• Chapitre 13


    Suite à la petite expédition pour aider Tyro à quitter le lycée en toute sécurité, ni Rentarou ni ses complices ne furent attrapés. Celui-ci put rentrer chez lui où sa mère le réprimanda sévèrement. De son côté, le jeune homme aux lunettes sombres espèra que cela pourrait lui permettre de renouer le dialogue avec Shiromiya. Il l'attendit dans la cour mais l'adolescent aux cheveux ébènes retourna à l'internat par l'escalier de secours le laissant à la merci d'Onita.


    Avant de rentrer à l'internat, Rentarou s'acheta un sandwich au distributeur. L'heure du diner était était dépassée. Le service du soir débutait à dix-huit heures et s'achèvait à vingt et une heures. Il monta dans sa chambre située dans le fond du couloir du premier étage. Pour manger, l'adolescent s'assit sur le bord de son lit pour manger. Pendant que ses mâchoires s'activaient, son esprit pensa. Demain, c'était le week-end. Les devoirs pouvaient donc attendre un peu. Un peu de détente ne lui ferait pas de mal.


    Après son frugal mais nutritif repas, le lycéen géant s'empara un livre sur ses étagères qui traitait des relations sociales. Il en lut quelques chapitres en comparant les exemples cités avec ses propres expériences et cherchant à comprendre ses possibles erreurs. Mais la fatigue de sa pénible revint à la charge. Ses paupières essayèrent souvent de se fermer. Au bout d'un moment, l'adolescent renonça à sa lecture et décida de se coucher.


    Avant de se mettre au lit, il retira ses vêtements. Malgré la découverte des difficultés du repassage, cela ne le dissuada toujours pas d'abandonner son uniforme sur le plancher à la merci de la poussière. Le jeune homme aux cheveux de jais enfila ensuite son pyjama. Une chemise et un pantalon de couleur rouge. Le garçon adorait cette couleur depuis sa plus tendre enfance. pour lui, c'était la plus belle et la plus puissante.


    Finalement, il se glissa dans son lit et ramèna le drap et la couverture sur son corps. Avant d'éteindre la lumière de sa lampe posée sur la table de chevet, Rentarou se tourna vers le cadre à côté et murmura doucement :


    - Bonne nuit, kaasan.


    Après ces paroles, l'adolescent s'endormit presque aussitôt. Cela changea de ses habitudes. Ordinairement, il restait fréquemment éveillé jusqu'à une ou deux heures du matin afin de terminer des exercices de Mathématiques ou une dissertation de Japonais.


    Le lendemain matin, Rentarou se réveilla vers sept heures. Il salua sa mère puis alla se laver.
    La salle de bains des garçons se situait à la jonction des couloirs, au même endroit que celles des filles à l'étage supérieur, en face des escaliers qui permettaient d'accèder à l'internat. La vaste pièce était divisée en deux parties par une cloison qui la fermait à moitié. Elle pouvait accueillir une trentaine de personnes en même temps. De nombreux pommeaux de douche pendaient aux murs. Aucune intimité n'était possible. Sur le côté droit existait des lavabos. Seulement quatre. Près de l'entrée se dressait un meuble qui portait de petits paniers en osier, dans lesquels les élèves déposaient leurs vetements, et un banc pour s'y asseoir.


    A la fin de ses ablutions, Rentarou s'habilla avec des vetêments normaux puisqu'on était le week-end. Soit un tee-shirt rouge et un jean. En descendant au réfectoire, il retrouva Takaishi et déjeuna avec lui mais tous deux n'eurent aucun signe de leur autre camarade interne. Le lycéen géant proposa ensuite à son ami de faire leurs devoirs ensemble. Celui-ci accepta avec plaisir.


    A la bibliothèque, tous deux se présentèrent brièvement à la responsable des lieux puis gagnèrent l'espace de travail. A cette heure, la salle était encore déserte. Seule une table au fond était occupée sur laquelle les nombreux ouvrages posés dessus empêchaient de distinguer l'étudiant derrière. Mais Rentarou devina déjà son identité.


    - Yo Yoko-chan, clama t-il joyeusement en posant sa main sur son épaule.


    Si l'adolescent aux larges épaules avait attendu un peu de distinguer la silhouette de cette personne, celui-ci se serait sans nul doute abstenu de cette salutation. Il s'agissait en réalité d'un petit jeune homme à la tignasse rousse mal coiffée qui n'apprécia pas du tout la comparaison.


