• Chapitre 53


    Les vacances d'hiver s'écoulèrent bien vite. Entre les jeux partagés à la maison et les devoirs à terminer pour la rentrée, le temps passa à une vitesse vertigineuse. En dehors de la fête improvisée qui l'avait particulièrement touché, Rentarou avait expérimenté une nouvelle découverte.
     

    Le premier jour de l'an, il s'était rendu au temple, comme le voulait la tradition japonaise, en compagnie de ses deux meilleurs amis et de la famille de Tyro. Ne possédant pas de kimono, Kenichi lui en avait prêté un des siens. Il était le seul à avoir la même taille que le lycéen géant. Malheureusement pour celui-ci leurs carrures différaient. L'aîné des enfants Sakumai était athlétique et rachitique alors que Rentarou était baraqué et massif.


    Tout le long du chemin qu'ils avaient parcouru à pied, le jeune homme avait craint de se prendre les pieds dans le bas du kimono et de tomber. Au temple, il avait observé attentivement ses deux meilleurs amis et, avec eux, avait tiré la corde de la cloche avant d'adresser ses vœux. Bien qu'il ne croyait plus depuis bien longtemps, le lycéen géant s'était prêté au rituel et avait adressé des remerciements pour l'année qui venait de s'écouler puis avait demandé que celle qui commençait soit aussi bonne.


    Lors du jour de la rentrée, Rentarou et Seiichi avaient dormi à l'internat la veille. Tous deux s'étaient levés de bonne heure afin de prendre leur douche, leur petit-déjeuner et aller à l'infirmerie sans se presser. Ils rejoignirent ensuite la salle des casiers où les attendait déjà Tyro, adossé contre le mur sous une fenêtre, les mains dans les poches.


    - Vous en avez mis du temps, lança t-il.


    Seiichi adressa un regard très surpris à Rentarou :


    - Il a pris une bonne résolution cette année ou il nous fait une blague ?


    Rentarou ne répondit même pas et continua son chemin pour ouvrir son casier.


    - Tu sais, Seiichi, c'est une date importante aujourd'hui, dit Tyro en se retirant du mur.


    - Tu te préoccupes de l'école maintenant ?


    - Il n'y a pas que l'école dans la vie. Le 2 Janvier, c'est une date très importante.


    Seiichi haussa les épaules et partit à son tour vers son casier.


    - C'est un jour comme un autre il me semble.


    - En y pensant, c'est vrai que c'est un jour important, intervint Rentarou. Ca ne te dit rien, Seiichi ?

     


    L'adolescent aux cheveux ébènes fit mine de réfléchir.
    - C'est le second jour du premier mois de l'année. Cependant je ne vois rien d'extraordinaire ou d'important.


    - Il se fout de nous là, lâcha Tyro en soupirant profondément.


    - Seiichi, tu as compris de quoi on parlait, hein ? répliqua Rentarou.


    - Évidemment, sourit le jeune ninja. La prochaine fois que vous voulez me souhaiter mon anniversaire, dites-le au lieu de jouer aux énigmes.


    Tyro se baissa pour prendre un petit paquet de son sac ouvert et se leva pour le remettre à son ami. Seiichi était évidemment très ému du geste de ses deux meilleurs amis. C'était la première fois qu'il recevait un cadeau. C'était aussi la première fois que l'on lui souhaitait son anniversaire. Le jeune ninja se souviendrait très longtemps du jour de ses seize ans. Cependant fidèle à ses bonnes habitudes, il ne montra pas sa joie et déballa son présent. A l'intérieur se trouvait un téléphone cellulaire de couleur bleu ciel.


    - Comme ça, tu ne pourras plus te défouler sur moi quand j'aurais pas mon portable puisque tu en auras un toi aussi, s'exclama Tyro.


    - Et puis un lycéen sans portable, ça ne le faisait pas, ajouta Rentarou.


    En contemplant son tout nouveau téléphone, Seiichi sourit puis se tourna vers Tyro de manière à ne pas être vu par Rentarou. Il lui adressa un clin d'œil et fit en même temps un de ses sourires machiavéliques dont le jeune homme possédait le secret. Tyro comprit que son ami avait l'intention de jouer une comédie à leur ami et se demanda de quoi il pouvait s'agir. Très intéressé, le tennisman concentra toute son attention sur les prochains événements à venir.


    - Cependant cela me paraît étrange, dit Seiichi d'un ton soucieux. Normalement lors des anniversaires, il n'est pas permis d'offrir un cadeau par deux personnes, non ?


    - Vraiment ? s'exclama Rentarou qui tomba des nues.


    Très curieux de savoir où l'espiègle adolescent aux cheveux ébènes comptait aller, Tyro s'empressa de confirmer.


    - Oh non ! C'est vrai, se désola t-il. J'ai vraiment une mémoire horrible !


    - Si c'est ça, je peux racheter quelque chose, suggéra immédiatement Rentarou.


    Comme à l'accoutumée, son ami gobait le moindre mensonge. Dès que cette proie était ferré, il avalait l'appât et l'hameçon en même temps. Parfois, Seiichi aurait espéré avoir à utiliser plus d'artifices pour réussir ses manipulations. A force, cela devenait moins amusant de remporter la victoire si facilement.


    - Il y a peut-être quelque chose que tu pourrais faire mais …


    - S'il y a quelque chose qui peut te faire plaisir, je le peux faire, rétorqua Rentarou.


    - Je ne veux pas t'embarrasser avec cela.


    - Qu'importe ce que c'est, je vais le faire. Je te le promets.


    Arquant un sourcil, le jeune ninja observa attentivement sa cible. Il paraissait déjà bien mur pour porter la dernière attaque.


    - Tu promets ? Tu veux dire que tu vas vraiment le faire ?


    - Bien sur. Je ne renie jamais mes promesses et mes engagements.


    Seiichi adopta un air de fausse innocence et de parfaite tranquillité et dit :


    - Dans ce cas, je veux que tu avoues tes sentiments à Yoko-chan !


    La réaction de Rentarou ne tarda pas à se faire entendre :


    - QUOIIIIIIIIIIIIII ?


    En même temps, Tyro explosa littéralement de rire derrière eux, impressionné par la maitrise et le talent de Seiichi.


    - Tu es un vrai maître, Seiichi, fit-il tout en se tordant de rire.


    - Il faut savoir attendre patiemment, observer en silence et saisir sa meilleure chance pour réussir son objectif, confia le jeune ninja.


    - C'est une blague, hein ? demanda Rentarou.


    - Pas du tout. Tyro et moi en avons assez de te voir hésiter à faire le premier pas. Ainsi puisque tu ne te décides pas, nous te donnons un coup de main pour le faire.


    - Mais c'est ma vie privée ! Vous n'avez pas le droit ! Et puis vous êtes sensés être mes copains !


    - C'est parce qu'on est tes meilleurs copains qu'on fait ça, intervint Tyro.


    - Je ne vois rien d'amical là dedans, se plaignit le lycéen géant.


    - De simples amis, ça ne te dit jamais rien et c'est souvent d'accord avec toi sur les faits importants de ta vie. Par contre, un meilleur pote, c'est …


    - C'est quelqu'un qui te pousse dans un buisson d'orties si cela te permet de trouver un chemin meilleur pour toi sur lequel avancer, compléta Seiichi.


    - Peut-être. Mais je ne peux pas faire ce que vous demandez ! C'est pas possible !


    Tyro donna un coup de coude à Seiichi.


    - Il a peur en fait, dit-il. Ca le terrorise complètement de parler à une fille.


    - J'ai pas peur, s'offusqua Rentarou. Je peux le faire !


    En son for intérieur, le jeune homme avait effectivement très peur. Il sentait son estomac se tordre comme si ses aliments ingérés au petit-déjeuner essayaient de remonter. Son cœur battait si fort qu'il aurait pu s'interroger en un autre moment s'il ne commençait pas une nouvelle crise. Toutefois il ne voulait pas passer pour un poltron devant ses amis. Il n'avait pas le choix et devait relever ce défi en avouant ses sentiments à la fille dont il était tombé amoureux.


    En se retenant de pousser un soupir, le lycéen géant songea que l'année commençait vraiment très bien. En cet instant, il aurait presque souhaité une interrogation d'Aizawa et des exercices de gymnastique plutôt que subir une pareille épreuve.


    - Vous en faites du bruit !


    Reconnaissant cette voix aiguë, Rentarou se retourna immédiatement. Face à eux se dressait la redoutable vice-présidente du conseil des étudiants, les bras croisés contre sa poitrine. Elle avait visiblement entendu leurs éclats de voix et était venue inspecter ce qui se passait.


    - Puis-je savoir ce qui se passe ici ?


    Rentarou gonfla la poitrine et avança vers elle. Tout ce qu'il avait à faire était de se déclarer pour être enfin débarrassé de cette corvée. Autant le faire le plus rapidement.


    - Yoko-chan, je dois te dire un truc, commença t-il.


    - Je t'écoute, lui répondit-elle.


    Le ventre contracté, le jeune homme ne se sentait plus du tout aussi sur de lui. Il peinait à rassembler des pensées cohérentes. Face à lui, la jeune fille attendait mais son visage montrait qu'elle ne souhaitait pas s'attarder ce qui ne lui facilitait pas la tâche. Finalement, il se dégonfla incapable de formuler les véritables mots qu'il aurait du dire et lâcha la première idée qui lui passa par la tête.


    - Les examens du troisième trimestre, c'est quand ?


    Yoko le contempla avec surprise ne s'imaginant pas qu'un élève puisse lui demander une telle date le jour même de la rentrée. Derrière l'adolescent aux lunettes sombres, Seiichi et Tyro se tordirent de rire de cette défilade.


    - Eh bien, je n'ai pas encore les dates importantes de ce nouveau trimestre, répondit-elle. Cependant je t'en informerais dès que je serais passée à mon bureau.


    Le jeune homme aux cheveux de jais la remercia poliment puis la regarda s'éloigner. Il alla ensuite prendre ses affaires dans son casier en ignorant les commentaires de ses deux meilleurs amis.


    Ce jour de rentrée se déroula comme une journée normale. En première heure, Noda ramassa les devoirs qu'elle demandait avant les vacances. L'un portait sur de l'analyse de texte et le second était un compte-rendu de lecture. Comme toujours, Seiichi avait accepté de lire – ou de relire plutôt – l'œuvre concernée et de leur faire un résumé condensé.


    En Mathématiques, le professeur Hashimoto souhaita une bonne année à ses étudiants et les encouragea à travailler toujours aussi dur. Il corrigea ensuite les nombreux exercices sur les équations et les inéquations donné à la classe pour les vacances. Naturellement, il interrogea longuement Seiichi dont la lenteur de raisonnement et de développement des calculs en cette matière n'étaient plus à prouver. L'adolescent aux cheveux ébènes prenait son temps et essayait de se souvenir des leçons que lui avait donné Rentarou mais craignait toujours de commettre une erreur.


    En Économie, rien n'avait changé. Le cours était aussi mortellement ennuyeux. Rentarou se répèta sa décision de l'abandonner l'année prochaine. En Anglais, Aizawa le prenait toujours pour cible lors de ses interrogations orales et il se révélait toujours aussi peu doué.


    A l'heure du déjeuner, Rentarou avait dit à Seiichi et à Shintarou de ne pas l'attendre car il souhaitait parler à leur professeur titulaire. En vérité, le lycéen géant voulait seulement être seul pour réfléchir et s'était donc dirigé vers l'arrière du bâtiment administratif afin de n'être dérangé par surprise. A sa surprise, le jeune homme découvrit qu'une autre personne était déjà assise sur les longues marches.


    - Tu en as mis du temps, dit Seiichi en tournant la tête.


    - Seiichi ? Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda t-il en venant s'asseoir auprès de son ami.


    - En théorie, je suis sensé te retourner la question. Cependant étant donné que je suis venu ici car je savais que tu y viendrais, il serait ridicule de le faire.


    Malgré sa connaissance de l'étendue des capacités de raisonnement du jeune homme aux cheveux ébènes, Rentarou était toujours surpris quand il constatait que celui-ci devinait ses propres sentiments qui l'agitaient et localisait l'endroit où il se réfugiait pour y réfléchir. En même temps, le lycéen géant songea que le second point était moins remarquable. Quand Seiichi se sentait mal, son ami se rendait à ce même endroit.


    - Tu penses que je suis dur avec toi, n'est-ce pas ?


    - Eh bien …


    - Je suis seulement réaliste. Si tu continue à être si hésitant en ce qui concerne Yoko-chan, tu finiras par être blessé à nouveau. As-tu oublié ce qui s'est passé en Octobre ?


    Rentarou se mordit la lèvre inférieure en se rappelant de l'affaire en question. Il n'aimait pas du tout se la remettre en mémoire. Par ailleurs, ses amis et lui avaient établi d'un accord tacite de ne plus l'évoquer entre eux.

     

    - Si tu n'agis pas rapidement, quelqu'un d'autre le fera à ta place, Rentarou, le menaça Seiichi.


    - Yoko-chan ne tombera pas deux fois dans le même piège, objecta t-il.


    - Je ne te parle pas de l'abus de confiance de Noguchi, répliqua Seiichi avec austérité. Avant cela, elle est sortie avec lui parce qu'il a osé lui avouer ses sentiments.


    - Il n'avait pas de vrais sentiments pour elle, lança vivement Rentarou.


    - Sur ce point, je te l'accorde, reprit Seiichi. Cependant je veux te souligner ce fait : Yoko-chan est le genre de filles à accepter de sortir avec un garçon si celui-ci fait l'effort de faire une déclaration.
    - Où tu veux en venir ? grogna t-il.


    Seiichi commença à s'énerver. Il se demanda un instant si son meilleur ami n'était pas atteint d'une forme sévère de l'autisme ou s'il ne se moquait pas de lui en faisant semblant de ne pas comprendre. Le jeune homme contint toutefois son calme et poursuivit ses explications.


    - Avant que tu saches ce que faisait Noguchi, dis-moi sincèrement, qu'est-ce que tu as ressenti pour lui quand tu as su qu'il sortait avec Yoko-chan ?


    Rentarou n'appréciait pas du tout cette question terriblement indiscrète mais pourtant très pertinente. Il se tassait le plus possible sur lui-même. Sa tête semblait essayer de rentrer dans son large cou.


    - Je … j'avais envie de cogner la tête au mur quand j'y pensais … , avoua t-il avec lenteur.


    - Et tu as envie de ressentir à nouveau de tels sentiments ?


    - Evidemment que non, marmonna t-il.


    - Alors tu comprends pourquoi tu dois aller lui dire ce que tu ressens ?


    - Et si elle est embarrassée à cause de ça ? On est amis. Je ne veux pas la mettre mal à l'aise.


    Pour la première fois depuis le début de cette conversation, Seiichi poussa un soupir de découragement. Son entreprise s'avérait encore difficile qu'il ne l'avait imaginé. Il tenta d'utiliser une autre méthode. Puisque la discussion ne fonctionnait pas, il lui fallait user d'une parabole pour illustrer le contenu du message qu'il voulait transmettre. Le jeune ninja ne fut pas long à trouver quelle histoire inventer pour parvenir à ce but.


    - Rentarou, selon toi, quel est la meilleure stratégie pour remporter un match de tennis ?


    Comme à chaque fois où l'on parlait de tennis, Rentarou se dégèla complètement et devint beaucoup plus enthoustiaste et passionné.


    - Je pense qu'il faut observer le jeu adverse pendant un jeu, deux maximum, puis ensuite après avoir déterminé ses points faibles, attaquer sans hésiter et l'écraser complètement.


    Seiichi sourit en dévoilant une bonne partie de sa dentition. Cela l'amusa beaucoup de constater à quel point Rentarou et Tyro étaient tous deux de véritables accros au tennis.


    - Dans ce cas, je vais te raconter le match que tu livres depuis le début de l'année avec Yoko-chan.
    - Tu te trompes, Seiichi, rit Rentarou. Yoko-chan déteste le tennis et le sport en général.


    - Laisse-moi raconter avant de m'interrompre.


    Intrigué, l'adolescent aux lunettes sombres se tut et laissa son compagnon parler.


    - Quand tu as rencontré Yoko-chan en début d'année, elle ne t'aimait pas du tout. C'est un euphémisme de dire cela. Quoique tu faisais, tu perdais contre elle. Tu as donc pris au moins trois jeux contre elle sans rien marquer. Heureusement pendant les vacances d'été, tu as réussi à devenir ami avec elle. Tu as marqué un premier jeu puis un second.


    - Ca se rattrape bien ! Ca fait 3-2 ! s'exclama Rentarou. En tous cas, c'est un match passionnant plein de suspense et d'interrogations !


    - Le match n'est pas encore fini, rappela Seiichi. En Octobre, il est arrivé ce qui est arrivé. Avec ce qui s'est passé, tu as pris deux jeux d'un coup sans rien pouvoir faire. Après, tu n'as su que marquer un seul coup. C'est d'ailleurs le score auquel tu restes actuellement.


    - C'est pas terrible ! Ca fait 4-5 !


    - A présent, comment faut-il s'y prendre pour terminer le match à ton avantage ?


    Pris dans la fièvre de sa passion, Rentarou ne traina pas à répondre :


    - Se dépêcher à marquer les deux points qui manquent et empêcher l'autre de marquer la balle de match qui clorerait la partie.


    - Exactement, approuva Seiichi. Ce qui signifie dans notre conversation ?


    - Euh marquer le plus vite possible ? Non, j'ai déjà dit. Agir très rapidement.


    Levant ses yeux au ciel, Seiichi soupira. Encore une fois, le cerveau, pourtant si évolué et logique en temps normal de son ami, peinait à établir la connexion entre ces éléments.


    - Rentarou, veux-tu perdre ce que tu éprouves pour Yoko-chan ?


