• Chapitre 29


    Jamais Rentarou n'avait éprouvé autant de plaisir que lors de ce huitième mois de cette année 2050 depuis cette difficile séparation avec sa mère. Petit garçon, il s'amusait beaucoup pendant les vacances et ne s'ennuyait jamais. Malheureusement, depuis le jour de ses huit ans, l'enfant n'avait connu que des déboires l'obligeant à survivre comme il le pouvait dans ce sinistre monde. Au cours de ces tristes années de solitude, il avait oublié les rires, les sourires et les jeux. Tout comme le plaisir simple de passer un moment, même très court, avec une personne que l'on appréciait.


    C'était comme si le gamin des rues insolent et prétentieux qu'il était autrefois était mort pour renaître en un garçon plus équilibré et prêt à apprécier chaque moment de son existence.
    La liberté de choisir son propre emploi du temps de la journée se révélait être la chose la plus merveilleuse qui soit, à ses yeux.


    Malgré tout, ses journées se ressemblaient presque toutes. Le matin, Rentarou se réveillait vers huit heures, soit deux heures plus tard qu'en période scolaire. Comme Seiichi s'occupait de choses dont il ne voulait pas parler et que Tyro dormait au moins jusqu'au déjeuner, il se retrouvait toujours seul toute la matinée.


    Néanmoins, le lycéen géant ne s'ennuyait pas du tout. Il prenait son temps pour prendre son petit-déjeuner et se laver puis partait s'entrainer au tennis. Certes, le tournoi préfectoral était passé et l'adolescent ne possédait plus d'objectif officiel à atteindre. Malgré tout, il y en avait un qu'il visait désespérément. Rentarou n'osait pas encore l'avouer à ses amis. Il existait un match qu'il attendait avec plus d'impatience que celui qui l'avait confronté à Kimura, le buchou de Saint-Christophe.


    Lorsqu'il avait dit le premier jour à Seiichi qu'il s'entrainait encore au tennis, celui-ci avait soupiré. Le jeune ninja avait ensuite déclaré que Rentarou était encore plus obsédé par ce sport que Tyro.


    Peut-être n'avait-il pas tort. Le jeune colosse adorait tellement jouer au tennis. Tenir sa raquette entre ses mains, détecter les failles de son adversaire, courir très vite à l'autre bout du terrain, trouver rapidement une parade à une tactique redoutable, dépasser ses limites …. Pour toutes ces raisons, le jeune homme se passionnait pour ce sport qui procurait de telles sensations enivrantes !


    Toutefois, ses vacances se tournaient pas seulement autour du tennis. Les après-midis, il rejoignait Seiichi et Tyro en ville. En premier, l'adolescent aux cheveux ébènes se moquait de celui à la chevelure aux longues et multiples piques. Le plus souvent, il lui disait que celui-ci avait encore des crottes dans les yeux. Parfois, l'affirmation se révélait fondée mais Rentarou possédait trop de diplomatie pour le confirmer. Ainsi Tyro s'énervait pour se défendre. Jouant les arbitres, le lycéen géant interrompait ces enfantillages en proposant une activité.


    En y réfléchissant à tête reposée, il qualifiait un tel comportement d'immature. Tous trois donnaient l'impression de n'être pas plus évolués que des écoliers. En même temps, Rentarou appréciait aussi cette insouciance. C'était agréable aussi de cesser d'adapter ses attitudes en public pour ne gêner personne et d'agir selon sa convenance.


    Après la dispute de salutation, le trio consacrait généralement leur après-midi à toutes sortes d'activités possibles. La plupart du temps, ils se rendaient aux arcades de jeux vidéos.

     

    Chaque fois, Rentarou préférait les jeux individuels et de patience, comme le Tetris. Soit des jeux très peu prisés des adolescents et des enfants moyens. Tyro passait des heures à s'amuser grâce à un jeu qui permettait de participer à sa propre partie à l'aide d'un casque posé sur la tête qui projetait à ses yeux et oreilles les informations du monde virtuel dans lequel son personnage évoluait. Il rêvait tellement de posséder chez lui une pareille console qui était la toute dernière nouveauté dans l'industrie du jeu de ces deux dernières décennies. Enfin Seiichi se plaisait à s'amuser sur n'importe quel jeu et contre n'importe quel adversaire, surtout s'il s'agissait de Tyro pour l'ennuyer longtemps à la fin de la partie si celui-ci avait le malheur de perdre.