    - Quelle partie de moi ressemble à Matsuda-san ? lança Shintarou bougon en se retournant pour gratifier son interlocuteur d'un regard noir.


    - Je suis désolé, s'excusa immédiatement Rentarou très honteux.


    Derrière lui, il entendit un éclat de rire et retourna pour apercevoir Takaishi, une main sur sa bouche afin d'étouffer son rire.


    - C'est pas bien de se moquer, fit Rentarou d'une mine boudeuse.


    - Tu es vraiment un comique, Rentarou-kun, plaisanta Takaishi en s'arrêtant de rire. Tu ne le fais jamais exprès et c'est pourtant toujours drôle !


    D'un geste fataliste de la main, le jeune colosse laissa passer l'allusion sans l'apprécier véritablement. Pour une fois, Shintarou ne rit pas non plus de la situation.


    - Nous étions venus étudier, annonça Rentarou afin de changer de sujet. Mais toi pourquoi tu es là ?


    - Je suis aussi un étudiant si vous vous souvenez, rappela Shintarou d'un petit sourire amusé.


    - C'est pas l'impression que tu donnes en classe, émit Rentarou.


    - Parce que c'est amusant de dire n'importe quoi, expliqua Shintarou. Mais mes études sont très importantes pour moi. Alors je viens travailler ici très tôt chaque matin.


    Les deux jeunes prirent place au côté de leur ami qui leur libéra un peu d'espace en déplaçant les ouvrages posés devant lui sur la chaise à ses côtés. Durant le reste de la matinée, Rentarou et Takaishi effectuèrent des recherches pour une dissertation d'Histoire puis un questionnaire ardu à remplir au sujet de la géographie physique des différents pays européens. A certains moments, Shintarou les surprit à lâcher une réponse correcte tout en lisant un livre de biologie et en prenant des notes sur le sujet qui l'intéressait.


    Après les devoirs des matières de tronc commun vint le moment de faire ceux des cours optionnels. Takaishi parcourut longuement la section littérature pour trouver le roman de Candide afin d'analyser le texte que son professeur avait demandé. Comme Rentarou et Shintarou étaient ensemble au cours d'Economie, ils s'entraidèrent pour réaliser l'étude statistique sur la croissance de la dernière décennie et en écrire un commentaire d'une à deux pages.


    - J'ai faim, se plaignit subitement le rouquin d'une voix braillarde sans se soucier ni des regards désapprobateurs ni des murmures des autres étudiants qui travaillaient dans la bibliothèque.


    - Ce n'est pas étonnant : il est treize heures, fit remarquer Rentarou après avoir consulté sa montre.


    - Oh non ! La cantine ne nous servira plus à manger alors, paniqua Takaishi.


    - Eh bien, allons manger dehors, suggéra Shintarou. Il y a longtemps que je n'ai avalé un hamburger ou des frites !


    - C'est si loin hier soir en revenant du karaoké avec Kou-kun ? glissa Takaishi à Rentarou.


    Le trio se leva de leur table et chacun rangea ses affaires. En allant déposer leur sac dans leur chambre, le petit rouquin proposa d'inviter Tyro et Kou à les rejoindre. Dans le couloir de leur étage à l'internat, il téléphona donc à Tyro tandis que Takaishi appela son camarade d'enfance. Tous deux acceptèrent bien volontiers de retrouver leurs amis.


    Puisque chacun d'eux vivait dans un arrondissement différent de Tokyo et éloigné des uns des autres, il fut convenu de se retrouver dans celui de Shibuya.


    Le trio de l'internat retrouva en premier Tyro à la sortie du métro. Celui-ci habitant dans l'arrondissement voisin, il était venu au pas de course. Kou les rejoignit une quinzaine de minutes plus tard. Le groupe put enfin partir en quête de nourriture. Après avoir remontés quelques rues, ils entrèrent dans le premier fast-food rencontré. Si Rentarou ne s'achèta qu'un seul hamburger et un paquet de frites, soucieux de respecter son corps et sa santé, ce ne fut pas le cas des autres qui se commandèrent chacun un plateau très fourni. Seul Kou ne prit qu'un coca car il sortait de table et n'avait plus faim.


    - Itadakimasu, formula Rentarou en joignant ses mains l'une sur l'autre.


