éprouva de la satisfaction que son petit protégé ait réussi, fut le seul à ne rien dire.


    - Ochibi a réussi, s'écria Kanai en levant vivement les bras en triomphe.


    - Il parle vulgairement, fit remarquer Ogawa, le regard sévère.


    - Ce n'est pas vraiment vulgaire, le contredit Uegami. Quand c'est toi qui gagne, tu tires sur ton œil pour marquer ta supériorité.


    - C'est différent, se justifia Ogawa en se refermant sur lui-même.


    - Calmez-vous un peu, leur intima subitement Kurata en se retournant vers eux.


    Après avoir vérifié que ses équipiers avaient compris le message, le jeune homme aux longs cheveux de corbeau se rassit correctement et remarqua Satsuma passa près de lui pour quitter le terrain. Il l'appela.


    - Ce n'était pas un mauvais match, dit Kurata tout en remontant ses lunettes sur son nez.


    Rentarou remercia son buchou de son commentaire mais se demanda ce qu'il entendit derrière. Pensait-il que son match aurait pu être meilleur ? L'encourageait-il à progresser ? Il demeurait incapable se faire une opinion correcte sur le sujet. Toutefois, l'adolescent s'était déjà résolu à s’entraîner davantage. Ces paroles ne changeaient pas son état d'esprit.


    Peu après qu'il quitta le court, Kurata se leva lentement de son banc. Le buchou ouvrit en douceur la fermeture de sa veste et la défit toujours d'une extrême lenteur et la plia très soigneusement avant de la poser sur le banc. A ce moment seulement, il ouvrit son étui pour prendre sa raquette.


    - Matsuda, tu ne joueras pas aujourd'hui, annonça t-il tranquillement.


    L'interpellé bouda suite à cette déclaration mais Rentarou ne comprit pas pourquoi ses équipiers semblaient si convaincu de la victoire de leur buchou. Cela ne l'étonna plus en découvrant son style de jeu.


    Tout le long du match, Kurata à la même place : au milieu de son terrain. De là, le buchou lança ses services et rattrapa toutes les balles. Quand il bougea, ce fut seulement de deux ou trois mètres sur la gauche ou sur la droite.


    - Comment buchou peut jouer ainsi ? s'exclama Rentarou stupéfait. Il ne bouge pas !


    - Aki a su développer une technique de jeu grâce à laquelle il peut contrôler les trajectoires, notamment par de bons effets, et leurrer son adversaire, expliqua Uegami.


    - Ça, j'ai compris pour ses services, accepta Rentarou. Mais quand c'est son adversaire qui sert ? A la place de celui-ci, j'enverrai une balle bien puissante et rapide à l'autre bout du court ! Alors comment il peut espérer rattraper ce genre de coups sans bouger ?


    Amusé par cette curiosité, Matsuda sourit en réalisant que son protégé n'avait pas tellement changé. Il revoyait encore les moments où ce petit garçon aux lunettes noires restait collé à lui et ne cessait de le bombarder de toutes sortes de questions auxquelles il avait éprouvé parfois du mal à répondre.


    - Peu de joueurs possèdent une force comme la tienne, décréta Matsuda.


    - De toute manière, Aki n'a jamais dit ses secrets, déclara Uegami d'une voix tranchante.


    - Même pas toi ? s'étonna Ogawa Pourtant vous êtes amis depuis que vous portez des couches et avaient joué ensemble chaque fois que vos pères se voyaient pour travailler.


    - Même quand on a un ami d'enfance, on éprouve l'envie d'avoir son jardin secret, répliqua la voix glaciale de Kurata qui sortit à l'instant du court.


    - Tout à fait, Aki, assura le fukubuchou, les yeux fermés, à son meilleur ami.


    A la conclusion du quatrième match qui venait de s'achever au bout d'une douzaine de minutes, l'équipe de Ryoko Gakuen fut déclarée victorieuse. Les deux buchou se saluèrent à nouveau et se remercièrent de cette rencontre. A la suite de ce rituel protocolaire Kurata adressa quelques mots de reconnaissance à son équipe puis les autorisa à partir.

     

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