    Après les arcades, ils allaient presque toujours manger des hamburgers au fastfood le plus proche. Du moins, s'il leur restait encore de l'argent, bien sur. Après cet intermède, les Sanonis retournaient à la maison de Tyro où la mère du jeune homme invitait presque toujours les deux amis de son fils cadet à diner avec eux.


    Quand ils ne se rendaient pas aux arcades, ils allaient au cinéma. Parfois, les garçons ne faisaient rien du tout et se contentaient de rester assis quelque part sur le campus de leur lycée. Ils parlaient, plaisantaient et se détendaient, en toute simplicité.


    Un matin, le sixième jour des vacances d'été, Rentarou se leva et ouvrit ses rideaux. Il fronça les sourcils en apercevant la pluie tomber par la fenêtre.


    Les yeux rivés vers les nuages sombres qui ne paraissaient vouloir s'éloigner, il se demanda pourquoi la pluie avait décidé de s'abattre aujourd'hui. Techniquement, l'été au Japon se devait être chaud. Le soleil brillait tous les jours. D'ailleurs, les gens dans les rues se plaignaient de suffoquer. La période estivale ne s'achèvait pas pas avant le mois de Août.

     

    Alors pourquoi ?


    La mine un peu boudeuse, Rentarou descendit prendre son petit-déjeuner. Il rejoignit Seiichi et Yoko qui mangeaient tous deux à la même table. Comme à l'accoutumée, la jeune fille tenait un livre d'une main et ses baguettes de l'autre.


    - Bonjour Rentarou, le salua Seiichi en le voyant s'approcher. Tu vas bien ?


    - Il pleut dehors, grommela t-il en guise de réponse.


    - Quel drame ! Une journée sans jouer au tennis, ironisa Seiichi malicieux.


    - Il n'y a pas que le tennis. Je déteste le froid et la pluie, se plaignit le lycéen géant.


    - Je trouve ça agréable une journée fraiche. Il a fait si chaud ces derniers temps, intervint Yoko.


    - Chaud ? fit Rentarou qui parut tomber des nues. Je trouvais que la température commençait seulement à être bonne depuis fin Juillet.


    - Est-ce une tentative d'humour ? interrogea Seiichi sceptique.


    - Pourquoi ça ? C'est génial la chaleur, reprit Rentarou. Je me sens beaucoup mieux quand le soleil brille plutôt que sous la pluie ou la neige.


    - Comme Superman, il tire son énergie du soleil alors, conclut Yoko en tournant une page.


    - Superman ? C'est qui ? s'enquit Rentarou curieux.


    - Un personnage de comics et de films né dans la seconde partie du XX siècle mais qui reste encore très populaire de nos jours, expliqua Seiichi qui ne relevait même plus le manque de culture populaire de son ami.


    Personne n'ajouta rien de plus. Yoko poursuivit sa lecture en avalant lentement quelques menues bouchées de riz. Seiichi engloutit plusieurs pâtisseries et Rentarou commença à ingurgiter son repas.


    - Je me demande quoi faire ce matin, songea t-il au milieu de son repas. Je n'ai pas grand chose pour m'occuper dans ma chambre.


    - Et si tu faisais tes devoirs ? suggéra Seiichi le plus sérieusement du monde.


    - Des devoirs ?


    D'abord stupéfait, l'adolescent pouffa de rire de la proposition totalement loufoque de son ami. Donner des devoirs à des étudiants en vacances ? Il ne manquait pas d'imagination celui-là !


    - Ne me la fais pas, Seiichi ! Je ne suis pas aussi stupide que tu le crois !


    - Ce n'est pas une blague, le contredit Yoko en relevant la tête. Pour ma part, mes professeurs m'ont donné énormément de devoirs à faire pour la rentrée.


    S'arrêtant brusquement de rire, Rentarou observa successivement ses deux camarades. Il n'était plus si sûr s'il s'agissait d'une plaisanterie ou non.