    Mais personne ne prit le temps de l'imiter ni même de l'entendre : tous étaient déjà en pleine dégustation de leur repas. Aspirant sa boisson avec une paille, Kou observa le jeune homme aux lunettes sombres amusé.


    - Je ne crois pas que les formules d'usage soient utiles avec eux, dit Kou.


    Là dessus, Rentarou n'ajouta rien de plus et commença à mordre dans son hamburger afin de rattraper son retard.


    - C'était bon, s'exclama Tyro en s'affalant dans la banquette, les bras grand ouverts qui accrochèrent Rentarou et Shintarou. On fait quoi maintenant ?


    - Aucune idée, avoua Takaishi ennuyé, ses deux mains soutenant sa tête.


    - Allons voir les matches du tournoi d'aujourd'hui, proposa Shintarou énergiquement. Notre école joue bientôt d'ailleurs !


    - Les titulaires jouent à cinq heures, corrigea Kou. Il y a encore un peu de temps, non ?


    - Moi, j'y vais pas, affirma Tyro en devenant de très mauvaise humeur.


    - Tu ne veux pas voir un match de tennis ? s'étonna Takaishi en arquant un sourcil.


    Jusqu'à présent, Rentarou se contentait de suivre la conversation mais ne la comprenait pas dans son intégralité. Cependant entendre Tyro déclarer qu'il se désintéressait d'un match de tennis l'inquiéta fortement. Le jeune homme aux cheveux de jais ne fut pas le seul car tout le monde autour de la table observa le concerné avec anxiété.


    - Tu te sens bien, Sakumai-kun ? s'enquit Rentarou.


    - Si vous avez envie de voir des nuls jouer au tennis, pas moi, rétorqua Tyro en serrant fort le gobelet qu'il tenait dans ses mains. Je n'irai jamais voir un seul de leurs matches !


    - J'aurai bien aimé voir Matsuda-sempai moi, regretta Shintarou. Son match de la dernière fois était vraiment génial !


    A l'évocation du nom de Matsuda, Rentarou eut un léger sursaut. Il eut très peur de poser la question et de passer pour un idiot mais sa curiosité fut bien plus forte.


    - Matsuda ? Celui qui joue au club avec nous ? fit-il d'une voix un peu timide.


    - Oh ! C'est vrai que tu ne connais rien aux tournois, intervint Kou en venant à sa rescousse. Vois-tu, chaque année, les clubs s'affrontent entre eux pour espérer être sacré numéro un du Japon.


    - Tu ne sais pas ça ? s'étonna Tyro en tournant la tête vers son voisin de gauche.
    - Rentarou a étudié à domicile jusqu'à maintenant, répondit Kou.


    Tyro accepta cette réponse et Rentarou remercia son ami d'un discret sourire. Cela lui paraissait un sentiment étrange de réaliser qu'il commençait à apprécier véritablement de se trouver en compagnie de son ancien bourreau. A n'importe quel moment, celui-ci le soutenait toujours quand il remarquait que son camarade se sentait largué dans une discussion.


    Tout en méditant sur ces pensées, Rentarou écouta Takaishi qui lui expliqua longuement les rencontres sportives entre les clubs lycéens japonais.


    Au Japon, la rentrée scolaire s'effectuait le premier Avril. Cela marquait aussi la reprise des clubs. Ceux-ci se réorganisaient et reprenaient leurs entrainements au cours du mois de la rentrée puis le premier tournoi de la saison débutait : le tournoi préfectoral. Celui-ci réunissait l'ensemble des lycées d'une préfecture et le vainqueur obtenait le droit de participer au tournoi régional.


    Dans leur cas, Ryoko Gakuen était en compétition avec cinq autre lycées de la capitale nippone : Daichi Daigaku, Helia Gakuen, les champions des Nationales de l'an passé, Konno, Sangakuen, qui remportait presque chaque année le tournoi national, et Saint-Christophe, une équpe nouvellement admise et au potentiel faible.


    Le tournoi régional se déroulait vers fin Septembre et opposait les clubs ayant remporté la victoire au tournoi préfectoral dans leur région. Le vainqueur se qualifiait alors pour le tournoi national.


    Débutant dans le mois de Novembre et s'achevant en Février, le tournoi national rassemblait donc les huit meilleures équipes du Japon dans le but d'en déterminer un seul, le meilleur.


    - Je vois, dit Rentarou une fois toutes les explications achevées.


