• Chapitre 54


    Après avoir quitté Yoko, Rentarou était remonté directement dans sa chambre. Il s'était ensuite allongé sur son lit et avait rêvassé à cette scène s'étant déroulée quelques instants plus tôt, un sourire béat aux lèvres, les mains contre sa tête en guise d'oreiller. Cela avait duré un certain temps mais le lycéen géant aurait eu beaucoup de mal à l'estimer. Toutes les notions d'heures, de minutes et de secondes avaient disparu de son esprit.


    Quand Seiichi vint dans le début de soirée, peu avant le diner, il alluma la lumière et s'assit au bord du lit. Malgré les deux heures à le chercher dans le parc avec ses amis dans un froid sec et un vent glacial et de comprendre finalement qu'il s'était joué d'eux, le jeune ninja ne lui en tint absolument pas rigueur en constatant que son meilleur ami avait connu une issue malheureuse lors de sa déclaration.


    - Cela s'est mal passé ? demanda t-il inquiet.


    En entendant la voix de son meilleur ami, Rentarou se redressa et se cala contre la tête du lit.


    - Pas du tout. J'ai passé un moment génial.


    - Donc tu continues à t'isoler et tu restes dans le noir quand tu es heureux, dit Seiichi de son habituel sacarme. C'est intéressant.


    - Je ne faisais plus attention à ça, riposta Rentarou. J'étais plongé dans mes pensées.


    L'adolescent raconta longuement la conversation qu'il avait eu avec Yoko et n'omit aucun détail. Le lycéen géant en rajouta même parfois en utilisant des qualificatifs qui honoraient davantage son esprit amoureux que sa mémoire. Pour une fois, Seiichi n'eut qu'à écouter sans à avoir à le pousser pour obtenir tous les détails de la situation.


    - Alors tu as rendez-vous avec elle dans trois jours. Tu sembles te débrouiller mieux que je ne le pensais.


    - C'est sympa de soutenir tes copains, grommela t-il.


    - Désolé, Rentarou, mais vu l'état dans lequel tu étais hier cela semblait vraiment dur à croire que tu puisses si bien assurer en si peu de temps.


    Le jeune homme aux cheveux de jais marmonna encore quelque chose en train ses dents en détournant la tête mais Seiichi n'entendit pas malgré ses capacités auditives plus élevées que le commun des mortels.


    - Tu as déjà prévu quelque chose ?


    Cette question tira Rentarou de sa bouderie. Il se retourna vers son meilleur ami, l'air surpris.


    - Pour quoi ?


    Seiichi poussa un faible soupir. Apparemment le cerveau de son compagnon venait à nouveau de basculer en mode autiste.


    - Ton rendez-vous, crétin ! As-tu déjà une idée d'où l'emmener ou de ce que vous allez faire ?


    Cette fois ci, l'adolescent perdit totalement sa bonne humeur et s'effondra dans son lit.


    - Aucune idée, avoua t-il avec morne. Je ne sais pas quoi faire pour que ce soit un truc sympa qui lui donne envie de continuer à sortir avec moi.


    - Emmène-la voir un film au cinéma. Ensuite improvise selon ce qui se passera, suggéra Seiichi.


    - Tu es sûr de toi ?


    - Il est toujours difficile d'être certain dans les relations humaines, admit-il. Cependant les filles apprécient les garçons sympas et simples.


    Un sourire ironique éclaira le visage de Rentarou qui rit faiblement.


    - C'est vrai que tu es un spécialiste en ce domaine !


    L'adolescent aux cheveux ébènes ignora cette remarque, ou plutôt fit mine de l'ignorer puisqu'il s'avérait presque impossible pour lui de ne pas entendre des paroles.


    - Au fait, sais-tu qu'il va être dix-neuf heures ? fit-il d'un ton faussement innocent. Tu as encore un passionnant devoir de Japonais à faire, non ? Tu sais, celui de comparer des textes de haïkus avec des poèmes occidentaux ?


    Rentarou étouffa une plainte. Malheureusement la grimace que son visage exprima à la seule mention de ce fichu devoir n'échappa pas au jeune ninja.


    - Tu me laisses copier sur toi ?


    - Non ! répliqua Seiichi avec fermeté.


    - Je te donne mes réponses en Maths, rappela le lycéen géant.


    - Absolument pas. Je te laisse m'aider en te demandant des explications sur comment faire. Mais je fais mes calculs moi-même.


    Rentarou soupira. Il était inutile d'insister : son meilleur ami était encore plus incorruptible que lui.
    Après le diner, le jeune colosse passa donc trois horribles et longues heures à réfléchir, analyser et disserter les différences existant entre le haiku japonais et son équivalent, le poème européen. Pour assombrir le tableau, le lycéen géant ne travailla pas seul. Seiichi était resté près de lui pour le conseiller. Toutefois, cette perspective ne le réjouissait pas. L'adolescent aux cheveux ébènes se révélait être un professeur implacable en se montrant très dur et intransigeant.


    En songeant à Tyro qui avait suivi, ou plutôt subi, son enseignement pour l'aider dans ses révisions au premier trimestre, Rentarou comprenait mieux la terreur de son second meilleur ami quand les examens du second trimestre avaient approché et sa détermination à ne pas vouloir échouer.


    A la fin de ce devoir, Seiichi laissa son ami et retourna dans sa chambre après l'avoir salué et souhaité bonne nuit. Le lycéen géant entreprit ensuite de recopier le commentaire d'Anglais à remettre pour le lendemain.


    Les deux jours qui suivirent s'écoulèrent normalement. Le Vendredi matin, Rentarou se réveilla anxieux en songeant que cet après-midi, il devait sortir avec Yoko. Il s'interrogea sur le déroulement du rendez-vous et ne se sentait pas du tout certain de lui plaire. Chose très rare, le lycéen géant n'alla pas à sa pratique matinale et passa plutôt son temps à rêvasser de sept à neuf heures sur son prochain rendez-vous tout en prenant sa douche, mangeant ou révisant. D'ailleurs, ses pensées le rendirent si étourdi qu'il confondit sa bouteille de gel douche avec celle de shampoing, mangea encore plus lentement qu'à l'accoutumée et manqua de prendre son manuel de Géographie au lieu de celui d'Histoire.


    Durant les cours de la matinée, Rentarou éprouva beaucoup de mal à se concentrer. Par chance, en Biologie, le professeur Tsukiyo avait choisi ce jour pour projeter un documentaire ce qui lui permit, comme à la moitié de ses condisciples, de rêvasser sans s'attirer d'ennui. Par contre, les choses ne furent pas si faciles ensuite. En Anglais, il décrocha dès les premières minutes. Son esprit n'arriva pas à fournir l'effort nécessaire pour capter le sens des paroles d'Aizawa. Malheureusement, celle-ci l'interrogea évidemment dix minutes avant la fin du cours sur les explications qu'elle avait donné. Son élève ne sut pas répondre à ses questions. L'enseignante le remercia donc en lui donnant une semaine de retenue.


    En reconnaissant être en tort, le jeune homme marmonna contre le fait de de perdre trois heures chaque fin d'après-midi lors de la semaine suivante. Cet incident ne lui servit guère de leçon car il récidiva en cours d'Histoire. Une main contre sa joue, l'adolescent donnait l'impression de prendre des notes mais rien ne se retranscrivait sur ses feuilles. Heureusement, le professeur Tanaka demeurait fidèlement planté sur son estrade tel un piquet et se désintéressait de savoir si ses élèves comprenaient ou non ses cours et s'ils prenaient des notes. l'homme désirait seulement le silence dans sa classe et ne s'interrompait que s'il percevait un bruit suspect.


    Lors du déjeuner, Rentarou réussit toutefois à se détendre. Contrairement à ce qu'il s'était imaginé, ses amis n'évoquèrent pas une seule fois son rendez-vous. D'ailleurs, le jeune homme soupçonna Seiichi de leur avoir fait la leçon en leur interdisant d'évoquer une référence à ce sujet en sa présence.


    Après les deux heures de Chimie, Rentarou alla ranger ses affaires dans son casier et se débarrassa de sa veste. Il mit à la place un chandail orange entreposé là hier matin et regretta de ne pas pouvoir enlever ce pantalon pour enfiler un jean.


    Quand il se présenta à la chambre de Yoko, la jeune fille lisait paisiblement sur son lit en l'attendant. Elle sourit en l'apercevant et s'assit sur le bord.


    - Tu t'es changé ? s'étonna t-elle. Tu avais cours il me semblait.


    - J'ai horreur de porter l'uniforme, avoua t-il. Dès que je termine mon dernier cours de la journée et que je n'ai ni corvée ni retenue, je vais me changer.


    Yoko se leva et s'avança vers lui.


    - Tu le portes toujours si bien que je ne l'avais jamais remarqué.


    - Je respecte simplement le règlement.


    Les deux jeunes gens partirent ensuite. Ils s'éloignèrent de leur établissement scolaire et marchèrent dans la ville. Ne voulant pas avouer qu'il ne savait pas utiliser les transports en commun, Rentarou s'était rabattu à l'emmener dans un cinéma proche. Malheureusement pour lui, celui-ci posait son congé hebdomadaire aujourd'hui.


    - Ce n'est pas bien grave, le rassura Yoko. Prenons le métro et allons dans un autre endroit.


    Rentarou pâlit. Il allait devoir avouer son secret à sa compagne. Comme effet à un premier rendez-vous, c'était complètement nul ! Elle se moquerait certainement de lui. Un enfant savait se déplacer en bus ou en métro. Même Nobu le pouvait.


    - Rentarou ? s'inquiéta t-elle en le voyant pâle et silencieux.


    - Je ne sais pas prendre le métro ou le bus, lâcha t-il abruptement, penaud, en baissant les yeux.


    Surprise, la jeune fille plissa le front. Elle ne comprit pas le sens de cette déclaration.


    - Tu ne trouves pas ça ridicule ? fit-il en relevant timidement son regard.


    - Pas du tout. Tu t'attendais à ce que je me moque de toi ? Je ne suis vraiment pas le genre de personne à embêter quelqu'un sur ses faiblesses.


    Elle lui prit alors la main du jeune homme et recommença à marcher.


    - Et puis je peux t'apprendre, non ? ajouta t-elle en faisant un clin d'œil.


    Rentarou sourit de cette conclusion si heureuse et la suivit bien docilement. Il apprécia particulièrement de sentir la chaleur de la main de la jeune fille dans la sienne. Celle-ci le mena à la station de métro la plus proche. Elle lui apprit à lire la carte des itinéraires de métro, à acheter un ticket ensuite et à trouver la rame correspondante. Le couple passa tout le reste de l'après-midi à voyager en métro sans jamais s'ennuyer. Entre chaque arrêt, ils ne cessèrent de parler.


    - Kaasan ne prenait jamais le bus ou le métro. Elle économisait le plus possible pour pouvoir m'offrir les meilleures choses. De plus, elle me disait souvent que la marche était beaucoup plus saine que de s'asseoir les fesses sur une banquette sans rien faire.


    Yoko rit de cette dernière remarque.


    - Lors des heures de pointes, ça peut pourtant être un vrai sport !


    - C'est ta mère qui t'a appris toi ?


    - Depuis que je suis très petite. Au contraire de la tienne, elle m'a toujours encouragé à prendre les transports en commun, surtout s'il y a du monde. Elle dit toujours que c'est là où on est le plus en sécurité. Et puis, elle n'a jamais été une grande sportive.


    Rentarou se souvenait du lourd secret que Yoko lui avait avoué deux mois plus tôt. Il comprenait pourquoi elle disait cela mais ne voulut rien dire sur ce sujet. Blesser la jeune fille en lui rappelant de douloureux souvenirs était la dernière de ses intentions.


    - Dis, Rentarou, tu as toujours su que ton père était parti ?


    L'adolescent aux lunettes sombres se sentit un peu mal à l'aise par cette question mais il n'avait pas envie de lui cacher la vérité à elle.


    - Kaasan m'a toujours dit que mon père reviendrait et qu'il nous aimait. Au début, j'y croyais. Un jour, je devais avoir deux ans et demi, je n'étais pas encore à la maternelle, j'ai surpris une discussion entre elle et ma babysitteuse. Celle-ci disait clairement que mon père nous avait abandonné et ne reviendrait jamais.


    - Et tu n'as pas cru ta mère ? s'étonna t-elle.


    - J'ai oublié beaucoup de choses de cette période. Par contre, je n'ai jamais su oublier les mots où Miyu-chan disait que mon père nous avait abandonné et ne reviendrait pas.


    - C'est vrai qu'on oublie nos premiers mois de vie, reconnut Yoko avec regret. C'est dommage que ces souvenirs restent juste dans notre inconscient.


    Rentarou passa un doigt sur ses lunettes et caressa le pont reliant les deux verres obscurs.


    - C'est sans doute parce que je porte toujours un objet de cette époque-là que j'ai conservé ce souvenir je pense.


    - Comment ça ? demanda Yoko très surprise puis moqueuse. Tu as gardé ton nounours préféré ?


    - Quand j'ai entendu Miyu-chan dire cette phrase, j'ai aussi entendu kaasan dire que je ressemblais à mon père, surtout mes yeux. Je ne sais pas ce que j'ai pensé ni ce que j'ai ressenti. Je ne m'en souviens plus. Par contre, ça correspond à cette époque que j'ai commencé à mettre mes lunettes.


    - Et à ne plus vouloir les enlever, compléta Yoko. Parce que tes yeux te rappellent ton père.


    - Sans doute, approuva t-il. Tu trouve ça bête ?


    La jeune fille secoua aussitôt la tête négativement.


    - Je sais ce que c'est de vivre avec le visage de son père, reprit-elle sombrement. Dans ma famille, je suis la seule à ressembler à une occidentale. J'ai toujours eu honte de la couleur de mes cheveux, de mes yeux et de ma peau.


    Spontanément, Rentarou la réconforta.


    - Moi, je trouve que tu es vraiment très belle.


    Yoko sourit de ce compliment. Ses joues rosirent légèrement.


    - Je n'ai pas honte de ce que je suis, reprit-il. Du moins, je n'en ai plus. Je suis différent de mon père. Contrairement à lui, je refuse d'abandonner les autres quand ils ont des ennuis. Je ne peux pas tourner mos dos qu'importent les ennuis auquels je dois faire face.


    - Dans ce cas, pourquoi portes-tu toujours tes lunettes ?


    Rentarou médita quelques instants à cette question. Il n'avait jamais pris le temps d'y réfléchir.


    - Je crois que je les aime, dit-il finalement.


    - Tu me montreras un jour ton vrai visage alors ?


    - Peut-être, répondit-il en riant doucement.


    Durant le reste de leur rendez-vous, ils continuèrent à parler surtout de leurs familles respectives. Yoko évoqua sa grande complicité avec son frère Daichi. Elle lui raconta aussi que son père avait grandi en France bien qu'il soit un japonais né au Japon. Cela lui avait alors permis d'apprendre la langue française très jeune, comme sa mère l'avait fait avec l'anglais, le chinois et l'espagnol. La jeune fille lui parla aussi de son enfance dans une ferme dans le Nord de Honshu où elle avait appris notamment à s'occuper de n'importe quel animal domestiqué et à monter à cheval.


    Quant à Rentarou, il ne put que lui parler de sa mère et de sa petite sœur. Le jeune homme lui conta, au début, avoir détesté cette dernière durant toute la grossesse de sa mère. Le jour de sa naissance, il l'avait prise dans ses bras pour faire plaisir à sa mère et en la voyant bouger ses petits bras, il s'était senti touché et s'était juré de toujours la protéger du haut de ses quatre ans. Il raconta comment il jouait avec elle dans l'appartement en la portant sur son dos et en avançant à quatre pattes tout en imitant le cri d'un animal, les moments où il l'emmenait à l'école en la portant sur ses épaules et ceux où il chapardait des croissants dans une boulangerie sur le chemin du retour pour les lui donner.