    - Sérieusement ? fit-il plus timidement.


    - Les professeurs ont donné au professeur titulaire de chaque classe les devoirs à réaliser pour les vacances. Et ce professeur titulaire nous a remis la liste de ces fameux devoirs avec la feuille des résultats des examens, ajouta Seiichi.


    - Oh non ! Je ne me suis pas allé chercher mes résultats moi, paniqua Rentarou.


    - Je l'ai fait. J'avais posé tes feuilles sur ton bureau, reprit Seiichi. Tu ne les as pas vu ?


    - J'ai pas touché à mon bureau depuis la veille des examens.


    - Satsuma-kun, tu es un vrai gamin, rit Yoko qui sembla beaucoup s'amuser de cette scène.


    - Pourquoi suis-je étonné ? soupira Seiichi. Si son bureau était toujours aussi bien rangé que le mien, il serait normal de remarquer un nouveau document mais ce n'est pas du tout le cas …


    - Ce n'est pas mal rangé. J'ai un système de rangement et de classement très différent de la normale mais il fonctionne très bien, tu sais.


    En prononçant cette tentative quelque peu désespérée, Rentarou espéra que ni Seichi ni Yoko n'approfondirait le sujet. En vérité, il savait que son bureau, sa chambre toute entière en fait, était très mal rangé. Le garçon passait entre deux et trois heures à rechercher le moindre document. Cependant il n'avait pas envie de leur avouer.


    - Les profs n'ont sûrement pas donné trop de devoirs, pas vrai ? se risqua t-il un peu inquiet de la réponse qui allait suivre.


    - Puisque les cours obligatoires sont les mêmes pour toutes les classes, je suppose que nous avons les mêmes devoirs, émit Yoko. Il y a une page complète de problèmes à faire sur les équations.


    - Pour les 1D, c'est dix pages, précisa Seiichi avec impassibilité.


    - Une chance pour moi, s'enchanta Yoko avant de poursuivre son énumération. Ensuite, il faut lire une des oeuvres de Monogatari no Genji de Murasaki Shikibu puis d'en faire un résumé d'au moins trois pages et une analyse complète de quatre pages minimum. En Géo, il y a un exposé à préparer sur un des états des États-Unis et une dissertation à écrire en Histoire sur la place du Japon dans le monde entre les deux guerres mondiales.


    - Il n'y a rien en Anglais ? demanda Rentarou qui ne croyait pas avoir cette chance.


    - Absolument rien, confirma Yoko.


    - Sauf que je comptais te faire travailler dessus, répliqua Seiichi.


    - Mais je me débrouille bien maintenant, protesta Rentarou.


    - Avec le faible niveau que tu as, si tu ne t'entraines pas davantage, tu retomberas fatalement à tes bas résultats de la rentrée, le sermonna Seiichi d'un ton très sévère.


    - Pourquoi on ne parle pas tous la même langue ? ronchonna l'adolescent. Ce serait plus simple !


    - Les langues sont très intéressantes et importantes, intervint Yoko. Communiquer ensemble avec n'importe qui est génial et découvrir un autre langage que le sien est toujours un plaisir.


    - J'approuve, ajouta Seiichi. J'aime écouter les sonorités des mots des autres langues et les comparer à celles du japonais. Cela donne des résultats intéressants.


    - Tu étudies aussi d'autres langues ? s'enquit Yoko quelque peu surprise.


    - J'ai appris l'anglais, l'espagnol, le chinois et le français dans ma petite enfance. Ma mère m'initiait en me parlant dans ces langues et je répondais dans une autre. C'était terriblement amusant.


    Bien qu'assis juste à côté de ces deux étudiants férus de langues, Rentarou éprouvait la désagréable impression de ne plus exister à leurs yeux. Tous deux étaient rentrés dans une conversation qui promettait d'être longue et ne souciaient plus du tout de lui. Il était convaincu que s'il se levait pour aller manger à l'autre bout de la salle, ceux-ci ne le remarqueraient même pas.


    Jaloux et agacé par son ami qui préférait parler à Yoko qu'avec lui, il se décida à interrompre leur discussion.