    - De toute manière, ce n'est pas cette année que Ryogaku ira aux Nationales, lança Tyro. Je parierai bien mon argent de poche jusqu'à Juillet qu'on ne passera pas les préfectorales !


    - Je n'irais pas contre toi, ajouta Shintarou. D'après ce que je sais, notre école n'a pas gagné aux Nationales depuis quinze ans. En fait, ils ne sont même pas qualifié aux Régionales depuis aéu moins six ans.


    Brusquement, Tyro poussa un fort grognement en se martelant plusieurs fois le crâne de ses poings. Ce comportement ne parut absolument pas anormal à ses amis puis qu'il s'agissait là de son habitude dès que le bouillant jeune homme ne pouvait obtenir une chose à laquelle son esprit ne cessait de penser.


    Toutefois, Rentarou avait trouvé une solution pour le calmer depuis qu'il fréquentait le groupe. ses nerfs ne supportaient absolument pas les grognements de Tyro. Le lycéen géant détacha sa petite bouteille d'eau de sa ceinture et en versa un peu dans son gobelet puis versa le contenu sur la tête de son ami.


    - Maintenant que tu es refroidi, qu'est qui ne va pas ? l'interrogea Rentarou.


    La main droite soutenant sa tête, le regard toujours furieux, Tyro hésita un instant avant de répondre. Il observa la tablée autour de lui qui l'observait puis se jeta finalement à l'eau :


    - J'ai choisi le lycée de Ryogaku justement parce qu'il était faible et ne gagnait plus jamais un seul match. Je voulais rejoindre l'équipe et la rendre forte grâce à moi.


    - Tu as l'intention de devenir l'ace de l'équipe ainsi, comprit Takaishi.


    - Je suis sur que vous me trouvez orgueilleux maintenant, fit Tyro en baissant la tête.


    - Il faut bien avouer que c'est un projet dur à réaliser, émit Kou avec prudence.


    - Je pense que c'est totalement fou, affirma Shintarou de sa bonne humeur habituelle.


    Embarrassé, Tyro se mordit la lèvre nerveusement. Il regretta sérieusement d'avoir confié son rêve secret à ses amis. De toute manière, personne d'autre que soi-même ne pouvait comprendre et accepter ses propres rêves.


    - Je pense que c'est un rêve génial, s'exclama Rentarou avec légèreté.


    - Vraiment ? fit Tyro en tournant la tête vers le géant lycéen.


    Le jeune homme aux lunettes noires opina d'un signe de tête et poursuivit.


    - Même si un rêve est déraisonnable ou impossible, il est important car il nous permet de nous motiver chaque jour même quand on se sent très mal.


    Rentarou hésita quelques minutes avant de conclure sa tirade.


    - Personnellement, je crois que j'aurais beaucoup de mal à me lever le matin sans mes rêves.


    - Je partage ce sentiment, confirma Tyro en levant son pouce, le sourire à nouveau aux lèvres.


    - De plus, je ne considère pas l'idée de Tyro comme stupide, annonça Takaishi. Il arrive fréquemment en sport que des champions invaincus soient subitement battus par un nouveau challenger inconnu de tous.


    - Il faudrait un miracle pour relever Ryogaku, renchérit Shintarou en détournant la tête, boudeur.


    - Où est passé ton si bel esprit optimiste ? demanda Kou intrigué de cette attitude.


    - J'ai encore en tête les matches du premier tour d'il y a quinze jours. Et je déteste cette manière de jouer !


    - Matsuda-sempai a été bon quand même, tempéra Tyro.


    - Je ne pense pas à lui, rétorqua Shintarou agressivement, mais aux matches qui ont précédé !


    - Les doubles ? fit Kou, la main posée contre son menton.


    - Ils ont fait de leur mieux mais ils n'étaient pas assez forts, déclara Takaishi. C'est tout.


    - Ils n'ont pas fait de leur mieux car les joueurs de double de notre équipe n'ont aucune harmonie ensemble, s'écria Shintarou en tapant son poing sur la table. Or, tu ne peux pas gagner un match double sans coordination avec ton partenaire.


    Tandis que ses amis l'observèrent, le petit rouquin se calma un peu. Sa voix devint alors plus excitée, voir passionnée.


    - Jouer en double, ce n'est pas juste attaquer mais c'est défendre son partenaire quand qu'il monte au filet, se réjouir ensemble des points marqués et concevoir des combinaisons.