    - Non …


    - Alors comporte-toi comme si c'était un match de tennis. Que dois-tu faire avec elle ?


    Rentarou réfléchit et hésita à répondre.


    - Lui avouer ce que je ressens ?


    Epuisé par l'intense travail intellectuel qu'il venait de fournir, l'adolescent aux cheveux ébènes soupira de soulagement d'avoir réussi sa démonstration.


    - Mais Seiichi, comment je suis sensé faire ça ? Je ne sais pas du tout y faire avec les filles.


    - Débrouille-toi, lâcha le jeune ninja impassible.


    - Seiichi !


    Face à la détresse émotionnelle de son meilleur ami, il finit par se retourner et lui répondit de manière beaucoup plus amicale :


    - Une déclaration est quelque chose que tu fais avec ton coeur. Il n'y a personne d'autre que toi qui peut le faire comme toi tu le fais.


    Il ne s'agissait malheureusement pas de la phrase que Rentarou aurait souhaité entendre. Il aurait préféré obtenir une recette miracle tirée d'un quelconque manuel.


    Le lendemain matin, Rentarou se lèva de très bonne heure. Pendant sa pratique, il réfléchit au problème qui le préoccupait actuellement. L'adolescent avait bien des idées pour attirer quelque part Yoko et lui confier ce qu'il désirait lui dire. Toutefois quelque chose le gênait dans ses plans. Le lycéen géant craignait que ses amis n'aient envie de l'espionner à ce moment et souhaitait garder ce moment rien que pour lui. Mine de rien, il connaissait très bien les lascars qui composaient sa bande. C'était tout à fait le genre à le suivre et à l'observer avec la plus grande attention en train d'avouer ses sentiments à la fille dont il était tombé amoureux.


    En revenant à l'internat, il abandonna sa raquette sur sa commode près de l'entrée et prit son uniforme à la même place. Rentarou se hâta ensuite de se rendre à la salle de bains où Seiichi et Shintarou chahutaient avec les pommeaux des douches ce qui avait mouillé bien évidemment le sol.


    - Quels gamins, commenta t-il avec amusement.


    Indifférent à ces jets d'eau fusant autour de lui, il gagna la douche la plus proche et se lava sans s'intérresser à ses deux camarades. Une fois prêts, ils descendirent au réfectoire et mangèrent ensemble. Il sembla à Rentarou que ses deux amis bataillèrent encore pour le repas. Cependant il avait déjà retenu depuis longtemps que ces deux-là, comme Tyro, pouvaient avaler une énorme quantité de nourriture en un temps record. Cela avait beau être habituel, le jeune homme restait perpétuellement surpris à chaque repas de cette vitesse d'ingurgitation.


    Après le petit-déjeuner, ils se séparèrent. Le rouquin partit étudier à la bibliothèque et Seiichi alla à sa visite quotidienne à l'infirmerie. Au lieu de l'attendre, comme chaque jour, Rentarou prétexta avoir oublié quelque chose dans sa chambre et prévint son meilleur ami qu'ils se retrouveraient alors en classe.


    Il s'agissait là d'un mensonge. Dès que Seiichi eut passé la porte de l'infirmerie, il se rendit au bâtiment des cours, passa prendre ses affaires à la salle des casiers et sortit à nouveau dans la cour. Le lycéen géant alla au bâtiment administratif et frappa au bureau de Yoko mais personne ne répondit. Il partit ensuite voir dans sa chambre, s'introduisant avec la plus grande prudence au second étage de l'internat réservé aux filles mais ne la trouva point. L'adolescent redescendit donc en vitesse et comprit sa localisation.


    Se tenant devant les larges portes en chêne de la bibliothèque, Rentarou poussa un profond soupir. Son premier plan venait d'échouer. Il avait décidé d'utiliser le matin pour approcher la jeune fille.
    C'était le seul et unique moment où le lycéen géant pouvait l'approcher sans avoir quelqu'un à côté, et surtout, où il était sur de ne pas être vu par ses amis. Seiichi et Shintarou étaient tous deux occupés de leur côté, Tyro n'arrivait pas au lycée avant les dix minutes précédant le premier cours et Kou se rendait directement en classe. Quant à Takaishi, il l'excluait de l'équation. Le jeune homme étant encore dans son lit.


    Fronçant les sourcils, l'adolescent plaça son menton entre son pouce et son index pour s'aider à réfléchir. Il lui fallait trouver un moyen d'agir sans risquer d'attirer l'attention de Shintarou qui se trouvait comme tous les matins dans cette pièce.


    Lorsqu'il se sentit finalement prêt, Rentarou entra dans les lieux saints de la connaissance et gagna la table où étudiait la vice-présidente du conseil des étudiants. Au passage, il remarqua que beaucoup d'élèves étaient présents, chacun seul à une table. Le jeune homme grimaça un peu.


    - Yo Yoko-chan, lança t-il avec désinvolture malgré un grand trac qui l'envahissait.


    - Rentarou-kun ? s'étonna t-elle en levant la tête. Tu ne viens jamais ici le matin.


    - En fait, il y a un quelque chose que j'ai à te demander.


    - Qu'est-ce que c'est ? Tu as l'air très embarrassé, nota la jeune fille.


    - Eh bien, il y a quelque chose que je ne comprends en Japonais. Est ce que … Est ce que tu pourrais m'aider après les cours ?


    En même temps qu'il formula cette requête, le visage de l'adolescent rougit totalement de honte. Lui qui ne supportait pas de demander de l'aide, il se sentait véritablement humilié de dire cela devant autant de monde. Sans compter qu'il se débrouillait très bien tout seul pour comprendre les cours du professeur Noda en Japonais. Certes, il n'était pas aussi compétent que Seiichi mais il obtenait toujours d'excellents résultats.


    En entendant cela, Yoko ne put s'empêcher d'être suprise. Le changement de couleur de son condisciple ne lui échappa pas non plus. Elle lui sourit.


    - Je t'aiderais, promis.


    Rentarou la remercia alors en s'inclinant du buste puis la quitta. Il rejoignit ensuite sa classe au laboratoire de Chimie au troisième étage du bâtiment des cours et etrouva Kou à leur pailliasse.
    Depuis l'incident provoqué par Seiichi lors du précédent trimestre, les deux garçons faisaient désormais équipe. Leurs binômes étant interdits de repasser la porte de cette salle. Par ailleurs, ils ne s'en portaient pas plus mal tous les deux et pouvaient travailler plus librement à leur expérience sans avoir besoin de vérifier constamment qu'une bêtise n'était pas en train d'être commise. De plus, ils s'entendaient maintenant très bien. Rentarou avait quasiment oublié tout ce que Kou lui avait fait par le passé et lui avait totalement pardonné.


    A la suite de ces deux heures, ils se séparèrent et Rentarou descendit en compagnie de Shintarou à l'étage inférieur vers la salle d'Anglais où Seiichi attendait devant la porte depuis plusieurs minutes.
    Lors de la pause accordée pour le déjeuner, la bande se retrouva dans la salle de Droit et se partagea les provisions du jour. Aujourd'hui, Tyro avait apporté du riz au curry, Kou de nombreuses boules d'onigiri et Raphael du fromage et des pommes.


    - C'est merveilleux d'avoir des amis externes, s'extasia Takaishi après avoir goûté la première bouchée de sa part de riz au curry.


    - En plus, avec nos trois fournisseurs réunis, on a un vrai repas parfaitement équilibré, avec un plat de résistance, une entrée, un fromage et un déssert, ajouta Shintarou en croquant une pomme.


    - En parlant de ce point, tu sais que tu as commencé par le déssert, Shin ?


    - J'adore les fruits, Seiichi ! De plus, je ne mange jamais de viande !


    - Tant mieux ! Ca fait plus à manger pour les autres, s'exclama Tyro avec plaisir.


    Tout en écoutant les discussions de ses amis, Rentarou avait appuyé sa main gauche contre sa tempe et mangeait avec plus de lenteur qu'à l'accoutumée. C'était une feinte destinée à faire croire à ses camarades qu'il était plongé dans d'intenses réflexions.


    La ruse ne tarda pas à prendre. Ce fut naturellement le plus doué d'entre eux pour remarquer le moindre changement dans l'attitude ou l'humeur d'une personne qui mordit à l'hameçon.


    - Rentarou, qu'est-ce qui ne va pas ?


    - Rien du tout, répondit-il sans redresser son visage de son plat.


    - Quand tu réponds ça, ça veut dire qu'il y a vraiment un truc qui ne va pas, rétorqua Tyro. Alors gagnons du temps et raconte-nous tout !


    En son for intérieur, l'adolescent aux lunettes sombres se surprenait encore d'être si bien compris par ses amis. Sans avoir à formulé le moindre mot, ils pouvaient dire quand le jeune colosse se sentait mal. Il cacha un sourire de satisfation qui ne l'aurait pas aidé dans son plan actuel et commença :

     

    - Je me demandais juste ce que vous faisiez en attendant d'aller au club.


    - Bah comme d'hab, non ? Etudier à la bibliothèque, fit Shintarou. Il n'y a d'ailleurs pas grand chose à faire en cette saison.


    - Et vous allez tous y aller ? reprit Rentarou.


    Il avait parlé de son ton naturellement candide et maladroit quand il s'agissait d'un sujet de conversation avec lequel il n'était absolument pas à l'aise. Néanmoins en ce moment, il se servait de ce défaut dont ses amis se moquaient souvent pour la transformer en un atout.


    - J'ai l'impression que Rentarou a quelque chose en tête, dit Seiichi avec malice.


    Rentarou se retint de sourire, se concentrant pour paraître toujours très gêné. Il se souvint même de la honte ressentie en début de matinée pour faire monter le rouge à ses joues.


    - Rentarou-kun, tu as un truc de prévu ? demanda Takaishi qui était juste en face du lycéen géant.


    - C'est à dire que …


    - Tu ferais mieux d'avouer, Rentarou, conseilla Tyro qui semblait très intérressé par le sujet. De toute manière, tu sais que bien que Seiichi va te cuisiner jusqu'à ce que tu craches le morceau !


    - Pour notre plus grand plaisir, ajouta Shintarou en pouffant de rire.


    - Il n'y a que moi ici qui se soucie du respect de la vie privée des autres ? émit Raphael qui continuait de manger bien tranquillement sa part malgré l'agitation qui régnait autour de lui.


    Rentarou jeta un regard à ses camarades puis continua en poussant un profond soupir.


    - D'accord, je vais vous dire, lâcha t-il en feignant l'exaspération. Je .. j'ai demandé à Yoko-chan de m'attendre dans le parc près du lycée.


    Alors que ses amis ne disaient encore rien, Seiichi interrompit ce silence en recrachant violemment le contenu du verre de thé vert qu'il venait de boire sur le blazer blanc en laine de Raphael. Le jeune ninja s'excusa auprès de celui-ci qui essuya comme il put les tâches avec son mouchoir et se tourna immédiatement vers son meilleur ami.


    - Tu plaisantes ?


    - C'est toi qui m'a dit d'aller vite, non ?


    - Te connaissant, je pensais vraiment que tu mettrais au moins une semaine avant te décider à le faire, avoua Seiichi.


    - Ne te plains pas puisque tu gagnes ton pari, lança Tyro grognenard. J'avais dit trois semaines !


    - Parce que vous faites des paris sur moi ? s'indigna le lycéen géant.


    - Il faut bien vivre, rit Tyro.


    Rentarou ronchonna et se concentra à prendre son riz avec ses baguettes et à l'avaler. Il étudia en même temps les attitudes de ses camarades et espèra avoir su les tromper.


    - Allons-y ! s'écria soudainement Shintarou.


    - Où ça ? interrogea Takaishi.


    - Ben dans le parc ! Ca va être super intérressant de voir Rentarou !


    Aussitôt Seiichi leva sa main gauche et continuant à manger de la seconde.


    - Je viens !


    - Moi aussi ! Moi aussi ! piaffa Tyro.


    - Ce n'est pas très correct, dit Takaishi. Cependant …


    - Mais tu as très envie d'y aller aussi, le coupa Kou en lui donnant une bourrade dans le dos.


    Après la pause du déjeuner, les adolescents se séparèrent et retournèrent en classe. Durant le trajet jusqu'à la salle de Japonais, Rentarou eut le droit d'entendre de petites moqueries de la part de Seiichi et Shintarou. Il n'y prêta pas attention et n'entendit jamais un seul mot de leurs propos. Il avait placé les écouteurs de son lecteur MP3 dans ses oreilles et appuyé sur le bouton lecture avant même de quitter la salle de Droit et les garda jusqu'à dans sa classe jusqu'à l'arrivée du professeur Noda.


    Après une heure à écouter son enseignante parler du charme et de la magnifience des haikus, Rentarou se sentit soulagé d'entendre la sonnerie retentir. Certes, il se sentait très mal à l'aise et nerveux vis à vis de ce qui l'attendait très bientôt mais le lycéen géant ne supportait plus les cours de l'étude de la poésie qu'avait commencé Noda. Le pire, c'était que ce thème avait seulement débuté depuis hier et devait durer tout le troisième trimestre.


    Rassemblant ses affaires en prenant son temps, Rentarou observa avec attention ce qui se déroulait dans sa classe. Il remarqua Sawamura passer devant sa table et s'arrêter devant celle de Seiichi pour commencer à engager la conversation avec lui à la grande surprise de son meilleur ami. Sawamura n'était pas connu pour avoir une haute estime de Seiichi et ce dernier partageait les mêmes sentiments à son égard. Toutefois, il n'existait pas réelleent de désaccord entre eux. Ils se contentaient de s'ignorer et ne s'adressait pas la parole sans une raison valable. De l'autre côté, Shintarou était aussi très occupé : la fille assise juste devant lui était en grande conversation avec le petit rouquin.


    D'une main ferme, Rentarou saisit son sac et le mit sur son dos en sortant de classe. L'adolescent ne put s'empêcher de sourire narquoisement. Cela lui avait fallu une âpre négociation mais il était parvenu à convaincre Sawamura de lui prêter un coup de main pour empêcher ses deux amis de le suivre. Il l'avait fait au matin en attendant devant le laboratoire. Cela lui coûterait les réponses des devoirs de Mathématiques jusqu'à la fin du mois mais l'arrangement lui convenait.


    Sur ce, le lycéen géant remonta le couloir à travers le flux de lycéens qui y circulaient. Il alla s'arrêter au niveau de la salle d'Anglais et répéra Yoko au milieu de cette foule. Tous deux se saluèrent et descendirent ensemble les escaliers avant de sortir à l'extérieur. La jeune fille s'apprêta à se diriger vers le bâtiment de vie scolaire pour se rendre à la bibliothèque comme prévu.
    - Attends ! la stoppa Rentarou.


    Contrariée, elle se retourna les sourcils froncés, les mains sur les hanches. Rentarou sentit sa pomme d'adam remonter et déglutit difficilement. Il fallait jouer très finement pour éviter la colère qui menaçait de se manifester.


    - Tu ne veux plus étudier ?


    - En fait, il y a un truc, commença t-il avec une forte nervosité, que je veux te parler. Mais je ne me sens pas capable de le dire en public alors j'ai inventé ce mensonge. Je suis désolé.


    Le jeune homme aux lunettes sombres attentit la réaction avec inquiètude et appréhension. Il était quasiment convaincu qu'elle allait lui hurler dessus. En fait, celle-ci se contenta de le scruter longuement avant de demander d'une voix sévère mais calme :


    - Est-ce important ?


    - Euh oui, mais …


    - Dans ce cas, je veux bien t'écouter, décida t-elle. Où veux-tu aller ?


    Rentarou eut l'impression d'être capable de respirer à nouveau en entendant cette phrase. C'était comme si on l'avait déchargé d'un fardeau de cent kilos. Il lui proposa d'aller derrière le bâtiment administratif, l'endroit des perdus comme elle le disait. La jeune fille accepta.


    En arrivant à destination, ils s'assirent sur la seconde marche. Yoko tourna son corps vers Rentarou et demanda :


    - Alors ? De quoi veux tu me parler ?


    De plus en plus nerveux, Rentarou se sentit à nouveau ne plus savoir respirer. Pour se rassurer, il inspira normalement plusieurs fois dans le creux de sa main. En constatant de pas commencer une crise, le lycéen géant tenta de se calmer puis se répèta rapidement l'histoire de Seiichi et s'imagina sur un court de tennis, en train de tenir sa raquette. Pour marquer le point final, il devait la lever et frapper fort la balle à envoyer.


    - Je t'aime !


    En se concentrant sur la rapidité, le jeune homme avait lâché ces mots en criant presque. Lorsque son esprit l'eut réalisé, son visage se colora d'un rouge cramoisi et détourna la tête.


    Décontenancée, Yoko ne s'était jamais attendue à une telle déclaration, surtout de la part de Rentarou. A la fois, cela l'effrayait mais l'excitait également. Depuis son expérience avec Noguchi, l'adolescente s'était totalement fermée aux garçons et aux histoires amoureuses. Cependant elle connaissait Rentarou et savait que ce garçon était incapable de mentir, et surtout pas si un mensonge impliquait les sentiments des autres.


    - Tu mérites quelqu'un de mieux pourtant.


    Il se tourna aussitôt vivement.


    - Il n'y a pas personne de mieux que toi ! En tout cas, pas pour moi !


    - Rentarou-kun, c'est moi qui t'ai toujours causé que des ennuis depuis le début de l'année. Je n'ai jamais su te comprendre ni t'aider alors …


    - C'est pour ça que je t'aime, l'interrompit-il. Peut-être que je suis fou comme le disent Seiichi et Tyro mais moi … Même si je suis énervé quand tu t'opposes à moi, je suis aussi impressionné. Dans n'importe quelle situation, tu ne te laisses pas faire et tu t'imposes sans en démordre.