    - Je ne voudrais pas vous déranger, s'exclama t-il d'une voix faussement désolée, mais il y a encore d'autres devoirs de prévus à rendre pour la rentrée ?


    - Les matières optionnelles ne me concernent plus pour ma part, lui répondit Yoko en dirigeant son regard vers lui.


    - En Chimie, il y a un contrôle prévu pour la rentrée, dit Seiichi.


    - Que je dois te faire réviser, compléta Rentarou


    - En Bio, nous n'avons toujours pas de remplaçant donc pas de devoirs, reprit Seiichi. Ensuite si je me souviens, tu as une dissertation à rendre en Économie et étudier quelques articles du code pénal.


    - Tu te rajoutes beaucoup de boulot avec tes options, constata Yoko. Tu vas passer des heures à étudier tes articles de droits.


    Spontanément, Rentarou ouvrit la bouche et récita sans hésiter une seule fois ni faire de fautes :


    - Paragraphe 36 du code pénal : n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps un acte par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportions entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte.


    Devant le silence qui s'ensuivit, Rentarou, moqueur, insista :


    - Vous voulez que je dise la seconde partie ?


    - Ne me dis pas que tu sais le code pénal ? s'inquiéta Yoko.


    - Je n'avais rien à faire en attendant la rentrée après l'examen d'entrée au lycée. Alors j'ai lu le code pénal que possédait Yushima-sempai pour m'occuper et je lui demandais de m'expliquer quand je ne comprenais pas un passage.


    - Parler sept langues me paraît subitement moins impressionnant, se lamenta Yoko.


    - Rentarou, que vas-tu faire ce matin ? s'enquit Seiichi, désireux de changer de sujet pour ne pas froisser davantage leur compagne.


    - Je vais étudier dans ma chambre, je crois, répondit Rentarou évasivement.


    - Pour ma part, je terminerais de recopier mon devoir de Japonais, l'informa Seiichi. J'espère que Noda-sensei ne se fâchera pas. J'ai écrit seize pages. Ce n'est pas possible pour moi de condenser davantage. J'espère que cela suffira pour Noda-sensei.


    Ne s'étonnant même plus d'une telle réponse, Rentarou se demandait encore une pourquoi ses parents l'obligeaient à étudier dans une classe scientifique. Il était manifestement évident que Seiichi se trouvait être de tendance littéraire. D'après les propres dires de son meilleur ami, le jeune ninja avait lu la totalité des ouvrages classiques japonais, malgré les mots compliqués et les kanjis inconnus, quand il n'était qu'un simple écolier, et avait ensuite dévoré de nombreux livres occidentaux de tous les genres au collège. Il se plaisait également à lire et à relire sans cesse les oeuvres qu'il avait apprécié.

     

    Lorsque les trois adolescents se séparèrent, Rentarou remonta lentement au premier étage. La perspective de travailler sur des devoirs ne l'enchantait absolument pas.


    En se plantant devant son bureau, le décourgement l'envahit davantage. A en juger par l'imposant amoncellement de livres, cahiers et autres documents, l'adolescent se demanda s'il ne cherchait pas inconsciemment à créer une reproduction miniature de la Tour de Tokyo. Il se retourna et balaya le reste de sa chambre du regard.


    L'étagère tombée une dizaine de jours plus tôt restait désperement au sol. Les épais livres posés normalement dessus gisaient autour. Seul le rayonnage du haut demeurait intact et propre. Rien de plus normal puisque les trois plus belles photographies de sa mère et de sa petite sœur y étaient installées. Récemment, il avait complété cette collection avec une qui représentait ses meilleurs amis. Sur le parquet, le résultat se révélait catastrophique. Tous ses vêtements étaient abandonnés sur le sol. Il ne souvenait même plus de la dernière fois où il avait porté son linge à une ménagère. Cela expliquait aussi cette odeur peu accommodante qui émanait depuis quelques temps. Le garçon n'osa même pas compter le nombres de balles de tennis et de paquets de biscuits jonchant par terre.