    - Tu es un joueur de double, n'est ce pas ? réalisa Takaishi tout en scrutant son ami.


    - Ouais … je joue au tennis depuis le collège, confessa Shintarou songeur, mais les seules véritables sensations que j'apprécie me viennent seulement quand je joue en double et que je partage un lien émotionnel avec mon partenaire.


    Écoutant en silence les explications de son camarade, Rentarou n'était pas certain de comprendre la réelle signification de ces mots.


    Partenaire …


    Liens ...


    Partenaire sonnait comme un mot ennuyeux et inutile. Il aimait entreprendre les choses seul et la perceptive d'un travail en équipe l'énervait d'avance car cela l'obligeait à partager ses tâches et le ralentissait.


    Lien émotionnel lui paraissait être une expression étrange et ne parvenait pas à établir une définition correcte. Certes, il se faisait des amis et partageait des activités avec eux mais cela s'arrêtait là. Aucun d'eux ne transmettait ses sentiments, pas plus que ses états d'âme.

     

    Intérieurement, l'adolescent pensa qu'il ne saurait jamais rien sur ce sujet car il ne serait jamais capable de se lier émotionellement avec une autre personne et de lui confier les troubles de son cœur.


    - Alors on fait quoi ? demanda finalement Shintarou avec impatience.


    - Ma sœur est sortie cet après-midi. On pourrait aller chez moi, proposa Kou. Mes vieux aussi ne sont pas là.


    La perspective de se retrouver seuls dans l'appartement de leur ami enthousiasma les adolescents. Rentarou ne vit rien de joyeux à être seul. En fait, il trouvait la perspective très triste mais ne s'en ouvrit pas à ses compagnons.

     

    La petite bande quitta donc le fastfood et se dirigea vers la station de métro par laquelle ils étaient venus ici afin d'attraper la prochaine rame pour l'arrondissement de Shinigawa.


    Le reste de l'après-midi passa vite. Installés dans le salon, la pièce la plus vaste de l'appartement de la famille Ishida, les cinq jeunes regardèrent des clips ou des dessins animés diffusés à la télévision tout en discutant ou en commentant le programme.


    Quand les parents de Kou rentrèrent très peu de temps avant l'heure du diner, ils se trouvaient toujours là.


    - Ceux sont tes amis, mon chéri ? demanda Tomoka, sa mère.


    - Ne m'appele pas comme ça, oyaba, bougonna Kou énervé.


    Assis dans le seul fauteuil de la pièce, Rentarou tourna la tête et observa la jeune femme mais n'arriva pas à se souvenir d'elle avant de souvenir que celle-ci avait quitté le domicile conjugal avant le troisième anniversaire de son fils. Cette femme avait un visage mince et expressif, des cheveux noirs bleutés dégagés jusqu'à ses oreilles, des yeux noirs très resserrés et rapprochés l'un de l'autre et portait un chemisier blanc avec un tailleur beige.


    - Je reconnais ton ami Takaishi-kun, reprit-elle en posant son regard sur le garçon assis sur le canapé à côté de son fils. Mais qui sont les autres ?


    - On est du club de tennis, révéla Shintarou en se relevant du sol où il était resté allongé toute l'après-midi. Moi, je suis Fujita Shintarou.


    - Moi c'est Sakumai Takahiro, ajouta Tyro qui utilisait les jambes de Rentarou comme dossier pour rester assis au sol. Et celui au-dessus de moi s'appelle Satsuma Rentarou !


    En son for intérieur, le concerné se retint difficilement de pousser un soupir. Tyro se montrait souvent si puéril que cela le décontenançait à chaque fois.


    - Satsuma Rentarou ? répéta Tomoka avec une réelle surprise.


    L'adolescent s'étonna que celle ci puisse être si émue d'entendre son nom. A moins que Kou n'ait cessé de lui chanter des louanges à son sujet ou quelque chose de ce genre.


    - Tu es le fils d'Asuka-chan, n'est ce pas ? insista Tomoka en s'approchant de Rentarou. Vivez-vous toujours au quartier Tsuzuki ? Comment va t-elle ?


    Rentarou essaya du mieux qu'il put de contrôler ses émotions, ses réactions et sa voix afin de paraître aussi normal que ses amis. Intérieurement, il bouillait. Le jeune homme aux cheveux de jais ne supporta pas d'entendre parler du quartier où il avait grandi et encore moins d'entendre une étrangère parler aussi famillièrement de sa mère. Pour qui se prenait cette femme ?