    A la fin de leur journée passée ensemble, les deux adolescents se séparèrent dans le quartier de Ginza, près du manoir de la famille Murakami. Yoko avait promis à sa meilleure amie de passer la nuit, et le week-end aussi, avec elle.


    Pour rentrer, Rentarou reprit le métro comme on lui avait enseigné cet après-midi. Installé dans la confortable banquette, le lycéen géant se remémora cette journée en songeant qu'il avait adoré ce moment passé avec la jeune fille et espéra que celle-ci soit toujours d'accord pour continuer de sortir avec lui.


    Le week-end se déroula calmement. Le Samedi, Rentarou passa la journée à la bibliothèque avec ses amis. Seul Tyro et Raphael ne se joignirent pas à eux. Le français obtenait rarement le droit de sortir. Quant à Tyro, il acceptait de venir au lycée en dehors des heures scolaires mais fréquenter la bibliothèque demeurait inenvisageable.


    Le Dimanche, Rentarou et Seiichi restèrent ensemble. Leur meilleur ami devait accompagner ses parents à un repas familial bien que cela le gavait gravement selon les propres mots de l'adolescent directement concerné par le problème. Dans la chambre parfaitement rangée et ordonnée de Seiichi, le jeune ninja dessinait à son bureau sur son carnet de croquis. Sachant que son ami n'aimait pas être dérangé lors de ses compositions, Rentarou s'était allongé sur le lit et jouait avec sa Gameboy en écoutant de la musique.


    Dans le début de l'après-midi, il eut la surprise de recevoir un appel de Yoko qui lui proposa une sortie cinéma. L'adolescent accepta immédiatement et quitta son meilleur ami sans rien dire. Le jeune couple passa deux heures à regarder un film ensemble puis allèrent prendre un café.

     

    Le Lundi, Seiichi l'attaqua quand les Sanonis furent réunis dans la salle des casiers :


    - Tu sais, Tyro, ils s'entendent bien, Rentarou et Yoko-chan ! D'ailleurs hier, elle l'a appelé !


    - Vraiment ? C'est super !


    En ouvrant la porte de son casier, Rentarou soupira. Lui qui détestait les rumeurs et parler de sa vie privée … Il était servi avec les mœurs adolescentes !


    Mu par un vif intérêt du sujet, Tyro se décolla du radiateur sous la fenêtre auquel il était adossé et s'approcha de ses amis.


    - Tu l'as embrassé, Rentarou ?


    Les bras croisés contre sa poitrine, Seiichi se tenait un peu en retrait entre les deux.


    - Cela peut être un peu tôt, émit-il de son calme habituel. Rentarou a besoin de prendre son temps.


    - Allons, Seiichi ! Tu sais bien qu'une relation ça commence toujours à partir du moment où on s'est embrassé.


    - Tu dis n'importe quoi. Il existe de nombreuses personnes qui sortent ensemble mais qui ne s'embrassent pas. Ils apprécient simplement de passer un moment ensemble.


    - A part un moine, je n'en connais pas, répliqua Tyro.


    - Tu as pourtant une de ces personnes avec toi en ce moment.


    - Arrête ! Rentarou ne compte pas. C'est un novice.


    Interpelé par l'allusion du jeune homme et ennuyé par cette discussion au sujet de sa vie sentimentale, Rentarou se retourna et foudroya les deux compères du regard


    - Ca vous gênerait d'arrêter de parler de moi comme ça ?


    - En plus, je ne parlais pas de toi, protesta Seiichi.


    - Et de qui ? rétorqua Tyro en levant ses yeux au ciel. Je suis déjà sorti avec des filles au collège et cette année. Quant à toi, Seiichi, je ne préfère ne pas rentrer dans ce sujet avec toi.


    L'adolescent aux cheveux ébènes sourit mystérieusement. Cela intrigua ses deux camarades et les inquiétèrent également. Cela n'était jamais très bon quand leur ami souriait de cette manière et signifiait très souvent qu'une idée machiavélique venait de germer dans son esprit.


    - Je n'ai jamais eu de contact physique avec une fille, révéla t-il après laissé planer un long instant de silence qui avait duré une éternité pour ses compagnons.


    - Tu plaisantes ? s'étrangla Tyro. Tu sors en moyenne avec une fille par semaine !


    - Il y a même une fois, ça doit être en Juillet je crois, où il est sorti avec trois filles en une seule semaine, rappela Rentarou. Tous les copains de la classe étaient verts !


    - Comme je l'ai dit précédemment, sortir avec quelqu'un n'inclue pas de l'embrasser ou d'avoir un contact physique avec elle.


    - Alors pourquoi tu sors avec des filles ? insista Tyro. Je ne vois pas l'intérêt !


    - J'apprécie d'avoir des relations et de dialoguer avec l'autre, Tyro. De plus, ceux sont les filles qui me demandent toujours de sortir avec elles puis qui rompent avec moi.


    - Je confirme, approuva Rentarou qui se souvenait avoir assisté à certaines de ces scènes.


    - Mais tu n'as jamais envie de les embrasser ou de les toucher ? poursuivit Tyro halluciné.


    Seiichi poussa un faible soupir puis posa une main compatissante sur l'épaule de son ami.


    - En vérité, je pense que je n'ai pas le droit d'agir ainsi. Ces filles viennent me voir, me disent m'aimer et veulent sortir avec moi. J'accepte de répondre à leur invitation pour ne pas leur causer de peine mais je ne peux pas en faire plus. Je crois qu'il faut éprouver des sentiments pour la personne pour embrasser et moi je n'en ai aucun pour elles. Par conséquent, je garde une relation chaste avec chacune d'elles.


    - Tu es encore plus dingue que Rentarou.


    - Je pense que les mots droit et respectueux conviennent mieux, se défendit le jeune ninja.


    - Et par curiosité, tu es sorti avec combien avec combien de filles ? le questionna Rentarou.


    - Cette année ou au total ?


    - Je dois être mazo mais au total, décida Tyro.


    - Eh bien, je suis sorti avec une fille la première fois, en cinquième année, trois en sixième, cent-six au collège et vingt-huit cette année, détailla Seiichi en réfléchissant. Cela doit faire un total de cent trente huit.


    - OK, mais fais les calculs dans ta tête la prochaine fois, marmonna Tyro déprimé.


    - C'est toi qui tenait à savoir, non ? rétorqua Seiichi moqueur.


    Laissant ses deux amis se chamailler, Rentarou pivota à nouveau vers son casier afin de prendre le reste de ses affaires. Il se sentit très soulagé de ne plus être le sujet de la conversation. Cela ne dura guère longuement. Malheureusement.


    - Au fait, Rentarou, tu l'as embrassé ou pas ? reprit Tyro.


    Le concerné soupira profondément en constatant que son répit n'avait guère duré. Il se tourna de nouveau d'un air las.


    - Tu te souviens ce qu'a vécu Yoko-chan il n'y a pas si longtemps ?


    - C'est à dire ?


    - Rentarou, as-tu oublié que ce garçon a une mémoire de poisson rouge ?


    - C'est pas vrai ! s'indigna Tyro.


    - Bien sur que si. Tu es assez bête pour oublier ton téléphone et enfermer tes amis dans un placard sans possibilité de s'échapper ou d'appeler au secours.


    - Mais ! Tu vas me la répéter encore combien de temps celle là ? En plus, Nobu-kun n'avait pas son portable lui non plus !


    Excédé, Tyro grogna puis décida de cesser de se chamailler avec l'adolescent aux cheveux ébènes et de poursuivre sa conversation avec son autre ami. Cela aurait déjà comme mérite de lui éviter de se jeter sur lui pour l'étrangler afin de l'obliger à se taire.


    - Explique-nous, Rentarou.


    - Yoko-chan est encore fragile de sa rupture avec Noguchi, exposa Rentarou. Je ne veux pas être comme lui et la forcer à faire ce qu'elle pourrait regretter. Je préfère attendre jusqu'à ce qu'elle se sente prête.


    - Mais tu es différent de cet abruti, s'offusqua Tyro.


    - C'est souvent une bonne stratégie de laisser une fille décider de l'évolution de la situation. Elles peuvent être terriblement compliqué à comprendre dès fois, intervint Seiichi.


    - Sur ce point, je suis d'accord, admit Tyro. Pour preuve, j'en ai deux à la maison et je n'ai toujours pas parvenu à comprendre comment elles fonctionnaient.


    Soudain une sonnerie retentit ce qui empêcha à l'un d'eux d'ajouter quelque chose et les plongea dans un état d'affolement.


    - Oh non ! C'est la sonnerie des cours ! glapit Rentarou horrifié.


    - Super, soupira Seiichi. Deux étages à monter au pas de course !


    - Plaignez vous, bougonna Tyro en prenant rapidement ses affaires de son casier. Moi, c'est au troisième que je vais tout au fond du couloir ! Non mais vraiment ! Quelle idée de mettre la salle de Maths si loin !


    Sur ce, les adolescents se séparèrent et se hâtèrent de rejoindre leur classe en quatrième vitesse.
    Ce début de semaine se déroula comme tous les autres. Les cours se ressemblèrent. Les devoirs ne cessèrent de s'accumuler. En raison de l'approche de la fin de l'année scolaire, les professeurs surchargeaient de travail leurs élèves. En Japonais, ils devaient maintenant rendre un compte-rendu de lecture par semaine. Également le professeur Hashimoto faisait un contrôle hebdomadaire pour vérifier l'état de leurs connaissances. Malheureusement il déplaçait toujours la date ce qui obligeait les étudiants à travailler chaque jour pour être surs de ne pas échouer.


    Malgré ses contraintes dues au travail scolaire et à ses entrainements intensifs de tennis, Rentarou se languissait de ne pas revoir sa petite amie. Comme ils étaient dans des classes différentes, tous deuxne se croisaient jamais. De plus, il savait qu'elle n'aimait pas étaler sa vie privée au grand jour. Lui non plus. Cela convenait donc très bien.


    Mardi soir, il avait avoué ce sentiment à Seiichi. D'ailleurs celui-ci n'avait pas eu à obtenir beaucoup d'explications pour deviner les raisons de son état. Le jeune ninja lui avait suggéré de lui proposer un rendez-vous plus souvent. Rentarou lui avait alors rapporté la décision de Yoko de ne sortir que le week-end. D'abord, la jeune fille ne voulait pas perturber son travail de la semaine mais surtout elle lui avait rappelé son désir de ne pas enfreindre le règlement en quittant l'établissement hors du temps autorisé.

     

    Également, la caucasienne ne souhaitait passer la nuit à l'extérieur puisqu'une fois le portail fermé, il n'y avait plus un seul moyen de rentrer avant sa réouverture à sept heures du matin.
    Pensant aider son ami, Seiichi avait alors parlé de la porte sécrète que Rentarou avait découvert par hasard le premier mois de l'année scolaire et qui permettait aux Sanonis d'entrer et sortir dans le lycée comme ils le désiraient sans rendre de comptes à personne. Le lycéen géant avait refusé net. D'abord, il n'était pas certain que Yoko puisse apprécier d'apprendre l'existence de ce passage interdit et qu'ils enfreignaient très souvent la moitié du règlement du lycée quand l'envie leur prenait d'aller se promener en ville sous le clair de lune. Sa seconde raison concernait leur amitié. Cette porte était le secret des Sanonis. Le premier secret qu'ils avaient partagé ensemble. C'était précieux et inestimale à ses yeux. De plus, avec tous les efforts déployés et les galères subies pour changer la serrure afin de la fermer avec une clé, le lycéen géant considérait que cette porte était à eux. Chacun d'eux avait un double de cette clé et seulement eux. D'ailleurs c'était l'unique objet que Tyro n'oubliait jamais puisque le garçon la gardait pendu à son cou grâce à une petite chaine d'argent que lui avait donné Seiichi.


    - Dans ce cas, tu vas être obligé de te creuser la cervelle pour être capable de voir ta bien-aimée plus souvent en respectant ses conditions, conclut Seiichi avec amusement.


    En effet, Rentarou réfléchit à différents moyens pour parvenir à ce but. Il voulait aussi en même temps trouver une activité qui l'intéresserait. L'adolescent finit par penser à une solution conciliant toutes les conditions de son problèmes.


    Le lendemain soir, après l'entrainement au club de tennis, Rentarou se dépêcha de faire ses devoirs pour le jour suivant. Il réalisa en un temps record ses cinq pages d'exercices de Mathématiques qui étaient pourtant très compliqués et recopia ensuite sa dissertation de sept pages sur le développement économique et social des pays d'Amérique du Sud pour son cours de Géographie.
    Après ces deux tâches, le lycéen géant s'interrompit une petite demie-heure pour descendre diner et remonta rapidement ce qui étonna ses camarades, Seiichi, Shintarou et Takaishi. D'ordinaire leur camarade restait tout le long du repas avec eux et ne mangeait jamais très vite. Très perspicace, le jeune ninja comprit.


    - Tu as un rendez-vous ? demanda t-il d'une fausse innocence.


    - Si on te le demande, tu diras que tu n'en sais rien.


    Il laissa là ses trois amis qui riaient de son comportement en haussant les épaules. Une fois revenu dans sa chambre, Rentarou se plongea dans son dernier devoir. Le jeune homme passa plus d'une heure et demie à lire des haïkus et à en composer de la manière que le professeur Noda l'exigeait.
    A l'achèvement de son travail prioritaire, il se redressa et tourna la tête. Par sa fenêtre, l'adolescent constata que l'obscurité recouvrait la totalité du paysage à l'extérieur. Il regarda ensuite l'heure au radio-réveil posé sur sa table de chevet.


    - 21h30l. Encore un peu tôt.


    Rentarou se leva, rangea sa chaise sous le bureau etéteignit les deux spots qui éclairaient cet emplacement avant d'allumer la lumière principale. Il traversa la pièce, prit un livre sur son étagère et le compulsa pendant une heure pour patienter.


    En sentant le bon moment, le jeune homme aux cheveux de jais quitta sa chambre en longeant prudemment les murs et gagna l'escalier en priant ne pas rencontrer Onita où il serait bon pour une semaine de retenue à frotter les carrelages du réfectoire à pelleter toute la neige des pelouses. Le lycéen géant grimpa au second étage où logeait les filles internes et à pas de loup se faufila jusqu'à la chambre de Yoko. Il frappa à la porte.


    - Entrez, répondit aussitôt la propriétaire des lieux.


    Dès qu'il obtint la permission, Rentarou ouvrit la porte, s'engouffra à l'intérieur et la referma derrière lui. La jeune fille fit pivoter en même temps sa chaise vers l'ouverture.


    - Rentarou ? Qu'est-ce que tu fais là ?


    - J'avais envie de te voir. C'est interdit ?


    L'adolescent avait dit cela un peu insolemment mais il se dégagea aussi de son sourire quelque chose de charmant qui troubla la jeune fille. Toutefois, elle resta maitre de ses émotions.


    - Les garçons ne sont pas permis de venir à l'étage des filles et inversement.


    Rentarou rit doucement.


    - Je sais. Cependant je voulais te demander quelque chose.


    - N'as-tu pas un portable ? se moqua t-elle gentiment. D'après ce que Seiichi-kun m'a raconté tu en possèdes même plusieurs.


    - Dès fois, je me demande si Seiichi est mon meilleur ami ou ton espion, plaisanta Rentarou.


    - Alors c'est quoi ce que tu veux me demander ?


    - Tu veux sortir avec moi ce soir ?


    - Rentarou, se fâcha Yoko. Je t'ai dit que je ne sortais pas la semaine ! En plus, les grilles sont fermées ! Tu comptes me faire grimper le mur ?


    - En fait, je voulais te montrer un lieu génial qui se trouve à moins de cent mètres d'ici.


    Yoko arqua un sourcil. Elle ne comprenait plus rien de ce qui se tramait sous le crane du jeune homme.


    - Cent mètres ? Ca doit être la distance jusqu'au fond du couloir ou à ta chambre. En quoi il y aurait quelque chose d'intéressant ?


    - C'est un secret, répondit-il en riant. Fais-moi confiance.