    - Au premier trimestre, je te traitais comme un poisson pourri, rappela t-elle en fixant, toujours très étonnée, le jeune homme.


    - A chaque fois, je le méritais. Même si tu t'énerves, tu es juste. Tu agis seulement dans l'interet des élèves et du lycée. Je pense que les personnes qui défendent leurs convictions jusqu'au bout sans cèder un pouce de terrain sont vraiment admirables.


    - C'est la première fois qu'on me dit ça, avoua t-elle. Tout le monde se fiche toujours de ce que je fais. Souvent on me méprise et on m'ignore. Parfois, on râle. Mais on ne me dit jamais que je fais un bon travail. Pas même les profs.


    D'un doigt, elle écrasa une larme naissante au coin de son oeil. Elle ne voulut pas pleurer et souhaita rester forte et digne.


    - On se ressemble, tu sais, plus que tu ne le crois, ajouta le lycéen géant. Moi aussi, je serais capable de faire n'importe quoi pour défendre mes convictions. Je suppose que tu t'en es rendu compte mais je suis un ardent défenseur de la justice. Je suis prêt à me battre pour elle qu'importe qui j'affronte, même si ça devait être un ami.


    Son ton diminua légèrement quand il aborda ce dernier point.


    - Mais j'espère que ce cas de figure ne se présentera jamais.


    Yoko écouta en silence les paroles de son prétendant et médita dessus. Rentarou la laissa réfléchir sans montrer nul signe d'impatience. La jeune fille fit un rapide bilan de ce qu'elle connaissait de lui. Par son attirance physique, elle n'avait jamais été séduite. La caucasienne préfèrait les garçons avec des cheveux un peu plus longs et mieux entretenus. Cependant ses qualités dévoilées tout le long de cette année l'avaient souvent impressionné. l'adolescente apprécia son calme, sa capacité à écouter les soucis des autres sans paraître ennuyé le moins du monde, sa détermination quand il rencontrait un obstacle à surmonter, sa prévénance et surtout sa sincérité.


    - Tu voudrais sortir avec moi ? finit-elle par demander.


    En entendant à nouveau le son de sa voix, il réagit immédiatement.


    - Eh bien, si tu n'en ai pas gêné, répondit-il timidement. Ne te force pas pour moi.


    - Je suis d'accord pour une sortie, annonça t-elle. Après, on verra si toi et moi sommes d'accord pour continuer, ça te va ?


    - Très bien, approuva le lycéen géant. Quand ?


    - C'est toi qui m'invite alors à toi de trouver.


    - OK. Demain !


    Yoko soupira, partagée entre la désapprobation et l'amusement. Son compagnon ne perdait décidement pas de temps.


    - Pas pendant la semaine.


    - Alors Vendredi après les cours ? On sera en week-end. C'est plus la semaine.


    - Ca me convient, accepta t-elle cette fois ci.

     

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  • Notes sur le chapitre 53

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    • La visite au temple :

    Le premier jour du Nouvel An, à partir de minuit, ils sont nombreux à y aller dans la nuit d'ailleurs, les japonais se rendent au temple pour prier et remercier les Dieux pour l'année qui vient de s'écouler. Ils demandent une année meilleure ou équivalente. Ensuite, ils procèdent ensuite à une sorte de loterie, ceux sont des auspices. Si l'on tire une prophétie faste, cela veut dire que l'année sera bonne. Si elle est néfaste, il faut alors accrocher un talisman dans un arbre près du temple, prévu à cet effet, pour conjurer le mauvais sort.

     

    • La déclaration : 

    Au Japon, quand un garçon ou une fille veut sortir avec la personne dont il est amoureux, il doit aller la voir et lui exprimer ses sentiments. Bon, sur ce point, on peut dire que c'est un peu partout pareil. Une fois cette étape faite, ils peuvent sortir ensemble si la réponse de l'autre est postive.

     

    • Les sorties de couple :

    Au Japon, après la déclaration, les amoureux ne sortent pas réellement ensemble. Au départ, pendant quelques semaines, ils s'essayent. Oui, ce n'est très élégant mais c'est ce qui me parait le mieux convenir ... Pendant ce laps de temps, ils apprennent à se connaître de manière plus ou moins intime et à savoir s'ils sont compatibles. alors seulement ils commencent à sortir ensemble de manière concrète.

     

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  • Notes sur le chapitre 52

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    • Noël :

    Au Japon, la fête de Noël est uniquement commerciale et ne relève rien du caractériel familial qu'elle a dans les sociétés occidentales. Lors de ce soir-là, les jeunes se réunissent entre amis pour faire la fête. C'est aussi une journée dédié aux amoureux. Toutefois, certaines familles le célèbrent aussi et font parfois des cadeaux, surtout pour les enfants.

     

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  • Chapitre 52


    Puisque toute la bande avait réussi les examens du second trimestre, ils se retrouvaient par conséquent en congé quatre jours plus tôt avant le début officiel des vacances d'hiver. Cela n'était pas pour leur déplaire. Takaishi était retourné le lendemain dans sa ville natale. Shintarou avait essayé aussi de rentrer chez lui mais n'avait pas pu. Le billet d'avion réservé pour Sapporo à la date du Vendredi n'avait pas pu être changé. Il restait donc avec ses amis jusqu'à la fin de la semaine. Yoko était aussi rentrée en train le même jour que Takaishi.


    Profitant de leurs congés exceptionnels, la bande passait tout son temps chez Raphael à profiter de ses locaux d'entrainements et de son matériel. Le jeune maître des lieux se tenait à leurs côtés. Malgré ses déplorables performances scolaires, il était spécialement dispensé de repasser les examens du fait d'être étranger.


    Lors du dernier jour officiel de classe avant les vacances, les Sanonis se promenèrent dans les rues de Tokyo quand ils quittèrent l'ambassade de France. Rentarou remarqua de nombreuses décorations de Noël partout autour de lui. Le lycéen géant savait que dans son pays, il s'agissait d'une tradition purement commerciale. Les japonais ne fêtaient pas Noël. Ceux-ci étaient bouddhistes et shintoïstes. Ici, cette journée consacrée à sa famille devenait une simple fête entre amis bien éloignée de sa véritable signification originelle.


    - J'adore les fêtes de fin d'année, s'exclama Tyro avec enthousiasme.


    - Vraiment ? fit Seiichi.


    - Bien sur ! Ma mère fait toujours un diner génial pour Noël et la nouvelle année ! Ensuite on reçoit des tas de cadeaux de la famille pour les deux occasions ! On va au temple le premier jour de l'année et on peut s'amuser à tirer une prophétie ! Mais le mieux du mieux, c'est qu'on n'a pas l'école pendant deux semaines ! Ces fêtes sont super cool !


    Les mains plongées dans ses poches, Rentarou ne dit rien de toutes les choses énumérées par Tyro. Cependant son meilleur ami venait d'exposer toutes les raisons pour lesquelles il détestait l'attitude des habitants de son pays au moment de Noël. Pour eux, c'était un jour normal, comme les autres.


    - Tyro, soupira Seiichi avant de prendre un ton professoral. Tu sais, la fête de Noël est importante pour de nombreuses personnes dans ce monde. Il s'agit de célébrer la naissance d'un enfant né pour sauver tout un peuple de ses pêchés. Il n'y a pas si longtemps, les enfants ne recevaient pas de cadeaux à cette occasion. Ils étaient très heureux d'avoir une simple orange.


    - Tu plaisantes ? glapit-il. Moi, je ferais la tête toute la semaine si mes parents osaient m'offrir un cadeau aussi nul !


    Seiichi éclata de rire de l'expression indignée de son ami. Seul Rentarou ne rit pas, perdu dans ses lointaines pensées. Enfant, il aurait heureux d'avoir une simple orange en guise de cadeau tant que sa mère était avec lui.


    - D'ailleurs si vous voulez, vous pouvez venir demain au repas qu'a fait ma mère, proposa Tyro. Il est encore meilleur que tous les autres repas qu'elle fait dans l'année !


    - Meilleur que ceux des autres jours de l'année ? répèta Seiichi en salivant. Tu sais comment m'appâter ! Je viens !


    - Et toi, Rentarou ? Tu viens aussi ? demanda Tyro en se retournant vers leur ami qui marchait derrière depuis un bon moment.


    Sortant de ses pensées, l'adolescent aux lunettes sombres releva la tête.


    - Non, je ne peux pas. J'ai déjà des projets.


    Rentarou se félicita lui-même pour mieux maitriser l'art subtil du mensonge à présent. A cause de l'éducation que lui avait donné sa mère le poussant à le détester et à toujours rechercher la vérité, il avait toujours été incapable de mentir. Le lycéen géant se montrait terriblement gêné chaque fois que sa bouche en formulait un. Son interlocuteur le démasquait aussitôt. Au cours de ces derniers mois, l'adolescent avait appris la précieuse utilité du mensonge dans certaines situations.

     

    Naturellement, comme de nombreuses choses, il fallait se montrer raisonnable avec et ne pas abuser en limitant son utilisation aux cas d'absolue nécessité.


    - Je ne vous en ait pas parlé ? ajouta t-il en feignant la surprise.


    - Moi, je ne me souviens pas mais il paraît que j'ai une mémoire de poisson rouge.


    - C'est simplement la vérité, Tyro, dit Seiichi moqueur. Toutefois, en ce qui concerne cette affaire, je ne me souviens pas non plus que tu en ai parlé.


    - Je m'excuse alors, reprit Rentarou. En fait, Nobu-kun m'a demandé de passer la journée et la soirée avec lui.


    - Oh ? Ce n'est que ça ? s'exclama Tyro. Tu sais, tu peux l'inviter chez moi !


    - Je pense que Nobu-chan préfère voir Rentarou seul, songea Seiichi.


    - Mais moi j'aime beaucoup Nobu-kun, protesta Tyro. C'est un petit garçon adorable ! J'adorerais l'avoir pour petit frère à la place de Susumu !


    - Je suis désolé de vous faire faux bond au dernier moment, murmura Rentarou.


    - C'est pas grave, Rentarou, assura Tyro. Les Sanonis se rattraperons lors du Nouvel An. D'accord ?


    Rentarou hocha timidement de la tête. Parfois, le lycéen géant songea ne pas mériter l'affection indéfectible que lui manifestait quotidiennement ses deux meilleurs amis. Il ne cessait de leur faire des cachotteries et ne leur disait rien de ses sentiments pour éviter de leur causer de l'inquiétude. Ils s'en faisaient assez pour lui sans le lui avouer.


    ***


    Lors de la journée du Samedi du 24 décembre, très tôt dans la matinée, quelqu'un vint frapper à la porte du domicile de la famille Sakumai. Se levant toujours de bonne heure, Sayuri alla ouvrir. Elle s'étonna de l'apparence de son matinal visiteur.


    Haut comme un enfant de huit ans, il s'agissait d'une jeune garçon vêtu d'une longue veste rouge sous laquelle il avait réussi à enfiler deux épais chandails en laine lui donnant l'impression de ressembler à un bibendum. Le petit garçon portait aussi un jean noir dont les bords étaient repliés au moins dix fois tant le pantalon était trop grand pour lui. Les jambes du vêtement restaient sur le bord ses hautes bottes fourrées au lieu de les rentrer dedans. Enfin un bonnet rouge trônait sur une masse de cheveux bruns en bataille.


    La première pensée qui passa par la tête de cette mère de famille se résuma à cette image populaire : un elfe du Père Noël.


    - Bonjour Sakumai-okusan ! Je suis un ami de Tyro ! dit jovialement l'enfant. Je peux le voir ?


    - Je ne sais pas s'il est levé, répondit Sayuri. Je vais aller voir.


    La mère de famille monta rapidement les deux étages de sa maison et s'immobilisa sous la trappe permettant d'accéder au grenier où se trouvait la chambre de son fils cadet. Naturellement, celui-ci dormait encore. Ce fut Seiichi qui descendit, fidèle à ses habitudes de se réveiller tôt. Il s'entretint avec la mère de son meilleur ami et décida de parler avec son étrange visiteur.


    - Je me disais aussi que seul toi pouvait paraître si étrange, dit Seiichi quand il eut posé les yeux sur le visiteur sur le pas de la porte d'entrée.


    - Seiichi-kun ? Tu es là aussi ? C'est génial !


    Visiblement très ravi par cette nouvelle, l'enfant sauta vers lui et enlaça ses bras autour de sa taille. Depuis leur aventure ensemble à Odaiba, il adorait la compagnie de l'adolescent aux cheveux ébènes. Seiichi se demandait souvent pourquoi. Ses seuls souvenirs de ce jour-là était d'avoir crié sur lui toutes les cinq minutes.


    - Nobu-chan, que fais-tu ici ? Tu n'es pas avec Rentarou ?


    - A entendre ta réaction, il n'est pas avec vous, dit Nobu. Je le savais !


    En formulant ces paroles, le jeune garçon s'écarta. Son visage devint plus réfléchi et sérieux. Sa main se posa sous son menton.


    - Rentarou nous a dit qu'il passait la journée avec toi, rapporta Seiichi.


    - A moi, il a dit qu'il la passait avec Tyro et toi.


    - Cela ne lui ressemble pas, s'étonna Seiichi en fronçant ses très fins sourcils noirs. Rentarou a horreur de mentir.


    - Sauf que c'est Noël, rappela sombrement Nobu. Quand on vivait dans la rue, il s'isolait toujours. Même moi, je ne pouvais pas le trouver.


    Essayant de comprendre ce qui n'allait pas chez son meilleur ami, Seiichi se rappela rapidement que celui-ci avait été élèvé en tant que chrétien. Par conséquent, la fête de Noël avait un sens totalement différent pour que pour le reste des japonais. A ses yeux, c'était un moment que l'on célébrait en famille. Or, une personne qui n'avait plus de famille pouvait-elle se sentir capable de se réjouir un tel jour ? Probablement pas.


    - Quel idiot, râla Seiichi. J'aurais du deviner cela plus tôt ! Je sais pourtant qu'il est chrétien !


    Devant la mine déconfite de Nobu ne comprenant pas les raisons de l'emportement de son ami, Seiichi s'expliqua. Il parla de la religion à laquelle appartenait Rentarou et le sens que prenait la fête de Noël dans celle-ci. Le jeune garçon comprit et sourit.


    - Si ce n'est que ça, Seiichi-kun, on peut montrer à Rentarou-kun qu'il a encore une famille !



    ***

     

    En se réveillant dans la matinée, Rentarou s'était senti déprimé rien qu'en voyant la photographie de sa mère sur sa table de chevet. Il avait la sensation que des centaines d'aiguilles acérées lui déchiraient le cœur.


    Comme chaque jour de Noël depuis sept ans, il ne cessait de se plonger dans ses heureux souvenirs de son enfance.


    Il se réveillait toujours très tôt le matin, terriblement excité. Il contemplait ses cadeaux au pied de la plante verte. Celle-ci faisait office de sapin, en raison de son prix bon marché, décorée de guirlandes. Le petit garçon voulait essayer de les ouvrir discrètement. Mais sa mère veillait. Elle le prenait délicatement par la taille et l'asseyait à la table pour lui servir un succulent petit-déjeuner avec un grand bol de chocolat chaud et deux croissants au beurre.


    Toute la journée, il essayait de jouer normalement mais était très excité par l'échéance qui ne cessait de se rapprocher davantage. Le soir, sa mère et lui n'avalaient qu'une simple soupe. Celle-ci passait ensuite toute la soirée de cette sainte nuit à lui raconter des histoires. Elles évoquaient des légendes japonaises transmises au fil des générations ou des contes traditionnels occidentaux ou encore des récits bibliques. Par contre, il y avait un moment où l'enfant n'écoutait plus sa mère. Dès que la pendule de leur appartement sonnait le premier coup de minuit, il fonçait vers la plante ouvrir ses cadeaux. Après avoir déballé ses nouveaux jouets et s'être enthousiasmé, il se levait et marchait vers la fenêtre. Il fixait alors une des étoiles dans le ciel nocturne, joignait ses mains l'une sur l'autre et remerciait Jésus de lui avoir offert de si beaux présents.


    Pendant cette journée, Rentarou se leva tout de même, se doucha et s'habilla. Il descendit au réfectoire. Cependant le lieu était désert. Aucune cantinière n'était présente. Comme seuls deux internes demeuraient au lycée pour les vacances d'hiver, le proviseur avait statué un congé pour les dames de service qui préparaient et servaient les repas. Ainsi le jeune homme devait se préparer quelque chose. Il passa derrière les grilles sur lesquelles reposaient en temps normal la nourriture proposée aux élèves et s'agenouilla sur le sol. Ses doigts farfouillèrent sur le carrelage froid jusqu'à trouver un mécanisme qui ouvrit une large trappe.


    Une fois en bas, il longea le couloir jusqu'à arriver au bout puis pénétra dans la salle de droite derrière laquelle se trouvait la cuisine où l'on préparait les repas pour les deux cent adolescents qui logeaient ici à l'année trois fois par jour. Aujourd'hui l'endroit était désert et ne montrait aucun signe de l'effervescence permanente qui régnait habituellement.


    Ouvrant les différentes portes des meubles, Rentarou finit par trouver du pain et du fromage. Connaissant son absence de don culinaire, le lycéen géant s'abstint de se cuisiner lui-même un repas. Il aurait été capable de provoquer une explosion en laissant trop longtemps une casserole sur le gaz.


    Après avoir avalé quelques tartines, l'adolescent remonta dans sa chambre et s'allongea à nouveau sur son lit. Les bras croisés sous sa tête, repensa avec nostalgie et tristesse à sa mère.