    - Je regrette mais j'ignore de quoi vous me parlez, Fukuda-okusan.


    Cette idée de la nommer du nom de famille de son fils lui parut mesquine en le lui disant, surtout qu'il savait qu'elle était divorcée, mais l'adolescent n'en éprouva pas le moindre regret. Cela lui apprendrait à parler avec davantage de respect de sa mère.
    Tomoka ne relèva même pas l'erreur sur nom de famille.


    - Tu n'as jamais vécu au quartier Tsuzuki à Yokohama ?


    - Je suis né à Tokyo et j'ai grandi toute ma vie ici, mentit Rentarou en conservant un visage d'une totale impassibilité.


    En son for intérieur, le jeune homme se souvint des multiples démonstrations de Shiromiya de ce masque qui effaçait la moindre de ses émotions et remercia mentalement son voisin de classe.


    A ce mensonge évident, Tyro, Shintarou et Takaishi parurent très étonnés mais aucun ne protesta. Et pour cause ! Kou donna un bon coup de coude dans le ventre de Takaishi, un coup de pied à la cheville de Shintarou et décocha un regard furibard à Tyro afin de les dissuader tous les trois d'ouvrir la bouche.


    - Je m'excuse, bredouilla Tomoka confuse. Ton nom est le même que le fils de ma meilleure amie et j'avais espéré avoir enfin de ses nouvelles.


    Tu n'avais qu'à pas l'abandonner, pensa méchamment Rentarou.


    Résistant difficilement à l'envie de dire sa manière de penser à cette femme affirmant être la meilleure amie de sa mère mais n'ayant rien trouvé de mieux que d'abandonner celle-ci dans la solitude et la misère, comme elle avait aussi abandonné son propre fils aux mains d'un père cruel et alcoolique.


    - Étant donné qu'il est très tard, les enfants, vous pourriez diner avec nous, proposa Tomoka. Mais il faut prévénir vos parents avant, bien sur.


    - Je ne peux pas, dit Rentarou en se levant de son fauteuil. J'ai promis à un ami de passer le voir.


    - Ca me rappelle que moi aussi je dois aller voir un ami, fit Kou en emboitant le pas de Rentarou. Je ne rentrerais pas tard, oyaba !


    Sur ce départ très hâtif et assez surpris, leurs trois amis haussèrent les épaules, assez interloqués, et se demandèrent ce qui était passé par la tête de leurs deux camarades.
    A l'extérieur, la nuit était tombée depuis deux bonnes heures. Seuls les lampadaires éclairaient les rues désertes de ce quartier résidentiel de Shinigawa.


    Les mains dans les poches de son jean, Rentarou pensa silencieusement et douloureusement à cette rencontre. En y réfléchissant attentivement, il ne s'était pas très bien comporté. Si sa mère avait pu le voir, celle-ci l'aurait sévèrement grondé puis ordonné de présenter ses excuses. Mais cela l'adolescent ne voulait point le faire. Il ne supportait pas du tout cette femme et refusait de la revoir.


    Perdu au milieu de ses nombreuses pensées, le jeune colosse ressentit soudainement une main chaude sur son épaule. Surpris, il chercha à savoir à qui elle appartenait et découvrit Kou en face de lui, le bras droit levé, dressé sur la pointe des pieds, afin de l'atteindre.


    - Je suis désolé, Kou-kun, murmura t-il.


    - Tu n'as pas à t'excuser auprès de moi, assura Kou d'une voix pleine de compréhension.


    - La manière dont j'ai agi, ce n'était pas très correct.


    - Mais tu n'as rien fait de mal, ni dit de mauvaises paroles. Si tu n'as pas envie de parler de ta famille ou de ton passé, c'est ton droit. Alors ne culpabilise pas. D'accord ?


    Ces douces paroles, ce sourire amical, la chaleur de cette main ... Toutes ces marques d'attention apaisèrent les tourments de son âme. Malgré la grande confusion qui l'agitait, il commença peu à peu à se détendre. Les deux adolescents restèrent un certain temps dans cette position. Ils ne purent pas eux-même définir le nombre de minutes qui s'écoula. Tous deux passèrent ensuite la soirée ensemble en allant s'acheter une pizza avant de retourner à l'endroit où ils vivaient désormais.

     


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