    Intriguée et piquée par la curiosité, la jeune fille se décida à la suivre. De toute façon, si elle n'aimait pas la surprise que lui avait préparé son petit ami, la jeune fille pourrait toujours revenir rapidement à sa chambre. Rentarou lui fit prendre l'escalier de service qui menait au toit. Il s'allongea sur le sol et l'invita à le rejoindre.


    - Viens et mets ta tête sur mon torse, dit-il en mettant sa main droite sous sa tête pour la relever. Ce sera plus confortable pour toi.


    - Et que sommes-nous sensés faire comme ça ?


    - Essaie et tu verras bien.


    Puisqu'elle était venue jusque là, Yoko se résigna à suivre cette directive. Elle s'agenouilla et posa sa tête contre la poitrine de l'adolescent appréciant en même temps ce contact. A ce moment, ses yeux se dirigèrent vers le ciel et comprit.


    - C'est magnifique, s'exclama t-elle.


    Devant les yeux émerveillés de la caucasienne venait d'apparaitre un obscur ciel jonché de multiples points brillants, des étoiles. Rentarou utilisa alors son bras libre pour lui apprendre leurs noms et la constellation à laquelle elles appartenaient.


    - La plus brillante des étoiles c'est Sirius, là-bas. Elle fait partie de la constellation du Chien. A côté, tu as Murzin, Muliphen, Wezen, Adhara, Furud et Aludra.


    Il continua ainsi à énumérer chacune des constellations, donner le nom des étoiles qui la composaient et les anecdotes s'y rapportant.


    - Comment tu sais tout ça ? demanda Yoko au milieu de ses explications sans cesser d'admirer le magnifique ciel nocturne.


    - Quand je vivais dans la rue, tout au début, je regardais souvent les étoiles, pour passer le temps au début. J'ai commencé à m'intéresser et à vouloir apprendre leurs noms. Ca m'a bien aidé d'ailleurs. Grâce à ça, je suis capable de m'orienter en ville sans carte.


    - On peut vraiment faire ça ? s'étonna t-elle.


    - Bien sur. Auparavant, les hommes, les navigateurs et les explorateurs principalement, n'utilisaient que ce moyen pour se diriger. Mais depuis l'invention des GPS et des cartes, plus beaucoup de monde n'arrive à lire leurs positions.


    Impressionnée par les connaissances de son petit ami, Yoko se tut et continua d'observer ces majestueuses étoiles pendant que Rentarou les lui détaillait.

     

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  • Chapitre 53


    Les vacances d'hiver s'écoulèrent bien vite. Entre les jeux partagés à la maison et les devoirs à terminer pour la rentrée, le temps passa à une vitesse vertigineuse. En dehors de la fête improvisée qui l'avait particulièrement touché, Rentarou avait expérimenté une nouvelle découverte.
     

    Le premier jour de l'an, il s'était rendu au temple, comme le voulait la tradition japonaise, en compagnie de ses deux meilleurs amis et de la famille de Tyro. Ne possédant pas de kimono, Kenichi lui en avait prêté un des siens. Il était le seul à avoir la même taille que le lycéen géant. Malheureusement pour celui-ci leurs carrures différaient. L'aîné des enfants Sakumai était athlétique et rachitique alors que Rentarou était baraqué et massif.


    Tout le long du chemin qu'ils avaient parcouru à pied, le jeune homme avait craint de se prendre les pieds dans le bas du kimono et de tomber. Au temple, il avait observé attentivement ses deux meilleurs amis et, avec eux, avait tiré la corde de la cloche avant d'adresser ses vœux. Bien qu'il ne croyait plus depuis bien longtemps, le lycéen géant s'était prêté au rituel et avait adressé des remerciements pour l'année qui venait de s'écouler puis avait demandé que celle qui commençait soit aussi bonne.


    Lors du jour de la rentrée, Rentarou et Seiichi avaient dormi à l'internat la veille. Tous deux s'étaient levés de bonne heure afin de prendre leur douche, leur petit-déjeuner et aller à l'infirmerie sans se presser. Ils rejoignirent ensuite la salle des casiers où les attendait déjà Tyro, adossé contre le mur sous une fenêtre, les mains dans les poches.


    - Vous en avez mis du temps, lança t-il.


    Seiichi adressa un regard très surpris à Rentarou :


    - Il a pris une bonne résolution cette année ou il nous fait une blague ?


    Rentarou ne répondit même pas et continua son chemin pour ouvrir son casier.


    - Tu sais, Seiichi, c'est une date importante aujourd'hui, dit Tyro en se retirant du mur.


    - Tu te préoccupes de l'école maintenant ?


    - Il n'y a pas que l'école dans la vie. Le 2 Janvier, c'est une date très importante.


    Seiichi haussa les épaules et partit à son tour vers son casier.


    - C'est un jour comme un autre il me semble.


    - En y pensant, c'est vrai que c'est un jour important, intervint Rentarou. Ca ne te dit rien, Seiichi ?

     


    L'adolescent aux cheveux ébènes fit mine de réfléchir.
    - C'est le second jour du premier mois de l'année. Cependant je ne vois rien d'extraordinaire ou d'important.


    - Il se fout de nous là, lâcha Tyro en soupirant profondément.


    - Seiichi, tu as compris de quoi on parlait, hein ? répliqua Rentarou.


    - Évidemment, sourit le jeune ninja. La prochaine fois que vous voulez me souhaiter mon anniversaire, dites-le au lieu de jouer aux énigmes.


    Tyro se baissa pour prendre un petit paquet de son sac ouvert et se leva pour le remettre à son ami. Seiichi était évidemment très ému du geste de ses deux meilleurs amis. C'était la première fois qu'il recevait un cadeau. C'était aussi la première fois que l'on lui souhaitait son anniversaire. Le jeune ninja se souviendrait très longtemps du jour de ses seize ans. Cependant fidèle à ses bonnes habitudes, il ne montra pas sa joie et déballa son présent. A l'intérieur se trouvait un téléphone cellulaire de couleur bleu ciel.


    - Comme ça, tu ne pourras plus te défouler sur moi quand j'aurais pas mon portable puisque tu en auras un toi aussi, s'exclama Tyro.


    - Et puis un lycéen sans portable, ça ne le faisait pas, ajouta Rentarou.


    En contemplant son tout nouveau téléphone, Seiichi sourit puis se tourna vers Tyro de manière à ne pas être vu par Rentarou. Il lui adressa un clin d'œil et fit en même temps un de ses sourires machiavéliques dont le jeune homme possédait le secret. Tyro comprit que son ami avait l'intention de jouer une comédie à leur ami et se demanda de quoi il pouvait s'agir. Très intéressé, le tennisman concentra toute son attention sur les prochains événements à venir.


    - Cependant cela me paraît étrange, dit Seiichi d'un ton soucieux. Normalement lors des anniversaires, il n'est pas permis d'offrir un cadeau par deux personnes, non ?


    - Vraiment ? s'exclama Rentarou qui tomba des nues.


    Très curieux de savoir où l'espiègle adolescent aux cheveux ébènes comptait aller, Tyro s'empressa de confirmer.


    - Oh non ! C'est vrai, se désola t-il. J'ai vraiment une mémoire horrible !


    - Si c'est ça, je peux racheter quelque chose, suggéra immédiatement Rentarou.


    Comme à l'accoutumée, son ami gobait le moindre mensonge. Dès que cette proie était ferré, il avalait l'appât et l'hameçon en même temps. Parfois, Seiichi aurait espéré avoir à utiliser plus d'artifices pour réussir ses manipulations. A force, cela devenait moins amusant de remporter la victoire si facilement.


    - Il y a peut-être quelque chose que tu pourrais faire mais …


    - S'il y a quelque chose qui peut te faire plaisir, je le peux faire, rétorqua Rentarou.


    - Je ne veux pas t'embarrasser avec cela.


    - Qu'importe ce que c'est, je vais le faire. Je te le promets.


    Arquant un sourcil, le jeune ninja observa attentivement sa cible. Il paraissait déjà bien mur pour porter la dernière attaque.


    - Tu promets ? Tu veux dire que tu vas vraiment le faire ?


    - Bien sur. Je ne renie jamais mes promesses et mes engagements.


    Seiichi adopta un air de fausse innocence et de parfaite tranquillité et dit :


    - Dans ce cas, je veux que tu avoues tes sentiments à Yoko-chan !


    La réaction de Rentarou ne tarda pas à se faire entendre :


    - QUOIIIIIIIIIIIIII ?


    En même temps, Tyro explosa littéralement de rire derrière eux, impressionné par la maitrise et le talent de Seiichi.


    - Tu es un vrai maître, Seiichi, fit-il tout en se tordant de rire.


    - Il faut savoir attendre patiemment, observer en silence et saisir sa meilleure chance pour réussir son objectif, confia le jeune ninja.


    - C'est une blague, hein ? demanda Rentarou.


    - Pas du tout. Tyro et moi en avons assez de te voir hésiter à faire le premier pas. Ainsi puisque tu ne te décides pas, nous te donnons un coup de main pour le faire.


    - Mais c'est ma vie privée ! Vous n'avez pas le droit ! Et puis vous êtes sensés être mes copains !


    - C'est parce qu'on est tes meilleurs copains qu'on fait ça, intervint Tyro.


    - Je ne vois rien d'amical là dedans, se plaignit le lycéen géant.


    - De simples amis, ça ne te dit jamais rien et c'est souvent d'accord avec toi sur les faits importants de ta vie. Par contre, un meilleur pote, c'est …


    - C'est quelqu'un qui te pousse dans un buisson d'orties si cela te permet de trouver un chemin meilleur pour toi sur lequel avancer, compléta Seiichi.


    - Peut-être. Mais je ne peux pas faire ce que vous demandez ! C'est pas possible !


    Tyro donna un coup de coude à Seiichi.


    - Il a peur en fait, dit-il. Ca le terrorise complètement de parler à une fille.


    - J'ai pas peur, s'offusqua Rentarou. Je peux le faire !


    En son for intérieur, le jeune homme avait effectivement très peur. Il sentait son estomac se tordre comme si ses aliments ingérés au petit-déjeuner essayaient de remonter. Son cœur battait si fort qu'il aurait pu s'interroger en un autre moment s'il ne commençait pas une nouvelle crise. Toutefois il ne voulait pas passer pour un poltron devant ses amis. Il n'avait pas le choix et devait relever ce défi en avouant ses sentiments à la fille dont il était tombé amoureux.


    En se retenant de pousser un soupir, le lycéen géant songea que l'année commençait vraiment très bien. En cet instant, il aurait presque souhaité une interrogation d'Aizawa et des exercices de gymnastique plutôt que subir une pareille épreuve.


    - Vous en faites du bruit !


    Reconnaissant cette voix aiguë, Rentarou se retourna immédiatement. Face à eux se dressait la redoutable vice-présidente du conseil des étudiants, les bras croisés contre sa poitrine. Elle avait visiblement entendu leurs éclats de voix et était venue inspecter ce qui se passait.


    - Puis-je savoir ce qui se passe ici ?


    Rentarou gonfla la poitrine et avança vers elle. Tout ce qu'il avait à faire était de se déclarer pour être enfin débarrassé de cette corvée. Autant le faire le plus rapidement.


    - Yoko-chan, je dois te dire un truc, commença t-il.


    - Je t'écoute, lui répondit-elle.


    Le ventre contracté, le jeune homme ne se sentait plus du tout aussi sur de lui. Il peinait à rassembler des pensées cohérentes. Face à lui, la jeune fille attendait mais son visage montrait qu'elle ne souhaitait pas s'attarder ce qui ne lui facilitait pas la tâche. Finalement, il se dégonfla incapable de formuler les véritables mots qu'il aurait du dire et lâcha la première idée qui lui passa par la tête.


    - Les examens du troisième trimestre, c'est quand ?


    Yoko le contempla avec surprise ne s'imaginant pas qu'un élève puisse lui demander une telle date le jour même de la rentrée. Derrière l'adolescent aux lunettes sombres, Seiichi et Tyro se tordirent de rire de cette défilade.


    - Eh bien, je n'ai pas encore les dates importantes de ce nouveau trimestre, répondit-elle. Cependant je t'en informerais dès que je serais passée à mon bureau.


    Le jeune homme aux cheveux de jais la remercia poliment puis la regarda s'éloigner. Il alla ensuite prendre ses affaires dans son casier en ignorant les commentaires de ses deux meilleurs amis.


    Ce jour de rentrée se déroula comme une journée normale. En première heure, Noda ramassa les devoirs qu'elle demandait avant les vacances. L'un portait sur de l'analyse de texte et le second était un compte-rendu de lecture. Comme toujours, Seiichi avait accepté de lire – ou de relire plutôt – l'œuvre concernée et de leur faire un résumé condensé.


    En Mathématiques, le professeur Hashimoto souhaita une bonne année à ses étudiants et les encouragea à travailler toujours aussi dur. Il corrigea ensuite les nombreux exercices sur les équations et les inéquations donné à la classe pour les vacances. Naturellement, il interrogea longuement Seiichi dont la lenteur de raisonnement et de développement des calculs en cette matière n'étaient plus à prouver. L'adolescent aux cheveux ébènes prenait son temps et essayait de se souvenir des leçons que lui avait donné Rentarou mais craignait toujours de commettre une erreur.


    En Économie, rien n'avait changé. Le cours était aussi mortellement ennuyeux. Rentarou se répèta sa décision de l'abandonner l'année prochaine. En Anglais, Aizawa le prenait toujours pour cible lors de ses interrogations orales et il se révélait toujours aussi peu doué.


    A l'heure du déjeuner, Rentarou avait dit à Seiichi et à Shintarou de ne pas l'attendre car il souhaitait parler à leur professeur titulaire. En vérité, le lycéen géant voulait seulement être seul pour réfléchir et s'était donc dirigé vers l'arrière du bâtiment administratif afin de n'être dérangé par surprise. A sa surprise, le jeune homme découvrit qu'une autre personne était déjà assise sur les longues marches.


    - Tu en as mis du temps, dit Seiichi en tournant la tête.


    - Seiichi ? Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda t-il en venant s'asseoir auprès de son ami.


    - En théorie, je suis sensé te retourner la question. Cependant étant donné que je suis venu ici car je savais que tu y viendrais, il serait ridicule de le faire.


    Malgré sa connaissance de l'étendue des capacités de raisonnement du jeune homme aux cheveux ébènes, Rentarou était toujours surpris quand il constatait que celui-ci devinait ses propres sentiments qui l'agitaient et localisait l'endroit où il se réfugiait pour y réfléchir. En même temps, le lycéen géant songea que le second point était moins remarquable. Quand Seiichi se sentait mal, son ami se rendait à ce même endroit.


    - Tu penses que je suis dur avec toi, n'est-ce pas ?


    - Eh bien …


    - Je suis seulement réaliste. Si tu continue à être si hésitant en ce qui concerne Yoko-chan, tu finiras par être blessé à nouveau. As-tu oublié ce qui s'est passé en Octobre ?


    Rentarou se mordit la lèvre inférieure en se rappelant de l'affaire en question. Il n'aimait pas du tout se la remettre en mémoire. Par ailleurs, ses amis et lui avaient établi d'un accord tacite de ne plus l'évoquer entre eux.

     

    - Si tu n'agis pas rapidement, quelqu'un d'autre le fera à ta place, Rentarou, le menaça Seiichi.


    - Yoko-chan ne tombera pas deux fois dans le même piège, objecta t-il.


    - Je ne te parle pas de l'abus de confiance de Noguchi, répliqua Seiichi avec austérité. Avant cela, elle est sortie avec lui parce qu'il a osé lui avouer ses sentiments.


    - Il n'avait pas de vrais sentiments pour elle, lança vivement Rentarou.


    - Sur ce point, je te l'accorde, reprit Seiichi. Cependant je veux te souligner ce fait : Yoko-chan est le genre de filles à accepter de sortir avec un garçon si celui-ci fait l'effort de faire une déclaration.
    - Où tu veux en venir ? grogna t-il.