    Poussant un profond soupir, il tourna la tête vers la photographie de sa mère posée sur la table de chevet en prenant l'air d'un écolier pris en faute :


    - On dirait que je dois ranger ma chambre, kaasan, hein ?


    Malgré un manque de motivation plus grand encore que celle destinée à son travail scolaire, il s'attela à cette tâche. D'abord, Rentarou tria son linge et le réunit en un grand tas. Il enveloppa le tout dans un ancien drap et le descendit rapidement à la lingerie. L'adolescent attendit que la ménagère travaillant actuellement à l'intérieur soit sortie pour déposer discrètement son lourd paquet.


    En remontant, il s'attaqua à ramasser les balles trainant un peu partout et les remisa dans un des tiroirs de sa commode. En même temps, Rentarou retira les papiers sales et les vieux paquets alimentaires vides pour les mettre dans sa corbeille. Il redressa ensuite son étagère et resserra le clips qui s'était détaché. Cela lui permit de repositionner dessus sa collection de livres de droits et d'affaires criminelles.


    A présent, il lui resta un dernier endroit à faire mais pas des moindres. Rentarou alla jusqu'à son bureau et tria en plusieurs piles les affaires accumulées dessus. Par la suite, il s'agenouilla et ouvrit le tiroir du bas pour y déposer ses manuels. Dans celui du milieu, l'adolescent entreposa tous ses cahiers et enfin en haut ses nombreuses fiches de révisions soigneusement séparées par des pochettes.


    Après un déjeuner partagé, comme au matin, avec Seiichi et Yoko, il remonta dans sa chambre pour se mettre au travail.


    Commençant par les Mathématiques, Rentarou désira se débarrasser du plus facile et rapide. Certes, résoudre dix pages complètes de problèmes aux énoncés complètement tordus s'avérait très long et fastidieux. Néanmoins, ayant compris le principe de l'exercice, il résolvait ce type de devoir très rapidement maintenant.


    En relisant son calcul du dernier problème de la seconde page, la porte de sa chambre s'ouvrit. Après être rentré, Seiichi la referma.


    - Il y a quelque chose d'étrange, annonça le nouveau venu de sa voix naturellement calme.


    - Ah oui ? Qu'est que c'est ? s'enquit Rentarou en redressant vivement la tête.


    - Je suis assez surpris de voir des lames de parquet sur le sol de ta chambre. J'ai toujours pensé qu'il n'y en avait pas, enchaina le jeune ninja toujours d'un ton très tranquille.


    Ne relevant plus les plaisanteries agaçantes de son ami, Rentarou se replongea dans son algèbre. Sa main gauche tourna la feuille et la déposa à l'envers sur la précédente. Il lut ensuite le premier problème de la suivante.


    - Tu as déjà fait deux pages ? s'exclama Seiichi dont les yeux s'écarquillèrent.


    - Oui, ce n'est pas très difficile.


    - Dis, Rentarou, tu pourras me donner les réponses quand tu auras fini ? demanda Seiichi dont le ton était devenu subitement très amical.


    - Ce n'est pas bien du tout de copier bêtement les réponses d'un ami, feignit Rentarou.


    Sachant très bien que son ami n'avait rien contre le fait d'échanger ses réponses des devoirs, Seiichi devina aussitôt ce que son camarade avait en tête.


    - Que veux-tu en échange ?


    - Que tu me laisses copier pour le devoir de Japonais, révéla Rentarou en souriant malicieusement à son ami. Mets-moi juste le principal. J'ai pas envie de faire une tartine comme toi.


    - Tu es très gourmand.


    - Dix pages d'équations contre six pages de Japonais, ca me paraît un marché très correct. Les deux offres sont parfaitement équilibrées.


    - Malheureusement je n'ai pas le choix. Je te le donnerais demain. Cela te convient ?


    - J'aurais fini moi aussi.


    Satisfait de cet arrangement, le lycéen géant triompha du résultat de cette formidable négociation. Il venait de réussir à se débarrasser du travail le plus pénible et long à effectuer. Et cela ne lui coûterait aucun effort, à part le recopiage du devoir ! A présent, il ne lui resta plus que les deux dissertations et l'exposé. En trois matinées, le lycéen géant envisagea de les terminer. De cete manière, sa liberté lui serait enfin rendue. Il pourrait à nouveau organiser ses journées à sa convenance.