     

    ***


    Au même moment, il existait une autre personne dans la ville qui déprimait pareillement Rentarou. Assis aà un magnifique secrétaire taillé dans un coûteux bois de chêne, les yeux de Raphael se perdaient dans le vide. Ils s'arrêtaient aussi sur la photographie sur sa droite. Celle-ci représentait une femme âgée, les cheveux mi-longs encore bruns, aux yeux noisettes, qui tenait un petit garçon dans ses bras.


    Brusquement, l'adolescent se redressa. Il entendit des pas dans le couloir. Sans savoir si la personne à laquelle ils appartenaient venait le voir, le jeune homme s'empressa de retourner le cadre. Au lieu de cette ancienne photographie montrant son heureux passé, celui-ci afficha désormais celle prise quelques mois plus tôt. Elle représentait un homme proche de la cinquantaine, les cheveux très courts et grisonnants, son père, sa mère dans une de ses robes fantaisistes et lui dans un de ces costumes luxueux qu'il méprisait au plus haut point. Ce cliché ne possédait pas la moindre valeur à ses yeux et ne reconnaissait pas ses parents en tant que sa famille. La seule qu'il avait eu avait disparu pour toujours.


    Quelques instants après que Raphael y eut touché, sa mère entra. Il se leva alors pour aller à sa rencontre et nota que celle-ci paraissait très ennuyée. Méchamment, le cruel adolescent pensa qu'elle devait s'être retournée un ongle.


    - Mon Fafa, j'ai un grave problème, lui annonça t-elle avec anxiété.


    - Quoi donc ?


    Immédiatement, l'épouse de l'ambassadeur changea d'expression. Son visage se courrouça et regarda son fils avec désapprobation.


    - Tu ne dois pas parler de cette manière, Raphael. En français correct, il faut dire « De quoi s'agit-il ? » ou « De quel sujet souhaites-tu m'entretenir ? »


    L'adolescent détestait cet aspect de la personnalité de sa génitrice. Sous prétexte de représenter le gouvernement français et l'ensemble de ses citoyens, ils se devaient de s'exprimer le mieux qu'il était possible. A chaque fois que Raphael lâchait un mot d'usage courant ou familier, elle le reprenait comme un petit enfant qui commettait une grosse bêtise. Le jeune homme ne comptait plus les fois où sa conceptrice l'obligeait à l'accompagner dans ses réceptions ennuyeuses et le reprenait dès qu'il ouvrait la bouche. Ce n'était pas difficile de comprendre pourquoi l'adolescent ne disait plus grand chose maintenant.


    - De quoi souhaites-tu me parler ? reprit Raphael en évitant de paraître las.


    - Parfait, s'exclama Thérèse enchantée.


    Comme à chacune de leur conversation, il se sentit déjà très excédé mais ne le montra pas pour éviter de nouveaux soucis. Le jeune homme en avait déjà assez à gérer.


    - Alors, mon Fafa, je suis vraiment très embarrassée, poursuivit-elle en reprenant son expression de tristesse du départ. Ton père a reçu une invitation d'un ministre pour ce soir et il ne veut pas que tu viennes. C'est un diner très important pour lui et il craint d'être ennuyé par la présence d'un enfant. Tu comprends ?


    Raphael eut envie de crier de joie en entendant cette nouvelle. Pour une fois, il n'aurait à supporter ni un interminable diner ni des conversations aussi passionnantes que des gouttes de pluie.


    - Cependant je suis ennuyé de te laisser seul ici pour Noël. Alors j'ai une idée !


    L'adolescent songea que c'eût été trop beau pour être vrai. Ses parents ne concevaient pas qu'il avait grandi. Le jeune homme avait l'impression qu'ils le voyaient toujours comme le petit garçon de sept ans ramassé huit ans plus tôt sur le perron de sa grand-mère défunte.


    - Ce n'est pas la peine de te tracasser, maman, intervint-il. Il y a une fête qui est organisée pour Noël à mon lycée. Je pourrais y aller, non ? Ainsi je ne serais pas seul.


    Il s'agissait d'un pur mensonge. Raphael savait pertinemment que son lycée était désert depuis la veille mais sa mère l'ignorait. l'adolescent pourrait librement s'exercer dans le gymnase ou lire à la bibliothèque.


    - C'est vrai ? C'est merveilleux alors !


    Sur ce, elle laissa son fils à nouveau seul sans deviner les véritables sentiments de son enfant.

     

    ***



    En début de l'après-midi, Seiichi, Tyro et Nobu quittèrent la maison familiale des Sakumai. Les deux lycéens portaient chacun un sac à dos. Ils traversèrent les différents arrondissements qui les séparaient de leur établissement en prenant le bus. Celui-ci les arrêta en bas de la côte du lycée, soit en face du collège de Nobu. D'un pas rapide, ils montèrent la pente, passèrent le portail et s'introduisirent dans le bâtiment de vie scolaire.


    - Allons aux chambres, dit Nobu. C'est où ?


    - Les escaliers sont à droite, indiqua Seiichi. Suis-nous.


    Les deux garçons commencèrent à se diriger vers cette direction lorsque Tyro changea de cap. Celui-ci opta pour se rendre au réfectoire. Très curieux, Nobu le suivit. Fataliste, Seiichi se résigna en maudissant ce besoin incontrôlable de curiosité de ses camarades.


    - Qu'est-ce que vous avez ?


    - J'ai entendu du bruit, l'informa Tyro.


    En disant cela, il promena son regard un peu partout dans le réfectoire.


    - Moi, je n'ai rien entendu, soupira Seiichi. Je possède une ouïe supérieure à toi pourtant.


    - On entend toujours plein de bruits dans les bâtiments, objecta Nobu. Ca doit être le vent.


    Tyro ne démordit pas de son idée. Il s'obstina à inspecter l'endroit et passa de l'autre côté des vitrines où étaient présentées les repas. Le jeune homme s'agenouilla au sol et repéra la trappe menant aux cuisines, à la blanchisserie et aux réserves de l'établissement.


    - Le verrou n'est pas mis.


    - Quelqu'un l'a probablement oublié, répliqua Nobu.


    - C'est une trappe. Si on ne met pas le verrou, on peut tomber en bas si on marche dessus. S'il n'est pas mis, ça veut dire que quelqu'un est descendu et ne sait pas qu'il y a un verrou des deux côtés.


    - Tu connais bien le principe, dit Seiichi impressionné par les connaissances de son meilleur ami.


    - J'ai passé la moitié de mes retenues là dessous, bougonna Tyro.


    Seiichi sourit malicieusement. Il aurait du se douter de cette réponse. Son meilleur ami, étant puni chaque jour de la semaine, devait connaître de nombreux endroits de leur lycée que lui-même ne pouvait pas avoir accès.


    - Ca ne nous sert à rien tout ça, se plaignit Nobu. Allons voir Rentarou-kun !


    - Il n'y a personne au bahut sauf Rentarou, rappela Tyro. Ca veut dire que Rentarou doit surement être en bas puisque cette trappe est ouverte.


    - Je commençais à me demander où tu voulais en venir, dit Seiichi, mais je comprends à présent. Cela me paraît logique.


    - Eh bien, descendons alors !


    Sans attendre la réaction de ses deux compagnons, Nobu ouvrit la trappe et descendit les étroites marches en bois du petit escalier souterrain. Seiichi et Tyro échangèrent un bref regard de connivence et le suivirent. Au sous-sol, Tyro appuya sur l'interrupteur et éclaira ainsi la totalité des couloirs. Ils marchèrent dans l'un d'entre eux et ne s'arrêtèrent qu'au moment où leurs yeux remarquèrent une porte à moitié ouverte, bloquée par un carton.

    -  C'est là, s'écria Nobu.


    Spontanément, il fonça à l'intérieur. Ses compagnons le talonnèrent de près. Tandis que le jeune garçon appela après son camarade d'enfance, Seiichi chercha l'interrupteur en tâtant le mur de l'étroite pièce. Lorsque la lumière fut, ils découvrirent tout un amoncellement de cartons ouverts et vides autour d'eux.


    - Il doit s'agir d'un vieux cagibi, présuma le jeune ninja.


    - Retournons dans le couloir, suggéra Nobu.


    Brusquement, tous deux entendirent un claquement émanant de l'entrée du cagibi. Ils pivotèrent rapidement et aperçurent la porte qui venait de se refermer avec Tyro à côté. Nobu fut le premier à réagir en accourant à sa hauteur et en examinant le seul accès du local.


    - Tyro, qu'as-tu fait ? se lamenta t-il catastrophé.


    - J'ai rien fait mal. Je me suis pris les pieds dans un carton trainant près de l'entrée. Pour éviter qu'un de nous se prenne dedans encore une fois, je l'ai retiré. On ne pense vraiment à moi que comme un fauteur de troubles !


    - En quoi tout cela est un problème ? s'enquit Seiichi en s'approchant de ses amis.


    - Ca veut dire qu'on est prisonniers de cet endroit, révéla gravement Nobu.


    - Arrête de te foutre de nous ! Je sors quand je veux !


    Nullement impressionné par les dires du jeune garçon, Tyro fanfaronna et compta bien montrer qu'il n'était pas aussi stupide que l'on le disait. Le jeune homme voulut tirer la poignée de la porte mais réalisa qu'aucun système d'ouverture ni de fermeture n'équipait celle-ci. Le garçon perdit immédiatement de sa superbe et demanda beaucoup plus calmement des informations.


    - C'est quoi ce truc ?


    - Ce truc, c'est probablement une porte sécurisée, expliqua Nobu. Ca s'ouvre que de l'extérieur. C'est plus efficace qu'un simple verrou puisqu'elle se verrouille automatiquement à l'instant où la porte est fermée.


    Tyro pâlit affreusement de cette nouvelle. Seiichi ne dit rien et ne montra aucune réaction. Par contre, il balaya du regard l'ensemble de la pièce et le pivota vers une petite bouche d'aération située à trois mètres du sol.


    - Il y a une autre sortie, dit-il avec son habituel sarcasme. Un de vous a appris à voler récemment ?


    - Calme-toi, Seiichi ! Y a une solution à tout, s'exclama Tyro.


    Son ami essayait de parler très décontracté et de paraître à l'aise mais cela se remarquait que le garçon ne l'était pas du tout. Pour sa défense, il fallait préciser que le regard lancé par les yeux bleus océan de l'adolescent aux cheveux ébènes n'aidait pas à le détendre.


    - Appelons avec nos portables, reprit-il.


    - J'ai pas le mien, avoua Nobu ennuyé. Comme je ne voulais pas être dérangé aujourd'hui par mes potes du collège, je l'ai laissé dans ma chambre.


    - Et je parie que Tyro l'a oublié, décréta Seiichi avec impassibilité.


    Très nerveux, l'adolescent se mit en devoir de rechercher ce précieux objet. Il chercha longuement dans la moindre de ses poches de son jean, de sa veste et de son anorak. Au fur et à mesure de son inspection, son visage pâlit davantage.


    - Je crois que j'ai dû le laisser dans ma chambre …


    - Il n'y a même pas de suspense avec Tyro, soupira Seiichi.

    ***

     

    En vérité, Tyro ne possédait pas tous les torts dans cette sombre histoire. Quelqu'un était bien descendu dans le sous-sol du lycée. Dans le début d'après-midi, Raphael avait été déposé par la limousine de sa mère devant le portail, soi-disant pour cette petite fête inventée pour se débarrasser des hypocrites scrupules maternels à le laisser seul. L'adolescent s'était rendu au gymnastique et avait pratiqué des exercices d'étirement de ses muscles pendant une heure approximativement. Il avait ensuite ressenti les effets de la faim.


    N'ayant que très peu mangé à midi et venant d'utiliser de l'énergie, il se décida à la renouveler. Le jeune homme avait quitté le gymnase, avait gagné le réfectoire et descendu par la trappe. En se souvenant des longues explications de Shintarou, l'adolescent avait facilement trouvé la cuisine. En son for intérieur, Raphael pensa que son ami était un ventre sur pattes une fois de plus. Il se fit quelques tartines de jambon et de fromage.


    Après ce frugal repas, Raphael remonta dans le couloir du bâtiment de vie scolaire sans jamais penser que des personnes étaient enfermées si près de lui. Le jeune homme s'apprêta à pousser la porte de la bibliothèque quand il entendit un bruit sourd en provenance de l'étage supérieur.


    Immédiatement, l'adolescent accourut, monta rapidement l'escalier menant à l'internat et arriva au dortoir des garçons. Il se demanda d'où pouvait venir le bruit et circula dans les couloirs jusqu'au moment où il remarqua une lueur émanant de l'un d'entre eux. Ses pas se précipitèrent vers cette direction.


    En passant le seuil de la porte de cette chambre, il se retrouva dans celle de Rentarou. Celui-ci compulsait apparemment un livre mais le renferma en vitesse en apercevant son visiteur et le fourra sous ses couvertures avant de s'asseoir sur le bord du lit.


    - Que fais-tu ici, Raphael-san ?


    - Rien d'important, éluda le jeune homme. Et toi ? Tu n'es pas rentré dans ta famille ?


    - Je n'ai pas de famille, dit douloureusement Rentarou. Je passe toute l'année ici.


    - Désolé, murmura t-il.


    Le jeune français n'ajouta rien de plus. Il s'approcha de la fenêtre et regarda le blanc paysage au travers. Son esprit ne cessa de se tourmenter au sujet de la famille.


    - Moi aussi.


    Tournant la tête vers son compagnon, Rentarou ne comprit pas le sens de cette déclaration mais chercha à la connaître.


    - Moi aussi. Je n'ai pas de famille.


    - Ne dis pas n'importe quoi, répliqua Rentarou avec une agressivité peu coutumière. Tu es le fils de l'ambassadeur de France !


    - Je ne considère pas mes parents comme ma famille, avoua t-il avec froideur. L'unique raison pour laquelle je suis avec eux est parce qu'il n'y a plus personne pour s'occuper de moi. Quand je suis né, ils ne sont jamais occupés de moi. Ils ont trouvé aussitôt quelqu'un chez qui me placer et sont repartis à l'étranger dans leurs stupides voyages.


    Face à un aveu aussi terrible auquel il ne s'était pas attendu, Rentarou regretta immédiatement sa colère. Malgré sa réticence à évoquer le sujet, le lycéen géant se décida à le faire malgré tout.


    - Moi, c'est ma mère …. Enfin j'ai pas envie du tout d'en parler.


    Devant la fenêtre, Raphael sourit timidement et succinctement. Il se retourna et traversa la pièce pour s'asseoir sur l'unique chaise.


    - Ne te force pas.


    Les deux adolescents restèrent assis là de longs instants, sans jamais savoir combien de temps exactement cela avait pu durer, à méditer sur la condition de leur existence. Tous deux enviaient l'autre. Rentarou aurait bien aimé aimer profiter de la richesse d'un parent, même s'il n'aurait pas eu de sentiments amicaux pour lui, et enviait son sempai.


    Raphael jalousait aussi son camarade de sa condition sociale peu élevée. Quand sa grand-mère était décédée, il avait imaginé partir à l'aventure sur les routes de France et d'Europe en prenant soin de lui-même. La richesse de ses parents ne l'avait jamais intéressé. Le jeune homme la dénigrait totalement même si elle présentait parfois des avantages.


    Malgré le fait que les deux orphelins se trouvaient dans la même pièce, à moins d'un mètre de distance, ils se demeuraient encore très éloignés l'un de l'autre.


    - Rentarou ! Tu es là ?


    Perdus dans leurs réflexions intérieures profondes, les deux adolescents relevèrent la tête. Ils aperçurent alors un rouquin de petite taille qu'ils connaissaient très bien.


    - Shin ? Que fais-tu là ? questionna Rentarou.


    - Mon avion n'est toujours pas parti à cause des récentes chutes de neige sur Hokkaido. Comme j'en ai marre de rester à l'aéroport, je suis revenu ici.


    - Ca veut dire que tu ne passeras pas Noël avec ta famille, dit Raphael en refoulant la tristesse qu'il ressentait pour son ami.


    - Ce n'est pas grave ! On va bien s'amuser quand même !


    - Eh ?


    - Vous savez, il existe plusieurs types de familles, reprit le jovial rouquin. Il y a d'abord celle que tu as eu par ta naissance dont tu n'as pas eu le choix et que tu peux aimer ou non. Ensuite il y a celle que tu formes avec tes amis. Alors puisque ce soir, nous sommes seuls tous les trois faisons une fête de Noël en tant que cette seconde famille !

    ***



    En ce début de vacances d'hier, Kou s'était levé assez tard ce matin, récupérant de cette manière le sommeil dont il avait manqué lors de ces dernières semaines en raison des cours et des révisions. Après le déjeuner en famille, l'adolescent était retourné dans sa chambre pour lire. Sa jeune sœur l'y avait suivi et s'affairait devant sa coiffeuse.


    Allongé à plat ventre sur l'édredon de son lit, près de la fenêtre, il ne demandait rien à personne, sauf de le laisser tranquille, lorsque celle-ci se retourna et lui adressa la parole.


    - Fukuda, que fais-tu ce soir ?


    En entendant la fillette lui parler de son timbre toujours si sec et autoritaire, Kou dressa la tête et ne se montra pas surpris d'être appelé par son nom de famille par sa propre sœur. Il vivait dans cet appartement depuis dix mois maintenant et elle continuait à l'appeler ainsi. Devant leur mère et son père, Yuki se contentait de dire l'étranger ou l'intrus. Souvent, elle utilisait un pronom personnel pour le désigner.


    Un tel traitement aurait scandalisé plus d'une personne. Beaucoup auraient hurlé et aurait exigé davantage de respect. Pas Kou. Depuis sa naissance, il avait l'habitude d'essuyer toutes sortes de réflexions désagréables et d'insultes. L'adolescent était si accoutumé à entendre des paroles méchantes et blessantes que cela glissait. Il lui arrivait de se comparer avec le paillasson devant la porte de l'appartement sur lequel les gens essuyaient les saletés de leurs chaussures.