    Seiichi commença à s'énerver. Il se demanda un instant si son meilleur ami n'était pas atteint d'une forme sévère de l'autisme ou s'il ne se moquait pas de lui en faisant semblant de ne pas comprendre. Le jeune homme contint toutefois son calme et poursuivit ses explications.


    - Avant que tu saches ce que faisait Noguchi, dis-moi sincèrement, qu'est-ce que tu as ressenti pour lui quand tu as su qu'il sortait avec Yoko-chan ?


    Rentarou n'appréciait pas du tout cette question terriblement indiscrète mais pourtant très pertinente. Il se tassait le plus possible sur lui-même. Sa tête semblait essayer de rentrer dans son large cou.


    - Je … j'avais envie de cogner la tête au mur quand j'y pensais … , avoua t-il avec lenteur.


    - Et tu as envie de ressentir à nouveau de tels sentiments ?


    - Evidemment que non, marmonna t-il.


    - Alors tu comprends pourquoi tu dois aller lui dire ce que tu ressens ?


    - Et si elle est embarrassée à cause de ça ? On est amis. Je ne veux pas la mettre mal à l'aise.


    Pour la première fois depuis le début de cette conversation, Seiichi poussa un soupir de découragement. Son entreprise s'avérait encore difficile qu'il ne l'avait imaginé. Il tenta d'utiliser une autre méthode. Puisque la discussion ne fonctionnait pas, il lui fallait user d'une parabole pour illustrer le contenu du message qu'il voulait transmettre. Le jeune ninja ne fut pas long à trouver quelle histoire inventer pour parvenir à ce but.


    - Rentarou, selon toi, quel est la meilleure stratégie pour remporter un match de tennis ?


    Comme à chaque fois où l'on parlait de tennis, Rentarou se dégèla complètement et devint beaucoup plus enthoustiaste et passionné.


    - Je pense qu'il faut observer le jeu adverse pendant un jeu, deux maximum, puis ensuite après avoir déterminé ses points faibles, attaquer sans hésiter et l'écraser complètement.


    Seiichi sourit en dévoilant une bonne partie de sa dentition. Cela l'amusa beaucoup de constater à quel point Rentarou et Tyro étaient tous deux de véritables accros au tennis.


    - Dans ce cas, je vais te raconter le match que tu livres depuis le début de l'année avec Yoko-chan.
    - Tu te trompes, Seiichi, rit Rentarou. Yoko-chan déteste le tennis et le sport en général.


    - Laisse-moi raconter avant de m'interrompre.


    Intrigué, l'adolescent aux lunettes sombres se tut et laissa son compagnon parler.


    - Quand tu as rencontré Yoko-chan en début d'année, elle ne t'aimait pas du tout. C'est un euphémisme de dire cela. Quoique tu faisais, tu perdais contre elle. Tu as donc pris au moins trois jeux contre elle sans rien marquer. Heureusement pendant les vacances d'été, tu as réussi à devenir ami avec elle. Tu as marqué un premier jeu puis un second.


    - Ca se rattrape bien ! Ca fait 3-2 ! s'exclama Rentarou. En tous cas, c'est un match passionnant plein de suspense et d'interrogations !


    - Le match n'est pas encore fini, rappela Seiichi. En Octobre, il est arrivé ce qui est arrivé. Avec ce qui s'est passé, tu as pris deux jeux d'un coup sans rien pouvoir faire. Après, tu n'as su que marquer un seul coup. C'est d'ailleurs le score auquel tu restes actuellement.


    - C'est pas terrible ! Ca fait 4-5 !


    - A présent, comment faut-il s'y prendre pour terminer le match à ton avantage ?


    Pris dans la fièvre de sa passion, Rentarou ne traina pas à répondre :


    - Se dépêcher à marquer les deux points qui manquent et empêcher l'autre de marquer la balle de match qui clorerait la partie.


    - Exactement, approuva Seiichi. Ce qui signifie dans notre conversation ?


    - Euh marquer le plus vite possible ? Non, j'ai déjà dit. Agir très rapidement.


    Levant ses yeux au ciel, Seiichi soupira. Encore une fois, le cerveau, pourtant si évolué et logique en temps normal de son ami, peinait à établir la connexion entre ces éléments.


    - Rentarou, veux-tu perdre ce que tu éprouves pour Yoko-chan ?


    - Non …


    - Alors comporte-toi comme si c'était un match de tennis. Que dois-tu faire avec elle ?


    Rentarou réfléchit et hésita à répondre.


    - Lui avouer ce que je ressens ?


    Epuisé par l'intense travail intellectuel qu'il venait de fournir, l'adolescent aux cheveux ébènes soupira de soulagement d'avoir réussi sa démonstration.


    - Mais Seiichi, comment je suis sensé faire ça ? Je ne sais pas du tout y faire avec les filles.


    - Débrouille-toi, lâcha le jeune ninja impassible.


    - Seiichi !


    Face à la détresse émotionnelle de son meilleur ami, il finit par se retourner et lui répondit de manière beaucoup plus amicale :


    - Une déclaration est quelque chose que tu fais avec ton coeur. Il n'y a personne d'autre que toi qui peut le faire comme toi tu le fais.


    Il ne s'agissait malheureusement pas de la phrase que Rentarou aurait souhaité entendre. Il aurait préféré obtenir une recette miracle tirée d'un quelconque manuel.


    Le lendemain matin, Rentarou se lèva de très bonne heure. Pendant sa pratique, il réfléchit au problème qui le préoccupait actuellement. L'adolescent avait bien des idées pour attirer quelque part Yoko et lui confier ce qu'il désirait lui dire. Toutefois quelque chose le gênait dans ses plans. Le lycéen géant craignait que ses amis n'aient envie de l'espionner à ce moment et souhaitait garder ce moment rien que pour lui. Mine de rien, il connaissait très bien les lascars qui composaient sa bande. C'était tout à fait le genre à le suivre et à l'observer avec la plus grande attention en train d'avouer ses sentiments à la fille dont il était tombé amoureux.


    En revenant à l'internat, il abandonna sa raquette sur sa commode près de l'entrée et prit son uniforme à la même place. Rentarou se hâta ensuite de se rendre à la salle de bains où Seiichi et Shintarou chahutaient avec les pommeaux des douches ce qui avait mouillé bien évidemment le sol.


    - Quels gamins, commenta t-il avec amusement.


    Indifférent à ces jets d'eau fusant autour de lui, il gagna la douche la plus proche et se lava sans s'intérresser à ses deux camarades. Une fois prêts, ils descendirent au réfectoire et mangèrent ensemble. Il sembla à Rentarou que ses deux amis bataillèrent encore pour le repas. Cependant il avait déjà retenu depuis longtemps que ces deux-là, comme Tyro, pouvaient avaler une énorme quantité de nourriture en un temps record. Cela avait beau être habituel, le jeune homme restait perpétuellement surpris à chaque repas de cette vitesse d'ingurgitation.


    Après le petit-déjeuner, ils se séparèrent. Le rouquin partit étudier à la bibliothèque et Seiichi alla à sa visite quotidienne à l'infirmerie. Au lieu de l'attendre, comme chaque jour, Rentarou prétexta avoir oublié quelque chose dans sa chambre et prévint son meilleur ami qu'ils se retrouveraient alors en classe.


    Il s'agissait là d'un mensonge. Dès que Seiichi eut passé la porte de l'infirmerie, il se rendit au bâtiment des cours, passa prendre ses affaires à la salle des casiers et sortit à nouveau dans la cour. Le lycéen géant alla au bâtiment administratif et frappa au bureau de Yoko mais personne ne répondit. Il partit ensuite voir dans sa chambre, s'introduisant avec la plus grande prudence au second étage de l'internat réservé aux filles mais ne la trouva point. L'adolescent redescendit donc en vitesse et comprit sa localisation.


    Se tenant devant les larges portes en chêne de la bibliothèque, Rentarou poussa un profond soupir. Son premier plan venait d'échouer. Il avait décidé d'utiliser le matin pour approcher la jeune fille.
    C'était le seul et unique moment où le lycéen géant pouvait l'approcher sans avoir quelqu'un à côté, et surtout, où il était sur de ne pas être vu par ses amis. Seiichi et Shintarou étaient tous deux occupés de leur côté, Tyro n'arrivait pas au lycée avant les dix minutes précédant le premier cours et Kou se rendait directement en classe. Quant à Takaishi, il l'excluait de l'équation. Le jeune homme étant encore dans son lit.


    Fronçant les sourcils, l'adolescent plaça son menton entre son pouce et son index pour s'aider à réfléchir. Il lui fallait trouver un moyen d'agir sans risquer d'attirer l'attention de Shintarou qui se trouvait comme tous les matins dans cette pièce.


    Lorsqu'il se sentit finalement prêt, Rentarou entra dans les lieux saints de la connaissance et gagna la table où étudiait la vice-présidente du conseil des étudiants. Au passage, il remarqua que beaucoup d'élèves étaient présents, chacun seul à une table. Le jeune homme grimaça un peu.


    - Yo Yoko-chan, lança t-il avec désinvolture malgré un grand trac qui l'envahissait.


    - Rentarou-kun ? s'étonna t-elle en levant la tête. Tu ne viens jamais ici le matin.


    - En fait, il y a un quelque chose que j'ai à te demander.


    - Qu'est-ce que c'est ? Tu as l'air très embarrassé, nota la jeune fille.


    - Eh bien, il y a quelque chose que je ne comprends en Japonais. Est ce que … Est ce que tu pourrais m'aider après les cours ?


    En même temps qu'il formula cette requête, le visage de l'adolescent rougit totalement de honte. Lui qui ne supportait pas de demander de l'aide, il se sentait véritablement humilié de dire cela devant autant de monde. Sans compter qu'il se débrouillait très bien tout seul pour comprendre les cours du professeur Noda en Japonais. Certes, il n'était pas aussi compétent que Seiichi mais il obtenait toujours d'excellents résultats.


    En entendant cela, Yoko ne put s'empêcher d'être suprise. Le changement de couleur de son condisciple ne lui échappa pas non plus. Elle lui sourit.


    - Je t'aiderais, promis.


    Rentarou la remercia alors en s'inclinant du buste puis la quitta. Il rejoignit ensuite sa classe au laboratoire de Chimie au troisième étage du bâtiment des cours et etrouva Kou à leur pailliasse.
    Depuis l'incident provoqué par Seiichi lors du précédent trimestre, les deux garçons faisaient désormais équipe. Leurs binômes étant interdits de repasser la porte de cette salle. Par ailleurs, ils ne s'en portaient pas plus mal tous les deux et pouvaient travailler plus librement à leur expérience sans avoir besoin de vérifier constamment qu'une bêtise n'était pas en train d'être commise. De plus, ils s'entendaient maintenant très bien. Rentarou avait quasiment oublié tout ce que Kou lui avait fait par le passé et lui avait totalement pardonné.


    A la suite de ces deux heures, ils se séparèrent et Rentarou descendit en compagnie de Shintarou à l'étage inférieur vers la salle d'Anglais où Seiichi attendait devant la porte depuis plusieurs minutes.
    Lors de la pause accordée pour le déjeuner, la bande se retrouva dans la salle de Droit et se partagea les provisions du jour. Aujourd'hui, Tyro avait apporté du riz au curry, Kou de nombreuses boules d'onigiri et Raphael du fromage et des pommes.


    - C'est merveilleux d'avoir des amis externes, s'extasia Takaishi après avoir goûté la première bouchée de sa part de riz au curry.


    - En plus, avec nos trois fournisseurs réunis, on a un vrai repas parfaitement équilibré, avec un plat de résistance, une entrée, un fromage et un déssert, ajouta Shintarou en croquant une pomme.


    - En parlant de ce point, tu sais que tu as commencé par le déssert, Shin ?


    - J'adore les fruits, Seiichi ! De plus, je ne mange jamais de viande !


    - Tant mieux ! Ca fait plus à manger pour les autres, s'exclama Tyro avec plaisir.


    Tout en écoutant les discussions de ses amis, Rentarou avait appuyé sa main gauche contre sa tempe et mangeait avec plus de lenteur qu'à l'accoutumée. C'était une feinte destinée à faire croire à ses camarades qu'il était plongé dans d'intenses réflexions.


    La ruse ne tarda pas à prendre. Ce fut naturellement le plus doué d'entre eux pour remarquer le moindre changement dans l'attitude ou l'humeur d'une personne qui mordit à l'hameçon.


    - Rentarou, qu'est-ce qui ne va pas ?


    - Rien du tout, répondit-il sans redresser son visage de son plat.


    - Quand tu réponds ça, ça veut dire qu'il y a vraiment un truc qui ne va pas, rétorqua Tyro. Alors gagnons du temps et raconte-nous tout !


    En son for intérieur, l'adolescent aux lunettes sombres se surprenait encore d'être si bien compris par ses amis. Sans avoir à formulé le moindre mot, ils pouvaient dire quand le jeune colosse se sentait mal. Il cacha un sourire de satisfation qui ne l'aurait pas aidé dans son plan actuel et commença :

     

    - Je me demandais juste ce que vous faisiez en attendant d'aller au club.


    - Bah comme d'hab, non ? Etudier à la bibliothèque, fit Shintarou. Il n'y a d'ailleurs pas grand chose à faire en cette saison.


    - Et vous allez tous y aller ? reprit Rentarou.


    Il avait parlé de son ton naturellement candide et maladroit quand il s'agissait d'un sujet de conversation avec lequel il n'était absolument pas à l'aise. Néanmoins en ce moment, il se servait de ce défaut dont ses amis se moquaient souvent pour la transformer en un atout.


    - J'ai l'impression que Rentarou a quelque chose en tête, dit Seiichi avec malice.


    Rentarou se retint de sourire, se concentrant pour paraître toujours très gêné. Il se souvint même de la honte ressentie en début de matinée pour faire monter le rouge à ses joues.


    - Rentarou-kun, tu as un truc de prévu ? demanda Takaishi qui était juste en face du lycéen géant.


    - C'est à dire que …


    - Tu ferais mieux d'avouer, Rentarou, conseilla Tyro qui semblait très intérressé par le sujet. De toute manière, tu sais que bien que Seiichi va te cuisiner jusqu'à ce que tu craches le morceau !


    - Pour notre plus grand plaisir, ajouta Shintarou en pouffant de rire.


    - Il n'y a que moi ici qui se soucie du respect de la vie privée des autres ? émit Raphael qui continuait de manger bien tranquillement sa part malgré l'agitation qui régnait autour de lui.


    Rentarou jeta un regard à ses camarades puis continua en poussant un profond soupir.


    - D'accord, je vais vous dire, lâcha t-il en feignant l'exaspération. Je .. j'ai demandé à Yoko-chan de m'attendre dans le parc près du lycée.


    Alors que ses amis ne disaient encore rien, Seiichi interrompit ce silence en recrachant violemment le contenu du verre de thé vert qu'il venait de boire sur le blazer blanc en laine de Raphael. Le jeune ninja s'excusa auprès de celui-ci qui essuya comme il put les tâches avec son mouchoir et se tourna immédiatement vers son meilleur ami.


    - Tu plaisantes ?


    - C'est toi qui m'a dit d'aller vite, non ?


    - Te connaissant, je pensais vraiment que tu mettrais au moins une semaine avant te décider à le faire, avoua Seiichi.


    - Ne te plains pas puisque tu gagnes ton pari, lança Tyro grognenard. J'avais dit trois semaines !


    - Parce que vous faites des paris sur moi ? s'indigna le lycéen géant.


    - Il faut bien vivre, rit Tyro.


    Rentarou ronchonna et se concentra à prendre son riz avec ses baguettes et à l'avaler. Il étudia en même temps les attitudes de ses camarades et espèra avoir su les tromper.


    - Allons-y ! s'écria soudainement Shintarou.


    - Où ça ? interrogea Takaishi.


    - Ben dans le parc ! Ca va être super intérressant de voir Rentarou !