    - Au fait, je te rapportais ton téléphone, annonça Seiichi.


    En même temps, il retira un petit téléphone cellulaire rouge et noir de sa poche et le déposa sur le bureau, à côté du cahier où son ami résolvait ses équations.


    - J'ai appelé Tyro avec.


    - Il n'hiberne pas de ce temps ?


    - Tu sais bien que sa mère refuse que ses enfants dorment après dix heures du matin.


    Rien qu'à repenser aux évocations faites par Tyro à ce sujet, Seiichi sourit.


    - Il m'a proposé de nous voir demain matin s'il ne pleut pas. Il veut nous parler.


    Intrigué, Rentarou leva la tête et se tourna vers son interlocuteur.


    - Pourquoi ?


    - Il n'a rien voulu dire.


    - Sans doute a t-il acheté une nouvelle raquette ou des nouvelles baskets et attend de se vanter auprès de nous avec, plaisanta Rentarou.


    - Cela pourrait être un nouveau jeu vidéo ou un nouveau manga, suggéra Seiichi. Avec Tyro, le choix des possibilités est largement étendu.


    A la suite d'une soirée paisible et d'une nuit tout aussi tranquille, le lendemain arriva vite. Les deux adolescents retrouvèrent Tyro à la terrasse d'un bar où celui-ci s'affairait à la dégustation d'une grande et délicieuse crème glacée.


    - Tu ne mangeras pas à midi, le menaça Seiichi en s'asseyant face à lui. Ta mère vas encore te gronder et tu seras certainement puni.


    - J'ai demandé la permission de ne pas rentrer avant ce soir. Alors je peux ingurgiter tout ce que je veux aujourd'hui !


    Sur ces entrefaites, Rentarou les rejoignit avec deux autres crèmes glacées et des sodas. Il les déposa sur la table avant de s'asseoir à son tour.


    - Tu aurais pu aller chercher ta glace, Seiichi, dit Tyro, taquin.


    - J'étais tellement fatigué que j'ai voulu me reposer.


    - Menteur, l'accusa Tyro en lui tirant la langue.


    - Je ne mens jamais, Tyro, se défendit Seiichi en prenant un air offensé. J'épargne la vérité. Il s'agit d'un concept totalement différent, mon très cher ami.


    En mangeant lentement sa crème glacée pour mieux la savourer, Rentarou écouta distraitement les enfantillages de ses deux amis. Quand il en eut assez de ce bruit de fond assez rébarbatif à force, il intervint :


    - Calmez-vous un peu, tous les deux, s'écria t-il. Autrement, je crois que vous n'auriez rien à manger si vous continuez ainsi.


    Il attrapa alors la coupe de Seiichi et mima l'intention de vouloir la manger. Comme aucun des deux concernés ne voulurent sacrifier une glace aussi délicieuse pour une fausse dispute, ils se turent donc et s'empressèrent de l'avaler.


    - Tyro, de quoi veux-tu nous parler, au fait ? demanda Rentarou quand ils eurent finis leur glace.


    - Ah c'est vrai ! Je voulais prévenir que je vais partir quelques jours avec ma famille jusqu'au seize.


    - Le seize ? répéta Rentarou. Donc si on est le sept aujourd'hui …. Ca nous fait huit jours, donc une semaine complète.


    - Et vous ? Vous n'avez rien de prévu du treize au seize ? s'intéressa Tyro.


    - Mais il n'y a rien de spécial à cette période, s'étonna Rentarou en plissant son front. En fait, le mois d'Août est vraiment calme.


    - Tu n'oublierais pas la Fête des Morts, toi ? fit Tyro qui ne comprenait pas l'attitude son ami.


    - Pas du tout. C'est en Novembre.


    - Mais non ! Ca a toujours été Août, Rentarou !


    - Si vous mélangez vos deux cultures ensemble, vous ne pouvez pas vous comprendre, les interrompit Seiichi.


    L'adolescent aux cheveux ébènes marqua une courte pause pour poser sa canette sur la table.