    - Je vais sans doute rester ici, dit-il d'une voix monocorde.


    - Je vois. Dans ce cas, tu diras à ma mère que je passe la nuit chez Ayako-chan, compris ?


    - Ce n'est pas vrai ?


    Excédée, la petite fille posa ses mains sur ses hanches et regarda son frère de travers.


    - Évidemment ! C'est Noël aujourd'hui ! On va faire la fête avec des copines !


    - Oyaba et Eiji-san ne veulent pas que tu sortes après six heures du soir, rappela Kou soucieux.
    Haussant les épaules, elle foudroya davantage l'adolescent en face d'elle.


    - Tu comptes me dénoncer ?


    Kou secoua négativement la tête en guise de réponse. Il n'était pas assez stupide pour déclencher l'ire de sa petite sœur. Elle ne supportait ni sa présence dans son appartement ni son existence, et surtout elle détestait le fait de devoir partager sa chambre. La petite fille lui causait assez de problèmes en temps normal pour en créer de nouveaux.


    Pendant que Yuki terminait de se préparer, le jeune homme se souvenait des paroles qu'elle avait dite. Aujourd'hui c'était Noël. Instantanément, il pensa à un de ses amis pour qui la journée représentait une date importante. Lorsqu'ils étaient encore à l'école élémentaire, le jeune homme avait entendu son récit de ses vacances d'hiver. Par hasard. Il avait été puni par son institutrice et avait dû sortir dans le couloir. Il avait alors écouté le cours de la classe en face de la sienne. Kou se souvenait encore très clairement d'entendre ce petit garçon raconter longuement la journée de Noël.
    Pensif, l'adolescent se laissa retomber contre son lit. Il se demanda ce que cette personne faisait en ce moment. A sa connaissance, celle-ci ne devait pas être en train de s'amuser. Il la devinait plutôt en train de ruminer ses souvenirs quelque part dans son coin. Depuis leur enfance, ce garçon agissait toujours de la même manière.


    Quand ils étaient de très jeunes enfants, quand il se comportait comme un idiot sans cervelle, Kou se rappelait de son attitude de Rentarou. Il ne se plaignait jamais des coups et des humiliations subies. Il ne bronchait jamais. Il ne pleurait jamais. Par contre, il partait et personne ne parvenait jamais à le retrouver. Ni les institutrices ni Matsuda Katsuo ne réussissaient à mettre la main dessus.

    En sachant tout cela, Kou songea ne pas avoir le droit de rester assis là sans rien faire pour son ami. Il se redressa, prit son téléphone cellulaire sur sa table de chevet et composa un numéro contenu dans son répertoire.


    - Taka-chan ? fit-il quand il obtint une réponse.


    A l'autre bout, son meilleur ami le salua et commença à lui parler de ses vacances. Cependant Kou le coupa rapidement pour changer de sujet de conversation. Il lui rapporta son inquiétude à propos de Rentarou et indiqua son intention de passer la soirée avec leur camarade.


    - Qu'en penses-tu, Taka-chan ? Ce serait sympa, non ? Un truc juste tous les trois.


    Il écouta la réponse de son ami. Selon ses prédictions, il ne voulait pas venir car son absence risquait d'inquiéter ses parents. Kou le comprenait. Malgré tout, cela le peinait mais n'en dit rien.


    - Tu es sûr de toi ?


    Dans le téléphone, celui-ci lui confirma timidement sa réponse s'en excusa même. Kou le salua, raccrocha et déposa l'appareil devant lui sur le lit.


    Une main posée contre la tempe droite de sa tête, Kou réfléchissai et se demandait si Rentarou apprécierait de le voir ce soir. Il n'y aurait que lui, uniquement lui. C'était peut-être un peu risqué. Cependant en n'y allant pas, Rentarou serait certainement tout seul. L'adolescent ne cessait d'hésiter entre les deux possibilités ne sachant quel était le bon choix à faire.


    Finalement le jeune homme se leva de son lit et se décida à sortir. En posant sa main sur la cliche de la porte avant de sortir, il tourna la tête vers sa petite sœur :


    - Je sors, Yuki. Je vais surement rentrer tard.


    - Tu peux aussi ne plus rentrer, Fukuda, tu sais. Ca m'arrangerait bien, lui lança t-elle.


    - Je ne compte pas partir si vite.


    Sur ce, Kou quitta la chambre et alla prévenir sa mère qu'il sortait pour la soirée. Le jeune homme se dirigea ensuite vers le vestibule et enfila son manteau avant de sortir.

    ***



    Depuis sa descente du train, Takaishi était heureux et satisfait d'avoir retrouvé ses parents en début de semaine. Pour fêter son retour, sa mère lui avait préparé tous les plats qu'il adorait. En réalité, ils l'aimaient tellement que sa mère prenait grand soin à ne pas lui servir un aliment dont son fils n'appréciait pas le goût. Ceux-ci lui avaient aussi enregistrés tous les matches de base-ball qu'il avait manqué au cours de ce second trimestre et Takaishi avait passé toute la semaine à les visionner.


    Par rapport à son appartement et à son quartier, le jeune homme comparait son lycée à un hôtel de luxe. Cependant il se fichait bien du manque de place. Ses parents en faisaient déjà bien assez pour lui. Sans nul doute, l'appartement était très petit. Il ne comportait que deux pièces, trois si on prenait en compte sa chambre. Les deux premières se trouvaient être la cuisine, le principal lieu de vie de la famille, et le salon, où ses parents dormaient sur le canapé qui se dépliait le soir et où Takaishi regardait la télévision sur un très vieux poste.


    Quant à sa chambre, c'était un placard. Ce n'était pas une exagération. A l'origine, cette pièce avait été conçu pour en être un. Ses parents l'avaient alors aménagé pour en faire un meilleur cadre de vie pour leur enfant. Dedans était contenu un lit vert en mezzanine. Dessous s'organisaient les possessions du jeune homme derrière un long rideau noir pour dissimuler son intimité. Sur le côté gauche, il avait placé son armoire où était rangé ses vêtements. Au milieu, un coffre où il conservait des jouets de son enfance. Et sur le côté droit se tenait le bureau.


    Le matin de Noël, Takaishi se leva de bonne heure. Alors qu'il peinait toujours pour se réveiller en période scolaire, l'adolescent ne souffrait pas de ce défaut en vacances.


    Avant de prendre son petit-déjeuner, il se rendit derrière le rideau et s'assit à son bureau. Les mains jointes l'une sur l'autre, l'adolescent commença sa prière. Très pieux, Takaishi croyait en les Dieux et en l'existence d'une autre vie après la mort.


    En revenant dans sa chambre, il se remit à son bureau et se mit en devoir d'étudier. Le jeune homme révisa une leçon pas très bien comprise.


    Malgré le fait que ses parents faisaient tout pour lui rendre la vie agréable et plaisante, Takaishi veillait à respecter les traditions japonaises. Dans la société nippone, il était d'usage que le fils aîné soit celui qui s'occupe de ses parents quand ceux-ci seraient en âge de ne plus pouvoir travailler. Pour cette raison, une pression plus importante s'exerçait sur ces enfants. Takaishi ne l'avait jamais subi. Au contraire. Ils lui avaient proposé souvent de ne pas faire trop d'efforts dans ses études et de profiter de sa jeunesse. Il se mettait lui-même la pression de réussir en voulant rendre ses parents très fiers de lui. A cause de son désir de devenir un simple pâtissier, avant d'entrer en apprentissage, le jeune homme souhaitait sortir d'un lycée qui possédait une excellente réputation avec de bons résultats.


    Également il possédait une seconde raison de se mettre autant la pression. Quinze ans plus tôt, le jeune homme avait eu un grand frère. Cependant celui-ci était atteint d'un cancer. Comme lui-même en avait souffert ce qui avait causé la perte de sa chevelure brune. Pour essayer de le sauver, ses parents avaient fait un second enfant en espérant que celui-ci ne soit pas malade lui non plus et pourrait soigner le premier. Malheureusement, son aîné était décédé peu après son troisième anniversaire, quatre mois avant que son cadet ne vienne au monde.


    Pour son grand frère disparu trop tôt, Takaishi souhaitait être capable de répondre aux différents rêves que celui-ci aurait pu émettre s'il avait eu la chance de vivre. Le jeune homme s'interrogeait souvent sur la mort et se demandait pourquoi il n'était pas décédé lui aussi de cette maladie. Les Dieux avaient-ils prévus quelque chose de spécial pour lui ? Il ne s'expliquait pas ce miracle mais remerciait chaque jour le ciel de l'avoir guéri.


    Dans l'après-midi, alors qu'il refaisait une dissertation de Géographie à laquelle le jeune homme avait eu une mauvaise note, son téléphone cellulaire sonna. L'adolescent tendit le bras pour l'attraper et répondit. Un sourire illumina son visage en entendant la voix de son meilleur ami.


    - Salut Kou-kun ! Comment tu vas ?


    Enchanté de pouvoir communiquer avec son ami, il commença à lui décrire son quotidien et voulut lui parler du dernier match des Giants de Yokohama, son équipe japonaise favorite de base-ball, vu en début de semaine quand son interlocuteur le coupa. Celui-ci préféra lui évoquer le sort solitaire de Rentarou. Takaishi se sentit navré pour leur ami géant mais ne sut pas quoi dire pour consoler Kou de sa peine. Il n'eut pas le temps de dire grand chose. Son correspondant lui proposa de venir sur Tokyo afin de passer la soirée avec Rentarou et lui.


    D'un point de vue strictement personnel, Takaishi aurait adoré s'y rendre. Passer du temps avec ses amis était la chose qu'il préférait. Cependant le jeune homme craignait de délaisser ses parents. Ceux-ci se réjouissaient de le revoir au terme de trois longs mois d'absence. Il ne voulait pas leur causer de peine. Naturellement, ils ne lui disaient rien mais l'adolescent devinait leur tristesse.
    - Je ne peux pas, Kou-kun. Je dois rester avec mes parents.


    Le jeune homme regretta de prononcer ces mots. Il confirma sa réponse puis salua son ami. En lui-même, Takaishi se reprocha de le laisser tomber. Entre une soirée d'amusements et une où il irait se coucher tôt, l'adolescent préférait de loin la première proposition.


    Enfouissant sa tête dans ses mains, Takaishi ne savait plus quoi penser. Il voulait y aller mais ne souhaitait ni inquiéter ses parents ni les attrister. Le jeune homme ne pouvait plus savoir quelle décision était la bonne. Devait-il écouter son cœur ou sa raison ? Son cœur lui criait «cours !» et sa raison «Reste !». Tout s'embrouillait dans son esprit et il ne parvenait pas à démêler quoique ce soit.


    L'adolescent était si plongé dans ses pensées que ses oreilles n'entendirent pas sa mère frapper à sa porte. Celle-ci ouvrit et passa sous le rideau en tenant une pile de linge soigneusement plié. Elle s'apprêta à le ranger dans l'armoire et remarqua l'attitude contrariée de son fils. La femme s'arrêta immédiatement, posa son linge sur le coffre et s'approcha.


    - Taka-chan, ça ne va pas ? demanda t-elle inquiète.


    En entendant la voix de sa mère, le garçon se redressa vivement et se tourna en sa direction.


    - Je vais bien, mama, assura t-il. Ne t'en fais pas.


    Soucieuse du bien-être de son enfant, la mère jeta un œil sur les feuilles noircies de son écritures comportant plusieurs ratures. Son regard se désola.


    - Tu sais, Taka-chan, c'est le jour de Noël aujourd'hui.


    - Et alors ? Nous sommes japonais. Ce n'est pas une fête pour nous.


    - Je sais. Cependant au Japon, elle a un sens pour les jeunes et les amoureux. La plupart des ados, Taka-chan, sortent avec leurs copains.


    Cette phrase rappela son dilemme au jeune homme qui ne sut s'empêcher de faire la moue. Cela n'échappa pas à sa mère.


    - Pourquoi ne sors-tu donc pas toi aussi ? Tu ne vas pas rester dans cet appartement toutes tes vacances, non ? Tu dois aussi t'amuser.


    Surpris, Takaishi contempla sa mère longuement en silence. Sa tête se leva en sa direction puis se baissa. Il murmura ensuite très bas :


    - C'est vraiment bien que je sorte ?


    - Bien sur, lui sourit-elle. Alors que vas-tu faire ?


    ***

     

    Pendant ce temps, au lycée, Rentarou, Raphael et Shintarou étaient descendus au réfectoire. Puisque tout l'établissement leur appartenait actuellement, ils comptaient en profiter. A un moment, Rentarou s'était isolé, prétextant aller aux toilettes, et avait appelé ses deux meilleurs amis. Il culpabilisait fort de leur avoir menti et encore plus de s'amuser sans eux. Le lycéen géant s'était excusé de leur avoir menti sur le répondeur du téléphone de Tyro et proposer de le rejoindre. Cependant il craignit que le propriétaire de cet appareil ne soit pas en possession de son bien.


    Les trois adolescents s'amusèrent à jouer aux cartes. Shintarou fit aussi rire ses deux camarades en réalisant toutes sortes de pirouettes et acrobaties impossibles que seules sons agilité et sa souplesse hors du commun lui permettaient de faire.


    Au beau milieu de ces réjouissances, Kou surgit à l'entrée de la salle. Celui-ci parut très surpris. Il s'était imaginé se rendre à la chambre de son ami mais avait vu de la lumière émanant du réfectoire. En l'apercevant, le trio alla à sa rencontre.


    - Fukuda, que fais-tu ici ? demanda Raphael.


    - Ca commence à faire du monde pour un endroit désert, rigola Shintarou.


    - Je pensais que tu étais seul, Rentarou, alors je voulais te tenir compagnie.


    Légèrement gêné, Kou parla d'une voix faible et mal assurée. Etrangement, son visage avait pris la même teinte que le chandail de Rentarou. Ce dernier fut touché par la sollicitude son ami d'enfance, et surtout ex-ennemi. Il le remercia chaleureusement et le convia à leur petite fête improvisée.
    D'ailleurs, le jeune homme n'était pas venu les mains vides. Sur le chemin, il s'était arrêté dans un combinience store et avait acheté suffisament de paquets de chips, de bonbons et de sodas pour faire déborder son sac à dos et empêcher sa fermeture. Il mit à disposition de bon cœur ses victuailles avec ses camarades.


    Pendant qu'ils dévoraient ces quelques provisions, Takaishi survint. Il s'approcha timidement de ses amis. En le voyant, Kou se leva et alla à sa rencontre, très excité.


    - Taka-chan ! Tu es venu finalement !


    - Oui, je suis désolé d'être en retard.


    - Pas de problème, assura son meilleur ami en levant son bras pour poser ensuite sa main sur son épaule. C'est chouette de voir la bande au complet !


    En s'avançant vers le reste du groupe qui le salua jovialement. Il détailla les différents visages et repéra immédiatement que deux manquaient à l'appel.


    - Seiichi-kun et Tyro ne sont pas là ?


    - Je ne peux pas les joindre, dit Rentarou en dissimulant son amertume et son regret.


    - Tant pis pour eux, claironna Shintarou. On s'amusera sans eux !


    - Dis, Taka-chan, fit Kou, si tu cuisinais pour nous ? Ce serait encore mieux que des chips !


    - Je ne suis pas assez doué pour ça, répliqua le jeune homme avec embarras.


    - Ca ne peut pas être pire que Rentarou ou Raphael, déclara le malicieux rouquin.


    - Je n'ai jamais cuisiné de ma vie, rappela le jeune français en donnant une bourrade du coude droit dans le bras de son ami.


    - Personnellement, si on me demande mon avis, je préfère manger quelque chose de cuisiné plutôt que des chips, intervint Rentarou. C'est beaucoup plus sain.


    - C'est très bon les chips pourtant, protesta Shintarou.


    - Certes, le goût est agréable. Cependant cela n'apporte aucune qualité nutritive. Bien au contraire.
    - Et ton meilleur ami s'en goinfre, rappela t-il.


    - Seiichi peut n'importe quoi sans prendre un gramme superflu, soupira le lycéen géant.


    Ce constat était la vérité même. Depuis un peu plus de trois mois, l'adolescent aux cheveux ébènes avait finalement atteint un poids normal pour son âge et sa taille. L'infirmière l'avait alors mis en garde de surveiller son alimentation à présent afin de ne pas grossir au point de devenir obèse. Le jeune ninja avait écouté poliment ces conseils mais n'avait pas obéi. Il avait continué à manger un repas pour trois personnes et des tas de produits non diététiques sans prendre un seul kilo de plus ce qui enchantait Haruko de constater que son patient se raisonnait aussi bien. En entendant ce commentaire la première fois, Rentarou n'avait pas su se retenir d'éclater de rire en pensant aux six pâtisseries que son meilleur ami avait englouti avant d'aller à l'infirmerie.


    Finalement Takaishi céda à la requête de ses camarades. Ils descendirent ensemble dans le sous-sol pour se rendre à la cuisine. En parcourant les couloirs souterrains, la bande entendit de curieux bruits très sourds répétés, comme si on frappait sur une paroi.


    - Qu'est-ce que c'est ? demanda Kou.


    - On ne peut pas savoir à distance, dit Raphael. Allons voir.


    - Mais ça peut être dangereux, protesta Takaishi.


    - La seule entrée, c'est la trappe du réfectoire. Si quelqu'un était entré, nous l'aurions forcément vus. Il doit s'agir d'un truc tombé quelque part ou quelque chose comme ça.


    - Rentarou a raison, approuva Shintarou. Allez ! On y va !


    Les cinq adolescents s'élancèrent ainsi à l'écoute des bruits. Rentarou, Raphael et Shintarou avancèrent en tête, observant autour d'eux très attentivement. Ils finirent par arriver devant une porte d'où retentissait ces bruits mais surtout derrière laquelle on entendait des voix qu'ils reconnurent tous.