    Aussitôt Seiichi leva sa main gauche et continuant à manger de la seconde.


    - Je viens !


    - Moi aussi ! Moi aussi ! piaffa Tyro.


    - Ce n'est pas très correct, dit Takaishi. Cependant …


    - Mais tu as très envie d'y aller aussi, le coupa Kou en lui donnant une bourrade dans le dos.


    Après la pause du déjeuner, les adolescents se séparèrent et retournèrent en classe. Durant le trajet jusqu'à la salle de Japonais, Rentarou eut le droit d'entendre de petites moqueries de la part de Seiichi et Shintarou. Il n'y prêta pas attention et n'entendit jamais un seul mot de leurs propos. Il avait placé les écouteurs de son lecteur MP3 dans ses oreilles et appuyé sur le bouton lecture avant même de quitter la salle de Droit et les garda jusqu'à dans sa classe jusqu'à l'arrivée du professeur Noda.


    Après une heure à écouter son enseignante parler du charme et de la magnifience des haikus, Rentarou se sentit soulagé d'entendre la sonnerie retentir. Certes, il se sentait très mal à l'aise et nerveux vis à vis de ce qui l'attendait très bientôt mais le lycéen géant ne supportait plus les cours de l'étude de la poésie qu'avait commencé Noda. Le pire, c'était que ce thème avait seulement débuté depuis hier et devait durer tout le troisième trimestre.


    Rassemblant ses affaires en prenant son temps, Rentarou observa avec attention ce qui se déroulait dans sa classe. Il remarqua Sawamura passer devant sa table et s'arrêter devant celle de Seiichi pour commencer à engager la conversation avec lui à la grande surprise de son meilleur ami. Sawamura n'était pas connu pour avoir une haute estime de Seiichi et ce dernier partageait les mêmes sentiments à son égard. Toutefois, il n'existait pas réelleent de désaccord entre eux. Ils se contentaient de s'ignorer et ne s'adressait pas la parole sans une raison valable. De l'autre côté, Shintarou était aussi très occupé : la fille assise juste devant lui était en grande conversation avec le petit rouquin.


    D'une main ferme, Rentarou saisit son sac et le mit sur son dos en sortant de classe. L'adolescent ne put s'empêcher de sourire narquoisement. Cela lui avait fallu une âpre négociation mais il était parvenu à convaincre Sawamura de lui prêter un coup de main pour empêcher ses deux amis de le suivre. Il l'avait fait au matin en attendant devant le laboratoire. Cela lui coûterait les réponses des devoirs de Mathématiques jusqu'à la fin du mois mais l'arrangement lui convenait.


    Sur ce, le lycéen géant remonta le couloir à travers le flux de lycéens qui y circulaient. Il alla s'arrêter au niveau de la salle d'Anglais et répéra Yoko au milieu de cette foule. Tous deux se saluèrent et descendirent ensemble les escaliers avant de sortir à l'extérieur. La jeune fille s'apprêta à se diriger vers le bâtiment de vie scolaire pour se rendre à la bibliothèque comme prévu.
    - Attends ! la stoppa Rentarou.


    Contrariée, elle se retourna les sourcils froncés, les mains sur les hanches. Rentarou sentit sa pomme d'adam remonter et déglutit difficilement. Il fallait jouer très finement pour éviter la colère qui menaçait de se manifester.


    - Tu ne veux plus étudier ?


    - En fait, il y a un truc, commença t-il avec une forte nervosité, que je veux te parler. Mais je ne me sens pas capable de le dire en public alors j'ai inventé ce mensonge. Je suis désolé.


    Le jeune homme aux lunettes sombres attentit la réaction avec inquiètude et appréhension. Il était quasiment convaincu qu'elle allait lui hurler dessus. En fait, celle-ci se contenta de le scruter longuement avant de demander d'une voix sévère mais calme :


    - Est-ce important ?


    - Euh oui, mais …


    - Dans ce cas, je veux bien t'écouter, décida t-elle. Où veux-tu aller ?


    Rentarou eut l'impression d'être capable de respirer à nouveau en entendant cette phrase. C'était comme si on l'avait déchargé d'un fardeau de cent kilos. Il lui proposa d'aller derrière le bâtiment administratif, l'endroit des perdus comme elle le disait. La jeune fille accepta.


    En arrivant à destination, ils s'assirent sur la seconde marche. Yoko tourna son corps vers Rentarou et demanda :


    - Alors ? De quoi veux tu me parler ?


    De plus en plus nerveux, Rentarou se sentit à nouveau ne plus savoir respirer. Pour se rassurer, il inspira normalement plusieurs fois dans le creux de sa main. En constatant de pas commencer une crise, le lycéen géant tenta de se calmer puis se répèta rapidement l'histoire de Seiichi et s'imagina sur un court de tennis, en train de tenir sa raquette. Pour marquer le point final, il devait la lever et frapper fort la balle à envoyer.


    - Je t'aime !


    En se concentrant sur la rapidité, le jeune homme avait lâché ces mots en criant presque. Lorsque son esprit l'eut réalisé, son visage se colora d'un rouge cramoisi et détourna la tête.


    Décontenancée, Yoko ne s'était jamais attendue à une telle déclaration, surtout de la part de Rentarou. A la fois, cela l'effrayait mais l'excitait également. Depuis son expérience avec Noguchi, l'adolescente s'était totalement fermée aux garçons et aux histoires amoureuses. Cependant elle connaissait Rentarou et savait que ce garçon était incapable de mentir, et surtout pas si un mensonge impliquait les sentiments des autres.


    - Tu mérites quelqu'un de mieux pourtant.


    Il se tourna aussitôt vivement.


    - Il n'y a pas personne de mieux que toi ! En tout cas, pas pour moi !


    - Rentarou-kun, c'est moi qui t'ai toujours causé que des ennuis depuis le début de l'année. Je n'ai jamais su te comprendre ni t'aider alors …


    - C'est pour ça que je t'aime, l'interrompit-il. Peut-être que je suis fou comme le disent Seiichi et Tyro mais moi … Même si je suis énervé quand tu t'opposes à moi, je suis aussi impressionné. Dans n'importe quelle situation, tu ne te laisses pas faire et tu t'imposes sans en démordre.


    - Au premier trimestre, je te traitais comme un poisson pourri, rappela t-elle en fixant, toujours très étonnée, le jeune homme.


    - A chaque fois, je le méritais. Même si tu t'énerves, tu es juste. Tu agis seulement dans l'interet des élèves et du lycée. Je pense que les personnes qui défendent leurs convictions jusqu'au bout sans cèder un pouce de terrain sont vraiment admirables.


    - C'est la première fois qu'on me dit ça, avoua t-elle. Tout le monde se fiche toujours de ce que je fais. Souvent on me méprise et on m'ignore. Parfois, on râle. Mais on ne me dit jamais que je fais un bon travail. Pas même les profs.


    D'un doigt, elle écrasa une larme naissante au coin de son oeil. Elle ne voulut pas pleurer et souhaita rester forte et digne.


    - On se ressemble, tu sais, plus que tu ne le crois, ajouta le lycéen géant. Moi aussi, je serais capable de faire n'importe quoi pour défendre mes convictions. Je suppose que tu t'en es rendu compte mais je suis un ardent défenseur de la justice. Je suis prêt à me battre pour elle qu'importe qui j'affronte, même si ça devait être un ami.


    Son ton diminua légèrement quand il aborda ce dernier point.


    - Mais j'espère que ce cas de figure ne se présentera jamais.


    Yoko écouta en silence les paroles de son prétendant et médita dessus. Rentarou la laissa réfléchir sans montrer nul signe d'impatience. La jeune fille fit un rapide bilan de ce qu'elle connaissait de lui. Par son attirance physique, elle n'avait jamais été séduite. La caucasienne préfèrait les garçons avec des cheveux un peu plus longs et mieux entretenus. Cependant ses qualités dévoilées tout le long de cette année l'avaient souvent impressionné. l'adolescente apprécia son calme, sa capacité à écouter les soucis des autres sans paraître ennuyé le moins du monde, sa détermination quand il rencontrait un obstacle à surmonter, sa prévénance et surtout sa sincérité.


    - Tu voudrais sortir avec moi ? finit-elle par demander.


    En entendant à nouveau le son de sa voix, il réagit immédiatement.


    - Eh bien, si tu n'en ai pas gêné, répondit-il timidement. Ne te force pas pour moi.


    - Je suis d'accord pour une sortie, annonça t-elle. Après, on verra si toi et moi sommes d'accord pour continuer, ça te va ?


    - Très bien, approuva le lycéen géant. Quand ?


    - C'est toi qui m'invite alors à toi de trouver.


    - OK. Demain !


    Yoko soupira, partagée entre la désapprobation et l'amusement. Son compagnon ne perdait décidement pas de temps.


    - Pas pendant la semaine.


    - Alors Vendredi après les cours ? On sera en week-end. C'est plus la semaine.


    - Ca me convient, accepta t-elle cette fois ci.

     

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  • Notes sur le chapitre 53

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    • La visite au temple :

    Le premier jour du Nouvel An, à partir de minuit, ils sont nombreux à y aller dans la nuit d'ailleurs, les japonais se rendent au temple pour prier et remercier les Dieux pour l'année qui vient de s'écouler. Ils demandent une année meilleure ou équivalente. Ensuite, ils procèdent ensuite à une sorte de loterie, ceux sont des auspices. Si l'on tire une prophétie faste, cela veut dire que l'année sera bonne. Si elle est néfaste, il faut alors accrocher un talisman dans un arbre près du temple, prévu à cet effet, pour conjurer le mauvais sort.

     

    • La déclaration : 

    Au Japon, quand un garçon ou une fille veut sortir avec la personne dont il est amoureux, il doit aller la voir et lui exprimer ses sentiments. Bon, sur ce point, on peut dire que c'est un peu partout pareil. Une fois cette étape faite, ils peuvent sortir ensemble si la réponse de l'autre est postive.

     

    • Les sorties de couple :

    Au Japon, après la déclaration, les amoureux ne sortent pas réellement ensemble. Au départ, pendant quelques semaines, ils s'essayent. Oui, ce n'est très élégant mais c'est ce qui me parait le mieux convenir ... Pendant ce laps de temps, ils apprennent à se connaître de manière plus ou moins intime et à savoir s'ils sont compatibles. alors seulement ils commencent à sortir ensemble de manière concrète.

     

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  • Notes sur le chapitre 52

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    • Noël :

    Au Japon, la fête de Noël est uniquement commerciale et ne relève rien du caractériel familial qu'elle a dans les sociétés occidentales. Lors de ce soir-là, les jeunes se réunissent entre amis pour faire la fête. C'est aussi une journée dédié aux amoureux. Toutefois, certaines familles le célèbrent aussi et font parfois des cadeaux, surtout pour les enfants.

     

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  • Chapitre 52


    Puisque toute la bande avait réussi les examens du second trimestre, ils se retrouvaient par conséquent en congé quatre jours plus tôt avant le début officiel des vacances d'hiver. Cela n'était pas pour leur déplaire. Takaishi était retourné le lendemain dans sa ville natale. Shintarou avait essayé aussi de rentrer chez lui mais n'avait pas pu. Le billet d'avion réservé pour Sapporo à la date du Vendredi n'avait pas pu être changé. Il restait donc avec ses amis jusqu'à la fin de la semaine. Yoko était aussi rentrée en train le même jour que Takaishi.


    Profitant de leurs congés exceptionnels, la bande passait tout son temps chez Raphael à profiter de ses locaux d'entrainements et de son matériel. Le jeune maître des lieux se tenait à leurs côtés. Malgré ses déplorables performances scolaires, il était spécialement dispensé de repasser les examens du fait d'être étranger.


    Lors du dernier jour officiel de classe avant les vacances, les Sanonis se promenèrent dans les rues de Tokyo quand ils quittèrent l'ambassade de France. Rentarou remarqua de nombreuses décorations de Noël partout autour de lui. Le lycéen géant savait que dans son pays, il s'agissait d'une tradition purement commerciale. Les japonais ne fêtaient pas Noël. Ceux-ci étaient bouddhistes et shintoïstes. Ici, cette journée consacrée à sa famille devenait une simple fête entre amis bien éloignée de sa véritable signification originelle.


    - J'adore les fêtes de fin d'année, s'exclama Tyro avec enthousiasme.


    - Vraiment ? fit Seiichi.


    - Bien sur ! Ma mère fait toujours un diner génial pour Noël et la nouvelle année ! Ensuite on reçoit des tas de cadeaux de la famille pour les deux occasions ! On va au temple le premier jour de l'année et on peut s'amuser à tirer une prophétie ! Mais le mieux du mieux, c'est qu'on n'a pas l'école pendant deux semaines ! Ces fêtes sont super cool !


    Les mains plongées dans ses poches, Rentarou ne dit rien de toutes les choses énumérées par Tyro. Cependant son meilleur ami venait d'exposer toutes les raisons pour lesquelles il détestait l'attitude des habitants de son pays au moment de Noël. Pour eux, c'était un jour normal, comme les autres.


    - Tyro, soupira Seiichi avant de prendre un ton professoral. Tu sais, la fête de Noël est importante pour de nombreuses personnes dans ce monde. Il s'agit de célébrer la naissance d'un enfant né pour sauver tout un peuple de ses pêchés. Il n'y a pas si longtemps, les enfants ne recevaient pas de cadeaux à cette occasion. Ils étaient très heureux d'avoir une simple orange.


    - Tu plaisantes ? glapit-il. Moi, je ferais la tête toute la semaine si mes parents osaient m'offrir un cadeau aussi nul !


    Seiichi éclata de rire de l'expression indignée de son ami. Seul Rentarou ne rit pas, perdu dans ses lointaines pensées. Enfant, il aurait heureux d'avoir une simple orange en guise de cadeau tant que sa mère était avec lui.


    - D'ailleurs si vous voulez, vous pouvez venir demain au repas qu'a fait ma mère, proposa Tyro. Il est encore meilleur que tous les autres repas qu'elle fait dans l'année !


    - Meilleur que ceux des autres jours de l'année ? répèta Seiichi en salivant. Tu sais comment m'appâter ! Je viens !


    - Et toi, Rentarou ? Tu viens aussi ? demanda Tyro en se retournant vers leur ami qui marchait derrière depuis un bon moment.


    Sortant de ses pensées, l'adolescent aux lunettes sombres releva la tête.


    - Non, je ne peux pas. J'ai déjà des projets.


    Rentarou se félicita lui-même pour mieux maitriser l'art subtil du mensonge à présent. A cause de l'éducation que lui avait donné sa mère le poussant à le détester et à toujours rechercher la vérité, il avait toujours été incapable de mentir. Le lycéen géant se montrait terriblement gêné chaque fois que sa bouche en formulait un. Son interlocuteur le démasquait aussitôt. Au cours de ces derniers mois, l'adolescent avait appris la précieuse utilité du mensonge dans certaines situations.

     

    Naturellement, comme de nombreuses choses, il fallait se montrer raisonnable avec et ne pas abuser en limitant son utilisation aux cas d'absolue nécessité.


    - Je ne vous en ait pas parlé ? ajouta t-il en feignant la surprise.


    - Moi, je ne me souviens pas mais il paraît que j'ai une mémoire de poisson rouge.


    - C'est simplement la vérité, Tyro, dit Seiichi moqueur. Toutefois, en ce qui concerne cette affaire, je ne me souviens pas non plus que tu en ai parlé.


    - Je m'excuse alors, reprit Rentarou. En fait, Nobu-kun m'a demandé de passer la journée et la soirée avec lui.


    - Oh ? Ce n'est que ça ? s'exclama Tyro. Tu sais, tu peux l'inviter chez moi !


    - Je pense que Nobu-chan préfère voir Rentarou seul, songea Seiichi.


    - Mais moi j'aime beaucoup Nobu-kun, protesta Tyro. C'est un petit garçon adorable ! J'adorerais l'avoir pour petit frère à la place de Susumu !