    - Rentarou a grandi en tant que chrétien. Il ne connait pas nos traditions bouddhistes et shintoïstes. Comme toi, tu ne connais pas sa culture religieuse.


    - J'avais oublié. Désolé, Rentarou, s'excusa Tyro.


    - Ce n'est rien puisque je n'y ai pas pensé non plus, le rassura Rentarou. Mais que faites-vous, vous, au Japon, lors cette journée ?


    - La tradition veut que les gens reviennent dans leur ville natale. Ils restaurent les tombes de leurs ancêtres et déposent de la nourriture dessus. Pendant ce temps, des lanternes sont déposées sur le seuil des maisons pour aider les âmes de morts à se diriger, détailla Seiichi.


    - Ce n'est pas gaspiller de donner la nourriture à des morts ? songea Rentarou.


    - C'est la tradition, dit Tyro en haussant les épaules fataliste. Qu'est que font les chrétiens pour célébrer leurs morts ?


    - Eh bien, on va au cimetière se recueillir sur les tombes des membres de sa famille ou amis. On nettoie les tombes. On dépose ensuite une gerbe de fleurs dessus, on prie, on parle à l'âme de la personne défunte bien qu'elle ne peut probablement plus entendre.


    - N'importe quelle fleur ? voulut savoir Tyro.


    - Kaasan m'avait bien précisé que seule une chrysanthème peut être déposée, se souvint Rentarou.
    Cette réponse valut à Seiichi d'arquer fortement son sourcil droit.


    - Chrysanthème ? Dans le langage des fleurs, cette plante signifie chance et bonheur. Cette vision est partagée par de nombreuses personnes au Japon.


    - Donc si tu en offres un à un chrétien, il va comprendre que tu souhaites qu'il meurt, rit Tyro.


    - Il y a beaucoup de signes culturels ainsi, Tyro, admit Seiichi. De nombreux symboles changent selon les pays. Même si tu choisis le plus beau cadeau qui soit dans ton pays, dans certains, il se peut que celui-ci soit considéré comme une insulte.


    - Malheureusement, je ne sais pas si tous les chrétiens vivent ainsi, reprit Rentarou. Après tout, je connais seulement kaasan comme chrétienne. Il y a peut-être d'autres traditions.


    - Et elle ne t'a jamais dit pourquoi elle l'était ? s'enquit Seiichi.


    - Aucune idée. Mais Tyro, quand pars-tu ?


    - Demain matin, répondit celui-ci en soupirant. Et avec quatre boulets pour me faire chier pendant les huit heures de route, je suis sûr de devenir fou à l'arrivée !


    - La chose est impossible, riposta Seiichi. Tu es déjà fou.


    - Et vous allez où ? insista Rentarou sans prêter attention à la précédente réplique.


    - Dans un petit village près de Yamaguchi où vit ma grand-mère maternelle. On va passer trois jours à l'aider et à lui faire les choses qu'elle ne sait plus faire. Ensuite le 12, on célèbrera la Fête des Morts avec l'ensemble du village.


    - Et c'est tout ? questionna Rentarou très curieux.


    - Le lendemain, on reprend la voiture jusqu'à un village entre Sakata et Akita. On passe deux jours avec mes grands-parents paternels puis on célèbre la Fête des Morts le 16.


    - Mais tu ne seras pas rentré pour le 16, comprit Seiichi.


    - C'est vrai que je vais certainement déborder sur le 17, confirma Tyro.


    - Au fait, Seiichi, tu ne dois pas rejoindre ta famille toi aussi ? s'inquiéta Rentarou.


    - J'ai écrit à mon père au début des vacances que je ne tolérais pas les mauvais résultats que j'avais obtenu aux examens et je comptais rester ici pour m'améliorer, révéla Seiichi. Il m'a répondu hier qu'une telle attitude était digne d'un membre du clan des Shiromiya.


    Sans laisser le temps à ses compagnons de réagir à cette explication, Tyro claqua ses deux mains avec énergie sur la table.


    - Bon, si on revenait à la vie maintenant ? s'exclama t-il. Je propose pour aujourd'hui jeux vidéos, ciné et hamburgers. Ca vous irait ?

     


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