    - Seiichi, arrête un peu ! Tu ne peux pas défoncer cette porte, même avec tes talents de ninja !


    - Tu préfères rester là ? Je te signale que les vacances d'hiver durent quinze jours. Moi, je peux tenir autant sans manger. Par contre, toi, je ne pense pas.


    - S'il te plaît, ne me fais pas penser à ça …


    - De plus, cela me fait du bien de frapper quelque chose. Cela me permet de me défouler les nerfs et d'oublier que tu es assez bête pour oublier ton portable !


    Se tenant debout devant la porte, Rentarou écouta la conversation de ses deux meilleurs amis en arquant d'un sourcil. Sa toute première impression fut d'abord d'être très touché par leur intention de venu vérifier s'il allait bien pour cette soirée si spéciale pour lui. Cependant le lycéen géant se demanda ensuite comment leur trio se débrouillait pour attirer les ennuis chaque fois qu'ils allaient quelque part. Il ne savait ce qui était arrivé mais présumait que Tyro avait trouvé le moyen de les mener ici. Cela se passait toujours de la même manière.


    Sa grosse main finit par appuyer sur le bouton rouge de la porte et celle-ci s'ouvrit automatiquement et rapidement. Aussitôt Nobu accourut et se blottit contre ses jambes. Surpris, Rentarou n'avait pas imaginé le trouver là lui aussi mais le salua. Il ne lui dit aucune remarque sur son étrange accoutrement qui ne l'étonna pas le moins du monde. Le jeune colosse avait appris depuis longtemps à ne pas s'étonner de l'étrange comportement de Nobu.


    - Vous comptez vraiment rester là jusqu'à la rentrée ? fit-il en entrant. Si c'est ça, je vais fermer.


    En entendant ceci, les deux compères cessèrent instantanément de se disputer et se tournèrent pour découvrir avec une joie non dissimulée leur meilleur ami.


    - Rentarou ! Enfin !


    - Tu vois que j'avais raison de m'acharner, rétorqua Seiichi avec malice.


    L'adolescent aux cheveux de jais ne sut pas quoi commencer. Il voulut les remercier d'être venus pour lui mais souhaita aussi s'excuser de leur avoir raconté un mensonge. Devinant son trouble, Seiichi le devança :


    - Apparemment tu t'es trompé de jour pour ce que tu avais prévu avec Nobu-kun. Tu devrais faire attention. Si tu continues, tu vas devenir aussi stupide que Tyro.


    Rentarou comprit la tactique du jeune ninja. Il faisait semblant de croire que son ami s'était mélangé dans les dates de ses rendez-vous pour le déculpabiliser de son mensonge. Cependant le lycéen géant se refusa à terminer cette histoire de cette manière.


    - Non, c'est pas ça. J'ai menti. Je n'ai jamais eu de rendez-vous prévu avec Nobu-kun. En vérité, je n'avais pas envie de sortir aujourd'hui mais je n'avais pas envie d'en parler. Parler de Noël, ça me fait vraiment très mal.


    - On le savait déjà ça, s'exclama Tyro. On peut y aller ? Je deviens craudophobe là dedans !


    - Tu veux dire claustrophobe, corrigea machinalement Seiichi.


    Sur ce, ils commencèrent à sortir du cagibi, qui fut pendant plusieurs heures une prison pour trois jeunes japonais, et rejoignirent ensuite le reste de la bande qui salivait devant les préparatifs culinaires de Takaishi. La petite fête improvisée se termina tard durant laquelle le groupe mangea des gâteaux, rit beaucoup et joua aux cartes.


    Lorsqu'ils décidèrent de monter se coucher car leurs paupières ne pouvaient plus rester ouvertes, les adolescents montèrent au premier étage. Ceux qui étaient internes gagnèrent leur chambre tandis que les autres en prirent une temporairement inoccupée.


    Avant de se mettre au lit, Rentarou marcha jusqu'à sa fenêtre et observa le ciel obscur. Ses yeux cherchèrent des étoiles. Lorsqu'il en repéra une, son regard fixa avec attention et refit le rituel de son enfance lors de la nuit sainte de Noël.


    Les mains jointes l'une contre l'autre, ses yeux ne cessèrent de regarder l'étoile et murmura doucement :


    - Merci petit Jésus. C'est le plus beau cadeau que j'ai jamais eu.

     

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  • Chapitre 51


    Les six jours restant jusqu'aux examens du second trimestre furent utilisés par l'ensemble des étudiants pour réviser les points où ils éprouvaient encore des difficultés ou simplement de revoir des notions, histoire de se rassurer. Durant ce temps, la bande ne s'était pas beaucoup réunie. Ses membres avaient même sauté les pratiques de tennis du week-end. Sauf pour Rentarou. Le jeune colosse mettait un point d'honneur à apprendre toutes les techniques possibles pour battre Kurata après la rentrée.


    Cet acharnement n'avait pas échappé à Raphael qui passait les entrainements avec lui. Il lui en parla lors d'une pause.


    - Tu devrais relâcher un peu. Il faut ménager ton corps. Avec les révisions pour les examens, tu en as certainement besoin.


    - C'est valable aussi pour toi, Raphael-sempai.


    En même temps, il avala la moitié de l'eau de sa bouteille. Raphael se contenta de hausser les épaules suite à ce commentaire.


    - Je n'ai pas besoin de réviser. Quelque soit mes résultats aux examens, mes parents s'en fichent.


    - Mais pour tes études plus tard, c'est important.


    - Je ne compte pas poursuivre mes études après le lycée. Dès que j'ai dix-huit ans, j'arrête tout et je me lance complètement dans le monde pro du tennis.


    - Pourquoi attendre dix-huit ans ? Tu seras encore mineur. Tes parents ne t'empêcheront pas.


    - Mes parents n'ont plus leur mot à dire après dix-huit ans. En France, c'est l'âge de la majorité. Ca signifie que je suis libre de partir de chez moi et de ne pas revenir sans que ça ne pose de problème.


    Rentarou ouvrit la bouche et s'apprêta à dire quelque chose mais se retint. Il devina que son compagnon nourrissait un fort ressentiment à l'égard de ses parents et s'interrogea sur la raison.

     

    Depuis son entrée à l'ambassade de France, le lycéen géant avait été impressionné, comme tous ses amis, par le riche et somptueux décor de cet endroit. Le jardin sur le derrière où se dressait les courts de tennis au milieu d'un immense jardin bordé de hauts arbres avait aussi produit son effet.

     

    Cependant Rentarou avait appris depuis la rentrée d'Avril à ne plus mépriser et envier les enfants de familles riches ou aisées. Ils possédaient sans le moindre doute une importante richesse et d'une éducation raffinée mais leur manquaient souvent une chose essentielle : l'amour de leurs parents. Cet amour que Rentarou avait toujours reçu malgré le fait que sa mère n'ait jamais eu beaucoup à lui offrir.


    - Reprenons l'entrainement, Raphael-sempai.


    Il se leva en même temps en jugeant préférable de changer de sujet de conversation. D'ailleurs, Raphael n'était pas une personne très loquace. A part si le français avait réellement besoin de confier une information, celui-ci gardait toujours le silence. Rentarou ne le remarquait pas mais n'était pas si différent. Le lycéen géant restait lui aussi souvent en retrait et parlait uniquement quand il se sentait à l'aise avec le sujet.


    - Comme tu veux.


    Raphael se leva à son tour et suivit son kouhai qui reprenait déjà son exercice :


    - Satsuma, m'appeler juste Raphael ira.


    Surpris, l'adolescent aux lunettes sombres arrêta son mouvement. Il ramena sa raquette contre son épaule et se tourna vers son entraineur.


    - Mais Raphael-sempai est un sempai, bredouilla t-il. C'est irrespectueux d'utiliser juste ton nom sans montrer le signe de ton ainesse et de ta classe supérieure.


    - Ca ira très bien. Puisque je vais redoubler.


    - Tu vas redoubler ? Pourquoi ça ? Au Japon, c'est une mesure très rare.


    Sur un ton d'une indifférence totale, Raphael répondit :


    - Parce que je suis au Japon depuis maintenant un an et je n'ai pas progressé en japonais.


    - C'est une blague ? Tu parles très bien notre langue, s'offusqua Rentarou.


    - Pour parler ça va. Cependant je ne sais toujours pas le lire ou l'écrire. A part les hiraganas, je ne comprends aucun texte. Moreau-sensei a expliqué qu'elle ne me ferait pas passer en troisième année si je n'étais pas capable de lire des textes en kanjis.


    Raphael n'exprima pas ce qu'il pensait réellement. Il donnait l'impression de se moquer royalement de sa situation scolaire. En réalité, le jeune homme en voulait à ses parents et les tenaient pour responsables. S'ils l'avaient envoyé à une école internationale ou française, leur fils ne connaitrait pas de problèmes pour rendre ses devoirs écrits en cours et comprendre les consignes des contrôles. Cependant sa mère voulait que son petit garçon chéri baigne dans la culture des pays dans lesquels ils vivaient.


    - Je préférerais utiliser Raphael-san, dit Rentarou.


    - Quoi donc ? fit le jeune français en émergeant de ses pensées.


    - Par rapport à ce que tu m'as dit, j'aimerais t'appeler Raphael-san. Je me sens mieux vis à vis de notre différence d'âge ainsi.


    En y réfléchissant, Rentarou songea qu'il pourrait appeler toutes les personnes de ses fréquentations avec l'honorifique san. Même au sein de sa bande. Seiichi, le plus âgé, avait vingt-trois mois de différence avec lui et les deux plus jeunes avant lui, treize mois.


    Là dessus, les deux adolescents cessèrent de parler et se concentrèrent sur leurs exercices.


    Pendant que Rentarou concentrait ses efforts sur le tennis, ses amis se réunissaient à la bibliothèque pour revoir leurs lacunes. Cependant ils commencèrent à craindre de se faire limoger à cause de Tyro qui récitait à haute voix ses leçons, les yeux fermés.


    - C'est le 28 Juin 1914 que se déclenche le début des hostilités de la Grande Guerre. Par l'assassinat de l'archiduc d'Autriche et le jeu des alliances des pays européens, tout le continent entre en guerre en moins de deux mois.


    - Tyro, moins fort, soupira Kou pour la énième fois. On va vraiment se faire virer !


    Depuis le temps qu'il fréquentait les bibliothèques, Seiichi ne se souvenait pas s'être assis à une table et être observé par tous les étudiants travaillant, ou essayant de travailler, autour de lui. Si son meilleur ami s'était assis à sa droite et non en face, l'adolescent aux cheveux ébènes lui aurait donné une claque derrière la tête depuis longtemps pour l'obliger à revoir le contenu de ses leçons en silence.


    - Quand je glande, vous râlez que je ne fais rien, se plaignit Tyro. Et quand je bosse sur mes cours, vous râlez encore car je travaille ! Vous ne savez pas ce que vous voulez !


    Levant finalement la tête du traité sur la minéralogie qu'il lisait pour perfectionner ses connaissances pour l'examen de Biologie, Seiichi regarda son ami et se sentit prêt à se mettre debout pour lui décocher cette fameuse claque.


    - Décidément tu ne sais pas passer inaperçu, Tyro !


    Boudeur, le concerné se tourna légèrement vers Yoko.


    - Je travaille ! J'étudie pour mes examens qui ont lieu Mercredi !


    - Eh bien, siffla t-elle moqueuse. On va avoir des tonnes de neiges sur Tokyo !


    Ne prêtant pas attention aux allusions ironiques et vexantes de sa condisciple, le jeune homme se replongea dans ses cours d'Histoire et entreprit de réciter les étapes principales de la Grande Guerre. Yoko n'ajouta pas de commentaire à ce sujet. Cependant elle lorgna la table occupée par les quatre lycéens et celle d'à côté totalement envahie par Shintarou et ses ouvrages.


    - On peut dire que vous savez occuper le terrain, constata-elle en souriant. Et Rentarou-kun se sert d'une troisième table ? Ou de deux tables d'un coup ?


    - Rentarou-kun ne révise pas, bougonna Takaishi en émergeant de ses multiples fiches du cours de Littérature. Il s'entraine au tennis pendant qu'on se tue à retenir tout ça !


    - Tu as tort, réfuta Seiichi. Rentarou révise plus que tu le crois. Il remonte de son entrainement vers vingt et une heure. Il mange le diner que je lui ait rapporté puis étudie jusqu'au moins deux heures du matin.


    - Tu es très informé, s'étonna Kou. Je pensais qu'il y avait un couvre-feu établi à minuit.


    - Je sors souvent après, avoua le jeune ninja. Je vais vérifier si Rentarou a mangé. Également s'il s'est endormi sur son bureau, j'en profite pour éteindre la lumière et jeter une couverture sur lui.


    - Tu agis comme sa mère ou une petite amie alors, pouffa Kou.


    - Pas du tout, répliqua Seiichi avec fermeté et sérieux. Je pense qu'il est parfaitement naturel d'agir de cette manière. Rentarou se dévoue chaque jour à se soucier du bien-être des autres, même s'il n'y a pas de lien avec lui. Il est donc juste de s'occuper du sien.


    - C'est une pensée très sage, reconnut Takaishi impressionné.


    - Je suis d'accord, approuva Yoko.


    Sur ce, personne n'eut le temps de rien ajouter d'autre. Brusquement, Tyro se redressa, le visage courroucé, et exprima son agacement.


    - Est-ce que vous voulez bien arrêter de parler ? On est dans une bibliothèque ! On est là pour étudier pour les examens ! Si ça ne vous intéresse pas, sortez donc dehors !


    - Calme, Tyro. Ne te fâche pour si peu, tempéra Takaishi.


    - Je ne me fâche pas ! C'est juste que les examens sont une période importante de l'année et il ne faut surtout pas se louper !


    - Tu as beaucoup mûri ces derniers temps, dit Yoko en posant un regard étonné sur Tyro.


    - Évidemment ! J'ai pas envie d'aller au rattrapage ! C'est trop nul et trop stressant !


    Ses camarades le félicitèrent pour ce sérieux dans son travail que leur camarade venait d'acquérir. Seul Seiichi ne lui adressa ni de compliment ni de petite moquerie dont il avait le secret. Le jeune ninja se contenta de fixer en silence son meilleur ami. Ses beaux yeux bleus océan pétillèrent de malice en songeant à la véritable raison de la motivation de Tyro à la réussite de ses examens.


    Le premier jour des examens de fin de ce second trimestre arriva finalement. Ce matin-là, Rentarou se leva très tôt mais n'alla pas à sa pratique matinale qu'il s'imposait de lui-même. Le lycéen géant resta allongé sur son lit, encore en pyjama, les bras croisés sous sa tête, et repassa de mémoire les différents points abordés en cours. Satisfait de tout savoir, l'adolescent partit prendre sa douche, rejoignant ainsi Seiichi et Shintarou, puis déjeuna en compagnie de ses amis.


    A sept heures, l'ensemble des étudiants en première année se rassembla dans l'auditorium, comme ils l'avaient déjà fait en Juillet pour les examens du premier trimestre. Obéissant au classement par ordre alphabétique, Rentarou rejoignit sa place dans le fond de la salle.


    Durant toute la matinée, les élèves planchèrent sur les sujets, des QCM avec une centaine de questions, comme toujours. En Mathématiques, Hashimoto leur avait donné sans grande surprise des inéquations. Ensuite Noda, pour le Japonais, posait des questions sur tout ce qui avait été abordé depuis le début d'année. Parfois, certaines questions faisaient même appel à des connaissances abordées au collège ou à des lectures personnelles. Aizawa avait préparé quelque chose de très gratiné. Elle avait fourni cinq documents à étudier, de longueur inégale, et posait des questions sur chaque sans préciser à quel texte cela faisait allusion. Enfin Tanaka avait évidemment contribué à deux sujets. En Histoire, il s'était centré sur la période allant de 1850 à 1930 pour l'ensemble du monde. Par contre, en Géographie, l'enseignant avait posé des questions sur tous les points abordés lors de ses cours.


    Rentarou s'en était tiré sans éprouver la moindre difficulté. En utilisant les facultés de sa mémoire prodigieuse, il avait achevé en moins de seize minutes les sujets de Japonais, Histoire et Géographie. L'adolescent s'était considérablement ennuyé durant le reste du temps qui le sépara de l'examen suivant.


    Pour les Mathématiques, le jeune homme avait pris un peu plus de temps. Au brouillon, il avait rapidement fait les calculs avant de cocher la bonne réponse. Toutefois, ses capacités lui permirent de finir vingt-cinq minutes avant la durée permise. Par contre, le lycéen géant avait employé toutes les minutes et secondes disponibles pour l'Anglais. D'abord, il avait consacré vingt minutes à lire avec attention les textes et à en retenir les idées principales puis avait répondu aux différentes questions en faisant attention de ne pas se tromper de document. Cela avait très dur mais il avait réussi à toutes les compléter dans le délais imposé.


    Quand tous les examens pour les cours obligatoires furent enfin finis, treize heures sonnèrent. Les étudiants furent alors autorisés à bénéficier d'une demie-heure de répit pour manger. Toutefois, il ne leur fut pas permis de quitter la salle d'examen. Les cantinières passèrent entre les rangs et distribuèrent à chacun une portion de riz. Ils mangèrent en silence. Les seuls bruits entendus fut celui des mâchoires d'une centaine d'adolescents et des baguettes déposées sur la table une fois le repas consommé.


    Rentarou n'aima pas du tout ce procédé et préféra de loin manger en compagnie de ses amis dans la petite salle de Droit ou au réfectoire. C'était beaucoup sympathique et agréable. Ils pouvaient bavarder, rire, plaisanter … En cet instant, il mesura combien il avait changé.