    - Je suis désolé de vous faire faux bond au dernier moment, murmura Rentarou.


    - C'est pas grave, Rentarou, assura Tyro. Les Sanonis se rattraperons lors du Nouvel An. D'accord ?


    Rentarou hocha timidement de la tête. Parfois, le lycéen géant songea ne pas mériter l'affection indéfectible que lui manifestait quotidiennement ses deux meilleurs amis. Il ne cessait de leur faire des cachotteries et ne leur disait rien de ses sentiments pour éviter de leur causer de l'inquiétude. Ils s'en faisaient assez pour lui sans le lui avouer.


    ***


    Lors de la journée du Samedi du 24 décembre, très tôt dans la matinée, quelqu'un vint frapper à la porte du domicile de la famille Sakumai. Se levant toujours de bonne heure, Sayuri alla ouvrir. Elle s'étonna de l'apparence de son matinal visiteur.


    Haut comme un enfant de huit ans, il s'agissait d'une jeune garçon vêtu d'une longue veste rouge sous laquelle il avait réussi à enfiler deux épais chandails en laine lui donnant l'impression de ressembler à un bibendum. Le petit garçon portait aussi un jean noir dont les bords étaient repliés au moins dix fois tant le pantalon était trop grand pour lui. Les jambes du vêtement restaient sur le bord ses hautes bottes fourrées au lieu de les rentrer dedans. Enfin un bonnet rouge trônait sur une masse de cheveux bruns en bataille.


    La première pensée qui passa par la tête de cette mère de famille se résuma à cette image populaire : un elfe du Père Noël.


    - Bonjour Sakumai-okusan ! Je suis un ami de Tyro ! dit jovialement l'enfant. Je peux le voir ?


    - Je ne sais pas s'il est levé, répondit Sayuri. Je vais aller voir.


    La mère de famille monta rapidement les deux étages de sa maison et s'immobilisa sous la trappe permettant d'accéder au grenier où se trouvait la chambre de son fils cadet. Naturellement, celui-ci dormait encore. Ce fut Seiichi qui descendit, fidèle à ses habitudes de se réveiller tôt. Il s'entretint avec la mère de son meilleur ami et décida de parler avec son étrange visiteur.


    - Je me disais aussi que seul toi pouvait paraître si étrange, dit Seiichi quand il eut posé les yeux sur le visiteur sur le pas de la porte d'entrée.


    - Seiichi-kun ? Tu es là aussi ? C'est génial !


    Visiblement très ravi par cette nouvelle, l'enfant sauta vers lui et enlaça ses bras autour de sa taille. Depuis leur aventure ensemble à Odaiba, il adorait la compagnie de l'adolescent aux cheveux ébènes. Seiichi se demandait souvent pourquoi. Ses seuls souvenirs de ce jour-là était d'avoir crié sur lui toutes les cinq minutes.


    - Nobu-chan, que fais-tu ici ? Tu n'es pas avec Rentarou ?


    - A entendre ta réaction, il n'est pas avec vous, dit Nobu. Je le savais !


    En formulant ces paroles, le jeune garçon s'écarta. Son visage devint plus réfléchi et sérieux. Sa main se posa sous son menton.


    - Rentarou nous a dit qu'il passait la journée avec toi, rapporta Seiichi.


    - A moi, il a dit qu'il la passait avec Tyro et toi.


    - Cela ne lui ressemble pas, s'étonna Seiichi en fronçant ses très fins sourcils noirs. Rentarou a horreur de mentir.


    - Sauf que c'est Noël, rappela sombrement Nobu. Quand on vivait dans la rue, il s'isolait toujours. Même moi, je ne pouvais pas le trouver.


    Essayant de comprendre ce qui n'allait pas chez son meilleur ami, Seiichi se rappela rapidement que celui-ci avait été élèvé en tant que chrétien. Par conséquent, la fête de Noël avait un sens totalement différent pour que pour le reste des japonais. A ses yeux, c'était un moment que l'on célébrait en famille. Or, une personne qui n'avait plus de famille pouvait-elle se sentir capable de se réjouir un tel jour ? Probablement pas.


    - Quel idiot, râla Seiichi. J'aurais du deviner cela plus tôt ! Je sais pourtant qu'il est chrétien !


    Devant la mine déconfite de Nobu ne comprenant pas les raisons de l'emportement de son ami, Seiichi s'expliqua. Il parla de la religion à laquelle appartenait Rentarou et le sens que prenait la fête de Noël dans celle-ci. Le jeune garçon comprit et sourit.


    - Si ce n'est que ça, Seiichi-kun, on peut montrer à Rentarou-kun qu'il a encore une famille !



    ***

     

    En se réveillant dans la matinée, Rentarou s'était senti déprimé rien qu'en voyant la photographie de sa mère sur sa table de chevet. Il avait la sensation que des centaines d'aiguilles acérées lui déchiraient le cœur.


    Comme chaque jour de Noël depuis sept ans, il ne cessait de se plonger dans ses heureux souvenirs de son enfance.


    Il se réveillait toujours très tôt le matin, terriblement excité. Il contemplait ses cadeaux au pied de la plante verte. Celle-ci faisait office de sapin, en raison de son prix bon marché, décorée de guirlandes. Le petit garçon voulait essayer de les ouvrir discrètement. Mais sa mère veillait. Elle le prenait délicatement par la taille et l'asseyait à la table pour lui servir un succulent petit-déjeuner avec un grand bol de chocolat chaud et deux croissants au beurre.


    Toute la journée, il essayait de jouer normalement mais était très excité par l'échéance qui ne cessait de se rapprocher davantage. Le soir, sa mère et lui n'avalaient qu'une simple soupe. Celle-ci passait ensuite toute la soirée de cette sainte nuit à lui raconter des histoires. Elles évoquaient des légendes japonaises transmises au fil des générations ou des contes traditionnels occidentaux ou encore des récits bibliques. Par contre, il y avait un moment où l'enfant n'écoutait plus sa mère. Dès que la pendule de leur appartement sonnait le premier coup de minuit, il fonçait vers la plante ouvrir ses cadeaux. Après avoir déballé ses nouveaux jouets et s'être enthousiasmé, il se levait et marchait vers la fenêtre. Il fixait alors une des étoiles dans le ciel nocturne, joignait ses mains l'une sur l'autre et remerciait Jésus de lui avoir offert de si beaux présents.


    Pendant cette journée, Rentarou se leva tout de même, se doucha et s'habilla. Il descendit au réfectoire. Cependant le lieu était désert. Aucune cantinière n'était présente. Comme seuls deux internes demeuraient au lycée pour les vacances d'hiver, le proviseur avait statué un congé pour les dames de service qui préparaient et servaient les repas. Ainsi le jeune homme devait se préparer quelque chose. Il passa derrière les grilles sur lesquelles reposaient en temps normal la nourriture proposée aux élèves et s'agenouilla sur le sol. Ses doigts farfouillèrent sur le carrelage froid jusqu'à trouver un mécanisme qui ouvrit une large trappe.


    Une fois en bas, il longea le couloir jusqu'à arriver au bout puis pénétra dans la salle de droite derrière laquelle se trouvait la cuisine où l'on préparait les repas pour les deux cent adolescents qui logeaient ici à l'année trois fois par jour. Aujourd'hui l'endroit était désert et ne montrait aucun signe de l'effervescence permanente qui régnait habituellement.


    Ouvrant les différentes portes des meubles, Rentarou finit par trouver du pain et du fromage. Connaissant son absence de don culinaire, le lycéen géant s'abstint de se cuisiner lui-même un repas. Il aurait été capable de provoquer une explosion en laissant trop longtemps une casserole sur le gaz.


    Après avoir avalé quelques tartines, l'adolescent remonta dans sa chambre et s'allongea à nouveau sur son lit. Les bras croisés sous sa tête, repensa avec nostalgie et tristesse à sa mère.

     

    ***


    Au même moment, il existait une autre personne dans la ville qui déprimait pareillement Rentarou. Assis aà un magnifique secrétaire taillé dans un coûteux bois de chêne, les yeux de Raphael se perdaient dans le vide. Ils s'arrêtaient aussi sur la photographie sur sa droite. Celle-ci représentait une femme âgée, les cheveux mi-longs encore bruns, aux yeux noisettes, qui tenait un petit garçon dans ses bras.


    Brusquement, l'adolescent se redressa. Il entendit des pas dans le couloir. Sans savoir si la personne à laquelle ils appartenaient venait le voir, le jeune homme s'empressa de retourner le cadre. Au lieu de cette ancienne photographie montrant son heureux passé, celui-ci afficha désormais celle prise quelques mois plus tôt. Elle représentait un homme proche de la cinquantaine, les cheveux très courts et grisonnants, son père, sa mère dans une de ses robes fantaisistes et lui dans un de ces costumes luxueux qu'il méprisait au plus haut point. Ce cliché ne possédait pas la moindre valeur à ses yeux et ne reconnaissait pas ses parents en tant que sa famille. La seule qu'il avait eu avait disparu pour toujours.


    Quelques instants après que Raphael y eut touché, sa mère entra. Il se leva alors pour aller à sa rencontre et nota que celle-ci paraissait très ennuyée. Méchamment, le cruel adolescent pensa qu'elle devait s'être retournée un ongle.


    - Mon Fafa, j'ai un grave problème, lui annonça t-elle avec anxiété.


    - Quoi donc ?


    Immédiatement, l'épouse de l'ambassadeur changea d'expression. Son visage se courrouça et regarda son fils avec désapprobation.


    - Tu ne dois pas parler de cette manière, Raphael. En français correct, il faut dire « De quoi s'agit-il ? » ou « De quel sujet souhaites-tu m'entretenir ? »


    L'adolescent détestait cet aspect de la personnalité de sa génitrice. Sous prétexte de représenter le gouvernement français et l'ensemble de ses citoyens, ils se devaient de s'exprimer le mieux qu'il était possible. A chaque fois que Raphael lâchait un mot d'usage courant ou familier, elle le reprenait comme un petit enfant qui commettait une grosse bêtise. Le jeune homme ne comptait plus les fois où sa conceptrice l'obligeait à l'accompagner dans ses réceptions ennuyeuses et le reprenait dès qu'il ouvrait la bouche. Ce n'était pas difficile de comprendre pourquoi l'adolescent ne disait plus grand chose maintenant.


    - De quoi souhaites-tu me parler ? reprit Raphael en évitant de paraître las.


    - Parfait, s'exclama Thérèse enchantée.


    Comme à chacune de leur conversation, il se sentit déjà très excédé mais ne le montra pas pour éviter de nouveaux soucis. Le jeune homme en avait déjà assez à gérer.


    - Alors, mon Fafa, je suis vraiment très embarrassée, poursuivit-elle en reprenant son expression de tristesse du départ. Ton père a reçu une invitation d'un ministre pour ce soir et il ne veut pas que tu viennes. C'est un diner très important pour lui et il craint d'être ennuyé par la présence d'un enfant. Tu comprends ?


    Raphael eut envie de crier de joie en entendant cette nouvelle. Pour une fois, il n'aurait à supporter ni un interminable diner ni des conversations aussi passionnantes que des gouttes de pluie.


    - Cependant je suis ennuyé de te laisser seul ici pour Noël. Alors j'ai une idée !


    L'adolescent songea que c'eût été trop beau pour être vrai. Ses parents ne concevaient pas qu'il avait grandi. Le jeune homme avait l'impression qu'ils le voyaient toujours comme le petit garçon de sept ans ramassé huit ans plus tôt sur le perron de sa grand-mère défunte.


    - Ce n'est pas la peine de te tracasser, maman, intervint-il. Il y a une fête qui est organisée pour Noël à mon lycée. Je pourrais y aller, non ? Ainsi je ne serais pas seul.


    Il s'agissait d'un pur mensonge. Raphael savait pertinemment que son lycée était désert depuis la veille mais sa mère l'ignorait. l'adolescent pourrait librement s'exercer dans le gymnase ou lire à la bibliothèque.


    - C'est vrai ? C'est merveilleux alors !


    Sur ce, elle laissa son fils à nouveau seul sans deviner les véritables sentiments de son enfant.

     

    ***



    En début de l'après-midi, Seiichi, Tyro et Nobu quittèrent la maison familiale des Sakumai. Les deux lycéens portaient chacun un sac à dos. Ils traversèrent les différents arrondissements qui les séparaient de leur établissement en prenant le bus. Celui-ci les arrêta en bas de la côte du lycée, soit en face du collège de Nobu. D'un pas rapide, ils montèrent la pente, passèrent le portail et s'introduisirent dans le bâtiment de vie scolaire.


    - Allons aux chambres, dit Nobu. C'est où ?


    - Les escaliers sont à droite, indiqua Seiichi. Suis-nous.


    Les deux garçons commencèrent à se diriger vers cette direction lorsque Tyro changea de cap. Celui-ci opta pour se rendre au réfectoire. Très curieux, Nobu le suivit. Fataliste, Seiichi se résigna en maudissant ce besoin incontrôlable de curiosité de ses camarades.


    - Qu'est-ce que vous avez ?


    - J'ai entendu du bruit, l'informa Tyro.


    En disant cela, il promena son regard un peu partout dans le réfectoire.


    - Moi, je n'ai rien entendu, soupira Seiichi. Je possède une ouïe supérieure à toi pourtant.


    - On entend toujours plein de bruits dans les bâtiments, objecta Nobu. Ca doit être le vent.


    Tyro ne démordit pas de son idée. Il s'obstina à inspecter l'endroit et passa de l'autre côté des vitrines où étaient présentées les repas. Le jeune homme s'agenouilla au sol et repéra la trappe menant aux cuisines, à la blanchisserie et aux réserves de l'établissement.


    - Le verrou n'est pas mis.


    - Quelqu'un l'a probablement oublié, répliqua Nobu.


    - C'est une trappe. Si on ne met pas le verrou, on peut tomber en bas si on marche dessus. S'il n'est pas mis, ça veut dire que quelqu'un est descendu et ne sait pas qu'il y a un verrou des deux côtés.


    - Tu connais bien le principe, dit Seiichi impressionné par les connaissances de son meilleur ami.


    - J'ai passé la moitié de mes retenues là dessous, bougonna Tyro.


    Seiichi sourit malicieusement. Il aurait du se douter de cette réponse. Son meilleur ami, étant puni chaque jour de la semaine, devait connaître de nombreux endroits de leur lycée que lui-même ne pouvait pas avoir accès.


    - Ca ne nous sert à rien tout ça, se plaignit Nobu. Allons voir Rentarou-kun !


    - Il n'y a personne au bahut sauf Rentarou, rappela Tyro. Ca veut dire que Rentarou doit surement être en bas puisque cette trappe est ouverte.


    - Je commençais à me demander où tu voulais en venir, dit Seiichi, mais je comprends à présent. Cela me paraît logique.


    - Eh bien, descendons alors !


    Sans attendre la réaction de ses deux compagnons, Nobu ouvrit la trappe et descendit les étroites marches en bois du petit escalier souterrain. Seiichi et Tyro échangèrent un bref regard de connivence et le suivirent. Au sous-sol, Tyro appuya sur l'interrupteur et éclaira ainsi la totalité des couloirs. Ils marchèrent dans l'un d'entre eux et ne s'arrêtèrent qu'au moment où leurs yeux remarquèrent une porte à moitié ouverte, bloquée par un carton.

    -  C'est là, s'écria Nobu.


    Spontanément, il fonça à l'intérieur. Ses compagnons le talonnèrent de près. Tandis que le jeune garçon appela après son camarade d'enfance, Seiichi chercha l'interrupteur en tâtant le mur de l'étroite pièce. Lorsque la lumière fut, ils découvrirent tout un amoncellement de cartons ouverts et vides autour d'eux.


    - Il doit s'agir d'un vieux cagibi, présuma le jeune ninja.


    - Retournons dans le couloir, suggéra Nobu.


    Brusquement, tous deux entendirent un claquement émanant de l'entrée du cagibi. Ils pivotèrent rapidement et aperçurent la porte qui venait de se refermer avec Tyro à côté. Nobu fut le premier à réagir en accourant à sa hauteur et en examinant le seul accès du local.


    - Tyro, qu'as-tu fait ? se lamenta t-il catastrophé.


    - J'ai rien fait mal. Je me suis pris les pieds dans un carton trainant près de l'entrée. Pour éviter qu'un de nous se prenne dedans encore une fois, je l'ai retiré. On ne pense vraiment à moi que comme un fauteur de troubles !


    - En quoi tout cela est un problème ? s'enquit Seiichi en s'approchant de ses amis.


    - Ca veut dire qu'on est prisonniers de cet endroit, révéla gravement Nobu.


    - Arrête de te foutre de nous ! Je sors quand je veux !


    Nullement impressionné par les dires du jeune garçon, Tyro fanfaronna et compta bien montrer qu'il n'était pas aussi stupide que l'on le disait. Le jeune homme voulut tirer la poignée de la porte mais réalisa qu'aucun système d'ouverture ni de fermeture n'équipait celle-ci. Le garçon perdit immédiatement de sa superbe et demanda beaucoup plus calmement des informations.


    - C'est quoi ce truc ?


    - Ce truc, c'est probablement une porte sécurisée, expliqua Nobu. Ca s'ouvre que de l'extérieur. C'est plus efficace qu'un simple verrou puisqu'elle se verrouille automatiquement à l'instant où la porte est fermée.


    Tyro pâlit affreusement de cette nouvelle. Seiichi ne dit rien et ne montra aucune réaction. Par contre, il balaya du regard l'ensemble de la pièce et le pivota vers une petite bouche d'aération située à trois mètres du sol.


    - Il y a une autre sortie, dit-il avec son habituel sarcasme. Un de vous a appris à voler récemment ?


    - Calme-toi, Seiichi ! Y a une solution à tout, s'exclama Tyro.


    Son ami essayait de parler très décontracté et de paraître à l'aise mais cela se remarquait que le garçon ne l'était pas du tout. Pour sa défense, il fallait préciser que le regard lancé par les yeux bleus océan de l'adolescent aux cheveux ébènes n'aidait pas à le détendre.


    - Appelons avec nos portables, reprit-il.


    - J'ai pas le mien, avoua Nobu ennuyé. Comme je ne voulais pas être dérangé aujourd'hui par mes potes du collège, je l'ai laissé dans ma chambre.


    - Et je parie que Tyro l'a oublié, décréta Seiichi avec impassibilité.


    Très nerveux, l'adolescent se mit en devoir de rechercher ce précieux objet. Il chercha longuement dans la moindre de ses poches de son jean, de sa veste et de son anorak. Au fur et à mesure de son inspection, son visage pâlit davantage.


    - Je crois que j'ai dû le laisser dans ma chambre …


    - Il n'y a même pas de suspense avec Tyro, soupira Seiichi.

    ***

     

    En vérité, Tyro ne possédait pas tous les torts dans cette sombre histoire. Quelqu'un était bien descendu dans le sous-sol du lycée. Dans le début d'après-midi, Raphael avait été déposé par la limousine de sa mère devant le portail, soi-disant pour cette petite fête inventée pour se débarrasser des hypocrites scrupules maternels à le laisser seul. L'adolescent s'était rendu au gymnastique et avait pratiqué des exercices d'étirement de ses muscles pendant une heure approximativement. Il avait ensuite ressenti les effets de la faim.


    N'ayant que très peu mangé à midi et venant d'utiliser de l'énergie, il se décida à la renouveler. Le jeune homme avait quitté le gymnase, avait gagné le réfectoire et descendu par la trappe. En se souvenant des longues explications de Shintarou, l'adolescent avait facilement trouvé la cuisine. En son for intérieur, Raphael pensa que son ami était un ventre sur pattes une fois de plus. Il se fit quelques tartines de jambon et de fromage.


    Après ce frugal repas, Raphael remonta dans le couloir du bâtiment de vie scolaire sans jamais penser que des personnes étaient enfermées si près de lui. Le jeune homme s'apprêta à pousser la porte de la bibliothèque quand il entendit un bruit sourd en provenance de l'étage supérieur.


    Immédiatement, l'adolescent accourut, monta rapidement l'escalier menant à l'internat et arriva au dortoir des garçons. Il se demanda d'où pouvait venir le bruit et circula dans les couloirs jusqu'au moment où il remarqua une lueur émanant de l'un d'entre eux. Ses pas se précipitèrent vers cette direction.


    En passant le seuil de la porte de cette chambre, il se retrouva dans celle de Rentarou. Celui-ci compulsait apparemment un livre mais le renferma en vitesse en apercevant son visiteur et le fourra sous ses couvertures avant de s'asseoir sur le bord du lit.


    - Que fais-tu ici, Raphael-san ?


    - Rien d'important, éluda le jeune homme. Et toi ? Tu n'es pas rentré dans ta famille ?


    - Je n'ai pas de famille, dit douloureusement Rentarou. Je passe toute l'année ici.


    - Désolé, murmura t-il.


    Le jeune français n'ajouta rien de plus. Il s'approcha de la fenêtre et regarda le blanc paysage au travers. Son esprit ne cessa de se tourmenter au sujet de la famille.


    - Moi aussi.


    Tournant la tête vers son compagnon, Rentarou ne comprit pas le sens de cette déclaration mais chercha à la connaître.


    - Moi aussi. Je n'ai pas de famille.


    - Ne dis pas n'importe quoi, répliqua Rentarou avec une agressivité peu coutumière. Tu es le fils de l'ambassadeur de France !


    - Je ne considère pas mes parents comme ma famille, avoua t-il avec froideur. L'unique raison pour laquelle je suis avec eux est parce qu'il n'y a plus personne pour s'occuper de moi. Quand je suis né, ils ne sont jamais occupés de moi. Ils ont trouvé aussitôt quelqu'un chez qui me placer et sont repartis à l'étranger dans leurs stupides voyages.


    Face à un aveu aussi terrible auquel il ne s'était pas attendu, Rentarou regretta immédiatement sa colère. Malgré sa réticence à évoquer le sujet, le lycéen géant se décida à le faire malgré tout.


    - Moi, c'est ma mère …. Enfin j'ai pas envie du tout d'en parler.


    Devant la fenêtre, Raphael sourit timidement et succinctement. Il se retourna et traversa la pièce pour s'asseoir sur l'unique chaise.


    - Ne te force pas.


    Les deux adolescents restèrent assis là de longs instants, sans jamais savoir combien de temps exactement cela avait pu durer, à méditer sur la condition de leur existence. Tous deux enviaient l'autre. Rentarou aurait bien aimé aimer profiter de la richesse d'un parent, même s'il n'aurait pas eu de sentiments amicaux pour lui, et enviait son sempai.


    Raphael jalousait aussi son camarade de sa condition sociale peu élevée. Quand sa grand-mère était décédée, il avait imaginé partir à l'aventure sur les routes de France et d'Europe en prenant soin de lui-même. La richesse de ses parents ne l'avait jamais intéressé. Le jeune homme la dénigrait totalement même si elle présentait parfois des avantages.


    Malgré le fait que les deux orphelins se trouvaient dans la même pièce, à moins d'un mètre de distance, ils se demeuraient encore très éloignés l'un de l'autre.


    - Rentarou ! Tu es là ?


    Perdus dans leurs réflexions intérieures profondes, les deux adolescents relevèrent la tête. Ils aperçurent alors un rouquin de petite taille qu'ils connaissaient très bien.


    - Shin ? Que fais-tu là ? questionna Rentarou.


    - Mon avion n'est toujours pas parti à cause des récentes chutes de neige sur Hokkaido. Comme j'en ai marre de rester à l'aéroport, je suis revenu ici.


    - Ca veut dire que tu ne passeras pas Noël avec ta famille, dit Raphael en refoulant la tristesse qu'il ressentait pour son ami.


    - Ce n'est pas grave ! On va bien s'amuser quand même !


    - Eh ?


    - Vous savez, il existe plusieurs types de familles, reprit le jovial rouquin. Il y a d'abord celle que tu as eu par ta naissance dont tu n'as pas eu le choix et que tu peux aimer ou non. Ensuite il y a celle que tu formes avec tes amis. Alors puisque ce soir, nous sommes seuls tous les trois faisons une fête de Noël en tant que cette seconde famille !

    ***



    En ce début de vacances d'hier, Kou s'était levé assez tard ce matin, récupérant de cette manière le sommeil dont il avait manqué lors de ces dernières semaines en raison des cours et des révisions. Après le déjeuner en famille, l'adolescent était retourné dans sa chambre pour lire. Sa jeune sœur l'y avait suivi et s'affairait devant sa coiffeuse.


    Allongé à plat ventre sur l'édredon de son lit, près de la fenêtre, il ne demandait rien à personne, sauf de le laisser tranquille, lorsque celle-ci se retourna et lui adressa la parole.


    - Fukuda, que fais-tu ce soir ?


    En entendant la fillette lui parler de son timbre toujours si sec et autoritaire, Kou dressa la tête et ne se montra pas surpris d'être appelé par son nom de famille par sa propre sœur. Il vivait dans cet appartement depuis dix mois maintenant et elle continuait à l'appeler ainsi. Devant leur mère et son père, Yuki se contentait de dire l'étranger ou l'intrus. Souvent, elle utilisait un pronom personnel pour le désigner.


    Un tel traitement aurait scandalisé plus d'une personne. Beaucoup auraient hurlé et aurait exigé davantage de respect. Pas Kou. Depuis sa naissance, il avait l'habitude d'essuyer toutes sortes de réflexions désagréables et d'insultes. L'adolescent était si accoutumé à entendre des paroles méchantes et blessantes que cela glissait. Il lui arrivait de se comparer avec le paillasson devant la porte de l'appartement sur lequel les gens essuyaient les saletés de leurs chaussures.


    - Je vais sans doute rester ici, dit-il d'une voix monocorde.


    - Je vois. Dans ce cas, tu diras à ma mère que je passe la nuit chez Ayako-chan, compris ?


    - Ce n'est pas vrai ?


    Excédée, la petite fille posa ses mains sur ses hanches et regarda son frère de travers.


    - Évidemment ! C'est Noël aujourd'hui ! On va faire la fête avec des copines !


    - Oyaba et Eiji-san ne veulent pas que tu sortes après six heures du soir, rappela Kou soucieux.
    Haussant les épaules, elle foudroya davantage l'adolescent en face d'elle.


    - Tu comptes me dénoncer ?


    Kou secoua négativement la tête en guise de réponse. Il n'était pas assez stupide pour déclencher l'ire de sa petite sœur. Elle ne supportait ni sa présence dans son appartement ni son existence, et surtout elle détestait le fait de devoir partager sa chambre. La petite fille lui causait assez de problèmes en temps normal pour en créer de nouveaux.


    Pendant que Yuki terminait de se préparer, le jeune homme se souvenait des paroles qu'elle avait dite. Aujourd'hui c'était Noël. Instantanément, il pensa à un de ses amis pour qui la journée représentait une date importante. Lorsqu'ils étaient encore à l'école élémentaire, le jeune homme avait entendu son récit de ses vacances d'hiver. Par hasard. Il avait été puni par son institutrice et avait dû sortir dans le couloir. Il avait alors écouté le cours de la classe en face de la sienne. Kou se souvenait encore très clairement d'entendre ce petit garçon raconter longuement la journée de Noël.
    Pensif, l'adolescent se laissa retomber contre son lit. Il se demanda ce que cette personne faisait en ce moment. A sa connaissance, celle-ci ne devait pas être en train de s'amuser. Il la devinait plutôt en train de ruminer ses souvenirs quelque part dans son coin. Depuis leur enfance, ce garçon agissait toujours de la même manière.


    Quand ils étaient de très jeunes enfants, quand il se comportait comme un idiot sans cervelle, Kou se rappelait de son attitude de Rentarou. Il ne se plaignait jamais des coups et des humiliations subies. Il ne bronchait jamais. Il ne pleurait jamais. Par contre, il partait et personne ne parvenait jamais à le retrouver. Ni les institutrices ni Matsuda Katsuo ne réussissaient à mettre la main dessus.

    En sachant tout cela, Kou songea ne pas avoir le droit de rester assis là sans rien faire pour son ami. Il se redressa, prit son téléphone cellulaire sur sa table de chevet et composa un numéro contenu dans son répertoire.


    - Taka-chan ? fit-il quand il obtint une réponse.


    A l'autre bout, son meilleur ami le salua et commença à lui parler de ses vacances. Cependant Kou le coupa rapidement pour changer de sujet de conversation. Il lui rapporta son inquiétude à propos de Rentarou et indiqua son intention de passer la soirée avec leur camarade.


    - Qu'en penses-tu, Taka-chan ? Ce serait sympa, non ? Un truc juste tous les trois.


    Il écouta la réponse de son ami. Selon ses prédictions, il ne voulait pas venir car son absence risquait d'inquiéter ses parents. Kou le comprenait. Malgré tout, cela le peinait mais n'en dit rien.


    - Tu es sûr de toi ?


    Dans le téléphone, celui-ci lui confirma timidement sa réponse s'en excusa même. Kou le salua, raccrocha et déposa l'appareil devant lui sur le lit.


    Une main posée contre la tempe droite de sa tête, Kou réfléchissai et se demandait si Rentarou apprécierait de le voir ce soir. Il n'y aurait que lui, uniquement lui. C'était peut-être un peu risqué. Cependant en n'y allant pas, Rentarou serait certainement tout seul. L'adolescent ne cessait d'hésiter entre les deux possibilités ne sachant quel était le bon choix à faire.


    Finalement le jeune homme se leva de son lit et se décida à sortir. En posant sa main sur la cliche de la porte avant de sortir, il tourna la tête vers sa petite sœur :


    - Je sors, Yuki. Je vais surement rentrer tard.


    - Tu peux aussi ne plus rentrer, Fukuda, tu sais. Ca m'arrangerait bien, lui lança t-elle.


    - Je ne compte pas partir si vite.


    Sur ce, Kou quitta la chambre et alla prévenir sa mère qu'il sortait pour la soirée. Le jeune homme se dirigea ensuite vers le vestibule et enfila son manteau avant de sortir.

    ***



    Depuis sa descente du train, Takaishi était heureux et satisfait d'avoir retrouvé ses parents en début de semaine. Pour fêter son retour, sa mère lui avait préparé tous les plats qu'il adorait. En réalité, ils l'aimaient tellement que sa mère prenait grand soin à ne pas lui servir un aliment dont son fils n'appréciait pas le goût. Ceux-ci lui avaient aussi enregistrés tous les matches de base-ball qu'il avait manqué au cours de ce second trimestre et Takaishi avait passé toute la semaine à les visionner.


    Par rapport à son appartement et à son quartier, le jeune homme comparait son lycée à un hôtel de luxe. Cependant il se fichait bien du manque de place. Ses parents en faisaient déjà bien assez pour lui. Sans nul doute, l'appartement était très petit. Il ne comportait que deux pièces, trois si on prenait en compte sa chambre. Les deux premières se trouvaient être la cuisine, le principal lieu de vie de la famille, et le salon, où ses parents dormaient sur le canapé qui se dépliait le soir et où Takaishi regardait la télévision sur un très vieux poste.


    Quant à sa chambre, c'était un placard. Ce n'était pas une exagération. A l'origine, cette pièce avait été conçu pour en être un. Ses parents l'avaient alors aménagé pour en faire un meilleur cadre de vie pour leur enfant. Dedans était contenu un lit vert en mezzanine. Dessous s'organisaient les possessions du jeune homme derrière un long rideau noir pour dissimuler son intimité. Sur le côté gauche, il avait placé son armoire où était rangé ses vêtements. Au milieu, un coffre où il conservait des jouets de son enfance. Et sur le côté droit se tenait le bureau.


    Le matin de Noël, Takaishi se leva de bonne heure. Alors qu'il peinait toujours pour se réveiller en période scolaire, l'adolescent ne souffrait pas de ce défaut en vacances.