    Un an plus tôt, Yushima devait se battre avec lui pour le faire accepter de manger à table avec Nobu et lui. Autrement, il voulait emmener son repas dans sa chambre et l'avaler en étudiant.


    A cette époque, il ne supportait pas du tout les discussions, les rires et les plaisanteries. Cela lui procurait un étrange sentiment en évoquant mentalement ses souvenirs. Il n'arrivait pas à mettre un mot dessus. Il s'agissait d'un mélange de nostalgie et d'étonnement. Cela faisait toujours étrange de regarder en arrière et de contempler ce qu'était son existence. Parfois, cela donnait de bonnes surprises. Parfois, cela amenait une légère déprime.


    Rentarou passait entre ses deux écueil. Pour lui, le passé ne comptait pas. Certes, il demeurait un élément important, voir fondamental. Sans son passé, on ne pouvait pas construire son avenir. Il fallait avoir conscience de l'endroit d'où l'on venait et comment on avait fait pour arriver jusqu'ici afin de continuer dans la direction que l'on souhaitait prendre. Cependant il ne fallait pas non plus rester éternellement fixé dessus. Le passé était écrit et il n'y avait aucune possibilité à le changer. Par contre, l'avenir demeurait une page encore blanche prête à se remplir avec l'encre des innombrables expériences que l'on était prêt à faire.

     

    Après cette pause beaucoup trop courte au goûts des étudiants, la salle se vida. La moitié des participants s'en alla. Les deux heures qui suivirent furent consacrées aux examens de Biologie et de Physique-Chimie. Tsukiyo avait donné un sujet sur la minéralogie. Celui-ci était très difficile car il nécessitait d'avoir fait les recherches qu'elle leur demandait de faire à côté de ses cours et ne portait que très peu sur le contenu même de ses cours. Quant à Masami, il avait concocté toutes sortes de questions sans le moindre lien entre elles sur toutes les expériences faites depuis le début de l'année. En faisant appel à sa mémoire, Rentarou remplit les deux questionnaires en treize minutes.


    A la fin de ces deux heures, le lycéen géant quitta enfin la pièce pour la première fois depuis qu'il y ait été entré. Ses jambes ankylosées lui firent terriblement mal en se relevant. Il dut marcher lentement quelques minutes le temps de permettre à sa circulation sanguine de se rétablir normalement.


    En attendant de retourner là-bas, Rentarou passa son temps libre avec Seiichi et Shintarou. Assis sur les hautes et longues de l'escalier du batiment administratif, ils discutèrent de leurs impressions sur leurs épreuves. Seiichi avoua s'en être bien sorti, sauf évidemment avec la Physique-Chimie. Il était aussi très hésitant avec les Mathématiques. Malgré le fait d'avoir réussi à faire les différents calculs aux inéquations posées, il n'était pas certain du résultat. Seul Shintarou garda le moral au beau fixe. Il leur répéta que les jeux étaient faits maintenant et cela ne servait à rien de se préoccuper avant d'obtenir leurs notes.


    Quand l'examen de Littérature s'acheva, Rentarou revint à nouveau dans l'auditorium. Il ne resta plus que vingt-huit lycéens. C'était le nombre d'élèves en première année suivant le cours d'Economie. Le sujet donné portait seulement sur les connaissances acquises en cours. Cela consista essentiellement à donner les noms de termes spécifiques, ceux d'auteurs ou d'expliquer certaines théories. Rentarou répondit très facilement en moins d'un quart d'heure.


    A l'heure suivante, la moitié des lycéens présents se retira. Pour l'examen de Sciences Sociales, il leur fut demandé de donner des noms de sociologues et de répondre à des points abordés en cours. Pour Rentarou, cela parut beaucoup trop facile. Enfin arriva le dernier examen de la journée et celui qu'il attendait le plus : le Droit.


    Contrairement aux autres matières, et même l'autre qu'enseignait aussi le professeur Yamaguchi, le professeur ne donnait jamais de QCM. Sur la feuille d'examen se trouvait plusieurs articles sur une affaire criminelle ou financière. Il était alors demandé de donner son avis sur l'affaire en question en argumentant précisément et d'énumérer les sanctions possibles. Empli de passion pour de tels sujets, Rentarou lut très attentivement les articles, réfléchit et rédigea son argumentaire en une dizaine de pages.


    En quittant l'auditorium, il se pressa de traverser le couloir du rez-de-chaussée, à moitié éclairé, ainsi que la cour totalement déserte pour se rendre au bâtiment de vie scolaire. Une fois la porte franchie, le lycéen géant se réjouit de voir les lumières dans le couloir et alla rapidement au réfectoire où il attendit patiemment pour recevoir un bol de riz, une omelette et une soupe miso puis chercha ses amis. L'adolescent les repéra au fond de la pièce. Cependant une surprise l'attendait alors : ils avaient invité Yoko. Ses camarades ne l'avaient pas non plus oublié ni remplacé. Une cinquième table, vide, était collée à celles de son meilleur ami et de la jeune fille. Il posa son plateau dessus et s'assit.


    - Rentarou-kun, dit Yoko en l'apercevant la première. Tes examens se sont bien passés ?


    - Oui, tout s'est bien passé. D'ailleurs là je sors de Droit ! Le sujet était génial. Ca parlait d'une affaire qui s'est passé dans un village où …


    - Cela ne nous intéresse pas, le coupa sèchement Seiichi.


    Rappelé ainsi à l'ordre, l'adolescent aux lunettes sombres s'excusa. Dès qu'il apportait ce genre de sujet, le jeune homme devenait intarissable et difficile de l'arrêter. Malheureusement, ce genre de conversations n'était pas du goût du commun des mortels.


    - Et toi, Yoko-chan, ça a été ?


    - J'ai vérifié tout à l'heure mes réponses, répondit-elle. A part en Maths, je devrais avoir tout bon.
    - J'en suis très heureux, s'exclama t-il.


    - A présent, c'est génial, dit joyeusement Shintarou. Puisque nous avons fini les examens, on a quatre jours de week-end ! En plus, on n'a pas devoirs !


    - Tu peux éviter de le rappeler ? lança Takaishi bougon. Kou-kun et moi avons Informatique Vendredi matin et Calligraphie demain matin !


    - Moi aussi il m'en reste encore aussi, ajouta Yoko plus amicale que le jeune homme à casquette. Mais ceux sont les plus passionnants.


    - Qu'est-ce que tu as encore à passer, Yoko-chan ? s'enquit le rouquin curieux.


    - Toutes mes options de langues. D'abord le Français, Espagnol, Allemand et enfin Latin.


    - C'est étrange, s'intrigua Seiichi. Les cours d'Allemand et de Français ont lieu à la même heure. De plus, tu ne peux pas suivre ceux d'Espagnol puisqu'ils ont lieu pendant celui de Littérature.


    - Tu es très renseigné, constata Yoko surprise.


    - Seiichi sait tout ce qui se passe dans le bahut, dit Rentarou en reposant ses baguettes.


    - Et comment tu fais ? demanda t-elle avec curiosité.


    - C'est la spécialité d'un ninja de récolter des informations, non ? Depuis des siècles.


    L'adolescent aux cheveux ébènes eut un regard espiègle qu'il décocha à son meilleur ami.


    - C'est pour cette raison qu'ils sont meilleurs que les samouraïs.


    - En attendant, Yoko-chan devait nous répondre, dit précipitamment Shintarou qui n'avait pas envie de réentendre une énième fois le débat des samouraïs et des ninjas. N'est-ce pas, Yoko-chan ? Comment fais-tu pour suivre ces cours de langue ?


    - C'est simple. Je ne vais qu'à celui d'Allemand.


    - Mais comment tu peux passer des examens sans suivre les cours ? s'exclama Takaishi.


    - J'ai appris à parler anglais, français et espagnol au cours de mon enfance. Depuis que je suis petite, ma mère me parle en d'autres langues. C'est comme un jeu. Elle me dit une phrase en anglais et je réponds en espagnol.


    - C'est très intelligent, dit Seiichi. Les langues se mémorisent beaucoup plus facilement quand elles sont apprises très jeunes. C'est un excellent moyen pour être bilingue ou trilingue.


    - C'est amusant comme pratique, ajouta Shintarou.


    Reprenant ses baguettes pour avaler le reste de son riz, Rentarou ne dit rien. Il ne voulait vexer personne en donnant son opinion mais désapprouvait totalement cette méthode d'éducation. Pour lui, l'enfance était synonyme d'innocence et d'insouciance. Cette période passait tellement vite que l'adolescent estimait indispensable de laisser un enfant jouer autant qu'il le souhaitait. Un enfant était un adulte en devenir, pas un petit adulte. Il avait largement le temps d'apprendre plus tard à se comporter comme tel, d'en acquérir les savoirs et d'intérioriser les responsabilités.


    - Que feriez-vous alors demain et après-demain ? demanda subitement Takaishi.


    - D'abord dormir le plus tard possible, déclara jovialement Shintarou. Ensuite je regarderais une série à moi ou jouerais à un jeu !


    - Et toi, Seiichi-kun ? s'informa Yoko.


    - Je vais certainement partir à l'aventure quelque part dans cette ville à la recherche de matériel.


    L'adolescent aux cheveux ébènes avait formulé cette réponse, une main posée contre sa tempe droite, légèrement rêveur, un petit sourire illuminant son visage pâle.


    - Qu'est-ce que ça veut dire ? s'enquit Shintarou en fronçant ses épais sourcils roux.


    - Il va marcher en ville, au hasard, observer autour de lui et voir ce qu'il y a quelque chose qui l'intéresse et pour le dessiner.


    Repoussant son bol de riz, Rentarou s'apprêta à avaler son omelette quand il avait entendu ce nouveau sujet de conversation. Le lycéen géant connaissait la signification de la réponse syllabine de son meilleur ami et avait réussi à apprendre de lui que celui-ci se passionnait pour le dessin.

     

    Le jeune ninja adorait reproduire sur son carnet de croquis les paysages de sa contemplation qui produisait une forte impression sur son être. Son camarade lui avait montré à de très rares occasions certaines esquisses de son travail. Celles dont il se sentait le plus fier. L'adolescent aux lunettes sombres avait été stupéfié par la magnificence de ces oeuvres. Chacune était d'un réalisme à couper le souffle. La finesse des traits le surprenait également. Il avait l'impression que son ami n'appuyait pas sur l'ustensile lui permettant de les tracer.


    - Tu dessines, Seiichi-kun ?


    - Qu'as-tu l'intention de faire, Rentarou ? enchaina Seiichi immédiatement pour ne pas répondre à la question de la jeune fille en face de lui.


    - Je vais m'entrainer, évidemment, répondit-il en comprenant l'attitude de son ami. Puisque j'ai quatre jours libre sans devoirs, je dois en profiter.


    - Pourquoi t'entraines-tu si intensément ? Il n'y a pourtant pas de match prévu avant le 26 Février.


    - Il y a malheureusement un match auquel je dois participer et surtout absolument remporter à la rentrée, dit le lycéen géant.


    Baissant la tête, Rentarou pensa qu'il ne devait pas ajouter d'information supplémentaire à la vice-présidente du conseil des étudiants. Après tout, la jeune fille était réputée pour ne pas tenir compte des problèmes des clubs sportifs. Elle les laissait les gérer eux-mêmes. Il n'avait pas envie de se fâcher encore avec Yoko. Tous deux l'avaient suffisamment fait tout le long de l'année.


    Cependant cette opinion ne fut pas partagée par Seiichi. Celui-ci exposa en détails leur situation au club de tennis. A la fin du récit, Yoko se mit en colère :


    - Pourquoi ne m'en avez-vous pas parlé ? Ce genre de choses me concerne directement !


    - Tu ne t'occupes pas des clubs sportifs, rappela Rentarou.


    - Je ne m'investis pas dans leur vie tant que leurs affaires se règlent normalement ! Cependant un tel abus de pouvoir relève de mes compétences !


    - De toute manière, tu n'auras pas pu faire grand chose, intervint Shintarou.


    - Si vous étiez venus me parler tout ça dès que vous l'aviez appris en Septembre, j'aurais au moins été informé. J'en aurais informé le proviseur. Il est possible que nous n'ayons pas eu de solutions mais nous aurions cherché. De plus, en sachant cela, le proviseur n'aurait pas accepté de conserver Kurata dans son lycée même en échange d'argent. A présent, il est certainement trop tard pour qu'il puisse se dédire.


    - Tu veux dire que si tu avais su tout ça, on aurait juste à supporter Kurata-buchou jusqu'à la fin de cette année ? réalisa Takaishi dépité.


    - Moi, je ne le regrette pas, annonça Rentarou avec fermeté.


    Surpris, ses camarades se retournèrent. Ils le remarquèrent avec un regard très dur avec lequel aucun n'était habitué.


    - Dans les deux cas, nous aurions du supporter Kurata jusqu'à la fin de cette année. Cependant je ne peux pas attendre jusque là en restant sans rien faire. Le voir chaque jour en sachant ce que je sais m'est insupportable. Je veux régler les comptes avec lui le plus vite possible. De plus, avoir des regrets ne sert à rien. Puisque nous avons déjà pris une décision, même si à l'éclairage d'aujourd'hui elle paraît mauvaise, c'est fait et on ne peut plus revenir dessus. Il ne reste donc qu'à continuer ce qu'on a commencé jusqu'à atteindre son but.


    Le discours de Rentarou apaisa les tensions et frustrations naissantes. Shintarou s'enflamma en affirmant que si les Sanonis échouaient à battre Kurata, lui réussirait. Ses amis avaient alors ri de cette fanfaronnade. Seule Yoko était restée étrangement silencieuse, les yeux constamment fixés sur ce curieux adolescent, impressionnée de voir comment il avait su rendre sa dynamique au groupe.


    Pendant les deux jours suivants, les examens se poursuivirent. Tyro exulta tellement fort en sortant le Vendredi matin de son dernier qu'il sauta dans les couloirs. Cependant Onita l'aperçut à ce moment et se chargea de faire disparaître immédiatement sa bonne humeur en le nommant à la corvée de déblayage de la neige pour la journée. Le soir, la petite bande fit une petite fête pour marquer la fin des examens à la maison de Tyro. La mère du garçon avait accepté d'inviter six adolescents, en plus de sa nombreuse famille, et les avait substanté d'un festin savoureux. Au cours de week-end, la chose que la bande entreprit fut de se rendre chez Raphael pour s'entrainer.


    Le Lundi matin, les lycéens s'étaient précipités très tôt à leur établissement scolaire. Ils se réunissaient autour du bâtiment administratif afin de connaître enfin les résultats de leurs examens. Malheureusement ils apprirent que ceux-ci seraient seulement communiqués à partir du dernier cours de la journée.


    - C'est vraiment pas juste, se plaignit Tyro. Je me suis levé tôt pour rien !


    - Au moins, tu ne seras pas en retard pour une fois, se moqua Takaishi.


    Rentarou, Seiichi et Shintarou n'osèrent rien dire mais pouffèrent de rire à cette remarque. Entendre une telle phrase de la bouche du jeune fan de baseball, c'était vraiment l'hôpital se moquant de la charité. Le lycéen à casquette se levait toujours très tard le matin, à la dernière limite du service du petit-déjeuner. Certains jours, il devait s'acheter quelque chose au distributeur à cause de ses réveils tardifs.


    - Il faudra revenir dès qu'on sortira de cours, conclut Kou.


    - Non, il faudra attendre une heure, le contredit Seiichi. Nous sortons à 15h30. Or, les élèves qui suivent l'option Dessin finissent une heure après. Il est bien spécifié que les résultats seront disponibles à la fin de la journée de cours.


    - Comme toujours, tu es vraiment bien renseigné, s'exclama Tyro.


    - Et les clubs ont été suspendu pour les deux semaines avant les vacances, soupira Takaishi. Que ferons-nous pendant cette heure ?


    - Bah ! Tu peux compter sur Hashimoto-sensei pour nous filer des exos de Maths et pareil pour Noda-sensei, répliqua Rentarou. Alors on pourra aller bosser dessus à la bibliothèque. De cette manière, on sera libre ce soir.

     

    Sur ce, la bande se sépara. Le trio de la 1D et Tyro monta au second étage. Cependant ils se séparèrent en atteignant le palier. Le jeune homme aux multiples piques devait se rendre à la salle de Géographie tandis que les autres allaient à celle de Japonais. Quant aux trois derniers, ils se dirigeaient au troisième étage pour assister à un cours du professeur Hashimoto.


    Jusqu'à l'heure du déjeuner, il se passa rien d'exceptionnel. Ils se retrouvèrent comme chaque midi dans la salle de Droit pour partager leur repas. Kou avait ramené des côtes de porc avec des légumes et Tyro du riz. Raphael rapportait toujours une tarte que lui faisait une des cuisinières de l'ambassade. Également Shintarou avait apporté quelque chose lui aussi. Il avait reçu un gâteau à la framboise, son fruit et son parfum préféré, de ses parents ce week-end, et en distribua une part à ses amis bien qu'il soit très gourmand au sujet des pâtisseries. Le repas se déroula dans la bonne humeur et la conviviabilité.


    - C'était délicieux, dit Tyro repu.


    - Et quand on pense qu'au début, on se nourrissait de sandwiches, songea Shintarou.


    Les deux adolescents s'étaient écroulés au sol suite à ce copieux déjeuner. Leurs camarades se reposaient encore un peu avant de se décider à nettoyer. Soudain on frappa à la porte. Seiichi invita la personne à entrer. Yoko s'introduisit alors dans la pièce et s'accroupit pour s'asseoir avec eux.


    - Yoko-chan, que viens-tu faire ici ? demanda Tyro en se redressant.