    Avant de prendre son petit-déjeuner, il se rendit derrière le rideau et s'assit à son bureau. Les mains jointes l'une sur l'autre, l'adolescent commença sa prière. Très pieux, Takaishi croyait en les Dieux et en l'existence d'une autre vie après la mort.


    En revenant dans sa chambre, il se remit à son bureau et se mit en devoir d'étudier. Le jeune homme révisa une leçon pas très bien comprise.


    Malgré le fait que ses parents faisaient tout pour lui rendre la vie agréable et plaisante, Takaishi veillait à respecter les traditions japonaises. Dans la société nippone, il était d'usage que le fils aîné soit celui qui s'occupe de ses parents quand ceux-ci seraient en âge de ne plus pouvoir travailler. Pour cette raison, une pression plus importante s'exerçait sur ces enfants. Takaishi ne l'avait jamais subi. Au contraire. Ils lui avaient proposé souvent de ne pas faire trop d'efforts dans ses études et de profiter de sa jeunesse. Il se mettait lui-même la pression de réussir en voulant rendre ses parents très fiers de lui. A cause de son désir de devenir un simple pâtissier, avant d'entrer en apprentissage, le jeune homme souhaitait sortir d'un lycée qui possédait une excellente réputation avec de bons résultats.


    Également il possédait une seconde raison de se mettre autant la pression. Quinze ans plus tôt, le jeune homme avait eu un grand frère. Cependant celui-ci était atteint d'un cancer. Comme lui-même en avait souffert ce qui avait causé la perte de sa chevelure brune. Pour essayer de le sauver, ses parents avaient fait un second enfant en espérant que celui-ci ne soit pas malade lui non plus et pourrait soigner le premier. Malheureusement, son aîné était décédé peu après son troisième anniversaire, quatre mois avant que son cadet ne vienne au monde.


    Pour son grand frère disparu trop tôt, Takaishi souhaitait être capable de répondre aux différents rêves que celui-ci aurait pu émettre s'il avait eu la chance de vivre. Le jeune homme s'interrogeait souvent sur la mort et se demandait pourquoi il n'était pas décédé lui aussi de cette maladie. Les Dieux avaient-ils prévus quelque chose de spécial pour lui ? Il ne s'expliquait pas ce miracle mais remerciait chaque jour le ciel de l'avoir guéri.


    Dans l'après-midi, alors qu'il refaisait une dissertation de Géographie à laquelle le jeune homme avait eu une mauvaise note, son téléphone cellulaire sonna. L'adolescent tendit le bras pour l'attraper et répondit. Un sourire illumina son visage en entendant la voix de son meilleur ami.


    - Salut Kou-kun ! Comment tu vas ?


    Enchanté de pouvoir communiquer avec son ami, il commença à lui décrire son quotidien et voulut lui parler du dernier match des Giants de Yokohama, son équipe japonaise favorite de base-ball, vu en début de semaine quand son interlocuteur le coupa. Celui-ci préféra lui évoquer le sort solitaire de Rentarou. Takaishi se sentit navré pour leur ami géant mais ne sut pas quoi dire pour consoler Kou de sa peine. Il n'eut pas le temps de dire grand chose. Son correspondant lui proposa de venir sur Tokyo afin de passer la soirée avec Rentarou et lui.


    D'un point de vue strictement personnel, Takaishi aurait adoré s'y rendre. Passer du temps avec ses amis était la chose qu'il préférait. Cependant le jeune homme craignait de délaisser ses parents. Ceux-ci se réjouissaient de le revoir au terme de trois longs mois d'absence. Il ne voulait pas leur causer de peine. Naturellement, ils ne lui disaient rien mais l'adolescent devinait leur tristesse.
    - Je ne peux pas, Kou-kun. Je dois rester avec mes parents.


    Le jeune homme regretta de prononcer ces mots. Il confirma sa réponse puis salua son ami. En lui-même, Takaishi se reprocha de le laisser tomber. Entre une soirée d'amusements et une où il irait se coucher tôt, l'adolescent préférait de loin la première proposition.


    Enfouissant sa tête dans ses mains, Takaishi ne savait plus quoi penser. Il voulait y aller mais ne souhaitait ni inquiéter ses parents ni les attrister. Le jeune homme ne pouvait plus savoir quelle décision était la bonne. Devait-il écouter son cœur ou sa raison ? Son cœur lui criait «cours !» et sa raison «Reste !». Tout s'embrouillait dans son esprit et il ne parvenait pas à démêler quoique ce soit.


    L'adolescent était si plongé dans ses pensées que ses oreilles n'entendirent pas sa mère frapper à sa porte. Celle-ci ouvrit et passa sous le rideau en tenant une pile de linge soigneusement plié. Elle s'apprêta à le ranger dans l'armoire et remarqua l'attitude contrariée de son fils. La femme s'arrêta immédiatement, posa son linge sur le coffre et s'approcha.


    - Taka-chan, ça ne va pas ? demanda t-elle inquiète.


    En entendant la voix de sa mère, le garçon se redressa vivement et se tourna en sa direction.


    - Je vais bien, mama, assura t-il. Ne t'en fais pas.


    Soucieuse du bien-être de son enfant, la mère jeta un œil sur les feuilles noircies de son écritures comportant plusieurs ratures. Son regard se désola.


    - Tu sais, Taka-chan, c'est le jour de Noël aujourd'hui.


    - Et alors ? Nous sommes japonais. Ce n'est pas une fête pour nous.


    - Je sais. Cependant au Japon, elle a un sens pour les jeunes et les amoureux. La plupart des ados, Taka-chan, sortent avec leurs copains.


    Cette phrase rappela son dilemme au jeune homme qui ne sut s'empêcher de faire la moue. Cela n'échappa pas à sa mère.


    - Pourquoi ne sors-tu donc pas toi aussi ? Tu ne vas pas rester dans cet appartement toutes tes vacances, non ? Tu dois aussi t'amuser.


    Surpris, Takaishi contempla sa mère longuement en silence. Sa tête se leva en sa direction puis se baissa. Il murmura ensuite très bas :


    - C'est vraiment bien que je sorte ?


    - Bien sur, lui sourit-elle. Alors que vas-tu faire ?


    ***

     

    Pendant ce temps, au lycée, Rentarou, Raphael et Shintarou étaient descendus au réfectoire. Puisque tout l'établissement leur appartenait actuellement, ils comptaient en profiter. A un moment, Rentarou s'était isolé, prétextant aller aux toilettes, et avait appelé ses deux meilleurs amis. Il culpabilisait fort de leur avoir menti et encore plus de s'amuser sans eux. Le lycéen géant s'était excusé de leur avoir menti sur le répondeur du téléphone de Tyro et proposer de le rejoindre. Cependant il craignit que le propriétaire de cet appareil ne soit pas en possession de son bien.


    Les trois adolescents s'amusèrent à jouer aux cartes. Shintarou fit aussi rire ses deux camarades en réalisant toutes sortes de pirouettes et acrobaties impossibles que seules sons agilité et sa souplesse hors du commun lui permettaient de faire.


    Au beau milieu de ces réjouissances, Kou surgit à l'entrée de la salle. Celui-ci parut très surpris. Il s'était imaginé se rendre à la chambre de son ami mais avait vu de la lumière émanant du réfectoire. En l'apercevant, le trio alla à sa rencontre.


    - Fukuda, que fais-tu ici ? demanda Raphael.


    - Ca commence à faire du monde pour un endroit désert, rigola Shintarou.


    - Je pensais que tu étais seul, Rentarou, alors je voulais te tenir compagnie.


    Légèrement gêné, Kou parla d'une voix faible et mal assurée. Etrangement, son visage avait pris la même teinte que le chandail de Rentarou. Ce dernier fut touché par la sollicitude son ami d'enfance, et surtout ex-ennemi. Il le remercia chaleureusement et le convia à leur petite fête improvisée.
    D'ailleurs, le jeune homme n'était pas venu les mains vides. Sur le chemin, il s'était arrêté dans un combinience store et avait acheté suffisament de paquets de chips, de bonbons et de sodas pour faire déborder son sac à dos et empêcher sa fermeture. Il mit à disposition de bon cœur ses victuailles avec ses camarades.


    Pendant qu'ils dévoraient ces quelques provisions, Takaishi survint. Il s'approcha timidement de ses amis. En le voyant, Kou se leva et alla à sa rencontre, très excité.


    - Taka-chan ! Tu es venu finalement !


    - Oui, je suis désolé d'être en retard.


    - Pas de problème, assura son meilleur ami en levant son bras pour poser ensuite sa main sur son épaule. C'est chouette de voir la bande au complet !


    En s'avançant vers le reste du groupe qui le salua jovialement. Il détailla les différents visages et repéra immédiatement que deux manquaient à l'appel.


    - Seiichi-kun et Tyro ne sont pas là ?


    - Je ne peux pas les joindre, dit Rentarou en dissimulant son amertume et son regret.


    - Tant pis pour eux, claironna Shintarou. On s'amusera sans eux !


    - Dis, Taka-chan, fit Kou, si tu cuisinais pour nous ? Ce serait encore mieux que des chips !


    - Je ne suis pas assez doué pour ça, répliqua le jeune homme avec embarras.


    - Ca ne peut pas être pire que Rentarou ou Raphael, déclara le malicieux rouquin.


    - Je n'ai jamais cuisiné de ma vie, rappela le jeune français en donnant une bourrade du coude droit dans le bras de son ami.


    - Personnellement, si on me demande mon avis, je préfère manger quelque chose de cuisiné plutôt que des chips, intervint Rentarou. C'est beaucoup plus sain.


    - C'est très bon les chips pourtant, protesta Shintarou.


    - Certes, le goût est agréable. Cependant cela n'apporte aucune qualité nutritive. Bien au contraire.
    - Et ton meilleur ami s'en goinfre, rappela t-il.


    - Seiichi peut n'importe quoi sans prendre un gramme superflu, soupira le lycéen géant.


    Ce constat était la vérité même. Depuis un peu plus de trois mois, l'adolescent aux cheveux ébènes avait finalement atteint un poids normal pour son âge et sa taille. L'infirmière l'avait alors mis en garde de surveiller son alimentation à présent afin de ne pas grossir au point de devenir obèse. Le jeune ninja avait écouté poliment ces conseils mais n'avait pas obéi. Il avait continué à manger un repas pour trois personnes et des tas de produits non diététiques sans prendre un seul kilo de plus ce qui enchantait Haruko de constater que son patient se raisonnait aussi bien. En entendant ce commentaire la première fois, Rentarou n'avait pas su se retenir d'éclater de rire en pensant aux six pâtisseries que son meilleur ami avait englouti avant d'aller à l'infirmerie.


    Finalement Takaishi céda à la requête de ses camarades. Ils descendirent ensemble dans le sous-sol pour se rendre à la cuisine. En parcourant les couloirs souterrains, la bande entendit de curieux bruits très sourds répétés, comme si on frappait sur une paroi.


    - Qu'est-ce que c'est ? demanda Kou.


    - On ne peut pas savoir à distance, dit Raphael. Allons voir.


    - Mais ça peut être dangereux, protesta Takaishi.


    - La seule entrée, c'est la trappe du réfectoire. Si quelqu'un était entré, nous l'aurions forcément vus. Il doit s'agir d'un truc tombé quelque part ou quelque chose comme ça.


    - Rentarou a raison, approuva Shintarou. Allez ! On y va !


    Les cinq adolescents s'élancèrent ainsi à l'écoute des bruits. Rentarou, Raphael et Shintarou avancèrent en tête, observant autour d'eux très attentivement. Ils finirent par arriver devant une porte d'où retentissait ces bruits mais surtout derrière laquelle on entendait des voix qu'ils reconnurent tous.


    - Seiichi, arrête un peu ! Tu ne peux pas défoncer cette porte, même avec tes talents de ninja !


    - Tu préfères rester là ? Je te signale que les vacances d'hiver durent quinze jours. Moi, je peux tenir autant sans manger. Par contre, toi, je ne pense pas.


    - S'il te plaît, ne me fais pas penser à ça …


    - De plus, cela me fait du bien de frapper quelque chose. Cela me permet de me défouler les nerfs et d'oublier que tu es assez bête pour oublier ton portable !


    Se tenant debout devant la porte, Rentarou écouta la conversation de ses deux meilleurs amis en arquant d'un sourcil. Sa toute première impression fut d'abord d'être très touché par leur intention de venu vérifier s'il allait bien pour cette soirée si spéciale pour lui. Cependant le lycéen géant se demanda ensuite comment leur trio se débrouillait pour attirer les ennuis chaque fois qu'ils allaient quelque part. Il ne savait ce qui était arrivé mais présumait que Tyro avait trouvé le moyen de les mener ici. Cela se passait toujours de la même manière.


    Sa grosse main finit par appuyer sur le bouton rouge de la porte et celle-ci s'ouvrit automatiquement et rapidement. Aussitôt Nobu accourut et se blottit contre ses jambes. Surpris, Rentarou n'avait pas imaginé le trouver là lui aussi mais le salua. Il ne lui dit aucune remarque sur son étrange accoutrement qui ne l'étonna pas le moins du monde. Le jeune colosse avait appris depuis longtemps à ne pas s'étonner de l'étrange comportement de Nobu.


    - Vous comptez vraiment rester là jusqu'à la rentrée ? fit-il en entrant. Si c'est ça, je vais fermer.


    En entendant ceci, les deux compères cessèrent instantanément de se disputer et se tournèrent pour découvrir avec une joie non dissimulée leur meilleur ami.


    - Rentarou ! Enfin !


    - Tu vois que j'avais raison de m'acharner, rétorqua Seiichi avec malice.


    L'adolescent aux cheveux de jais ne sut pas quoi commencer. Il voulut les remercier d'être venus pour lui mais souhaita aussi s'excuser de leur avoir raconté un mensonge. Devinant son trouble, Seiichi le devança :


    - Apparemment tu t'es trompé de jour pour ce que tu avais prévu avec Nobu-kun. Tu devrais faire attention. Si tu continues, tu vas devenir aussi stupide que Tyro.


    Rentarou comprit la tactique du jeune ninja. Il faisait semblant de croire que son ami s'était mélangé dans les dates de ses rendez-vous pour le déculpabiliser de son mensonge. Cependant le lycéen géant se refusa à terminer cette histoire de cette manière.


    - Non, c'est pas ça. J'ai menti. Je n'ai jamais eu de rendez-vous prévu avec Nobu-kun. En vérité, je n'avais pas envie de sortir aujourd'hui mais je n'avais pas envie d'en parler. Parler de Noël, ça me fait vraiment très mal.


    - On le savait déjà ça, s'exclama Tyro. On peut y aller ? Je deviens craudophobe là dedans !


    - Tu veux dire claustrophobe, corrigea machinalement Seiichi.


    Sur ce, ils commencèrent à sortir du cagibi, qui fut pendant plusieurs heures une prison pour trois jeunes japonais, et rejoignirent ensuite le reste de la bande qui salivait devant les préparatifs culinaires de Takaishi. La petite fête improvisée se termina tard durant laquelle le groupe mangea des gâteaux, rit beaucoup et joua aux cartes.


    Lorsqu'ils décidèrent de monter se coucher car leurs paupières ne pouvaient plus rester ouvertes, les adolescents montèrent au premier étage. Ceux qui étaient internes gagnèrent leur chambre tandis que les autres en prirent une temporairement inoccupée.


    Avant de se mettre au lit, Rentarou marcha jusqu'à sa fenêtre et observa le ciel obscur. Ses yeux cherchèrent des étoiles. Lorsqu'il en repéra une, son regard fixa avec attention et refit le rituel de son enfance lors de la nuit sainte de Noël.


    Les mains jointes l'une contre l'autre, ses yeux ne cessèrent de regarder l'étoile et murmura doucement :


    - Merci petit Jésus. C'est le plus beau cadeau que j'ai jamais eu.

     

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