    - Depuis la semaine dernière, j'ai procédé à des vérifications et cherché des solutions suite à ce que vous m'aviez dit.


    - On t'a dit quelque chose ? s'étonna Kou.


    - Seiichi-kun lui a raconté nos problèmes au club, lui révéla Takaishi.


    - Vous auriez pu nous le dire, leur reprocha Tyro.


    - Comme je m'en doutais, il n'y a plus rien à faire, reprit rapidement Yoko. J'ai vérifié les informations que vous m'aviez donné puis j'en ai touché un mot au proviseur. Malheureusement lors de son accord avec le père de Kurata, celui-ci lui a fait signé un contrat lui interdisant de revenir sur cette décision sauf en cas de faute grave.


    - C'est pas très neuf tout ça, répliqua Rentarou.


    - Donc il faut que Kurata-buchou avoue tout pour le faire virer, ajouta Tyro. Par conséquent, il faut le battre impérativement !


    Baissant la tête légèrement, Yoko s'excusa de ne pas avoir su les aider davantage et quitta la pièce. Celle-ci partit se réfugier derrière le bâtiment administratif. Assise sur les marches, elle contempla la splendide étendue de neige qui recouvrait le sol et les arbres couverts de givre au loin. Pensive, la jeune fille voyait ce paysage sans le voir réellement.


    - Yoko-chan ?


    Ainsi interpelée, la jeune fille sortit momentanément de ses pensées. La jeune fille tourna la tête et aperçut une massive silhouette s'avancer vers elle malgré la couche de neige et s'asseoir à ses côtés. l'adolescente la reconnut sans difficulté.


    - Que fais-tu là ? Tu n'es plus avec tes amis ?


    - Quand une amie ne se sent pas bien, je vais vers elle pour la réconforter, dit Rentarou.


    - Je vais bien, mentit Yoko avec conviction.


    - Tu mens, lui sourit Rentarou. Quand tu es venue tout à l'heure, tu baissais souvent la tête. En temps normal, tu regardes toujours ton interlocuteur dans les yeux.


    - Tu as suivi des cours avec Seiichi-kun ? ironisa t-elle.


    - Il m'a un peu aidé, c'est vrai concéda t-il. Alors qu'est-ce que tu as ?


    - Je me sens inutile. Je travaille au secretariat en pensant servir aux autres. Je crois les aider. Mais en vérité, je ne fais rien du tout. Tout me craint ou se moque de moi. Je ne sers à rien du tout. Je ne peux même pas aider mes amis. Je vais tout arrêter et me concentrer sur mes études. Au moins, ça sert à quelque chose.


    - Moi, je pense que le travail que fait Yoko-chan est vraiment très utile.


    - Tu es sérieux ? fit-elle, déprimée.


    - Évidemment. Même si tu es très sévère, tu fais toujours ce qui est juste, qu'importe ce qu'il en coûte. Je trouve ça génial et admirable. Au final, je pense que les autres élèves te respectent même si souvent ça les fait chier d'obéir aux règles.


    - Tu es gentil, Rentarou-kun, murmura Yoko en esquissant un léger sourire.


    Sans s'en rendre compte, la jeune fille laissa son corps se reposer contre l'imposante épaule de son compagnon. Celui-ci ne dit rien mais apprécia de sentir la chaleur de son corps contre le sien. Ils restèrent un long moment ainsi. Yoko se détendit ne pensant plus rien. Ses yeux s'étaient fermés depuis longtemps. Quant à Rentarou, son esprit évita de penser car cette promiscuité avec la fille dont il était amoureux lui procurait toutes sortes de pensées folles ou étranges.


    Malheureusement, les lois de la nature dirigeant ce monde étaient implacables. Pour tout commencement d'une action, il existait sa fin. Celle de ce doux instant se produisit quand la sonnerie des cours retentit. Immédiatement, les deux adolescents se dressèrent sur leurs jambes, paniqués, abandonnant rapidement leurs rêveries.


    - Merde ! On va être en retard, jura la jeune fille.


    Pour permettre à son compagnon de gagner du temps, Yoko permit à Rentarou de passer par le bâtiment administratif. Ils traversèrent ensemble la cour et le rez-de-chaussée pour aller prendre en vitesse leurs affaires dans la salle des casiers. Avant de se séparer, le lycéen géant s'adressa une dernière fois à elle.


    - Yoko-chan, on se voit quand on finit les cours pour aller voir les résultats ?


    - Comme tu veux, accepta t-elle en lui souriant.


    Sur ce, ils partirent enfin chacun de leur côté. Rentarou s'empressa de monter jusqu'au troisième étage pour rejoindre la salle de Biologie. Il ne souvint pas avoir monté un escalier si vite de toute sa vie. Le jeune homme frappa à la porte, entra quand on le lui dit et s'excusa aussitôt au milieu de ses halètements en s'inclinant du buste :


    - Je suis désolé d'être en retard, Tsukiyo-sensei !


    - Ce serait plutôt pour ton absence, corrigea t-elle en lui souriant comme elle le faisait toujours.


    - Comment ça ? Je ne comprends, avoua Rentarou en se redressant.


    - Il est 14h42, Rentarou-kun, indiqua l'enseignante. Tu es sur que ça va ?


    Contrairement à ses collègues, la jeune femme appartenaient à la très rare catégorie d'enseignants japonais à appeler leurs élèves par leur prénom. En l'occurrence, le lycéen géant n'en connaissait qu'un seul adoptant la même philosophie : le professeur Yamaguchi.


    Actuellement, Rentarou était cent mille lieues de penser à un tel détail. En réalisant la véritable heure, son esprit comprenait qu'il avait plus de vingt minutes de retard au cours auquel il ne fallait pas être en retard. Il décampa rapidement, redescendit au second étage, alla jusqu'à la salle d'Histoire et frappa. Le professeur Tanaka vint lui ouvrir, un léger rictus aux lèvres.


    - On dirait que nous avons du retard, Satsuma, constata t-il avec austérité.


    - Je suis désolé, Tanaka-sensei. Je me suis trompé de cours.


    - Vous connaissez la sanction pour ceux qui causent des troubles lors de mes cours, n'est-ce pas ?


    - Oui, murmura t-il en réprimant le sentiment d'horreur le mieux qu'il put.


    - Eh bien, je vous laisse là, mon jeune ami, conclut l'enseignant.


    Sur ce, il referma la porte de la salle de classe. Rentarou soupira bruyamment. Il ne méritait pas une telle humiliation mais n'avait malheureusement pas d'autre choix que de la subir. Le dos droit et tourné à la porte de la salle d'Histoire, le lycéen géant plaça ses mains derrière la tête.


    En théorie, une telle punition était réservée aux enfants de l'école élémentaire. Leur institutrice les laissait attendre de cette manière dans le couloir devant la classe pour leur apprendre à ne pas reproduire une bêtise commise. Mais il était un lycéen maintenant ! Il avait passé l'âge de subir un châtiment aussi injuste ! Cependant Tanaka l'appréciait particulièrement cette sanction. Il ne donnait jamais de retenue ou de devoirs supplémentaire quand l'un d'eux perturbait son cours. Le sadique professeur se contentait de lui demander de rester debout dans le couloir dans cette inconfortable position.


    Du point de vue d'un élève, il s'agissait d'une infâme et ignoble torture indigne de figurer dans un lycée si renommé. Néanmoins d'un point de vue adulte, il fallait reconnaître que la méthode présentait bien des avantages. Le professeur Tanaka était une personne très intelligente et avait demandé que ses salles d'Histoire et de Géographie soient au milieu de l'étage pour l'utiliser. Ses cours débordant d'un minimum de dix minutes, l'élève puni se retrouvait à côtoyer des condisciples qui n'hésitaient jamais à se moquer de lui et à répandre la rumeur. Même si personne ne lui disait rien, pour l'élève, voir les autres le regarder dans une position si peu avantageuse se révélait déjà extrêmement dur et pénible. Pour cette simple raison, les cours d'Histoire et Géographie, malgré leur ennui soporifique, étaient suivis par tous les étudiants, y compris les plus dissipés.


    Lorsque la sonnerie salvatrice retentit enfin, Rentarou resta encore quinze minutes à faire le piquet. Il dut supporter de voir les autres élèves passer de près de lui en riant. Quand la porte derrière lui s'ouvrit, le lycéen géant soupira de soulagement et s'écarta de quelques mètres tandis que ses deux amis arrivèrent vers lui.


    - Qu'est-ce qui t'es arrivé, Rentarou ? demanda Seiichi inquiet.


    - Rien du tout, mentit-il. Je me suis entrainé et j'ai oublié l'heure.


    En son for intérieur, le lycéen géant pria pour que son meilleur ami ne devine pas son mensonge. Il n'avait pas envie de raconter le moment vécu avec Yoko. Il avait envie que ce soit son secret pour toujours.


    - Vraiment, rit Shintarou en laissant ses bras retomber le long de son corps. Tu es pire encore que Tyro, Rentarou !


    - Allons à la bibliothèque, décida Seiichi. Les autres vont nous attendre.


    - A la bibliothèque ? répéta Rentarou hagard. On ne va pas voir nos résultats ?


    - Rentarou, soupira le rouquin. Tu as oublié qu'on avait à attendre une heure après la fin de nos cours avant d'aller les consulter !


    - Ah oui ! Alors j'ai un truc à faire, s'exclama t-il avec embarras.


    - Ah ? De quoi s'agit-il ? s'enquit Seiichi soucieux.


    - C'est personnel, éluda le lycéen géant se sentant de moins en moins à l'aise.


    - Personnel ? répéta le jeune ninja en arquant un sourcil très fort. Que veux-tu dire ?


    - Eh bien, personnel veut dire personnel. Ca ne concerne pas tout le monde.


    Très gêné, Rentarou se dépêcha de s'éloigner. Par ailleurs, ses joues n'avaient cessé de rougir progressivement au fil de la conversation ce qui ne manquait pas d'échapper à ses amis. Ceux-ci décidèrent de le suivre d'un commun accord sans perdre de temps. Ils montèrent à l'étage supérieur et se dirigèrent vers la salle de classe de leur professeur titulaire.


    - Il va voir sans doute Hashimoto-sensei, suggéra Shintarou.


    Dans le flux des élèves sortant de cours se trouvaient ceux de la classe de 1B qui quittaient juste la salle de Mathématiques. Parmi eux, il y avait Tyro qui s'étonna de les voir là.


    - Vous aviez peur que je ne trouve pas la bibliothèque ? se moqua celui-ci.


    - En fait, nous suivons Rentarou qui agit étrangement, révéla Seiichi.


    - Ah ? Mais tu sais bien que Rentarou est toujours étrange, rigola Tyro.


    - Seiichi, ça va t'intéresser ça, s'écria Shintarou.


    Le rouquin montra à ses deux amis Rentarou qui s'avançait en direction de Yoko. Celle-ci venait juste de franchir le seuil de la salle où sa classe venait d'avoir cours. Très intéressé, Seiichi se tut et observa avec une vigilance accrue cette scène inattendue.


    - Yoko-chan, je t'ai proposé d'aller ensemble voir les résultats des examens. Cependant je viens de me rappeler qu'il fallait attendre une heure avant de les obtenir.


    - Je le sais déjà, affirma t-elle. Tu es venu juste me dire ça ?


    Les joues de Rentarou avaient reprises une teinte normale le temps de monter au troisième étage mais elles redevinrent vite colorées dès le début de cette discussion.


    - Non. Je voulais te demander si tu voulais m'accompagner à la bibliothèque. Je comptais faire mes devoirs en attendant d'aller voir les résultats.


    - C'est une activité qui me correspond bien, répondit-elle. Je veux bien venir avec toi.


    Derrière eux, à un mètre, se trouvaient deux adolescents figés par la stupeur que leur procurait une telle scène. A leurs côtés, Shintarou ne cessait de rire aux larmes de leurs réactions.


    - Tu crois qu'ils sortent déjà ensemble, Seiichi ? fit Tyro.


    - Si c'est le cas, je suis très impressionné par Rentarou, avoua Seiichi. Je ne l'ai pas vu venir un pareil coup.


    Au même moment, une jeune métisse blonde intervint de l'autre côté, près de Yoko.


    - Yoko-chan, tu aurais pu me prévénir que tu avais un nouveau copain !


    - Ce n'est pas mon copain, réfuta Yoko en se tournant vers sa meilleure amie. Rentarou-kun et moi sommes seulement des amis.


    - Il est très rouge ton ami, minauda Mari très amusée.


    - Je ne suis pas rouge du tout, se défendit Rentarou dont le visage était totalement cramoisi.


    - Finalement ce n'était qu'une fausse impression, soupira Seiichi. Il n'a pas progressé d'un pouce.


    - Il va vraiment falloir intervenir, Seiichi, se plaignit Tyro. Ca crève les yeux sincèrement que Rentarou peut avouer ses sentiments à Yoko-chan maintenant !


    - Ne t'inquiète pas. J'ai déjà mis au point un plan pour la rentrée pour l'obliger à se déclarer enfin à sa belle, lui avoua Seiichi.


    - Je peux savoir ? le pressa Tyro curieux.


    - Absolument pas, refusa Seiichi dont les yeux bleus océan pétillèrent de malice. C'est mon secret.


    Pendant que Tyro bouda son ami suite à cette réflexion, Yoko réussit à faire admettre à sa meilleure amie qu'il n'y avait que de l'amitié existant entre Rentarou et elle. Celle-ci ne fut qu'à moitié convaincue mais laissa temporairement l'affaire passer. Après cela, ils renoncèrent au projet de faire leurs devoirs à la bibliothèque. Il ne leur resta que vingt minutes à consacrer à cette tâche avant d'aller lire leurs résultats aux examens. A la place, les adolescents allèrent acheter des canettes de café, thé ou chocolat chaud et les burent dans la salle de détente.


    Quand l'heure fatidique arriva finalement, ils se levèrent et sortirent dans la cour. Le groupe laissa les élèves les plus pressés passer avant de s'avancer. Rentarou et Yoko marchèrent ensemble vers la liste la plus à gauche.


    - Tu es prêt ? demanda Yoko en dissimulant son anxiété comme elle le put.


    Rentarou répondit positivement. Ensemble, ils regardèrent les noms des deux premiers de la liste. Comme lors des examens du premier trimestre, Rentarou était premier avec 98% et Yoko seconde avec 96%.


    - Désolé, compatit Rentarou.


    - Ce n'est rien, murmura t-elle. J'ai essayé autant que j'ai pu. Au moins, j'ai réussi à ne perdre contre personne d'autre.


    Posant à nouveau les yeux sur son score, elle ajouta avec plus de combativité :


    - Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Je vais tout faire pour te dépasser au troisième trimestre et si je n'y arrive pas, ce sera lors de nos deux prochaines années !


    - J'ai hâte d'y être, lui sourit-il. Mada mada dane.


    - Excusez-moi mais je veux lire mes résultats, réclama Shintarou.


    Après que Rentarou et Yoko se furent écartés, le rouquin s'avança et lut son score. Un large sourire illumina son visage et il laissa éclater un cri de victoire.


    - Super ! J'ai obtenu 94% Je suis quatrième !


    - Seiichi ! Tyro ! Vous avez eu de bons résultats ? s'informa Rentarou en apercevant ses deux amis revenir vers lui.


    - J'ai obtenu 79%, soupira Seiichi. Je suis sûr que Masami-sensei m'a donné d'horribles notes avec son contrôle continu qui compte pour moitié dans la note de son examen !


    - Tu parles ! Avec le coup que tu as fait, il ne doit pas t'aimer, lança Tyro.


    - Et toi Tyro, tu as réussi ? demanda Yoko.


    - J'ai obtenu 83% révéla t-il avec fierté.


    - Ce qui tend à prouver l'existence d'un Dieu qui a été touché par l'existence de Tyro.


    - Tu m'énerves, s'agaça le jeune tennisman.


    - Moi, j'ai eu 82%, Yoko-chan, s'exclama Mari en revenant vers sa meilleure amie.


    - Félicitations, Mari-chan, la congratula sa meilleure amie.


    - Kou ! Taka-chan ! appela Shintarou. Vous avez réussi ?


    - J'ai eu 63%, avoua Kou en soupirant. J'ai encore eu chaud.


    - Et moi, 69%, ajouta Takaishi avec triomphe. Cela veut dire qu'on a tous réussi nos examens !


    - C'est génial, s'enthousiasma le petit rouquin.


    - Que diriez-vous d'aller fêter ça tous ensemble au karaoké ? proposa Kou.


    - En plus, avec les rattrapages prévu Jeudi et Vendredi, les cours sont annulés pour toute la semaine alors nous sommes en vacances, réalisa Tyro. Trop cool !


    - Yoko-chan, allons-y avec eux, insista Mari.


    - Si cela te fait plaisir, je veux bien, accepta Yoko.


    - Grâce à ça, on pourra même entendre la voix du meilleur joueur de tennis de l'école quand il chante en plus, renchérit Mari avec amusement.


    - NOOOOON !!!!


    Spontanément, le cri avait jailli de la poitrine de cinq des adolescents. Le dernier détourna son regard n'aimant pas évoquer ce genre de sujets.


    - Qu'est-ce qui vous arrive ? s'intrigua Yoko.


    - C'est que Rentarou … , commença Kou sans savoir comment s'expliquer.


    - Il chante comme une casserole ! résuma simplement Tyro en riant.


    - Tu ne vas pas d'ennuyer alors dans un karaoké ? s'inquiéta Yoko en se tournant vers le lycéen géant.


    - Il y a des avantages, rétorqua Rentarou en lui souriant. Par exemple, avaler la nourriture commandée pendant que tout le monde chante !


    Dans cette bonne humeur ambiante, le groupe partit donc ensemble pour célébrer leur réussite aux examens trimestriels et le début de vacances d'hiver.

     

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